L'homélie du dimanche (prochain)

13 avril 2025

Jeudi Saint : Qu’avons-nous fait de l’Homme ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Jeudi Saint : Qu’avons-nous fait de l’Homme ?

 

Homélie pour le Jeudi Saint / Année C
17/04/25


Cf. également :

Jeudi Saint : aimer jusqu’au « telos »
Jeudi Saint : les multiples interprétations du lavement des pieds
Jeudi saint : les réticences de Pierre
« Laisse faire » : éloge du non-agir
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Jeudi Saint : pourquoi azyme ?
La commensalité du Jeudi saint
Le Jeudi saint de Pierre
Jeudi Saint / De la bouchée au baiser : la méprise de Judas
Jeudi Saint : la nappe-monde eucharistique
Je suis ce que je mange
La table du Jeudi saint
Le pain perdu du Jeudi Saint
De l’achat au don
Pâques : les 4 nuits

 

Maurice Zundel méditait ainsi sur le lavement des pieds de la dernière Cène (Lausanne – Montalivet, le Jeudi saint 7 avril 1966) :


Qu’avons-nous fait de l’Homme ? C’est la question que nous pose cette Liturgie du Jeudi Saint. Qu’avons-nous fait de l’Homme ?
Si nous avions compris l’Évangile de Jésus, est-ce que le monde serait dans l’état où il se trouve aujourd’hui ? Évidemment non !

Car justement cette liturgie du Jeudi Saint cumule, en quelque sorte, toutes les consécrations de l’Homme par Jésus-Christ. Le « Mandatum » , la dernière consigne de Jésus :   « C’est à cela que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres comme je vous ai aimés  » (Jn. 13, 35).
Quel paradoxe ! Le dernier mot du Christ ! Le dernier mot du suprême Prophète, le dernier mot du Fils de l’Homme et du Fils de Dieu, c’est d’aimer l’Homme et de faire de l’amour de l’Homme, le test, le critère, la pierre de touche de l’amour de Dieu.
Et cet amour de l’homme, Jésus va le manifester dans cette scène incomparable, inépuisable, bouleversante, du Lavement des Pieds. Il va nous montrer Dieu à genoux devant l’Homme, devant l’Homme qui est le Royaume de Dieu, devant l’Homme qui porte l’infini dans son cœur, comme le dit le Pape saint Grégoire, exprimant cette nouveauté merveilleuse :  « Le ciel, c’est l’âme du Juste ».

Jésus à genoux devant l’Homme ! Il n’y a plus maintenant, rien à ménager. Il ne s’agit plus de conduire les disciples par une parabole, il faut les mettre brutalement en face de la réalité, car la catastrophe est imminente : le Sauveur du monde va être immolé, la toute-puissance de Dieu va connaître ce formidable échec, en apparence. Le salut va venir par la mort sur la Croix.
Il faut donc que le vrai visage de Dieu s’imprime maintenant dans le cœur des disciples et qu’ils sachent que Dieu, justement, est au-dedans d’eux-mêmes, d’une Présence confiée à toute conscience humaine. C’est à cela que Jésus veut les conduire ses disciples, c’est ce Royaume de Dieu qu’il voulait ériger au-dedans de nous, nous révélant que le ciel est ici, maintenant, dans cette éternité de l’amour, au cœur de notre plus secrète intimité.
C’est donc là qu’il faut chercher Dieu, dans l’Homme ; et pour atteindre à la perfection chrétienne, il faut que tous les Hommes ensemble constituent un seul corps, une seule vie, une seule personne en Jésus ; et tout cela justement, que l’Eucharistie va sceller.
L’Eucharistie qui pour l’éternité, l’affirmation qu’il n’y a pas d’accès possible à Dieu, autrement que par le chemin de l’Homme, car Jésus, le Christ notre Seigneur, bien sûr, ne cesse jamais d’être avec nous. Il est toujours comme sur le chemin d’Emmaüs, le compagnon de nos vies, davantage, il est toujours au-dedans de nous, au-dedans de chacun de nous.

C’est pourquoi tout ce que nous faisons aux autres en mal ou en bien, le frappe, l’atteint, le comble ou le déchire, parce que, il est intérieur à chacune de nos humanités, parce qu’il est une attente infinie dans chacune de nos consciences.
Alors, s’il est déjà là, pourquoi l’Eucharistie ? Si toute grâce vient de lui et si ce que nous appelons l’état de grâce, c’est-à-dire cette vie divine en nous, est issue de son cœur, et nous est communiquée par sa Présence, si donc son humanité en est le canal et l’instrument inséparable, si vraiment donc Jésus est toujours avec nous, pourquoi l’Eucharistie ?

C’est justement pour affirmer que jamais, au grand jamais, il ne sera possible de l’atteindre sans prendre en charge toute l’humanité. Pourquoi ? Mais parce que Jésus, justement, est le second Adam, parce qu’il est le Fils de l’Homme dans un sens unique, parce que, il est à l’intérieur de chacun, n’ayant pas de limites, ne s’appartenant aucunement dans son humanité, qui est le sacrement diaphane, immense, de la Présence divine ; son humanité n’ayant pas de frontière peut être ouverte sur toute l’humanité, peut rassembler toutes les générations, peut rendre tous les Hommes de tous les siècles contemporains.

Et lui seul, justement, est le lien d’une humanité libérée de ses limites, d’une humanité où chacun rejoint l’autre par le dedans, où chacun rejoint l’autre par sa liberté, par son ouverture, par cette respiration de Dieu qui conditionne toute notre dignité.
Pour atteindre Dieu, il faut donc – j’entends le Dieu vivant, le vrai Dieu, le Dieu qui est au-dedans de nous un espace infini – il faut donc ouvrir nos cœurs, il faut les faire aux dimensions de son cœur, il faut nous rendre universels, il faut dépasser nos frontières et nos limites, il faut que nous devenions une Présence à tous et à chacun.
Et c’est alors que nous atteindrons, que nous rejoindrons, que nous découvrirons le vrai Dieu. Si nous en faisons une idole à notre mesure, si nous le restreignons à nos besoins, si nous réduisons Dieu à un monopole de secte ou de parti, il s’agit d’un faux dieu.
Le vrai Dieu n’a pas de frontières, le vrai Dieu est un Amour illimité, le vrai Dieu est tout entier et infiniment en chacun un don illimité.
Jésus était présent à ses Apôtres ; ils ne l’ont pas connu ; il était devant Pilate, il ne l’a pas connu ; il comparaissait devant Caïphe, il ne l’a pas connu ; parce que tous le voyaient du dehors, ils le voyaient devant eux, au lieu de le voir au-dedans d’eux-mêmes, comme le principe, comme le lien qui unit tous les Hommes et qui peut faire de tous un seul Corps, une seule vie. Et c’est cela justement que le Seigneur voulait.

A l’Eucharistie, ce n’est pas une idole où on met un morceau de pain dans sa bouche, une idole où on fait de Dieu un objet portatif dont on dispose ! C’est tout le contraire ! L’Eucharistie c’est l’impossibilité d’atteindre Dieu sans passer par toute l’humanité, sans assumer toute l’Histoire, sans s’ouvrir à toutes les douleurs, à toutes les solitudes, à tous les abandons, à tous les crimes, à toutes les misères, à toutes les, à toutes les attentes, à tous les espoirs.


Jeudi Saint : Qu’avons-nous fait de l’Homme ? dans Communauté spirituelle VISUEL+LE+CORPS+DU+CHRIST+%25282%2529Vous ne pourrez venir à moi, c’est cela que veut dire l’Eucharistie, qu’en vous faisant d’abord mon Corps.
 C’est quand vous serez tous ensemble mon Corps Mystique, quand circulera, entre vous, un même Amour qui fera de vous les membres les uns des autres, c’est alors que vous pourrez m’appeler d’une manière efficace, c’est alors que vous serez en prise sur mon intimité, parce que justement votre intimité sera devenue illimitée et universelle.
Vous m’appellerez et je répondrai. Vous m’appellerez et je serai présent. Vous m’appellerez et je serai l’aliment de ce banquet universel qui vous rassemble tous autour de ma table et où vous vous échangez les uns les autres en échangeant la Présence divine elle-même.


Oui, c’est cela l’Eucharistie, elle n’a pas pour but de rendre présent le Christ. Il est toujours déjà là, c’est nous qui ne sommes pas là
. L’Eucharistie a pour but de nous rendre présents au Christ et de fermer l’anneau d’or des fiançailles éternelles et de faire jaillir en nous la plénitude de sa vie, dans la mesure où nous lui apportons la plénitude de la nôtre. Et un immense appel qui n’a pas été entendu et qui aurait dû y être.
Si cet appel avait, avait été entendu, est-ce qu’il aurait encore un esclavage pour les deux tiers de l’humanité ? Est-ce qu’il y aurait des Stalines ? Est-ce qu’il y aurait des abandons et des trahisons, si cet appel avait été entendu ?
Nous avons fait de Dieu une idole, de l’Eucharistie une idole, nous avons processionné autour de cette idole, et nous n’avons pas vu qu’elle était une exigence formidable, qu’elle demandait de chacun de nous qu’il se surmonte, qu’il se dépasse, qu’il fasse de son cœur un cœur illimité, qu’il accueille les autres au nom du Christ, en voyant en eux le Christ et en leur donnant le Christ, par sa fraternité même.


Ah ! Il faut que nous rendions à l’Évangile son réalisme incomparable, car personne n’a jamais aimé Dieu, je veux dire, n’a jamais aimé l’Homme comme Jésus-Christ. Personne n’a la passion de l’Homme comme Jésus-Christ. Et cette Passion que nous célébrons, ce Mystère de la Foi, il signifie justement au cœur de Dieu cette passion infinie pour l’Homme.
Le prix de notre vie, c’est lui, c’est lui-même, offert pour nous. Comment donc pourrions-nous le joindre sans assumer l’Homme, sans découvrir la grandeur de l’Homme, sans comprendre que le Royaume de Dieu ne peut s’accomplir qu’au-dedans de l’Homme, sans mettre au-dessus de tous nos intérêts, cette grandeur divine de l’Homme qui est tout le Royaume de Dieu dans une Incarnation de Dieu qui se continue jusqu’à la fin des siècles.


Et voilà la question qui nous est posée ce soir : qu’avons-nous fait de l’Homme ? Qu’avons-nous fait de l’Homme ? Est-ce que nous continuerons à processionner autour d’une idole ? D’une idole que nous avons construite en méconnaissant le don de Dieu.
Bien sûr, le Christ se donne réellement à nous; par l’Eucharistie vraiment il se communique. Mais s’il se communique par l’Eucharistie, c’est en réponse à cet appel de l’Église qui, seule, peut prononcer les paroles délicates qui actualisent cette Présence.
L’Église : Corps Mystique, mais l’Église, c’est nous ! Ce Corps Mystique, nous avons tous à le former, et il faut le dire : s’il n’y avait pas ce soir dans l’humanité quelqu’un qui aime, quelqu’un qui aime l’humanité, s’il n’y avait pas ce soir dans la Communauté chrétienne quelqu’un qui s’efforce vers l’universel, s’il n’y avait pas une âme au moins, dans le monde, en état d’ouverture plénière à Jésus-Christ, eh bien, la Consécration serait impossible ; elle serait invalide, parce que elle n’est pas un acte magique. Les paroles consécratrices sont le cri de l’Église, le Christum mystique
Il n’y aurait plus de Corps Mystique, s’il n’y avait pas au moins une âme, ce soir, en état de charité, pour répondre à cette Passion de Dieu envers toute l’humanité.
Dieu fait, ce soir, nous rassembler autour de sa table pour nous transformer en lui, en se donnant à nous. Il est donc impossible de disjoindre l’Eucharistie, le Lavement des Pieds, le  « Mandatum » , le suprême commandement, car ces trois sommets ont la même signification : impossible d’aller à Dieu autrement que par le chemin de l’Homme.


 eucharistie dans Communauté spirituelle

Nous allons donc communier, tout à l’heure, à l’humanité d’abord, pour communier à la Présence divine. Nous allons essayer d’étendre notre regard à toutes les douleurs, à toutes les souffrances, à toutes les solitudes, à tous les désespoirs, à toutes les famines… Mais pour que cela soit vrai, il faudra que ce soir, nous ôtions de nos cœurs tout ce qui nous sépare de l’amour humain, de l’amour de nos frères : toutes nos rancunes, tous nos ressentiments, tous nos refus de pardonner, et il faudra que ce soir en rentrant chez nous, nous apportions à ceux que nous rencontrerons, ce soir, un autre visage, un visage qui laisse transparaître Dieu, un visage où Dieu pourra se respirer comme l’appel du plus haut Amour, un visage enfin, qui sera une Présence, c’est-à-dire, un don silencieux, un don agenouillé, un don intérieur, un don à travers lequel le vrai Dieu, enfin, pourra se manifester.


L’Eucharistie, il ne faut jamais l’oublier, cette Présence communautaire par la Communauté, dans la Communauté, pour la Communauté, cette Présence est un appel constant à l’universel. On ne peut pas prendre la Communion pour soi tout seul. On communie toujours avec les autres, pour les autres, pour être le viatique de tous et de chacun, pour que personne ne soit abandonné, pour qu’aucun gâchis ne soit sans consolation, pour qu’aucune détresse ne ressuscite pas à l’espérance, pour qu’aucun malade n’éprouve un soulagement, pour que tous enfin se sentent appelés, entourés, et que s’ils passent de cette vie à l’invisible, nous ayons communié pour eux et qu’ils aient communié à travers nous.
Nous voulons demander au Seigneur, en poursuivant cette liturgie, nous voulons lui demander de sceller dans notre cœur cet appel, cette exigence infinie, afin que cette question :  « Qu’avons-nous fait de l’Homme ?  » devienne pour nous, chaque jour un programme, un désir, pour témoigner de Jésus-Christ, d’empoigner les problèmes humains avec la volonté de les résoudre.


Et surtout, puisqu’enfin il s’agit d’agir dans le plus concret et le plus immédiat, surtout que surgisse en nous, chaque jour, cette volonté de ne jamais ajouter, volontairement, à la douleur d’autrui, aujourd’hui, de ne pas ajouter à la peine de ceux qui nous entourent ; mais au contraire d’alléger leur fardeau et de leur faire apparaître Dieu comme la joie de notre jeunesse, de le leur révéler comme ce Cœur qui n’est qu’un Cœur, comme cet Amour qui n’est que l’Amour, comme celui enfin, qui a donné à l’humanité toutes ses dimensions en nous révélant cette Passion de l’Homme, infinie, qui brûle au Cœur de Jésus-Christ et qui fait qu‘il nous rassemble ce soir, autour de sa table, afin que nous devenions avec lui, en nous donnant à lui, comme il se donne à nous, pour nous donner à lui en nous donnant à toute l’humanité, afin que nous devenions en lui, un seul Corps, une seule vie, une seule personne, un seul pain vivant !


Messe du soir


1ère lecture : Prescriptions concernant le repas pascal (Ex 12, 1-8.11-14)


Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : Je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte. Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. »


Psaume : 115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18
R/ La coupe de bénédiction est communion au sang du Christ. (cf. 1 Co 10, 16)


Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.


Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?


Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.


2ème lecture : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)


Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.


Évangile : « Il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1-15)
Acclamation :
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !
Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (cf. Jn 13, 34)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Patrick BRAUD


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8 décembre 2024

Les dignes et les indignes

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les dignes et les indignes

 

Homélie pour le 3° Dimanche de l’Avent / Année C
15/12/24

Cf. également :
Anticiper la joie promise
La joie parfaite, et pérenne
Un baptême du feu de Dieu ?
Faites votre métier… autrement
Éloge de la déontologie
Du feu de Dieu !
Le Verbe et la voix
Gaudete : je vois la vie en rose
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?
Laissez le présent ad-venir
Tauler, le métro et « Non sum »

 

1. Les indignes de nos sociétés

Les dignes et les indignes dans Communauté spirituelleEn Inde, naître dans la caste des Dalits reste encore une marque d’infamie sociale : les ‘Intouchables’ subissent des discriminations que de récentes lois plus favorables peinent à éliminer. Ils sont affectés aux métiers impurs (ramassage de cadavres, d’ordures etc.) et en deviennent impurs eux-mêmes. Ils sont jugés indignes d’entrer dans un temple, de fréquenter une école normale, d’habiter dans un quartier non dalit, de boire au puits commun, de se marier avec quelqu’un d’une autre caste etc. Ce groupe représente environ 200 millions de personnes, soit 20 % de la population indienne !

Chaque société a ses Dalits. Les élections américaines ont suscité maints documentaires où l’on nous montrait les laissés-pour-compte du rêve américain : SDF errant caddie en main avec leurs maigres affaires, drogués hagards prêts à tout pour un shoot, mères célibataires écumant les œuvres de charité pour survivre etc. Ces intouchables sont des loosers disqualifiés aux yeux de la théologie de la prospérité chère aux évangélistes ou autres Églises protestantes canonisant le succès comme bénédiction divine et la pauvreté comme châtiment dû à la responsabilité individuelle. En France, on les appelle les Invisibles, car ils sont transparents aux statistiques, et on ne les voit pas dans les débats politiques ou syndicaux. Une série policière leur est même consacrée, où des flics obstinés enquêtent sur la mort ou la disparition de ceux dont l’absence ne gêne personne…

N’oublions pas non plus que l’Europe a vu le génie allemand inventer ce terme épouvantable d’Untermenschen (sous-hommes), bricolage de Darwin et de Nietzsche mal digérés. Ces créatures-là (Juifs, handicapés, homosexuels, Tziganes…) étaient indignes de vivre et ne devaient prétendre à rien. 

 

L’Évangile de ce dimanche (Lc 3,10-18) fait-il la part belle à toutes ces indignités sociales ? « Je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales » : en se rangeant dans le camp des indignes, Jean-Baptiste aurait-il intériorisé la division des humains en castes, en confréries, en races supérieures/inférieures ?

 

2. Les indignes de la Bible

Suis-je digne ou indigne ? de quoi ? de qui ? 

L'avorton de dieu. Une vie de Saint Paul - Label EmmaüsPour répondre à ces questions, relisons les autres passages où la dignité est enjeu. Le mot utilisé par Baptiste (κανς, hikanos) dans ce sens de dignité ne l’est que dans le Nouveau Testament en réalité. Ce qui est déjà un indice : la Loi juive parle de commandements à observer, elle est centrée sur le faire, pas sur l’être. Faire relève du devoir moral ou religieux. Être est le fondement de la dignité du vivant, de par sa nature même, en amont de ce que chacun en fait. 

Dans le Nouveau Testament, on lit avec étonnement que Pierre et Paul par exemple se proclamaient indignes du Christ : « À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : “Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur” » (Lc 5,8).

« Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu » (1 Co 15,9).

Si ces deux colonnes de l’Église se rangent parmi les indignes, on devine qu’il sera difficile pour nous d’y échapper ! En y ajoutant Jean-Baptiste, on se dit que la conscience de notre indignité est peut-être la clé paradoxale pour entrer dans la cour des grands…

 

Je%20ne%20suis%20pas%20digne%204 dignité dans Communauté spirituelleEt puis il y a également le célèbre centurion qui nous fait frapper la poitrine lors de chaque eucharistie avant de communier : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri » (Mt 8, 8).

Le point commun à ces quatre indignités (Pierre, Paul, le centurion, Jean-Baptiste) est qu’elles ne sont pas imposées de l’extérieur comme une étoile jaune ou une caste. Ce n’est pas une arme utilisée par leurs amis pour les disqualifier. Non : Pierre, Paul, Jean-Baptiste et le centurion s’attribuent à eux-mêmes cette indignité. Ils reconnaissent avec courage, humilité et réalisme le décalage énorme entre ce que Dieu leur donne et ce qu’ils ont à offrir. Ils expérimentent la gratuité inouïe de l’action de Dieu à travers eux. De cet écart naît une confession négative : « non sum », « je ne suis pas », où ils font le deuil de leur prétention instinctive à marchander avec Dieu, à mériter sa grâce, à être à sa hauteur. Rien à voir avec l’indignité sociale imposée par les dominants rêvant de toute-puissance ! 

Ne supportez jamais qu’on traite quelqu’un d’indigne, mais cultivez pour vous-même le réalisme spirituel de votre distance avec le Très-Haut !

 

Quatre autres usages de l’expression « être digne de » viennent nuancer ce propos. En effet, c’est Jésus en personne qui déclare indigne de lui ceux qui mettent la famille au-dessus de tout (ce qui devrait nous étonner, voire nous scandaliser) : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi » (Mt 10,37‑38). Prenons donc garde : il ne suffit pas de se reconnaître indigne pour ne plus l’être ! Car idolâtrer sa famille, ses intérêts, refuser de « prendre sa croix » nous coupe réellement de cette ambition la plus haute : être digne du Christ.

C’est le même jugement très sévère que le roi de la parabole formule à l’encontre des invités qui refusent de venir à sa noce : « Alors il dit à ses serviteurs : Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes » (Mt 22, 8). On retrouve le paradoxe de la gratuité : ne pas la recevoir nous rend indigne, alors que l’accueillir sans condition nous ouvre l’accès au festin !

C’est le jugement encore de l’auteur de la lettre aux Hébreux sur les générations d’autrefois qui n’ont pas reconnu ni accueilli le témoignage des héros de YHWH et des martyrs préférant tout perdre plutôt que de renier l’Alliance : « Ils furent lapidés, sciés en deux, massacrés à coups d’épée. Ils allèrent çà et là, vêtus de peaux de moutons ou de toisons de chèvres, manquant de tout, harcelés et maltraités ; mais en fait, c’est le monde qui n’était pas digne d’eux ! » (He 11,37‑38). Renversement d’accusation : c’est le monde qui n’est pas digne de ces témoins lorsqu’il les méprise ou les élimine ! Ainsi Jésus invitera ses disciples à secouer la poussière de leurs sandales lorsqu’ils seront rejetés quelques part : « Si cette maison en est digne, que votre paix vienne sur elle. Si elle n’en est pas digne, que votre paix retourne vers vous » (Mt 10, 13).

 

Qui est digne, qui est indigne ?

À la lumière des usages bibliques, la question se révèle plus complexe qu’il n’y paraît…

 

Revenons à Jean-Baptiste et sa déclaration : « Je ne suis pas digne de délier les courroies de ses sandales ».

 

3. Indignons-nous de l’indignité de Jean-Baptiste !

Cette parole est commune aux 4 Évangiles et – chose rare – également aux Actes des Apôtres (Mt 3,11 ; Mc 1,7 ; Lc 3,16 ; Jn 1,27 ; Ac 13,25). Pour qu’elle soit répétée 5 fois au mot près, c’est qu’elle a fortement impressionné les témoins ou auditeurs de l’événement. Or elle devrait nous indigner, cette indignité !

7a-icone-jb-louvre-cretois eucharistieComment ! ? Voilà un homme, un prophète authentique choisi par Dieu, qui accumulait toutes les bonnes œuvres possibles : il ne s’est pas marié pour se consacrer à la Parole annoncée, il a renoncé au luxe et à la richesse pour vivre simplement au désert, il annonce la Parole à temps et à contretemps, fidèle serviteur jusqu’à payer de sa vie le rappel exigeant de l’éthique de la Loi juive (« tu n’as pas le droit d’épouser la femme de ton frère »). Franchement, difficile de faire mieux ! En plus, il est « de la famille », et aurait pu en tirer profit. Mais il s’efface derrière son cousin, son cadet, et lui donne même ses disciples, dépouillement suprême pour un rabbi juif. Jésus va couronner tout cela en faisant de lui « le plus grand des enfants des hommes » (Lc 7,28), rien moins que cela !

Si Jean-Baptiste avec tout cela n’est pas digne, alors qui le sera ? (à part Marie sans doute…)

 

Il y a quelque chose de scandaleux (de ‘sandaleux’) dans cette indignité autoproclamée de Jean-Baptiste : tout cela ne suffit donc pas ? Que te faut-il de plus Seigneur, pour être jugé digne de toi ?

Nous devrions nous en indigner ! En français, le verbe s’indigner exprime le refus et la colère devant ce qui n’est pas digne, ce qui n’est pas juste. Jean-Baptiste par exemple s’indigne de l’hypocrisie des pharisiens : « hypocrites, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? », Comme il s’indigne de l’union coupable d’Hérode avec la femme de son frère. Que Jean-Baptiste se déclare indigne aurait de quoi nous révolter : nous devrions éprouver cette colère pour justement mesurer l’ampleur du reversement inouï opéré en Christ. 

Quand l’intouchable se laisse toucher par Dieu, quand l’invisible se laisse regarder par le Christ, quand les sous-hommes se laissent rejoindre par le crucifié, alors les indignes sont revêtus de la robe blanche pendant que les dignitaires sont jetés hors de la salle des noces…

 

Si Jean-Baptiste n’est pas digne, qui le sera ? Personne, nous répond finalement Jésus : « pour les hommes c’est impossible ; mais à Dieu rien n’est impossible » (Mt 19,26). Lorsqu’avec Jean-Baptiste nous confessons notre radicale indignité, c’est là que tout devient possible pour Dieu. Il ne s’agit pas de devenir digne du Christ (c’est la quête vaine et orgueilleuse des ‘bonnes œuvres’), mais de recevoir de lui la capacité d’être en communion avec lui et avec les autres.

 

Cela a des conséquences sur notre aspiration à la sainteté (autre mot pour désigner la dignité d’être en Christ) : la sainteté n’est pas à construire, ni à mériter ou à poursuivre comme un objectif ; elle est une grâce à accueillir, à recevoir gratuitement, à mettre en œuvre passionnément…

 

4. Notre indignité eucharistique

4576-6~v~Pqt_de_25_-_Seigneur_je_ne_suis_pas_digne_de_te_recevoir___ Jean Baptiste« Je ne suis pas digne » : la parole de Jean-Baptiste rejoint celle du centurion que nous faisons nôtre en nous frappant la poitrine avant d’aller communier : « Seigneur, je ne suis pas digne de recevoir, mais dis seulement une parole je serai guéri », en fusionnant au passage le centurion et son serviteur dans une même demande (intéressant, car cela suggère que je suis à la fois le maître et le serviteur de moi-même…). Ce sentiment d’indignité était si exacerbé autrefois qu’il fallait être ‘en état de grâce’ pour communier (en s’étant confessé il y a peu, sans pécher entre-temps). Bizarrement, ce qui est une parole sur la gratuité du salut était devenu une recherche obsessionnelle d’une pureté impossible ! 

Or le but n’est pas de se débarrasser de notre indignité, mais de la reconnaître. 

Le centurion ne prétend pas justifier l’intervention de Jésus : il désire seulement accueillir ce qu’il fera pour son serviteur. De même le but de Jean-Baptiste n’est pas d’être séparé de son cousin, mais au contraire de le servir, jusqu’à délier la courroie de sa sandale.

 

Notre indignité eucharistique n’est pas une tache à éliminer à la force du poignet, mais l’acceptation de ce que nous sommes, afin de guérir (centurion), afin de servir (Jean-Baptiste).

Précisons au passage que l’indignité eucharistique n’a rien de sexuel dans le Nouveau Testament. Elle serait plutôt de l’ordre de l’idolâtrie (aimer ses parents ou enfants plus que le Christ) ou de l’égoïsme (ne pas prendre sa croix). 

Pour le centurion, c’est son métier qui peut être source d’indignité (force d’occupation injuste et violente, commandant en maître). 

Pour Paul, c’est ne pas remplir les critères normaux d’un apôtre, car il n’a pas connu Jésus selon la chair, et être coupable d’avoir persécuté son Église. 

Pour les esprits mondains, c’est ne pas reconnaître le témoignage des croyants et des prophètes d’aujourd’hui, et les mépriser, les marginaliser, les éliminer sans trembler. 

Pour Pierre, c’est tout simplement être pécheur.

 

Notre indignité eucharistique n’est pas morale, mais spirituelle : c’est la relation au Christ qui nous dévoile à nous-même ce que nous sommes en vérité. Alors, celui qui se reconnaît indigne du Christ en devient paradoxalement digne par ce mouvement même d’abandon à la miséricorde divine. C’est l’expérience du publicain se frappant la poitrine au fond du Temple derrière le pharisien vertueux (Lc 18,9-14) : « Seigneur, prends pitié du pécheur que je suis ». Lui descendit du temple justifié, digne d’être l’ami de YHWH. Le pharisien, moralement juste, en devient indigne. « L’un descendit justifié, l’autre non ».

 

Que la confession d’indignité de Jean-Baptiste nous inspire pour investir plus intensément la petite phrase machinale que nous marmonnons avant de prendre place dans la file de communion : « Seigneur, je ne suis pas digne… ».

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Le Seigneur exultera pour toi et se réjouira » (So 3, 14-18a)

Lecture du livre du prophète Sophonie
Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem ! Le Seigneur a levé les sentences qui pesaient sur toi, il a écarté tes ennemis. Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi. Tu n’as plus à craindre le malheur.
Ce jour-là, on dira à Jérusalem : « Ne crains pas, Sion ! Ne laisse pas tes mains défaillir ! Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il exultera pour toi et se réjouira, comme aux jours de fête. »

Cantique (Is 12, 2-3, 4bcde, 5-6)
R/ Jubile, crie de joie, car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël.
 (cf. Is 12, 6)

Voici le Dieu qui me sauve :
j’ai confiance, je n’ai plus de crainte.
Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ;
il est pour moi le salut

Exultant de joie, vous puiserez les eaux
aux sources du salut.
« Rendez grâce au Seigneur,
proclamez son nom,
annoncez parmi les peuples ses hauts faits ! »
Redites-le : « Sublime est son nom ! »

Jouez pour le Seigneur, il montre sa magnificence,
et toute la terre le sait.
Jubilez, criez de joie, habitants de Sion,
car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël.

Deuxième lecture
« Le Seigneur est proche » (Ph 4, 4-7)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Frères, soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus.

Évangile
« Que devons-nous faire ? » (Lc 3, 10-18)
Alléluia. Alléluia. 
L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (cf. Is 6,1)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, les foules qui venaient se faire baptiser par Jean lui demandaient : « Que devons-nous faire ? » Jean leur répondait : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! » Des publicains (c’est-à-dire des collecteurs d’impôts) vinrent aussi pour être baptisés ; ils lui dirent : « Maître, que devons-nous faire ? » Il leur répondit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. » Des soldats lui demandèrent à leur tour : « Et nous, que devons-nous faire ? » Il leur répondit : « Ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort ; et contentez-vous de votre solde. » Or le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. » Par beaucoup d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
Patrick BRAUD

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15 août 2024

Serions-nous cannibales et vampires ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Serions-nous cannibales et vampires ?

 

Homélie pour le 20° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

18/08/24

 

Cf. également :

Les fous, les sages, et les simples
La sobre ivresse de l’Esprit
Éternellement
Manquez, venez, quittez, servez
L’homme ne vit pas seulement de pain
Le pain perdu du Jeudi Saint
Les bonheurs de Sophie
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Jésus face à la violence mimétique


La « sainte horreur »

Serions-nous cannibales et vampires ? dans Communauté spirituelle 51D8gy6FELL._SL1121_1578 : Le réformateur Jean de Léry débarque au Brésil et y découvre, horrifié, les coutumes anthropophages de certains amérindiens. Coïncidence révélatrice : au même moment éclate à Rio une dispute entre catholiques et protestants au sujet de l’eucharistie. Les huguenots comparent la conception eucharistique catholique à la pratique cannibale, observée chez les Aztèques, les Indiens Guayaki ou Tupinamba, comme on en avait observé chez les Maoris de Nouvelle-Zélande où les Papous de Nouvelle-Guinée. Ils éprouvaient « une sainte horreur » de l’hostie et du calice catholiques, trop réalistes à leurs yeux. Manger la chair et boire le sang du Christ : la façon dont les catholiques prenaient au pied de la lettre ces paroles les rendaient suspects de côtoyer de trop près le cannibalisme des ‘sauvages’, et c’est donc avec « une sainte horreur » que les réformés fustigeaient cette théologie eucharistique trop païenne à leurs yeux. Malheureusement, on ne discutait pas qu’avec des mots en cette époque troublée. Les guerres de religion déchiraient l’Europe et la mettaient à feu et à sang pour des débats théologiques qui nous paraissent aujourd’hui lointains. Alors, l’amiral Villegagnon, catholique, fit arrêter les critiques, et noyer trois calvinistes dans la baie de Rio de Janeiro pour avoir taxé les catholiques de « théophages » [1].

 

Apprenant cela, Montaigne écrivit en 1580 un chapitre de ses Essais devenus célèbres : « Des cannibales » (Livre I, ch. 31). Il s’indigne du jugement occidental ethnocentré porté sur les pratiques amérindiennes, alors qu’en Europe on s’écharpe et on s’entre-tue au nom de la religion. La sauvagerie des belligérants catholiques et protestants dépasse de loin celle des Tupinamba, et les cannibales ne sont pas ceux que l’on pense… :

81Uc7GpwzUL._SL1500_ cannibalisme dans Communauté spirituelle« Je ne suis pas marri que nous remarquions l’horreur barbaresque contenue en une telle action (cannibale), mais plutôt que, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveuglés aux nôtres. 

Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et par géhennes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion), que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé ».

 

Qu’y a-t-il de plus horrifique en effet : mordre à pleines dents dans le mollet d’un mort ou transpercer les membres d’un vivant supplicié au tribunal de l’Inquisition ? Faire rôtir un bras mort ou plonger dans le feu un hérétique vivant ? Boire le sang du guerrier vainqueur mort au combat ou faire couler le sang de centaines d’innocents dans le massacre des guerres de religion ? Où est l’horreur véritable ? Où est la sauvagerie inhumaine ?

 

C’est vrai que la parole de Jésus dans l’Évangile de ce dimanche (Jn 6,51-58) est dure : « si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’Homme, si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous ». Comment interpréter ces paroles de Jésus sans retomber dans des pratique cannibales ou vampires ? Car boire le sang des proches ou des ennemis faisait également partie des coutumes largement répandues dans les mythologies des Mésopotamiens, des Grecs, des Romains et des Slaves.

 

Puisque le Christ est venu accomplir et non abolir, tentons le parallèle dérangeant, audacieux et effrayant entre la communion eucharistique et le cannibalisme et le vampirisme, stades obligés de l’évolution des cultures humaines.

 

L’eucharistie exauce la quête cannibale / vampire

image%2F0931903%2F20210605%2Fob_3fbadc_corps-et-sang-du-christ eucharistieContrairement à ce qu’ont pensé les Modernes et leur approche matérialiste, le cannibalisme n’avait pas pour but de se nourrir, ni le vampirisme d’étancher sa soif. Ce n’est pas la nécessité – famine ou pénurie de viande par exemple – qui pousse à manger la chair et boire le sang de l’autre. C’est toute une symbolique, un acte social, rigoureusement codifié par des rituels quasi religieux. Les significations symboliques en sont multiples, car il y a une multitude de cannibalismes, de pratiques [2] variées selon les tribus et les continents :  transfert de pouvoir du mort vers le consommateur ; union avec les dieux ; rites  funéraires ; entretien du cycle de la vie ; domination des vaincus ; cohésion du groupe, menace aux dissidents ; châtiment et dissuasion ; régénération spirituelle ; éloignement des revenants ; purification ; protection contre le mal etc.

 

a) Conjuguer l’altérité et identité

Les Indiens Tupinamba disaient : « Nous mangeons nos beaux-frères ». Cela traduisait l’intégration au clan grâce aux alliances matrimoniales. C’était un grand honneur fait aux « valeurs ajoutées » au clan et en même temps un  élargissement de celui-ci grâce à ces alliés.

Autrement dit : il s’agit ici de manger le même, ni trop près (enfants, conjoints…), ni trop loin (étranger). 

Il ne faut, en effet, manger ni trop près, car ce serait consommer du même, se manger soi-même (« nous ne mangeons pas ceux avec qui nous faisons l’amour » disaient ces indiens), ni trop loin, car ce serait risquer son identité, risquer la dévoration par l’ogre, cet étrange étranger. Le but est de préserver l’intégrité du clan en l’élargissant à ceux qui en sont proches. Ce repas symbolique veut conjuguer l’identité du groupe et l’altérité de ceux qui peuvent s’y adjoindre.

 

L’eucharistie exaucera ce vœu, avec la chair et le sang de Jésus si proche (un humain comme nous) et si autre (fils de Dieu, Dieu lui-même). Communier au Christ dans l’eucharistie, c’est préserver l’unité de l’Église, à travers le temps et l’espace, tout en y ajoutant ceux qui se convertissent.

 

b) Un repas d’alliance

Cannibalisme mimétiqueDans les tribus pratiquant l’endo-cannibalisme, manger ses proches c’est proclamer que le lien clanique ne s’interrompt pas avec la mort. Leur chair devient la leur, et ainsi la chaîne de solidarité continue à unir les ancêtres à leurs descendants, pour le bien des deux.

La communion eucharistique vient exaucer ce vœu, car elle implique la communion des saints, agrandissant le corps du Christ à travers les âges et pas seulement à travers les distances. L’alliance avec les ancêtres trouve ici sa forme la plus haute.

 

c) Absorber les forces et l’esprit de l’autre

Dans certaines tribus, on consomme le corps des ennemis vaincus pour s’approprier leur courage, leur force, leur valeur guerrière (exo-cannibalisme). Version première de   »l’homme augmenté », le cannibale augmente la panoplie de ses vertus et qualités en les empruntant aux morts, symboliquement, par l’ingestion du corps des vaincus. Le vampire suce le sang de ses victimes comme un élixir d’où il tire ses forces nouvelles.

L’eucharistie exauce ce vœu d’« empowerment » au plus haut point ! Car la communion au corps du Christ nous donne son Esprit, sa force, son courage pour mener les combats spirituels qui nous incombent.
Communier au sang du Christ fait couler dans nos veines son désir d’aimer, de servir, de témoigner, jusqu’au martyre s’il le faut.

 

c) Un repas symbolique, ritualisé, social, communautaire

Autre ressemblance : tout est codifié dans les repas cannibales. Les rôles de chacun sont spécifiques, bien répartis. Chacun les connaît, personne ne les transgresse. Les anthropologues appellent « fait social total »  de telles pratiques où le clan/le peuple se constitue et se régénère par la cérémonie où l’on consomme des proches, des amis ou des ennemis pour maintenir le clan/le monde dans son intégrité.

La chair, quoiqu’il la consomme effectivement, n’est pas une viande, mais un signe que le cannibale manipule pour construire sa vengeance et une cuisine sociale qui soude la communauté en ses articulations différenciées 

 

De même, on dénature l’eucharistie si on la réduit à un tour de magie sur du pain et du vin [3]

Au catéchisme (années 60), on m’apprenait à ne pas mordre dans l’hostie au moment de la communion, « pour ne pas faire de mal à Jésus ». Il fallait donc coller l’hostie à son palais et la laisser fondre lentement… Si bien que la prière post-communion était le plus souvent remplacée par les contorsions de la langue cherchant à se défaire du carton-pâte collé au palais. Cette chosification du corps du Christ est une trahison de la dimension sacramentelle de l’eucharistie ! 

 

Le but de la communion est essentiellement symbolique (au sens fort du terme : symbole = ce qui relie) : nous unir au Christ, à l’Église de tous les lieux et de tous les temps, faire de nous des vivants en Christ. 

Augustin par exemple emploie indifféremment le mot sacrement ou symbole : « C’est votre propre symbole qui repose sur la table du Seigneur (…) soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes » (Serm. 272). Le sym-bole est ce qui met en relation. Le Christ est immolé « in sacramento ». On ne comprend rien à l’eucharistie si on la vide de sa substance sacramentelle, de même qu’on ne comprend rien au cannibalisme si on n’y voit qu’une pratique alimentaire !

 

Évidemment, si on s’arrêtait là, à faire la liste des ressemblances entre l’eucharistie et le cannibalisme / vampirisme, ce se serait un peu effrayant, et « la sainte horreur » de l’hostie pourrait à nouveau nous éloigner de la communion !

Allons un peu plus loin en listant quelques différences majeures où l’eucharistie est en rupture avec ces pratiques anciennes, paradoxalement pour mieux les accomplir.

 

L’eucharistie subvertit la logique cannibale/vampire

 

a) La peur des morts

Dans certaines tribus, on mange les cadavres des défunts du clan très vite, afin d’empêcher symboliquement l’âme des morts de rester en lien avec ce corps, et de venir ainsi troubler le monde des vivants. Chacun chez soi, pour la tranquillité de tous ! Les Guayaki disaient : « ne pas être cannibale, c’est se condamner à mourir », et les étrangers, qui n’ont pas eux l’habitude de manger leurs morts mourront bientôt car l’âme des défunts, condamnée à rôder, n’aura de cesse de vouloir se venger. 

Une survivance de cette croyance se retrouve dans la pratique romaine de concentrer les tombes en dehors de la cité, à l’écart, loin des vivants, afin que nul mélange ne vienne semer la confusion, le trouble et le désordre.

 

Catacombes de Saint Pancrace, RomeLes chrétiens refusèrent cette logique de peur et de séparation entre morts et vivants. D’abord en allant se réfugier dans les catacombes – ces galeries souterraines remplies de cercueils de cadavres – pendant les trois siècles de persécutions, pour s’y cacher et célébrer l’eucharistie. Puis en remettant le cimetière au cœur des villes et des villages, et non à l’extérieur. En Charente-Maritime par exemple, les belles églises romanes au centre, sur la place, sont entourées de jardins exubérants de roses trémières, qui sont en fait le cimetière local. Et il faut marcher sur les tombes pour entrer dans l’église. Quelle plus belle illustration de la communion des saints du Credo ? La mort apprivoisée remplace la mort redoutée.

En régime chrétien, les morts ne font plus peur, on prie pour eux, on demande leur intercession, ils continuent à faire partie de la famille, sans les redouter. Le cannibalisme n’a plus alors aucun intérêt.

 

b) S’incorporer un cadavre vs laisser un Vivant nous incorporer à lui

B24-300x300 sacrificeLa symbolique de l’ingestion de chair humaine tourne autour du lien d’unité à maintenir : en le mangeant, l’autre devient une part de moi-même. C’est la fonction de la nourriture : nous faire assimiler le monde extérieur pour qu’il nous fournisse l’énergie vitale une fois digéré. 

Dans l’eucharistie, c’est le processus inverse ! D’abord c’est d’un Vivant qu’il s’agit et non d’un mort. Ensuite, ce n’est pas nous qui l’absorbons : c’est lui qui nous accueille, c’est lui qui fait de nous son corps et non notre corps qui fait de lui sa chair.

« Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui » (Jn 6,56). L’Eucharistie intervertit le processus naturel de la digestion, par lequel nous nous approprions les éléments extérieurs à notre organisme. Ainsi nous devenons, « en participant au corps et au sang du Christ, un seul corps et un seul sang avec le Christ » (Catéchèse de Jérusalem).

Saint Augustin a bien compris cette subversion de l’assimilation opérée dans la communion eucharistique
« Je suis la nourriture des forts : grandis et tu me mangeras. Tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ton corps, c’est toi qui seras changé en moi ».

 

Le cannibale veut s’assimiler l’autre après sa mort. Le chrétien se laisse assimiler au Christ alors qu’Il est Vivant.

 

c) La dénonciation de la violence mimétique.

René Girard osait écrire que l’eucharistie récapitule en elle la religion du cannibalisme primitif, mais au prix de la dénonciation et du rejet de la violence qui imprégnait les meurtres rituels.

Jésus face à la violence mimétique« On peut considérer les religions archaïques comme le premier stade de la révélation progressive qui culmine dans le Christ. Ainsi, quand certains disent que l’Eucharistie est enracinée dans le cannibalisme archaïque, il ne faut pas le nier, mais l’affirmer au contraire ! La véritable histoire de l’humanité est une histoire religieuse qui remonte au cannibalisme primitif. Le cannibalisme primitif est la religion, et l’Eucharistie récapitule cette histoire, de l’alpha à l’oméga. Tout cela est primordial, et une fois qu’on l’a compris, il faut nécessairement admettre que l’histoire de l’homme inclut ce début meurtrier : Caïn et Abel » [4].

Être chrétien, c’est précisément rompre avec l’unanimité victimaire. La communion des chrétiens s’enracine dans l’ardente conviction que Jésus est innocent et que Dieu lui-même a justifié sa mort. Cette conviction n’est pas l’acceptation mais au contraire le rejet du meurtre fondateur auquel l’autre groupe adhère aveuglément » [5]


Michel Serres, l’agnostique, recevait son ami René Girard sous la Coupole de l’Académie Française avec ces mots :

« Je vois les premier chrétiens, dames patriciennes, esclaves, étrangers de Palestine ou d’Ionie, sans distinction de sexe, de classe ni de langue, ne cessant de focaliser leur regard et leur attention fervente sur l’image de la victime innocente, en partageant une hostie symbolique plutôt que les membres épars d’un lynchage. Si nous comprenions ce geste, ne changerions-nous pas de société ? » [6]

 

Contrairement au cannibale qui civilise son anthropophagie en cuisant sa viande, le catholique procède à rebours et « transforme » le cuit initial (le pain) en un cru symbolique, la chair du Christ vivant.

Le cannibalisme suppose une violence sanglante, l’eucharistie est au contraire « un sacrifice non sanglant » (Concile de Trente) accompli une fois pour toutes par Jésus, et rendu présent sacramentellement dans la célébration. Pas besoin de répéter à l’infini ce sacrifice : il est unique, accompli une fois pour toutes, et l’eucharistie nous y associe sans le réitérer. 

En ce sens, communier est un acte essentiellement non-violent.

 

d) La subversion du sang versé

De qui est le sang qui coule ? Dans le vampirisme, c’est celui de la victime. Dracula exploite les sujets de son royaume en leur suçant le sang pour revitaliser son pouvoir sur eux. 

Dans l’eucharistie, c’est l’inverse ! C’est le maître qui laisse couler son sang ; c’est le prince qui se fait serviteur ; c’est le supérieur qui se sacrifie pour ses subordonnés. Les vampires modernes (profits financiers [7], dévastation de la planète, tyrannies politiques etc.) consomment et ne redonnent rien ; ils se gardent en vie en volant celle des autres ; ils dominent sans servir.

Le sang eucharistique est celui du don total à l’autre, fût-il mon ennemi. Communier, c’est pratiquer le don du sang sous toutes ses formes, du service jusqu’au martyre en passant par la profession ou la politique. À l’inverse, les cannibales et vampires modernes détruisent en consommant, font mourir pour survivre, saignent les pauvres pour rester riches.

 

Conclusion : une réalité en sacrement

On doit prendre au sérieux cet accomplissement/subversion des cannibalismes/vampirismes par l’eucharistie !

Nous avons réellement la chair et le sang de Jésus sur l’autel, mais c’est une réalité en sacrement, donc non sanglante, non physiologique. Et cette réalité accomplit le meilleur de la religion cannibale, tout en subvertissant ses dérives violentes et inhumaines.

ichtus vampireL’Occident a un mal fou à concevoir une réalité autre que celle des molécules et des atomes. Notre matérialisme nous aveugle. Or il y a d’autres réalités que matérielle : esthétique, artistique, amoureuse, symbolique, voire virtuelle, augmentée, probabiliste…. Le réalisme eucharistique n’est pas physique au sens moderne du terme, mais au sens de la substance (sub-stance = ce qui se tient en-dessous des choses) des philosophes romains ou de la nature (physis) des Grecs

Le mot transsubstantiation est une tentative d’explication de cette réalité, et c’est une transformation sacramentelle, non sanglante, non carnée. Nous ne reproduisons pas l’unique sacrifice mais nous le rendons présent, symboliquement [8] – c’est-à-dire sacramentellement – en chaque eucharistie.

Le Concile de Trente reconnaît lui-même que les mots seront toujours trop pauvres pour décrire cette réalité de la chair et du sens eucharistique : le Christ est présent « en sa substance, dans un mode d’existence que nos mots peuvent sans doute à peine exprimer, mais que notre intelligence, éclairée par la foi, peut cependant reconnaître et que nous devons croire fermement comme une chose possible à Dieu ».

Rappelez-vous Saint Augustin : « Si tu comprends, ce n’est pas Dieu »

Ce qui n’empêche pas la recherche théologique et spirituelle, au contraire, car le but est dans la quête elle-même, infinie…

 

N’allons pas communier comme avant. 

Même si les images cannibales et vampires vous effrayent, qu’elles vous obligent au moins à regarder la réalité eucharistique de la chair et du sang du Christ sous un autre jour !

_____________________________________________

[1]. Cf. Frank Lestringant, Une sainte horreur ou le voyage en Eucharistie, XVI°-XVIII° siècle, préface de Pierre Chaunu, Paris, PUF « Histoires », 1996.

[2]. Par exemple : endo ou exo cannibalisme, rituels de dépeçage et de consommation, de cuisine (cuir, rôtir, bouillir, réduire en cendres etc.), repas réservé à quelques-uns ou offert à tous etc…

[3]. Le langage populaire disait même: « faire Hocus Pocus » (déformation de « hoc est corpus (meum) » = « ceci est mon corps ») pour signifier : faire un tour de passe-passe.

[4]. René Girard, Les origines de la culture, Desclée de Brouwer, 2004, p. 129.

[5]. Ibid., pp. 193-194.

[7]. Cf. la critique de Marx : « Le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s’anime qu’en suçant le travail vivant, et sa vie est d’autant plus allègre qu’il en pompe davantage. Le temps pendant lequel l’ouvrier travaille est le temps pendant lequel le capitaliste consomme la force de travail qu’il lui a achetée ». « La prolongation de la journée de travail au-delà des bornes du jour naturel, c’est à dire jusque dans la nuit, n’agit que comme palliatif, n’apaise qu’approximativement la soif de vampire du capital pour le sang vivant du travail » (Karl Marx, Le Capital Livre I).

[8]. Les premiers Chrétiens qualifiaient couramment le corps et le sang du Seigneur de nourriture et de boisson « spirituelles » : « Mais nous, tu nous as gratifiés d’une nourriture et d’un breuvage spirituels, et de la vie éternelle, par Jésus ton Serviteur » (Didachè, 10.3). « Fortifie ton cœur en prenant ce pain comme une nourriture spirituelle, et rend joyeux le visage de ton âme » (Catéchèses mystagogiques de l’Église de Jérusalem).

 LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé » (Pr 9, 1-6)

Lecture du livre des Proverbes
La Sagesse a bâti sa maison, elle a taillé sept colonnes. Elle a tué ses bêtes, et préparé son vin, puis a dressé la table. Elle a envoyé ses servantes, elle appelle sur les hauteurs de la cité : « Vous, étourdis, passez par ici ! » À qui manque de bon sens, elle dit : « Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé. Quittez l’étourderie et vous vivrez, prenez le chemin de l’intelligence. »

Psaume
(Ps 33 (34), 2-3, 10-11, 12-13, 14-15)
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur !
 (cf. Ps 33, 9)

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Saints du Seigneur, adorez-le :
rien ne manque à ceux qui le craignent.
Des riches ont tout perdu, ils ont faim ;
qui cherche le Seigneur ne manquera d’aucun bien.

Venez, mes fils, écoutez-moi,
que je vous enseigne la crainte du Seigneur.
Qui donc aime la vie
et désire les jours où il verra le bonheur ?

Garde ta langue du mal
et tes lèvres des paroles perfides.
Évite le mal, fais ce qui est bien,
poursuis la paix, recherche-la.

Deuxième lecture
« Comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur » (Ep 5, 15-20)

Lecture de la lettre de saint Paul aux Éphésiens
Frères, prenez bien garde à votre conduite : ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. Tirez parti du temps présent, car nous traversons des jours mauvais. Ne soyez donc pas insensés, mais comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur. Ne vous enivrez pas de vin, car il porte à l’inconduite ; soyez plutôt remplis de l’Esprit Saint. Dites entre vous des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur. À tout moment et pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, rendez grâce à Dieu le Père.

Évangile
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58) Alléluia. Alléluia.
Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui, dit le Seigneur. Alléluia. (Jn 6, 56)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

 

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26 mai 2024

Communier, est-ce bien moral ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Communier, est-ce bien moral ?

 

Homélie pour la Fête du Saint Sacrement (Fête du Corps et du Sang du Christ) / Année B 

02/06/24

 

Cf. également :

Fêtons le Saint Sacrement avec Chrysostome
Le réel voilé sous le pain et le vin
L’Alliance dans le sang
Les 4 présences eucharistiques
Bénir en tout temps en tout lieu
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie


Le moine et le crapaud

Communier, est-ce bien moral ? dans Communauté spirituelle 220px-Ill_dict_infernal_p0205-189_crapauds_dansant_sabbatCésaire était le prieur de sa communauté cistercienne de Heisterbach, près de Bonn, au XIII° siècle. Ayant remarqué que ses frères communiaient très peu, par peur d’en être indignes, il leur inventa cette fable (exemplum en latin) pour les détourner de leur puritanisme eucharistique [1] : « Celui qui prend en horreur le corps et le sang du Christ est mal avisé, car il est quasiment impossible que l’homme n’encoure pas de péril d’âme ou de corps, si ce n’est des deux. Et à ce sujet je vais donner un exemple vrai et manifeste ». Voici la fable de Césaire :

Un moine n’osait pas communier à la messe du monastère. On ne savait pas pourquoi, mais il fuyait à chaque fois la file de la communion. Déchiré par ce grand écart, le moine finit précisément un Jeudi Saint par quitter bel et bien le monastère, et jette son habit monastique. Il s’assoupit sous un arbre, la bouche ouverte. Un immonde crapaud en profite pour se faufiler dans sa gorge, et s’y cramponne jusqu’à y élire domicile ! Les souffrances que lui inflige l’animal le conduisent à chercher un remède. Il trouve enfin une femme qui parvient à s’adjoindre les services d’une guérisseuse. Placé devant une décoction d’herbes, ouvrant la bouche et fermant les yeux, le moine sent le batracien sortir de son corps par là où il est entré. Assagi par ces épreuves, il retourne au monastère. Il y relate ses déboires et on lui fait boire une potion qui le purge de plus de soixante-dix petits crapauds qui étaient restés dans son corps.

Césaire tire lui-même la leçon de son historiette : c’est à bon droit que celui qui refuse le remède du salut s’expose au danger du poison. Se priver de la communion est suicidaire [2].


On enseignait encore récemment ce puritanisme eucharistique aux fidèles terrorisés : ‘si vous n’êtes pas en état de grâce, votre communion sera votre condamnation et vous irez en enfer’. Mieux valait alors communier le moins possible, car qui sait si je ne suis pas en état de péché mortel sans le savoir ? D’où, en réaction, l’obligation du concile de Latran (1215) de « faire ses Pâques » au moins une fois par an : se confesser et communier tout de suite après (pour ne pas pécher entre-temps) le jour de Pâques. Si bien que 51 dimanches par an on allait « assister à la messe » (sans participer à la communion), et l’on communiait une fois à Pâques.

Durant les siècles marqués par la rigueur janséniste (XVII°-XIX° siècles), l’eucharistie est la récompense rare à un comportement moral exceptionnel. Le pécheur doit être tenu à distance de ce grand mystère. Bien significative est la lettre envoyée par un curé, un soir de Noël à son évêque [3] : « Monseigneur, réjouissez-vous avec moi. Il n’y a pas eu de communion sacrilège aujourd’hui, car je n’ai pas ouvert le tabernacle ». À une époque encore pas si lointaine, Thérèse et ses sœurs du carmel de Lisieux étaient soumises au jugement de leur confesseur qui, seul, pouvait les autoriser à communier.


Kirill et Kigali

Le patriarche Kirill lors d'une messe de Noël à Moscou, le 6 janvier 2023.Le mouvement s’est inversé de façon spectaculaire, et c’est presque l’excès contraire : maintenant : tout le monde communie, sans se poser de questions. ‘Parce que j’y ai droit, parce que je le vaux bien, parce que j’en ai besoin, parce que tous les autres le font et je ne veux pas être à l’écart’ etc. Si bien que les divorcés-remariés ou les catéchumènes voient avec étonnement de fieffés filous, des libertins notoires, des patrons véreux, bref de vrais salauds s’approcher les mains ouvertes en toute innocence sans que personne n’en dise rien, alors que eux n’y ont pas droit. Un peu facile, non ?

Regardez Kirill, chef du patriarcat russe orthodoxe de Moscou. Enseveli sous des kilos d’étoffes rutilantes, de chasubles brodées d’or et d’argent, chamarré comme un cheval de cirque, il célèbre l’eucharistie avec componction et gravité, et se met juste après à remercier Dieu pour « le miracle Poutine » et à faire prier ses fidèles pour la victoire de la Sainte Russie en Ukraine.

À quoi servent ces belles célébrations orthodoxes aux chœurs sublimes si c’est pour contredire en pratique la communion reçue ?


240404_Affiche-Rwanda-300dpi crapaud dans Communauté spirituelleOu encore souvenez-vous du génocide du Rwanda, dont nous avons marqué le triste trentenaire cette année. En avril 1994, 90% de la population du Rwanda était catholique. Tous pratiquants réguliers. Tous allaient à la messe avec enthousiasme, chantaient, dansaient et animaient des célébrations eucharistiques extraordinairement ferventes comme l’Afrique Noire sait en faire. Las, à peine sortie de l’église, ce 7 avril 1994 et après, le pain azyme à peine fondu dans la bouche, ils ont pris leurs machettes et commencé à rompre d’autres corps que celui de l’autel, à verser d’autres sangs que celui du calice. Ils ont gorgé le sol rwandais du sang de 800 000 à 1 million de victimes. Ils ont déchiqueté et démembré des corps plus que les charniers ne pouvaient en contenir. Ils ont massacré ceux avec qui ils communiaient le dimanche… C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que la violence intra-religieuse connaissait un tel niveau d’horreur. Même les guerres de religion en Europe ont fait moins de victimes, et c’était entre catholiques et protestants, pas entre catholiques. À cela il faut ajouter hélas les 10 millions de morts (oui, vous avez bien lu !) que ce confit Hutus/Tutsis a provoqué en République Démocratique du Congo depuis 1994…

À quoi servent alors les belles messe dominicales, les magnifiques costumes endimanchés multicolores, les communions recueillies, les prières à genoux sur les bancs de l’église si c’est pour massacrer les co-paroissiens Tutsis (ou les Hutus ensuite) à la sortie ?


Les responsables politiques français n’étaient pas plus au clair, comme le président Macron l’a enfin reconnu récemment. Mitterrand avait nié en son temps être complice de quoi que ce soit dans ce génocide, « les yeux dans les yeux ». Mais heureusement, lui n’allait pas communier le dimanche…

Kirill et ses sbires, ou les génocidaires du Rwanda et leurs complices feraient bien de relire Saint Jean Chrysostome, liant fermement la communion eucharistique et l’amour de l’autre, le sacrement de l’autel et le sacrement du frère (il a d’ailleurs été condamné à l’exil pour avoir osé refuser à l’empereur la communion en public dans sa cathédrale, parce qu’il sortait des jeux du cirque et avait ainsi du sang sur les mains) :


Calice de messe orné de saphirsQuel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de misère ? Commence par rassasier l’affamé et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas un verre d’eau fraîche ? Et à quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable, et que tu l’abandonnes pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure, et la pire des injures ?

 

Pense qu’il s’agit aussi du Christ, lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas cela pour t’empêcher de faire de telles générosités, mais je t’exhorte à les accompagner ou plutôt à les faire précéder par les autres actes de bienfaisance. Car personne n’a jamais été accusé pour avoir omis les premières, tandis que, pour avoir négligé les autres, on est menacé de la géhenne, du feu qui ne s’éteint pas, du supplice partagé avec les démons. 

Par conséquent, lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre.

Jean Chrysostome, Homélie sur l’Évangile de Matthieu

Ou Saint Augustin tonnant contre l’hypocrisie de communiants trop dévots pour être honnêtes :


Imaginez – disait-il – que vous vous approchez du Christ pour l’embrasser au visage alors que vous lui écrasez les pieds avec de gros souliers ferrés. Eh bien, le Christ criera plus fort pour ses pieds qu’on écrase que pour sa tête qu’on honore » !

Homélies sur la première épître de saint Jean, X, 8

 

Et le cardinal Ratzinger écrivait autrefois :
« seul célèbre vraiment l’Eucharistie celui qui l’achève dans le service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel » [4].


Ce qui est moral, c’est de s’interroger

Le moine et le crapaud nous encouragent à aller communier fréquemment pour trouver la force de lutter contre le mal. Mais à l’inverse, Kirill ou Kigali nous montrent en négatif la contradiction meurtrière qu’il y aurait à communier sans aimer « en actes et en vérité ». D’un côté il nous faut affirmer que communier n’est pas moral, au sens où ce n’est pas une démarche reposant sur la valeur morale de nos actes. D’un autre côté, il nous faut nous souvenir de l’avertissement de Paul sur une communion qui ne porterait aucun fruit éthique de conversion :  « celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation » (1 Co 11,29).

cranium-2028555__340 eucharistieEn cette fête du Saint Sacrement, laissons donc cette question nous tarauder, sans y répondre trop vite : est-ce bien moral que j’aille communier ce dimanche ?

Si je réponds non, je risque de dissocier la foi et l’éthique de manière irresponsable, ou je risque de me condamner à ne jamais y avoir accès car je ne serai jamais à la hauteur. J’avale le crapaud en refusant l’hostie.

Si je réponds oui, je risque de faire de l’eucharistie une récompense, une médaille méritée par mes efforts pour une vie droite.


Dissocier radicalement eucharistie et morale, c’est s’exposer aux aberrations de Kirill et de Kigali.

Lier la communion à mes vertus serait tout aussi dangereux, car cela ferait de l’eucharistie une médaille et non un remède, un sommet uniquement et non une source avant le sommet…

Beaucoup de chrétiens ont encore un crapaud cramponné dans la gorge, les décourageant d’aller communier. Et ce crapaud fait des petits en eux…

Beaucoup d’autres – la majorité sans doute – ne veulent pas faire le lien entre l’hostie et le corps de l’autre, entre le calice et le sang de l’autre. Ils communient par habitude, par conformisme, par superstition, par revendication individuelle, pour leur épanouissement personnel etc.


Y a-t-il une autre voie eucharistique que ces deux-là ?

Ne pas déserter la communion, et ne pas s’y habituer.

S’en approcher en tremblant et la recevoir avec confiance.

S’examiner loyalement à la lumière des textes de la messe, et s’en remettre à Dieu qui seul est Juge.

Communier pour faire le bien, mieux, davantage, et non parce que je suis moralement dans les clous.

Recevoir l’hostie comme un don, un cadeau immérité, une grâce incroyable, et s’engager de toutes mes forces à la faire fructifier en famille, en entreprise, entre voisins, entre nations…


Les non-pratiquants disent souvent pour se justifier : ‘les chrétiens qui vont à la messe ne sont pas meilleurs que les autres’. On peut leur répondre en souriant : ‘Peut-être. Mais qui sait s’ils ne seraient pas pires s’ils n’y allaient pas ?…

Laissons à nouveau la parole à Saint Jean Chrysostome, qui prie ainsi juste avant de recevoir la communion :
Je ne suis pas digne, ô mon Maître et mon Seigneur, de te recevoir sous le toit de mon âme ; mais puisque, dans ton amour des hommes, tu veux habiter en moi, je prends confiance et je m’approche de toi. Tu ordonnes que j’ouvre largement les portes de mon cœur, que toi seul as créées, pour que tu puisses entrer avec cet amour qui est ta nature ; je le crois fermement, tu entreras et tu illumineras mon esprit enténébré. Car tu n’as pas chassé la prostituée venue à toi en larmes, ni repoussé le publicain repentant, ni rejeté le larron qui confessait ton royaume, ni abandonné à lui-même le persécuteur converti. Mais tous ceux qui sont venus à toi par la pénitence, tu les as placés au rang de tes amis, toi qui es le seul béni en tout temps et dans les siècles sans fin. Amen.

 

________________________________________________________

[1]. Cf. François Wallerich, L’eucharistie, l’apostat et le crapaud. Sur un exemplum de Césaire de Heisterbach, Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 21.2 | 2017, consultable ici : https://journals.openedition.org/cem/14731

[2]. « Nous rompons un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ pour toujours », Ignace d’Antioche, Eph. 20, 2.

[4] . Joseph Ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu, Aubier, 1971, p. 17.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

PSAUME
(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)
R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.
Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.


Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.
Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.


Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.


DEUXIÈME LECTURE
« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)


Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.


SÉQUENCE
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges »
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.
* Le voici, le pain des anges, il devient le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.


ÉVANGILE
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51.58)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

 

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