L'homélie du dimanche (prochain)

24 novembre 2024

Le présent eschatologique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le présent eschatologique

 

Homélie pour le 1° Dimanche de l’Avent / Année C
01/12/24

Cf. également :
Le syndrome du hamster
Le droit et la justice, signes Avent-coureurs
Quand le cœur s’alourdit 
À l’improviste !
La venue. Quelle venue ?
Laissez le présent ad-venir
Encore un Avent…
L’Apocalypse, version écolo, façon Greta

Le mascaret de l’Apocalypse

Il faut aller voir ce spectacle incroyable : sur les rives de la Garonne comme de la Dordogne, par marée basse de grand coefficient (supérieur à 90), une vague se forme qui parcourt régulièrement, à environ 20 km/h, une centaine de kilomètres depuis l’embouchure de l’estuaire bordelais jusqu’à l’intérieur des terres. Oui, c’est bien une vague en sens inverse du fleuve, à contre-courant, appelé mascaret : elle reflue sur le fleuve, et la force de ce courant crée une bande d’eau se déplaçant comme un troupeau de bœufs au galop (selon l’étymologie occitane [1])… Les surfeurs s’en donnent à cœur joie, chevauchant cette vague de 1m à 2m de hauteur pendant des dizaines de minutes.

Avec le mascaret, l’océan reflue sur le fleuve, la destination sur l’origine, l’arrivée sur le départ…

C’est une belle image pour comprendre ce que nous disent les passages apocalyptiques de la Bible, et notamment celui de ce dimanche (Lc 21,25-28.34-36) : 

« Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire ».

 

Autrement dit : l’Apocalypse n’est pas tant la fin du monde que la venue d’un autre à notre rencontre. Nous croyons nous hâter vers le terme de notre histoire (individuelle et collective), mais c’est l’inverse ! C’est la fin qui vient vers nous, c’est notre avenir qui reflue sur notre présent. Et le Christ, tel un surfeur sur la Dordogne, vient vers nous de l’avenir en chevauchant le mascaret de l’Apocalypse qu’est la vague d’amour trinitaire déferlant de Dieu vers l’homme. D’où le nom du temps liturgique qui commence : ad-ventus = Avent = ce qui vient vers nous.

 

Les Pères de l’Église avaient bien lu dans ces annonces effrayantes au premier abord la bonne nouvelle d’un monde nouveau se réalisant en moi / en nous sans attendre : 

« Il faut toujours tenir compte d’un double avènement du Christ : l’un quand il viendra, et que nous devrons rendre compte de tout ce que nous aurons fait ; l’autre, quotidien, quand il visite sans cesse notre conscience, et qu’il vient à nous afin de nous trouver prêts lors de son avènement. 

À quoi me sert, en effet, de connaître le jour du jugement, lorsque je suis conscient de tant de péchés? De savoir si le Seigneur vient, s’il ne vient pas d’abord dans mon cœur et ne revient pas dans mon esprit, si le Christ ne vit pas et ne parle pas en moi ?

Alors, oui, il m’est bon que le Christ vienne à moi, si avant tout il vit en moi et moi en lui. Alors pour moi, c’est comme si le second avènement s’était déjà produit, puisque la disparition du monde s’est réalisée en moi, parce que je puis dire d’une certaine manière : Le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde (Ga 6,14) ».

Homélie de saint Paschase Radbert († vers 860)

Commentaire sur l’évangile de Matthieu, 11, 24, PL 120, 799-800

 

Voilà donc un sens possible, très concret, très opérationnel, de la période de l’Avent qui s’ouvre ce dimanche : Christ nous vient de notre avenir en Dieu ; Christ vient vers nous, en nous, et il nous aide à ajuster ce que nous sommes à ce que nous serons appelés à devenir. 

L’avenir informe le présent, et non l’inverse.

 

Dans la foi chrétienne, le passé ne conditionne pas le présent et le présent ne construit pas l’avenir. C’est l’avenir (nous, unis au Christ en Dieu) qui transforme le présent. Notre vocation compte plus que nos réalisations, errements et réussites mêlés. La dernière parole du Christ en croix au bon larron est le signe le plus éloquent de cette priorité de l’avenir en Dieu : « Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis ». Alors que son passé est coupable et son présent lamentable, le bon larron entend cette promesse lui ouvrir les portes d’une vie autre, dès maintenant. 

 

De même, en invitant les nouveaux baptisés de Pâques à contempler le pain eucharistique sur l’autel, Saint Augustin les assurait qu’ils voyaient là leur avenir refluer sur leur présent, tel le mascaret de l’Apocalypse : « soyez ce que vous voyez ; recevez ce que vous êtes » (Sermon 272).

Le présent eschatologique dans Communauté spirituelle

 

Le présent eschatologique

Le Christ a beau nous avertir que sa venue à la fin des temps est imminente, depuis 2000 ans on se dit que statistiquement on a peu de chances de voir ce jour de notre vivant… 

Pourtant, « levez la tête car votre rédemption approche » : c’est donc que cette venue n’est pas si lointaine. 

Pourtant, « le royaume de Dieu est au milieu de vous » : c’est donc que je peux en vivre maintenant. 

Pourtant, « ce jour s’abattra sur tous les habitants de la terre comme un filet », « à l’improviste » : et si ce filet était déjà lancé au milieu du désordre de ma vie pour rassembler en Dieu tout ce que je suis ?

 

Le diacre syrien Saint Éphrem (III° siècle) a bien noté que le Christ ne veut pas dire la date du jour de son retour. Pourquoi ? Pour que nous désirions accueillir ce jour maintenant ; pour qu’il se réalise en moi sans tarder, avance Éphrem. Si nous connaissions cette date, nous pourrions différer l’ajustement nécessaire à la venue du Christ : ‘j’ai bien le temps de faire mille choses avant’. C’est bien aujourd’hui que le Christ vient en moi, tel le surfeur de l’Apocalypse : impossible de me défiler.

« Le Christ a dit, pour empêcher les disciples de l’interroger sur le moment de son avènement : Quant à l’heure, personne ne la connaît, pas même les Anges, pas même le Fils. Il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates. Il nous a caché cela pour que nous veillions, et pour que chacun d’entre nous pense que cela pourra se produire pendant sa vie. Si le temps de sa venue avait été révélé, son avènement aurait été quelque chose de banal, et les nations et les siècles dans lesquels il se produira ne l’auraient pas désiré. Il a bien dit qu’il viendrait, mais il n’a pas précisé à quel moment, et ainsi toutes les générations et tous les siècles l’attendent ardemment.

Bien que le Seigneur ait fait connaître les signes de son avènement, on ne voit pas clairement leur terme ; car ces signes, dans un changement constant, sont venus et sont passés, et ils durent toujours. Son ultime avènement est en effet semblable au premier.
Les justes et les prophètes le désiraient, parce qu’ils estimaient qu’il paraîtrait de leur temps ; de même, aujourd’hui, chacun des fidèles désire le recevoir de son temps […]. Il a mis ces signes en relief pour que, dès le premier jour, tous les peuples et les siècles pensent que l’avènement du Christ se ferait de leur temps. »

Commentaire de Saint Éphrem sur l’évangile concordant

 

Histoire et eschatologie BultmannUn théologien protestant, David Cox, écrivait :

« Il existe une forte pensée chrétienne […] selon laquelle Jésus est venu apporter le salut « ici et maintenant » ; c’est dans ce monde. Selon cette ligne de pensée, il est souligné que la « vie éternelle » doit être considérée comme une possibilité présente, une nouvelle qualité de vie, une manière de vivre dans ce monde, plutôt que comme quelque chose que l’on peut avoir après la mort ; ou bien, que nous vivons déjà dans le « nouvel éon », « »l’âge » ou la « période » mondiale inaugurée par Jésus, dans laquelle sont inclus tous ceux qui ont accepté Jésus comme leur Sauveur. Une telle pensée est une pensée chrétienne orthodoxe, qui met l’accent sur la valeur du christianisme pour la vie dans ce monde » [2].

Et les orthodoxes nous disent que la « divine liturgie » byzantine, avec ses ors, ses encens, ses mystères, ses chasubles chamarrées et ses chœurs intenses, « c’est le ciel sur la terre ». Dans les deux interprétations – l’une existentielle, et l’autre liturgique – il s’agit bien d’accueillir la fin dans le début, l’avenir dans le présent.

 

Un autre immense théologien protestant, Rudolf Bultmann, a repris cette intuition d’une anticipation dès à présent de ce que nous serons pour toujours.

« Le sens de l’histoire réside chaque fois dans le présent, et si le présent est saisi à partir de la foi chrétienne comme présent eschatologique, le sens de l’histoire s’y réalise ».

L’eschaton (le but ultime) et le présent coulissent l’un dans l’autre, comme deux anneaux sur un même cylindre. Leur trait commun réside dans le moment présent, qui seul importe.

Il nous est donc possible de vivre dans le « maintenant » divin où s’accomplit la promesse. Le futur de la fin des temps devient un présent eschatologique, c’est-à-dire un présent déjà transfiguré par l’avenir divin, un présent contenant l’eschaton (la « fin ») et contenu par lui : les deux réalités sont mutuellement imbriquées l’une dans l’autre, si bien qu’on ne peut accueillir l’une sans expérimenter l’autre, et réciproquement.

Le chrétien vit alors un peu moins « entre les temps » et un peu plus dans le « maintenant » divin. Le futur eschatologique est devenu pour lui un présent eschatologique. L’éternité signifie pour lui moins l’action de Dieu avant le temps et moins la vie de Dieu après le temps, et plus la présence de Dieu dans le temps. La vie éternelle est une qualité de l’existence dans l’ici et le maintenant.

Mascaret Apocalypse 

Bultmann en déduit un vibrant appel à laisser l’expérience chrétienne prendre corps aujourd’hui, sans attendre, tout en sachant que la plénitude est encore devant, car l’humanité tout entière – et le cosmos ! – est concerné :

« À tous ceux qui désespèrent et qui disent : « Je ne vois plus de sens à ma vie, je ne sais plus quelle est la signification de mon histoire », le Christ adresse cet encouragement et cet appel :

« Regarde ta propre histoire.

C’est toujours chaque instant présent qui contient la signification de ton histoire.

Tu ne peux pas regarder cette histoire en spectateur.

Tu dois l’envisager à partir de tes décisions, à partir de ta responsabilité.
Dans chaque instant présent de ta vie sommeille la possibilité qu’il soit l’instant du salut. À toi de le réveiller »
[3].

 

Saint Bernard de Clairvaux (XII° siècle) prenait l’analogie du bassin et du canal pour initier chacun à la plénitude présente, qu’il s’agit d’accueillir pour la laisser déborder vers les autres :

Petra bassin d'eau

Petra / Bassin d’irrigation
dans le désert jordanien

La Sagesse consiste pour toi

à jouer le rôle d’un bassin

et non pas d’un canal.

Un canal rend presque immédiatement

ce qu’il reçoit.

Un bassin, au contraire,

attend d’être rempli

pour communiquer sans dommage

ce dont il surabonde…

Laisse-toi combler par Dieu

avant de pouvoir partager

avec les autres ».

(St Bernard, Pensées)

 

La révolution des temps

La révolution des temps opérée par la foi chrétienne est colossale !

Les sciences humaines explorent les déterminismes sociaux qui conditionnent le futur des masses.
Les sciences génétiques et biologiques découvrent comment les mutations et la sélection transforment peu à peu les espèces.

Les mathématiques, la physique et autre sciences « dures » font du futur la conséquence du passé et la prolongation du présent.

L’hindouisme et le bouddhisme font du karma le principe de la réincarnation, où les vies antérieures conditionnent les vies suivantes. 

Le Coran fait de l’avenir un décret divin indiscutable, et le paradis ne sera que plus tard.
Le judaïsme attend toujours en la personne du Messie celui qui achèvera l’histoire et lui donnera tout son sens.

Seuls les chrétiens osent dire que c’est l’avenir qui informe le présent ! 

Seuls ils proclament que ce que nous sommes appelés à être influe déjà sur ce que nous sommes et devenons. 

Seul le Christ, tel un surfeur chevauchant le mascaret de l’Apocalypse, nous fait passer en Dieu sans attendre.

Le royaume de Dieu est en nous, au milieu de nous (Lc 17,21). Il nous est donné d’anticiper cette réalité ultime, unis au Christ, en vivant déjà le présent atemporel de la foi, le présent eschatologique.

Perspective vertigineuse, dont les répercussions sur notre rapport au temps, aux déterminismes de tous ordres, à nous-mêmes… sont immenses. 

 ___________________________________________________

[1]. En occitan, mascaret est dérivé de mascar (« tacheté de noir ») et signifie « tacheté, barbouillé ». En ancien français mascarer a le sens de « mâchurer ». Certains donnent à l’occitan le sens de « bœuf tacheté » et dérivent le sens de « vague » par une analogie entre un troupeau de bovins qui se déplace et un mascaret.

[2]. D. Cox, Jung and St. Paul, New York, Association Press, 1959, p. 10.

[3]. Bultmann, Histoire et eschatologie, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1959.

 

 

Lectures de la messe


Première lecture

« Je ferai germer pour David un Germe de justice » (Jr 33, 14-16)


Lecture du livre du prophète Jérémie
Voici venir des jours – oracle du Seigneur – où j’accomplirai la parole de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et à la maison de Juda : En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice, et il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé, Jérusalem habitera en sécurité, et voici comment on la nommera : « Le-Seigneur-est-notre-justice. »


Psaume

(Ps 24 (25), 4-5ab, 8-9, 10.14)
R/ Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme, vers toi, mon Dieu.
 (Ps 24, 1b-2)


Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.


Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.


Les voies du Seigneur sont amour et vérité
pour qui veille à son alliance et à ses lois.
Le secret du Seigneur est pour ceux qui le craignent ;
à ceux-là, il fait connaître son alliance.


Deuxième lecture

« Que le Seigneur affermisse vos cœurs lors de la venue de notre Seigneur Jésus » (1 Th 3, 12 – 4, 2)


Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. Et qu’ainsi il affermisse vos cœurs, les rendant irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre Seigneur Jésus avec tous les saints. Amen.
Pour le reste, frères, vous avez appris de nous comment il faut vous conduire pour plaire à Dieu ; et c’est ainsi que vous vous conduisez déjà. Faites donc de nouveaux progrès, nous vous le demandons, oui, nous vous en  rions dans le Seigneur Jésus. Vous savez bien quelles instructions nous vous avons données de la part du Seigneur Jésus.


Évangile
« Votre rédemption approche » (Lc 21, 25-28.34-36) Alléluia. Alléluia. 
Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. Alléluia. (Ps 84, 8)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire. Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche.
Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Patrick BRAUD

 

 

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10 décembre 2023

Le messianisme du trône vide

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le messianisme du trône vide

Homélie pour le 3° Dimanche de l’Avent / Année B
17/12/2023

Cf. également :
Gaudete : je vois la vie en rose
Que dis-tu de toi-même ?
Tauler, le métro et « Non sum »

Réinterpréter Jean-Baptiste
Que dis-tu de toi-même ?
Un présent caché
Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter
La croissance illucide

Marie aurait-elle une conscience politique relativement nulle ?
Le messianisme du trône vide dans Communauté spirituelle Visitation%2BMagnificat
J’adore le Magnificat (Lc 1,47-55) que ce troisième dimanche de l’Avent nous sert en guise de psaume. Le chanter, l’étudier, le méditer, le réciter… : c’est une source extraordinaire d’élan pour la louange, de courage pour le combat spirituel, d’espérance pour tenir bon. Pourtant, un verset m’irrite à chaque fois : dans la version complète du Magnificat (pourquoi la liturgie n’en donne-t-elle que quelques morceaux ce dimanche ?), Marie proclame : « il renverse les puissants de leurs trônes ». Ce qui me choque, ce n’est pas la chute des puissants – au contraire, quelle joie ! –, c’est bien plutôt la persistance de leurs trônes. On m’a appris à distinguer le pécheur du péché : c’est celui-là qu’il faut renverser pour sauver celui-ci. On m’a appris que le tout est plus que la somme de ses parties : c’est le système qu’il faut changer et pas celui qui en profite. À quoi sert de renverser le tyran si le régime tyrannique demeure ? Un autre tyran montera sur le trône, et tout sera à refaire !

Certes, Marie n’est qu’une jeune fille de 16-18 ans lorsqu’elle est censée proclamer le Magnificat, peu instruite donc de la géopolitique du Moyen-Orient et au-delà. Mais quand même ! C’est un peu court de viser un ‘méchant’ seulement, et de croire que sa disparition va tout arranger. On l’a bien vu avec Saddam Hussein en Irak ou avec le Shah d’Iran, ou avec Kadhafi en Libye etc. : faire chuter le tyran n’est jamais que changer de maître, et obtient rarement la liberté. Nelson Mandela l’avait bien compris : il n’a pas voulu renverser le président De Klerk, mais au contraire œuvrer avec lui pour changer le régime et la constitution d’Afrique du Sud, et c’est ensemble qu’ils ont obtenu le prix Nobel de la paix. C’est l’apartheid qu’il faut renverser et non celui qui le met en œuvre, quel qu’il soit !
Jean Paul II parlait de « structures de péché » à détruire, car elles manipulent les individus pris à leur piège : « elles se renforcent, se répandent et deviennent sources d’autres péchés, et elles conditionnent la conduite des hommes » (Sollicitudo Rei Socialis, n° 36). C’est la corruption qu’il faut éliminer et non les corrompus, le trafic d’êtres humains et non les passeurs, les cartels de la drogue et non leurs chefs, la Mafia et non les mafieux etc.

Renverser les puissants de leurs trônes sans renverser leurs trônes apparaît alors comme une naïveté politique, presque touchante si elle n’était coupable de perpétrer le malheur des petits en ne touchant pas aux structures de leur oppression.
Comment sortir Marie de ce piège ? Comment l’innocenter de cette accusation d’immaturité politique qui fait le lit de l’exploitation des petits et des pauvres ?

 

Le pouvoir biblique et son auto-effacement
Il faut d’abord remarquer que le Magnificat est une savante et complexe construction théologique à partir d’une multitude de textes bibliques. J’ai compté pas moins de 39 références en marge du texte dans la colonne de droite de ma TOB ! Il est peu probable que Marie de Nazareth ait pu improviser cette composition remarquable d’un seul jet. On y voit plutôt l’œuvre des premières communautés judéo-chrétiennes, qui ont pendant des décennies relu les Écritures – il n’y avait que le premier Testament à l’époque – en les faisant converger vers la figure du Messie Jésus. En resituant ce texte dans l’expérience politique et militaire d’Israël, la naïveté politique de Marie prend une autre couleur : puisque les puissants seront renversés de leur trône, si d’autres prennent leur place, ils seront renversés à leur tour. Autrement dit : les trônes doivent rester vides. Nul puissant n’a le droit de s’asseoir à la place qui est celle de Dieu, décrétant ce qui est bien ou mal, usant de la force pour imposer ses intérêts.

Tout pouvoir vient de Dieu - Un paradoxe chrétien de Emilie Tardivel -  Livre - DecitreVoilà pourquoi Paul fait écho à Marie lorsqu’il avertit : « tout pouvoir vient de Dieu » (Rm 13,1). Il semble prêcher la soumission du citoyen aux autorités civiles, mais en fait il rappelle aux autorités qu’elles doivent être soumises à Dieu [1]. Paul ne prône pas la soumission à l’Empire romain qui persécute les chrétiens. Il relativise le pouvoir de César en rappelant que le pouvoir ne vient pas de celui qui l’exerce. Le pouvoir impérial n’a pas sa source en lui-même. Donc il agit arbitrairement s’il se coupe de sa source qui n’est pas en lui, mais en Dieu. Dire que tout pouvoir vient de Dieu, c’est prêcher un autre rapport au pouvoir, un rapport qui le maintient dans une distance critique vis-à-vis de lui-même, puisqu’il n’a pas en lui-même son origine. C’est empêcher l’idolâtrie qui guette la politique. La politique a tendance à se regarder elle-même, à contempler sa propre puissance, en ne cherchant rien d’autre que son accroissement. Dire que tout pouvoir vient de Dieu, c’est situer le pouvoir par rapport à quelque chose de plus grand que lui. C’est dire que la puissance n’est pas la norme ultime d’une bonne politique.

Plus encore, c’est situer le pouvoir dans l’horizon de sa suppression. Si tout vient de Dieu, tout revient également à Dieu. Le pouvoir est appelé à être supprimé : pas seulement à la fin des temps, mais en tant qu’il est conçu comme légitime seulement s’il fait advenir un lien politique qui se passe de pouvoir – lien que Saint Paul appelle d’un nom aujourd’hui galvaudé : l’amour. En ce sens dire que tout pouvoir vient de Dieu n’est pas une maxime théocratique, mais « anarchiste » – si l’on peut employer ce mot ambigu. Pour éclairer ce qu’elle appelle le « paradoxe eschatologique du pouvoir », Émilie Tardivel cite une phrase très intéressante de Gaston Fessard, selon laquelle si le pouvoir « poursuivait une autre croissance que celle qui le mène à disparaître, il deviendrait illégitime, et le droit par lui créé ne serait plus du droit ». Autrement dit : si le pouvoir ne cherche pas à s’abolir lui-même en instituant une société où règne l’Amour, il est condamné à disparaître [2].

Le pouvoir exercé selon la Bible  a tendance à s’effacer dans l’amour (agapê) ; il s’auto-limite pour laisser apparaître d’autres liens entre les humains. Il s’auto-détruit en quelque sorte – comme le message d’un épisode de ‘Mission impossible’ !– parce qu’il crée les conditions d’une vie sociale ne requérant plus l’exercice de la puissance. La puissance biblique est une puissance illimitée d’effacement de soi. C’est un concept destructeur de lui-même en quelque sorte. C’est pourquoi, si les puissants ne renversent pas eux-mêmes l’exercice de leur pouvoir en ce sens, ils seront renversés de leur trône. Le Magnificat de Marie est alors bien plus que la naïve espérance des pauvres voulant déboulonner la statue du tyran, bien plus que la volonté de revanche des révolutionnaires qui convoitent la place de celui qu’ils cherchent à destituer. C’est le rappel radical que les trônes doivent rester vides. Les puissants qui seraient tentés de s’y asseoir, de quelque bord qu’ils soient, seront vite renversés par l’action de Dieu dans l’histoire, passant par des Mandela, Martin Luther King et autres Gandhi.

 

L’hétimasie : garder le trône vide
Chanter le Magnificat en période d’Avent, c’est faire le lien entre l’attente de la seconde venue du Christ et la contestation du politique. Le Christ s’est absenté de l’Histoire : sa place doit rester vide, jusqu’au Jugement dernier. Les trônes politiques doivent être vidés de leurs occupants, qui usurpent la place du Christ. Les trônes religieux doivent eux aussi être laissés vides, si l’on veut que le Christ soit vraiment la tête de son Église, et pas un pape, ni un évêque, ni un prêtre, ni même une sainte, un prophète ou un gourou.

L'hétimasie représentée dans les fresques de Giotto à Assise

L’hétimasie représentée dans les fresques de Giotto à Assise

Dans la tradition byzantine, qu’elle soit de liturgie catholique ou orthodoxe, il y a dans les cathédrales, derrière l’iconostase et derrière le maître-autel, un trône sacré toujours vide, celui du Christ, avec, au-dessus, l’icône de Jésus-Christ. L’évêque (ou même le patriarche) qui siège dans cette cathédrale a son trône toujours placé en dessous du trône vide du Christ, le Chef invisible de l’Église. On appelle cette coutume l’hétimasie.

Le lien avec l’Avent est manifeste dans l’étymologie : hétimasie vient du grec ἑτοιμασία qui signifie préparation [3]. Il s’agit donc en laissant le trône vide de préparer la venue ultime du Messie, l’accomplissement de l’histoire

Le messianisme de Jésus est tout à fait paradoxal : il est le Messie en renonçant à « son droit d’être traité comme l’égal de Dieu » (Ph 2,6), il est le Messie en destituant toute figure de pouvoir, même la sienne. Il ne prend pas le trône des puissants, il laisse le trône vide pour lui substituer une communauté messianique. Messie sauveur veut donc dire pour nous : communion de frères et de sœurs unis dans l’Esprit.

Voilà pourquoi Dieu renverse les puissants, pas leurs trônes. Car laisser vide le trône permet de relativiser l’exercice du pouvoir, de le rapporter à Dieu comme à sa source, de préparer en cela la venue du seul roi de l’univers.
Vivre l’Avent, c’est vider nos trônes intérieurs de leurs occupants illégitimes.
C’est renverser tous les puissants - de l’Église, de la société, des entreprises etc. - pour attendre le Christ sans nous mettre à sa place.
Le messianisme du trône vide a des conséquences immenses sur notre exercice du pouvoir, de l’autorité, des distinctions honorifiques, des hiérarchies sociales, des décisions à prendre…
Laissez donc du vide dans vos agendas, vos projets, vos constructions. Alors grandira le Royaume au-dedans de vous et autour de vous, et vous ne saurez pas comment…

 

La part du pauvre
Évoquons pour terminer une forme dégradée – mais puissamment symbolique, et très populaire – de ce messianisme du trône vide.
Quand j’étais enfant, j’ai souvent vu la table de mes grands-parents comporter une assiette de plus que le nombre de membres de la famille réunis autour du repas. Ma grand-mère disait : « il faut toujours garder la part du pauvre. Si quelqu’un arrive à l’improviste, un mendiant ou un employé qui n’a rien prévu, l’assiette en plus est pour lui ». Laisser une place vide au repas familial empêche la famille de croire qu’elle est au complet : il lui manque toujours quelqu’un. Le pauvre qui a là sa part figure le Christ qui arrivera à la fin des temps à l’improviste et s’invitera à notre table.

Cette belle coutume de la part du pauvre a disparu depuis l’individualisation à outrance de la prise de nos repas : sur le pouce, tout seul, sans conversation avec les autres, trop souvent vissé devant un écran.

Pourtant, de manière émouvante, la communauté juive de Tel-Aviv a célébré le shabbat du vendredi 20 octobre 2023 en dressant une immense table de shabbat devant le Musée d’Art avec 203 chaises vides. Ces vides garantissaient à chacun des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre qu’ils ont toujours leur place au milieu des leurs.

203 chaises vides Octobre 2023

BDDPVOFTZBG5LJXA5XLJ2Q7ZYM Avent dans Communauté spirituelle
BDDPVOFTZBG5LJXA5XLJ2Q7ZYM hétymasie
Inventons d’autres « parts du pauvre » à laisser vides, comme doit rester vide le trône du Messie que les puissants n’ont pas le droit d’occuper.

Dans l’atelier, l’open-space, à l’hypermarché, au restaurant… : comment pourrions-nous continuer à garder la part du pauvre pour ne pas oublier ceux qui nous manquent ? Pour ne pas oublier le Christ qui nous manque encore davantage ?

 


[1]. Cf. Émilie Tardivel, Tout pouvoir vient de Dieu : un paradoxe chrétien, Ed. Ad Solem, 2015.

[3]. L’infinitif etoimasai, « préparer », est employé dans les évangiles de Luc (1,17;1,76;9,52) et de Jean (14,2).

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je tressaille de joie dans le Seigneur » (Is 61, 1-2a.10-11)

Lecture du livre du prophète Isaïe
L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur.
Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu. Car il m’a vêtue des vêtements du salut, il m’a couverte du manteau de la justice, comme le jeune marié orné du diadème, la jeune mariée que parent ses joyaux. Comme la terre fait éclore son germe, et le jardin, germer ses semences, le Seigneur Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations.

CANTIQUE
(Lc 1, 46b-48, 49-50, 53-54)
R/ Mon âme exulte en mon Dieu.   (Is 61, 10)

Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.

Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
Sa miséricorde s’étend d’âge en âge
sur ceux qui le craignent.

Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël son serviteur,
il se souvient de son amour

DEUXIÈME LECTURE
« Que votre esprit, votre âme et votre corps soient gardés pour la venue du Seigneur » (1 Th 5, 16-24)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal. Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ; que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ. Il est fidèle, Celui qui vous appelle : tout cela, il le fera.
 
ÉVANGILE
« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas » (Jn 1, 6-8.19-28)
Alléluia. Alléluia. L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (cf. Is 61, 1)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Il y eut un homme envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
Voici le témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : « Qui es-tu ? » Il ne refusa pas de répondre, il déclara ouvertement : « Je ne suis pas le Christ. » Ils lui demandèrent : « Alors qu’en est-il ? Es-tu le prophète Élie ? » Il répondit : « Je ne le suis pas. – Es-tu le Prophète annoncé ? » Il répondit : « Non. » Alors ils lui dirent : « Qui es-tu ? Il faut que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu sur toi-même ? » Il répondit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Redressez le chemin du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. » Or, ils avaient été envoyés de la part des pharisiens. Ils lui posèrent encore cette question : « Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? » Jean leur répondit : « Moi, je baptise dans l’eau. Mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ; c’est lui qui vient derrière moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. »
Cela s’est passé à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain, à l’endroit où Jean baptisait.
Patrick BRAUD

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26 novembre 2023

À l’improviste !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

À l’improviste !

 Homélie pour le 1° Dimanche de l’Avent / Année B
03/12/2023

Cf. également :
Dans l’événement, l’avènement
L’événement sera notre maître intérieur
Se laisser façonner
L’Apocalypse, version écolo, façon Greta
Quand le cœur s’alourdit
Laissez le présent ad-venir
Encore un Avent…
L’absence réelle
Le syndrome du hamster

La venue. Quelle venue ?
Bonne année !
Sous le signe de la promesse
L’absence réelle
Anticiper la joie promise

C’est bien Versailles ici !
Connaissez-vous les publicités de TotalEnergies nous incitant à faire des économies d’électricité ? On y voit un homme éteindre systématiquement chez lui avant de se coucher toutes les lumières, veilleuses, aquariums et ordinateurs de la maison en admonestant ses enfants et sa femme : « c’est pas Versailles ici ! » Ce reproche est peut-être un signe annonciateur de l’écologie punitive que quelques ‘khmers verts’ voudraient imposer à tous… En tout cas, l’Évangile de ce dimanche (Mc 13,33-37) prend à contre-pied la symbolique de cette pub : ‘surtout n’éteins pas ta veille ! Garde sans cesse ta lampe allumée, fais provision d’huile pour tenir toute la nuit s’il le faut’ :

« Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. C’est comme un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »

Autrement dit : c’est bien Versailles ici, dans le cœur et l’esprit de celui qui attend la venue du Christ ! Loin de tout éteindre, il nous faut au contraire maintenir tout allumé : notre intelligence, notre désir, notre amour. Rien de pire qu’un chrétien éteint ! Au lieu de mettre sur off, il nous faut paramétrer nos notifications intérieures pour être averti dès que de l’inattendu survient : c’est peut-être le Christ qui s’approche. Pierre à Gethsémani n’a pas su veiller une heure, alors que la bien-aimée du Cantique des cantiques demeure à l’affût : « je dors, mais mon cœur veille » (Ct 5,2).

Jésus ne connaissait la théorie du chaos qui annonce l’imprévisibilité radicale de ce qui va arriver. Mais il en a l’intuition spirituelle. Pour lui visiblement, le présent de Dieu n’est pas la simple prolongation du passé humain. Il peut se produire du neuf à tout instant, déjouant les plans, les stratégies, les calculs. « Vous ne savez pas… » : ce constat d’inconnaissance revient très souvent dans les Évangiles. « Vous ne savez pas quand ce sera le moment. [...] Vous ne savez pas quand vient le maître de la maison…»

Ici, c’est l’ignorance de la date du retour du maître parti en voyage, du royaume de Dieu lui-même. C’est « à l’improviste » que se manifeste l’arrivée du maître.
Le présent de Dieu ne peut donc pas se programmer, se planifier. Il n’est pas prédictible, plus encore que la météo à 15 jours. Surveiller ou contrôler ne sert à rien. C’est veiller qui est l’attitude juste, c’est-à-dire guetter les signes d’une ad-venue inattendue et imprévisible.
Le présent de la foi chrétienne est un événement, au sens littéral du terme : ex-venire = ce qui vient d’ailleurs. Il nous est donné par un Autre. Il échappe à toute mainmise.
Plus encore : ce présent nous vient du futur. Le Christ ressuscité venant à notre rencontre engendre dans notre vie ces événements par lesquels il nous invite à orienter notre existence vers la plénitude finale. « Deviens qui tu seras » : notre vocation en Christ reflue sur notre condition actuelle, tel le mascaret remontant de la mer au fleuve par l’embouchure en une étrange vague à contre-courant…
D’où le nom du temps liturgique qui commence : ad-ventus = Avent = ce qui vient vers nous.

 

Une soudaineté heureuse
Arrêtons-nous sur l’une des caractéristiques de la venue du Christ que nous célébrons en ce début d’Avent : la soudaineté. « S’il arrive à l’improviste (ξαφνης), il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis ».
Le terme grec employé par Marc est ξαφνης (exaiphnes). C’est l’unique usage de ce mot en Marc. Les 4 autres emplois du terme dans le Nouveau Testament nous en disent un peu plus :

À l’improviste ! dans Communauté spirituelle– La soudaineté de Noël évoquée par Luc à l’arrivée des bergers nous invite à écouter tout ce qui chante la gloire de Dieu, surtout quand elle se cache dans la figure du tout-petit : « Et soudain (exaiphnes) il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, louant Dieu… » (Lc 2,13)
– Luc raconte qu’un ‘possédé’ – un épileptique sans doute – est secoué par des crises subites et violentes, ce qui invitent plutôt à nous méfier de la soudaineté du déchaînement du mal qui peut tout emporter, tel l’oued au désert : « Un esprit le saisit, et aussitôt (exaiphnes) il pousse des cris; et l’esprit l’agite avec violence, le fait écumer, et a de la peine à se retirer de lui, après l’avoir tout brisé » (Lc 9,39).
– Les deux derniers usages du mot
soudain sont placés par Luc dans la bouche de Paul lorsqu’il raconte son appel sur le chemin de Damas : « Comme j’étais en chemin, et que j’approchais de Damas, tout à coup (exaiphnes), vers midi, une grande lumière venant du ciel resplendit autour de moi » (Ac 22,6;9,3). Lorsque Dieu nous appelle, il est capable de le faire à l’improviste, alors que nous sommes loin de lui, voire contre lui comme Saül le persécuteur de chrétiens allant vers Damas accomplir sa sinistre besogne.

Ce qui est remarquable, c’est que la soudaineté divine dans le Nouveau Testament est une soudaineté heureuse, alors que dans l’Ancien Testament lorsque Dieu vient à l’improviste c’est pour provoquer la ruine et le malheur sur Israël infidèle ou sur ses ennemis.
- Ainsi la maison de Jacob s’écroule tout d’un coup, sans prévenir, sur sa famille : « Soudain un grand vent est venu depuis l’autre côté du désert et a frappé contre les quatre coins de la maison. Elle s’est écroulée sur les jeunes gens et ils sont morts » (Jb 1,19).
- Les pratiques de magie et de sorcellerie attireront de grandes souffrances se déversant à l’improviste sur ceux qui ont recours : « 
Ces deux souffrances – la perte d’enfants et le veuvage – t’atteindront en un instant, en un seul jour. Elles te frapperont de plein fouet malgré tous tes rites de sorcellerie, malgré toute la puissance de tes pratiques magiques » (Is 47,9).
- La dévastation arrivera de manière rapide et inattendue sur Jérusalem si elle délaisse son Seigneur :
« Fille de mon peuple, habille-toi d’un sac et roule-toi dans la cendre, prends le deuil comme pour un fils unique, verse des larmes, des larmes pleines d’amertume, car c’est de façon soudaine que le dévastateur viendra sur nous » (Jr 6,26).
« Je rends ses veuves plus nombreuses que les grains de sable de la mer. J’amène sur eux, sur la mère du jeune homme, le dévastateur en plein midi. Je fais soudain tomber sur elle l’angoisse et la terreur » (Jr 15,8).
« C’est pourquoi, voici ce que dit l’Éternel: Je prépare contre ce peuple un malheur dont vous ne dégagerez pas votre cou, et subitement vous ne marcherez pas la tête haute (Mi 2,3).
43292358 Avent dans Communauté spirituelle- Seul Malachie annonce un revirement en nourrissant l’espérance du peuple d’accueillir un jour le messager du Seigneur se manifestant dans son temple, à l’improviste, inattendu, presque par surprise : « Voici que j’enverrai mon messager pour me préparer le chemin. Et soudain, il entrera dans son Temple, le Seigneur que vous cherchez ; le messager de l’alliance que vous désirez, le voici qui arrive, dit l’Éternel, le maître de l’univers » (Mal 3,1). Les chrétiens n’ont eu aucun mal évidemment à reconnaître ce messager en Jésus au Temple de Jérusalem.

Il y a donc une inversion de sens de la surprise de l’un à l’autre Testament : du malheur et de la ruine survenant à l’improviste, on passe à la soudaine venue du Christ apportant jugement et salut.
Cette soudaineté sera heureuse pour ceux qui l’attendent, mais confondante pour ceux qui s’étaient endormis dans le luxe et l’injustice : « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste » (Lc 21,34) ; « Quand les gens diront : ‘Quelle paix ! Quelle tranquillité !’, c’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux, comme les douleurs sur la femme enceinte : ils ne pourront pas y échapper » (1Th 5,3).
L’enjeu est de ne pas passer à côté de cette irruption soudaine de l’amour de Dieu dans nos vies. Celui qui regarde le ciel sans regarder ne verra pas l’étoile filante ni la météorite qui soudain traverse l’espace…

 

Marie Madeleine et le jardinier inattendu
Le pape Grégoire le Grand (540-604) a prononcé une homélie (n° 25) extraordinaire sur Marie-Madeleine. Il note qu’après avoir vu le tombeau vide, Simon-Pierre et Jean rentrèrent chez eux (ils ont même repris leur métier de pêcheur comme si de rien n’était), alors que Marie-Madeleine reste là, dehors, à pleurer, refusant d’être consolée et de passer à autre chose : « Les disciples s’en retournèrent donc chez eux. Marie, elle, se tenait près du tombeau, au-dehors, et pleurait » (Jn 20, 10-11).

 désir« Elle recherchait celui qu’elle ne trouvait pas, elle pleurait en le cherchant, et, embrasée par le feu de son amour, elle brûlait du désir de celui qu’elle croyait enlevé. C’est pour cela qu’elle a été la seule à le voir, elle qui était restée pour le chercher, car l’efficacité d’une œuvre bonne tient à la persévérance, et la Vérité dit cette parole : Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé.

Elle a donc commencé par chercher, et elle n’a rien trouvé ; elle a persévéré dans sa recherche, et c’est pourquoi elle devait trouver ; ce qui s’est produit, c’est que ses désirs ont grandi à cause de son attente, et en grandissant ils ont pu saisir ce qu’ils avaient trouvé. Car l’attente fait grandir les saints désirs. Si l’attente les fait tomber, ce n’était pas de vrais désirs. C’est d’un tel amour qu’ont brûlé tous ceux qui ont pu atteindre la vérité. Aussi David dit-il : ‘Mon âme a soif du Dieu vivant : quand pourrai-je parvenir devant la face de Dieu ?’ Aussi l’Église dit-elle encore dans le Cantique des cantiques : ‘Je suis blessée d’amour’. Et plus loin : ‘Mon âme a défailli’.

Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? On lui demande le motif de sa douleur, afin que son désir s’accroisse, et qu’en nommant celui qu’elle cherchait, elle rende plus ardent son amour pour lui ».

Grégoire pointe là très justement le lien entre la veille et la rencontre : le désir. Celui qui ne désire plus rien ne veille pas. Il vit en automate (métro, boulot, dodo) en satisfaisant ses besoins primaires sans rien attendre d’autre. En désirant d’un saint désir, Marie-Madeleine fait grandir sa capacité d’attendre, de veiller, même devant un tombeau vide où normalement plus rien ne va se passer. Grâce à cela elle ne manque pas l’étoile filante dans le ciel que Pierre et Jean ne voient pas tout de suite. Elle reconnaît être rencontrée, prenant pour le jardinier celui qu’elle recherchait de tout son être sans oser y croire. Comme s’il fallait jardiner notre désir pour rencontrer le Ressuscité…

Notre désir nous garde en état de veille, s’il est un saint désir assoiffé de l’essentiel. Voilà l’huile pour la lampe. Lorsque le Christ nous intime : « veillez ! », l’Esprit nous indique le chemin : « désire ! ». Désire, et ne cède pas sur ton désir, s’il est vrai. Voilà comment veiller sans cesse : en désirant sans cesse, en désirant davantage, en désirant mieux, en élargissant notre désir à ce que nous ne pouvons contenir.
Désire, et tu veilleras. Veille à entretenir en toi ce désir mieux que la flambée dans la cheminée.

 

Quelle est l’improviste dans ma vie ?
– Si la caractéristique de la venue du Christ en nous est son caractère ‘à l’improviste’, nous avons là une bonne piste pour chercher des indices de cette venue dans notre histoire personnelle et collective. L’inattendu de Dieu est cette fracture de la glace à la surface d’un lac gelé qui soudain nous fait deviner une autre profondeur. Dieu vient à nous comme un voleur, par effraction. À l’improviste il nous surprend lorsque quelque chose de non-calculé nous bouleverse : une musique, une rencontre, une lecture, un geste de tendresse, de compassion…
Le gratuit souvent nous ouvre ‘à l’improviste’.
Le calculé se déroule logiquement sans surprise.
Le marchandé s’obtient par négociation, pas par grâce.

– À l’improviste, Dieu vient vers nous par le biais de notre désir trouvant soudain de quoi flamber sans mesure.
Une amie récemment divorcée me confiait au téléphone : « je sens que depuis ma séparation, mon cœur se ferme peu à peu et ne veut plus aimer. Je ne me laisse plus émouvoir par un visage, et je résiste malgré moi à la perspective de recréer ce lien ». C’est si tentant de se dessécher sur place, et de ne plus rien vouloir pour ne plus rien souffrir. L’extinction du désir est une forme d’anorexie spirituelle qui conduit à la mort.
Cette extinction peut également se dissimuler sous la poursuite de désirs superficiels ou vains. Ainsi l’homme riche qui ne sait plus quoi faire de ses greniers pleins de blé va mourir gavé : « insensé, cette nuit même on va te demander ta vie ! »

identite-narrative-storytelling Grégoire– Une troisième piste - après l’inattendu et le désir - pour reconnaître la venue de Dieu en nous est de raconter ce qui nous est arrivé. J’ai toujours été impressionné que Luc dans les Actes des Apôtres raconte trois fois la conversion de Paul sur le chemin de Damas : ni une, ni deux, mais trois fois ! Pourquoi ? Parce qu’un événement aussi inattendu, improbable – voire choquant – que la conversion d’un persécuteur demande de raconter, d’écrire, pour interpréter et garder en mémoire une telle bousculade. Imaginez que Poutine change pour se mettre au service de la paix entre les peuples ! Cela mériterait d’être raconté en détails pour les générations à venir…
On rejoint là ce que Paul Ricœur appelait l’identité narrative : tant que je n’ai pas fait le récit de ce qui m’est arrivé, je ne sais pas qui je suis (et les autres non plus).
Veiller demande de parler, d’écrire, de raconter les événements inattendus où quelque chose de l’amour de Dieu s’est manifesté pour nous. Un peu comme l’étoile filante demande à être filmée sur un smartphone pour être ensuite publiée sur les réseaux sociaux : un témoin, une image, et la déchirure du ciel à l’improviste devient crédible, reconnue, archivée.

L’inattendu, le désir, le récit : faisons feu de tout bois pour que flambe en nous l’attente de la venue de Dieu vers nous, pour que la vigilance nous prépare à recevoir, à l’improviste

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais ! » (Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7)

Lecture du livre du prophète Isaïe
C’est toi, Seigneur, notre père ; « Notre-rédempteur-depuis-toujours », tel est ton nom. Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? Reviens, à cause de tes serviteurs, des tribus de ton héritage. Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face.
Voici que tu es descendu : les montagnes furent ébranlées devant ta face. Jamais on n’a entendu, jamais on n’a ouï dire, nul œil n’a jamais vu un autre dieu que toi agir ainsi pour celui qui l’attend. Tu viens rencontrer celui qui pratique avec joie la justice, qui se souvient de toi en suivant tes chemins. Tu étais irrité, mais nous avons encore péché, et nous nous sommes égarés. Tous, nous étions comme des gens impurs, et tous nos actes justes n’étaient que linges souillés. Tous, nous étions desséchés comme des feuilles, et nos fautes, comme le vent, nous emportaient. Personne n’invoque plus ton nom, nul ne se réveille pour prendre appui sur toi. Car tu nous as caché ton visage, tu nous as livrés au pouvoir de nos fautes. Mais maintenant, Seigneur, c’est toi notre père. Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes tous l’ouvrage de ta main.

PSAUME
(79 (80), 2ac.3bc, 15-16a, 18-19)
R/ Dieu, fais-nous revenir ;que ton visage s’éclaire, et nous serons sauvés ! (79, 4)

Berger d’Israël, écoute,
resplendis au-dessus des Kéroubim !
Réveille ta vaillance
et viens nous sauver.

Dieu de l’univers, reviens !
Du haut des cieux, regarde et vois :
visite cette vigne, protège-la,
celle qu’a plantée ta main puissante.

Que ta main soutienne ton protégé,
le fils de l’homme qui te doit sa force.
Jamais plus nous n’irons loin de toi :
fais-nous vivre et invoquer ton nom !

DEUXIÈME LECTURE
Nous attendons de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ (1 Co 1, 3-9)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, à vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ. Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour la grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ; en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et de la connaissance de Dieu. Car le témoignage rendu au Christ s’est établi fermement parmi vous. Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ. C’est lui qui vous fera tenir fermement jusqu’au bout, et vous serez sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus Christ. Car Dieu est fidèle, lui qui vous a appelés à vivre en communion avec son Fils, Jésus Christ notre Seigneur.

ÉVANGILE
« Veillez, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison » (Mc 13, 33-37)
Alléluia. Alléluia. Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. Alléluia. (Ps 84, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. C’est comme un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »
Patrick BRAUD

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11 décembre 2022

Joseph, l’homme aux songes, priait, travaillait et aimait

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Joseph, l’homme aux songes, priait, travaillait et aimait

 

Homélie pour le 4° Dimanche de l’Avent / Année A 

18/12/2022 

 

Cf. également :

Marie, vierge et mère

Sois attentif à tes songes…

Deux prénoms pour une naissance

L’annonce faite à Joseph, ou l’anti Cablegate de Wikileaks

 

Un dimanche où l’on parle de Joseph, c’est rare !

Le mariage de Joseph et MariePourtant, chaque dimanche on cite son nom dans la prière eucharistique, en tant qu’époux de Marie.

Par exemple dans la Prière eucharistique II : « Permets qu´avec la Vierge Marie, la bienheureuse Mère de Dieu, avec saint Joseph, son époux, les Apôtres et tous les saints qui ont fait ta joie au long des âges nous ayons part à la vie éternelle… ». C’est relativement récent en fait. La décision d’introduire le nom de saint Joseph dans le Canon romain date du motu proprio de Jean XXIII, le 13 novembre 1962. Le texte est entré en vigueur le 8 décembre 1962. Puis la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements a émis un décret le 1er mai 2013, demandant que le nom de saint Joseph soit mentionné dans les prières eucharistiques II, III et IV.

 

En quoi cette figure de Joseph peut-elle nous inspirer aujourd’hui ?

Laissons la parole au pape François, qui début 2020 a réalisé une catéchèse suivie sur Joseph [1].

 

Joseph, l’homme aux songes, priait, travaillait et aimait 

Joseph, l’homme aux songes, priait, travaillait et aimait dans Communauté spirituelleChers frères et sœurs, bonjour !

Aujourd’hui, je voudrais méditer sur la figure de saint Joseph comme un homme qui songe. Dans la Bible, comme dans les cultures des peuples anciens, les songes étaient considérés comme un moyen à travers lequel Dieu se révélait [2]. Le songe symbolise la vie spirituelle de chacun de nous, cet espace intérieur, que chacun est appelé à cultiver et à garder, où Dieu se manifeste et souvent nous parle. Mais nous devons aussi dire qu’en chacun de nous, il n’y a pas seulement la voix de Dieu : il y a beaucoup d’autres voix. Par exemple, les voix de nos peurs, les voix des expériences passées, les voix des espoirs ; et il y a aussi la voix du malin qui veut nous tromper et nous confondre. Il est donc important d’arriver à reconnaître la voix de Dieu parmi d’autres voix. Joseph démontre qu’il sait cultiver le silence nécessaire et, surtout, prendre les bonnes décisions devant la Parole que le Seigneur lui adresse intérieurement.

Aujourd’hui, il serait bon que nous reprenions les quatre songes de l’Évangile dont il est le protagoniste, afin de comprendre comment nous placer devant la révélation de Dieu. L’Évangile nous relate quatre songes de Joseph.

 

csm_Aletti_Le_songe_de_St_Joseph_Fiume_Croatie_4367ee27b6 Avent dans Communauté spirituelle1) Dans le premier songe (cf. Mt 1,18-25), l’ange aide Joseph à résoudre le drame qui l’assaille lorsqu’il apprend la grossesse de Marie : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (v. 20-21). Et sa réponse fut immédiate : « Quand il se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit » (v. 24). Souvent la vie nous met face à des situations que nous ne comprenons pas et qui semblent sans solution. Prier en ces moments-là signifie laisser le Seigneur nous indiquer la chose juste à faire. En fait, très souvent, c’est la prière qui fait apparaitre l’intuition de la porte de sortie, comment résoudre cette situation. Chers frères et sœurs, le Seigneur ne permet jamais qu’un problème survienne sans nous donner également l’aide nécessaire pour y faire face. Il ne nous jette pas dans le four tout seul. Il ne nous jette pas parmi les bêtes. Non. Le Seigneur, quand il nous montre un problème ou nous révèle un problème, nous donne toujours la perspicacité, l’aide, sa présence, pour nous en sortir, pour le résoudre.

 

2) Le deuxième songe révélateur de Joseph survient lorsque la vie de l’enfant Jésus est en danger. Le message est clair : « Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » (Mt 2,13). Joseph obéit sans hésiter : « Il se leva dans la nuit – dit l’Évangile -, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte, où il resta jusqu’à la mort d’Hérode » (v.14-15). Dans la vie, tous nous sommes confrontés à des dangers qui menacent notre existence ou celle de ceux que nous aimons. Dans ces situations, prier signifie écouter la voix qui peut faire naitre en nous le même courage que Joseph, pour affronter les difficultés sans succomber.

 

Songe de St Joseph du Maitre de l'Observance (c) Musée du Louvre_Hervé Lewandowski3) En Égypte, Joseph attend un signe de Dieu pour pouvoir rentrer chez lui, et c’est le contenu du troisième songe. L’ange lui révèle que ceux qui voulaient tuer l’enfant sont morts et lui ordonne de partir avec Marie et Jésus et de retourner dans sa patrie (cf. Mt 2,19-20). « Joseph se leva – dit l’Évangile -, prit l’enfant et sa mère, et il entra dans le pays d’Israël » (v. 21). Mais durant le voyage du retour, « apprenant qu’Arkélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre » (v. 22).

 

4) Voici donc la quatrième révélation : « Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint habiter dans une ville appelée Nazareth » (v. 22-23). La peur aussi fait partie de la vie et nécessite elle aussi notre prière. Dieu ne nous promet pas que nous n’aurons jamais peur, mais que, avec son aide, la peur ne sera pas le critère de nos décisions. Joseph éprouve la peur, mais Dieu le guide aussi à travers elle. Le pouvoir de la prière apporte la lumière dans des situations d’obscurité.

Je pense en ce moment à tant de personnes qui sont écrasées par le poids de la vie et ne peuvent plus espérer ni prier. Que saint Joseph les aide à s’ouvrir au dialogue avec Dieu, à y trouver lumière, force et paix, aide. Et aussi, je pense aux parents face aux problèmes de leurs enfants. Des enfants atteints de nombreuses maladies, des enfants malades, même avec des maladies chroniques. Quelle douleur il y a là. Les parents qui voient des orientations sexuelles différentes chez leurs enfants ; comment gérer cela et accompagner leurs enfants et ne pas se réfugier dans une attitude condamnatoire. Les parents qui voient leurs enfants partir à cause d’une maladie, et aussi – c’est plus triste, on le lit tous les jours dans les journaux – les enfants qui font une bêtise et finissent dans un accident de voiture. Des parents qui voient leurs enfants qui ne progressent pas à l’école et ne savent comment faire… Autant de problèmes de parents. Pensons-y : comment les aider. Et à ces parents, je dis : n’ayez pas peur. Oui, il y a de la douleur. Beaucoup. Mais pensez au Seigneur, pensez à la façon dont Joseph a résolu les problèmes et demandez à Joseph de vous aider.

Ne jamais condamner un enfant. Cela me révèle tant de tendresse – c’était le cas à Buenos Aires – lorsque je prenais le bus et qu’il passait devant la prison. Il y avait une queue de personnes qui devaient entrer pour rendre visite aux prisonniers. Et il y avait là les mères. Et j’ai été tellement touché par cette mère qui, face au problème d’un fils qui a commis une erreur et qui est en prison, ne le laisse pas seul, s’expose publiquement et l’accompagne. Ce courage, le courage d’un père et d’une mère qui accompagnent leurs enfants toujours, toujours. Demandons au Seigneur de donner ce courage à tous les pères et mères, comme il l’a donné à Joseph. Et prier, non ? Prier pour que le Seigneur nous aide dans ces moments. La prière, cependant, n’est jamais un geste abstrait ou intimiste comme veulent le faire ces mouvements spiritualistes plus gnostiques que chrétiens. Non, ce n’est pas ça. La prière est toujours indissolublement liée à la charité. Ce n’est que lorsque nous unissons la prière avec l’amour des enfants, pour le cas que je viens d’évoquer, ou avec l’amour pour notre prochain que nous pouvons comprendre les messages du Seigneur. Joseph priait, travaillait et aimait, – trois belles choses pour les parents : prier, travailler et aimer – et pour cela il a toujours reçu ce dont il avait besoin pour affronter les épreuves de la vie. Confions-nous à lui et à son intercession :

Saint Joseph, tu es l’homme qui songe,
apprends-nous à retrouver la vie spirituelle
comme le lieu intérieur où Dieu se manifeste et nous sauve. 

Éloigne de nous la pensée que prier soit inutile ;
aide chacun de nous à correspondre à ce que le Seigneur nous indique. 

Que nos raisonnements soient irradiés de la lumière de l’Esprit,
notre cœur encouragé par sa force
et nos peurs sauvées par sa miséricorde. 

Amen. 

 

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[1]. Cf. https://img.aws.la-croix.com/2022/02/18/1201201062/2022-recapaudiencesfrancois-saintjoseph-32563.pdf
[2]. Cf. Gn 20,3 ; 28,12 ; 31,11.24 ; 40,8 ; 41,1-32 : Nb 12,6 ; 1 Sam 3,3-10 ; Dn 2,4 ; Job 33,15.


 

LECTURES DE LA MESSE


PREMIÈRE LECTURE

« Voici que la vierge est enceinte » (Is 7, 10-16)

 

Lecture du livre du prophète Isaïe

 En ces jours-là, le Seigneur parla ainsi au roi Acaz : « Demande pour toi un signe de la part du Seigneur ton Dieu, au fond du séjour des morts ou sur les sommets, là-haut. » Acaz répondit : « Non, je n’en demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve. » Isaïe dit alors : « Écoutez, maison de David ! Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes : il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu ! C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). De crème et de miel il se nourrira, jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien. Avant que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, la terre dont les deux rois te font trembler sera laissée à l’abandon. »

 

PSAUME

(Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6)

R/ Qu’il vienne, le Seigneur : c’est lui, le roi de gloire ! (cf. Ps 23, 7c.10c)

 

Au Seigneur, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
C’est lui qui l’a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.

 

Qui peut gravir la montagne du Seigneur
et se tenir dans le lieu saint ?
L’homme au cœur pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.

 

Il obtient, du Seigneur, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
Voici le peuple de ceux qui le cherchent !
Voici Jacob qui recherche ta face !

 

DEUXIÈME LECTURE

Jésus-Christ, né de la descendance de David, et Fils de Dieu (Rm 1, 1-7)

 

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Paul, serviteur du Christ Jésus, appelé à être Apôtre, mis à part pour l’Évangile de Dieu, à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome.
Cet Évangile, que Dieu avait promis d’avance par ses prophètes dans les saintes Écritures, concerne son Fils qui, selon la chair, est né de la descendance de David et, selon l’Esprit de sainteté, a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts, lui, Jésus Christ, notre Seigneur.
Pour que son nom soit reconnu, nous avons reçu par lui grâce et mission d’Apôtre, afin d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes, dont vous faites partie, vous aussi que Jésus Christ a appelés. À vous qui êtes appelés à être saints, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.

 

ÉVANGILE

Jésus naîtra de Marie, accordée en mariage à Joseph, fils de David (Mt 1, 18-24)
Alléluia. Alléluia.Voici que la Vierge concevra : elle enfantera un fils, on l’appellera Emmanuel, « Dieu-avec-nous ». Alléluia. (Mt 1, 23)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Voici comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».  Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse.

Patrick BRAUD

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