L'homélie du dimanche (prochain)

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24 septembre 2023

Vaut-il mieux dire ou faire ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Vaut-il mieux dire ou faire ?

Homélie pour le 26° Dimanche du temps ordinaire / Année A
01/10/2023

Cf. également :
L’évangile de la seconde chance
Justice punitive vs justice restaurative
Changer de regard sur ceux qui disent non
Les collabos et les putains
Rameaux, kénose et relèvement

1. Ils disent et ne font pas
Vaut-il mieux dire ou faire ? dans Communauté spirituelle mome-mosquée
La parabole des deux enfants (Mt 21,28-32) de ce dimanche semble claire, et elle satisfait notre mentalité moderne sécularisée très factuelle : peu importe les croyances religieuses des gens, seuls comptent leurs actes. Qui plus est, on se méfie des gens qui font de grandes déclarations la main sur le cœur mais qui en finale n’agissent pas. Notre époque est à l’orthopraxie, diraient les spécialistes, c’est-à-dire que nous accordons une importance majeure à ce qui est fait plus qu’à ce qui est dit ou pensé. Peu importe la religion ou la philosophie de quelqu’un : le seul critère est son action. Débattre de ce qu’il pense ou croit pour savoir si c’est vrai est superflu et inutile.

Les catholiques sont relativement à l’aise avec cette importance majeure donnée aux œuvres de quelqu’un. Ils s’appuient sur de nombreuses paroles de Jésus comme celle-ci : « ce ne sont pas ceux qui disent : ‘Seigneur,  Seigneur !’ qui entreront dans le royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père » (Mt 7,21).
Notre parabole semble nous encourager à dénoncer toute hypocrisie religieuse ‘à la pharisienne’ qui dit ‘oui’ des lèvres et ‘non’ de la main. La violente critique de Jésus à l’encontre des religieux de son époque rejoint celle de la parabole contre le premier fils : « ils disent et ne font pas » (Mt 23,3). Et pour une part, c’est vrai que ce divorce croissant entre l’enseignement de l’Église (sur l’amour, la morale, le pardon etc.) et ses pratiques institutionnelles (omerta sur les abus, hypocrisie face à l’argent et aux pouvoirs en place etc.) devient insupportable aux yeux de nos contemporains, et suffit à disqualifier son message.

L’affaire serait donc bouclée : la parabole des deux fils nous conforte dans l’idée qu’il vaut mieux faire que dire. « On juge l’arbre à ses fruits » (Mt 7,16-20), point barre.

 

2. Le débat entre la foi et les œuvres
Évidemment, les protestants sont moins à l’aise avec cette lecture univoque de la parabole. Car ce serait trancher le vieux débat entre la foi et les œuvres en faveur des œuvres.

la%2Bfoi%2Bou%2Bles%2Boeuvres dire dans Communauté spirituelleEst-ce mon action qui me sauve ? Ce serait contredire l’une des thèses majeures du Nouveau Testament : la gratuité du salut, don de Dieu. « Si ta bouche proclame que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a relevé d’entre les morts, alors tu seras sauvé » (Rm 10,9). Paul ne cesse de proclamer la supériorité – et l’antériorité – de l’action en nous de l’Esprit sur toutes nos actions. Pour lui, seule la foi justifie : « nous pensons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la Loi » (Rm 3,28). Il s’oppose ainsi – quasi frontalement – au frère de Jésus, Jacques, premier évêque de Jérusalem, qui rappelle en bon juif l’importance de l’observance de la Loi : « Vous voyez que l’homme est justifié par les œuvres, et non par la foi seulement » (Jc 2,24). Pour Paul, observer la Torah sans croire au Christ ne sert à rien, ce sont des « œuvres mortes » : « Tendons la perfection d’adultes, au lieu de poser une nouvelle fois les fondements, à savoir : la conversion,  avec le rejet des œuvres mortes et la foi en Dieu » (He 6,1).   « Combien plus le sang de Christ, qui, par un esprit éternel, s’est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il votre conscience des œuvres mortes, afin que vous serviez le Dieu vivant ! » (He 9,14).
D’ailleurs, le premier qui entre au paradis dans les Évangiles n’est ni Pierre ni même Marie, mais un criminel qui n’a rien fait de bien dans sa vie sinon dire sa foi en Jésus au moment de mourir : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » (Lc 23,42). Cette parole l’a sauvé, alors que ses actes le condamnaient.

Soutenir avec notre parabole qu’il vaut mieux dire ‘non’ à Dieu mais faire sa volonté, c’est basculer dans le camp de Jacques, pour qui le plus important est d’agir. Pourrait-on l’interpréter autrement ?

 

3. La parabole à l’envers
C’est bien sûr un protestant – le pasteur Marc Perrot – qui nous met sur la voie d’une autre interprétation possible de la parabole [1]. Il fait remarquer que de nombreux manuscrits, et non des moindres, ont interverti les deux fils dans leurs versions. Si bien que dans ces manuscrits c’est celui qui dit ‘oui Seigneur’ qui est conforme à la volonté du Père, même s’il ne va pas ensuite travailler à la vigne. La note de la TOB sur Mt 21,29 précise par exemple : « Certains manuscrits intervertissent l’ordre des réponses aux v. 29 et 30 ».
À la lecture de ces manuscrits, les copistes ont cru à une erreur : c’était impossible pour eux que la parabole loue celui qui dit ‘oui’ sans rien faire ! C’était contraire à la morale commune.

Et si c’était pourtant cette version qui était la plus intéressante, car plus radicale, plus à rebrousse-poil de nos représentations ? Il n’y a pas besoin de révélation pour louer celui qui va travailler à la vigne ! Alors que l’inverse…
publicains-prostituees-precedent-cl faireIntervertir les deux fils serait alors reconnaître que dire ‘oui Seigneur’ est plus important que de faire un tas de bonnes œuvres ; clamer son rejet : ‘je ne veux pas’ est plus grave que de ne pas aller à la vigne. D’ailleurs, les publicains et les prostituées ne font pas les œuvres de Dieu, et pourtant ils précèdent les pharisiens dans le royaume de Dieu ! Ceux qui reconnaissent Jésus ne changent pas de métier pour autant (sauf justement Lévy-Mathieu qui du coup comprend la difficulté de ses collègues à changer de métier !) : ils lui disent oui, avec passion et amour, mais ne peuvent gagner leur vie autrement. Ils confessent leur foi de tout leur cœur, mais ne deviennent pas pour autant de bons juifs religieux observant toute la Loi. Zachée par exemple rembourse quatre fois ce qu’il a volé dans son métier de publicain, mais ne renonce pas à ce métier, impur par essence aux yeux des juifs. De même on ne sait pas ce qu’a fait la prostituée qui a versé un parfum précieux sur les pieds de Jésus pour lui exprimer sa foi et son désir d’être pardonnée. Il n’est pas sûr qu’elle ait cessé de se prostituer ! Jésus n’a rien exigé d’elle pour lui accorder le salut. On ne sait rien non plus de ce qu’a fait le publicain de la parabole en descendant du Temple où son humble prière l’avait justifié, à l’inverse du pharisien se glorifiant de ses bonnes œuvres nombreuses et méritantes (Lc 18,9-14). Il n’est pas sûr qu’il ait cessé d’être publicain !
Remarquons en outre que Jésus dans la finale de la parabole loue les publicains et les prostituées qui ont cru (en la parole de Jean-Baptiste) même s’ils n’ont pas fait les bonnes œuvres justes. Comme quoi croire – dire oui – est plus important que faire…
Les publicains et les prostituées ne font pas la volonté du Père mais ils lui disent oui dans leur cœur de toutes leurs forces. Les pharisiens eux font la volonté de Dieu en obéissant à la Loi et en accomplissant tout ce qu’elle prescrit, mais ils ne disent pas oui à Jésus, ni ne le reconnaissent comme Seigneur. L’humble désir confiant des pécheurs contrits incapables d’observer la Loi vaut mieux que l’orgueilleuse fidélité des pharisiens aux œuvres de la Loi tout en disant non à Jésus.

En outre, le comportement de celui qui dit non puis change d’avis n’est pas au-dessus de tout soupçon. La traduction liturgique écrit : « s’étant repenti, il y alla ». Petite erreur de traduction : le verbe employé par Mathieu en grec n’est pas se repentir (μετανοέω = metanoeo), mais se rétracter, revenir en arrière (μεταμέλομαι = metamelomai). Autant le repentir est bien vu car lié au salut, autant la rétractation est mal vue car contraire à la fidélité. Ainsi Dieu ne se rétracte jamais quand il engage sa parole : « Le Seigneur l’a juré, et il ne se rétractera (μεταμέλλομαι = metamellomai) pas : ‘Tu es prêtre pour toujours à la manière de Melchisédech’ » (Ps 110,4 LXX).
Le seul autre usage du verbe « se rétracter » dans l’Évangile de Matthieu est pour… Judas : « en voyant que Jésus était condamné, Judas, qui l’avait livré, se rétracta (μεταμεληθεὶς) ; il rendit les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens » (Mt 27,3). Judas s’aperçoit qu’il s’est trompé dans son calcul politique, lui qui avait imaginé être le médiateur d’une alliance entre Jésus et les chefs juifs pour chasser les Romains d’Israël. Voyant que cela ne marche pas, il revient en arrière, il se rétracte, et ne veut rien garder de l’accord passé auparavant, d’où la reddition des 30 deniers. Mais ensuite, il va se pendre ! Se rétracter ne conduit donc pas forcément au salut…

Comparer à Judas le fils qui dit non n’est vraiment pas en sa faveur, quoi qu’il fasse ensuite.
Par contre le fils qui dit oui proclame sa foi en appelant son père ‘Seigneur’, profession de foi reconnaissant le Christ comme tel. « Si ta bouche proclame que Jésus est Seigneur… »
Retourner ainsi à l’envers cette parabole permet de ne pas contredire la gratuité du salut, qui ne s’obtient pas par les œuvres, mais par la foi.

Marc Perrot commente : « C’est comme cela que cette parabole permet de comprendre la suite de ce que Jésus dit à ses disciples : il compare les prostituées, les pécheurs, qui certes ne font pas les bonnes œuvres de la Loi, mais qui, peut-être de tout leur cœur, aimeraient aimer, et demandent pardon à Dieu, avec les pharisiens, professionnels des bonnes œuvres, mais qui se placent eux-mêmes au centre de leur religion avec leurs mérites ».

 

4. La dialectique de la foi et des œuvres
La Tradition a retenu la première version du texte, apparemment favorable au salut par les œuvres. La mémoire de l’autre version n’a pas pour autant totalement disparue. Et tout le Nouveau Testament est parcouru par cette tension entre la foi et les œuvres : des centaines de passages vont dans le premier sens, des centaines dans le second.
Le pasteur Marc Perrot rassemble les deux interprétations de la parabole : « Nous sommes sauvés, non par les œuvres, mais par la foi… mais néanmoins ne nous contentons pas de paroles ou de pseudo bonne volonté, et accomplissons la volonté de notre Père, nous avons bien là deux paraboles non pas contraires, mais complémentaires. Et il n’y a peut-être pas à choisir un sens ou l’autre, les deux sont importants et justes ».
Massacre de la St Barthélémy (1572)N’oublions pas que le débat de la Réforme autour de la foi et des œuvres a mis l’Europe à feu et à sang ! Au XVI° siècle, il n’a pas été résolu de manière satisfaisante, car les anathèmes et excommunications réciproques ont fracturé l’Église d’Occident et bientôt les colonies lointaines en de multiples Églises  apparemment irréconciliables.

Heureusement, l’œcuménisme a effectué un formidable travail exégétique, historique, théologique et spirituel au XX° siècle. On peut dire aujourd’hui que cette querelle est – sur le fond – désormais dépassée. En témoigne la « Déclaration commune sur la justification par la foi », de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église catholique en 1999, signée également par les anglicans en 2017.

N° 15. « Nous confessons ensemble : c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes ».
N° 19. « Nous confessons ensemble que la personne humaine est pour son salut entièrement dépendante de la grâce salvatrice de Dieu. »
N° 20. « Lorsque les catholiques affirment que, lors de la préparation en vue de la justification et de son acceptation, la personne humaine « coopère » par son approbation à l’agir justifiant de Dieu, ils considèrent une telle approbation personnelle comme étant une action de la grâce et non pas le résultat d’une action dont la personne humaine serait capable. »

Luthériens, catholiques et anglicans ont levé leurs excommunications, et partagent ce qu’on appelle un ‘consensus différencié’ sur l’enjeu de notre parabole. Tous proclament que le salut est gratuitement donné par Dieu sans que personne ne puisse le mériter. Les catholiques insistent cependant sur la vitalité de la foi agissant au cœur de l’homme renouvelé par Dieu, et produisant des œuvres de charité et de justice. Les protestants insistent quant à eux sur l’entière dépendance de l’homme vis-à-vis de l’Esprit pour accomplir ce qui est bien.

dialectique-foi-oeuvres-bocal1 foiN° 38. « Selon la conception catholique, les bonnes œuvres qui sont réalisées par la grâce et l’action du Saint-Esprit contribuent à une croissance dans la grâce afin que la justice reçue de Dieu soit préservée et la communion avec le Christ approfondie. Lorsque les catholiques affirment le « caractère méritoire » des bonnes œuvres, ils entendent par-là que, selon le témoignage biblique, un salaire céleste est promis à ces œuvres. Loin de contester le caractère de ces œuvres en tant que don ou, encore moins, de nier que la justification reste un don immérité de grâce, ils veulent souligner la responsabilité de la personne pour ses actions ».

C’est un peu comme l’enfant et le poisson rouge de l’image ci-contre [2] : l’enfant regarde le poisson de l’extérieur du bocal-aquarium, et déclare à raison que ce bocal est convexe. Le poisson rouge regarde l’enfant de l’intérieur du bocal, et déclare à raison celui-ci concave. Ainsi Jacques, regardant les choses extérieurement, dit que nous sommes sauvés par les œuvres. Tandis que Paul, regardant les choses de l’intérieur, proclame que nous sommes justifiés par la foi. Les deux ne sont pas en désaccord. Ils sont en tension dialectique. C’est dire qu’il faut changer de point de vue pour comprendre comment les deux s’opposent et s’articulent, selon un processus qu’on qualifierait aujourd’hui de systémique : la foi procure gratuitement le salut, faisant ainsi du croyant une créature nouvelle capable de produire  – dans la force de l’Esprit – des œuvres de charité et de prière qui font grandir davantage encore la grâce, qui se répand à nouveau par la foi etc. Et cette boucle ne finit jamais.

On peut tenter de schématiser cette dialectique ainsi :

Dialectique Foi Oeuvres 

Alors, au final, vaut-il mieux dire ou faire ?
Au lieu de répondre trop vite, parcourons la parabole des deux fils dans un sens puis dans l’autre, puis à l’envers, puis à nouveau etc., jusqu’à ce que la question s’efface au profit de la seule joie d’entendre l’appel du Seigneur : « mon enfant, va travailler à ma vigne ».

 


[1]. Pasteur de l’Église protestante unie de l’Étoile, à Paris ; cf. https://etoile.pro/accueil-2?view=article&id=915:la-parabole-des-deux-fils&catid=22:catechisme

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Si le méchant se détourne de sa méchanceté, il sauvera sa vie » (Ez 18, 25-28)

Lecture du livre du prophète Ézékiel
Ainsi parle le Seigneur : « Vous dites : ‘La conduite du Seigneur n’est pas la bonne’. Écoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Il a ouvert les yeux et s’est détourné de ses crimes. C’est certain, il vivra, il ne mourra pas. »

PSAUME
(Ps 24 (25), 4-5ab, 6-7, 8-9)
R/ Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse. (Ps 24, 6a)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse ;
dans ton amour, ne m’oublie pas.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 1-11)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens
Frères, s’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres.
Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : ayant la condition de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.

ÉVANGILE
« S’étant repenti, il y alla » (Mt 21, 28-32)
Alléluia. Alléluia. Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ; moi, je les connais, et elles me suivent. Alléluia. (Jn 10, 27)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.’ Celui-ci répondit : ‘Je ne veux pas.’ Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : ‘Oui, Seigneur !’ et il n’y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. »
Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. »
Patrick BRAUD

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17 septembre 2023

La 11° heure en miettes

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La 11° heure en miettes

Homélie pour le 25° Dimanche du temps ordinaire / Année A
24/09/2023

Cf. également :
Dieu trop-compréhensible
Le contrat ou la grâce ?
Personne ne nous a embauchés
Les ouvriers de la 11° heure
Premiers de cordée façon Jésus
Un festin par-dessus le marché
« J’ai renoncé au comparatif »
Les premiers et les derniers

Les ouvriers de la 11° heure…
Ne sachant plus quoi faire de cette parabole ultra-connue sur laquelle on a tout dit, je l’ai posée en équilibre sur le fil de l’étude. Elle est tombée du haut de la table et s’est brisée sur le sol dur. Voici quelques miettes que j’ai ramassées dans le désordre, sans autre ambition que de faire regretter l’entièreté de l’original.

1. L’infini, ce n’est pas rien !
Vous connaissez le sketch de Raymond Devos : ‘parler pour ne rien dire ?’ Il joue avec le mot rien, tel que la langue française le met en scène avec brio :
« Une fois rien, c’est rien ; deux fois rien, ce n’est pas beaucoup, mais pour trois fois rien, on peut déjà s’acheter quelque chose, et pour pas cher ».

Le salaire dont parle notre parabole des ouvriers de la 11° heure ce dimanche (Mt 20,1-16) est à l’exact opposé de ce rien « à la Devos ». La pièce d’argent remise à chaque ouvrier n’est autre que la vie éternelle. Et comment diviser la vie éternelle ? Comment fractionner l’infini ? La moitié de l’infini c’est toujours l’infini. Et deux fois l’infini c’est encore l’infini.

La 11° heure en miettes dans Communauté spirituelle H_denombrale_indenombrableCeux de la 11° heure n’ont travaillé qu’une heure au lieu des 12 heures des premiers. Ils devraient donc recevoir 1/12 de leur salaire. Mais 1/12 de l’infini… c’est encore l’infini ! Le royaume de Dieu n’est pas fractionnable. Soit vous y êtes, et alors vous êtes comblés au point de ne pouvoir multiplier votre bonheur, soit vous n’y êtes pas, et alors vous avez moins que rien. Pour une fois, l’Évangile est binaire : une pièce d’argent (la vie éternelle) ou rien. La sœur de la petite Thérèse de Lisieux prenait l’image des verres remplis : peu importe qu’ils soient petits ou grands, l’important est qu’un verre soit rempli. Ce sentiment de plénitude est le même pour chaque verre, petit ou grand. De même, la vie éternelle est donnée gracieusement à tous ceux qui ont répondu à l’appel de Dieu, que ce soit 1 heure ou 12 heures durant. Du patriarche Abraham au criminel crucifié à droite de Jésus, la vie éternelle ne se fractionne pas. Tu seras vivant ou mort ; pas d’entre-deux.

 

2. D’ouvrier à ami
60305350-illustration-du-patron-en-colère-crier-à-son-ouvrier onzième heure dans Communauté spirituelle
Au début de la parabole, le maître de la vigne cherche des ouvriers (en grec : ἐργάτης = ergatēs = travailleurs). À la fin, il a trouvé des amis (ἑταῖρος = hetairos) : « mon ami, je ne suis pas injuste envers toi… ». Il suffit de répondre à son appel, à n’importe quelle heure, pour devenir l’ami de Dieu. Jésus fait ainsi : il appelle des disciples à le suivre, il en fait des apôtres, des serviteurs, et puis finalement des amis. « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis » (Jn 15,15). Loin de tout paternalisme, voici la justice à l’œuvre : notre travail dans la vigne n’a pas l’argent pour but, mais l’amitié avec Dieu. Le vrai salaire est dans cette intimité partagée. Réduire cela à une relation marchande, c’est couper le lien de communion avec Dieu : « Prends ce qui te revient, et va-t’en ! ».

Le vrai ami se réjouit de son ami, et non des avantages qu’il peut en tirer. Le salarié reste dans un rapport de subordination à son employeur (c’est même la définition du salaire dans le Code du Travail français !), alors que l’ami est à égalité avec son ami.

Voilà donc un autre enjeu de la parabole : passer d’ouvrier à ami, de salarié à familier, de la récompense à la gratuité, du mérite à la grâce. Qui vient travailler en Église en espérant une récompense proportionnelle à son investissement se trompe lui-même. D’ailleurs, comme s’écriait Paul à l’encontre de ceux qui en voulaient en retour plus que les autres : « qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1Co 4,7). Si tu travailles plus, ou plus longtemps, ou mieux, c’est que cela t’a été donné. Ne t’en vante pas, n’en fais pas un motif pour vouloir recevoir davantage que les autres. Réjouis-toi seulement d’avoir entendu la voix qui t’appelait et d’avoir répondu selon tes possibilités.

 

3. Renoncer au comparatif
public11 ouvriers
La façon de procéder du maître de la vigne est bien étrange. Il semblerait qu’il fasse exprès de susciter la jalousie des ouvriers les plus courageux, ceux qui ont travaillé pour lui pendant une longue journée, en distribuant les salaires à partir des derniers embauchés. S’il l’avait fait en ordre inverse, en commençant par les premiers, ceux-ci seraient peut-être partis, tout contents de leur pièce, sans attendre la suite.

C’est bien la jalousie qui empoisonne le regard des premiers. Ils se comparent aux derniers, au lieu de se réjouir pour eux. Ils calculent au lieu d’accueillir. Ils hiérarchisent au lieu de fraterniser. La convoitise est depuis la genèse du monde ce qui pourrit l’amitié entre l’homme et Dieu, entre l’homme et l’homme. Adam et Ève convoitaient avec le fruit interdit la possibilité d’« être comme des dieux » par prédation et non par grâce. Après eux, Caïn se compara à Abel et le tua. Puis Israël s’est comparé aux autres nations et a voulu comme elles un roi, pour son malheur. Etc.

Les premiers ouvriers comparant leur salaire aux derniers font penser au fils aîné de la parabole du fils prodigue, jaloux lui aussi du veau gras qu’il n’a jamais eu. Même les apôtres se comparent entre eux : « qui est le plus grand ? » (Mt 18,1).

Le comparatif est l’autre nom du péché.
Recevoir la vie éternelle demande donc de renoncer au comparatif, ce qui nous libère de la jalousie, du calcul, de l’aigreur, du marchandage.

 

4. Dieu prie l’homme d’aller travailler à sa vigne
Le maître de la vigne sort 5 fois dans la journée, de sa maison à la place du village. Sortir de soi est proprement divin. L’extase (ex-stasis : se tenir au-dehors) est la nature même de l’amour trinitaire, où chaque personne divine n’est vraiment elle-même qu’en sortant d’elle-même pour aller vers l’autre, dans une communion conjuguant unité et différences. Dieu sort de lui-même pour appeler des ouvriers qui sont là, « sans rien faire ». Moise sortait de son palais pharaonique pour découvrir les réelles conditions de vie et de travail des Hébreux (Ex 2,11.13).

Unis à Dieu, il nous deviendra naturel à nous aussi de sortir de nous-mêmes pour embaucher de nouveaux compagnons.

La fréquence à laquelle le maître sort de son domaine est quasi liturgique : le matin à la première heure (6 heures du matin), puis à la 3° heure (9h), puis à la 6° (midi) et 9° (15h) heures, puis enfin à la 11° heure (17h). On croirait presque suivre un moine de sa cellule à l’église plusieurs fois par jour pour l’office liturgique ! Comparaison un peu anachronique bien sûr, puisque les monastères n’existaient pas avant le IV° siècle. Ces sorties fréquentes font plutôt penser aux prières à la synagogue obligatoires pour les juifs encore aujourd’hui : 3 offices chaque jour, mais 5 pour la fête de Yom Kippour. Pour ces offices à la synagogue, il faut être au minimum 10 hommes (le ‘miniane’), et un juif cherche à réquisitionner n’importe qui pour compléter le miniane afin de commencer la prière ! Il nous faut donc sortir de chez nous, comme le maître de la vigne, pour aller trouver assez d’amis afin d’aller prier ensemble l’office à la synagogue…

Si ces 5 sorties évoquent Kippour, c’est donc que le pardon est en jeu : recevoir la plénitude par-delà nos fautes.

En tout cas, on voit que Dieu le premier est en quête de l’homme. C’est lui le premier qui le supplie. Comme dans la parabole du marchand de perles, l’essentiel est de se laisser chercher par un Dieu prêt à tout pour acquérir l’homme à tout prix. Pour les ouvriers, l’essentiel est d’être appelés, et s’ils répondent c’est dans cet appel que réside leur salaire : l’amitié avec Dieu, la vie éternelle.

 

5. À chacun selon ses besoins : un salaire de subsistance et non de mérite
Chaque heure ou presque de la journée, le propriétaire de la vigne part embaucher. Bizarrement, il n’est jamais fait mention d’un manque de main-d’œuvre. Bizarrement, il ne fait pas passer d’entretien d’embauche : il ne questionne ni les uns ni les autres sur leurs compétences viticoles. Il ne leur précise même pas la nature du travail attendu.

 parabole« Allez à ma vigne » : voilà le seul mot d’ordre, celui de rassembler ceux qui n’ont trouvé personne pour les rendre utiles, pour leur donner la possibilité de subvenir à leur revenu  quotidien nécessaire. Car le chômage n’était pas indemnisé en Israël !
Et bizarrement, il n’y a que ce vigneron pour les arracher au chômage.

La finale de la parabole est un plaidoyer pour un salaire qui permette à l’ouvrier de vivre, et non un salaire proportionnel au temps de travail effectif. Quelle que soit la contribution réelle du travailleur à la richesse de son employeur, chacun reçoit de quoi vivre : la pièce d’argent, la vie éternelle, le royaume de Dieu. On retrouvera cette intuition – grosse de conséquences sociales révolutionnaires ! – dans le principe de répartition au sein de la première communauté chrétienne de Jérusalem : « à chacun selon ses besoins » (Ac 2,45). Depuis ces textes, le christianisme social plaide pour un salaire de subsistance et pas seulement de mérite. Si quelqu’un participe à la communauté humaine – quel que soit son rendement, son handicap, ses résultats – selon ses moyens, il doit en recevoir de quoi vivre décemment selon ses besoins. La notion de salaire minimum, de revenu d’existence, ou de revenu d’insertion trouve là un fondement solide. Le simple fait d’être humain garantit la possibilité d’entendre l’appel à travailler à la vigne commune, de quelque manière que ce soit.

 

6. Référence circulaire
Terminons par l’interprétation la plus classique de la parabole.
« Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers ».
Écrite au moment où des non-juifs de plus en plus nombreux bousculent les judéo-chrétiens en demandant le baptême, cette parabole voulait apaiser les ressentiments qui ont pu naître de cet afflux de païens. Saint Augustin en est le fidèle témoin lorsqu’il s’identifie aux derniers : « Tous les chrétiens sont, pour ainsi dire, appelés à la onzième heure ; ils obtiendront, à la fin du monde, le bonheur de la résurrection avec ceux qui les ont précédés. Tous le recevront ensemble » (sermon 87 : les heures de l’histoire du salut).

Les juifs demeurent nos frères aînés dans la foi. Ils ne recevront ni plus ni moins que les chrétiens, puisque la vie éternelle ne se fractionne pas. Bien sûr, la transposition de cette échelle chronologique juifs–païens nous oblige à être vigilants : l’accueil de nouveaux convertis peut irriter d’anciens catholiques présents ‘depuis toujours’ ; l’accueil des catéchumènes bouscule nos paroisses et peut susciter condescendance, méfiance ou jalousie.

Référence circulaire dans Excel

Référence circulaire dans Excel

Savoir se réjouir du dernier arrivé au lieu de se comparer et de jalouser est une conversion permanente pour nos assemblées et pour chacun de nous

D’ailleurs, on peut remarquer que la phrase finale de la parabole tourne en boucle. « Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers » : en vertu de ce principe, si quelqu’un est premier, il est renvoyé à la dernière place ; mais en vertu de ce même principe, il passe  aussitôt de la dernière place à la première, et la boucle recommence ! Si bien que finalement il n’y a plus ni premiers ni derniers, car ils sont instantanément rétrogradés ou promus. C’est ce qu’on appelle dans un tableur Excel « une référence circulaire », dont le calcul tourne en boucle et ne finit jamais. Nous retrouvons là la « docte ignorance » chère à la mystique rhénane : impossible de savoir si nous sommes premiers ou derniers… et c’est très bien ainsi !


Renoncer au comparatif est décidément le secret pour accueillir et se réjouir…

[Fin des miettes]

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55, 6-9)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le tant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées ! Qu’il revienne vers le Seigneur qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu qui est riche en pardon. Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, – oracle du Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

PSAUME
(Ps 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18)
R/ Proche est le Seigneur de ceux qui l’invoquent. (cf. Ps 144, 18a)

Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
Il est grand, le Seigneur, hautement loué ;
à sa grandeur, il n’est pas de limite.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de tous ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

DEUXIÈME LECTURE
« Pour moi, vivre c’est le Christ » (Ph 1, 20c-24.27a)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Frères, soit que je vive, soit que je meure, le Christ sera glorifié dans mon corps. En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire.
Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ.

ÉVANGILE
« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20, 1-16)
Alléluia. Alléluia. La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres :tous acclameront sa justice. Alléluia. (cf. Ps 144, 9.7b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait cette parabole à ses disciples : « Le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. Et à ceux-là, il dit : ‘Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste. ’Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : ‘Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?’Ils lui répondirent : ‘Parce que personne ne nous a embauchés. ’Il leur dit : ‘Allez à ma vigne, vous aussi.’
Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers. ’Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : ‘Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !’Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : ‘Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?’
C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

Patrick BRAUD

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10 septembre 2023

70 fois 7 fois

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

70 fois 7 fois

Homélie pour le 24° Dimanche du temps ordinaire / Année A
17/09/2023

Cf. également :
À Dieu la dette !
Pardonner 70 fois 7 fois
La dette est stable : vive la dette !
La pierre noire du pardon
L’oubli est le pivot du bonheur

Autun en emporte Caïn
Lamek tue Caïn
Allez visiter la magnifique cathédrale d’Autun ! Ne manquez pas la salle capitulaire : vous y verrez un chapiteau énigmatique. Un personnage y est tué par une flèche en pleine gorge tirée par un chasseur muni d’un arc. Le guide vous expliquera que c’est le meurtre de Caïn qui est figuré là. En effet, le Talmud et la Mishna développent sur ce passage une légende, reprise notamment par Rachi, où Lamek (arrière-arrière-petit-fils de Caïn) perd la vue, à cause de son âge avancé. Il est aidé à la chasse par son fils Tubal-Caïn. Il aperçoit indistinctement un animal, et le tue d’une flèche de son arc. Mais c’est en réalité son ancêtre Caïn, toujours vivant du fait des âges antédiluviens. Quand il comprend son erreur, il frappe des mains et tue accidentellement son fils Tubal-Caïn. Cette légende peut expliquer les versets étranges de Gn 4,23–24 auquel notre évangile de ce dimanche (Mt 18,21-35) renvoie :
« J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C’est que Caïn est vengé 7 fois mais Lamek 70 fois 7 fois ».
« ὅτι ἑπτάκις ἐκδεδίκηται ἐκ Καιν, ἐκ δὲ Λαμεχ ἑβδομηκοντάκις ἑπτά ».
Car c’est le même mot grec βδομηκοντκις= hebdomēkontakis que Matthieu utilise pour décrire l’exigence de pardon formulée par Jésus : « Jésus lui dit: Je ne te dis pas jusqu’à 7 fois, mais jusqu’à 70 fois 7 fois » (Mt 18,22).
λέγει αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς· Οὐ λέγω σοι ἕως ἑπτάκις ἀλλὰ ἕως ἑβδομηκοντάκις ἑπτά ».
Ce sont les deux seules occurrences du mot ἑβδομηκοντάκις dans toute la Bible. Le renvoi à Lamek est donc voulu par Matthieu.

La réponse de Jésus à Pierre vient en exact contrepoint de celle de Lamek. Car la violence a une propension naturelle à l’escalade, à la montée aux extrêmes, pour finir par le lynchage et le massacre. Face à elle, le pardon doit opérer une désescalade de même ampleur afin d’être à la hauteur du défi.
Caïn le meurtrier est tué à son tour, alors qu’il était protégé par la miséricorde de Dieu (Gn 4,1-16) : « Si quelqu’un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois. Et le Seigneur mit un signe sur Caïn pour le préserver d’être tué par le premier venu qui le trouverait » (Gn 4,15).
D’où la surenchère : puisque 7 fois ne suffisent pas à protéger de la violence, Dieu augmente le tarif pour Lamek : 70 fois 7 fois ! À la montée de la menace qui ne respecte pas l’interdit divin, Dieu répond par la montée en puissance de sa protection accordée au meurtrier du meurtrier ! Dieu veut arrêter le cercle infernal : violence-représailles-vengeance, qui oblige à terroriser les agresseurs pour les dissuader d’agir.

Jésus renverse la perspective : ce n’est pas la menace qui doit augmenter, mais le pardon. À l’inexorable montée de la violence, Jésus oppose donc la montée parallèle et antagoniste du pardon. Il ne s’agit pas là d’une loi morale mais d’une simple loi de la vie : si l’on ne veut pas que la mort triomphe, il faut que le pardon soit aussi persévérant et aussi puissant que la spirale de la vengeance et de la violence.
La première logique – celle de la menace – est celle de la dissuasion nucléaire : si tu veux être violent injustement, tu risques infiniment plus que le mal commis.
La seconde logique – celle du pardon – est celle de la non-violence réparatrice : si tu es violent, je te montrerai le mal commis, mais nous chercherons ensemble des solutions pour ne pas en rester là ni alimenter l’escalade.

La menace nous oblige à devenir vengeurs et violents comme le meurtrier initial. Au lieu d’arrêter la souffrance due à la violence, elle l’amplifie, la propage, tel un incendie de forêt qui saute d’un village à une ville… La vengeance fait gagner le mal deux fois : par la blessure portée à incandescence d’abord, puis par la violence en retour qui nous rend semblable à notre agresseur. Nous transformer à l’image du méchant est la seconde victoire de la violence. Les soi-disant résistants qui tondaient à tour de bras les femmes et exécutaient sommairement les collabos à la Libération en 1945 ne valaient guère mieux que les soldats de l’Occupation.
Le pardon protège mieux que la menace : Jésus désamorce radicalement les stratégies de vengeance, de représailles, de surenchère dans la répression.
La menace de vengeance protégeant Lamek est celle de Caïn au carré.
La promesse de pardon portée par Jésus est celle de Dieu à la puissance infinie : 70 fois 7 fois !

 

Extension du domaine du pardon
Extension du domaine de la lutte par Houellebecq
Si l’on replace cet épisode dans son contexte, on comprend que Pierre au début veut limiter le pardon au « frère », c’est-à-dire aux membres de la communauté chrétienne locale. Car le chapitre 18 de Matthieu est consacré à la communauté. Ainsi, quelques versets plus haut, Jésus a plaidé pour la correction fraternelle, au sein de l’Église donc. C’est pourquoi la question de Pierre porte sur le pardon à accorder à un « frère », pas à un étranger ni à un païen : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi… » Il s’interroge sur l’extension de ce domaine du pardon. Lorsqu’il questionne : « jusqu’à 7 fois ? » il pressent que Jésus va lui demander d’élargir ce cercle de la miséricorde bien au-delà de l’Église. Car le chiffre 7 fait évidemment référence aux 7 jours de la Création, c’est-à-dire à la dimension universelle. Pardonner 7 fois serait donc déjà étendre le pardon pratiqué dans la communauté à toute la Création. Alors, le faire 70 fois 7 fois revient à ériger l’exigence du pardon pour tous et pour toutes les époques ! Car 10 c’est le nombre de la Loi : les 10 commandements, les 10 personnes minimum pour constituer une assemblée de prière (le miniane). Unir la Loi (10) et la Création (7) dans l’impératif du pardon, c’est étendre le domaine du pardon d’Israël à l’Église puis à tous les peuples, de tous les temps.
D’ailleurs Jésus le premier a demandé d’aimer ses ennemis (Mt 5,43 48) ce qui inclut le pardon. Et il a intercédé pour que les soldats le clouant à la croix soient pardonnés (Lc 23,34).

Impossible d’être communautariste avec ce 70 fois 7 fois ! Toutes les lois religieuses qui font une différence au profit de leurs adeptes sont ainsi disqualifiées. Le vrai pardon ne connaît pas de frontières, ni géographiques ni spirituelles. Le répéter, à l’infini si besoin, fait partie de l’amour des ennemis.
Saint Astère, évêque d’Amasée en Asie Mineure au IV° siècle, nous encourage à ne pas nous lasser d’espérer en l’autre, ce qui est une condition préalable au pardon :
« Ne désespérons pas facilement des hommes,
ne laissons pas à l’abandon ceux qui sont en péril (à cause du mal qu’ils commettent).
Recherchons avec ardeur celui qui est exposé,
ramenons-le sur le chemin,
réjouissons-nous de son retour…
(Homélie sur la conversion)

 

Envoyer au loin
Mais qu’est-ce donc que pardonner ?
En français, le verbe évoque l’action de donner (donum en latin) au travers (per) de la blessure infligée. Il s’agit de ne pas stopper la générosité de l’amour fraternel, qui veut sauter par-dessus l’obstacle de l’offense pour continuer à se donner, gratuitement. Un peu comme un fleuve submerge un barrage naturel pour continuer à couler vers la mer.
En grec, le verbe employé par Matthieu est φημι (aphièmi) et vient de π(apo = loin de) et de ημι (hiemi = envoyer, forme intensive de iemi = eimi, aller). Le verbe φημι signifie donc : envoyer loin de.

Le Pasteur Marc Perrot commente :
« La question n’est pas celle d’une amnistie, ni celle de payer quoi que ce soit pour solder le compte, la question est ‘d’envoyer au loin’ ce qui est mauvais. Cela veut dire faire en sorte que la victime se porte mieux, d’abord. Cela veut dire aussi que le coupable soit guéri de son problème qui a été source du mal, et qu’il ne fasse pas de nouvelles victimes. Cet aphièmi est une logique de soins en vue du bien. Ce travail ne peut pas être fait si on est dans la logique de la dette à venger, ou dans celle du pardon comme une amnistie. Ce serait comme si un médecin disait à une personne : je vous pardonne votre appendicite, je vous pardonne votre Covid, allez en paix ! C’est bien sympa mais cette absolution ne va pas suffire à « nous délivrer du mal », au contraire » [1].

70 fois 7 fois dans Communauté spirituelleEnvoyer au loin fait irrésistiblement penser au bouc émissaire.
Contrairement à ce que l’on croit trop souvent, le bouc chargé des péchés du peuple d’Israël pour leur expiation n’était pas mis à mort. On le chassait loin du peuple, dans le désert, une fois que l’imposition des mains et la consécration à Azazel l’avaient symboliquement chargé des péchés commis. « Quant au bouc sur lequel est tombé le sort ‘Pour Azazel’, on le placera vivant devant le Seigneur afin d’accomplir sur lui le rite d’expiation, en l’envoyant vers Azazel, dans le désert. [...] Aaron posera ses deux mains sur la tête du bouc vivant et il prononcera sur celui-ci tous les péchés des fils d’Israël, toutes leurs transgressions et toutes leurs fautes ; il en chargera la tête du bouc, et il le remettra à un homme préposé qui l’emmènera au désert. Ainsi le bouc emportera sur lui tous leurs péchés dans un lieu solitaire » (Lv 16,10.21-22).
Autrement dit : le pardon ne veut pas effacer le mal commis – qui peut en gommer la réalité ? –. Il le dénonce, il appelle mal ce qui est mal. Mais il le chasse au loin : au lieu de le nier, de l’effacer, ou au contraire de l’exacerber pour justifier une vengeance, le pardon l’envoie loin de la victime, au désert, là où il ne pourra plus faire de mal. Il la protège ainsi en mettant une distance entre les deux. Il ouvre un avenir avec la possibilité d’oublier, une fois rendu inoffensif le bouc au désert.

Oui, le pardon conduit à l’oubli !
Ne croyez pas ceux qui vous disent qu’il faudrait cultiver pour toujours la mémoire des violences subies. Heureusement que nous oublions les folies meurtrières des guerres de religion, la terreur des anciens empires, les effrayantes noirceurs des siècles passés ! Sinon, c’est la vendetta à l’infini…
Le premier, Dieu oublie, parce que Dieu pardonne. Il oublie en pardonnant ; il pardonne en oubliant. La Bible met dans la bouche de Dieu la promesse de cet oubli d’autant plus salutaire que c’est celui de Dieu lui-même :
« Je deviendrai leur Dieu, ils deviendront mon peuple. […] Je serai indulgent pour leurs fautes, et de leurs péchés je ne me souviendrai plus » (He 8,12).
« De leurs péchés et de leurs iniquités je ne me souviendrai plus. Or, là où il y a eu pardon, on ne fait plus d’offrande pour le péché » (He 10,17-18).
À l’inverse, lorsque Dieu est en colère contre Israël, il le menace de ne pas oublier : « Yahvé l’a juré par l’orgueil de Jacob; jamais je n’oublierai aucune de leurs actions (Am 8,7) ».
Isaïe annonce à Jérusalem qu’elle sera réconciliée avec elle-même grâce à l’oubli de ses iniquités : « N’aie pas peur, tu n’éprouveras plus de honte, ne sois pas confondue, tu n’auras plus à rougir; car tu vas oublier la honte de ta jeunesse, tu ne te souviendras plus de l’infamie de ton veuvage » (Is 54).
Et il décrit un Dieu qui ne tient plus compte du passé :
« On oubliera les angoisses anciennes, elles auront disparu de mes yeux » (Is 65,16).
« C’est moi, moi, qui efface tes crimes par égard pour moi, et je ne me souviendrai plus de tes fautes » (Is 43,25).
C’est la prière constante des psaumes :
« Oublie les péchés de ma jeunesse, mais de moi, selon ton amour souviens-toi ! » (Ps 25,7)
Joseph, après le pardon accordé à ses frères qui l’avaient vendu comme esclave, constate que ce passé ne pèse plus sur sa mémoire, et il en fait le prénom de son fils : « Joseph donna à l’aîné le nom de Manassé (= oublieux, en hébreu) car, dit-il, Dieu m’a fait oublier toute ma peine et toute la famille de mon père » (Gn 41,51).

70 Fois 7 FoisSi pardonner c’est envoyer le mal loin de nous comme un bouc émissaire, nous pouvons le faire et le refaire, 70 fois 7 fois. Cela n’est pas au-dessus de nos forces, car cela vient de l’image de Dieu en nous. « Vous êtes des dieux » nous dit l’Écriture (Ps 82,6 : Jn 10,34). Or le pardon est dans les premiers attributs de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Pardonner restaure la ressemblance divine en nous. Trouver en nous la force du pardon, toujours et encore, nous est donné par l’Esprit de Dieu qui est notre véritable nature, notre hôte intérieur : il veut sans cesse créer et recréer le lien de communion à l’autre, tout l’autre, tous les autres.

La parabole du débiteur impitoyable de ce dimanche nous ajoute une raison supplémentaire à cela : puisque Dieu le premier me pardonne mes 100 000 talents (60 millions de pièces d’argent) de dettes, qui suis-je pour aller étrangler celui qui me doit 600 000 fois moins (100 pièces d’argent) ?

La force de pardonner encore et encore ne vient pas de nous, elle nous est donnée.
« La loi du pardon n’est pas un mince ruisseau à la frontière entre l’esclavage et la liberté : elle est large et profonde, c’est la mer Rouge. Les juifs ne la traversent pas grâce à leurs propres efforts, sur des bateaux faits de main d’homme ; la mer Rouge s’entrouvrit par la puissance de Dieu : il fallut que Dieu les aides à la franchir. Mais pour être conduit par Dieu, on doit communier à cette qualité de Dieu qui est la capacité de pardonner » [2].


[2]. Métropolite Antoine Blum, Prière vivante, Cerf, 2008, p. 34.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors, à ta prière, tes péchés seront remis » (Si 27, 30 – 28, 7)

Lecture du livre de Ben Sira le Sage
Rancune et colère, voilà des choses abominables où le pécheur est passé maître. Celui qui se venge éprouvera la vengeance du Seigneur ; celui-ci tiendra un compte rigoureux de ses péchés. Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors, à ta prière, tes péchés seront remis. Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme, comment peut-il demander à Dieu la guérison ? S’il n’a pas de pitié pour un homme, son semblable, comment peut-il supplier pour ses péchés à lui ? Lui qui est un pauvre mortel, il garde rancune ; qui donc lui pardonnera ses péchés ? Pense à ton sort final et renonce à toute haine, pense à ton déclin et à ta mort, et demeure fidèle aux commandements. Pense aux commandements et ne garde pas de rancune envers le prochain, pense à l’Alliance du Très-Haut et sois indulgent pour qui ne sait pas.

PSAUME
(Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 9-10, 11-12)
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. (Ps 102, 8)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Il n’est pas pour toujours en procès,
ne maintient pas sans fin ses reproches ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint ;
aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés.

DEUXIÈME LECTURE
« Si nous vivons, si nous mourons, c’est pour le Seigneur » (Rm 14, 7-9)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même : si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur. Car, si le Christ a connu la mort, puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants.

ÉVANGILE
« Je ne te dis pas de pardonner jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 fois sept fois » (Mt 18, 21-35)
Alléluia. Alléluia. Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 fois sept fois. Ainsi, le royaume des Cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent). Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette. Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : ‘Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.’ Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette.
Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : ‘Rembourse ta dette !’ Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : ‘Prends patience envers moi, et je te rembourserai.’ Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait. Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé. Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : ‘Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?’ Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.
C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »
 Patrick BRAUD

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8 septembre 2023

10° Coupe du monde de rugby en France !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 06 min

10° Coupe du monde de rugby en France !

Coupe du monde de rugby france 2023 - monnaie de 10€ argentFrance – All Blacks sera l’affiche mythique du premier match de la 10° Coupe du monde de rugby, au Stade de France, ce Vendredi 8 Septembre 2023. La Monnaie de Paris a même crée une pièce d’argent de 10 € pour marquer l’évènement !

Les All Blacks ne sont pas favoris – c’est rare ! – mais l’Afrique du Sud et l’Irlande sont au taquet cette année et ont les faveurs des bookmakers. Notre équipe de France est bien placée en outsider, et devrait être sur le podium….

Ne boudons pas le plaisir du jeu, et l’extraordinaire fraternité – tant sur la pelouse que dans les gradins ou devant la télé – que ce sport sait générer mieux que tant d’autres !

Allez les petits ! Allez les Bleus !

 

Petit zoom sur la violence inhérente à la pratique du rugby :

- Elle devient de plus en plus dangereuse, notamment à cause de l’accroissement de la masse musculaire des joueurs, professionnels surentraînés, survitaminés (et plus ?). La revue Philosophie Magazine qui s’est penchée sur le problème observe :

10° Coupe du monde de rugby en France ! dans Communauté spirituelle 172_Rugby« Le poids moyen des joueurs de rugby en Coupe du monde est ainsi passé entre 1995 et 2019 de 83,7 à 92 kg pour les arrières et de 104,9 à 112,4 kg pour les avants. Ce sont donc de lourdes masses lancées à toute vitesse qui entrent en collision » [1].

« 260 rugbymen ont en effet récemment intenté une action en justice contre les fédérations anglaise et galloise, et contre le World Rugby, qui organise les principaux tournois internationaux, pour avoir négligé la santé des compétiteurs. Selon les estimations du cabinet d’avocat Rylands Garth, qui mène cette procédure, près de 400 joueurs seraient morts prématurément au cours des dix dernières années, du fait de commotions cérébrales. Par ailleurs, beaucoup de ces professionnels souffriront de problèmes neurologiques suite aux chocs sur le terrain – l’ancien pilier de la Nouvelle-Zélande Carl Hayman témoigne être atteint à seulement 43 ans de démence précoce, tout comme l’ancien talonneur de l’équipe anglaise Steve Thompson, 45 ans. Sébastien Vahaamahina, deuxième ligne international du club de Clermont, vient, lui, d’annoncer mettre fin à sa carrière à 31 ans, après une énième commotion » (id.).

 

- Catherine Kintzler, philosophe fan de ballon ovale, plaide quant à elle pour un apprivoisement de la violence :

« Au rugby, on apprivoise la violence. Elle est présente mais réprimée, pas refoulée. Du coup, il n’y a pas de retour du refoulé. Dans le football, comme la violence est interdite et refoulée sur le terrain, elle resurgit par moments entre les joueurs ou entre les spectateurs. Dans le rugby, il y a une dimension dialectique. La faute est constitutive, la transgression est traitée, et non simplement exclue. On recule pour avancer. Si on évite de percuter l’adversaire, ce n’est pas parce que cela est défendu, mais par choix ! J’aime le rugby parce qu’il engage un rapport maîtrisé à la force » [2].

pmfr12muriel-franceschettidialogue-rugby Coupe du monde dans Communauté spirituelle

Christophe Dominici – Catherine Kintzler

- Et le regretté Christophe Dominici expliquait ainsi la colère qui lui a fait marquer des essais merveilleux :

« À 14 ans, face à la mort brutale de ma sœur, j’ai ressenti une colère infinie. J’en voulais à la terre entière, je me sentais coupable – pourquoi elle et pas moi ? –, je pensais que mes parents auraient préféré que ce soit moi qui meure plutôt qu’elle. Les copains d’école me regardaient différemment, les adultes avaient tendance à me plaindre, mais je ne voulais pas de ça … Je me suis servi de cette haine qui me conduisait à faire n’importe quoi. Je l’ai mise au service du collectif, je l’ai rendue positive. Comme si mon malheur avait accru ma volonté et démultiplié mes forces » (id.).

La violence fait partie de la vie. Plutôt que de la refouler, le rugby a choisi de lui permettre de s’exprimer, en la canalisant, en la rendant constructive. Il y a une forme de réalisme anthropologique très protestant dans le rugby : ne rêvons pas d’éradiquer la violence qui fait partie de la nature humaine. Essayons plutôt de la canaliser, de la sublimer même en la mettant au service du beau jeu.

- Dans son Dictionnaire amoureux du rugby (Plon, 2014), Daniel Herrero écrit :

12_9782259198776_1_75 Dominici« Le rugby a cette fonction cathartique qui nous permet d’exorciser notre besoin de violence. Il devient un lieu unique où le combat est toléré. Espace exutoire, le jeu met en scène la violence et la peur, et en leur donnant un cadre, il les rend acceptables. Le terrain de rugby devient le royaume des surhommes qui nous offrent le spectacle fascinant d’un combat où se jouent nos pulsions les plus primitives. Comme une scène de théâtre, le terrain prend l’aspect sacré des espaces qui transcendent la vie réelle. Les chutes et les chocs, les bruits sourds des corps qui se cognent, l’entrelacs des jambes et des bras, les visages hébétés des joueurs, tout cela finit par constituer un ensemble fantasmatique mêlant dans les inconscients la guerre et le théâtre, la danse et le sexe, les gladiateurs et la tragédie grecque. « Nos villes ont, peu à peu, éliminé ce qu’il y avait en elles d’inconvenant dans le sauvage, la caillasse, l’herbe folle. Le rugby nous restitue le bonheur tellurique. « Il est extraordinaire qu’en notre XXe siècle si urbanisé, si policé, des hommes se laissent malgré eux culbuter, qu’ils broutent l’herbe comme des agneaux qu’ils ne sont pas, qu’ils se retrouvent à terre comme des manants, des gueux châtiés par leurs seigneurs et qu’ils se relèvent, qu’ils fassent front de toute leur taille, de leurs épaules et de leur orgueil » (Pierre Sansot, Le rugby est une fête) ».

Dans le football, la violence est dans les tribunes, brutale, en foule.
En ovalie, la violence est sur la pelouse, encadrée, sophistiquée, distillée.


Reste à vérifier que la santé physique et mentale des joueurs d’aujourd’hui, tentés par  une course inhumaine à la performance, n’est pas compromise dans le rugby professionnel…

 


[1]. Cédric Enjalbert : Coupe du monde de rugby : ballon ovale, violence capitale, Philosophie Magazine  n° 172, août 2023.

[2]. Christophe Dominici-Catherine Kintzler, Une philosophie du contact, Philosophie Magazine n° 12, août 2007.

 

En complément, voici un petit florilège d’articles qui pourront contribuer à vous faire regarder autrement cette belle compétition.

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