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Juin 2023, un vieux rafiot surchargé de migrants fait naufrage au large de la Grèce. Plus de 80 morts… Ces images terribles de vies humaines englouties avec leurs espoirs d’un avenir meilleur ailleurs font régulièrement la une de nos journaux télévisés. On estime à environ 30 000 depuis 2014 le nombre de ces naufragés qui ont péri en Méditerranée, cherchant à traverser d’un monde à l’autre [1]. L’organisme Missing Migrants Project a enregistré la mort de 58 339 personnes au total depuis 2014. Nous ne savons pas quoi faire. Nous, devant notre écran, qui voyons ces corps entourés de pneus en guise de bouées, sommes partagés entre la compassion et la peur. Compassion, car qui resterait insensible à tant de détresse et de souffrance ? Peur, car qui pourra maîtriser ces flux grossissants sans cesse, jusqu’à menacer peut-être notre économie, notre façon de vivre, notre culture, notre identité ?
Morts migrations au 16/10/2023 Source : https://missingmigrants.iom.int/data
La liturgie de ce dimanche nous met très clairement en devoir de réfléchir aux migrations contemporaines, et d’agir en cohérence avec l’expérience spirituelle d’Israël qui est également la nôtre : « Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte » (Ex 22,20). Le triple commandement de l’amour qui résume la Loi selon Jésus (Mt 22,34-40) nous renvoie lui aussi à l’hospitalité envers l’étranger, à l’accueil de nos frères et sœurs en humanité : « tu aimeras ton prochain comme toi-même » se décline très vite en : « j’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25,35).
Comment concilier les deux exigences qui nourrissent notre émotion et notre peur : accueillir l’étranger et protéger sa famille, son pays ? Comment « trouver le juste équilibre entre le double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants » ? (Pape François, Fratelli tutti, n° 40)
Le pape François et l’immigration Pour son premier voyage hors du Vatican depuis son élection quelques semaines auparavant, le nouveau Pape se rendait sur la petite île italienne de Lampedusa, plaque tournante pour l’arrivée de migrants par bateaux entiers. C’était le 8 juillet 2013. Depuis un bateau des garde-côtes italiens, il avait alors lancé une couronne de fleurs en mémoire des migrants morts lors de leur tentative de traverser la Méditerranée après avoir prié de longues minutes. François allait dénoncer quelques instants plus tard lors de la messe célébrée sur l’île, « la mondialisation de l’indifférence » devant ce drame migratoire. L’encyclique Fratelli tutti (2020) aborde abondamment cette question sociale. François est sans doute le pape qui s’est le plus exprimé sur cette question des migrations, avec simplicité et clarté. Et avec des gestes symboliques d’autant plus forts qu’ils étaient ultra médiatisés. Ainsi en avril 2016, il ramène avec lui dans son avion à Rome douze migrants syriens lors de sa visite au camp de réfugiés de Lesbos. François se réfère à sa propre expérience d’Argentin, évêque de Buenos Aires, pour réaffirmer que les migrants peuvent être une chance plus qu’une menace (« si on les aide à s’intégrer », ce qui n’est pas une mince condition) :
La culture des latinos est « un ferment de valeurs et de possibilités qui peut faire beaucoup de bien aux États Unis. […] Une forte immigration finit toujours par marquer et transformer la culture locale. En Argentine, la forte immigration italienne a marqué la culture de la société, et parmi les traits culturels de Buenos Aires la présence d’environ deux cent mille Juifs prend un relief important. Les migrants, si on les aide à s’intégrer, sont une bénédiction, une richesse et un don qui invitent une société à grandir. (n° 135)
À Marseille le 23/09/23, François appelle une ne pas dépersonnaliser les personnes qui fuient leur pays : « Nous sommes réunis en mémoire de ceux qui n’ont pas survécu, qui n’ont pas été sauvés. Ne nous habituons pas à considérer les naufrages comme des faits divers et les morts en mer comme des numéros : non, ce sont des noms et des prénoms, ce sont des visages et des histoires, ce sont des vies brisées et des rêves anéantis. (…) C’est ainsi que cette mer magnifique est devenue un immense cimetière où de nombreux frères et sœurs se trouvent même privés du droit à une tombe, et où seule est ensevelie la dignité humaine. (…) Chers amis, nous sommes également à un carrefour : d’un côté la fraternité, qui féconde de bonté la communauté humaine ; de l’autre l’indifférence, qui ensanglante la Méditerranée. Nous sommes à un carrefour de civilisations ». François fustige les « tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et le fanatisme de l’indifférence ».
Depuis toujours, le christianisme promeut une vision globale de l’humanité comme une seule famille et pas seulement une mosaïque de pays. Depuis toujours, le christianisme prêche la gratuité, qui s’enracine dans l’expérience de la grâce divine : « vous avez reçu gratuitement, donner gratuitement » (Mt 10,8). Pratiquer la gratuité envers les migrants sauve un pays, une culture, de l’isolement et du repli sur soi mortifère :
La vraie qualité des différents pays du monde se mesure par cette capacité de penser non seulement comme pays mais aussi comme famille humaine, et cela se prouve particulièrement dans les moments critiques. Les nationalismes fondés sur le repli sur soi traduisent en définitive cette incapacité de gratuité, l’erreur de croire qu’on peut se développer à côté de la ruine des autres et qu’en se fermant aux autres on est mieux protégé. Le migrant est vu comme un usurpateur qui n’offre rien. Ainsi, on arrive à penser naïvement que les pauvres sont dangereux ou inutiles et que les puissants sont de généreux bienfaiteurs. Seule une culture sociale et politique, qui prend en compte l’accueil gratuit, pourra avoir de l’avenir. (n° 141)
François dénonce vigoureusement les idéologies qui surfent sur la peur de l’autre – sur tous les continents ! – pour diffuser « une mentalité xénophobe de fermeture et de repli sur soi » (n° 39). Les chrétiens qui adhéreraient à ces préférences politiques seraient en complète contradiction avec leur foi.
En même temps qu’il reprend l’exhortation biblique à aimer l’étranger, François n’est pas naïf : il sait bien que des passeurs exploitent la misère des pauvres ; il voit bien que le rêve d’une Europe riche et généreuse est une illusion savamment entretenue par ceux qui exploitent la misère (n° 35). Il en tire un droit naturel qui devrait sous-tendre la politique de coopération entre états : « le droit de ne pas émigrer » :
Malheureusement, d’autres « sont [attirées] par la culture occidentale, nourrissant parfois des attentes irréalistes qui les exposent à de lourdes déceptions. Des trafiquants sans scrupules, souvent liés aux cartels de la drogue et des armes, exploitent la faiblesse des migrants qui, au long de leur parcours, se heurtent trop souvent à la violence, à la traite des êtres humains, aux abus psychologiques et même physiques, et à des souffrances indicibles ». […]
Par conséquent, il faut aussi « réaffirmer le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre ». (n° 38)
Avec réalisme, le pape appelle également à la prudence, pour ne pas être dépassé par la suite à organiser après l’accueil : « Un peuple qui peut accueillir, mais qui n’a pas la possibilité d’intégrer, mieux vaut qu’il n’accueille pas. Là, il y a le problème de la prudence »(rencontre avec les journalistes sur le vol de retour de Dublin, 26 août 2018).
Oser parler des devoirs des migrants La tradition chrétienne est donc unanime sur l’amour concret à pratiquer envers les immigrés, fondée sur le leitmotiv de notre première lecture de : « car vous étiez des immigrés au pays d’Égypte » [2].
Le Catéchisme de l’Église catholique résume ainsi cette longue tradition :
Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent. (n° 2241)
Cependant, il ajoute un deuxième paragraphe, peu cité :
Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont ils ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges.
Il s’agit donc de réaffirmer le rôle des responsables politiques dans la régulation de l’immigration. Et plus encore, il s’agit de rappeler aux migrants qu’ils n’ont pas que des droits, mais également des devoirs envers le pays hôte : le respect de ses valeurs, de ses lois, de son patrimoine, et le travail pour contribuer à la richesse commune. On trouve une trace de cette prudence chrétienne dans le texte de la Didachè (I° siècle), qui appelle à distinguer le vrai nécessiteux de l’imposteur et proportionne l’assistance aux services que le visiteur accepte de rendre, lorsqu’il est en bonne santé :
Quiconque vient à vous au nom du Seigneur doit être reçu (Mt 21,9 ; Ps 117,26) ; mais ensuite, après l’avoir éprouvé, vous saurez discerner la droite de la gauche : vous avez votre jugement. Si celui qui vient à vous n’est que de passage, aidez-le de votre mieux. Mais qu’il ne reste chez vous que deux ou trois jours, si c’est nécessaire. S’il veut s’établir chez vous et qu’il soit artisan, qu’il travaille et se nourrisse. Mais s’il n’a pas de métier, que votre prudence y pourvoie, en sorte qu’un chrétien ne soit pas trouvé oisif chez vous. S’il ne veut pas agir ainsi, c’est un trafiquant du Christ ; gardez-vous des gens de cette sorte » (XII.1).
Et encore ce texte ne parle-t-il que de l’hospitalité individuelle entre chrétiens ! Alors, quand il s’agit de flux importants et de brassage de toutes cultures et religions, on devine que le discernement auquel appelle la Didachè est bien plus redoutable…
L’amour du prochain qui s’exprime dans l’hospitalité ne doit pas céder à l’aveuglement naïf.
C’est la difficulté – relativement récente à cause de la mondialisation et de la facilité des voyages de masse – de passer d’une morale interpersonnelle à une politique nationale, ou comme aiment à le formuler les économistes, de passer du niveau micro (micro-entrepreneurs, individus) à un niveau macro (État, relations internationales), et vice versa.
Micro/macro : comment articuler les 2 dimensions
Deux exemples d’effets pervers Prenons deux situations pour camper le problème. Deux exemples de ce que les économistes appellent un « effet pervers », ou de ce que le sociologue Max Weber appelait « le paradoxe des conséquences » [3] : un geste initialement bon au niveau micro peut se révéler finalement négatif et avoir des conséquences désastreuses lorsqu’il se généralise. Il peut y avoir des effets inattendus et non voulus (positifs ou négatifs) à des actions initialement visant initialement autre chose. La sagesse populaire sait depuis longtemps que l’enfer est pavé de bonnes intentions !
Un triste exemple : le nombre des repas distribués par les Restos du Cœur est passé de 8 millions en 1986 à … 142 millions en 2022 ! Tout se passe comme si l’État se défaussait sur les associations, sans que la pauvreté recule. L’effet pervers du caritatif est ici le désengagement de l’État…
De même, l’aide humanitaire en Afrique peut produire des effets pervers, en masquant la corruption, le manque de démocratie, l’inefficacité économique etc. La série des récents coups d’État en Afrique de l’Ouest devrait nous alerter.
Le regroupement familial (décret de 1976) pour les migrants est une mesure humaniste, dont aujourd’hui on mesure cependant aujourd’hui l’impact numérique non imaginé à l’époque.
Soigner les symptômes permet parfois aux causes de proliférer…
– L’appel d’air En matière d’immigration, l’exemple le plus connu est celui du différentiel d’assistance sociale entre deux pays. Si un pays garantit à tous ceux qui y résident la santé, l’éducation quasi gratuite, la prise en charge du chômage, des salaires minima et une qualité de vie supérieure, alors la tentation est grande pour ses voisins d’aller habiter ou travailler chez lui. Demandez aux Français frontaliers de la Suisse ou du Luxembourg qui chaque jour franchissent la frontière pour profiter des salaires suisses et luxembourgeois…
Ce qui d’un côté est une avancée sociale (niveau de vie) peut se transformer en appel d’air pour attirer des masses considérables si on attribue les mêmes droits aux étrangers, avec toutes les déstabilisations qui vont avec. Mieux les migrants sont accueillis, protégés et pris en charge dans un pays, plus cet effet d’aubaine se propage de bouche-à-oreille ailleurs, et crée un appel d’air pour immigrer dans ce pays de cocagne (ou du moins fantasmé comme tel). Et le débat est vif autour des aides accordées aux ONG secourant les migrants en Méditerranée : est-ce un cadeau fait aux passeurs ? un encouragement à traverser coûte que coûte ? …
Paradoxalement, l’aide aux migrants peut donc se retourner contre eux, en obligeant le pays à limiter sa générosité, qui n’est pas infinie.
– Les points de fixation Autre effet pervers en matière de migration : si une ville, une région, s’organise pour mieux accompagner les migrants, alors elle va naturellement susciter une concentration de migrants qui va à terme l’empêcher de continuer cette politique d’accueil. Il y a ainsi une carte de France des villes où aller quand on vient d’ailleurs, qui se croise avec la carte des membres de la famille déjà installés, ou des regroupements de nationaux s’organisant en réseaux.
Les 13 % d’étrangers officiellement comptabilisés en France métropolitaine [4] ne sont pas répartis uniformément sur le territoire : il y a des points de fixation, de la Seine-Saint-Denis à Calais, des quartiers de Marseille aux courées du Nord. La mairie de Paris disperse régulièrement des camps de migrants agglutinés autour d’un métro ou d’un terrain vague, mais la misère se reconcentre ailleurs. À l’approche des Jeux Olympiques, l’État disperse lui aussi ces populations dans toute la France, espérant diluer le problème en l’éparpillant. Mais cela créera d’autres poches d’exclusion et de misère.
À travers ces deux exemples, on voit la difficulté de passer d’une pratique individuelle : aimer son prochain, à une politique globale : accueillir les migrants. Jésus dans les Évangiles parle très peu de relations internationales, de politique budgétaire ou de contrôle aux frontières… Son enseignement se porte essentiellement sur les relations interpersonnelles. C’est à la fois une de ses forces car il s’appelle à la conscience et la responsabilité de chacun. C’est en même temps une faiblesse, car on ne voit pas un projet de société se dégager des Évangiles. La Torah juive et le Coran musulman sont au contraire de véritables systèmes théocratiques, où toute la vie sociale (économie, santé, éducation, mariage, justice etc.) doit se conformer aux prescriptions extrêmement précises des textes sacrés. Judaïsme et Islam ont pour vocation de soumettre le niveau macro à Dieu. Le christianisme – lui – fait appel à la conscience individuelle, et situe le royaume de Dieu dans le cœur de chacun, pas dans le gouvernement d’un pays.
Max Weber l’a montré avec talent : conjuguer « l’éthique de conviction » et « l’éthique de responsabilité » demeure crucifiant, mais c’est la grandeur de la responsabilité politique…
L’Esprit vous conduira vers la vérité tout entière En matière d’immigration comme pour l’économie, la politique etc., le Christ ne fixe pas de doctrine de gouvernement. Il énonce seulement le fondement du triple amour (de Dieu/soi-même/prochain) et il laisse ensuite aux disciples le soin d’inventer à chaque période de l’histoire la politique qui sera la mieux ajustée – ou la moins inadaptée – à ce principe fondateur. Il nous a fait cette promesse : « l’Esprit vous conduira vers la vérité tout entière ». Ce qu’il faut faire en matière d’immigration n’est pas écrit par avance. Pour discerner ce que l’Esprit nous invite à faire en la matière aujourd’hui, nous devrons cependant nous souvenir de notre propre expérience d’exilés, d’immigrés, « car toi-même tu as été étranger au pays d’Égypte ».
Sans aller jusqu’aux théories extrême de la submersion ou du remplacement, la prudence commande d’examiner ce qu’il est possible de faire sans mettre en danger le pays qui accueille. Sans aller jusqu’à la naïveté parfois criminelle des ultra-mondialistes, le courage demande d’inventer ce qu’il est possible de faire pour accueillir notre part de la misère du monde.
Mais quelle est donc notre mémoire d’exil ?
Quels souvenirs avons-nous de notre étrangeté en ce monde ?
Ceci est une autre histoire…
[2]. Ex 22,21.23,9 ; Lv 19,33. 34 ; Dt 10,19 ; 23,7 ; 27,19 ; Ps 146,9 etc.
[3]. « Il est une chose incontestable, et c’est même un fait fondamental de l’histoire, mais auquel nous ne rendons pas justice aujourd’hui : le résultat final de l’activité politique répond rarement à l’intention primitive de l’acteur. On peut même affirmer qu’en règle générale il n’y répond jamais et que très souvent le rapport entre le résultat final et l’intention originelle est tout simplement paradoxale » (Le savant et le politique, 1919).
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE « Si tu accables la veuve et l’orphelin, ma colère s’enflammera » (Ex 22, 20-26)
Lecture du livre de l’Exode Ainsi parle le Seigneur : « Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte. Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin. Si tu les accables et qu’ils crient vers moi, j’écouterai leur cri. Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée : vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins. Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de mon peuple, à un pauvre parmi tes frères, tu n’agiras pas envers lui comme un usurier : tu ne lui imposeras pas d’intérêts. Si tu prends en gage le manteau de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil. C’est tout ce qu’il a pour se couvrir ; c’est le manteau dont il s’enveloppe, la seule couverture qu’il ait pour dormir. S’il crie vers moi, je l’écouterai, car moi, je suis compatissant ! »
PSAUME (Ps 17 (18), 2-3, 4.20, 47.51ab) R/ Je t’aime, Seigneur, ma force. (Ps 17, 2a)
Je t’aime, Seigneur, ma force :
Seigneur, mon roc, ma forteresse,
Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite,
mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !
Louange à Dieu ! Quand je fais appel au Seigneur,
je suis sauvé de tous mes ennemis.
Lui m’a dégagé, mis au large,
il m’a libéré, car il m’aime.
Vive le Seigneur ! Béni soit mon Rocher !
Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire !
Il donne à son roi de grandes victoires,
il se montre fidèle à son messie.
DEUXIÈME LECTURE « Vous vous êtes convertis à Dieu en vous détournant des idoles afin de servir Dieu et d’attendre son Fils » (1 Th 1, 5c-10)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens Frères, vous savez comment nous nous sommes comportés chez vous pour votre bien. Et vous-mêmes, en fait, vous nous avez imités, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves, avec la joie de l’Esprit Saint. Ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et de Grèce. Et ce n’est pas seulement en Macédoine et en Grèce qu’à partir de chez vous la parole du Seigneur a retenti, mais la nouvelle de votre foi en Dieu s’est si bien répandue partout que nous n’avons pas besoin d’en parler. En effet, les gens racontent, à notre sujet, l’accueil que nous avons reçu chez vous ; ils disent comment vous vous êtes convertis à Dieu en vous détournant des idoles, afin de servir le Dieu vivant et véritable, et afin d’attendre des cieux son Fils qu’il a ressuscité d’entre les morts, Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient.
ÉVANGILE « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, et ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 34-40) Alléluia. Alléluia. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)
Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu En ce temps-là, les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » Patrick BRAUD
Il s’agit d’impôt et non de laïcité Évacuons d’emblée une lecture courante de notre célébrissime maxime de l’Évangile de ce dimanche (Mt 22,15-21) : « rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Certains commentateurs – et non des moindres – voudraient trouver dans cette phrase de Jésus le fondement d’une laïcité ‘à la française’, avec une séparation nette des deux pouvoirs, politique et spirituel.
Cette lecture apologétique est doublement anachronique :
– d’abord parce qu’à l’époque de Jésus, la question ne se pose pas. Elle est même totalement hors champ, impensable. Il est évident pour tous les peuples de l’Antiquité que le politique et le religieux sont inextricablement mêlés, inséparables. Les juifs sont persuadés que Dieu seul est au principe d’Israël : même un roi – accepté avec réticence après les Juges, car toujours infidèle – n’est que le ‘lieu-tenant’ de Dieu. Les prophètes ne cessent de lui rappeler la supériorité de la Torah sur son gouvernement.
– ensuite, parce que tout au long de 20 siècles d’histoire, les Églises n’ont jamais interprété ni vécu cette maxime selon notre conception moderne d’une laïcité à la française. Pendant les trois premiers siècles, sous les persécutions, l’Église clandestine refuse d’adorer César et de lui offrir des sacrifices. Après Constantin, elle fait alliance avec le pouvoir impérial et devient religion d’État. Point de séparation dans l’alliance du trône et de l’autel, dans la théorie féodale des trois ordres (chevaliers, prêtres, paysans), dans la monarchie de droit divin, dans la théorie de la symphonie des pouvoirs en Orient (l’aigle à deux têtes de Byzance ou de la Russie actuelle) ou dans la théorie des deux glaives de l’Occident (où le glaive religieux doit l’emporter sur le politique, comme à Canossa). Le Syllabus de 1864 résume cette longue histoire de subordination – ou au mieux de lien intime – de César à Dieu en qualifiant la liberté de conscience de « liberté de perdition », de « délire », et en condamnant la séparation de l’Église et de l’État (‘erreur’ 55). Les Églises orthodoxes sont toujours sur cette ligne. L’Église anglicane continue de couronner rois et reines du Royaume-Uni. Les protestants certes sont les plus critiques envers ces collusions, mais les évangélistes américains font tout pour soumettre les lois des États à leur interprétation de la Bible (avortement, peine de mort, homosexualité etc.) et les luthériens du nord de l’Europe continuent à être une quasi religion d’État.
Bref : notre évangile de ce jour n’est pas un débat sur la laïcité, quoi qu’en disent les Français un peu isolés dans le monde à cause de leur conception si singulière des relations Églises-État.
Le texte évangélique est on ne peut plus clair : le piège tendu à Jésus porte sur l’impôt, et non sur la séparation des pouvoirs. C’est une question très pragmatique, casuistique même comme les aiment les juifs : dois-je remplir ma déclaration d’impôts ou choisir la désobéissance civile ? Dois-je accepter le prélèvement automatique sans broncher s’il vient de l’occupant ? C’est ce qu’on appelle le consentement à l’impôt : les citoyens l’acceptent de bon cœur s’ils le trouvent légitime. Sinon ils le boycottent ou ils fraudent, et en France la fraude fiscale est un sport national…
C’est donc d’argent dont il est question.
Jésus n’a pas un sou en poche La suite de la controverse confirme que l’argent est au centre de la dispute : « Montrez-moi la monnaie de l’impôt ». Tiens : pourquoi Jésus ne sort-il pas lui-même une pièce de monnaie de sa poche ? Pourquoi est-il obligé de demander aux pharisiens et Hérodiens en face de lui ? Parce que Jésus « n’a pas une pierre où reposer la tête » (Lc 9,58). Parce qu’il a choisi de vivre littéralement sans argent sur lui, sans argent à lui. Il n’a pas un sou en poche. Car il savait qu’avoir toujours sur soi cette double image de César gravée dans l’argent finit par rendre dépendant, comme une drogue, ou plutôt comme une idole.
On finit souvent par idolâtrer ce qu’on a constamment sous les yeux, que ce soit son smartphone, sa carte bancaire, son ordinateur ou sa montre. Nos objets nous possèdent, bien plus que l’inverse. Nous finissons par ressembler à ce que nous contemplons. Si c’est une icône, elle nous conduit vers Dieu. Si c’est une idole, elle nous déshumanise et nous nous résignons à notre servitude volontaire.
Les pharisiens et les Hérodiens sont du côté du pouvoir et de l’argent : ils ont toujours leur Dieu dans la poche.
Jésus lui n’a pas un sou en poche : son Dieu est ailleurs.
Où est l’autre pièce de monnaie ? On montre à Jésus la pièce de César. Mais où donc est celle de Dieu ? Si l’on veut comparer César et Dieu, il faut comparer leurs deux monnaies, leurs deux impôts. Or le denier d’argent est à l’image (icône en grec) de César ; l’autre pièce devrait donc être à l’image de Dieu. On devine que c’est chaque personne humaine qui est la vraie monnaie de Dieu. L’effigie dont parle Jésus est l’image divine en tout homme. Car Dieu a créé l’homme à son image (icône). L’homme est l’icône de Dieu.
La seule monnaie que Jésus a toujours sur lui est l’image de Dieu, qui resplendit sur son visage en plénitude, et qu’il scrute amoureusement sur le visage de chaque rencontre. Si payer l’impôt à César est lui rendre son image, rendre à Dieu ce qui est à Dieu est alors reconnaître son image en chacun, et la laisser resplendir sur nous-même.
Voilà comment rendre à Dieu la monnaie de sa pièce : voir en chacun son icône, et servir en lui sa vocation divine.
De l’image à la ressemblance Dieu a fait l’homme à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26-27;5,1). C’est ce qui fonde son inaliénable dignité : « Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé. Car Dieu a fait l’homme à son image » (Gn 9,6). Plus exactement, le texte hébreu de Gn 1,26 écrit : וַיֹּ֣אמֶר אֱלֹהִ֔ים נַֽעֲשֶׂ֥ה אָדָ֛ם בְּצַלְמֵ֖נוּ כִּדְמוּתֵ֑נוּ וְיִרְדּוּ֩ בִדְגַ֨ת הַיָּ֜ם וּבְע֣וֹף הַשָּׁמַ֗יִם וּבַבְּהֵמָה֙ וּבְכָל־הָאָ֔רֶץ וּבְכָל־הָרֶ֖מֶשׂ הָֽרֹמֵ֥שׂ עַל־הָאָֽרֶץ׃
« Dieu dit : faisons l’homme dans (בְּ) notre image, comme (כִּ) notre ressemblance ».
L’image est donnée dès le départ, la ressemblance est une potentialité à développer. C’est la subtile différence entre « dans notre image » et « comme notre ressemblance ». Image et ressemblance : ces deux termes ne sont pas équivalents pour les Pères de l’Église. L’image est comme le sceau royal apposé au bas d’un traité. Il est scellé par le roi et garde en creux dans la cire la trace de son propriétaire. En regardant le sceau et le symbole royal qu’il porte (un lion, un lys, des armoiries etc.), on sait que le prince s’est engagé et que, même absent, il garantit sa signature. De même l’image divine en tout être humain : elle est gravée, indélébile, et nous parle en creux de Celui qui nous a façonné et qui s’est engagé pour nous. Même le pire des criminels a toujours cette image, cette icône de Dieu enfouie en lui. La vie du croyant est alors de dégager cette image de tout ce qui l’obscurcit, pour laisser resplendir la ressemblance divine. « Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8,29).
Le couple « image et ressemblance » n’est pas utilisé pour les animaux mais pour l’homme seulement. Ainsi, en Gn 5,3, après avoir dit que Dieu créa l’homme à la ressemblance de Dieu, le texte poursuit : « Adam engendra un fils à sa ressemblance, selon son image« . C’est le propre de l’humain que d’être appelé à ressembler à Dieu en engendrant la vie.
L’image divine en l’homme échappe à toute définition, mais elle peut être caractérisée comme une capacité à participer à la nature divine. Cette capacité est déjà inscrite comme « en creux » dans la nature, humaine, mais elle devient vraiment effective par la grâce du baptême. Il ne s’agit pourtant encore que d’une capacité initiale, d’un germe appelé à se développer par la coopération de notre liberté et de la grâce divine ; la « ressemblance » est le plein accomplissement de l’image, fruit de la coopération de la liberté humaine et de la grâce. Elle s’identifie avec la déification, la pleine participation aux énergies divines incréées. Elle est une participation à la filiation du Fils par nature, à la gloire du Père. Elle fait ainsi entrer l’homme dans une relation d’amour personnel et d’intimité avec les divines Personnes de la Trinité. Elle ne sera pleinement achevée que par notre résurrection corporelle au dernier jour : « Et nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit et vérité » (2 Co 3,18).
Rendre à Dieu la monnaie de sa pièce, c’est passer de l’image (innée) à la ressemblance (acquise) par l’accueil de l’amour divin.
Déjà au IV° siècle, on lisait sous la plume d’un auteur anonyme :
« L’image de Dieu n’est pas imprimée sur l’or mais sur le genre humain. La monnaie de César est d’or, celle de Dieu est l’humanité… Par conséquent, donne ta richesse matérielle à César, mais réserve à Dieu l’unique innocence de ta conscience, là où Dieu est contemplé… En effet, César a voulu son image sur chaque monnaie, mais Dieu a choisi l’homme qu’Il a créé pour refléter sa gloire » (Anonyme, Œuvre incomplète sur Matthieu, Homélie 42).
Et saint Augustin a utilisé plusieurs fois cette référence dans ses homélies :
« Si César exige sa propre image sur la monnaie, Dieu n’exigera-t-il pas que l’homme grave en lui-même l’image divine ? » (En. in Ps. Ps 94,2).
Comme l’on rend à César sa monnaie, ainsi rend-on à Dieu l’âme illuminée, reflet de la lumière de son visage… Christ, en effet, habite dans l’homme intérieur » (Ibid., Ps 4,8).
Au XVI° siècle, Saint-Laurent de Brindisi tire ce même fil : rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est passer de l’image à la ressemblance :
« Il nous faut payer à César le denier portant l’effigie et l’inscription de César, à Dieu ce qui a reçu le sceau de l’image et de la ressemblance divines: La lumière de ton visage a laissé sur nous ton empreinte, Seigneur (cf. Ps 4,7).
Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance (Gn 1,26) de Dieu. Tu es homme, ô chrétien. Tu es donc la monnaie du trésor divin, un denier portant l’effigie et l’inscription de l’empereur divin. Dès lors, je demande avec le Christ : cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? Tu réponds: « De Dieu ». J’ajoute : « Pourquoi donc ne rends-tu pas à Dieu ce qui est à lui ? »
Si nous voulons être réellement une image de Dieu, nous devons ressembler au Christ, puisqu’il est l’image de la bonté de Dieu et l’effigie exprimant son être (cf. He 1,3). Et Dieu a destiné ceux qu’il connaissait par avance à être l’image de son Fils (Rm 8,29) ».
(Hom. 22° dimanche après la Pentecôte)
Restaurer l’homme dans sa dignité d’enfant de Dieu, c’est sans doute la mission que le « bon samaritain » confie à l’aubergiste, en lui donnant deux deniers pour subvenir à la guérison du blessé sur la route (Lc 10,35). En effet, dans l’évangile de Luc, le seul autre usage du mot δηνάριον (= denarion, denier) de notre passage se trouve dans la parabole du bon samaritain. L’humanité blessée par le péché, gisant sur le bord du chemin, est défigurée. C’est le rôle de l’aubergiste (Pierre ?) et de son auberge (l’Église ?) que de lui redonner image et ressemblance d’avec Dieu, les deux deniers que le Christ lui a confiés avant de s’absenter de l’histoire…
L’inscription de César, et celle de Dieu « Cette effigie (εἰκών, eikon = icône) et cette inscription (ἐπιγραφή, épigraphe), de qui sont-elles ? » Si l’icône nous met sur la voie service de la vie divine en chaque être humain, de quoi l’inscription est-elle le nom ?
L’inscription de César renvoie clairement à la condamnation écrite du Juste innocent sur la croix. En effet il n’y a que 5 usages du mot ἐπιγραφή (épigraphe) dans le Nouveau Testament : 3 pour notre controverse sur l’impôt (Mt 22,20 ; Mc 12,16 ; Lc 20,24), et 2 pour les mots gravés sur le bois du gibet (Mc 15,26 ; Lc 23,38) : « L’inscription (ἐπιγραφή) indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots : ‘Le roi des Juifs’ » (Mc 15,26).
Rendre à César son inscription, c’est donc constater que sa condamnation est vaine, injuste, et n’aura pas le dernier mot. INRI, cet écriteau multiplié à l’infini sur nos crucifix, calvaires, tableaux et autres statues est un défi lancé à César : ‘tu as cru éliminer le Juste par la force de ton pouvoir, cet épigraphe te revient en pleine face comme un signe de victoire du condamné sur l’injustice, le mal et la mort’.
Rendre à Dieu son inscription à Lui, c’est découvrir ce qu’a gravé sur nos cœurs l’Esprit de la Loi, et non sa lettre, comme l’écrit Paul : « Dieu nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3,6).
C’est aussi agir en conscience : « la façon d’agir prescrite par la Loi est inscrite dans le cœur des païens, et leur conscience en témoigne… » (Rm 2,15).
Pour l’apôtre, c’est également offrir à Dieu des communautés vivantes et animées par l’Esprit : « De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2 Co 3,3).
Chaque être humain porte au fond de lui en filigrane ce titre royal : enfant de Dieu, et c’est vraiment rendre à Dieu la monnaie de sa pièce que de devenir pleinement ce fils/cette fille bien-aimés à qui il partage son intimité.
Par ici la monnaie ! Résumons-nous : l’enjeu de la controverse entre Jésus et les pharisiens unis aux Hérodiens concerne l’impôt, et non la laïcité. Pendant des siècles, on y a lu l’invitation à cultiver notre ressemblance d’avec Dieu plutôt que notre servitude envers César. Il s’agit de participer à la nature divine (2P 1,4), selon la parole de la Loi reprise par Jésus : « vous êtes des dieux » (Jn 10,34). Nous avançons sur la voie de cette divinisation lorsque nous désacralisons le pouvoir en lui rendant son effigie pour ne pas lui être soumis, lorsque nous combattons son injustice mortelle en lui rendant son inscription (INRI).
Nous rendons à Dieu la monnaie de sa pièce lorsque nous révélons à tout homme sa dignité en tant qu’icône de Dieu, appelé à lui ressembler toujours davantage, et lorsque nous rendons à Dieu son épigraphe, c’est-à-dire la loi d’amour gravée en nos cœurs par l’Esprit de vérité.
Ne rendez plus la monnaie comme avant…
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE « J’ai pris Cyrus par la main pour lui soumettre les nations » (Is 45, 1.4-6)
Lecture du livre du prophète Isaïe Ainsi parle le Seigneur à son messie, à Cyrus, qu’il a pris par la main pour lui soumettre les nations et désarmer les rois, pour lui ouvrir les portes à deux battants, car aucune porte ne restera fermée : « À cause de mon serviteur Jacob, d’Israël mon élu, je t’ai appelé par ton nom, je t’ai donné un titre, alors que tu ne me connaissais pas. Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre : hors moi, pas de Dieu. Je t’ai rendu puissant, alors que tu ne me connaissais pas, pour que l’on sache, de l’orient à l’occident, qu’il n’y a rien en dehors de moi. Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre. »
PSAUME (Ps 95 (96), 1.3, 4-5, 7-8, 9-10ac) R/ Rendez au Seigneur la gloire et la puissance. (Ps 95, 7b)
Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !
Il est grand, le Seigneur, hautement loué,
redoutable au-dessus de tous les dieux :
néant, tous les dieux des nations !
Lui, le Seigneur, a fait les cieux.
Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.
Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis.
Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté :
tremblez devant lui, terre entière.
Allez dire aux nations : « Le Seigneur est roi ! »
Il gouverne les peuples avec droiture.
DEUXIÈME LECTURE « Nous nous souvenons de votre foi, de votre charité, de votre espérance » (1 Th 1, 1-5b)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens Paul, Silvain et Timothée, à l’Église de Thessalonique qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus Christ. À vous, la grâce et la paix. À tout moment, nous rendons grâce à Dieu au sujet de vous tous, en faisant mémoire de vous dans nos prières. Sans cesse, nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ, en présence de Dieu notre Père. Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu, vous avez été choisis par lui. En effet, notre annonce de l’Évangile n’a pas été, chez vous, simple parole, mais puissance, action de l’Esprit Saint, pleine certitude.
ÉVANGILE « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 15-21) Alléluia. Alléluia. Vous brillez comme des astres dans l’univers en tenant ferme la parole de vie. Alléluia. (Ph 2, 15d.16a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu En ce temps-là, les pharisiens allèrent tenir conseil pour prendre Jésus au piège en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode : « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. Alors, donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? » Connaissant leur perversité, Jésus dit : « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Montrez-moi la monnaie de l’impôt. » Ils lui présentèrent une pièce d’un denier. Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » Ils répondirent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Patrick BRAUD
Une fois n’est pas coutume, nous reproduisons ici l’excellente prédication du Pasteur Louis Pernot du 17/06/2018, de l’Église protestante Unie de l’Étoile (75017, Paris), qui parcourt les différentes interprétations possibles de la parabole de ce dimanche (Mt 22,1-14) [1].
La parabole des noces est particulièrement difficile, il y est question de gens égorgés pour avoir refusé l’invitation du maître, et dans la version de Matthieu se trouve la difficile question du cas du pauvre invité qui n’avait pas d’habit de noce à se mettre et qui se trouve chassé dehors. Comme pour toute parabole, il n’y a pas une seule explication, mais une multitude, et on peut donc en présenter quelques-unes.
Lecture historique La première est une lecture historico-critique, c’est celle que l’on trouve le plus souvent dans les commentaires protestants d’aujourd’hui, et c’est peut-être la moins intéressante. Elle consiste à replacer la parabole dans le contexte dans lequel elle a été écrite (certains pensant même qu’elle ne serait pas l’œuvre du Christ, mais d’un rédacteur postérieur issu d’une des premières communautés chrétiennes). On se trouvait donc dans une situation historique de conflit entre les juifs et les chrétiens qui ouvraient leurs portes aux non juifs. Ainsi on verrait Dieu qui inviterait d’abord les juifs dans son programme de salut lié au Christ qui est l’époux, mais ceux-ci ne voulant pas, finalement, Dieu les renvoie dans leurs ténèbres et ouvre le Royaume aux païens.
Peut-être est-ce juste, mais cela n’a aucun intérêt herméneutique pour nous aujourd’hui. Nous ne sommes plus dans cette situation, et cette lecture ne peut donner aucun sens à notre vie. Il faut donc la laisser aux historiens s’ils en veulent.
Lecture sociale Dans les années 70, il y a eu une mode de chercher dans l’Évangile des leçons de politique. On a alors pu faire une lecture sociale de cette parabole. Cette lecture pour séduisante qu’elle peut être est encore plus dangereuse que la précédente parce qu’elle semble donner du sens. Le banquet est alors vu comme l’image d’un pays, d’une société. Tout le monde y est bienvenu, il n’y a pas de mérite à faire partie d’un pays et il ne doit pas y avoir d’examen d’entrée, tout le monde étant accueilli, « méchants et bons ». Cela fait plaisir à ceux qui ont une sensibilité de gauche, mais les autres se réjouiront de la fin : l’invité qui est renvoyé parce qu’il n’avait pas d’habit de noces nous montre que ce n’est pas le tout d’être accueilli, il faut encore respecter les modes de vies et les manières de la société dans laquelle on prétend être, il faut en respecter le codes, sinon on s’exclue soi-même ; on ne peut pas profiter d’un pays sans en suivre les règles et les normes sociales. Cette histoire de vêtement risque de résonner particulièrement dans notre société actuelle où se pose la question du port du voile islamique, et tendrait alors à dire qu’il ne faudrait pas le tolérer.
Mais ce genre de lecture est malhonnête, elle consiste à faire dire au texte ce qu’il ne veut pas dire. Les problématiques sociales ou politiques sont différentes, les contextes ne sont pas les mêmes, il ne faut pas instrumentaliser la Bible pour la mettre au service de ses propres convictions politiques.
Lecture ecclésiologique Dans les débuts du christianisme, les Pères de l’Église faisaient, eux, de cette parabole une lecture ecclésiologique. Ce banquet de noces était vu comme une image de l’Église rassemblant des fidèles autour du Christ qui est l’époux. Se pose alors la question de savoir qui peut faire partie de l’Église. A priori, Dieu préférerait que ce soit les justes. Mais comme tous ne veulent pas faire partie de l’Église alors il invite largement « méchants et bons ». La condition d’appartenance à l’Église n’est donc pas un jugement moral ou sur les œuvres, mais simplement de se sentir appelé. C’est ainsi que l’Église n’est pas une communauté de purs, mais un corpus permixtum selon l’expression de saint Augustin : un corps mélangé de bons et de mauvais. Mais on voit que bon ou mauvais, il y a une seule condition pour être accepté dans l’Église : revêtir le vêtement de noces, habit que les Pères de l’Église regardaient comme étant le vêtement blanc du baptême. Ainsi pour eux, tout le monde est appelé à faire partie de l’Église, bons et mauvais, et pour en faire partie, il faut être baptisé.
Lecture apocalyptique On en arrive alors à une lecture que l’on pourrait appeler apocalyptique, ou eschatologique, c’est-à-dire où l’enjeu ne serait non pas l’appartenance à l’Église comme institution ou société, mais d’être accueilli dans le Royaume de Dieu, d’avoir la chance d’être dans la présence de Dieu, et ainsi de trouver cette joie, cette communauté chaleureuse et nourrissante réunie autour du maître pour participer à une fête donnant plénitude, bonheur et communion fraternelle.
Cette présentation du Royaume comme un banquet de noces est déjà en soi une affirmation importante : Dieu ne nous demande pas des privations, des renoncements, des souffrances pour mériter d’être accueilli par lui, mais simplement d’accepter de venir, et sa présence est ensuite une fête.
C’est certes une bonne nouvelle mais cela peut aussi nous interroger sur notre vie spirituelle : est-ce que la religion, la foi dans notre, vie sont vécues comme des pensum, des obligations, des contraintes ? La vérité c’est que la foi dans notre vie doit être non pas de l’ordre du devoir, mais comme une source de joie extraordinaire.
Reste donc la question de savoir comment accéder à cette joie extraordinaire d’être dans cette fête qui est la présence de Dieu, quelles sont les conditions pour en faire partie ?
Il ne faut pas aller trop vite dans l’universalisme, certes, à la fin tout le monde est invité, mais on voit au début que Dieu privilégie tout de même ceux qui sont les plus proches de lui. Il y en a tout certains qui sont invités avant les autres : ceux sans doute qui ont une vie plutôt bien réglée, ou qui sont, culturellement, familialement ou traditionnellement proches de la religion, de la foi ou de Dieu. Mais la parabole nous montre ce que nous observons souvent, c’est que ceux qui sont a priori les plus baignés dans la foi chrétienne en négligent souvent les dons et n’en reconnaissent pas les merveilles, ils les méprisent ou les sous-estiment, tout cela leur semblant ordinaire. Tant pis pour eux, ils s’excluent eux-mêmes de la joie du Royaume. Pour en bénéficier, il ne suffit pas d’être d’une famille chrétienne, il faut vouloir soi-même s’extraire un temps de son activité, de son commerce, de ses loisirs pour aller concrètement dans la présence de Dieu, prendre conscience de la chance d’être invité et entrer dans la noce.
Ce problème de notre temps était donc déjà celui du temps de Jésus et c’est pourquoi il fustige souvent les pharisiens, professionnels de la pratique religieuse, incapables de voir la joie que peut donner la grâce de Dieu, et il leur dit ainsi : « beaucoup de prostitués et de péagers vous devanceront dans le royaume de Dieu… ». Parce que ces pécheurs, eux, ils sont capables de recevoir et ils savent que Dieu a beaucoup à leur donner. La parabole va même très loin, puisqu’elle dit que ceux qui avaient le plus de raisons d’être invités en premier finalement n’étaient « pas dignes » de ce banquet. Ainsi la seule dignité que nous pouvons avoir n’est pas notre mérite personnel ou notre bonne situation, sociale ou religieuse, notre bonne pratique, mais la disponibilité par rapport à Dieu, accepter de recevoir quelque chose de lui. La joie du Royaume ne vient pas de nos propres mérites, mais de notre capacité à nous ouvrir à ce que Dieu nous donne par grâce. C’est une révolution absolue dans la manière de voir la valeur spirituelle de notre vie.
Maintenant les punitions… Cela dit les punitions du verset 7 semblent montrer un Dieu tout à fait éloigné de l’image de bonté et de grâce que nous avons. Mais comme souvent, quand la Bible nous montre ainsi ce qui semble des punitions divines, il faut comprendre qu’il s’agit plutôt de mises en garde concernant les conséquences de certains comportements ou façons d’être ou de penser, conséquences inévitables plutôt que punitions rageuses d’un Dieu jaloux. La vérité, c’est que celui qui refuse la joie qu’on lui propose se condamne lui-même à la tristesse. Dieu veut accueillir tout le monde dans sa présence, mais celui qui refuse de répondre à cet appel, évidemment que Dieu ne le fera pas venir de force. Celui qui refuse la vie éternelle pour ne rester que dans une sorte d’égoïsme animal n’est pas tué par Dieu, mais restant dans le règne animal mourra comme un animal qu’il est. Et n’être mû que pas son propre intérêt pour ses activités matérielles, son plaisir, refusant d’entrer en relation avec d’autres, même sans utilité, pour le simple plaisir de la relation, ne permet pas de construire une « ville ». Une société ne peut pas tenir uniquement sur des motivations utilitaires et égoïstes. Il y a là quelque chose d’infiniment vrai dans l’avertissement des conséquences du refus de prendre part au banquet.
Et le plus gros problème : le vêtement de noces. Mais par contre, il semble plus difficile de défendre l’attitude du maître qui après avoir invité tout le monde renvoie dehors le convive ne possédant pas l’habit de noces. On imagine l’injustice vis-à-vis de ce pauvre hère ramassé sur les chemins et n’ayant pas les moyens de se payer un habit correct. Si c’était pour le mettre dehors, le maître aurait mieux fait de ne pas l’inviter du tout.
Il y a cependant une explication assez simple que l’on entend parfois. Il paraît que le vêtement de noces était prêté par l’hôte à ses invités. Les gens venaient en effet de loin, et arrivaient souvent à pieds avec un vêtement de voyage poussiéreux, et à l’entrée de la salle des noces, il y avait donc un vestiaire où l’on offrait un vêtement de noces à chaque invité entrant dans la salle. Ainsi ce n’est pas que le convive n’avait pas eu les moyens de s’offrir un bel habit, mais il a refusé le cadeau qui lui était offert à l’entrée. Ou plutôt il a refusé de jouer le jeu de la noce, alors même que cela ne lui coûtait rien.
Ce convive représente donc le mauvais usage de la grâce : il voulait profiter simplement, mais en gardant une distance et sans s’associer à la logique du banquet qui était celle de la grâce. On reproche ainsi parfois à la théologie de la grâce des protestants d’être un peu trop facile : si tout est pardonné, si nous sommes acceptés sans condition, alors chacun peut faire n’importe quoi. Mais ce n’est pas la conception de la grâce proposée par l’Évangile, et ce n’est pas celle que nous prêchons. La grâce n’est pas un laxisme permettant de faire n’importe quoi, c’est une logique dans laquelle il faut entrer. Certes, chacun est bienvenu et accueilli, mais pour rester dans cette grâce et qu’elle devienne efficace, il faut vouloir la revêtir, en faire son habit, la montrer comme recouvrant notre vie imparfaite, en faire son identité, le cœur de sa vie, sa logique d’existence.
On ne peut pas prendre qu’une partie de la grâce, (comme le convive qui se contente d’être content de manger gratuitement au banquet), la grâce est un cadeau formidable, mais on ne peut pas en profiter indéfiniment pour faire n’importe quoi. Elle ne devient efficiente et on ne peut y rester que si on l’accepte pour qu’elle devienne une part de nous-mêmes. Il faut accepter de changer de vêtement, dépouiller le vieil homme pour revêtir l’homme nouveau. (Ep 4,17-24). Il n y a aucune condition pour pouvoir faire cela, aucun mérite demandé, il faut simplement le vouloir.
Problème du vêtement offert : un peu facile. L’explication par le vêtement offert est séduisante, mais elle a des défauts. D’abord, les prédicateurs se la repassent comme une aubaine, mais personne ne dit d’où cela vient, ni n’est capable de citer une source, un texte antique expliquant cela. Peut-être est-ce vrai, mais cela sème le doute. Cette explication ne serait-elle pas trop plaisante pour être vraie ? Et d’ailleurs elle est dommage : elle ramollit le texte en le rendant facile et plausible. Or peut-être que précisément la difficulté du texte est intéressante. C’est tout de même souvent le cas dans la prédication du Christ, et on pourrait se demander si justement ce qui est dit là, c’est que le roi demande à son hôte quelque chose d’impossible pour lui.
On peut alors trouver plusieurs solutions. La première se trouve en regardant bien le texte. Le maître en effet voit l’hôte sans vêtement de noces, et ce n’est pas pour ça qu’il le met dehors : il lui parle, il lui dit : « mon ami, pourquoi n’as-tu pas de vêtement de noces ? ». Il n’y a aucune hostilité, au contraire, il l’appelle « ami » ce qui n’est pas rien. Et le texte dit qu’il ne répondit rien. C’est alors qu’il est mis dehors. L’hôte n’est donc pas mis dehors parce qu’il n’avait pas le bon vêtement, mais parce qu’il n’a pas parlé au maître. C’est cela qui est grave, certes il n’était pas parfait, ce qui peut être une image du péché, mais aucun de nous n’est parfait, ce qui est grave, c’est qu’il n’ait rien dit. Il aurait pu demander pardon. Personne ne nous reproche d’être imparfait, mais il faut avoir conscience de sa pauvreté, la reconnaître, la « confesser », ce qui veut dire la dire publiquement à Dieu et aux hommes. Dieu ne nous demande pas d’être sans péché, mais simplement d’accepter de rester en relation avec lui par la parole. Refuser de répondre, c’est se couper de Dieu, or c’est la relation avec Dieu qui nous sauve, c’est la parole qui s’échange entre Dieu et nous qui permet de dépasser toute notre imperfection et notre péché.
Une deuxième solution consiste à se rappeler qu’il ne s’agit pas d’une histoire vraie, mais d’une parabole, c’est-à-dire d’une comparaison. Dans la réalité, on sait bien qu’un pauvre n’a pas forcément les moyens de s’acheter un bel habit, mais là il ne s’agit pas de vêtement matériel, mais d’habit spirituel. Or tout le monde, quelle que soit sa richesse matérielle, peut s’habiller spirituellement pour rencontrer Dieu. Pour être dans la joie de la présence de Dieu, il faut s’habiller le cœur, il y a une démarche spirituelle pour essayer, tant que possible, d’élever son âme à Dieu. Ça c’est possible pour tous. Celui qui ne veut faire aucun chemin vers Dieu, mais juste se dire qu’il peut en profiter sans aucune démarche personnelle risque fort de ne pas comprendre la richesse de la grâce.
Revêtir un vêtement de noces pour rencontrer Dieu, c’est spirituellement ne pas rester en vêtement de travail, ou de voyage, mais s’habiller seulement pour la fête, pour Dieu. C’est le sens aussi du Sabbat : il faut garder du temps pour Dieu seul et ne pas toujours et sans cesse travailler, sinon on risque de passer à côté de Dieu. Il faut que dans sa vie on ne soit pas toujours en vêtement de travail, ou même en vêtements ordinaires, mais qu’on mette parfois un beau vêtement pour ne rien faire et juste se présenter devant Dieu, garder un temps pour entrer en relation avec Dieu pour la joie et la fête. Et cela n’est pas une question d’habit matériel donc, mais de disposition mentale et spirituelle, c’est possible à tous, et même aux plus pauvres.
L’Église d’une certaine manière concrétise cela, c’est un lieu où l’on va pour se reposer du chemin que l’on parcourt, ou du travail que l’on accomplit, juste pour savourer la joie et le bonheur d’être avec des frères et des sœurs. L’Église comme lieu de la présence de Dieu est un lieu de ressourcement, d’altérité par rapport au quotidien où l’on s’ouvre à l’extraordinaire. Et dans la présence de Dieu chacun est comme une mariée ou un marié à la noce, entouré de joie, de fête, d’amitié, de tendresse et d’amour. « Venez dit le Seigneur… car tout est prêt ! »
PREMIÈRE LECTURE « Le Seigneur préparera un festin ; il essuiera les larmes sur tous les visages » (Is 25, 6-10a)
Lecture du livre du prophète Isaïe Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple. Le Seigneur a parlé. Et ce jour-là, on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! » Car la main du Seigneur reposera sur cette montagne.
PSAUME (Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6) R/ J’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. (Ps 22, 6cd)
Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.
DEUXIÈME LECTURE « Je peux tout en celui qui me donne la force » (Ph 4, 12-14.19-20)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens Frères, je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance. J’ai été formé à tout et pour tout : à être rassasié et à souffrir la faim, à être dans l’abondance et dans les privations. Je peux tout en celui qui me donne la force. Cependant, vous avez bien fait de vous montrer solidaires quand j’étais dans la gêne. Et mon Dieu comblera tous vos besoins selon sa richesse, magnifiquement, dans le Christ Jésus. Gloire à Dieu notre Père pour les siècles des siècles. Amen.
ÉVANGILE « Tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce » (Mt 22, 1-14) Alléluia. Alléluia. Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu En ce temps-là, Jésus se mit de nouveau à parler aux grands prêtres et aux pharisiens, et il leur dit en paraboles : « Le royaume des Cieux est comparable à un roi qui célébra les noces de son fils. Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir. Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités : ‘Voilà : j’ai préparé mon banquet, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez à la noce.’ Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et incendia leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : ‘Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.’ Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives. Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce. Il lui dit : ‘Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?’ L’autre garda le silence. Alors le roi dit aux serviteurs : ‘Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.’ Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. » Patrick BRAUD