L'homélie du dimanche (prochain)

16 avril 2025

Le baptême est notre Pâque

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 20 h 00 min

Le baptême est notre Pâque

 

Homélie pour le Dimanche de Pâques / Année C
20/04/25


Cf. également :

La danse pascale du labyrinthe

Conjuguer Pâques au passif
Incroyable !
La Madeleine de Pâques
Pâques : le Jour du Seigneur, le Seigneur des jours
Pâques : les 4 nuits
Pâques : Courir plus vite que Pierre
Pâques n’est décidément pas une fête sucrée
Comment annoncer l’espérance de Pâques ?
Trois raisons de fêter Pâques
Le courage pascal
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Faut-il shabbatiser le Dimanche ?


Cyrille, évêque de Jérusalem au IV° siècle, est connu pour ses catéchèses mystagogiques, c’est-dire des catéchèses qui partaient de la célébration des sacrements pour expliquer, après coup, ce qui était en jeu dans les gestes et symboles. Car pour lui, l’expérience prime sur le contenu, l’adhésion personnelle conditionne l’intelligence du cœur. Il célébrait d’abord, et expliquait ensuite.

Nous qui faisons – hélas – souvent l’inverse (expliquer, puis célébrer), méditons avec Cyrille comment la Pâque du Christ est devenue la nôtre, par le baptême, par toutes les Passions qui nous unissent à Lui.

Cyrille s’adresse aux nouveaux baptisés dans les termes suivants :


Vous avez été conduits par la main à la piscine du baptême, comme le Christ est allé de la croix au tombeau qui est devant vous.


On a demandé à chacun s’il croyait au nom du Père et du Fils, et du Saint-Esprit. Vous avez proclamé la confession de foi qui donne le salut et vous avez été plongés trois fois dans l’eau, et ensuite vous en êtes sortis. C’est ainsi que vous avez rappelé symboliquement la sépulture du Christ pendant trois jours.


De même, en effet, que notre Sauveur a passé trois jours et trois nuits au cœur de la terre, c’est ainsi que vous, en sortant de l’eau pour la première fois, vous avez représenté la première journée du Christ dans la terre ; et la nuit, en étant plongés. Celui qui est dans la nuit ne voit plus rien, tandis que celui qui est dans le jour vit dans la lumière. C’est ainsi qu’en étant plongés comme dans la nuit vous ne voyiez rien ; mais en sortant de l’eau vous vous retrouviez comme dans le jour. Dans un même moment vous mouriez et vous naissiez. Cette eau de salut est devenue à la fois votre sépulture et votre mère.


Ce que Salomon dit à un autre sujet pourrait s’appliquer à vous : Il y a un temps pour enfanter, et un temps pour mourir. Mais pour vous c’était l’inverse : un temps pour mourir et un temps pour naître. Un seul temps a produit les deux effets, et votre naissance a coïncidé avec votre mort.


Le baptême est notre Pâque dans Communauté spirituelle tous-deux-dans-l-eau-de-la-piscine-baptismale-installee-dans-le-choeur-de-l-eglise-saint-vallier-a-messigny-et-vantoux-le-pere-oscar-ruiz-baptise-etienne-31-ans-l-un-des-six-adultes-ayant-recu-ce-sacrement-par-immersion-samedi-photo-lbp-s-t-1681060903Chose étrange et incroyable ! Nous n’avons pas été véritablement morts ni véritablement ensevelis, et nous avons ressuscité sans être véritablement crucifiés. Mais si la représentation ne réalise qu’une image, le salut, lui, est véritable.


Le Christ a été réellement crucifié, réellement enseveli, et il a ressuscité véritablement. Et tout ceci nous est accordé par grâce. Unis par la représentation de ses souffrances, c’est en toute vérité que nous gagnons le salut.


Bonté excessive pour les hommes ! Le Christ a reçu les clous dans ses mains toutes pures, et il a souffert ; et moi, qui n’ai connu ni la souffrance ni la peine, il me fait, par pure grâce, participer au salut !


Personne donc ne doit penser que le baptême consiste simplement dans le pardon des péchés et la grâce de la filiation adoptive ; il en était ainsi pour le baptême de Jean, qui ne procurait que le pardon des péchés. Mais nous savons très précisément que notre baptême, s’il est purification des péchés et nous attire le don de l’Esprit Saint, est aussi l’empreinte et l’image de la passion du Christ. C’est pourquoi saint Paul proclamait : Ne le savez-vous pas ? Nous tous, qui avons été baptisés en Jésus Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés. Nous avons donc été mis au tombeau avec lui par le baptême.

 

Catéchèse de Jérusalem aux nouveaux baptisés

Baptisés dans la mort et la résurrection du christ

 


Point statistique sur les baptêmes en France


Une hausse des baptêmes d’adultes et d’adolescents

Baptêmes adultes 2016-2025
En deux ans, le nombre de demandes volontaires de baptême a été multiplié par deux : 10 384 en 2025, contre 5 423 en 2023. Une formation pourtant exigeante, qui dure deux ans. Pour l’Église, cet afflux « n’est pas un épiphénomène ». Le nombre de baptêmes catholiques d’adultes en France ne cesse de progresser. En deux ans, il a même doublé. Aux chiffres de cette année s’ajoutent les baptêmes d’adolescents (entre 12 et 18 ans), qui connaissent, eux aussi, une progression spectaculaire : ils étaient 2 953 en 2023, ils seront 7 404 en 2025. En tout, 17 788 adolescents et adultes seront baptisés, à leur demande, dans l’Église catholique cette année.


Le contrepoint du recul des baptêmes d’enfants

Baptêmes enfants 2000-2023
L’autre facteur de fond expliquant cette hausse des baptêmes d’adolescents et d’adultes est celui de la chute, en France, des baptêmes de petits enfants : en l’an 2000, un bébé sur deux était baptisé ; en 2024, seul un sur trois l’est.


MESSE DU JOUR DE PÂQUES

1ère lecture : « Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » (Ac 10, 34a.37-43)

 Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, quand Pierre arriva à Césarée chez un centurion de l’armée romaine, il prit la parole et dit : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage : Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés.


Psaume : Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23
R/ Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! (Ps 117, 24)


Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !


Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !
Non, je ne mourrai pas, je vivrai,
pour annoncer les actions du Seigneur.


La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.


2ème lecture : « Purifiez-vous des vieux ferments, et vous serez une Pâque nouvelle » (1 Co 5, 6b-8)


Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ? Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. Car notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ.
Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments, non pas avec ceux de la perversité et du vice, mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité.


Séquence :
À la Victime pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louange.
L’Agneau a racheté les brebis ;
le Christ innocent a réconcilié l’homme pécheur avec le Père.
La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux.
Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne.
« Dis-nous, Marie Madeleine, qu’as-tu vu en chemin ? »
« J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, j’ai vu la gloire du Ressuscité.
J’ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.
Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il vous précédera en Galilée. »
Nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts.
Roi victorieux, prends-nous tous en pitié !
Amen.


Évangile : « Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20, 1-9)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Notre Pâque immolée, c’est le Christ ! Célébrons la Fête dans le Seigneur ! Alléluia. (cf. 1 Co 5, 7b-8a)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
Patrick BRAUD

 

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5 janvier 2025

Ces moments où le ciel s’ouvre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ces moments où le ciel s’ouvre

 

Homélie pour la fête du Baptême du Seigneur / Année C
12/01/25


Cf. également :
L’Esprit de la colombe
Une parole performative
La voix de la résilience
Jésus, un somewhere de la périphérie
De Star Wars au baptême du Christ
Baptême du Christ : le plongeur de Dieu
« Laisse faire » : éloge du non-agir
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Lot de consolation
Yardén : le descendeur
Rameaux, kénose et relèvement
Il a été compté avec les pécheurs
Le principe de gratuité

 

1. 1886 : Par trois fois, les cieux s’ouvrent

Ces moments où le ciel s’ouvre dans Communauté spirituelle 435113323Lors de la réouverture de Notre-Dame de Paris le 8 décembre dernier, la statue de la Vierge Marie devant le pilier était plus immaculée que jamais. Elle en a vu des touristes, des pèlerins, des désespérés, des sceptiques… ! La nuit de Noël 1886, elle a notamment aperçu une ombre se glissant furtivement près d’elle, afin d’écouter le Magnificat de la chorale qui emplissait les voûtes. Bouleversé, Paul Claudel racontera plus tard : j’étais « près du second pilier à l’entrée du chœur à droite du côté de la sacristie. Et c’est alors que se produisit l’évènement qui domine toute ma vie. En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante que depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée n’ont pu ébranler ma foi ».

Claudel était rentré à Notre-Dame athée, il en est ressorti chrétien, sans bien savoir ce que cela voulait dire. Mais dans tous ses écrits il suit ce fil rouge du bouleversement inattendu qu’il appelle la grâce.

Le ciel a pu s’ouvrir sous la charpente d’une cathédrale, rénovée ou pas !

 

C’est sûrement à l’une de ces expériences d’une transcendance faisant irruption de manière subite et totale que renvoie l’Évangile du baptême de Jésus au Jourdain (Lc 3,15-22) : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » ».

 Ici la cathédrale c’est le désert de Jordanie, le Magnificat est fait du bruit des eaux du Jourdain, la chorale c’est le peuple en prière, et la Vierge du pilier n’est autre que la colombe à la voix. Jésus est bouleversé au plus profond de son être, comme nous le sommes avec Claudel lorsque quelque chose de plus grand que nous nous saisit, nous étreint, nous éblouit, et nous révèle qui nous sommes en vérité, notre identité et notre vocation : « tu es mon fils bien-aimé… »

Pour nous persuader que cette expérience des cieux ouverts est possible pour chacun, il suffit d’évoquer deux autres coups de foudre en cette année 1886, où comme Claudel deux  figures spirituelles reçoivent leur baptême du feu pour brûler de cet amour le reste de leur vie : Thérèse de Lisieux et Charles de Foucauld.

 

Transfiguration : le phare dans la nuitPour Thérèse, ce fut au retour de la messe de Minuit chez elle à Lisieux. À onze ans, en entendant son père pester malgré lui contre l’obligation des cadeaux à faire aux enfants, elle prit conscience tout à coup que la petite voie, justement celle de l’enfance spirituelle, serait son chemin de croissance en Dieu.

« Ce fut le 25 décembre 1886 que je reçus la grâce de sortir de l’enfance, en un mot la grâce de ma complète conversion. Nous revenions de la messe de minuit où j’avais eu le bonheur de recevoir le Dieu fort et puissant. En arrivant aux Buissonnets, je me réjouissais d’aller prendre mes souliers dans la cheminée, cet antique usage nous avait causé tant de joie pendant notre enfance que Céline (l’une de ses quatre sœurs) voulait continuer de me traiter comme un bébé puisque j’étais la plus petite de la famille…

Papa aimait à voir mon bonheur, à entendre mes cris de joie en tirant chaque surprise des souliers enchantés, et la gaîté de mon Roi chéri augmentait beaucoup mon bonheur, mais Jésus voulant me montrer que je devais me défaire des défauts de l’enfance m’en retira aussi les innocentes joies, il permit que Papa fatigué de la messe de minuit éprouvât de l’ennui en voyant mes souliers dans la cheminée et qu’il dit ces paroles qui me percèrent le cœur : “Enfin, heureusement que c’est la dernière année !”

Je montais alors l’escalier pour aller défaire mon chapeau, Céline connaissant ma sensibilité et voyant des larmes briller dans mes yeux eut aussi bien envie d’en verser, car elle m’aimait beaucoup et comprenait mon chagrin : “Ô Thérèse ! me dit-elle, ne descends pas, cela te ferait trop de peine de regarder tout de suite dans tes souliers”.

Mais Thérèse n’était plus la même, Jésus avait changé son cœur ! Refoulant mes larmes, je descendis rapidement l’escalier et comprimant les battements de mon cœur, je pris mes souliers et les posant devant Papa, je tirai joyeusement tous les objets, ayant l’air heureuse comme une reine. Papa riait, il était redevenu joyeux et Céline croyait rêver !…

En cette nuit de lumière commença la troisième période de ma vie, la plus belle de toutes, la plus remplie des grâces du Ciel… En un instant l’ouvrage que je n’avais pu faire en dix ans, Jésus le fit se contentant de ma bonne volonté qui jamais ne me fit défaut. […] Il fit de moi un pêcheur d’âmes, je sentis un grand désir de travailler à la conversion des pécheurs, désir que je n’avais [pas] senti aussi vivement… Je sentis en un mot la charité entrer dans mon cœur, le besoin de m’oublier pour faire plaisir et depuis lors je fus heureuse !… ».

(Manuscrits autobiographiques, 1897)

 

Pour le jeune Charles de Foucauld, ce fut la rencontre avec l’abbé Huvelin, dans son confessionnal  le 30 octobre 1886 dans l’église St Augustin, à Paris. Il voulait disserter à la manière d’un mondain qu’il était sur les troubles de sa vie fortunée. L’abbé Huvelin lui ordonna de se mettre à genoux et de se confesser sans détours. Les larmes de Charles de Foucauld se confessant lui restèrent une source intarissable de courage pour faire corps avec les délaissés croisés au Maroc, les Touaregs à qui il consacra le meilleur de lui-même.

Charles de Foucauld exprime sa volonté de retrouver la foi. L’abbé Huvelin lui demande alors de se confesser, ce que Foucauld fait aussitôt. Il lui donne ensuite la communion. C’est, d’après lui, une seconde révélation : « Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui : ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi : Dieu est si grand. Il y a une telle différence entre Dieu et tout ce qui n’est pas Lui ».

 

Paul Claudel, Thérèse de Lisieux, Charles de Foucauld : l’ouverture céleste que nous fêtons ce dimanche n’en finit pas de se répliquer en d’innombrables déchirures salutaires dans l’histoire de l’humanité, et dans notre propre histoire.

 

2. Quand les cieux s’ouvrent dans la Bible

9782343205656r 1186 dans Communauté spirituelleCe sont les prophètes qui témoignent de leur inspiration divine en prenant cette image des cieux ouverts, YHWH communiquant sa parole à travers cette « faille spatio-temporelle »  (comme aiment dire les auteurs de science-fiction !). Ainsi Ézéchiel en exil sur les rives de Babylone : « La trentième année, le quatrième mois, le cinq du mois, je me trouvais à Babylone au milieu des exilés près du fleuve Kebar ; les cieux s’ouvrirent et j’eus des visions divines » (Ez 1,1).

Ainsi Isaïe appelle de ses vœux une nouvelle alliance à conclure comme Sinaï : « Nous sommes comme des gens que tu n’aurais jamais gouvernés, sur lesquels ton nom n’est pas invoqué. Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face » (Is 63,19).

Dans le Nouveau Testament, les trois récits (Mt/Mc/Lc) du baptême de Jésus au Jourdain emploient l’expression « les cieux s’ouvrirent », signe de l’importance de ce symbolisme pour l’époque. D’ailleurs, Jean est dans la même ligne lorsqu’il montre Jésus prophétisant devant Nathanaël ébahi : « Amen, amen, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme » (Jn 1,51). Mélangeant les cieux ouverts d’Isaïe et d’Ézéchiel avec le songe de Jacob (l’échelle sur laquelle des anges descendent et montent au ciel), Jean évoque la gloire de la résurrection en termes d’accès à la vie divine en elle-même à travers cette déchirure. À la différence de l’Ancien Testament ou du Coran où Dieu reste Dieu sans se mélanger à l’homme, même à la fin des temps, l’espérance chrétienne nous met devant la perspective grandiose d’une communion réelle entre Dieu et l’homme, dans les deux sens.

Dans les Actes des apôtres, le premier martyre – Étienne – reprendra ce thème prophétique en le mixant avec celui du Fils de l’homme, figure messianique du jugement dernier : « Voici que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » (Ac 7,56).

Plus près de nous, et de façon plus pragmatique, Pierre a recours à cette image des cieux ouverts pour légitimer son abandon (scandaleux pour les juifs ou les musulmans !) des interdits alimentaires religieux : « Il contemplait le ciel ouvert et un objet qui descendait : on aurait dit une grande toile tenue aux quatre coins, et qui se posait sur la terre » (Ac 10,11). Aucun animal n’est impur, il n’y a plus ni cashrout, ni halal, ni interdit de manger du porc etc. : il fallait bien une intervention divine majeure – les cieux ouverts ! – pour faire accepter cette révolution rituelle aujourd’hui encore refusée par les grandes religions non chrétiennes !

L’auteur de l’Apocalypse parle quant à lui d’une « porte ouverte dans le ciel » (Ap 4,1) pour légitimer sa vision prophétique. Alors que, dans le récit effrayant des 4 cavaliers de l’Apocalypse, le ciel ouvert symbolise l’irruption de la justice – enfin ! – voulue par Dieu au milieu des conflits de ce monde : « J’ai vu le ciel ouvert, et voici un cheval blanc : celui qui le monte s’appelle Fidèle et Vrai, il juge et fait la guerre avec justice » (Ap19,11).

 

Au Jourdain, bouleversé par l’expérience de sa filiation divine, Jésus est l’héritier de cette tradition biblique. Il n’a pas de mots pour décrire ce qui lui arrive, mais il a cette métaphore des cieux ouverts : une brèche est apparue dans ce qui le séparait encore de Dieu, il est désormais en ligne directe avec YHWH, et l’Esprit comme une colombe est le messager qui fait des allers-retours entre les deux…

 

Peut-il en être de même pour nous ?

 

3. La playlist de vos déchirures

 

Anamnèse musicale

 anamnèseSans savoir pourquoi, je me suis récemment pris au jeu de l’exercice suivant. Prenez une feuille de papier (ou votre clavier) ; laisser vagabonder votre mémoire à la recherche d’un moment musical qui vous a marqué et vous marque encore. Un de ces moments où l’on peut dire : c’était tel jour, à telle heure, avec telle personne, en tel lieu. J’ai commencé par un souvenir musical particulier : la Nuit Transfigurée, d’Arnold Schoenberg, alors que j’étais en retraite dans un monastère. Je revois maintenant la scène, où et quand. Et l’émotion qui m’a submergé d’abord en me laissant envahir par la musique, puis en faisant le lien avec le contenu que Schoenberg exprimait avec tant d’intensité : un couple au bord de la rupture confronté au choix d’accepter ou non l’enfant qui vient d’un autre [1]). Cette émotion fut fulgurante, et demeure telle. La révélation qu’elle m’a apporté ce soir-là fut aveuglante. J’ai réécouté cent fois ce sextuor depuis. Sa trace en moi n’a jamais faibli. Je crois vraiment que non seulement les cieux s’ouvrirent la première fois que je l’ai découvert, bouleversé et pantois, mais que les cieux s’ouvrent à nouveau quand je le réécoute, seul, immobile dans l’obscurité…

Une fois couché par écrit ce premier souvenir, de fil en aiguille, j’ai aligné sur le papier un autre kaïros musical dont l’incandescence rougeoie toujours en moi (le 3° mouvement du concerto pour violon de Chostakovitch), puis un autre, et encore un autre, et encore… si bien que je me suis retrouvé avec une liste impressionnante d’une vingtaine au moins de vraies déchirures musicales qui font partie de moi, de mon histoire, mon identité, de ma mission.

 

Expérience commune à vrai dire ! Demandez aux couples : rares sont ceux qui n’ont pas une danse, une musique, une chanson où ils se sont embrassés et aimés, et qui restent pour eux la mélodie de leur amour. Et pas besoin d’aller chercher Schoenberg ou Chostakovitch ! Il suffit qu’une chanson soit un repère dans votre mémoire, comme une borne kilométrique avec son avant et son après, et vous avez vu les cieux s’ouvrir !

Une récente étude canadienne [2] confirme ce que toutes les religions savent bien depuis longtemps : la musique soutient la mémoire, à tel point que les chercheurs parlent d’échafaudage cognitif pour évoquer l’apport de la musique au travail de la mémoire. Les mélodies plantent les souvenirs dans la tête aussi efficacement que des piolets crochent la glace et des mousquetons s’ancrent dans le rocher. C’est pourquoi les juifs psalmodient depuis 3000 ans, c’est-à-dire chantent les psaumes en les rythmant avec leur corps. C’est pourquoi les moines chantent sans cesse : ils connaissent par cœur les 150 psaumes et bien d‘autres hymnes et textes grâce au chant qui les a imprimés dans leur tête et leur cœur 7 fois par jour. La musique est ainsi un moyen de maintien et d’entraînement cognitifs éprouvé, à tout âge. Garder la mémoire de ce que nous avons vécu de vrai et d’intense passe plus facilement par la musique, et l’anamnèse musicale contribue à dresser cet échafaudage cognitif qui nous permet de ne pas oublier.

 

Votre playlist

68393f77a8efa6cbafbaf10d202df698 baptêmeChacun de nous peut ainsi composer la playlist de ses déchirures, la litanie de telles fulgurances musicales, comme les grains d’un chapelet dont la cordelette court entre nos doigts…

Et si ce n’est pas la musique, ce sera la peinture (les tableaux qui vous ont fait chavirer), ou les livres (ces compagnons de marche), ou l’architecture (les palais de Gênes me font toujours rêver d’ailleurs !), ou les paysages dont la beauté se fiche en plein cœur à vous couper le souffle pendant de longues minutes…

Certains pourront même composer la playlist de leurs souvenirs culinaires, petites madeleines de Proust où quelque chose s’est joué de leur existence dans le goût délicieux et ineffaçable d’une nourriture partagée…

 

L’important, c’est l’anamnèse (musicale, littéraire, culinaire, artistique etc.) qui maintient ouverte cette porte entre le ciel et nous.

L’Alzheimer spirituel nous guette si nous ne nous pouvons plus raconter les fractures heureuses de notre histoire où le ciel s’est rapproché, où la colombe a volé entre lui et nous…

 

Et vous, quel sera votre playlist de ces moments où le ciel s’ouvrit ?

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[1]
. «  »Tu vas l’enfanter pour moi, de moi / Tu as apporté un éclat de lumière en moi / Tu m’as moi-même refait enfant. » Il embrasse sa forte taille/ Leur souffle se mêle dans les airs / Deux personnes vont dans la nuit haute et claire ».

[2]
. Effets de l’âge et de la familiarité sur la mémoire musicale, 24 juillet 2024. Cf. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0305969

 

LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« La gloire du Seigneur se révélera, et tout être de chair verra » (Is 40, 1-5.9-11)


Lecture du livre du prophète Isaïe

Consolez, consolez mon peuple, – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes.
Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. »
Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! » Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent.

Psaume
(Ps 103 (104), 1c-3a, 3bc-4, 24-25, 27-28, 29-30)
R/ Bénis le Seigneur, ô mon âme ; Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
 (Ps 103, 1)

Revêtu de magnificence,
tu as pour manteau la lumière !
Comme une tenture, tu déploies les cieux,
tu élèves dans leurs eaux tes demeures.

Des nuées, tu te fais un char,
tu t’avances sur les ailes du vent ;
tu prends les vents pour messagers,
pour serviteurs, les flammes des éclairs.

Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
Tout cela , ta sagesse l’a fait ;
la terre s’emplit de tes biens.

Voici l’immensité de la mer,
son grouillement innombrable d’animaux grands et petits.
Tous, ils comptent sur toi
pour recevoir leur nourriture au temps voulu.
Tu donnes : eux, ils ramassent ;
tu ouvres la main : ils sont comblés.

Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ;
tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Deuxième lecture
« Par le bain du baptême, Dieu nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint » (Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre à Tite
Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ. Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien. Lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance, par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle.

Évangile
« Comme Jésus priait, après avoir été baptisé, le ciel s’ouvrit » (Lc 3, 15-16.21-22) Alléluia. Alléluia.
Voici venir un plus fort que moi, proclame Jean Baptiste ; c’est lui qui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Alléluia. (cf. Lc 3, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, le peuple venu auprès de Jean le Baptiste était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »
Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
Patrick BRAUD

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2 janvier 2022

L’Esprit de la colombe

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’Esprit de la colombe

Homélie pour le Baptême du Seigneur / Année C
09/01/2022

Cf. également :

Une parole performative
La voix de la résilience
Jésus, un somewhere de la périphérie
De Star Wars au baptême du Christ
Baptême du Christ : le plongeur de Dieu
« Laisse faire » : éloge du non-agir
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Lot de consolation
Yardén : le descendeur
Rameaux, kénose et relèvement
Il a été compté avec les pécheurs
Le principe de gratuité

La pyxide de Limoges

Gracieuse et fragile, elle est là presque chaque matin, perchée sur la rambarde de mon balcon. Attirée par les graines déposées à son attention, elle s’enhardit jusqu’à ce pavaner fièrement sur la table, picorant çà et là de quoi justifier sa présence. Cette colombe est devenue la convive régulière de mes petits déjeuners, et du coup les mésanges charbonnières des branches alentour se risquent elles aussi à s’inviter au festin préparé pour elle.
Pourquoi la colombe symbolise-t-elle aussi facilement la simplicité et la beauté, la candeur et la familiarité ? Sa blancheur sans doute (que la bave du crapaud ne peut atteindre !) ; son air de ne pas y toucher ; sa confiance pour s’approcher ; sa grâce pour dodeliner de la tête en approuvant la compagnie humaine par des coups d’œil répétés…

L’évangile de ce dimanche du Baptême du Seigneur (Lc 3, 15-22) semble l’avoir bien compris en mettant en vedette une colombe dans le ciel qui deviendra l’icône de l’Esprit Saint :
« Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » ».

Colombe pyxide LimogesDes colombes, il y en a eu très tôt dans toute l’iconographie chrétienne : gravées ou peintes sur les murs des catacombes, sur des lampes, rayonnant au plafond des chaires baroques, désignant l’Agneau de Dieu sur les retables polychromes, coloriées par les plus grands pinceaux de la Renaissance, soufflant ses homélies à l’oreille de Grégoire le Grand, omniprésente sur les icônes orientales etc.
Un objet liturgique particulièrement témoigne du lien entre l’Esprit et l’eucharistie : c’est une pyxide en émail conservée à Limoges. Bien avant la trouvaille du tabernacle en Occident, les Églises orientales conservaient précieusement les hosties consacrées en surplus, non pour les adorer mais pour les porter ensuite aux malades et aux absents, après la célébration. Elles utilisaient pour cela une petite boîte – pyxide en grec – qui pouvait être en bois, en ivoire, en émail. Celle-ci a naturellement la forme d’une colombe, qu’on suspendait avec des chaînes au-dessus de l’hôtel après l’eucharistie. Ainsi la colombe qui planait sur les eaux primordiales de la Genèse, sur l’eau souillée du Jourdain au désert lorsque Jean-Baptiste y plongea Jésus, ainsi cette même colombe plane-t-elle sur l’autel pour désigner l’Agneau de Dieu eucharistique.

On ne comprend rien à l’identité de Jésus sans l’Esprit qui est son élan intime vers le Père. Mais l’Esprit, lui, qui est-il ? Plus mystérieux que Jésus dont on connaît les paroles, les faits et gestes en personne, il est pourtant plus présent car toujours à l’œuvre dans notre histoire alors que le Christ s’en est allé le jour de l’Ascension. Voilà pourquoi l’image de la colombe nous est précieuse : elle dit qui est l’Esprit mieux qu’un discours. Voyons comment.

 

La blanche colombe

L’Esprit de la colombe dans Communauté spirituelle 85179951_pEn dehors de toute référence biblique, l’animal colombe évoque dans toutes les cultures la grâce, l’innocence, la simplicité, la douceur. Elle n’est la prédatrice d’aucun autre ; elle est fidèle à son couple et roucoule en amoureuse éperdue ; elle a la blancheur de l’immaculé ; elle se laisse amadouer et approcher. Avec ses cousins les pigeons elle peut devenir un messager hors-pair, capable de voler des kilomètres et des kilomètres pour retrouver son port d’attache. Rien d’étonnant à ce qu’on l’ait choisie pour figurer les qualités équivalentes chez l’Esprit de Dieu. L’Esprit est simple, au sens étymologique (sim-plex = sans pli) : sans repli sur soi, l’Esprit court d’une personne à l’autre pour faire le lien. Il sort de soi pour que l’autre se trouve. Il est le mouvement perpétuel, l’élan infini qui porte l’un vers l’autre. Il est la douceur même, puisque unissant sans confondre. Il est la candeur et l’innocence, puisqu’il ne se retourne pas sur lui-même. Il est la grâce, la beauté qui se donne gratuitement, la gratuité qui s’offre avec panache.

 

La colombe de Noé

san-marco_-noe-envoie-la-co baptême dans Communauté spirituelleLa première colombe biblique est évidemment celle de Noé et du déluge (Gn 8). Après 40 jours de pluie ininterrompue, le corbeau envoyé par Noé depuis l’Arche ne revient pas. Noir et rapace, le corbeau ne peut incarner l’Esprit de Dieu ! Alors Noé envoie une colombe, qui revient bredouille après avoir exploré les environs. Une deuxième fois, Noé lui confie un vol de reconnaissance. Et là, elle revient avec un rameau d’olivier dans son bec. C’est donc qu’un monde nouveau, sauvé des eaux, est là à quelques encablures !

L’Esprit est bien celui qui nous fait découvrir le monde nouveau inauguré en Christ : un monde où nous nous sommes plus submergés par le déluge de nos iniquités, un monde où  humains et animaux vivent en concorde comme dans l’arche, un monde où la menace de la mort ultime est éliminée une fois pour toutes (« Yahvé jura de ne plus jamais détruire la terre… »).

Les chrétiens ont superposé à la colombe annonciatrice du monde post-déluge une autre symbolique : celle du bois de l’Arche figurant le bois de la croix, de l’Arche-Église avec Christ-Noé en son sein pour la conduire en Terre promise, de l’eau du déluge annonçant l’eau du baptême où nos péchés sont noyés, de la colombe-Esprit désignant le monde nouveau où la vie nouvelle est enfin possible, dès maintenant !
La colombe de Noé donne donc un visage à l’Esprit qui planait sur les eaux de la Genèse, sur les eaux du déluge.

 

La colombe du Cantique des cantiques

Couple de colombesL’autre symbolisme puissamment associé à la colombe dans la Bible est celui de l’élan amoureux. Le Cantique des cantiques déborde d’appellations intimes où la bien-aimée est désignée par son petit nom : « ma colombe ». « Ma colombe, dans les fentes du rocher, dans les retraites escarpées, que je voie ton visage, que j’entende ta voix ! Ta voix est douce, et ton visage, charmant » (Ct 2, 14). « Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma toute pure, car ma tête est humide de rosée et mes boucles, des gouttes de la nuit » (Ct 5, 2). « Unique est ma colombe, ma parfaite… » (Ct 6, 9).

Impossible de ne pas penser au Cantique des cantiques en lisant qu’une colombe planait au-dessus de Jésus remonté des eaux ! D’autant plus que l’Esprit est féminin en hébreu (ruah). L’Esprit est la bien-aimée avec qui Jésus entretient ce lien si intime que seuls les amants peuvent comprendre. Elle cherche passionnément celui qu’elle aime parmi les rues de la cité, jusqu’à le trouver, l’étreindre et le perdre encore, pour le chercher à nouveau… Elle s’enivre de sa présence et défaille à sa voix. Elle fait l’expérience de la puissance de l’amour, « fort comme la mort ». « Les abîmes ne peuvent l’atteindre ». Figure de notre humanité en quête d’amour absolu, la colombe-Esprit nous fait désirer jusqu’à gémir, et chercher jusqu’à perdre cœur. Isaïe l’écrivait : « Comme l’hirondelle, je crie ; je gémis comme la colombe. À regarder là-haut, mes yeux faiblissent : Seigneur, je défaille ! Sois mon soutien ! » (Is 38, 14). « Nous gémissons sans trêve comme des colombes. Nous attendons le droit : il n’y en a pas ; le salut : il reste loin de nous ! » (Is 59, 11). Les psaumes en font l’oiseau de la libération : « qui me donnera les ailes de la colombe ? Je m’envolerais, et je trouverais le repos » (Ps 55, 7).

La colombe du Cantique des cantiques, d’Isaïe et des psaumes nous dit que la soif de l’autre est constitutive de la Trinité, et qu’agrandir ce désir à l’infini est l’œuvre de l’Esprit en nous. Par notre baptême en Christ, nous laissons nous aussi cette colombe nous appeler « bien-aimé » et nous entraîner à tire-d’aile vers le Père.

 

La colombe au Temple

dessin-cate-3eme-dim-careme-2021 CantiqueLes colombes jouent encore un autre rôle – mineur - dans l’accomplissement des sacrifices au Temple de Jérusalem. Pour les gens à faible revenu, difficile d’offrir un bœuf, un taureau ou une grosse somme d’argent. La Torah leur prescrit alors d’offrir un couple de tourterelles (ou colombes, c’est le mot grec : περιστερά, peristera) : « si l’homme n’a pas les moyens de se procurer une tête de petit bétail, il amènera au Seigneur, en sacrifice de réparation pour la faute commise, deux tourterelles ou deux jeunes pigeons (peristera), l’un en sacrifice pour la faute et l’autre en holocauste » (Lv 5, 7).
Ce que font les parents de Jésus pour sa circoncision : « Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes (peristera) » (Lc 2, 24). Jésus renversera d’ailleurs les comptoirs des marchands de colombes dans le Temple afin de le purifier de tout trafic (Mt 21,12). 
Ce faisant, il libère les colombes de leur esclavage et de leur mort certaine…

Cet humble animal bon marché était donc le signe de l’humble condition de ceux qui y avaient recours. La colombe du baptême au Jourdain est peut-être un clin d’œil à cette humilité-là, que la blanche candeur de la colombe incarnait si bien.
On comprend pourquoi Jésus la conjugue au serpent : « Soyez prudents comme les serpents, et candides comme les colombes » (Mt 10, 16). Si l’Esprit est naturellement offert et disponible comme une colombe, la nature humaine elle est mélangée et doit composer avec ce zeste de ruse quasi reptilienne qui traverse toute action humaine.

 

Résumons-nous : quand Matthieu utilise l’image de la colombe, il nous met sur la piste du lien intime qui unit Jésus de Nazareth à l’Esprit de Dieu. La colombe-Esprit est celle de Noé qui désigne la vie nouvelle à portée de main, celle de la Genèse planant sur les eaux primordiales d’où émerge la vie. Elle désigne la bien-aimée du Cantique des cantiques, en qui notre humanité se reconnaît, éperdue d’amour, désirant à l’infini, assoiffée de Dieu. Elle incarne l’humilité des sacrifices des petites gens. Elle partage sa simplicité où nul repli n’entrave l’élan de la communion entre les êtres.

Habituez-vous à prier l’Esprit Saint au féminin en pensant à la colombe, et vous verrez que toutes ces dimensions de la quête spirituelle vous apparaîtront aussi naturelles qu’une compagnie d’oiseaux sur votre balcon le matin…

 

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« La gloire du Seigneur se révélera, et tout être de chair verra » (Is 40, 1-5.9-11)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Consolez, consolez mon peuple, – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes.
Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. »
Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! » Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent.

Psaume

(Ps 103 (104), 1c-3a, 3bc-4, 24-25, 27-28, 29-30)
R/ Bénis le Seigneur, ô mon âme ; Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
 (Ps 103, 1)

Revêtu de magnificence,
tu as pour manteau la lumière !
Comme une tenture, tu déploies les cieux,
tu élèves dans leurs eaux tes demeures.

Des nuées, tu te fais un char,
tu t’avances sur les ailes du vent ;
tu prends les vents pour messagers,
pour serviteurs, les flammes des éclairs.

Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
Tout cela , ta sagesse l’a fait ;
la terre s’emplit de tes biens.
Voici l’immensité de la mer,
son grouillement innombrable d’animaux grands et petits.

Tous, ils comptent sur toi
pour recevoir leur nourriture au temps voulu.
Tu donnes : eux, ils ramassent ;
tu ouvres la main : ils sont comblés.

Tu caches ton visage : ils s’épouvantent ;
tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Deuxième lecture
« Par le bain du baptême, Dieu nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint » (Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre à Tite
Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ. Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien. Lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance, par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle.

Évangile
« Comme Jésus priait, après avoir été baptisé, le ciel s’ouvrit » (Lc 3, 15-16.21-22) Alléluia. Alléluia.

Voici venir un plus fort que moi, proclame Jean Baptiste ; c’est lui qui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Alléluia. (cf. Lc 3, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, le peuple venu auprès de Jean le Baptiste était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. »
Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
Patrick BRAUD

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5 avril 2020

Jeudi saint : les réticences de Pierre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Jeudi saint : les réticences de Pierre

Homélie du Jeudi saint / Année A
09/04/2020

Cf. également :

« Laisse faire » : éloge du non-agir
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Jeudi Saint : pourquoi azyme ?
La commensalité du Jeudi saint
Le Jeudi saint de Pierre
Jeudi Saint / De la bouchée au baiser : la méprise de Judas
Jeudi Saint : la nappe-monde eucharistique
Je suis ce que je mange
La table du Jeudi saint
Le pain perdu du Jeudi Saint
De l’achat au don

Avez-vous déjà fait l’expérience de la dépendance ? À cause d’une entorse, d’une hospitalisation, d’un lumbago ou autres, avez-vous été obligé de vous laisser laver, habiller, soigner par quelqu’un d’autre ? Revêtu de l’étrange chemise de nuit des hôpitaux qui ne ferme jamais et ne dissimule pas grand-chose, vous avez peut-être été badigeonné, retourné, examiné, porté sur la selle parce que vous étiez incapables de le faire par vous-même. Expérience sacrément humiliante, où il faut mettre sa fierté dans sa poche et accepter que le corps humain – le sien en l’occurrence – soit un objet banal de manipulation par des mains et des yeux qui en ont vu d’autres.

Vous comprenez mieux alors pourquoi Pierre regimbe lorsque Jésus veut lui laver les pieds. On a coutume de dire que lui le Seigneur s’abaisse à ce moment-là pour servir ses disciples, et on a raison. Reste que c’est humiliant également pour Pierre. Se laisser toucher par un autre homme pour des gestes d’hygiène personnelle n’est pas évident ; c’est même très gênant. Jésus le sait bien, lui qui juste avant a été bouleversé par l’autre lavement des pieds de l’Évangile, celui que Marie de Béthanie (sœur de Marthe et de Lazare) lui a fait en mouillant les pieds de Jésus de ses larmes et en les essuyant avec ses cheveux (Jn 12,1–5). Les spectateurs de la scène en ont été gênés et choqués. Jésus en a été troublé, physiquement car c’est un geste inconvenant en public entre un homme et une femme qui ne sont qu’amis – spirituellement – car il y a vu l’annonce de son ensevelissement.

Peut-être a-t-il appris de Marie de Béthanie que laver les pieds de l’autre est un geste d’amour qui va jusqu’à la croix, jusqu’à donner sa vie ? Jésus doit tant aux femmes…

En tout cas, Pierre renâcle à l’idée d’être lavé par son Rabbi qu’il vénère et qu’il place bien au-dessus de lui : sa réticence est d’abord physique (se laisser toucher et laver les pieds), puis spirituelle (cela ne convient pas pour le Maître qui est plus grand que cela).

D’ailleurs, lorsqu’on répète réellement ce lavement des pieds lors de la célébration du Jeudi saint, le prêtre ou le diacre sentent bien en saisissant les pieds nus qu’ils frémissent et ont du mal à se laisser faire…

Pourtant, l’expérience fondamentale du salut est bien là, dans cette dépendance vis-à-vis du Christ qui deviendra une dépendance mutuelle en Église : accepter d’être sauvé gratuitement, et non de se sauver par soi-même sans avoir besoin de personne. Grâce à sa réticence, Pierre nous apprend que la clé du salut est dans le passif, le laisser-faire, le recevoir activement mis en œuvre.

Jésus en rajoute en précisant que Pierre ne peut comprendre maintenant, mais plus tard seulement, lorsqu’il y aura eu la croix et la résurrection qui éclaireront ce geste une signification nouvelle : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras ».

Reste que communier au Christ – ce qui est en jeu dans la Cène du Jeudi Saint – c’est d’abord se laissé laver, purifier, sauver par lui : « si je ne te lave pas, tu ne pourras avoir rien de commun avec moi ».

Fougueux comment on le connaît, Pierre accepte et renchérit alors en demandant d’être lavé tout entier ! La réponse de Jésus est énigmatique : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds ».

De quel bain parle-t-il ? Pas de trace d’une telle ablution dans le texte précédemment. Le verbe (λούωen grec = louó) n’est employé par Jean qu’une seule fois, ici. Quatre autres usages seulement dans le Nouveau Testament désignent :

• les soins de toilette funéraire sur le corps de Tabitha avant que Pierre justement la ressuscite (Ac 9,37)

• les soins sur les plaies de Paul et Silas par leur geôlier qui reçoit le baptême dans la foulée (Ac 16,33)

• la purification spirituelle du cœur lavé de toute souillure qui s’approche du sanctuaire de Dieu (He 10,22)

• et de manière plus triviale le nettoyage de la truie qui « à peine lavée se vautre dans le bourbier » (2P 2,22).

Ces quatre usages donnent donc à ce verbe une connotation de mort/résurrection, de baptême, et de purification des souillures.

Le bain dont parle Jésus à Pierre n’est pas physique, car Pierre ne s’est pas baigné avant de passer à table ! C’est par anticipation le bain dans la mort/résurrection du Christ à laquelle Pierre sera associé par son martyre à Rome. C’est également le bain sacramentel du baptême (pour les disciples à venir, car il n’est écrit nulle part que Pierre ait jamais été baptisé…). Et c’est encore le bain spirituel qu’est la purification de ses péchés dont les ablutions rituelles sont le symbole.

Si ce bain a rendu Pierre entièrement pur, pourquoi lui laver les pieds ? Parce que - précise Jésus - dans la vie quotidienne, une fois pris le bain du matin, seuls les pieds se salissent dans la journée, surtout dans la poussière des chemins de Palestine, au point de devoir les laver avant de s’étendre sous les coussins pour manger (allongé) le soir. « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds ». Petit détail anodin qui pourtant prend après coup une signification ecclésiale et sacramentelle : si le baptême donné une fois pour toutes accorde fondamentalement le salut, il faut une pénitence/réconciliation régulière pour entretenir le don reçu. Si le bain est le baptême où le pardon est gratuitement donné en plénitude (« le bain d’eau qu’une parole accompagne » comme l’écrit Paul en Ep 5,26), le lavement des pieds rappelle l’hygiène spirituelle quasi quotidienne de la pénitence/réconciliation. L’allusion aux pieds qui se salissent chaque jour renvoie alors à la confession des péchés en Église à pratiquer régulièrement : « Si nous confessons nos péchés, fidèle et juste comme il est, il nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité » (1Jn 1,9), puis plus tard au sacrement de réconciliation qui remet en état de marche - si l’on peut dire - le moteur de la foi encrassé par les inévitables impuretés liées à son fonctionnement quotidien.

Résumons-nous : grâce aux réticences de Pierre à se laisser laver les pieds, nous avons entendu Jésus souligner que :

• le salut est à accueillir comme un don gratuit, en se laissant faire par le Christ au lieu de vouloir faire son salut à la force du poignet (signification anthropologique).

• nous ne comprenons pas toujours sur le moment le travail du Christ en nous. C’est après coup, à la lumière des événements (croix/tombeau vide ici) que cela prendra sens pour nous (signification anthropologique à nouveau).

• le pardon/purification des péchés est donnée une fois pour toutes par le baptême (signification sacramentelle), que ce baptême soit de sang (le martyre) ou d’eau.

• Néanmoins, une hygiène spirituelle ordinaire demande de laver souvent les inévitables souillures qui accompagnent notre marche. Cela se fait par la confession des péchés au sein de la communauté (signification ecclésiale) ou plus tard par le sacrement de réconciliation (signification sacramentelle à nouveau).

La suite de la Cène nous donnera encore une autre signification – éthique celle-là – du geste étrange posé par Jésus : la véritable autorité est de servir ses subordonnés et non de se faire servir, jusqu’à donner sa vie pour eux.

 

Vous voyez, la Cène du Jeudi saint questionne notre vision de l’homme (se laisser faire activement), notre vie en Église (confession et pardon mutuel), notre pratique sacramentelle (baptême, confession), notre vie spirituelle (communier au Christ en le laissant nous toucher), notre éthique (servir).

À chacun de discerner, parmi ces cinq dimensions du Jeudi saint, celle qu’il est appelé à faire grandir, pour fêter Pâques en vérité…

MESSE DU SOIR

PREMIÈRE LECTURE
Prescriptions concernant le repas pascal (Ex 12, 1-8.11-14)

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : Je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.
Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. »

 

PSAUME

(115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18)
R/ La coupe de bénédiction est communion au sang du Christ. (cf. 1 Co 10, 16)

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

DEUXIÈME LECTURE
« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

 

ÉVANGILE
« Il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1-15)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Patrick BRAUD

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