L'homélie du dimanche (prochain)

22 septembre 2024

Chrétiens sans Église

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Chrétiens sans Église

 

Homélie pour le 26° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
29/09/24

Cf. également :
Ma main à couper !
Scandale ! Vous avez dit scandale ?
Contre tout sectarisme
La jalousie entre nature et culture
« J’ai renoncé au comparatif »
La nécessaire radicalité chrétienne
Le coup de gueule de saint Jacques
La bande des vautrés n’existera plus
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?

 

Cathos non-pratiquants

Tous les sondages le disent : les Français « catholiques pratiquants » – c’est-à-dire allant à la messe au moins une fois par mois – sont de moins en moins nombreux : 7 % environ en 2021 selon l’IFOP. Et ce pourcentage continue à baisser régulièrement. 

Messalisants 1952-2006

Appartenance relgieuse 2022 (Statista)

Reste que l’empreinte catholique sur l’ensemble de la société est forte. En témoigne le nombre de Français se déclarant catholiques, quelle que soit leur pratique religieuse : 32 % en 2018  (enquête Arval). Certes, la chute est vertigineuse par rapport à 1980 (70 %). Les sociologues parlent de désaffiliation pour caractériser cette indépendance grandissante vis-à-vis de l’Église (alors que les musulmans passent de 1 % à 6 %). Même désaffiliés, les Français sont encore, souvent sans le savoir, pétris de tout ce que le catholicisme a charrié avec lui pendant des siècles, pour le meilleur et pour le pire. Si l’on fait la soustraction, il y a quand même environ 25 % de nos citoyens qui se déclarent chrétiens sans Église. Phénomène massif qui doit interroger.

Ne répondons pas trop vite que l’individualisme ou l’hédonisme seraient les seuls facteurs explicatifs. Les chrétiens sans Église sont sans doute influencés par la culture européenne mettant le plaisir et la liberté de l’individu au-dessus de tout. Mais l’absence de pratique dominicale pointe également vers une autre critique : celle de l’institution ecclésiale en tant que telle, jugée trop lourde, trop conservatrice, trop masculine, trop hiérarchique et cléricale, trop peu démocratique, bref : obsolète.

 

Au risque d’en choquer beaucoup, force est de constater que les lectures de ce dimanche semblent donner quelques arguments à cette critique de l’institutionnel et du cléricalisme !

Examinons de plus près comment ces textes bibliques assument une tradition d’un rapport critique à l’institution ecclésiale.

 

Contre le cléricalisme

Notre première lecture (Nb 11,25-29) montre Moïse choisissant 70 anciens pour l’aider à gouverner le peuple en exode dans le désert. Solution très cléricale : le mot ancien a donné en grec le mot presbytéros, et le mot prêtre en français. Moïse institue donc une caste de prêtres munis d’un privilège spécial – le don de l’Esprit de Dieu – seuls habilités à interpréter pour le peuple ce que Dieu voudrait pour lui. Car être prophète (en grec : pro- phesein) c’est cela : parler (phesein = dire) au nom de Dieu devant (pro = devant) le peuple, lui annoncer sa parole. On devine que ces les anciens/prophètes obtenaient ainsi un réel pouvoir sur le peuple, pour encadrer leur conduite et leur culte.

Or pourtant, notre texte de Nb 11 précise avec ironie qu’aussitôt l’effusion de l’esprit accomplie « ils se mettent à prophétiser, mais cela ne dura pas »

Le caractère prophétique des 70 anciens ne dura pas. Quelle critique redoutable du cléricalisme ! Dès que les prêtres (les anciens) croient détenir pour toujours le monopole de la Parole de Dieu, leur charisme s’évanouit de lui-même… D’ailleurs on ne connaît pas les noms de ces 68, alors que ceux des dissidents Eldad et Médad nous sont parvenus. Pire : ils ne sont pas entrés en Terre promise (comme Moïse). Leur caractère d’anciens ne les a pas préservés.

Voilà donc un récit qui conteste radicalement la prétention des clercs à détenir pour toujours l’exclusivité de la Parole de Dieu !

 

Chrétiens sans Église dans Communauté spirituelle 42794_largeLe pape François a déjà tonné plusieurs fois contre cette maladie institutionnelle qu’est le cléricalisme, transformant les prêtres en petit chefs autoritaires, imposant leurs  conceptions au peuple de Dieu sous prétexte d’avoir reçu l’ordination :

Je voudrais cependant m’arrêter sur un aspect de cette mondanité. Lorsqu’elle entre dans le cœur des pasteurs, elle prend une forme spécifique, celle du cléricalisme. Pardonnez-moi de le répéter […], en tant qu’homme âgé et de cœur, je veux vous dire que cela me préoccupe lorsque nous tombons dans des formes de cléricalisme ; lorsque, peut-être sans nous en rendre compte, nous laissons voir que nous sommes supérieurs, privilégiés, placés « au-dessus » et donc séparés du reste du peuple saint de Dieu. Comme me l’a écrit un jour un bon prêtre, « le cléricalisme est le symptôme d’une vie sacerdotale et laïque tentée de vivre le rôle et non le lien réel avec Dieu et les frères ». En bref, il s’agit d’une maladie qui nous fait perdre la mémoire du baptême que nous avons reçu, en laissant à l’arrière-plan notre appartenance au même peuple saint et en nous conduisant à vivre l’autorité dans les différentes formes de pouvoir, sans nous rendre compte de la duplicité, sans humilité mais avec des attitudes détachées et hautaines.

(Lettre adressée aux prêtres du diocèse de Rome, lundi 7 août 2023)

Le Pape a enfoncé le clou au début de la congrégation du Synode du mercredi 25 octobre 2023 :

« Lorsque les ministres dépassent leur service et maltraitent le peuple de Dieu, ils défigurent le visage de l’Église, ils l’abîment avec des attitudes machistes et dictatoriales ». « Il est douloureux, ajoute-t-il, de trouver dans certains bureaux paroissiaux la liste des prix » des services sacramentels comme dans un supermarché.

Le Pape exprime une égale amertume, voire une « douleur », pour ces « jeunes prêtres » que l’on voit dans les ateliers des tailleurs ecclésiastiques « essayant des soutanes et des chapeaux ou des robes et des bobines avec de la dentelle ». « Assez, dit-il, c’est vraiment un scandale. Le cléricalisme est un fouet, un fléau, une forme de mondanité qui salit et abîme le visage de l’épouse du Seigneur, qui asservit le peuple saint et fidèle de Dieu ».

 

Contre l’institution, lorsqu’elle oublie l’amour et la sagesse

Numbers 11:26 - "But there remained two of the men in the camp, the name of the one was Eldad, and the name of the other Medad: and the spirit rested upon them; and they were of them that were written, but went not out unto the tabernacle: and they prophesied in the camp."Imagine a biblical scene based on Numbers 11:26. There are two men, Eldad and Medad, in an ancient camp setting. Their countenance reflects divine inspiration as the spirit rests upon them. Despite being within the confines of the camp and not outside near the sacred tabernacle, they are seen prophesying. Note the ancient attire, simple yet historically authentic. The whole scene is instilled with a spiritual glow that characterizes their divine interaction. The overarching visual style should be reminiscent of digital art with crisp lines, vivid colors, and elements of pixelization.Eldad et Médad ne vont pas à la Tente de la rencontre. Ils osent désobéir à la convocation de Moïse. On les classerait aujourd’hui parmi les non-pratiquants ! Ils relativisent la convocation formelle du collège des anciens par Moïse. On ne sait pas pourquoi ils désobéissent ainsi en ne venant pas à cette assemblée, et c’est heureux. Car cela laisse ouvert le champ des critères permettant de ne pas venir. Ainsi certains midrashs tentent d’expliquer leur absence par leur humilité : ils n’y vont pas parce qu’ils ne se croyaient pas dignes d’y participer.

De même on ne sait pas pourquoi celui qui chassait les esprits mauvais au nom de Jésus dans notre Évangile (Mc 9,38–43) ne fait pas partie de ceux qui le suivent. Et c’est heureux : car quelqu’un peut très bien ne pas faire partie de la bande à Jésus et pourtant répandre le bien autour de lui au nom du Christ !

 

Ni Moïse ni Jésus ne revendiquent de posséder leurs disciples, leurs ministres. L’Esprit est libre de souffler où il veut. Une institution qui prétendrait être le seul canal divin serait un véritable « péché contre l’Esprit » (Mt 12,31). La Bible nous transmet la tradition d’une critique radicale de toute institution, fût-elle ecclésiale, car toujours tentée par le totalitarisme.

 

Une deuxième critique affleure dans notre texte de Nb 11 : celle du manque d’amour chez les anciens (les prêtres). En effet, être 70, ce n’est pas si nombreux. Ils devaient tous se connaître. Et quand on se rassemble sous la tente, on vérifie rapidement d’un seul coup d’œil qu’il ne manque personne. Or ici à la Tente de la Rencontre, ils ne sont que 68 et aucun ancien ne s’en rend compte, ni ne demande d’attendre un peu les retardataires, ou d’aller les chercher etc. Ils ne sont que 68 et cela leur suffit. Il en manque 2 et cela ne les inquiète pas.

Quel manque d’attention à la personne !

D’autant plus que ceux qu’ils ont oubliés s’appellent en hébreu אֶלְדָּד Eldad (El-dad = Dieu-amour)  et מֵידָד Médad (Me-dad = pour l’amour). Ces deux-là, au milieu du camp, témoignent que tous sont aimés de Dieu, afin d’aimer en retour. Être aimé pour aimer : voilà qui devrait orienter toute la Loi ! Sans eux, l’institution des anciens se dessèche, et leur prophétie se meurt. L’institution sans l’amour ne dure pas, ou elle ne devient plus qu’une coquille vide. Elle tombe sous le coup de la condamnation de Paul : « J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante » (1Co 13,1).

 

9172z2UfciL._SL1500_ amour dans Communauté spirituelleLorsqu’une institution oublie l’amour, en se fixant sur des fonctionnements du passé, en se raidissant sur des positions insupportables, elle se disqualifie elle-même. Au point qu’il devient légitime de ne plus lui obéir, en n’allant pas à la Tente de la Rencontre ou autre convocation ecclésiale… Eugen Drewermann avait dénoncé autrefois le système autoritaire réduisant les prêtres à devenir des fonctionnaires de Dieu (Kläriker, 1989). Moïse et Jésus approuvent dans nos deux lectures la désobéissance à une institution devenue sans amour : mieux vaut ne pas aller à l’assemblée des anciens et continuer à prophétiser au milieu du peuple ; mieux vaut ne pas suivre Jésus sur la route si c’est pour libérer les hommes de leurs esprits mauvais en son nom. 

Incroyable subversion biblique, qui semble scier la branche sur laquelle sa prédication est assise !

Un midrash précise même que Dieu a volontairement court-circuité Moïse afin de faire d’Eldad et Médad des prophètes ‘durables’ !

L’esprit de prophétie qui reposait sur les Anciens venait de Moïse, tandis que l’esprit de prophétie qui reposait sur Eldad et Médad venait directement de l’Éternel comme il est écrit : Et l’esprit reposa sur eux (Nb 11,26).

(Midrash Tanhuma)

L’Esprit de YHWH leur est donné en direct, sans la médiation de Moïse. Peut-être parce que Moïse était tellement obsédé par le fonctionnement de son autorité pour gouverner un tel ramassis d’esclaves qu’il voulait avec les 70 répartir les tâches, organiser, systématiser et encadrer, bref créer une administration efficace. Alors que YHWH voulait avec Eldad et Médad inspirer, incarner, communier avec

 

Une institution qui ne fait pas attention aux personnes, qui ne se soucie plus de ceux et celles qui lui manquent, qui fait passer son fonctionnement avant l’amour… : il vous sera facile de décliner les situations où notre Église se comporte hélas ainsi.


Autre critique institutionnelle de Nb 11 : oublier la sagesse.

La traduction liturgique de notre première lecture dit qu’Eldad et Médad « comptent parmi les anciens qui avaient été choisis ». Mais le texte hébreu dit davantage : « ils étaient dans les écrits (והמה בכתבים ולא) ». Certes cela signifie qu’ils étaient sur les listes des noms des 70. Cependant le mot ketouvim (venant de כָּתַב, ka.tav = écrire) signifie « les Écritures », et par extension la Bible elle-même ! Alors que les 68 se noient dans la liturgie de la tente, les deux dissidents s’enracinent dans les Écritures…

Plus exactement, dans les écrits de sagesse. Car pour les juifs, la Bible se répartit en trois  bibliothèques bien distinctes : la Torah (les 5 livres de la Loi), les Nevi’im (Prophètes), les Ketouvim (autres écrits), d’où l’acronyme Tanakh désignant la Bible hébraïque. Ce troisième ensemble des Ketouvim est constitué des livres de sagesse qui puisent leur inspiration dans l’immersion du peuple juif au milieu des autres cultures environnantes : les Psaumes, les Proverbes, Qohélet, Siracide, Job, le Cantique des cantiques, Ruth etc. Ce troisième courant biblique part de l’expérience commune à tous les peuples pour en tirer une sagesse compatible avec le monothéisme juif. Comme Eldad et Médad, cette sagesse « reste dans le camp », et ne s’extraie pas de la condition ordinaire pour prophétiser à l’écart, dans des extravagances d’une liturgie hors-sol.

 

Une institution qui – en plus d’oublier l’amour – oublierait de pratiquer cette sagesse accessible à tous se condamnerait elle-même à une parole verbeuse, et à disparaître rapidement.

 

 

Excursus sur la symbolique des nombres 70, 2 et 68

 EldadLes amateurs de symbolisme pourront se régaler en comparant les nombres 70, 2 et 68 qui traversent notre première lecture.

 

a) 70 = 7 x 10 

Ce nombre évoque la Loi (10 commandements) étendue à toute la Création (les 7 jours de la semaine dans la Genèse). Dans la tête de Moïse, établir 70 anciens relève d’une volonté de quadriller l’ensemble de la société par les préceptes de la Loi juive.

 

b) 2 est le chiffre du couple humain, dont l’unité amoureuse tend vers l’unité divine (chiffre 1). La paire Eldad et Médad figure ainsi la prophétie humaine accordée à tous, féconde et durable, par opposition à la prophétie institutionnelle de quelques-uns (les 68), éphémère et stérile.

 

c) 68 = 70 – 2 

Ce nombre évoque la Loi (10) pratiquée sans l’amour humain (2), le règne de l’interdit religieux déshumanisé. Ce qu’on retrouve encore en faisant 4 x (10 + 7) : 4 est le nombre de l’universel (les 4 points cardinaux) ; 10 celui de la Loi et 7 celui de la Création comme pour 70. Le nombre 68 symboliserait alors une volonté folle d’imposer la Loi (10) à toute la Création (7), dans toutes les sociétés humaines (4), alors qu’elle devrait rester au service de l’Alliance d’amour entre YHWH et le seul peuple juif. 

 

 

Peuple de prophètes, peuple de prêtres

2015888_univ_cnt_1_xl EspritMoïse approuve le comportement d’Eldad et Médad : « Ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! »

Plus tard, le prophète Joël nous garantira que ce vœu de Moïse s’exaucera un jour : « Alors, après cela, je répandrai mon esprit sur tout être de chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes je répandrai mon esprit en ces jours-là » (Jl 3,1-2).

Plus tard encore, lors de la Pentecôte après la résurrection de Jésus, ce vœu de Moïse confirmé par la prophétie de Joël s’est réalisé dans le petit groupe d’hommes et de femmes prophétisant devant la foule ébahie des pèlerins venus du monde entier à Jérusalem : « Non, ces gens-là ne sont pas ivres comme vous le supposez, car c’est seulement la troisième heure du jour. Mais ce qui arrive a été annoncé par le prophète Joël : Il arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai mon Esprit sur toute créature : vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions, et vos anciens auront des songes. Même sur mes serviteurs et sur mes servantes, je répandrai mon Esprit en ces jours-là, et ils prophétiseront » (Ac 2,14-18).

 

Les 68 croyaient accaparer le charisme de prophétie, faisant d’eux des notables et des gens à part. Eldad et Médad ne veulent pas être « à part », mais « au milieu du peuple ». Et ils annoncent ainsi le moment où le peuple entier deviendra prophète. De même pour le culte : les ministres croient pouvoir être les seuls à offrir le culte à Dieu dans la Tente de l’Exode ou dans les liturgies du Temple. Mais Paul remet les choses à leur place : le véritable culte « dans l’Esprit », c’est offrir sa vie par amour. « Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte » (Rm 12,1). À cela tous sont appelés. Voilà le sacerdoce commun des baptisés auxquels est ordonné le ministère des prêtres : faire de notre vie une offrande à Dieu et à nos frères, par amour et dans l’amour. En cela tous sont prêtres, et quelques-uns se consacrent à les y aider.

 

Cela demande de « ne pas quitter le camp » où le peuple fait halte. Rester au milieu de son peuple au lieu de se mettre à part dans les volutes d’encens et les délices d’une parole inspirée tellement coupée des autres qu’elle en devient éphémère et inconsistante. Les vrais prophètes font corps avec leur peuple, et tous deviennent prophètes avec eux.

C’était par exemple l’intuition de départ des prêtres ouvriers en France dans les années 60 : être au milieu de ces masses en bleu de travail dont l’absence n’inquiétait guère les paroisses. Cette intuition s’est sans doute perdue en cours de route, confondant être-avec et être-comme, solidarité et complicité idéologique, critique de l’institution et séparatisme radical. Eldad et Médad nous redisent pourtant qu’être prophète implique de « rester dans le camp », de « partager les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps », selon la belle formule du concile Vatican II.

L’exorciste au nom de Jésus qui n’est pas dans le groupe de ses fidèles nous redit ainsi que l’Esprit de ce Jésus n’est pas enfermé dans les frontières visibles de l’Église.

 

Croyons-nous réellement que notre baptême fait de nous des prêtres, des prophètes et des rois ? Ou préférons nous déléguer cette vocation à des ‘spécialistes’ supposés agir à notre place ?

Revaloriser le prophétisme commun des baptisés n’est pas disqualifier le prophétisme spécifique des ministres ordonnés. C’est articuler les deux, en ordonnant le second au premier, et non l’inverse, ce qui ferait ressurgir le cléricalisme…

 

Un peuple de prophètes est composé d’acteurs bien enracinés dans les responsabilités  sociétales de leur époque, et qui n’ont pas peur de proclamer les exigences de la Parole de Dieu à temps et à contretemps. Prophétiser aujourd’hui, c’est annoncer par nos paroles et nos actes ce que la foi au Christ nous inspire en entreprise, en famille, en politique, en économie etc. pour faire grandir l’amour de Dieu et des autres.

Les 68 voulaient s’accaparer ce rôle. Heureusement, Eldad et Médad ne se sont pas séparés du peuple pour courir après un tel prestige éphémère. 

Pourquoi, en France, certains prêtres ne pourraient-il pas, comme les diacres permanents, faire l’expérience du ministère de la Parole de Dieu vécue et prêchée au milieu du peuple (ce qui suppose métier et famille), et non pas à l’écart ?

 

Conclusion

Si vous êtes de ces ‘chrétiens sans Église’ si nombreux en France, réjouissez-vous ! Car Eldad et Médad sont vos avocats. Continuez à être prophètes au milieu de vos proches ! Osez faire remonter à l’Église officielle ce que vous avez cru discerner des attentes de vos contemporains.


Si vous faites partie de la petite minorité des cathos pratiquants, ne désespérez pas ! Efforcez-vous de garder l’institution (paroisse, mouvement, communautés, diocèse) ouverte, soucieuse des personnes plus que de son fonctionnement, non exclusive. Plaidez pour que chacune des décisions prises soit inspirée par l’amour et pas seulement par la loi. Faites attention à chacun et pas seulement au remplissage de vos organigrammes. Alors vous verrez votre Église se renouveler peu à peu en accueillant ceux et celles qu’elle avait oubliés, et devenir ainsi un peuple prophétique, pour le bien de tous !

 

 

LECTURES DE LA MESSE

1ère lecture : L’Esprit de Dieu souffle où il veut (Nb 11, 25-29)

Lecture du livre des Nombres
Le Seigneur descendit dans la nuée pour s’entretenir avec Moïse. Il prit une part de l’esprit qui reposait sur celui-ci, et le mit sur les soixante-dix anciens du peuple. Dès que l’esprit reposa sur eux, ils se mirent à prophétiser, mais cela ne dura pas.
Or, deux hommes étaient restés dans le camp ; l’un s’appelait Eldad, et l’autre Médad. L’esprit reposa sur eux ; bien que n’étant pas venus à la tente de la Rencontre, ils comptaient parmi les anciens qui avaient été choisis, et c’est dans le camp qu’ils se mirent à prophétiser.
Un jeune homme courut annoncer à Moïse : « Eldad et Médad prophétisent dans le camp ! »
Josué, fils de Noun, serviteur de Moïse depuis sa jeunesse, prit la parole : « Moïse, mon maître, arrête-les ! »
Mais Moïse lui dit : « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! »

Psaume : 18, 8, 10, 12-13, 14
R/ La loi du Seigneur est joie pour le cœur.

La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes
et vraiment équitables.

Aussi ton serviteur en est illuminé ;
à les garder, il trouve son profit.
Qui peut discerner ses erreurs ?
Purifie-moi de celles qui m’échappent.

Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil :
qu’il n’ait sur moi aucune emprise.
Alors je serai sans reproche,
pur d’un grand péché.

2ème lecture : Contre la richesse (Jc 5, 1-6)

Lecture de la lettre de saint Jacques
Écoutez-moi, vous, les gens riches ! Pleurez, lamentez-vous, car des malheurs vous attendent.
Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille vous accusera, elle dévorera vos chairs comme un feu. Vous avez amassé de l’argent, alors que nous sommes dans les derniers temps !
Des travailleurs ont moissonné vos terres, et vous ne les avez pas payés ; leur salaire crie vengeance, et les revendications des moissonneurs sont arrivées aux oreilles du Seigneur de l’univers.
Vous avez recherché sur terre le plaisir et le luxe, et vous avez fait bombance pendant qu’on massacrait des gens.
Vous avez condamné le juste et vous l’avez tué, sans qu’il vous résiste.

Evangile : Contre le sectarisme et contre le scandale (Mc 9, 38-43.45.47-48)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Ta parole, Seigneur, est vérité : dans cette vérité, consacre-nous. Alléluia. (cf. Jn 17, 17)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un chasser des esprits mauvais en ton nom ; nous avons voulu l’en empêcher, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit : « Ne l’empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous.
Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
Celui qui entraînera la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer.
Et si ta main t’entraîne au péché, coupe-la. Il vaut mieux entrer manchot dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux mains dans la géhenne, là où le feu ne s’éteint pas.
Si ton pied t’entraîne au péché, coupe-le. Il vaut mieux entrer estropié dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne.
Si ton œil t’entraîne au péché, arrache-le. Il vaut mieux entrer borgne dans le royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas. »
Patrick Braud

 

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25 août 2024

La Tradition et les traditions

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La Tradition et les traditions

 

Homélie pour le 22° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

01/09/24

 

Cf. également :

Le pur et l’impur en christianisme
La coutume sans la vérité est une vieille erreur 
Toucher les tsitsits de Jésus
Quel type de pratiquant êtes-vous ?
Signes extérieurs de religion
L’événement sera notre maître intérieur
De la santé au salut en passant par la foi
Les deux sous du don…

 

Petit jeu de rentrée scolaire

En cette fin d’été, amusez-vous à tester vos connaissances liturgiques. Sans réfléchir, dites ce que vous évoque chacun des mots de la liste suivante, et quel était son usage :

Chape, chasuble, cordon, amict, manuterge, manipule, corporal, camail, conopée, dalmatique, faldistoire, goupillon, grémial, navette, pale, rochet, surplis …

Autrefois, chacun de ces objets liturgiques était scrupuleusement décrit dans les cérémoniaires, gros livres détaillant le déroulement des cérémonies. On y précisait également les gestes à accomplir : inclination, génuflexion, signation, agenouillement, croisement des mains, des doigts etc., par le prêtre, les enfants de chœur ou l’assemblée. Tout cela était extrêmement codifié.

Par exemple :

« Il existe deux sortes de génuflexions. La génuflexion simple (ou sans qualification) se fait en reculant le pied droit et fléchissant le genou droit jusqu’à ce qu’il touche le sol à proximité du talon gauche : on se relève aussitôt, sans aucune attente, et sans fléchissement de la tête ou du corps, qui restent droits. Comme pour les inclinations, il faut veiller à être à l’arrêt et tourné face à la personne ou l’objet qu’on va saluer avant de commencer la génuflexion, éviter toute précipitation et toute attente, et garder le corps droit, sans le pencher ni en avant ni sur le côté.

En outre, il faut absolument résister, lorsqu’on fléchit le genou (et de même lorsqu’on s’agenouille) à toute tentation de relever de la main le devant de la soutane ou de l’aube, geste parfois efféminé et toujours ridicule.

Missale Romanum 2002

 

La Tradition et les traditions dans Communauté spirituelle Missel-exemple-offertoire

Missel avec les rubriques en rouge

Ces livres contenaient des parties imprimées en rouge (ruber en latin, ce qui a donné le mot rubrique) décrivant aux prêtres ce qu’il fallait faire et comment le faire. Exemples :
« Ici on fait trois fois le signe de croix ».
« Réciter à voix haute (ou médiocre, ou basse) [1] ».
« Maintenir l’index et les pouces serrés l’un contre l’autre au niveau des coussinets, afin d’éviter que toute particule d’hostie reconnaissable qui aurait pu adhérer aux doigts ne tombe à l’extérieur du corporal ».

Ces rubriques ne constituent pas le texte des rites, mais indiquent la façon suivant laquelle on doit les célébrer.

Certes, la rubrique essaie de corriger elle-même les abus qu’elle risque d’engendrer, mais ce n’est qu’un correctif :

« Il faut donner une âme à ce geste : afin que le cœur s’incline avec un profond respect devant Dieu, la génuflexion sera faite ni d’une manière empressée ni d’une manière distraite ».


Après le Concile de Trente, au fil des siècles, les rubriques ont occupé une place et une importance de plus en plus grandes. On a même appelé rubricisme cette déformation liturgique où le comment (quo creditur) prend le pas sur le quoi (quod creditur), où le motif formel supplante le contenu. Dont Robert le Gall écrivait : « Le rubricisme est cette exagération qui accorde plus d’attention aux règles de la célébration qu’au sens profond des fonctions liturgiques ». Les périodes d’inflation des rubriques (c’est le cas au moment de la réforme tridentine) sont le signe infaillible qu’une certaine tradition est en train de mourir. La multiplication des rubriques écrites devient alors le moyen de pratiquer une forme d’acharnement thérapeutique, en refusant de voir ce qui meurt et doit être remplacé.

 

Les textes de ce dimanche semblent mettre en scène une opposition frontale entre la première lecture et l’Évangile. En effet, le Deutéronome (Dt 4,1-2.6-8) ordonne : « Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien, mais vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris. Vous les garderez, vous les mettrez en pratique ».

Alors que l’Évangile de Marc  (Mc 7,1-23) critique : « les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes ».

 

La Loi juive (ou les fondamentalismes actuels) serait-elle du côté du rubricisme, alors que l’Évangile serait du côté de la liberté de l’Esprit ? Voyons cela de plus près

 

1. Les traditions et la Tradition

Le texte de Marc énumère quelques-unes de ces coutumes pharisiennes dont l’observance scrupuleuse obsédait les juifs pieux de l’époque :

« Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats ».

Comme pour le rubricisme, l’importance exagérée accordée à l’exécution pointilleuse de ces prescriptions était censée garantir l’efficacité rituelle. Cette énumération est loin d’être complète d’ailleurs, puisque aujourd’hui encore le livre des 613 commandements à observer détaille avec minutie ce que les juifs pratiquants doivent exécuter pour être en règle avec la Torah.

Cette obsession des gestes à faire ou à ne pas faire, des paroles à dire ou à ne pas dire, peut devenir à la longue pathologique, à la limite de l’obsessionnel et du compulsif. Jésus y dénonce surtout une hypocrisie religieuse qui le révolte :

« Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes ».

L’hypocrisie religieuse, c’est de faire ‘ce qu’il faut’ à l’extérieur sans être cohérent à l’intérieur.

À l’extérieur : aller à la messe, donner au Denier de l’Église, faire ses prières, être moralement dans la moyenne. 

À l’intérieur : « pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure ».

À l’extérieur : des riches donations au Trésor du Temple de Jérusalem. 

À l’intérieur : l’offrande d’elle-même d’une pauvre veuve à deux sous.

Souvenez-vous par exemple des révélations fracassantes en juillet dernier au sujet des abus sexuels que l’Abbé Pierre a commis pendant des décennies. À l’extérieur : un prophète charismatique, défenseur des plus pauvres, fondateur des Communautés Emmaüs si précieuses, apôtre du droit au logement. À l’intérieur : un homme malade de ses pulsions incontrôlées. La personnalité préférée des Français (élue 16 fois de suite comme telle dans les sondages !) cachait en réalité un côté obscur.

 

Jésus refuse de canoniser l’extérieur sans accorder d’importance à l’intérieur. Il oppose ainsi radicalement les coutumes et traditions venues des hommes (rites de pureté, piété ostentatoire etc.) au commandement venu de Dieu : l’amour mutuel en Dieu. 

Le problème, c’est que les chefs religieux veulent nous faire croire que leurs traditions  purement humaines viennent de Dieu en direct…

 

La Tradition et les traditions 1 Essai historiqueL’immense théologien dominicain Yves Congar, un des piliers de Vatican II, avait publié en 1960 et 1963 deux volumes encyclopédiques intitulés : « La Tradition et les traditions ». Le T majuscule et le singulier (la Tradition) pointaient vers l’essentiel de la révélation faite à Moïse, accomplie en Jésus : YHWH, communion d’amour trinitaire. Le pluriel et la minuscule (les traditions) pointaient vers la multiplicité des coutumes, habitudes et rituels qui se sont développés au cours des âges. Si la Tradition est le fleuve, les traditions sont les alluvions charriées, puis déposés en strates sédimentaires par le génie culturel de chaque peuple évangélisé.

Ainsi l’Orient a développé le culte des icônes et l’Occident celui du Saint Sacrement.
Ainsi les rituels eucharistiques se sont multipliés : syriaque, syro-malabar, copte égyptien ou  copte éthiopien, melkite, de saint Basile, de Saint Pie V… 

Ainsi on fait le signe de croix de gauche à droite en Occident et de droite à gauche en Orient.
On se met assis pour écouter l’Évangile au Zaïre, par respect. On se lève ailleurs, par respect toujours. Etc.

 

Ces traditions alluvionnaires ont comme les alluvions des conséquences fertiles. Le limon charrié par les eaux du Nil rend ses berges cultivables et généreuses. Les traditions liturgiques et ecclésiales propres à chaque peuple honorent sa particularité, sa culture, son sens de la foi.

Mais avec le temps ces dépôts s’accumulent, et finissent par obstruer le flux d’eau vive comme elles envasent le delta du Nil. Si bien que les croyants ordinaires ne savent plus ce qui est important : avoir fait ses Pâques ou aimer les hérétiques, organiser une belle  procession ou renoncer à la pensée magique…

 

2. Un rapport critique à la Tradition

Le moins que l’on puisse dire est que Jésus est sacrément critique vis-à-vis de ces traditions-là ! Non seulement il dénonce l’hypocrisie religieuse qui les sous-tend, mais en plus il critique ouvertement des prescriptions ajoutées par les chefs religieux pour exercer leur domination sur le peuple. Il va encore plus loin en relativisant ce que Moïse lui-même avait cru devoir légiférer pour les hébreux au désert : l’interdit absolu de travailler le jour du shabbat, de manger les pains de consécration de l’arche d’alliance, de toucher des lépreux, des impurs, des adultères, de pardonner aux transgresseurs de la Loi au lieu de leur couper la main ou de les lapider, d’inclure des femmes dans le groupe des disciples etc.

Tous ces interdits sont alluvionnaires.

Ils ont été rajoutés par des hommes, en un siècle donné, pour guider le peuple vers plus de liberté. La loi sert de pédagogue, dira Paul. Mais, la période changeant, la fidélité à la Tradition demande d’abandonner certaines traditions pour en adopter d’autres, et à tout le moins d’épurer le stock impressionnant de coutumes accumulées qui risquent d’étouffer la flamme initiale.

 

61cboyVl9xL._SL1082_ critique dans Communauté spirituelle« D’un côté, Jésus ne met pas en doute que la Loi, dont ses interlocuteurs se réclament,  constitue le chemin d’une vie bonne. Sous cet angle, il les invite bien à déchiffrer leur  présent à la lumière de cette tradition dont ils proviennent. Il n’est pas l’homme de la tabula rasa, celui qui rejette le passé et la tradition d’un revers méprisant de la main.

D’un autre côté cependant, Jésus invite ses interlocuteurs à s’interroger sur l’authenticité de leur fidélité à la Loi ; il met en lumière les contradictions de leurs attitudes, la manière dont leur référence à la Loi et la tradition des Pères en pervertit l’intention profonde. Sous cet angle, Jésus institue « un rapport critique à la tradition » en dénonçant l’infidélité foncière d’une soumission aveugle de ses interlocuteurs à la Loi : ils tentent de la réduire à un code dont la mise en application réclame des procédures d’interprétation sophistiquées sans doute, mais cependant univoques (littérales), qui ont l’immense « avantage » de dispenser le sujet de s’engager en liberté (spirituellement) dans le travail du discernement. C’est ce travail que Jésus réclame en soumettant l’interprétation de la Loi à ce que Paul désignera plus tard comme la dialectique de l’esprit et de la lettre (Rm 2,29;7,6; 2Co 3,6) » [2].

 

La fidélité à l’Esprit du Christ demande de relativiser la lettre de la Loi, de nettoyer régulièrement les traditions alluvionnaires qui risquent en s’accumulant de boucher la source d’eau vive. Purifier les traditions humaines (les alluvions) en remontant à la Tradition (la source jaillissante) originelle : telle est la réforme permanente que Jésus opère en régime juif et que son Église devra poursuivre en régime romain, ou grec, ou français etc., sous la conduite de l’Esprit qui nous conduit vers la vérité tout entière.

Impossible alors d’obéir aveuglément à des prescriptions trop humaines, trop datées, trop liées à une culture ou à un monde disparus. Les Églises ont pu justifier autrefois l’esclavage, l’apartheid, l’Inquisition, la domination masculine, la peine de mort etc., et enseigner cela dans leur catéchisme. Il est clair pour nous aujourd’hui qu’il nous faut abandonner ces interprétations et en chercher de plus fidèles.

Impossible de sacraliser un moment de la Tradition en la figeant dans ses expressions (liturgique, morale, disciplinaire, sociale, ecclésiale) d’un lieu et d’un temps.

 

Jésus nous invite donc à demeurer critiques

Il l’est lui-même, au grand scandale de ses auditeurs juifs : « on vous a dit : … eh bien, moi je vous dis : … » (Mt 5). Jésus radicalise le message biblique, au sens où il revient à sa racine, coupant les branches multiples qui ont poussé depuis. L’énumération de Mt 5 où  Jésus nettoie l’arsenal législatif juif sur la colère, l’adultère, le divorce, le parjure, la vengeance, la haine des ennemis, montre qu’il veut retrouver la Tradition la plus radicale (à la racine) au-delà des accommodements (alluvions) développées au cours des siècles. Ce mouvement est toujours à poursuivre. Le concile de Jérusalem (Ac 15) a montré la voie en osant ne plus imposer la circoncision, ni l’interdit de manger des viandes consacrées aux idoles, ou de ne manger qu’entre juifs.

Nous vénérons la Tradition venue des Apôtres, à condition d’entretenir un rapport critique à toutes les traditions censées l’incarner.

 

3. La tradition d’un rapport critique à la Tradition

Que transmettent les Apôtres ? L’expérience d’une rencontre avec un vivant, ce qui échappe à toute définition ; la mémoire de la Passion d’un crucifié, condamné au nom de la Loi pour blasphème et usurpation royale, ce qui conteste toute absolutisation de la Loi.

Transmettons à notre tour la mémoire de ce crime qui critique l’application aveugle de la Loi. Le crucifié que la tradition juive rejette (comme celle du Coran), nous le proclamons Messie accomplissant la Tradition, scandale pour les juifs et folie pour les païens.

Sans cette transmission d’un rapport critique à la Tradition, nous serions juifs ou musulmans, pas chrétiens.

 

Ouverture du concile Vatican II le 11 octobre 1962 en présence de 2500 évêquesQu’a fait le concile Vatican II sinon toiletter les alluvions entassées depuis le XVI° siècle, et revenir à la tradition la plus ancienne ? Les conservateurs veulent figer la Tradition à un instant de l’histoire. Ils se conduisent en pratique comme si l’Esprit ne conduisait pas l’Église à aller ailleurs. Ce sont des fixistes. Vatican II veut retrouver le souffle de l’Esprit, source de la fécondité authentique. Et qui pourrait figer ce souffle ?

Bien sûr, le danger existe de jeter le bébé avec l’eau du bain. Sous prétexte d’aggiornamento, il ne faut pas perdre l’essentiel. C’est toujours un travail de discernement – dans l’Esprit – que de passer les traditions ecclésiales au tamis de l’Évangile pour voir celles qui demeurent et celles qu’il faut changer. Sans ce discernement spirituel, on risque de s’aligner sur les idéologies de son temps, ce qui est une autre forme d’infidélité.

 

Célébrer en langue locale plutôt qu’en latin, face au peuple plutôt que dos à l’assemblée, admettre la présence des femmes dans le chœur et dans les instances de décision de l’Église, leur confier des ministères, revivifier le diaconat permanent là où c’est utile… : les réformes issues de Vatican II sont traditionnelles, car elles réévaluent les traditions de vingt siècles à l’aune du retour à l’Écriture et de la tradition la plus ancienne. 

« Au commencement, il n’en était pas ainsi… » (Mc 10,5)

 

Ayons le courage d’éduquer les baptisés de tous âges à l’Esprit critique, plutôt qu’à la soumission aveugle ou non d’une tradition figée et idéalisée. Seul ce discernement spirituel préserve la folie de la croix et la sagesse de l’Évangile.

 

Le recours inlassable à l’Écriture est le tamis qui permet de passer au crible nos habitudes, nos croyances, nos coutumes.
Le discernement dans l’Esprit est l’indispensable décapage pour purifier l’Église de ses traditions trop humaines…

 

Quelles sont « mes traditions » que je devrais réévaluer à la lumière de « la Tradition » ?

_______________________________________

[1]. Dans la liturgie tridentine, il y avait trois tons de voix :
- certaines parties dites à voix haute ;
- d’autres à voix médiocre, audible par les proches seulement,  (les deux mots Orate, fratres ; le Sanctus ; les trois mots Nobis quoque peccatoribus vers la fin du Canon ; les quatre mots Domine, non sum dignus à trois reprises) ;
- d’autres enfin à voix basse (audible par le seul célébrant).

[2]. H.J. Gagey, La nouvelle donne pastorale, Ed. de l’Atelier, 1999, pp 53-54.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne… vous garderez les commandements du Seigneur » (Dt 4, 1-2.6-8)

 

Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple : « Maintenant, Israël, écoute les décrets et les ordonnances que je vous enseigne pour que vous les mettiez en pratique. Ainsi vous vivrez, vous entrerez, pour en prendre possession, dans le pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien, mais vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris. Vous les garderez, vous les mettrez en pratique ; ils seront votre sagesse et votre intelligence aux yeux de tous les peuples. Quand ceux-ci entendront parler de tous ces décrets, ils s’écrieront : ‘Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation !’ Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation dont les décrets et les ordonnances soient aussi justes que toute cette Loi que je vous donne aujourd’hui ? »

 

PSAUME
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? (Ps 14, 1a)

 

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.

Il met un frein à sa langue.

Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.

À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.

Il ne reprend pas sa parole.

Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Mettez la Parole en pratique » (Jc 1, 17-18.21b-22.27)

 

Lecture de la lettre de saint Jacques

Mes frères bien-aimés, les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d’en haut, ils descendent d’auprès du Père des lumières, lui qui n’est pas, comme les astres, sujet au mouvement périodique ni aux éclipses. Il a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures. Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut sauver vos âmes. Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde.

 

ÉVANGILE
« Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes » (Mc 7, 1-8.14-15.21-23)
Alléluia. Alléluia. Le Père a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures. Alléluia. (Jc 1, 18)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. – Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats. Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. » Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »
Appelant de nouveau la foule, il lui disait : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »
Il disait encore à ses disciples, à l’écart de la foule : « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »
.Patrick Braud

 

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12 mai 2024

Pentecôte, où la nécessité d’une parole publique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Pentecôte, ou la nécessité d’une parole publique

 

Homélie pour la fête de Pentecôte / Année B 

19/05/24

 

Cf. également :

Le délai entre Pâques et Pentecôte
La séquence de Pentecôte
Pentecôte : un universel si particulier !
Le déconfinement de Pentecôte
Les langues de Pentecôte
Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre
Les multiples interprétations symboliques du buisson ardent

Parresia : le courage pascal 

 

Parole de DRH (chrétien)

En retraite depuis peu, l’ancien DRH d’Auchan France (35 000 salariés à l’époque) relit son parcours professionnel, depuis son premier poste d’employé en hypermarché, avec les lunettes de sa foi évangélique si importante pour lui :

Pentecôte, où la nécessité d’une parole publique dans Communauté spirituelle a75df2_53936b6e64c54cd7bd17c145616c971e~mv2« Qu’est-ce que je fais là ?

Pourquoi suis-je dans cette salle de réunion froide et sans âme, avec quinze personnes qui représentent une masse salariale considérable, à regarder poliment et sagement, assommé par des chiffres stériles et sans intérêt d’un PowerPoint, qui défilent interminablement sur cet écran géant ? Ce n’est pas possible que les grands dirigeants qui m’entourent, acceptent de passer docilement des heures à cogiter sur la baisse des charges, donc des effectifs, alors que le chiffre d’affaires va indubitablement dans le mur, en se targuant d’être tous de grands commerçants. Dire encore et redire encore qu’il faut, et comment, « supprimer des bras », oubliant que derrière « ces bras » se trouvent des êtres, des âmes et des cœurs, signifie que nous avons déjà perdu la tête ! Je n’entends plus le mot « client », je n’entends plus le mot « produit », l’esprit commerçant s’en est allé, je n’entends plus parler de la « culture d’entreprise », je n’entends plus parler du personnel comme d’une richesse…

Par le biais de ces quelques pages, j’affirme haut et fort, que l’Homme est une vraie richesse, plus que cela : la première richesse d’une entreprise ! » [1]

 

Chrétien passionné, Jean-André Laffitte a donné de la voix, à contre-courant quand il le fallait, pour défendre la dignité et les salaires des sans-grades de la Grande Distribution, le pouvoir d’achat des clients la plupart du temps très modestes. Cela l’a amené à contester publiquement le court-termisme de certains dirigeants trop centrés sur leur propre réussite, les calculs trop financiers de certains actionnaires… À force d’élever la voix, on lui a poliment demandé de partir. Ce qu’il a fait, car le grand écart est impossible à tenir longtemps dans ce cas.

Maintenant en retraite, il reprend la parole à nouveau, une parole publique, à travers ce livre-témoignage où il raconte comment sa foi évangélique a inspiré et animé ses grandes actions managériales : la Vision d’entreprise « bottom-up », le servant-leadership, le partage du pouvoir/savoir/avoir, la valorisation du capital humain, « l’entreprise libérée » etc.

 

C’est qu’il arrive toujours un moment où l’on ne peut plus se taire, sauf à enfouir sa foi au fond d’une dévotion si privée qu’elle sera privée … d’effets !

Comment ne pas rattacher cette parole publique à celle de Pentecôte que nous venons d’écouter dans la première lecture (Ac 2,1-11) ?

 

Pentecôte : un temps pour parler

CD S'ils se taisent... Les pierres crieront !Impossible de se taire en effet depuis Pentecôte. 

Avant, les disciples ont peur, confinés au cénacle. Après, ils s’exposent aux yeux de tous les pèlerins venus à Jérusalem. 

Avant, ils ont peur : des juifs, des romains, d’eux-mêmes. Après, ils bravent les interdictions officielles et haranguent les foules. 

Avant, c’est encore un groupe nationaliste juif qui croit avoir trouvé le Messie. Après, c’est une Église catholique (= universelle) qui parle toutes les langues de la terre et s’adresse à toutes les cultures comme en témoigne la liste bigarrée des nations présentes à Jérusalem ce jour-là.

L’Ancien Testament dit avec sagesse : « il y a un temps pour parler et un temps pour se taire » (Qo 3,7). Pentecôte est visiblement le temps de la parole publique, forte, confiante, exprimée avec assurance et courage (parresia en grec).

Il n’est pas facile de discerner quand c’est le moment de parler, et quand il faut se taire. C’est l’Esprit de Pentecôte qui le souffle à notre esprit.

 

On a trop souvent – à raison – reproché aux Églises leur silence devant les génocides en cours, ou devant l’exploitation coloniale, l’instrumentalisation du nom de Dieu par les puissants etc. Se taire dans ces situations revient à être complice.

Pourtant Jean-Paul II a osé lancer son célèbre : « N’ayez pas peur ! » à la face des régimes communistes de l’époque. Pourtant les chrétiens continuent de dénoncer la banalisation de l’IVG (1 grossesse sur 4 en France) même lorsque l’opinion majoritaire les taxe de réactionnaires. Pourtant le pape François crie haut et fort pour une politique migratoire digne et respectueuse etc.

Voilà. Il y a des sujets et des moments où il faut parler, au nom de notre foi. Sinon, notre silence annulerait Pentecôte. « Si eux se taisent, les pierres crieront ! » (Lc 19,40).

 

Mais au fait, qui prend la parole en public sous l’inspiration de l’Esprit Saint ?

 

Qui parle à Pentecôte ?

Revenons à notre récit des Actes des apôtres. Ils sont là « tous ensemble » (Ac 2,1) : « hommes et femmes » (Ac 1,14), Les Douze et les autres disciples reçoivent l’Esprit, pas seulement les Douze. Tous seront dehors pour proclamer les merveilles de Dieu dans la langue maternelle de chacun.

La première prise de parole publique de Pentecôte est donc communautaire. C’est l’accomplissement de la prophétie de Joël : « Je répandrai mon Esprit sur tout être de chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes je répandrai mon esprit en ces jours-là » (Jl 3,1-2).

Ce premier niveau communautaire est aussi celui de la présence du Christ : « là où deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux » (Mt 18,20). C’est encore le niveau où s’exerce le pouvoir des clés (qui n’est pas réservé à Pierre seul) : « Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux » (Mt 18,18-19).

 

De nos jours, les chrétiens continuent à s’exprimer publiquement, par le biais de l’apostolat des laïcs notamment, sans passer obligatoirement par la hiérarchie. Penser à l’influence réelle que possède le quotidien La Croix, dont les journalistes exercent en toute responsabilité le charisme de prophétie de l’Esprit de leur baptême. Car la prophétie biblique n’est pas la prédiction future, mais le discernement de ce qui est en jeu dans le présent. Le journal la Croix s’y exerce chaque jour. Pensez également aux prises de parole des Semaines Sociales de France, des EDC, MCC, JOC, JIC, du Secours Catholique etc.

 

Après ce niveau communautaire, vient ensuite le groupe des Douze (Ac 2,14) qui visiblement est là comme un collège constitué, à la fois distinct de l’assemblée-Église et au cœur de celle-ci, pas séparé. Ce groupe aussi prendra part comme tel aux grandes décisions de l’Église à venir (Ac 15). C’est le niveau collégial de la parole d’Église.

 

Après tous et les Douze, vient enfin Pierre, debout au milieu des Douze. Il se risque devant tous à un long discours pour expliquer ce qui est en train de se passer. Son argumentation est solide. Il la prononce avec autorité. On l’écoute. La petite communauté des premiers chrétiens se reconnaît en lui. Et la foule des craignant-Dieu réunis à Jérusalem pour la Pentecôte juive (Shavouot) est subjuguée par son exhortation au point de vouloir rejoindre l’Église naissante. C’est le niveau personnel de la parole d’Église.

 

On a donc trois niveaux qui s’articulent et font système dans cette parole publique de Pentecôte : le communautaire (tous ensemble) / le collégial (les Douze) / le personnel  (Pierre). C’est la structure-type de la parole ecclésiale, que nous devons pratiquer encore aujourd’hui.
Une parole qui n’est pas portée par tous sera vite abandonnée (cf. par exemple la position officielle du Magistère sur la contraception, largement délaissée par le peuple catholique).
Une parole qui n’est pas mûrie avec l’aide d’un collège de responsables (synode, concile, conseils en tous genres) dérive facilement vers le populisme et l’alignement sur l’air du temps, ou vers l’autoritarisme d’un seul.
Une parole qui ne s’incarne pas en un visage, un nom, une personnalité, deviendrait rapidement une idéologie, un système politique, une de ces ‘pensées en isme’ qui ont déjà fait tant de ravages et apporté tant de malheur aux siècles derniers.

 

61qxCVzW4BL._SL1150_ Esprit dans Communauté spirituelleTous/quelques-uns/quelqu’un : ce triptyque structure la prise de parole au nom du Christ, car elle vient de l’Esprit qui est lui-même le trait d’union entre trois personnes au sein d’une communion d’amour destinée à englober toute l’humanité !

 

Un document œcuménique de 1982 exprimait avec beaucoup de justesse ce triple niveau du ministère qui s’applique également au ministère de la parole confié à l’Église dans son ensemble (il faut juste renverser l’ordre, en partant du communautaire pour aller au personnel, si l’on veut être fidèle à l’évènement de Pentecôte) :

« Le ministère ordonné devrait être exercé selon un mode personnel, collégial et communautaire

Le ministère ordonné doit être exercé selon un mode personnel.
Une personne ordonnée pour proclamer l’Évangile et appeler la communauté à servir le Seigneur dans l’unité de la vie et du témoignage manifeste le plus effectivement la présence du Christ au milieu de son peuple. 

Le ministère ordonné doit être exercé selon un mode collégial, c’est-à-dire qu’il faut qu’un collège de ministres ordonnés partage la tâche de représenter les préoccupations de la communauté. 

Finalement, la relation étroite entre le ministère ordonné et la communauté doit trouver son expression dans une dimension communautaire, c’est-à-dire que l’exercice du ministère ordonné doit être enraciné dans la vie de la communauté et qu’il requiert sa participation effective dans la recherche de la volonté de Dieu et de la conduite de l’Esprit » [2].

La synodalité de l’Église, chère au Pape François, est justement l’art d’articuler ces trois niveaux de parole et d’autorité dans nos débats et décisions…

 

Mais comment prendre la parole publiquement ?

S’il faut parler publiquement au nom de notre foi, soit. Mais pour dire quoi ? De la morale ? De la compassion ? Des réflexions philosophiques ? Parler pour ne rien dire serait bien un péché contre l’Esprit de Pentecôte !

Pour répondre, regardons simplement notre texte des Actes des Apôtres. Relevons les éléments qui jalonnent et structurent le témoignage public de l’assemblée de Pentecôte.

 

– Une joie débordante

Il y a d’abord la glossolalie/xénolalie.. L’effusion de l’Esprit provoque dans l’assemblée une réaction bizarre : les membres de l’Église chantent leur joie de la résurrection, au-delà des mots. Ils se mettent à prêcher les merveilles de Dieu accomplies en Jésus, chacun dans sa langue maternelle ; ou plus mystérieusement dans une langue étrangère. Si bien qu’il y a un double effet de Pentecôte : on les croit ivres, car ils chantent des louanges inintelligibles, et on est stupéfait d’entendre leur message chacun dans sa langue maternelle, qu’on soit arabe ou crétois, égyptien ou romain !

Louer, s’émerveiller, chanter, exulter de joie est ainsi la première parole publique de Pentecôte. Tout le contraire de ‘tristes chrétiens’ ! L’Esprit de Pentecôte nous irradie de la joie de la résurrection, dès maintenant. Le premier témoignage - à l’instar du Magnificat de Marie - est de se réjouir, de tressaillir d’allégresse : au milieu des difficultés de ce monde, la victoire sur la mort acquise en Jésus transfigure déjà nos combats, nos sacrifices, nos espérances, et nous en exultons de joie !


Comment nourrissez-vous votre joie de croire / joie de vivre ?

 

– Un signe

Cette exaltation de la petite communauté intrigue la foule. Elle constitue en soi un signe, une question : sont-ils ivres ? Comment se fait-il que chacun des entendent dans sa culture, dans sa langue maternelle ?

S’appuyer sur un signe qui interroge les foules est la deuxième étape de la parole de Pentecôte. S’il n’y a pas de signe, il n’y aura pas d’attente, pas d’attention, pas de soif de comprendre. Essayez donc de catéchiser des enfants sans les captiver au départ par un jeu, un film, une actualité, un fait divers, un événement qui les marque.…

 

Quels sont les signes sur lesquels vous pouvez vous appuyer pour développer votre annonce ?

 

– Interpréter le signe à la lumière des Écritures

Pierre part du signe du chant en langues et l’interprète en y voyant l’accomplissement de la prophétie de Joël, ce qui lui permet ensuite de revisiter les Écritures en dévoilant le filigrane qu’elles portent en elle : la résurrection de Jésus.

Impossible d’annoncer le Ressuscité sans ouvrir la Bible ! On le sait bien dans les groupes de catéchuménat des adultes : lire la Bible avec le regard neuf des catéchumènes est d’une densité humaine et spirituelle extraordinaire !

En ce sens, faire chaque année ce parcours biblique avec les 7 000 baptisés de Pâques est une chance pour revitaliser notre vieille Église française.

 

Ajoutons que cette catéchèse biblique est à chaque fois inculturée : chacun dans sa langue/culture maternelle doit pouvoir entendre l’Évangile et le comprendre

La vingtaine de kérygmes (= annonces explicites du Christ ressuscité) dans le livre des Actes montre que l’argumentation, le style, les mots et le ton employés tiennent compte à chaque fois du public à qui l’on s’adresse. Si elle puise dans le génie d’un peuple, l’annonce de l’Évangile sera entendue et portera du fruit. Si au contraire elle est plaquée de l’extérieur, elle ne sera qu’un vernis passager se délitant bien vite. La sociologue Danièle Hervieu-Léger diagnostique de façon terrible que l’exculturation du christianisme en France est sans doute le plus grave des dangers qui nous menace [3].


Comment avez-vous recours à la Bible pour éclairer les interrogations de vos proches ?

 

Peinture de la prédication de saint Pierre à Jérusalem par Charles Poërson– Une annonce explicite

C’est la pointe du discours de Pierre : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié » (Ac 2,36). On peut passer des heures à déblayer le terrain pour quelqu’un qui ignore tout de Jésus. Vient un moment où il faut aller droit au but, au cœur de la foi. Nous n’annonçons pas une morale, une doctrine, un système politique, une institution, mais quelqu’un : Jésus le vivant. Tout élan missionnaire qui ne se centrerait pas tôt ou tard sur cette annonce kérygmatique deviendrait du bavardage.

 

– Un appel à la conversion

Pierre annonce que le pardon est offert dans la Pâque de Jésus. Croire en lui, c’est adhérer  à sa personne, se tourner vers lui, en se détournant des idoles qui jusque-là nous faisaient courir à leur suite.

 

– Un appel à la vie ecclésiale/sacramentelle

Rejoindre l’assemblée-Église est la conséquence logique de la conversion. Impossible de devenir chrétien tout seul, même devant son écran. Le baptême est l’incorporation à une communauté nous somme membres les uns des autres.

 

– Un appel à une vie éthique

La dernière étape de la parole publique de Pentecôte est l’appel à changer nos  comportements, pour mettre notre vie en accord avec notre foi. L’éthique chrétienne est intimement liée à l’Esprit de Pentecôte qui devient notre boussole intérieure pour discerner ce qui est cohérent avec la résurrection de Jésus, et ce qui ne l’est pas. Rappelons que c’est une éthique de réponse (au don reçu par la foi, le baptême, les Écritures, l’Église) et non pas une éthique de préalable (liste de conditions nécessaires pour ‘mériter’ le titre de chrétien).

 

Lorsque nous devrons prendre la parole en public pour témoigner de notre foi, souvenons-nous du discours de Pierre :

- sur quels signes m’appuyer ?

- comment l’interpréter avec l’aide de la Bible ?

- annoncer explicitement la résurrection de Jésus, dans la culture de l’autre

– appeler la conversion au Christ (pas à une institution ou autre)

– appeler à rejoindre une communauté locale, et y accueillir chaleureusement les ‘nouveaux’

– chercher ensemble à quelles conversions éthiques la vie nouvelle de Pâques nous appelle.

 

Qu’en tout cela l’Esprit de Pentecôte nous aide et nous conduise !

___________________________________________________

[1]. Jean-André LAFFITTE, Le Capital, c’est l’humain ; l’humain est Capital, 2024.

[2]. Document œcuménique Baptême-Eucharistie-Ministère, n° 26, 1982.

[3]. Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme français : la fin d’un monde, Bayard, 2003.

 

 

 

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler » (Ac 2, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
 
PSAUME
(103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !
ou : Alléluia ! (cf. 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes oeuvres, Seigneur !
La terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.


DEUXIÈME LECTURE
« Le fruit de l’Esprit » (Ga 5,16-25)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates
Frères, je vous le dis : marchez sous la conduite de l’Esprit Saint, et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair. Car les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez. Mais si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous n’êtes pas soumis à la Loi. On sait bien à quelles actions mène la chair : inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui commettent de telles actions ne recevront pas en héritage le royaume de Dieu. Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. En ces domaines, la Loi n’intervient pas. Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises. Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit.

SÉQUENCE
Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière.
Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs.
Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur.
Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort.
Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous les fidèles.
Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti.
Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé.
Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé.
À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés.
Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

ÉVANGILE
« L’Esprit de vérité vous conduira dans la vérité tout entière » (Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15)
Alléluia. Alléluia. Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement.
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
Patrick Braud

 

 

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31 mars 2024

L’esprit, l’eau et le sang

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’esprit, l’eau et le sang

 

Homélie du 2° Dimanche de Pâques / Année B 

Dimanche de la Divine Miséricorde

07/04/24

 

Cf. également :

Croire sans voir : la pédagogie de l’inconditionnel

Quand vaincre c’est croire

Thomas, Didyme, abîme…
Quel sera votre le livre des signes ?
Lier Pâques et paix
Deux utopies communautaires chrétiennes
Le Passe-murailles de Pâques
Le maillon faible
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croire sans voir
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Trois raisons de fêter Pâques
Riches en miséricorde ?

La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société

 

Vite, à la maternité !

Accouchement : les signes annonçant que le travail est proche Tous les jeunes parents ont connu ce moment de stress pour leur premier enfant : la perte des eaux, lorsque soudain la poche intérieure laisse s’écouler ce signe annonciateur d’un accouchement tout proche. Alors, direction la maternité, à toute vitesse ! Et là, le travail d’accouchement fait immanquablement saigner la maman, et plus encore par césarienne. Si bien que parler eau et sang fait remonter à la mémoire l’émotion de ces derniers moments de la grossesse qui sont en même temps les premiers instants d’un bébé nouveau-né…

Jean pensait-il à cet événement au commencement de toute vie humaine lorsqu’il emploie plusieurs fois dans ses écrits l’expression : « l’eau et le sang » ou « le sang et l’eau » ? Ainsi dans notre deuxième lecture : « C’est lui, Jésus Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité » (1Jn 5,1–6). Ce qui rappelle les derniers instants de Jésus en croix, où la lance d’un soldat perce son côté pour en faire jaillir « du sang et de l’eau » (Jn 19,34). 

Par la suite, les interprétations du sang et de l’eau se multiplièrent.

 Comme souvent, le texte biblique prend une couleur particulière lorsqu’on l’interprète avec des pistes de lecture différentes. Notre lecture est un filtre polarisant qui sélectionne dans le texte quelques-unes des multiples harmoniques de sens jaillissant du texte, un peu comme un prisme diffracte la lumière blanche en une infinité de couleurs.

Évoquons quelques-unes de ces interprétations traditionnelles du sang et de l’eau, en essayant de discerner en quoi elles nous concernent.

 

1. Lecture réaliste

L’esprit, l’eau et le sang dans Communauté spirituelle lance-croixNous aimons bien en Occident ce premier niveau de lecture, car nous sommes attachés à établir une certaine vérité factuelle. Que s’est-il réellement passé ?

Le coup de lance du soldat est vraisemblable, car c’est un moyen sûr et rapide de vérifier que Jésus est mort en croix (un peu comme un croque-mort !), ou de l’achever sinon. S’il était vivant, il aurait réagi, tressailli. 

Premier problème : la série « Les Experts » (de Miami ou de Manhattan) nous a habitués au constat qu’un cadavre ne saigne pas ! Si le cœur ne bat plus, le sang ne devrait pas jaillir. Certains cardiologues se sont penchés sur la question : il est possible que la flagellation ait provoqué auparavant un hématome interne, une poche d’hémorragie que la lance aurait percée. Surgit alors un deuxième problème : dans ce cas, la lance aurait d’abord dû  traverser la plèvre avant de toucher la poche de sang interne près du cœur. Mais alors ce qui aurait coulé aurait dû être de l’eau et du sang, et non du sang et de l’eau… ! D’ailleurs, le fait que Jean inverse l’ordre dans ses lettres après est troublant : le sang et l’eau, ce n’est pas tout à fait la même chose que l’eau et le sang…
Par contre, Luc mentionne que Jésus a sué « sang et eau » lors de son agonie à Gethsémani, ce qui est sa manière à lui de lier le sang et l’eau à la Passion du Christ : « Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre » (Lc 22,44). Ce lien eau-sang l’intéresse donc, comme médecin sans doute qu’il était [1], mais également comme Jean pour manifester le trait d’union entre les deux.

Difficile donc en suivant Jean de savoir exactement ce qui s’est passé. D’autant que ni Marc, ni Mathieu, ni Luc ne mentionnent ce célèbre coup de lance…

 

Ce que nous appelons aujourd’hui vérité historique, objective et factuelle à l’occidentale, nous échappe ici largement. Quoi qu’en disent les partisans du linceul de Turin par exemple, les textes sur la mort de Jésus ne suffisent pas à confirmer la prétendue authenticité de cette soi-disant preuve de la résurrection. Même la mort physique de Jésus est un objet de foi, sans évidence absolue. Un indice : les musulmans n’y croient pas, et prétendent qu’il y a eu substitution, ou que les témoins ont cru voir Jésus crucifié alors qu’il n’en est rien. « Allah dit : nous avons maudits les chrétiens] à cause leur parole : « Nous avons vraiment tué le Christ, Jésus, fils de Marie, le Messager d’Allah« ... Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié ; mais ce n’était qu’un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l’incertitude: ils n’en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l’ont certainement pas tué, mais Allah l’a élevé vers Lui, et Allah est Puissant et Sage » (Sourate 4,157-158).

Et certains textes apocryphes, dont le Coran s’est inspiré, imaginent Jésus endormi dans un sommeil comateux comme en catalepsie, se réveillant ensuite avec l’aide de Nicodème et Joseph d’Arimathie.

 

Ce qui est sûr historiquement, c’est que la mort – réelle ou apparente – de Jésus sur la croix a été une catastrophe pour ses disciples, et un argument contre lui pour ses détracteurs. Ce qui est sûr également, c’est que les premiers chrétiens se sont battus pour affirmer la réalité physique de la mort de Jésus en croix, contre les juifs qui en faisaient un contre-argument (un Messie ne peut être abandonné ainsi par Dieu), contre les hérétiques qui disaient que Jésus avait fait semblant de mourir (les docètes, puis le Coran).

Difficile d’aller plus loin. 

Il faut donc changer de niveau.

 

2. Lecture théologique

CE-182 L'accomplissement des EcrituresLà, l’importance du sang et de l’eau saute aux yeux. Le texte nous donne la clé de voûte de sa construction : « Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture » (Jn 19,36). L’accomplissement des Écritures scande chaque détail du récit : le partage des vêtements, le tirage au sort de la tunique, la soif de Jésus, les soldats ne brisant pas les jambes de Jésus, la lance transperçant le côté etc. « Tout est accompli » : Le leitmotiv de l’auteur est clair : il écrit pour établir que Jésus a voulu « accomplir l’Écriture » jusqu’au bout.

On le comprend. Car vers 90 lorsqu’il rédige, l’auteur du quatrième Évangile est confronté aux réfutations juives expliquant que le Messie biblique ne peut être un condamné à mort maudit par Dieu sur le bois du gibet (Dt 21,23). Il fallait donc montrer que la mort en croix accomplissait les Écritures au plus haut point, de manière paradoxale mais pleine et entière.

 

Accomplir les Écritures de manière paradoxale : n’est-ce pas l’énigme qui nous est soumise lorsque les événements personnelle et les zigzags de l’histoire semblent contredire les promesses de Dieu ?

 

3. Lecture symbolique

 croix dans Communauté spirituelleL’eau et le sang ne sont pas que des réalités physiques. Dans la Bible, l’eau est le symbole de la vie qui jaillit lors de la Genèse. Elle est également symbole de mort au péché lorsque le déluge noie l’humanité perverse. Avoir soif caractérise tout être vivant, et la Bible y voit la trace une soif plus fondamentale, la soif de Dieu. Si bien que Jésus s’est présenté comme la source d’eau vive offerte à chacun pour se désaltérer de la vie divine : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : « de son cœur couleront des fleuves d’eau vive.” » (Jn 7,37–38). Ce texte montre que l’eau coulant du côté transpercé a très vite été perçu comme le fleuve d’eau vive  coulant du Temple de Jérusalem (Ez 47) pour abreuver tout le pays.

 

Le sang dans la Bible est lui aussi symbole de vie : être marqué du sang de l’agneau pascal permet d’échapper à la mort (Ex 12,13). Laisser couler le sang de l’animal égorgé (abattage casher ou halal) manifeste que la vie appartient à Dieu et non à l’homme. L’interdiction de manger le sang (ex : boudin) ou de se taillader les veines relève de ce symbolisme. 

Faire couler le sang revêt encore une autre dimension, sacrificielle : les animaux égorgés au Temple ou ailleurs sont offerts pour les sacrifices rituels afin de d’expier les péchés, pour la rédemption du peuple. Le sang doit couler sur l’autel…

 

Santuario-Ta-Pinu-Gozo-Malta-Misteri-Dolorosi-5-Gesù-è-crocifisso-e-muore-in-croceD-2 eauSaint Augustin superpose à ce premier symbolisme un second : le côté ouvert est pour lui la figure de la naissance de l’Église, Arche de la nouvelle Alliance.

« Un des soldats lui ouvrit (aperuit, traduction de la Vulgate) le côté avec sa lance. L’évangéliste a été attentif au choix du verbe. Il n’a pas dit : il frappa, il blessa le côté ou rien d’analogue ; mais : il ouvrit. Il voulait indiquer qu’à cet endroit, pour ainsi dire, était ouverte la porte de la vie (vitae ostium), par où se sont écoulés les sacrements de l’Église, sans lesquels on ne peut entrer dans la vie, dans la vraie vie : ce sang a été répandu pour la rémission des péchés; cette eau se mélange à la coupe du salut, mais elle est à la fois un breuvage et un bain. Ce mystère était annoncé à l’avance par la porte que Noé reçut l’ordre d’ouvrir dans le flanc de l’arche, afin d’y faire pénétrer les êtres vivants, qui ne devaient pas périr dans le déluge : ils étaient la préfiguration de l’Église » (Commentaire sur l’Évangile de Jean).

Pour Augustin, l’Église est née avec l’eau et le sang jaillissant du crucifié. Comme l’Arche de Noé, elle rassemble en elle l’humanité sauvée de la mort grâce au bois de la croix.

 

Vie et salut, l’eau et le sang évoquent également la naissance, l’accouchement, comme on l’a vu. C’est donc de naissance dont il est question sur la croix : naissance du Christ à la vie nouvelle, notre naissance en Dieu avec lui, naissance de l’Église.

 

Contempler l’eau et le sang jaillissant du côté transpercé du Christ nous renvoie donc à la vie et au salut offerts en Jésus. Regarder vers le transpercé est chemin de rédemption, à l’instar des hébreux regardant le serpent de bronze dressé sur le bois pour guérir de leurs morsures (Jn 3,14 citant Nb 21,4-9).

 

Contempler Jésus en croix n’est pas affaire sentimentale : il s’agit de s’abreuver de l’Esprit filial qui l’animait ; il s’agit de laisser son sacrifice nous libérer de nos péchés, afin de vivre libres en lui.

 

4. Lecture sacramentelle

 EgliseLes premiers chrétiens ont tout de suite vu dans l’eau du côté ouvert l’annonce du baptême en Christ, et dans le sang l’annonce de l’eucharistie, communion à la vie du Christ par le calice. D’ailleurs, certaines icônes de la crucifixion représentent une femme (l’Église) avec un calice recueillant le jet de sang et d’eau, tant ces deux sacrements sont constitutifs de l’Église [2]. C’est du côté d’Adam que Dieu avait tiré Ève (Gn 2,21-22) ; c’est du côté de Jésus nouvel Adam que Dieu tire les sacrements, l’Église nouvelle Ève.

 

Ce lien eau–baptême/sang-eucharistie est peut-être la raison de l’inversion des termes entre l’Évangile et l’épître chez Jean : le réalisme physique serait alors dans l’ordre sang puis eau, la lecture sacramentelle inverserait ensuite l’ordre en 1Jn 5,6–8 : l’eau du baptême puis le sang de l’eucharistie (mais comment expliquer que le sang péricardique ait jaillit avant le liquide pleural ?) 

Le baptême fait donc de nous d’autre christs en Jésus le Vivant, et l’eucharistie nous communique sa vie, la puissance de son amour qui va jusqu’à verser son sang pour l’autre.

 

Contempler Jésus en croix c’est revenir à notre baptême (être configuré au Christ) et à notre pratique eucharistique (recevoir de se donner jusqu’au sang) : où en suis-je de la mise en œuvre de ces deux sacrements dans mes choix et mes passions ?

 

5. Lecture mystique

sacre-coeur-jesus-rayons-fond-couleur-aqua_546897-84 EspritL’Occident a développé dès le Moyen Âge une mystique de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, qui voulait se fonder sur le texte de Jean. Ainsi Guillaume de Saint Thierry (XII° siècle) :

« C’est tout entier que je désire voir et toucher, plus encore m’approcher de la sacro-sainte blessure de son côté, de cette porte de l’arche faite au flanc, non pas seulement pour y mettre mon doigt ou ma main, mais pour entrer tout entier jusqu’au Cœur même de Jésus ». Et ailleurs : « Que par la porte ouverte, nous entrions tout entier jusqu’à votre Cœur, Jésus ! ».

Or Jean ne parle pas du cœur, mais du côté (πλευρά, pleura). Et ce n’est pas un cœur ouvert mais un flanc transpercé.

Reste qu’à partir de là (en Occident), on a pensé que la blessure avait été faite à hauteur du cœur. Ce qui est conciliable avec le coup de lance à la droite de Jésus, car la lance traverse le liquide pleural (l’eau) avant de toucher la cavité péricardique (le sang). Demeure le problème de l’ordre de ces deux éléments, qui aurait dû être : l’eau puis le sang.

Marguerite-Marie Alacoque a popularisé au XVII° siècle cette mystique du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial. La pensée contre-révolutionnaire catholique l’a même instrumentalisée en construisant la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre en réparation des péchés commis par la Commune de Paris contre l’Église en 1871…

Cette dévotion est devenue un bien commun des catholiques : « La prière de l’Église vénère et honore le Cœur de Jésus, comme elle invoque son très saint Nom. Elle adore le Verbe incarné et son Cœur qui, par amour des hommes, s’est laissé transpercer par nos péchés » (Catéchisme de l’Église Catholiquen° 2669).

 

Le thème mystique du Cœur de Jésus correspondait à l’époque à un besoin de tendresse, de miséricorde dans un catholicisme fait d’obligations et de rigueur. Jean-Paul II a essayé  d’actualiser cette intuition en faisant de notre deuxième dimanche de Pâques le « dimanche de la Divine Miséricorde », justement en lien avec le côté transpercé/cœur ouvert de Jésus.

 

Plutôt qu’une dévotion au Cœur de Jésus (avec tous les risques de déviations psychologiques ou autres), une lecture plus authentiquement mystique prônerait l’union à Jésus crucifié par amour : se laisser transpercer pour répandre la vie et le salut autour de soi…

 

6. Lecture christologique

71dKNWxZaXL._SL1500_ sangL’eau et le sang jaillissant sont le signe que l’Esprit « qui donne la vie (Credo) » est celui du Fils tout autant que celui du Père. L’Esprit Saint est celui qui actualise (dans l’Église de manière privilégiée, mais pas exclusive) la vie du Christ en nous. La foi chrétienne est la participation à ce mystère du Christ, grâce à son Esprit répandu en nos cœurs. 

On ne peut séparer l’Esprit de Jésus, ni Jésus de l’Esprit. La controverse du Filioque (VIII°-XI° siècles) traduira l’importance que l’Occident accorde au lien Christ-Esprit, à égalité du lien Père-Esprit, alors que l’Orient met l’accent sur la prééminence du Père (monarchianisme) sur le Fils. 

 

Au-delà de ces polémiques, l’enjeu est de lier indéfectiblement Jésus à l’Esprit qui l’animait : s’il le répand sur la croix, c’est que toute son existence en découlait, et c’est ainsi que nous pourrons le suivre.

 

7. Lecture anthropologique

L’homme est pleinement révélé à lui-même en Jésus le Christ. Le côté transpercé du condamné nous révèle ce qui nous structure au plus profond de nous-mêmes : nous sommes faits pour nous livrer, en nous exposant ainsi à être blessés par amour, afin de donner la vie (l’eau) et le salut (le sang) du Christ autour de nous. 

La plénitude d’une vie humaine est de se donner – par le Christ, avec le Christ et en Christ – jusqu’à verser notre sang pour l’autre, fut-il notre ennemi.

 

8. Lecture spirituelle

Comme l’écrit Jean, l’eau et le sang convergent vers une seule source : l’Esprit de Dieu. « Les trois ne font qu’un » (1Jn 5,8). Communier au Christ, c’est laisser l’Esprit qui l’animait devenir notre principe de vie, notre souffle intérieur, notre identité la plus intime. Se laisser conduire par l’Esprit du Christ nous fait devenir fils dans le Fils, enfants de Dieu en vérité. 

La vie spirituelle c’est cela : se laisser conduire par l’Esprit du Christ jusqu’à devenir Dieu par lui, avec lui et en lui.…

 

Toutes ces lectures n’épuiseront pas celle que vous pourrez faire aujourd’hui en contemplant l’eau et le sang jaillissant du côté transpercé du crucifié.

À chacun de laisser ce coup de lance ouvrir en lui le chemin vers la source d’amour qui jaillit pour ses proches…

_________________________________________

[1]. Ce phénomène médical existe bel et bien. Il est appelé hématidrose.

[2]. C’est vers 1180-90 que le Graal de Chrétien de Troyes reprendra la tradition orale du Sang Real, le Sang Royal du Christ, recueilli dans la coupe par la Dame Église, déformé phonétiquement en San Greal, d’où Saint Graal.

 

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
«Un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32-35)

 

Lecture du livre des Actes des Apôtres

La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous. Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun.

 

PSAUME
(117 (118), 2-4, 16ab-18, 22-24)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Éternel est son amour ! ou : Alléluia ! (117,1)

 

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !

 

Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !
Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !

 

Non, je ne mourrai pas, je vivrai
pour annoncer les actions du Seigneur.
Il m’a frappé, le Seigneur, il m’a frappé,
mais sans me livrer à la mort.

 

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux.
Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

 

DEUXIÈME LECTURE
« Tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde » (1 Jn 5, 1-6)

 

Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés, celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu ; celui qui aime le Père qui a engendré aime aussi le Fils qui est né de lui. Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements. Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ; et ses commandements ne sont pas un fardeau, puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Or la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi. Qui donc est vainqueur du monde ? N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?
C’est lui, Jésus Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité.

 

ÉVANGILE
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)
Alléluia. Alléluia. Thomas, parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
 Patrick Braud

 

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