L'homélie du dimanche (prochain)

20 octobre 2024

Joyeusetés orthodoxes

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Joyeusetés orthodoxes

 

Homélie pour le 30° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
27/10/24

Cf. également :
Le courage aveugle de Bartimée
Comme l’oued au désert
Les larmes du changement
Bartimée et Jésus : les deux fois deux fils

 

Les Récits d’un pèlerin russe

Récits d'un pèlerin russeBartimée aurait pu être russe ! Dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 10,46-52), on l’entend répéter sans se décourager ce cri, malgré l’obstacle des disciples : « Fils de David, prends pitié de moi ! ». Cette prière insistante est devenue un modèle pour nombre d’ermites et de moines du désert, en Égypte notamment, dans les premiers siècles, puis en Orient. Conjuguée à la prière de l’humble publicain du Temple : « Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! » (Lc 18,10), elle est devenue ce que les orthodoxes appellent « la prière du cœur » (ou Prière de Jésus) : « Seigneur, Fils de Dieu, prends pitié de moi, pécheur ». Répétée inlassablement, elle est devenue un mantra spirituel capable de nous établir dans une prière perpétuelle, selon l’invitation de Paul à « prier sans cesse » (1Th 5,17). Cette prière du cœur a été largement vulgarisée grâce à la publication d’un petit livre anonyme : « Récits d’un pèlerin russe », paru à Kazan en Russie en 1870. Son succès fut immense en Occident ensuite. On y lit les aventures d’un simple paysan russe du XIX° siècle en quête de la prière perpétuelle, parcourant la campagne à la rencontre des personnages de la société tsariste de l’époque (après la guerre de Crimée de 1854–56 et avant l’abolition de l’esclavage en 1861) : commerçants, fonctionnaires, artisans, nobles, popes, instituteurs etc. Ce n’est que grâce à l’accompagnement d’un starets (un ‘ancien’) que le pèlerin russe trouve sa paix en Dieu, en étant initié à la prière du cœur, continuelle et confiante.

 

Hésychasme, philocalie, neptiques, ataraxie et autres joyeusetés orthodoxes

Joyeusetés orthodoxes dans Communauté spirituelle HESYCHASME456-400x658Le sens de la prière du cœur est d’atteindre cet état de contemplation permanente où la prière est continuelle, source de joie, participation à la sainteté divine. L’unification de tout l’être – intelligence, corps, cœur, volonté – se réalise progressivement grâce à la répétition de la formule inspirée de Bartimée, jusqu’à l’illumination intérieure que la guérison extérieure de l’aveugle préfigurait dans l’Évangile. Cette unification spirituelle  établit fermement celui qui prie ainsi dans un état de prière, de joie, de confiance et d’abandon à Dieu, que les Pères Grecs appelaient hésychasme, du grec ἡσυχασμός / hesychasmos, dérivé du verbe grec: ἡσυχάζω / hesychazo, qui signifie : « être en paix, garder le silence ». Les hésychastes jettent l’ancre en Dieu même, et s’y établissent dans la paix de l’âme, dans le silence de la pensée. Le paysan russe des Récits décrit ainsi l’effet sur lui de la répétition de la prière du cœur :

« Voilà comment je vais maintenant, disant sans cesse la prière de Jésus, qui m’est plus chère et plus douce que tout au monde. Parfois, je fais plus de soixante-dix verstes (1 verste = 1,067 km) en un jour et je ne sens pas que je vais ; je sens seulement que je dis la prière. Quand un froid violent me saisit, je récite la prière avec plus d’attention et bientôt je suis tout réchauffé. Si la faim devient trop forte, j’invoque plus souvent le nom de Jésus-Christ et je ne me rappelle plus avoir eu faim. Si je me sens malade et que mon dos ou mes jambes me fassent mal, je me concentre dans la prière et je ne sens plus la douleur. Lorsque quelqu’un m’offense, je ne pense qu’à la bienfaisante prière de Jésus ; aussitôt, colère ou peine disparaissent et j’oublie tout. Mon esprit est devenu tout simple. Je n’ai souci de rien, rien ne m’occupe, rien de ce qui est extérieur ne me retient, je voudrais être toujours dans la solitude ; par habitude, je n’ai qu’un seul besoin : réciter sans cesse la prière, et, quand je le fais, je deviens tout gai. Dieu sait ce qui se fait en moi.

 

Petite philocalie de la prière du cœurDéjà, des philosophes grecs comme Démocrite avait entrevu cette possibilité de demeurer au repos, stable, en équilibre, quels que soient les aléas de la vie, sans se laisser déstabiliser par les passions contradictoires. Ils parlaient d’ataraxie, du grec ἀταραξία, =  « absence de troubles ». C’est un peu la version séculière de l’hésychasme. Les autres philosophies comme le bouddhisme formulent en nirvana cette quête d’un au-delà de l’être, grâce à l’éveil spirituel obtenu dans la méditation continuelle. Et les moines bouddhistes, hindouistes, taoïstes etc. utilisent la technique du mantra, équivalente à la prière du cœur, pour atteindre cette forme extatique de la paix et du repos au-delà des apparences.


En Orient, on a l’habitude d’utiliser une cordelette de laine pour aider au rythme de la répétition de la prière du cœur. C’est cette cordelette qui est à l’origine du chapelet musulman sur lequel on égrène les 99 noms de Dieu dans le Coran. Et l’habitude catholique de réciter le chapelet marial depuis le XV° siècle reprend cette technique spirituelle de la répétition, appuyée sur une cordelette et des grains pour compter les prières, pour faire entrer l’orant dans une extase d’union à Dieu. Les mystiques soufis chantent et dansent des poèmes jusqu’à épuisement. Les derviches tourneurs mettent en œuvre l’équivalent corporel de la prière du cœur dans la danse reproduisant le mouvement des planètes. La réputation obsédante du thème du Boléro de Ravel en est un autre équivalent musical etc.

image Bartimée dans Communauté spirituelleCela montre que l’aspiration à cet état d’unité paisible que produit la prière du cœur est enracinée en tout homme, croyant ou non.

C’est presque rassurant de voir ainsi les traditions religieuses, philosophiques, athées, agnostiques, polythéistes, monothéistes converger vers ce que pointe notre prière du cœur issue de Bartimée : une unification de tout l’être en un seul désir autour de l’essentiel. C’est l’indice de l’image divine gravée, indélébile, au cœur de tout être humain.

 

La prière du cœur est cependant plus qu’une simple technique de méditation répétitive, car elle est portée par une tradition mystique rassemblée dans la Philocalie des Pères neptiques. Autre joyeuseté orthodoxe, la Philocalie est étymologiquement « l’amour du beau ». Appeler philocalie un recueil de paroles des Pères de l’Église des premiers siècles, orientaux en majorité, c’est déjà donner l’orientation de la prière du cœur : répéter à l’infini la formule : « Seigneur Jésus, prend pitié de moi, pécheur » est une porte pour entrer dans la contemplation amoureuse de la beauté divine… On trouve dans ce recueil de textes qu’est la Philocalie les principaux commentaires et enseignements des Pères au sujet de l’hésychasme, et des voies pour y parvenir. C’est pourquoi on a appelé ces Pères :  neptiques = sobres , en grec, car leur sobriété spirituelle leur permettait de rester vigilants dans leur quête de Dieu.

 

La prière du cœur et nous aujourd’hui

D’abord, la prière du cœur nous dit qu’il est possible de vivre en étant perpétuellement uni à Dieu, dans le travail et les loisirs, la famille et les collègues, dans la paix et la joie, quels  que soient les événements heureux ou tragiques qui nous affectent.

Rappelez-vous la joie parfaite de François d’Assise : même rejeté par nos proches, il nous est donné en Christ d’exulter de joie, uni à lui sans cesse. Les orthodoxes s’établissent dans ce climat de prière perpétuelle par la prière du cœur, les catholiques par le chapelet marial ou l’adoration eucharistique, les musulmans par le chapelet coranique… : l’essentiel est de croire qu’il est possible de recevoir la paix et la joie continuelles, et de s’exercer à accueillir ce don.

 

– L’amour de la beauté

La philocalie est l’humus de la prière du cœur. Les textes patristiques éclairent le contenu de ce qui serait autrement une formule magique et païenne. Les commentaires des Pères nourrissent la foi du pèlerin russe, et chargent chaque mot de cette formule d’un poids théologique, spirituel, humain, très grave.

* Seigneur évoque la transcendance et la seigneurie du Christ sur tout l’univers.

* Jésus (YHWH sauve) est le prénom si chargé de sens pour notre salut.

* Christ est le titre trinitaire par lequel nous reconnaissons Jésus comme l’Oint, celui sur qui est répandu l’Esprit de YHWH comme l’huile sur la tête de David, le Messie paradoxal.

* Fils de Dieu est bien sûr la proclamation de l’intimité unique de Jésus avec YHWH, jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui, dans l’Esprit, ce qui est notre avenir commun.

* Prend pitié de moi pécheur est la formule de confession et de conversion par laquelle nous contemplons la miséricorde de Dieu à l’œuvre en nous.

Ainsi lesté de siècles d’approfondissement théologique, la formule la prière du cœur n’est pas simplement un mantra pour s’évader ailleurs. Elle est l’amour de la beauté en marche, contemplation trinitaire et non paradis artificiel. Se laisser guider par l’amour de la beauté est une voie simple vers la sainteté. À nous de nous y entraîner.

 

– L’unification continue

71VxQ5yRKRL._AC_SL1500_ hésychasmeLa prière permanente permet de rattacher toute chose à Dieu, en tout temps, en tous lieux. L’idolâtrie éparpille, disperse, désunit, crée le désordre intérieur. La prière du cœur recrée peu à peu l’unité spirituelle. Et encore une fois, ce n’est pas une question de technique. Même si certains starets proposent de réciter la formule en la calquant sur la respiration et sur le souffle, et en fixant son attention sur un point du corps pour éviter de fuir ailleurs, ce n’est jamais qu’un moyen au service de l’unification intérieure.

Le ralentissement ou la rétention de la respiration est un moyen bien connu de se mettre dans un état de calme. Saint Ignace, dans ses Exercices, conseille de prier comme en mesure « d’une respiration à l’autre ». Chaque mouvement respiratoire peut exhaler une prière. De plus, les hésychastes ont attaché une grande importance à maintenir « l’esprit dans les limites du corps » ; il s’agit d’empêcher l’esprit de se disperser dans les choses. Si l’on retient sa respiration, si en même temps on reste immobile, les yeux fermés ou baissés, et si cette attitude corporelle s’accompagne d’un effort psychologique pour « ramener l’esprit dans le corps » et ne pas dépasser les limites du corps, cette opération produit une impression de  coïncidence aiguë entre l’esprit et le corps et de concentration intense.

Celui qui se lance sur la voie de la prière du cœur devra toujours entendre cependant l’avertissement de Jésus sur la dérive païenne toujours possible : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés » (Mt 6,7).

 

- L’amour à partir de Dieu

Être plongé dans le cœur de Dieu est le plus court chemin pour être unis nos frères, et réciproquement la prière continuelle nous conduit de la compassion envers autrui à l’union à Dieu, et de l’union à Dieu à l’amour d’autrui, en les aimant à partir de Dieu et en Dieu. Le starets Silouane, du mont Athos, raconte comment son intercession pour les ouvriers travaillant sur les chantiers de l’île le conduit au cœur du mystère divin, où là il retrouve les visages de ces ouvriers, qui à nouveau le mènent en Dieu seul etc., dans un mouvement perpétuel de Dieu à l’homme et de l’homme à Dieu :

 philocalie« Au début, je priais avec des larmes de compassion pour Nicolas, sa jeune femme et leur petit enfant mais, à mesure que je priais, le sentiment de la présence divine m’envahissait de plus en plus ; à un certain moment, il devint si intense que, perdant de vue Nicolas, sa femme, leur enfant, leurs besoins, leur village, je n’eus plus conscience que de Dieu seul. Le sentiment de la présence de Dieu m’entraîna dans un recueillement de plus en plus profond ; soudain, au sein même de cette présence, je rencontrai l’amour de Dieu et, au cœur de cet amour, Nicolas, sa jeune femme et l’enfant ; alors, avec l’amour même de Dieu, je recommençai à prier pour eux ; mais je me sentis derechef attiré dans de nouveaux abîmes au fond desquels je rencontrai une fois de plus l’amour de Dieu. C’est ainsi que se passent mes journées : je prie pour chacun de mes ouvriers, tour à tour, l’un après l’autre ; la fin de la journée je leur dis quelques paroles, nous prions ensemble et ils vont se reposer. Quant à moi, je regagne le monastère pour m’y acquitter de mes devoirs monastiques » [1].

 

Bartimée ne pouvait certes pas imaginer la fécondité de sa prière suppliante et insistante formulée sur la route de Jéricho, adressée à Jésus par-dessus la tête de ses disciples ! Faisons nôtre cette postérité spirituelle, en pratiquant la prière du cœur pour ceux à qui cela correspond, ou par tout autre désir de prière incessante : « réjouissez-vous et priez sans cesse ».

_______________________________

[1]. Mgr Antoine Bloom, L’école de prière, Seuil (LV 143), 1972.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« L’aveugle et le boiteux, je les fais revenir » (Jr 31, 7-9)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Ainsi parle le Seigneur : Poussez des cris de joie pour Jacob, acclamez la première des nations ! Faites résonner vos louanges et criez tous : « Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël ! » Voici que je les fais revenir du pays du nord, que je les rassemble des confins de la terre ; parmi eux, tous ensemble, l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c’est une grande assemblée qui revient. Ils avancent dans les pleurs et les supplications, je les mène, je les conduis vers les cours d’eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné.

Psaume
(Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)
R/ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
 (Ps 125, 3)

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert.
Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.

Deuxième lecture
« Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité » (He 5, 1-6)

Lecture de la lettre aux Hébreux

out grand prêtre est pris parmi les hommes ; il est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu ; il doit offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est capable de compréhension envers ceux qui commettent des fautes par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, rempli de faiblesse ; et, à cause de cette faiblesse, il doit offrir des sacrifices pour ses propres péchés comme pour ceux du peuple. On ne s’attribue pas cet honneur à soi-même, on est appelé par Dieu, comme Aaron.
Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de Dieu, qui lui a dit : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, car il lui dit aussi dans un autre psaume : Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité.

Évangile
Rabbouni, que je retrouve la vue » (Mc 10, 46b-52) Alléluia. Alléluia. 
Notre Sauveur, le Christ Jésus, a détruit la mort, il a fait resplendir la vie par l’Évangile. Alléluia. (2 Tm 1, 10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin. Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.
Patrick BRAUD

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21 juillet 2019

La prière et la loi de l’offre et de la demande

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La prière et la loi de l’offre et de la demande

Homélie pour le 17° Dimanche du temps ordinaire / Année C
28/07/2019

Cf. également :

Que demander dans la prière ?
La force de l’intercession
Les 10 paroles du Notre Père
Intercéder comme Marie

 

1. La prière marchande (selon les païens)

Un enterrement traditionnel en Afrique noire, il y a 40 ans. Pas n’importe quel enterrement : celui du vieux chef coutumier du village, honoré et respecté de tous. Les voisins viennent en foule pendant trois jours visiter la famille et faire la fête. Chacun apporte son offrande : des poulets, des chevaux, des brebis, des vaches et des bœufs. Lors de la cérémonie, le sacrificateur égorge un à un ces animaux, en prononçant les paroles rituelles et en faisant couler le sang dans la terre pour nourrir les ancêtres et obtenir leur bénédiction. Le beuglement des vaches n’émeut personne, car le sacrifice de ces animaux est l’offrande nécessaire pour obtenir des divinités la paix pour le village et le séjour parmi les ancêtres pour le chef.

La logique des sacrifices d’animaux (ou humains hélas !) est toujours la même, que ce soit en Afrique noire, dans le Temple de Jérusalem ou au sommet des pyramides aztèques  autrefois : le peuple offre aux dieux une victime vivante, afin qu’en échange lui soit donnée la paix, la prospérité, la fin d’un cataclysme, des moissons généreuses etc.

En termes modernes, on pourrait dire que c’est la loi économique de l’offre et de la demande qui préside à ces rituels païens : il faut payer au dieu le prix suffisant pour obtenir ses faveurs. C‘est tout l’objet de la loi de l’offre de la demande en économie [1] : trouver le prix d’équilibre qui va permettre l’échange entre celui qui offre et celui qui demande, selon le schéma classique :

La prière et la loi de l’offre et de la demande dans Communauté spirituelle 240px-Offre-demande-equilibre.svg

La prière marchande est la projection sur Dieu de nos habitudes humaines dans l’échange. C’est une conception naturelle, innée en chacun et en tous : nous imaginons Dieu sur le mode d’un marchand à qui il faut donner quelque chose de précieux en échange de ses grâces. Ce type de prière a perduré même en christianisme : nombre de pèlerinages à Saint Jacques de Compostelle, éprouvants et humiliants, ont été fait pour obtenir la rédemption divine. Nombre de cierges à Lourdes, de cilices monastiques, de neuvaines ou de rogations étaient le prix à payer pour obtenir une guérison, un pardon, une réussite ou une pluie abondante. On n’est jamais loin du marchandage : ‘si tu me donnes ceci ou cela alors je te promets de faire ceci ou cela’.

Évidemment, Jésus s’est inscrit résolument en faux contre ce type de prière. Dans la lignée des prophètes d’Israël, il rappelle que les sacrifices d’animaux ne sont d’aucune valeur devant un cœur brisé prêt à accueillir le don de Dieu. Il lui arrive souvent de guérir des gens qui n’avaient rien demandé. À ceux qui demandent une guérison physique, il les  conduit plus loin en parlant de salut et de sainteté tout en leur accordant la santé pour les y amener. Le donnant-donnant moyennant un prix à payer n’est sûrement pas la relation que Jésus entretenait avec son Père dans la prière, ni la relation de salut avec ceux qu’il rencontre en chemin.

 

2. La prière discount (selon Abraham)

Notre première lecture de ce dimanche nous met sur la voie d’une autre prière : celle d’Abraham intercédant pour Sodome (Gn 18, 20-32). Intercéder pour Sodome ! Dans l’imaginaire collectif, Sodome et Gomorrhe sont devenus des symboles de la dépravation des grandes villes. Deux différences avec la prière païenne sautent aux yeux : Abraham ne prie pas pour lui-même ; il intercède pour des pécheurs et non des justes.

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La technique de négociation d’Abraham est subtile : elle semble relever du marchandage, puisqu’Abraham discute le prix du salut de Sodome, en le faisant baisser au maximum : 50 justes, 45, 40, 30, 20, 10. Un vrai négociateur apparemment, puisqu’il réussit à obtenir la même promesse de salut pour cinq fois moins cher. Abraham ne descend pas en dessous de 10, car c’est le nombre minimum d’hommes prescrits par la loi juive pour constituer une assemblée de prière légitime : le minian.

Pour autant, le levier de sa demande n’est pas le nombre de justes dans Sodome, mais la fidélité de Dieu à lui-même : ‘toi qui es le juste par excellence, comment pourrais-tu faire mourir le juste avec le coupable sans te renier toi-même ?’
Habile…

Abraham sait bien que l’offre du côté de Dieu ne s’achète pas, alors il l’appelle à ne pas se renier lui-même – ce qui bien sûr est impossible – en ne confondant pas les justes et les injustes. Il obtient ainsi l’offre maximum (la promesse de salut de la ville) pour un prix minimum (10 justes).

Transposons à aujourd’hui : cela signifie que lorsque nous faisons appel à Dieu pour ce qu’il est en lui-même (et non pour notre intérêt), nous pouvons être sûrs de sa réponse quel que soit notre mérite devant lui (en réalité nous n’en avons aucun). À condition d’opérer le double décentrement repéré dans l’intelligente négociation d’Abraham : intercéder pour les autres plus que pour soi, demander à Dieu d’être lui-même plus qu’à notre image…

 

3. La prière poisson-serpent / œuf-scorpion selon Jésus

Dans son enseignement sur la prière de notre évangile de ce dimanche (Lc 11, 1-13), Jésus va jusqu’au bout de la logique amorcée par Abraham. Dans le Notre Père, il commence par décentrer notre prière en le tournant vers Dieu, son identité de Père (de tous), son Nom, son règne et sa volonté (3 louanges et 3 demandes au début des 10 paroles du Notre Père). Puis viennent les 4 demandes humaines qui sont « sans prix », au sens où Jésus ne fixe pas de tarif pour obtenir le pain, le pardon, la force spirituelle, la délivrance du mal. Nous sommes déjà très loin de l’échange marchand !

poisson serpentLa parabole suivante met en scène une prière non pour soi mais pour nourrir un ami de passage imprévu. L’autre parabole indique qu’il peut y avoir un décalage entre la demande humaine et l’offre divine, mais toujours en faveur de l’homme :

« Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? »

Autrement dit, Dieu sait ce qui est bon pour nous, mieux que nous-mêmes. Jamais il ne nous donnera ce qui pourrait nous faire du mal, ou ce qui pourrait nous faire faire du mal aux autres. On peut pousser la logique de Jésus à son maximum : si vous demandez un serpent, il vous sera donné un poisson ; si vous réclamez un scorpion, vous recevrez un œuf. Le serpent et le scorpion sont symboliques du mal qui a perdu Adam et Ève (le serpent) et qui continue à inoculer son venin dans le monde par la violence et la ruse (le scorpion). Le poisson symbolise la foi en Jésus-Christ sauveur, fils de Dieu (ictus en grec) et l’œuf la résurrection (la vie à venir). Dieu sait convertir nos demandes pour qu’elles deviennent sources de vie et non de mort.

L’important pour nous est de demander de tout notre cœur, en acceptant par avance que Dieu puisse nous donner autre chose que ce que nous demandons, un don bien supérieur à ce que nous aurions pu imaginer.

« Demandez et vous recevrez » : la promesse du Christ est apparemment démentie chaque fois qu’il arrive l’inverse de ce que nous avons demandé (la mort au lieu de la guérison, la séparation au lieu de l’union, l’échec au lieu de la réussite etc.). Pourtant elle se révèle profondément accomplie lorsque nous découvrons que Dieu nous donne infiniment mieux et davantage que ce que je vous nous imaginions pour nous, même si c’est complètement autre chose. Une amie qui vient de perdre son mari d’un cancer en quelques mois me confiait : « j’ai prié pour que Jacques guérisse. Maintenant je dois découvrir pour-quoi il est mort, c’est-à dire ce que Dieu m’invite à faire de cette disparition ».

Demandez à Dieu d’être Dieu, et vous recevrez bien plus grand que le désir immédiat de votre cœur.

 oeuf scorpion

4. La prière sans objet (selon Salomon et selon Jésus.)

Jésus termine son enseignement sur la prière à cette ouverture-clé : « combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »

De la prière du Notre Père.Car finalement, le véritable objet de notre demande dans la prière n’est pas un objet, mais une personne vivante : l’Esprit Saint lui-même. Demander l’Esprit Saint, ce n’est pas demander la richesse ou la guérison, la réussite ou la paix, c’est désirer vivre comme Dieu en Dieu. C’est ajuster sa respiration sur le souffle intime de l’Esprit en nous. C’est d’apprendre à désirer comme Dieu désire, aimer comme Dieu aime, se livrer comme Dieu se livre. Des mystiques comme Maître Eckhart iraient même jusqu’à dire : laisser Dieu désirer en nous, aimer en nous, se livrer à travers nous. Cette prière est sans objet, car elle a l’Esprit Saint en personne comme sujet.

Dieu sait ce qui nous convient avant même que nous n’ouvrions la bouche pour le prier. Le fait de prier n’a pas pour but d’informer Dieu, qui nous connaît mieux que nous-mêmes, mais de former en nous le désir selon le cœur de Dieu. Par exemple, lorsque Jacques et Jean demandent à Jésus d’être « à sa droite et à sa gauche lors de son règne », il leur répond :

« Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? Ils lui dirent: « Nous le pouvons. Jésus leur dit: « La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de l’accorder: ce sera donné à ceux pour qui cela est préparé » (Mc 10,38-40).

La transformation de la demande est bien de passer de la convoitise d’un objet (ici du pouvoir) au désir d’une relation de communion avec le Christ (figurée ici par la coupe de sa Passion et son baptême).

L’œuf à la place du scorpion…

Déjà, le roi Salomon avait donné l’exemple de la vraie prière de demande. Tel le génie de la lampe d’Aladin, Dieu lui promet d’exaucer tous ses vœux. Salomon ne demande pas quelque chose (gloire, richesse, victoire sur les ennemis etc.) mais quelqu’un : la Sagesse. « Donne-moi la Sagesse assise près de toi » (Sg 9,4).

La réponse de Dieu est immédiate :

Dieu dit à Salomon : Parce que c’est là ce qui est dans ton cœur, et que tu n’as pas demandé ni des richesses, ni des biens, ni de la gloire, ni la mort de tes ennemis, et que même tu n’as pas demandé de longs jours, et que tu as demandé pour toi la sagesse et l’intelligence pour juger mon peuple sur lequel je t’ai fait régner, la sagesse et l’intelligence te sont données. Je te donnerai en outre des richesses, des biens et de la gloire, comme n’en a eu aucun roi avant toi, et comme n’en aura aucun après toi » (2Ch 1, 1-11)

Jésus s’inscrira dans cette lignée de Salomon avec sa formule géniale : « cherchez d’abord le royaume de Dieu et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33). Car en Jésus, il y a bien plus encore que Salomon (Mt 12,42).

À Gethsémani, il se bat précisément pour convertir sa prière de demande en une prière d’union à son Père : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. […] Il retourna prier une deuxième fois : « Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » (Mt 26,39.42)

Les meilleures choses dans la vie ne sont pas des choses ; ce sont des êtres vivants : conjoint, enfants, amis, compagnons de route… Ainsi dans la prière, la meilleure chose que nous ayons à demander n’est pas une chose mais l’Esprit Saint en personne : « combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »

Saint Augustin l’écrivait à son amie Proba : sil nous est demandé de prier, ce n’est pas pour informer Dieu de nos besoins, qu’il connaît mieux que nous-mêmes, mais pour former en nous le désir de Dieu qui veut nous combler de ses dons. Il s’agit d’ajuster notre désir au don de Dieu.

C’est celui qui sait donner de bonnes choses à ses fils qui nous oblige à demander, à chercher, à frapper (Lc 11, 9-13). Pourquoi Dieu agit-il ainsi, puisqu’il connaît ce qui nous est nécessaire, avant même que nous le lui demandions ? Nous pourrions nous en inquiéter, si nous ne comprenions pas que le Seigneur notre Dieu n’a certes pas besoin que nous lui fassions connaître notre volonté car il ne peut l’ignorer, mais qu’il veut par la prière exciter et enflammer nos désirs, pour nous rendre capables de recevoir ce qu’il nous prépare. Or ce qu’il nous prépare est chose fort grande, et nous sommes bien petits et bien étroits pour le recevoir. C’est pourquoi il est dit : « Dilatez-vous » (2 Co 6, 13-14).

 

Ne rêvons pas : ces quatre strates de prière coexistent en chacun de nous, mélangées, se croisant sans cesse, jamais chimiquement pures. Le tout est de prendre conscience de la conversion du désir qui est l’enjeu de notre prière : « que ta volonté soit faite ».

ob_d8183f_cto17-lapinbleu338c-lc11-2 Abraham dans Communauté spirituelle

 


[1]. En microéconomie, l’offre et la demande est un modèle économique de détermination des prix dans un marché. Ce modèle postule que, toutes choses étant égales par ailleurs, dans un marché concurrentiel, le prix unitaire d’un bien ou d’un autre élément négocié comme de la main-d’œuvre ou des actifs financiers, varie jusqu’au moment où la quantité demandée (au prix courant) sera égale à la quantité fournie (au prix courant), résultant à un équilibre économique entre prix et quantité négociée (source : Wikipédia).

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Que mon Seigneur ne se mette pas en colère si j’ose parler encore » (Gn 18, 20-32)

Lecture du livre de la Genèse

 En ces jours-là, les trois visiteurs d’Abraham allaient partir pour Sodome. Alors le Seigneur dit : « Comme elle est grande, la clameur au sujet de Sodome et de Gomorrhe ! Et leur faute, comme elle est lourde ! Je veux descendre pour voir si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à moi. Si c’est faux, je le reconnaîtrai. » Les hommes se dirigèrent vers Sodome, tandis qu’Abraham demeurait devant le Seigneur. Abraham s’approcha et dit : « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Ne pardonneras-tu pas à toute la ville à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? Loin de toi de faire une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, traiter le juste de la même manière que le coupable, loin de toi d’agir ainsi ! Celui qui juge toute la terre n’agirait-il pas selon le droit ? » Le Seigneur déclara : « Si je trouve cinquante justes dans Sodome, à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. » Abraham répondit : « J’ose encore parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre. Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq : pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? » Il déclara : « Non, je ne la détruirai pas, si j’en trouve quarante-cinq. » Abraham insista : « Peut-être s’en trouvera-t-il seulement quarante ? » Le Seigneur déclara : « Pour quarante, je ne le ferai pas. » Abraham dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère, si j’ose parler encore. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement trente ? » Il déclara : « Si j’en trouve trente, je ne le ferai pas. » Abraham dit alors : « J’ose encore parler à mon Seigneur. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement vingt ? » Il déclara : « Pour vingt, je ne détruirai pas. » Il dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère : je ne parlerai plus qu’une fois. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement dix ? » Et le Seigneur déclara : « Pour dix, je ne détruirai pas. »

Psaume
(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 6-7ab, 7c-8)
R/ Le jour où je t’appelle, réponds-moi, Seigneur.
(cf. Ps 137, 3)

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble ;
de loin, il reconnaît l’orgueilleux.
Si je marche au milieu des angoisses, tu me fais vivre,
ta main s’abat sur mes ennemis en colère.

Ta droite me rend vainqueur.
Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

Deuxième lecture
« Dieu vous a donné la vie avec le Christ, il nous a pardonné toutes nos fautes » (Col 2, 12-14)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Vous étiez des morts, parce que vous aviez commis des fautes et n’aviez pas reçu de circoncision dans votre chair. Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix.

Évangile
« Demandez, on vous donnera » (Lc 11, 1-13)
Alléluia. Alléluia.
Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; c’est en lui que nous crions « Abba », Père. Alléluia. (Rm 8, 15bc)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. » Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : ‘Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts envers nous. Et ne nous laisse pas entrer en tentation. » Jésus leur dit encore : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : ‘Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir.’ Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : ‘Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose’. Eh bien ! je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »
Patrick BRAUD

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17 février 2019

Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel

Homélie pour le 7° dimanche du temps ordinaire / Année C
24/02/2019

Cf. également :

Boali, ou l’amour des ennemis
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Pardonner 70 fois 7 fois

« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. »

Avec ce commandement de l’amour des ennemis (Lc 6, 27-38), nous sommes au cœur du christianisme. « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger. S’il a soif, donne-lui à boire. Par-là, ce sera comme si tu lui mettais des charbons ardents sur la tête » (Rm 12,20).

Aucune morale ne s’est jamais structurée autour d’un tel impératif. Aucune doctrine philosophique n’a formulé ce genre de conseil. Aucune sagesse d’Orient ou d’Occident n’a prôné cet amour-là, qui semble injuste, contradictoire et impossible. Le Premier Testament l’a maintes fois approché, même s’il est rempli de batailles meurtrières où exterminer son ennemi semblait rendre gloire à Dieu. Notre première lecture (1S 26,2 23) ne nous montre-t-elle pas David épargnant Saül qui était à portée de sa lance ? Et d’autres passages vont également dans ce sens :

« Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère… car je suis Dieu et non pas homme » (Os 11,9).
« Dieu ne nous traite pas selon nos péchés, ne nous rend pas selon nos fautes » (Ps 103,10).
« Le roi d’Israël dit à Elisée (en voyant ses ennemis à sa merci) :  » Mon père ! dois-je les tuer ?  » Il répondit:  » Ne les tue pas! As-tu l’habitude de tuer ceux que tu fais prisonniers avec ton épée ou avec ton arc ? Sers-leur du pain et de l’eau; qu’ils mangent et boivent et qu’ils s’en aillent vers leur maître.  » Le roi leur fit servir un grand repas; ils mangèrent et ils burent. Puis il les congédia et ils s’en allèrent vers leur maître. Les bandes araméennes cessèrent leurs incursions en terre d’Israël. » (2R 6, 8-23)

Jésus dans l’évangile de Luc en fait le texte clé de notre ressemblance divine [1] : « soyez parfaits que votre père céleste est parfait ». Or Dieu fait pleuvoir sur les bons comme sur les méchants, et lui le premier aime ceux qui le haïssent, car sa nature – elle – émet sans limitation, sans condition.

Aimer ses ennemis n’est pas une affaire de sentiment. « Heureusement que Jésus ne m’a pas demandé de trouver mon ennemi sympathique. Je ne peux pas trouver sympathique celui qui envoie ses chiens sur moi et détruit ma maison. En revanche, je peux l’aimer », confait Martin Luther King avec un brin d’humour…

Alors, comment faire pour entendre cet appel à aimer ceux qui me veulent et me font du mal ?
Explorons cinq étapes qui balisent ce chemin, cet anti-parcours du combattant en quelque sorte.

 

1. Inquiétez-vous si vous pensez ne pas avoir d’ennemis !

Si c’est le cas, soit vous êtes naïfs et aveugles, refusant de constater que certains ne vous aiment pas et ne cherchent qu’à vous nuire, soit vous menez une vie tellement lisse qu’elle ne dérange plus personne.

Dans le premier cas, votre désillusion sera grande lorsque surgiront de l’ombre les attaques, les coups bas, les mépris que vous ne vouliez pas imaginer.

Le second cas est plus grave encore ! Si vous ne dérangez jamais les intérêts des puissants, si vous n’avez nul conflit avec l’injustice, si vous êtes aussi transparents qu’une goutte d’eau dans l’océan, alors la foi chrétienne n’est sûrement pas le moteur de notre existence. Jésus le savait d’expérience, voyant ceux de ses concitoyens qui cherchaient à se faufiler au milieu des controverses de l’époque sans prendre de coups : « Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous !  C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes » (Lc 6,26). Des chrétiens ne suscitant pas d’opposition risquent fort d’être devenus le sel si fade dont parle Jésus qu’on le jette dehors pour le piétiner car il ne sert plus à rien : « Oui, c’est une bonne chose que le sel. Mais si le sel lui-même perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il n’est bon ni pour la terre, ni pour le fumier; on le jette dehors. Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » (Luc 14,34-35). Que ce soit sur des questions de société comme le respect de toute vie du commencement à la fin, la dignité des plus pauvres, la priorité à donner au bien commun sur les intérêts particuliers etc. ou sur des questions plus individuelles (pardonner  70 fois 7 fois, aimer ses ennemis etc.), il serait contre nature que l’Évangile ne provoque pas discussions, oppositions, et le plus souvent violences et persécutions. C’est d’ailleurs le risque de la petite minorité chrétienne en Europe : se replier sur un christianisme réduit au bien-être, au développement personnel, aux thérapies en tout genre centrées sur le ‘moi’, évitant soigneusement tout point de friction sociale ou idéologique.

Être levain dans la pâte demande de la soulever, avec force et puissance. Sinon ce n’est plus que de la poussière sans effet sur le pain. Or cela ne se fait pas sans générer des résistances !

Ne pas avoir d’ennemis est un symptôme d’insignifiance. Si nous ne suscitons que de l’indifférence polie (ou de la curiosité qu’on accorde aux choses folkloriques), alors c’est que nous avons trahi la grande espérance incarnée par le Christ d’un monde différent où le mal serait vaincu.

Inquiétez-vous donc si vous ne vous connaissez pas d’ennemis ! Mais ne vous réjouissez pas trop vite si vous en avez ! Car il faut encore vérifier que c’est bien à cause de l’Évangile, sinon ce ne serait que des querelles ordinaires trop humaines. Certains leaders politiques n’existent qu’en créant des adversaires qui légitiment ainsi leur combat. Ne fabriquons pas des ennemis pour exister ! Mais acceptons que les choix inspirés par notre attachement au Christ nous vaillent des inimitiés, des obstacles, des oppositions violentes. C’est le contraire qui serait étonnant, et à vrai dire mauvais signe.

 

2. Refuser de haïr ses ennemis

Ainsi donc nous aurons des ennemis, petits ou grands, à la mesure de la vive flamme d’amour qui nous brûle. Qu’en faire ? Le ressentiment naturel serait de leur rendre la pareille. Puisqu’ils nous haïssent, nous trouvons juste et légitime de faire de même. Le piège de la ressemblance se referme alors sur nous : plus nous haïssons nos ennemis, plus nous leur devenons semblables. Ceux qui voulaient ‘casser du Boche’ en 14-18 n’étaient pas meilleurs que leurs agresseurs à casque à pointe. Même la haine antinazie en 1945 a sali la joie de la Libération par des actes innommables longtemps occultés par les vainqueurs.

La haine nous avilit, et nous rabaisse au même rang que nos agresseurs. Or nous pouvons la refuser. Il est en notre pouvoir de décider de ne pas haïr, car c’est un sentiment qui s’entretient : ne pas le nourrir, c’est le faire dépérir à coup sûr.

Vous n'aurez pas ma haineSouvenons-nous de ce message sur Facebook (qui est devenu un livre et une pièce de théâtre) d’un jeune époux et père de famille après les attentats du Bataclan à Paris en 2015 : « vous n’aurez pas ma haine ». Antoine Leiris a perdu sa femme adorée sous les balles des islamistes. Il pourrait légitimement être ivre de colère et de rage. Mais le mal aurait gagné deux fois : en supprimant des êtres chers et en le rendant semblable à ces bourreaux.

« Vendredi soir vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils, mais vous n’aurez pas ma haine. Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes. Si ce dieu pour lequel vous tuez aveuglément nous a fait à son image, chaque balle dans le corps de ma femme aura été une blessure dans son cœur.
Alors non je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère, ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu. Même joueur joue encore. »

Jésus a choisi de ne pas haïr, ni Judas qui le livre, ni les soldats qui le giflent et l’humilient, ni les pharisiens avec qui il est en conflit ouvert, ni ceux qui voulaient le lapider à Nazareth, ni la foule criant ‘Barabbas’ après ‘Hosannah’ etc. En cela également il était Fils de son Père, désirant que les méchants se convertissent et non qu’ils meurent, guettant le fils prodigue de très loin avant même qu’il ait retourné sur ses pas.

Les premiers disciples de Jésus disaient non à la guerre et au service militaire, les considérant comme incompatibles avec l’éthique d’amour de Jésus et avec l’injonction d’aimer ses ennemis. On demandait même aux futurs baptisés de quitter le métier des armes si c’était le leur avant…

 

3. Priez pour nos ennemis

Aimer ceux qui nous font du mal, ce n’est certes pas éprouver de l’affection pour eux, les trouver ‘sympathiques’ comme disait Martin Luther King. C’est plutôt les confier à Dieu, sachant que lui a le pouvoir de faire surgir des enfants d’Abraham à partir des pierres que voici (Mt 3,9). Nous ne savons pas ce qui est le mieux pour eux. Nous sommes incapables d’en prendre soin comme Dieu le fait. Mieux vaut humblement reconnaître - surtout quand la colère est à son apogée avec le mal subi - que nous sommes impuissants à leur faire du bien, à les changer ; mieux vaut les remettre avec confiance entre les mains de Dieu qui saura bien trouver les médiations pour toucher leur cœur, ou faire sortir de ce mal un bien plus grand encore.

Le Père Christian de Chergé./Illustration Dominique Bar pour La CroixSouvenons-nous de la prière de frère Christian de Chergé, juste avant que des assassins (non encore formellement identifiés) viennent couper les têtes des sept moines en Algérie :

« Cette vie perdue totalement mienne et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô mes amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis ! Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « À-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux.
AMEN ! Inch’Allah ! »
Alger, 1
er décembre 1993 / Tibhirine, 1er janvier 1994

Exercez-vous à prier pour vos ennemis. Visualisez tel visage de quelqu’un qui vous a fait ou vous fait du mal. Confiez-le à Dieu et laisser l’amour de Dieu s’en charger, vous libérant ainsi de ce poids de haine qui aurait empoisonné votre vie. Prier pour l’autre n’est pas approuver ce qu’il a fait, mais souhaiter pour lui un avenir meilleur. Dieu devient ainsi le plus court chemin de réconciliation entre ceux que tout oppose actuellement.

 

4. Pardonnez à nos ennemis

« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34).

Si nos ennemis savaient vraiment le mal commis, ils reculeraient, effrayés et horrifiés de leurs actes. Hannah Arendt a bien pointé que seule la « banalité ordinaire du mal » permettait à des nazis cultivés de jouer du Mozart à côté des baraques d’Auschwitz. Se reconnaître pécheurs est une révélation : nous l’esquivons tant de fois pour nous-mêmes que nous devrions le comprendre chez nos adversaires. Pardonner à ses ennemis, c’est imiter Dieu ou plutôt retrouver son image et sa ressemblance au plus profond de nous. C’est enlever le dard du ressentiment qui lentement inocule son désespoir dans nos veines depuis la blessure infligée par l’ennemi.

Joseph a embrassé ses frères qui pourtant l’avaient trahi :

«  »Je suis Joseph votre frère, dit-il, moi que vous avez vendu en Égypte ». […]
Il se jeta au cou de son frère Benjamin en pleurant et Benjamin pleura à son cou. Il embrassa tous ses frères et les couvrit de larmes, puis ses frères s’entretinrent avec lui. » (Gn 45, 13-15)

Puis Joseph a pardonné à ses frères leur jalousie qui les avait amenés à le vendre comme esclave :
« Voyant que leur père était mort, les frères de Joseph se dirent: « Si Joseph allait nous traiter en ennemis et nous rendre tout le mal que nous lui avons causé ! » Ils demandèrent à Joseph: « Ton père a donné cet ordre avant sa mort : Vous parlerez ainsi à Joseph : « De grâce, pardonne le forfait et la faute de tes frères. Certes, ils t’ont causé bien du mal mais, de grâce, pardonne maintenant le forfait des serviteurs du Dieu de ton père. « Quand ils lui parlèrent ainsi, Joseph pleura. Ses frères allèrent d’eux-mêmes se jeter devant lui et dirent: « N
Forgivenous voici tes esclaves! » Joseph leur répondit: « Ne craignez point. Suis-je en effet à la place de Dieu ? Vous avez voulu me faire du mal, Dieu a voulu en faire du bien : conserver la vie à un peuple nombreux comme cela se réalise aujourd’hui. Désormais, ne craignez pas, je pourvoirai à votre subsistance et à celle de vos enfants. » Il les réconforta et leur parla cœur à cœur. »
Dieu peut donc transformer le mal commis par des ennemis en un bien plus grand encore !

Allez voir au cinéma le film Forgiven avec Forest Whitaker qui vient de sortir en 2019.
En 1994, à la fin de l’apartheid, Nelson Mandela nomme l’archevêque Desmond Tutu président de la commission « Vérité et réconciliation » : aveux contre rédemption. Il se heurte le plus souvent au silence d’anciens tortionnaires. Jusqu’au jour où il est mis à l’épreuve par Piet Blomfield, un assassin condamné à perpétuité. Desmond Tutu se bat alors pour retenir un pays qui menace de se déchirer une nouvelle fois. Il sait que seul le pardon permettra de vivre à nouveau ensemble, à condition que le mal soit désarmé…

 

5. Laisser Dieu aimer nos ennemis en nous

Finalement, l’amour des ennemis est impossible et surhumain. Il l’est tant que nous pensons y parvenir par nos seules forces. Ce qu’il y a d’inouï dans l’Évangile, c’est que cet amour des ennemis est central (contrairement aux autres religions et sagesses) et qu’il nous est donné. Il ne s’obtient pas par l’ascèse, ni par le perfectionnement de soi, ni par un effort moral ou un progrès philosophique. C’est pour cela que ces étapes constituent un anti-parcours spirituel, car c’est Dieu qui le fait en nous et non l’inverse.

Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel dans Communauté spirituelle CTO11-Lapinbleu330C-Ga2_20L’amour des ennemis est un don de l’Esprit de Dieu agissant en nous. Il est à accueillir, suite à l’union au Christ miséricordieux : « je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Paul comme Pierre en prison se sont défendus avec vigueur et ont refusé l’injustice, mais ils ont aimé leur geôliers jusqu’à leur ouvrir le chemin du salut, et leurs bourreaux jusqu’à intercéder pour eux.

Plus notre communion au Christ vainqueur du mal par l’amour sera intense, plus il nous sera facile de le laisser pardonner, prier, conjurer la haine en nous. L’amour des ennemis ne relève pas du droit, ni de la morale, mais de la vie spirituelle au sens le plus fort, le plus mystique du terme. Si nous n’adoptons pas le point de vue de Dieu jusqu’à devenir « participants de sa nature divine » (2P 1,4), comment reconnaître en tout ennemi un frère, une providence, une promesse ?

 


[1]. Pour Jean, c’est plutôt l’amour mutuel au sein de la communauté : « à ceci on vous reconnaîtra pour mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,35). Est-ce parce qu’en 90 les persécutions romaines et juives étaient plus violentes ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur » (1 S 26, 2.7-9.12-13.22-23)

Lecture du premier livre de Samuel

 En ces jours-là, Saül se mit en route, il descendit vers le désert de Zif avec trois mille hommes, l’élite d’Israël, pour y traquer David. David et Abishaï arrivèrent de nuit, près de la troupe. Or, Saül était couché, endormi, au milieu du camp, sa lance plantée en terre près de sa tête ; Abner et ses hommes étaient couchés autour de lui. Alors Abishaï dit à David : « Aujourd’hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Laisse-moi donc le clouer à terre avec sa propre lance, d’un seul coup, et je n’aurai pas à m’y reprendre à deux fois. » Mais David dit à Abishaï : « Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ? » David prit la lance et la gourde d’eau qui étaient près de la tête de Saül, et ils s’en allèrent. Personne ne vit rien, personne ne le sut, personne ne s’éveilla : ils dormaient tous, car le Seigneur avait fait tomber sur eux un sommeil mystérieux. David passa sur l’autre versant de la montagne et s’arrêta sur le sommet, au loin, à bonne distance. Il appela Saül et lui cria : « Voici la lance du roi. Qu’un jeune garçon traverse et vienne la prendre ! Le Seigneur rendra à chacun selon sa justice et sa fidélité. Aujourd’hui, le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur. »

Psaume
(Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13)
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié.
(Ps 102, 8a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

Aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés ;
comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

Deuxième lecture
« De même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel » (1 Co 15, 45-49)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, l’Écriture dit : Le premier homme, Adam, devint un être vivant ; le dernier Adam – le Christ – est devenu l’être spirituel qui donne la vie. Ce qui vient d’abord, ce n’est pas le spirituel, mais le physique ; ensuite seulement vient le spirituel. Pétri d’argile, le premier homme vient de la terre ; le deuxième homme, lui, vient du ciel. Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel. Et de même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel.

Évangile
« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 27-38)
Alléluia. Alléluia.
Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.
Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »

Patrick BRAUD

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3 décembre 2017

Ne nous laisse pas entrer en tentation

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 01 min

Ne nous laisse pas entrer en tentation

« Ne nous laisse pas entrer en tentation » : c’est la nouvelle traduction francophone de la fin du Notre Père, Elle est entrée en vigueur aujourd’hui même, et changera bien des habitudes !


Pour la comprendre, reportons-nous aux tentations présentées à Jésus lui-même au désert.

 

Ne nous laisse pas entrer en tentation dans Communauté spirituelle 456114232_640

Quel est l’enjeu de cette modification ?

L’ancien traduction : « ne nous soumets pas à la tentation » pouvait porter à confusion. Dieu serait-il l’auteur de la tentation ? Prendrait-il un malin plaisir à nous y soumettre ? La réponse toute la Bible est très nette : non !

The%2BFall%2Bof%2BAdam%2Band%2BEve%252C%2BHugo%2Bvan%2Bder%2BGoes%2B1470 Notre Père dans Communauté spirituelleNotre première lecture de la Genèse précise bien que c’est le serpent qui induit Ève en tentation, pas Dieu. Notre évangile met bien Satan en scène comme celui qui cherche à faire chuter Jésus, au sens propre comme au sens figuré.

Et St Jacques sera encore plus clair : « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : c’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne. » (Jc 1,13)

Prier Dieu de ne pas nous soumettre à la tentation laisserait planer un doute sur l’innocence divine face à la victoire du mal sur nous : impensable ! La nouvelle traduction recherche à éviter cet écueil, en collant au plus près du latin : ne nos inducas in tentationem = fais en sorte que nous ne soyons pas conduits sur le chemin de la tentation.

Elle colle davantage encore au grec : le verbe utilisé eispherô signifie porter dans, faire entrer. La tentation est vue (en grec) comme un lieu dans lequel Dieu nous introduirait. C’est un peu ce que fait l’Esprit dans l’évangile de ce dimanche : il conduit Jésus au désert pour y être tenté (par Satan, pas par Dieu) Mt 4,11.

C’est le sens que Jésus donne à sa prière à Gethsémani : il entre en tentation (« que cette coupe s’éloigne de moi ») mais la surmonte en s’appuyant sur son identité filiale (« Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux »). Connaissant la faiblesse de ses disciples, il leur conseille alors, fort de cette expérience à Gethsémani : « priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26,41). Dieu peut nous conduire vers (le désert, la tentation), mais il ne veut ni ne peut nous introduire dans.

Le désert est ici le lieu type de la tentation, en référence à l’épisode de l’Exode où les hébreux ont mis Dieu à l’épreuve (Ex 17,7), à Massa, près de Réfidim.

Mais c’est Dieu qui est mis à l’épreuve à Massa, comme Jésus est mis à l’épreuve au désert. Le peuple hébreu à Massa, le Satan au désert enfreignent chacun le commandement : « tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu » (Mt 4,7 ; Lc 4,12 ; Dt 6,16).

Sachant d’expérience que ce combat pour rester fidèle dans l’épreuve est vraiment dangereux, Jésus demande ses disciples de prier pour que nous ne soyons pas exposés à nous engager dans cette rude bataille. Suivre le Christ, c’est s’exposer à être tenté. « Ne nous laisse pas entrer en tentation » signifie : aide-nous à ne pas mettre le pied dans les sables mouvants de la tentation, que nous risquons de ne pas pouvoir traverser.

Car, si l’Esprit nous conduit au désert, c’est bien de nous-mêmes que nous entrons dans l’influence du mal. À l’image d’Ève qui aurait pu se boucher les oreilles au sifflement du serpent : mais elle s’est exposée (imprudemment) et s’est finalement laissée vaincre par le tentateur.

 

L’enjeu de cette nouvelle traduction est donc vital pour nous :

1. Ne pas croire ou laisser croire que Dieu serait l’auteur de la tentation.

2. Ne pas croire ou laisser croire non plus que nous sommes l’auteur absolu du mal. C’est un autre (le « serpent », le « Satan ») qui nous tente, et nous tombons dans le panneau en entrant en tentation.

3. Prendre conscience de notre propension naturelle à succomber aux tentations, aux fausses promesses que nous rencontrons sur notre route.

« Dieu ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces » 1Co 10,13 : cette conviction de Paul nous aide à déchiffrer nos épreuves comme des victoires à remporter et non des destructions cumulatives. La prière du Notre Père nous rend forts pour ne pas mettre les pieds en terrain miné : appuyés  sur l’amour paternel de Dieu pour nous, c’est ne pas s’engager sur des chemins où le combat serait trop difficile, ne pas s’exposer imprudemment en préjugeant de sa force. Et si la fournaise de l’épreuve arrive, comme à Massa ou Gethsémani, que notre communion au Christ nous rende forts en lui pour devenir fidèles à travers la tentation.

 

Un enjeu oecuménique

C’est l’autre aspect du Notre Père : la seule prière que Jésus a enseignée à ses disciples doit pouvoir être récitée ensemble, quelles que soient les confessions chrétiennes. C’était le cas jusqu’à présent depuis Vatican II. Qu’en sera-t-il en 2015 ? Les autres Églises chrétiennes vont-elles adopter ce « ne nous laisse pas  entrer en tentation » ? On peut regretter que l’Église catholique ait décidé ce changement de manière unilatérale, sans y associer les autres Églises. Elles pourront cependant y trouver une bien plus grande fidélité au texte biblique, et une plus grande cohérence théologique. Espérons que le Notre Père ne se terminera pas en un bredouillage généralisé et gêné, jetant un voile pudique sur nos différences en la matière…

Aucune traduction n’est parfaite. Traduttore, traditore disent les italiens !

« Ne nous laisse pas entrer en tentation » laisse encore planer quelques  interrogations. On sent bien qu’il y a conflit entre la liberté humaine qui peut choisir de se laisser dominer par la tentation, et l’amour de Dieu qui désire nous en sauver, mais ne peut le faire malgré nous… En remplaçant la soumission à par l’entrée en, la nouvelle version du Notre Père a le mérite de réveiller notre liberté en s’appuyant sur l’amour de Dieu pour nous.

Si vous avez déjà hésité au seuil d’une vraie tentation, vous savez ce que cela veut dire.

 

Dieu ne soumet personne. Il vole au secours de celui qui l’appelle.

Et comment devenir fidèles sans prier, c’est-à-dire sans nous appuyer sur Dieu qui alors ne nous laisse pas entrer en tentation ?

 

 

1ère lecture : La création de l’homme. Le péché (Gn 2, 7-9; 3, 1-7a)

Lecture du livre de la Genèse

Au temps où le Seigneur Dieu fit le ciel et la terre, il modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant.
Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé.
Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toute sorte d’arbres à l’aspect attirant et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

Or, le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait fait. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a dit : ‘Vous ne mangerez le fruit d »aucun arbre du jardin’»
La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour celui qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.’ »
Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » 
La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il avait un aspect agréable et qu’il était désirable, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de ce fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea.
Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus.

Psaume : Ps 50, 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17

R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché.

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Oui, je connais mon péché, 
ma faute est toujours devant moi. 
Contre toi, et toi seul, j’ai péché, 
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait. 

Crée en moi un c?ur pur, ô mon Dieu, 
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. 
Ne me chasse pas loin de ta face, 
ne me reprends pas ton esprit saint. 

Rends-moi la joie d’être sauvé ; 
que l’esprit généreux me soutienne. 
Seigneur, ouvre mes lèvres, 
et ma bouche annoncera ta louange.

2ème lecture : Là où le péché s’était multiplié, la grâce a surabondé (brève : 5, 12.17-19) (Rm 5, 12-19)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères,
par un seul homme, Adam, le péché est entré dans le monde, et par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, du fait que tous ont péché.
Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde. Certes, on dit que le péché ne peut être sanctionné quand il n’y a pas de loi ; mais pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a régné, même sur ceux qui n’avaient pas péché par désobéissance à la manière d’Adam. Or, Adam préfigurait celui qui devait venir.
Mais le don gratuit de Dieu et la faute n’ont pas la même mesure. En effet, si la mort a frappé la multitude des hommes par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu a-t-elle comblé la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul n’ont pas la même mesure non plus : d’une part, en effet, pour la faute d’un seul, le jugement a conduit à la condamnation ; d’autre part, pour une multitude de fautes, le don gratuit de Dieu conduit à la justification.
En effet, si, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul homme, la mort a régné, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en plénitude le don de la grâce qui les rend justes.
Bref, de même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie.
En effet, de même que tous sont devenus pécheurs parce qu’un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu’un seul homme a obéi.

Evangile : La tentation de Jésus (Mt 4, 1-11)

Acclamation : Ta parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole venant de la bouche de Dieu.
Ta parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.(cf. Mt 4, 4)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le démon.
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim.
Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » 

Alors le démon l’emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » 

Le démon l’emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire.
Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer. »
Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras. »
Alors le démon le quitte. Voici que des anges s‘approchèrent de lui, et ils le servaient.
Patrick BRAUD

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