L'homélie du dimanche (prochain)

9 mars 2025

Quel est votre cercle rapproché ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quel est votre cercle rapproché ?

 

Homélie pour le 2° Dimanche de Carême / Année C
16/03/25


Cf. également :

L’alliance entre les morceaux
Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor
Compagnons d’éblouissement
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Le sacrifice interdit
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
En descendant de la montagne…

 

1. Suis-je vraiment de tes amis proches ?

J’ai le bonheur d’avoir quelques amis avec qui on se suit depuis plus de 40 ans ! Depuis les années étudiantes où nous refaisions le monde dans d’interminables discussions arrosées, enthousiasmés par les idéaux de l’époque, prêts à tout pour les choix fondamentaux à faire ou juste faits : le couple, le métier, les engagements politiques, religieux, associatifs etc. Les années ont apporté pour chacun leur lot de drames et de joies, et nous avons continué à les partager, même éloignés par des centaines de kilomètres. 

Quel est votre cercle rapproché ? dans Communauté spirituelle affiche-citation-chez-nousNous connaissons tous de ces liens qu’il suffit de raviver une fois par an pour continuer comme si on s’était quitté la veille ! Loin de la banale superficialité des échanges quotidiens, ces amis-là provoquent à être vrais, à dire les choses, à aller à l’essentiel. Dispersés aux quatre coins de la France, même si un fils WhatsApp, des mails et des coups de fil maintiennent le lien, il faut quand même se voir en physique de temps à autre pour nourrir l’amitié ! On prévoyait un de ces rendez-vous avec un groupe d’amis intimes, lorsque l’un d’entre nous écrivit : « Nous avons mauvaise conscience de faire tant de kilomètres, ou pire encore de prendre l’avion, de dépenser beaucoup d’argent pour nos retrouvailles. On le fait déjà pour nos enfants qui habitent à l’étranger. Notre engagement social et écologique nous oblige à nous limiter, même pour vous ». Le choc fut double : découvrir que nous ne faisions peut-être pas partie en réalité du premier cercle des priorités de nos amis, alors que nous les avons inclus dans les nôtres. Et découvrir qu’au nom de principes tout à fait respectables ils étaient prêts à remettre en cause nos retrouvailles régulières. Une certaine radicalisation idéologique en fait, où les amis passent après les convictions…

 

Suis-je vraiment ton ami proche ? 

Si oui, tu seras prêt à sacrifier de ton temps, de ton argent, voire de tes principes, pour me rejoindre tel que je suis. Si non, le temps fera son œuvre d’éloignement, et notre lien se relâchera, invisiblement. Nous avons ainsi tous des amis avec qui nous avons été très proches autrefois, et qui ont disparu de nos yeux, presque sans s’en rendre compte, sans que cela nous manque vraiment. À l’inverse, le tamis du temps qui passe a filtré quelques-uns, que la confiance, les confidences, l’affection et la volonté de se retrouver nous rend indispensables, même éloignés.

 

2. The inner circle : Pierre, Jacques et Jean

Faites la carte des personnes que vous fréquentez. Il y a le large cercle de celles qu’on peut appeler des ‘relations’, des gens que l’on croise régulièrement et avec qui les contacts sont agréables, sympathiques : des collègues de travail, des voisins, des connaissances. 

Puis il y a des cercles d’intérêt, où nous partageons des activités, des hobbys, des passions  communes : un club de sport, une chorale, un groupe de tarot ou de bridge, une association etc. 915VI3gEftL._SL1500_ Douze dans Communauté spirituelleLes échanges y sont forcément plus qualitatifs, car l’intérêt partagé sert de plate-forme, de dénominateur commun. 

Il y a ensuite le cercle des familiaux : certains sont très proches bien sûr, d’autres assez lointains finalement. Autrefois, c’était le lien de ressourcement principal. Avec l’éclatement des familles – tant affectivement que géographiquement – peu de gens finalement peuvent affirmer que les familiaux sont tous des proches : certains oui, d’autres non. Un tiers des personnes âgées disent éprouver un sentiment de solitude, et se disent abandonnées, de leur famille d’abord.


Heureusement, il y a un autre cercle, celui que les anglophones appellent the inner circle : le cercle des intimes. C’est d’ailleurs le titre d’un film tourné après la chute du Mur de Berlin, retraçant l’histoire vraie du projectionniste privé de Staline, introduit dans le cercle rapproché du dictateur par ce biais. Il projette des films pour Beria, le patron du KGB, pour Staline et ses intimes. Il est fasciné par ce petit cercle restreint dont il fait désormais partie, au grand dam de sa femme qui prendra sous son aile une fillette juive orpheline à protéger de la déportation au goulag. De qui Ivan, notre projectionniste, est-il le plus proche ?…


Symétriquement, il y a dans les Évangiles un autre cercle rapproché, vertueux celui-là. Pierre, Jacques et Jean émergent en effet du groupe des Douze, comme the inner circle de Jésus. Dans l’Évangile de la Transfiguration de ce dimanche (Lc 9,28-36), on devrait par exemple s’étonner que Jésus ne prenne avec lui que ces trois-là pour monter au Thabor !

« Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier ».

Pourquoi pas les Douze ? À quoi rime cette sélection ?

  •  JacquesUne première réponse tient dans la liberté de Jésus : il appelle « qui il veut » (Mc 3,13) ! C’est son choix d’associer Pierre, Jacques et Jean – et eux seulement - à son éblouissement au Thabor. Respecter la liberté du choix de nos amis lorsqu’ils se choisissent des plus proches que nous est ainsi la première marque de respect que nous leur devons. En retour, assumons nous-même cette liberté de choix de quelques-uns pour les associer de plus près à ce qui est important pour nous. On ne peut pas être ami intime avec tout le monde, ayons le courage de choisir…
  • Une deuxième interprétation serait plus symbolique. 

Pierre représente la foi, forte et tranchante : « Tu es le Messie, le fils de Dieu » (profession de foi de Pierre à Césarée, Mt 16,16), qui entraîne le reste du groupe des Douze. 

Jacques représente les œuvres, la nécessité d’allier le social et le spirituel, l’éthique et la foi (« Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi » Jc 2,18). Son épître est considérée comme un des joyaux de la Doctrine sociale de l’Église, fustigeant les riches et leur soif de richesses, et les inégalités dans la communauté. 

Jean représente plutôt une tradition mystique, contemplative et spirituelle, où l’amour joue le premier rôle (le mot amour ἀγάπη = agapê est utilisé 30 fois chez Jean, dont 18 fois dans la seule première lettre de Jean).

La foi et les œuvres, dans l’amour : notre trio incarne ainsi les trois colonnes de l’Église (Ga 2,9), sur lesquelles on peut s’appuyer solidement pour bâtir le Corps du Christ transfiguré.

  • Une troisième réponse pourrait venir de la stratégie de diffusion de l’Évangile que Jésus a choisie. 

- Un peu comme un caillou crée des vagues concentriques en tombant dans l’eau, Jésus sait bien qu’il ne peut s’adresser directement aux foules sans médiations, ni tout le temps. Il faut des relais, des intermédiaires. 

- Déjà, il distingue les disciples des foules, vers lesquelles ils sont envoyés. Il les nourrit avec des paraboles, des miracles, des enseignements destinés à un grand nombre. 

- Au sein de ses disciples, Jésus en choisit 70 (comme Moïse au désert) pour être l’avant-garde évangélisatrice. Il les envoie deux par deux, les débriefe au retour de leur mission, et compte sur eux pour la suite. 

- Mais 70, c’est encore trop de monde pour avoir de vraies relations personnelles, intimes. Alors il appelle les Douze, à qui il va se confier plus particulièrement, en leur expliquant les paraboles en privé, en mangeant et buvant avec eux, en les emmenant sur les chemins poussiéreux de Palestine avec lui. Ce petit groupe est à taille humaine pour un manager comme Jésus. Il correspond au Comité de Direction (Codir), Comité exécutif (Comex) ou autre petit groupe de Direction associé de très près à la gouvernance d’un PDG ou d’un directeur de service ou de magasin. 

jean-et-jacques-rapportent-a-pierre-leur-rencontre-avec-le-messie Jean- Parmi ces Douze, Jésus ressent le besoin d’aller encore plus loin avec trois d’entre eux. Parce qu’un leader seul devient vite tyrannique, il a besoin d’un cercle restreint avec qui il est en confiance. L’attention particulière que Jésus a accordée à Pierre, Jacques et Jean faisait partie de la stratégie de leadership de Jésus. Plutôt que d’essayer de développer une large portée pour son ministère en solo, Jésus a évité la popularité et s’est concentré sur la véritable profondeur et l’impact à long terme. 

Pour en faire ses intimes, Jésus fera de ces trois-là les témoins privilégiés de la résurrection de la fille de Jaïre (Lc 8,51), de l’annonce  de la destruction du Temple – avec André – (Mt 13,3–4), de sa Transfiguration sur le Mont Thabor (Lc 9, 28-36), et de sa défiguration sur la colline de Gethsémani (Mc 14,33). Ils auront ainsi les clés pour déchiffrer le scandale la croix : Jésus est bien le Seigneur de gloire (Transfiguration) qui par amour va accepter d’être humilié (Gethsémani) jusqu’à la croix, mais dont la résurrection sera la nôtre (fille de Jaïre) et annonce un culte nouveau (destruction du Temple).

Aurait-il pu initier les Douze à ce degré d’intimité avec lui ? Peut-être ; sans doute. Mais il ne faut pas rêver : être vraiment intime avec quelqu’un, cela se compte sur les doigts d’une main…

- D’ailleurs, Jésus choisira Pierre parmi les trois pour être le rocher du nouveau Temple à venir. La responsabilité ultime ne peut être collective uniquement : elle réclame un visage, un nom, quelqu’un, et pas seulement un groupe. Pierre incarnera la dimension personnelle de l’autorité de l’Église, les Douze l’autorité collégiale, et les disciples l’autorité communautaire

Un/quelques-uns/tous : le triptyque est essentiel à la diffusion du message, pour éviter de le personnaliser à outrance comme de le dissoudre dans un collectif anonyme.


– Terminons notre carte relationnelle en mentionnant que le cercle initial est le cercle de Jésus lui-même. Jésus est à lui-même son cercle premier. Le premier à être évangélisé doit être l’évangélisateur lui-même, sinon il annonce un message extérieur à qui il est. « Medium is message », dira plus tard Mac Luhan (théoricien des médias). Jésus prend grand soin de son évangélisation intérieure : il rumine la Parole de Dieu dont il connaît beaucoup de passages par cœur. Il se réserve des temps de solitude pour prier, à l’écart. Il demeure seul au désert 40 jours en préparation de ses années publiques. Il dialogue sans cesse avec son Père pour recevoir de lui seul son identité, sa mission, son pouvoir, pour rester fidèle à sa mission.
Le leader à la manière de Jésus commencera par se manager lui-même, en cohérence avec ce qu’il demande aux autres. Négliger ce cercle initial serait s’exposer à l’incohérence et l’inconsistance…

 

On peut schématiser ainsi les 7 niveaux de la stratégie de Jésus en matière d’évangélisation :


The inner circle of Jesus
 

 

3. Quelle sera votre cercle rapproché ?

La question m’est alors posée : de qui est composé chaque cercle en ce qui me concerne ? Qui peut jouer pour moi le rôle de Pierre, Jacques et Jean ? 

Quel est mon cercle restreint, the inner circle à qui je réserve mes larmes, mes enthousiasmes, avec qui je partage et relis les événements qui me touchent de près ?

En entreprise, c’est la question de la solitude des dirigeants et managers : quels sont les deux ou trois avec qui aller plus vite et plus loin que les autres, légitimes par ailleurs ? D’une manière générale, c’est la mise en place et la gestion des 7 cercles de relations qui me nourrissent, en insistant sur les quelques-uns avec qui je suis vraiment intime : le premier cercle, the inner circle, le cercle restreint, le cercle rapproché, le cercle des intimes.

 

Qui sont vos trois ?

Quelles sont les trois personnes dans votre vie (votre travail, vos responsabilités diverses) dans lesquelles vous investissez intentionnellement et stratégiquement plus que les autres ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
Le Seigneur conclut une alliance avec Abraham, le croyant (Gn 15, 5-12.17-18)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, le Seigneur parlait à Abraham dans une vision. Il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage. » Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que je l’ai en héritage ? » Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. » Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les cadavres, Abram les chassa. Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »

Psaume 
(Ps 26 (27), 1, 7-8, 9abcd, 13-14)
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut.
 (Ps 26, 1a)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N’écarte pas ton serviteur avec colère :
tu restes mon secours.

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

Deuxième lecture
« Le Christ transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Ph 3, 17 – 4, 1)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Frères, ensemble imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons. Car je vous l’ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant : beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Ils vont à leur perte. Leur dieu, c’est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne pensent qu’aux choses de la terre. Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection, vous, ma joie et ma couronne, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.

Évangile
« Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre » (Lc 9, 28b-36)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
 De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » 
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.
Patrick BRAUD

 

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5 août 2023

L’icône de la Transfiguration

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 13 h 00 min

L’icône de la Transfiguration

Homélie pour le dimanche de la Fête de la Transfiguration du seigneur / Année A
06/08/2023

Cf. également :
À l’écart, transfiguré
Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor
Compagnons d’éblouissement
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
La vraie beauté d’un être humain
Figurez-vous la figure des figures
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Dieu est un trou noir

Theophane le Grec Icone de la transfigurationLa Transfiguration fait partie de ces quelques récits évangéliques (Nativité, Épiphanie, Baptême, Transfiguration, Passion, Résurrection) qui reviennent tous les ans dans la liturgie, à la différence des autres qui ne sont lus que tous les trois ans.
C’est le signe de l’importance exceptionnelle que l’Église lui accorde. Nous lui avons déjà consacré 9 homélies !
Une fois n’est pas coutume, méditons sur le sens de ce dimanche de fête avec l’icône officielle de la Transfiguration.
Cette icône est attribuée à Théophane le Grec, iconographe byzantin - fin du XIV° début du XV° siècle -. Parmi ses icônes les plus célèbres, notons la Vierge de la Déisis de l’église de l’Annonciation au Kremlin de Moscou et celle de la Transfiguration. Il travailla entre autres à Constantinople et à Moscou et développa l’École de peinture d’icônes de Novgorod. Il fut le maître de l’iconographe russe Andrei Roublev (1365-1430) connu pour son icône de la Trinité.

Le plan général de l’icône
On distingue nettement 3 étages horizontaux (rectangles verts sur l’image) :

Theophane le Grec Icone de la transfiguration 2– Le premier étage, en haut, comprend 3 personnages : Élie à gauche, Jésus au centre, Moïse à droite (reconnaissable aux tables de la Loi qu’il a en main). On est là visiblement au ciel, dans la gloire de Dieu marquée par la couleur or, les auréoles de sainteté, et la blancheur éclatante des vêtements de Jésus.
Élie et Moïse ne sont pas nécessaires à l’icône, mais sont en quelque sorte en surimpression de la scène, pour lui donner un autre sens encore : l’accomplissement de la Loi et des Prophètes.

 

– L’étage intermédiaire dépeint 3 montagnes : l’une, centrale, sous les pieds de Jésus, est de couleur terreuse et descend jusqu’en bas. C’est le mont de de la Transfiguration (le Thabor ou l’Hermon, selon les traditions). Les 2 autres montagnes sont de couleur ocre, sous les pieds d’Élie (le mont Horeb) et de Moïse (le mont Sinaï), afin de marquer qu’elles appartiennent à d’autres scènes que celle du Thabor.
Cet étage fait la jonction entre les 2 mondes. Comme dans une bande dessinée, dans l’anfractuosité de la montagne d’Élie, on voit Jésus qui emmène ses 3 disciples en haut de la montagne centrale ; et dans l’anfractuosité de la montagne de Moïse, on voit Jésus redescendre toujours en guidant ses 3 disciples.
L’ensemble du récit de la Transfiguration est ainsi reconstitué : il faut gravir le Mont Thabor, puis en redescendre, sans s’arrêter au milieu !

Au milieu de cet étage intermédiaire il y a des ouvertures, des failles dans le rocher de la montagne sur laquelle est Jésus, et de ces 2 fissures jaillissent 2 arbres verts et feuillus : la Transfiguration est l’annonce d’un monde nouveau, d’une nouvelle Création qui concerne tout l’univers, où les rochers stériles fleurissent ! C’est le même procédé qu’utilise Matthieu dans son récit de la résurrection de Jésus en mentionnant que les rochers se fendirent et que la terre trembla.

 

– L’étage du bas est celui des 3 disciples ; il est le miroir en quelque sorte de l’étage du haut avec ses 3 personnages célestes, autour de l’axe de symétrie que constitue l’étage intermédiaires des 3 montagnes.
Pierre est à gauche, qui se protège le regard de sa main gauche pour ne pas être aveuglé par la lumière émanant du Christ. Avec lui, l’Église garde les yeux fixés sur le Christ éblouissant de beauté.
Jean est au centre, retourné vers nous, méditant la scène en se tenant le visage avec son menton. Avec lui, l’Église reste contemplative et stupéfaite.
Jacques est à droite, il semble fuir, le dos tourné lui aussi. Avec lui, l’Église revient à l’action après la contemplation, encore irradiée de la proximité d’avec le Transfiguré.

 

Le Christ en gloire
Au centre de l’étage supérieur, le Christ est éblouissant de lumière. Le blanc domine, symbole de vie, de pureté, de lumière, avec des filets d’or, symbole de sainteté. Son corps ainsi transfiguré est inscrit dans une mandorle ovale (en rouge), iconographie omniprésente sur nos façades d’églises romanes. La mandorle est sans doute une symbolique très féminine évoquant par sa forme vulvaire une nouvelle naissance, ici l’avènement ultime de Jésus en tant que Fils de l’homme à la fin des temps, suscitant une nouvelle Création. La Transfiguration est l’anticipation de cet accomplissement de l’histoire humaine.
Cette mandorle de gloire est elle-même circonscrite à l’intérieur d’un carré (pointillés rouges) dont seules les diagonales blanches sont peintes, formant comme une étoile à 6 branches, l’étoile de David.
La forme carrée symbolise l’universel, en référence aux 4 points cardinaux qui la constituent : c’est le monde entier qui va bénéficier du débordement de gloire émanant du Fils de Dieu. Ce symbolisme est renforcé par l’alignement des 2 diagonales (pointillés bleus) avec le regard de Pierre en bas à gauche et celui de Jacques en bas à droite : la gloire du Transfiguré atteint déjà les disciples malgré leur lenteur à croire, et s’étendra à tout l’univers.

Le Christ transfiguré est circonscrit dans un cercle parfait, symbole d’infini et de plénitude (en pointillé bleu). Élie et Moïse sont à la frontière de ce cercle, déjà associés à la sainteté du Christ sans lui porter ombrage.
À l’intérieur de ce cercle, un dégradé de couleurs du bleu à l’or en passant par le blanc semble suggérer un mouvement au sein de cette sphère de gloire, irradiant vers les Prophètes à gauche et la Loi à droite. Elle les touche de son aura, afin de de les accomplir.
Curieusement, un deuxième cercle est également présent, à l’intérieur du premier. Plus difficile à interpréter, il évoque peut-être la double nature du Christ, son humanité (petit cercle) étant totalement assumée et transfigurée en sa divinité (grand cercle).

 

Élie et Moïse
Leur auréole (bien présente quoique se confondant presque avec le fond doré de l’étage supérieur) indique qu’ils sont associés à la gloire du Christ, même si leurs vêtements d’un beau drapé bicolore transparent les différencient des vêtements blancs lumineux du Christ, le seul Saint, de l’unique sainteté de Dieu.
Les vignettes bleues pâles au-dessus rappellent leur rencontre avec un ange de YHWH leur révélant leur mission. Ainsi Élie montre le Christ de sa main droite, dans une attitude semblable à celle de Jean-Baptiste le Précurseur. N’est-ce pas Élie qui a reconnu YHWH non dans l’orage, la foudre ou le tonnerre, mais dans l’humble souffle de vent qu’il perçoit, caché au creux du rocher de l’Horeb ? L’humilité du Fils de l’homme en gloire n’en est que plus saisissante, et sera confirmée par la Passion ensuite. Quant à Moïse, il tient les tables de la Loi en main, et les apporte au Christ.
Élie et Moïse sont tous deux légèrement inclinés devant le Fils de l’homme, chacun sur sa montagne. L’ensemble fait penser aux chérubins de l’Arche d’Alliance, qui veillaient de chaque côté du coffre-fort renfermant les rouleaux de l’Écriture… que Jésus tient justement en main !

 

Les 3 disciples
L’artiste a lui-même tracé 3 lignes bleues partant du Christ transfiguré vers les 3 disciples. Les regards de Pierre et de Jacques forment – on l’a vu – un X suivant les diagonales du carré de gloire du Transfiguré. En outre, si l’on prolonge la ligne bleue de Pierre et celle de Jacques, elles se croisent toutes deux exactement sur la main gauche de Jésus tenant les rouleaux de la Loi et des Prophètes ! La mission des apôtres sera donc de voyager aux quatre coins du monde pour annoncer l’Alliance nouvelle, où tous deviennent prophètes par l’Esprit du Christ, et où la seule Loi se résume au double commandement de l’amour…
Jean quant à lui est plus contemplatif : la ligne bleue de son regard ne remonte pas aux rouleaux de la Torah, mais à la main droite du Christ bénissant de façon trinitaire (3 doigts pour la Trinité, les 2 autres doigts unis pour sa double nature humaine et divine), et plus haut encore la même ligne touche au visage du Christ. N’est-il pas « celui que Jésus aimait », capable d’entrer dans l’intimité de son ami ? La place si particulière attribuée à Jean dans les Églises orthodoxes est ainsi finement soulignée dans la composition de l’icône.

Signalons enfin qu’aucun des 3 disciples n’a d’auréole, contrairement aux 3 personnages du haut : ils ne sont qu’en chemin, pas encore totalement sanctifiés. Leur propre transfiguration leur demandera eux aussi de passer par la croix.
Dernier détail troublant : quand on prolonge (traits blancs) le bras droit de Pierre, celui de Jean, et le contour du corps de Jacques, ces 3 lignes se croisent exactement… aux pieds de Moïse ! Hasard ? Ou bien évocation du lien unissant la mission des apôtres à celle de Moïse ?

 

La divinisation
La gloire du Christ transfiguré irradie les 3 disciples.
Chaque personnage est touché par un rayon de la Lumière, chacun reçoit une part de la Gloire divine. Dieu nous fait don de Lui-même. Les rayons que le Christ communique aux prophètes et aux apôtres sur le Thabor, c’est la Grâce, le don de Dieu qui nous fait vivre et nous sanctifie. Nous recevons cette grâce, le Don de l’Esprit Saint, pour devenir peu à peu « participants de la nature divine » (2P 1,4).

 

La Transfiguration par la croix
Tout cela pourrait paraître très céleste, très éthéré, dans un autre monde. Or, en prenant du recul, nous voyons nettement apparaître une croix (traits noirs) dans l’agencement global de l’icône. L’axe vertical est marqué bien sûr par la droiture du corps transfiguré, entre ciel et terre. L’axe horizontal est marqué par l’alignement des 3 visages d’Élie, Jésus et Moïse. La croix est toujours en filigrane de la Transfiguration. La gloire divine est celle du Serviteur souffrant.
Quelques jours plus tôt, Jésus a annoncé pour la première fois en termes très nets qu’il devait souffrir et mourir. Pierre a eu un sursaut scandalisé ; mais Jésus l’a sévèrement réprimandé, et il a ajouté que personne ne pouvait être son disciple à moins de renoncer à soi et de porter sa croix. Pendant la Transfiguration, Luc note que Moïse et Élie s’entretiennent du prochain départ de Jésus pour Jérusalem. Il n’est donc question que de la Passion.
Or, tous les détails de l’image évoquent les manifestations de Dieu dans l’Ancien Testament. La montagne est haute comme étaient hauts le Sinaï et l’Horeb. L’homme du Sinaï est là, c’est Moïse. L’homme de l’Horeb aussi est là, c’est Élie. Les vêtements de Jésus sont éblouissants de blancheur ; son visage resplendit comme le soleil ; une voix parle du sein de la nuée. Cette nuée est celle de l’Exode qui guidait les Hébreux dans le désert. Tout nous dit : c’est Dieu. C’est donc Dieu qui va souffrir et mourir. Personne ne pourra se tromper sur ce qu’est sa Gloire. Dans un autre contexte, la Transfiguration serait une manifestation de puissance et d’éclat. Dans le contexte de la Passion, c’est tout autre chose : les 3 disciples seront les 3 témoins de la faiblesse de Dieu au Jardin des Oliviers. Celui dont le visage est resplendissant comme le soleil sera un pauvre homme qui sue sang et eau. Entre cette Gloire et cette faiblesse, il n’y a pas opposition, mais indéchirable unité…

 

Allez ! Courez acheter cette icône de la Transfiguration pour quelques dizaines d’euros ! Placez-la dans votre coin prière, et contemplez-la, en la laissant vous parler au cœur.
Vous en sortirez éblouis, et peut-être même éblouissants…

 

Ci-dessous, une autre interprétation célèbre de la Transfiguration : le tableau de Raphaël (XVI° siècle)

 

LECTURES DE LA MESSE  PREMIÈRE LECTURE
« Son habit était blanc comme la neige » (Dn 7, 9-10.13-14

Lecture du livre du prophète Daniel
La nuit, au cours d’une vision, moi, Daniel, je regardais : des trônes furent disposés, et un Vieillard prit place ; son habit était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête, comme de la laine immaculée ; son trône était fait de flammes de feu, avec des roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait, qui jaillissait devant lui. Des milliers de milliers le servaient, des myriades de myriades se tenaient devant lui. Le tribunal prit place et l’on ouvrit des livres. Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

PSAUME
(Ps 96, 1-2, 4-5, 6.9)
R/ Le Seigneur est roi, le Très-Haut sur toute la terre
 (Ps 96, 1a.9a) 

Le Seigneur est roi ! Exulte la terre !
Joie pour les îles sans nombre !
Ténèbre et nuée l’entourent,
justice et droit sont l’appui de son trône. 

Quand ses éclairs illuminèrent le monde,
la terre le vit et s’affola ;
les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur,
devant le Maître de toute la terre. 

Les cieux ont proclamé sa justice,
et tous les peuples ont vu sa gloire.
Tu es, Seigneur, le Très-Haut sur toute la terre,
tu domines de haut tous les dieux.

DEUXIÈME LECTURE
« Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue » (2 P 1, 16-19)

Lecture de la deuxième lettre de saint Pierre Apôtre
Bien-aimés, ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs.

ÉVANGILE
« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)
Alléluia. Alléluia. 
Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! Alléluia. (Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.
Patrick BRAUD

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26 février 2023

En descendant de la montagne…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

En descendant de la montagne…

Homélie pour le 2° Dimanche de Carême / Année A
05/03/2023

Cf. également :
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
Bénir en tout temps en tout lieu

Tous les matins du monde

Tous les matins du monde (1991)Face à l’immense écran de cinéma du Grand Rex à Paris qui enveloppait toute la salle, tous  restèrent jusqu’à la dernière ligne du long générique final, hypnotisés par la plainte de la viole de gambe qui n’avait cessé de les bouleverser tout au long du film. Écouter et voir Tous les matins du monde en THX dans cette bulle sonore exceptionnelle fut une expérience musicale et visuelle des plus rares. Nous étions pétrifiés, paralysés, incapables de rompre le charme, déchirés de devoir quitter ce pur moment de beauté. Pourtant il fallut, au bout d’un long silence, les lumières allumées, lever les sièges et s’en aller un à un, à regret. Dehors le boulevard Poissonnière était gris, le grondement du métro Bonne Nouvelle n’était que fracas, les vêtements de la foule étaient quelconques, le flux du quotidien recouvrait peu à peu ce que la splendeur de la viole de gambe avait découvert…

C’est quelque chose de cet ordre-là que nous éprouvons tous « en descendant de la montagne », comme l’écrit l’Évangile du dimanche de la Transfiguration (Mt 17,1-9).

Ceux qui se sont enlacés desserrent leur étreinte ; ceux qui étaient éblouis clignent des yeux et se réajustent à la lumière ambiante ; ceux qui étaient transportés ailleurs sur une haute montagne grâce à leur lecture, leur musique, leur passion, leur jouissance du moment doivent redescendre et affronter l’étuve du métro, la banalité des conversations quotidiennes, la grisaille de l’ordinaire. Pas étonnant que les Chartreux choisissent le silence et la solitude, pour demeurer sur la ligne de crête ! Pas étonnant que les junkies se piquent encore et encore, conscients de se détruire : mais l’extase là-haut est si forte qu’ils ne veulent pas redescendre…

L'Assekrem dans les montagnes du Hoggar,Je me souviens d’une semaine sur la montagne, littéralement : celle de l’Assekrem, dans le désert du Hoggar, en Algérie. J’avais passé une semaine de solitude dans un petit ermitage de rochers brûlants, avec pour seule rencontre la messe du matin célébrée par un petit frère de Charles de Foucauld dans la chapelle de cailloux que l’ermite avait construite. Redescendre sur Tamanrasset fut un crève-cœur : plus jamais je ne pourrais vivre à ces altitudes du cœur, pensais-je en pleurant de voir les pics du Hoggar s’éloigner…

En descendant de la montagne du Thabor où il a été ébloui, saisi de la beauté divine, Jésus a peut-être pleuré intérieurement de devoir quitter cette communion si intense pour une Passion qui s’annonçait si dégradante. En descendant de la montagne, Pierre Jacques et Jean ont dû eux aussi être immensément tristes de ne pas demeurer là-haut, à contempler, à s’immerger dans la Transfiguration de Jésus. Alors Jésus leur livre la clé pour ce qui va suivre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ».

De fait, entre Transfiguration et Résurrection, les épisodes à venir ne seront pas très beaux. Lâchetés, reniements, délations, faux procès, peine de mort (la pire possible)… Ce moment sur la montagne ressemble à un avertissement : dernière station avant le désert, faites le plein si vous voulez tenir bon et aller jusqu’au bout !

 

Affronter le mal

En descendant de la montagne… dans Communauté spirituelle 220px-Veau_d%E2%80%99orQuand Jésus descend de la montagne, on pense bien sûr à Moïse descendant du Sinaï (Dt 9), son visage rayonnant de la gloire divine au point de devoir se voiler la face pour ne pas éblouir le peuple ! À peine descendu, il est confronté à l’adultère du Veau d’or : en l’absence de Moïse, le peuple est capable de se prostituer devant l’argent, les idoles, la volonté de puissance.

Jésus, descendant du Thabor, rencontre la foule et combat le mal à l’œuvre (Lc 9,37 ; Mt 8,1). Il s’affronte à un esprit démoniaque qui est en train de détruire un enfant. En Mc 9,9 et Mt 17,9, il annonce plonger résolument dans l’océan pestilentiel de sa Passion, qu’il accepte pleinement à partir de ce moment de la Transfiguration. Et Jean, qui pourtant faisait partie du petit groupe du Thabor, ne raconte pas l’épisode mais parle de la gloire divine sur Jésus juste après l’image du grain de blé en terre (Jn 12,24), car pour Jean également la gloire et la croix sont indissociables.

Quand Moïse et Jésus descendent de la montagne, c’est donc pour affronter le mal sous toutes ses formes, la mort étant l’ultime combat à mener.

N’espérons pas passer à côté de ce changement radical de perspective : de la beauté de nos extases à la laideur de nos péchés, du sommet de l’éblouissement à la bassesse des lâchetés ordinaires, de la transfiguration à la défiguration, du Thabor au Golgotha…
Nos transfigurations nous sont données pour faire le plein avant nos Passions : le plein d’espérance, de force, le courage, de beauté, de communion intense, avant le doute, la laideur, la faiblesse, la peur, la nuit de la foi.

 

Un jour de lumière pour des années de nuit

S’il en est une qui a connu cette séquence : un moment de transfiguration / des années d’obscurité, c’est bien Mère Teresa. Son Thabor à elle fut un voyage en train, de Calcutta à Darjeeling, le 10 septembre 1946 pour aller à une retraite de sa communauté. Pendant qu’elle essaye de dormir :

« soudain, j’entendis avec certitude la voix de Dieu. Le message était clair : je devais sortir du couvent et aider les pauvres en vivant avec eux. C’était un ordre, un devoir, une certitude. Je savais ce que je devais faire mais je ne savais comment ».

Mère Teresa parle de cette journée comme étant le « jour de l’inspiration », « l’appel dans l’appel ».

Un seul jour, et sa vie a basculé.
Amazon.fr - Le royaume de sa nuit : Mère Teresa, le récit d'une vie -  Alberti, Olympia - Livres
Mais quel chemin d’obscurité ensuite ! Elle fonde son ordre des Missionnaires de la Charité en 1948. Tout le monde la voit en sari bleu auprès des mourants de Calcutta, toujours le sourire aux lèvres, apparemment habitée. Pourtant, en elle-même, elle n’éprouve plus que vide et désolation. Après l’avoir effleuré de son aile dans la fulgurance de l’expérience à bord du train, la beauté divine la quittait, elle ne ressentait plus rien de l’amour de Dieu qui l’avait mise en mouvement :

« Seigneur mon Dieu, qui suis-je pour que Tu m’abandonnes ?… J’appelle, je m’accroche, je veux. Et il n’y a personne pour répondre. Personne à qui je puisse m’accrocher. Non, personne. Seule. L’obscurité est si sombre et je suis seule. Non désirée, abandonnée. La solitude du cœur qui désire l’amour est insupportable. Où est ma foi ? Même tout au fond, jusque là, il n’y a que le vide et l’obscurité. Mon Dieu, comme est douloureuse cette douleur inconnue. Elle me fait souffrir sans cesse… Amour, le mot n’évoque rien. On me dit que Dieu m’aime et pourtant l’obscurité, la froideur et le vide sont une réalité si grande que rien ne touche mon cœur ».
« J’éprouve que Dieu n´est pas Dieu, qu´Il n´existe pas vraiment. C´est en moi de terribles ténèbres. Comme si tout était mort, en moi, car tout est glacial », écrit-elle.
En 1958, elle avoue : « Tout le temps à sourire. Les Sœurs et les gens pensent que ma foi, mon espérance, mon amour me comblent en profondeur, et que l´intimité avec Dieu et l´union avec Sa volonté imprègnent mon cœur. Si seulement ils pouvaient savoir ».
« C’est seulement la foi aveugle qui me transporte, parce que, en vérité, tout est obscurité pour moi. »

Cette nuit de la foi fut terrible, et dura jusqu’à sa mort en 1997.
Quelques lueurs de Thabor pour des décennies de froideur, sans aucun signe pour être réconfortée.

N’espérons pas éviter ce genre de nuit lorsque nous descendons de nos montagnes  familiales, intellectuelles, spirituelles, artistiques ou autres.

Lorsque votre Thabor s’éloignera, durcissez votre visage comme le Christ montant à Jérusalem : il suffit d’une seule illumination pour aller jusqu’au bout de la route, il ne faut qu’un moment de pur bonheur pour qu’il irrigue toute une existence…

Mais quelle est donc votre Transfiguration à vous ?

 

BONUS
Je me suis amusé à demander à ChatGPT (Intelligence artificielle qui rédige des textes automatiquement pour vous) d’écrire une homélie sur la Transfiguration de Jésus, et voilà le résultat (cohérent, pas transcendant, mais néanmoins solide !) :

Question : Écris une homélie en français sur la Transfiguration de Jésus

Réponse de Chat GPT :

Chers frères et sœurs,
La Transfiguration de Jésus est un événement important dans la Bible, qui montre la gloire de Jésus et sa divinité. C’est l’un des moments les plus importants de la vie de Jésus, où il est transfiguré devant ses disciples, Pierre, Jacques et Jean, et où la voix de Dieu le Père est entendue.
La Transfiguration nous rappelle que Jésus est le Fils de Dieu, et que sa vie, sa mort et sa résurrection ont un sens divin. C’est un moment de révélation, où les disciples voient la gloire de Jésus et comprennent sa véritable nature.
Mais cette Transfiguration n’est pas seulement un événement passé. Elle est aussi un appel pour nous, pour que nous transfigurions notre propre vie en suivant Jésus et en vivant selon ses enseignements. Cela signifie vivre une vie de foi, d’amour et de service aux autres.
Enfin, la Transfiguration nous rappelle que notre vie terrestre n’est qu’un passage vers une vie éternelle avec Dieu. En suivant Jésus, nous pouvons être transfigurés et partager sa gloire éternelle.
Que Dieu nous bénisse tous, et qu’il nous guide sur le chemin de la Transfiguration. Amen.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Vocation d’Abraham, père du peuple de Dieu (Gn 12, 1-4a)

Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui.

PSAUME
(Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22)
R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi ! (Ps 32, 22)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

DEUXIÈME LECTURE
Dieu nous appelle et nous éclaire (2 Tm 1, 8b-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Car Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.

ÉVANGILE
« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Patrick BRAUD

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6 mars 2022

Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 9 h 15 min

Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor

Homélie du 2° Dimanche de Carême / Année C
13/03/2022

Cf. également :
Compagnons d’éblouissement
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit

Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Le sacrifice interdit
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures

Akirov Towers in North Tel Aviv Exclusive Neighbourhoods

Drôles de balcons !
Dans les quartiers modernes de Jérusalem, vous pourrez remarquer d’étranges immeubles : les balcons sont disposés de façon asymétrique pour que chaque appartement puisse avoir un balcon à ciel ouvert. Coquetterie d’architecte ? Non : nécessité religieuse ! Car la fête des Tentes, l’une des plus grandes fêtes juives – la plus populaire sans doute – demande que chaque famille construise une sorte de hutte, une cabane avec un toit de branchages qui doit laisser voir le ciel et les étoiles la nuit, pour y habiter pendant une semaine. Les balcons asymétriques de ces tours permettent ainsi aux résidents de bâtir leur cabane pour la semaine de la fête des Tentes selon les règles, en leur évitant de descendre dans la rue.

 

Soukkot au Thabor
Pierre au sommet du Mont Thabor semble se préoccuper lui aussi d’une fête des Tentes à organiser : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes… » Pourquoi diable parler tentes alors qu’il est témoin d’une scène extraordinaire qui devrait l’absorber tout entier ? C’est que Pierre se souvient que, lorsque les cabanes de la semaine des Tentes sont construites, les juifs doivent inviter symboliquement les grands personnages de leur histoire à y entrer pour se réjouir avec eux en famille. Or il y a là Moïse et Élie en plus de Jésus ! C’est donc qu’ils demandent à célébrer la fête des Tentes, selon l’Écriture : « Vous habiterez sept jours dans des huttes. Tous les israélites de souche habiteront dans des huttes » (Lv 23,42).
Le prophète Malachie avait annoncé que Moïse et Élie marqueraient la venue du Jour ultime : « Souvenez-vous de la loi de Moïse, mon serviteur, à qui j’ai prescrit, sur l’Horeb, décrets et ordonnances pour tout Israël. Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable » (Ml 3, 22-23).

Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor dans Communauté spirituelle souccot-measharimIl faut alors en toute hâte improviser ces tentes où les trois plus grandes figures du judaïsme (aux yeux de Pierre) vont pouvoir manifester à tous l’Alliance renouvelée en Jésus. D’ailleurs, Luc est le seul à mentionner au début de son Évangile de la Transfiguration le détail du 8° jour : « environ 8 jours après ces paroles… » (Lc 9,28). Le texte liturgique omet cette mention : dommage ! Car ces 8 jours ne sont pas là par hasard. Matthieu et Marc disent : « 6 jours après » (Mt 17,1 ; Mc 9,2), ce qui leur permettra de placer la Transfiguration au 7° jour de la fête, comme à la fin de la 1° Création. Le 8° jour pour Luc a peut-être une connotation eschatologique, 8 étant le chiffre messianique : « Sept jours durant, on célébra la fête. Le huitième jour eut lieu, selon la coutume, la clôture de la fête » (Ne 8,18).

Dans le monde nouveau inauguré par le Christ dans sa Passion, toutes les nations, tous les peuples seront invités à se réjouir avec Israël des fiançailles de YHWH avec l’humanité, comme au temps du désert. Le prophète Zacharie (l’un des derniers de la Bible) avait entrevu cet élargissement de la fête des Tentes à toutes les nations : « Alors tous les survivants des nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le Roi Seigneur de l’univers, et célébrer la fête des Tentes. Mais pour les familles de la terre qui ne monteront pas se prosterner à Jérusalem devant le Roi Seigneur de l’univers, la pluie ne tombera pas. Et si la famille d’Égypte ne veut pas monter, si elle ne vient pas, alors fondra sur elle le fléau dont le Seigneur frappera les nations qui ne monteront pas célébrer la fête des Tentes. Tel sera le châtiment de l’Égypte et le châtiment de toutes les nations qui ne monteront pas célébrer la fête des Tentes » (Za 14, 16-19).

Jean dans son Évangile y fera allusion, en liant la fête des Tentes à laquelle Jésus doit participer à Jérusalem à la manifestation de Jésus au monde entier : « Après cela, Jésus parcourait la Galilée, car il ne voulait pas séjourner en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir. Or, la fête des Juifs (Soukkot), la fête des Tabernacles (Tentes), était proche. Et ses frères lui dirent : Pars d’ici, et va en Judée, afin que tes disciples voient aussi les œuvres que tu fais. Personne n’agit en secret, lorsqu’il désire paraître : si tu fais ces choses, montre-toi toi-même au monde » (Jn 7, 1–4). La fête des Tentes va ainsi manifester Jésus au monde.

- Un dernier sens de la fête des Tentes s’est superposé à tous ceux-là lors du retour de l’Exil à Babylone, lorsque la fête des Tentes se conjugua avec la lecture de la Loi en continu dans la langue du peuple pendant 7 jours, le 8° jour étant la clôture de la fête.
« Dans la Loi que le Seigneur avait prescrite par l’intermédiaire de Moïse, ils trouvèrent écrit que les fils d’Israël devaient habiter dans des huttes durant la fête du septième mois, et qu’ils devaient l’annoncer et le faire publier dans toutes leurs villes et à Jérusalem, en ces termes : ‘Sortez dans la montagne et rapportez des rameaux d’olivier, d’olivier sauvage, de myrte, de palmier et d’autres arbres touffus, pour faire des huttes, comme il est écrit.’ Le peuple sortit donc : ils rapportèrent des rameaux et se firent des huttes, chacun sur son toit, dans leurs propres cours, dans les cours de la Maison de Dieu, ainsi que sur la place de la porte des Eaux et sur la place de la Porte d’Éphraïm. Toute l’assemblée – ceux qui étaient revenus de la captivité – fit donc des huttes et habita dans ces huttes. Les fils d’Israël n’avaient rien fait de tel depuis les jours de Josué, fils de Noun, jusqu’à ce jour. Ce fut une très grande joie. On lut dans le livre de la loi de Dieu chaque jour, depuis le premier jour jusqu’au dernier. Sept jours durant, on célébra la fête. Le huitième jour eut lieu, selon la coutume, la clôture de la fête » (Ne 8,14-18).
Dresser trois tentes, c’est donc pour Pierre se mettre à l’écoute de la Loi de Moïse et en reconnaître l’accomplissement en Jésus.

On comprend mieux le réflexe de Pierre d’associer la présence de Moïse et d’Élie à la construction des Tentes pour la fête ultime, la fête eschatologique où la gloire de Dieu qui émane du Christ sera partagée à tous, juifs et païens ! Contrairement à ce qu’a rajouté le rédacteur du texte (« il ne savait pas ce qu’il disait ») sans doute peu connaisseur des fêtes juives, Pierre savait très bien ce qu’il disait, et cela avait grand sens pour lui… D’ailleurs, remarquez que Jésus ne le contredit pas, et ne disqualifie pas sa demande comme il le fait ailleurs. Au contraire, il semblerait que la théophanie qui suit aille dans le sens de Pierre en faisant venir la nuée divine et sa voix mystérieuse au-dessus de Jésus comme lors de l’Exode au désert : « Moïse ne pouvait pas entrer dans la tente de la Rencontre, car la nuée y demeurait et la gloire du Seigneur remplissait la Demeure » Ex 40,35 ; cf. Nb 9–10). La vraie Tente, non faite de main d’homme, est la gloire de Dieu habitant corporellement en cet homme Jésus. Grégoire de Nysse, dans son homélie de la Nativité, écrivait : « nous fêtons aujourd’hui le mystère de la véritable construction des Tentes ».

Voilà la vraie demeure pour l’Alliance que la tente de l’Arche au désert préfigurait. La Transfiguration est l’accomplissement de Soukkot (la fête des Tentes) et désigne Jésus comme notre nouvelle demeure où Dieu nous fiance à lui dans l’amour et la justice.

 

La fête des Tentes transfigurée
À l’origine, la fête des Tentes était une fête agricole célébrant la fin des récoltes, et c’est de là sans doute que vient la tradition des cabanes : lors des vendanges, on dressait dans les vignes des petites cabanes, des huttes de branchages, dans lesquelles les vendangeurs résidaient le temps des récoltes (Jb 27,18 ; Is 1,8). Avec le temps, la fête a été historicisée, c’est-à-dire qu’elle a été rattachée à un épisode de l’histoire des Hébreux, en l’occurrence la sortie d’Égypte. Les cabanes érigées lors de la fête servirent alors à rappeler les tentes qu’avaient dressées les Hébreux dans le désert (Lv 23,42-43).

Selon l’historien juif Flavius Josèphe, qui vécut au I° siècle de notre ère, il s’agit de « la fête la plus sainte et la plus grande chez les Hébreux » (Antiquités juives 8,100).

– La joie de la fête est d’abord celle des récoltes, des moissons et des vendanges. « La fête des Tentes, tu la célébreras pendant sept jours, lorsque tu auras rentré le produit de ton aire à grain et de ton pressoir » (Dt 16,13). Le peuple rend grâce en fin de saison pour l’abondance de ses champs et de ses vignes. Après la fin du cycle agricole de l’année, il se prépare au nouveau cycle qui commence.
Au Thabor, Pierre se réjouit du Christ comme incarnant la vendange ultime de l’humanité pour la vie éternelle en Dieu.

– La joie de la fête des Tentes est ensuite la joie des fiançailles de Yahvé avec son peuple, comme l’écrit Jérémie : « Va proclamer aux oreilles de Jérusalem : Ainsi parle le Seigneur : Je me souviens de la tendresse de tes jeunes années, ton amour de jeune mariée, lorsque tu me suivais au désert, dans une terre inculte » (Jr 2,2).
C’est la nouvelle Alliance inaugurée par le don que fait Jésus de lui-même à travers sa Passion que Soukkot annonçait, et que la Transfiguration réalise. Demeurer sous la tente avec le Christ, en écoutant sa parole et en le suivant dans sa Passion, est la vraie vie en abondance que cherchait le peuple au désert.

un-vecteur-illustration-page-a-colorier-d-une-soukkah-decoree-avec-des-ornements-pour-la-fete-juive-de-souccot-f5yxgh Pierre dans Communauté spirituelle– La précarité des Tentes rappelle au peuple qu’il ne faut pas s’installer ‘dans le dur’. Contrairement aux commentaires habituels qui soupçonnent Pierre de vouloir s’installer au du Thabor, à l’écart, le désir de bâtir trois tentes est ici l’acceptation et l’annonce de la faiblesse à venir, celle de la Passion et de la croix. Pierre se rappelle qu’entrer dans l’Alliance demande à sortir de ses résidences habituelles, de ses esclavages, de son confort, pour suivre le Christ pauvre et désarmé.

– La fête des Tentes est destinée à tous, pas seulement aux juifs. Pierre croit à juste titre que la Transfiguration accomplit la prophétie de Zacharie. En fêtant la Transfiguration, nous sortons sur nos balcons intérieurs pour y construire la cabane provisoire qui laissera filtrer la gloire de Dieu irradiant du Christ à travers ses branchages (l’Église, nouvelle Tente de la Rencontre, imparfaite mais laissant entrevoir la beauté divine), même si c’est de nuit (la nuit de nos Passions).

– Paul personnalise cette attente eschatologique en promettant à chacun une résurrection sur le mode de la fête des Tentes célébrée au Thabor : « Nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes. En effet, actuellement nous gémissons dans l’ardent désir de revêtir notre demeure céleste par-dessus l’autre » (2Co 5,1–2).
Le corps humain est d’ores et déjà habité par cette beauté qui le transfigurera au dernier jour. C’est la grandeur du corps, Temple de l’Esprit, Tente de la rencontre avec Dieu et avec les autres. Chaque corps humain, qu’il corresponde ou non aux canons (très changeants !) de la mode de son époque, peut à certains moments irradier la beauté secrète qui l’habite.

– Luc emploie le même mot Tentes (σκηνς, skenas) qu’au Thabor pour désigner les demeures éternelles qui attendent des justes qui auront su remettre les dettes aux autres comme l’intendant licencié pour prodigalité (« Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les tabernacles (σκηνς) éternels » cf. Lc 16,1–9). Dresser la Tente du royaume de Dieu, c’est donc convertir nos mœurs à celles du royaume, notamment l’usage de l’argent, pour que nos demeures ici-bas reflètent quelque chose des « tentes éternelles » promises.

 

Tabernacle !
Cette curieuse traduction de la parabole de Luc nous met d’ailleurs sur une autre piste, que la traduction anglaise évoque également en employant le mot tabernacle pour traduire le grec σκηνς : « let us make three tabernacles… »
La Transfiguration serait donc une affaire de tabernacle ? !

Tabarnak !,’ s’exclameraient les Québécois avec un de leurs ‘sacres’ (jurons) préférés !
Le mot latin tabernaculum (diminutif de taberna = taverne) signifie en effet : hutte, tente, et a fini par désigner la petite boîte dans laquelle les catholiques conservent les hosties consacrées pour les distribuer aux absents, aux malades. Le tabernacle dans l’église renvoie donc à la fête des Tentes telle que Pierre l’a vécue au Mont Thabor ! Le pain consacré demeure dans cette petite taverne où à la lampe rouge signale sa présence (qu’on pense aux lampes non équivoques du « red light district » d’Amsterdam !)… Cette boîte reprend tout le symbolisme de Soukkot pour l’appliquer au Christ eucharistique, lui qui établit sa demeure parmi nous afin de nous faire demeurer en Dieu.
Lui qui nous fiance à nouveau dans la nouvelle Alliance de son sang en chaque eucharistie.
Lui qui se présente sous la forme du ‘pain de misère’ de la Pâque juive, fragile et dérisoire hostie comme est fragile et dérisoire la tente de Soukkot sur le balcon, nourrissant notre marche vers Dieu dans les déserts qui sont les nôtres.
Lui qui invite tous les peuples au banquet des noces comme l’annonçait Zacharie pour la fête des tentes.
Lui qui a vaincu la mort pour nous dresser une tente éternelle, non faite de main d’homme.

Habiter le Christ eucharistique sous cette tente nous met devant lui comme Pierre au Thabor, ébloui par sa beauté et sa gloire, adorant sa divinité, voyant en lui l’accomplissement de la Loi et des prophètes, Moïse et Élie lui rendant témoignage.

Dresser les tentes pour fêter le Christ transfiguré, c’est un peu abriter soigneusement le reste des hosties consacrées dans le tabernacle après la communion : le pain transfiguré nous parle de notre propre transfiguration à venir, déjà à l’œuvre…

Fêtons donc Soukkot au Mont Thabor ; rendons grâce pour les belles réussites de notre vie ; éprouvons à nouveau la joie des fiançailles et le rappel de notre précarité. Invitons tous les peuples à cette communion d’amour inaugurée en Christ. Prenons courage en contemplant le tabernacle, pour redescendre ensuite affronter nos Passions les plus terribles. Car, comme le disait Origène pour toute l’Écriture : « Ne crois pas que ces événements ont eu lieu il y a longtemps, mais qu’il ne se passera rien de semblable à vous qui écoutez aujourd’hui. Tout est fait en vous, spirituellement … »

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
Le Seigneur conclut une alliance avec Abraham, le croyant (Gn 15, 5-12.17-18)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, le Seigneur parlait à Abraham dans une vision. Il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage. » Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que je l’ai en héritage ? » Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. » Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les cadavres, Abram les chassa. Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »

Psaume
(Ps 26 (27), 1, 7-8, 9abcd, 13-14)
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut.
 (Ps 26, 1a)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N’écarte pas ton serviteur avec colère :
tu restes mon secours.

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

Deuxième lecture
« Le Christ transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Ph 3, 17 – 4, 1)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Frères, ensemble imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons. Car je vous l’ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant : beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Ils vont à leur perte. Leur dieu, c’est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne pensent qu’aux choses de la terre. Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection, vous, ma joie et ma couronne, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.

Évangile
« Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre » (Lc 9, 28b-36)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
 De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.
Patrick BRAUD

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