L'homélie du dimanche (prochain)

13 février 2022

La force de la non-violence

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Efficace non-violence

Homélie du 7° Dimanche du temps ordinaire / Année C
20/02/2022

Cf. également :

Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
Boali, ou l’amour des ennemis
Pardonner 70 fois 7 fois

La force de la non-violence dans Communauté spirituelle

Quand Gandhi s’envolait…

Gandhi avait été fortement impressionné par la lecture de l’Évangile de ce dimanche (Lc 6, 27-38), dans la version de Matthieu : « Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre » (Mt 5,39). On raconte que dans les années 1888-1891, lorsque le jeune Gandhi étudiait le droit à Londres, il avait un professeur du nom de Peters avec qui la relation était tendue, notamment parce que le professeur blanc ne supportait pas que son élève indien ne baisse pas les yeux devant lui. Un jour, M. Peters prenait son repas à la cafétéria de l’Université, Gandhi est venu avec son plateau et s’est assis à côté de lui. Le professeur lui dit avec sa morgue habituelle : « M. Gandhi vous ne comprenez pas … Un porc et un oiseau ne s’assoient pas ensemble pour manger ». Gandhi lui répondit : « pas de soucis professeur, je m’envole », et il alla s’asseoir à une autre table…
Cette anecdote londonienne montre que, très jeune, Gandhi concevait déjà l’humour comme alternative à la réponse physique, la non-violence comme un combat et non une résignation passive. Tendre l’autre joue à son adversaire, c’est le désarçonner, le mettre devant la vérité pour qu’il puisse changer. La doctrine politique de la non-violence a permis à Gandhi de conduire une décolonisation beaucoup plus tôt et dans de bien meilleures conditions que d’autres colonies de par le monde…

 

Desmond Tutu, ou la force de la non-violence

L’Afrique du Sud a récemment célébré un autre apôtre de la non-violence : l’archevêque anglican du Cap, Desmond Tutu, décédé en décembre 2021. Lors de la cérémonie d’adieu à Nelson Mandela en 2013, Desmond Tutu lui avait rendu un hommage à sa façon, mélange de danse, d’humour, de mime et de prière : « Dieu, je te demande de bénir notre pays. Tu nous as donné un trésor merveilleux, avec cette icône de la réconciliation (Mandela)… », s’était-il écrié en afrikaner, la langue des blancs, la langue du pouvoir de l’apartheid autrefois, comme pour sceller la nouvelle alliance entre noirs et blancs d’Afrique du sud. Traiter Mandela d’icône de la réconciliation était si juste ! Desmond Tutu faisait danser sa soutane violette au service de l’égalité entre tous, et il est lui-même associé pour toujours à l’immense œuvre de réconciliation voulue par Madiba. Il a présidé pendant 3 ans la Commission nationale Vérité et Réconciliation, dont le slogan : « aveux contre rédemption » a permis de refonder une cohésion nationale fragile. En échange du récit de leurs exactions, les anciens tortionnaires de l’apartheid et leurs complices pouvaient espérer le pardon et le droit de vivre comme des citoyens à part entière. En 1998, après avoir auditionné 30 000 personnes, la commission remet un rapport de 3000 pages et plaide pour l’amnistie des coupables. Tutu ne disait-il pas : « Il faut aller plus loin que la justice. Il faut arriver au pardon, car sans pardon il n’y a pas d’avenir » ?

Desmond Tutu a exporté cette pédagogie de la transformation d’ennemis en partenaires au Rwanda : après le génocide rwandais (1 million de morts !), le pays aurait pu imploser lui aussi. Grâce à cet apôtre infatigable du pardon, l’amour des ennemis a pris une figure politique extraordinaire. Mieux que le procès de Nuremberg où il s’agissait en dévoilant leurs crimes de punir et d’éliminer les anciens nazis, mieux que les procès israéliens (dont celui d’Eichmann) visant à rendre justice aux victimes de la Shoah, la commission Vérité et Réconciliation a su promouvoir une justice restauratrice, et pas seulement punitive.

Voilà une traduction très réaliste – et très puissante – du passage d’évangile de ce dimanche : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue ».
Ce ne sont pas les paroles d’un doux rêveur, car Jésus les a signées de son sang et a pratiqué l’amour des ennemis jusque sur le bois de la croix : envers ses bourreaux romains, envers la foule juive haineuse, envers les criminels qui l’insultaient à ses côtés.
Non ce n’est pas une marque de faiblesse que de répondre au mal par le bien : c’est la marque de notre identité divine.
Non ce n’est pas illusoire de pratiquer la non-violence jusqu’au bout : au contraire, c’est le chemin le plus efficient pour établir une paix durable.

 

La monnaie de Simon Bar Kokhba

Joue droite, joue gauche

Au temps de Jésus, les Messies autoproclamés et violents pullulaient, qui voulaient tous libérer Israël de l’occupation romaine. L’histoire ne se souvient que de quelques-uns, parce que leur fiasco a été particulièrement lamentable. Simon Bar Kochba (« fils de l’étoile ») est le plus célèbre, et souvent présenté comme « l’anti-Jésus ». Au II° siècle, il réussit à fédérer le peuple juif pour le soulever contre Rome et chasser par l’épée de la révolte la légion qui gardait Jérusalem. Il rétablit ainsi un État en Judée, juif et indépendant, pendant quelques années, battant même sa propre monnaie. L’empereur Hadrien ne pouvait tolérer cette enclave dans l’empire, et la reconquête de Jérusalem fut sanglante. Pas moins de 12 légions romaines écrasèrent le soulèvement militaire de Bar Kochba, et dévastèrent Jérusalem et son Temple, illustrant ainsi tristement le constat prophétique de Jésus : « celui qui vit par l’épée périra par l’épée ». Dans ses moments de découragement dans sa lutte non-violente, Gandhi se raccrochait lui aussi à ce constat historique : « Quand je désespère, je me souviens qu’à travers toute l’histoire, les chemins de la vérité et de l’amour ont toujours triomphé. Il y a eu des tyrans et des meurtriers, et parfois ils ont semblé invincibles, mais à la fin, ils sont toujours tombés. Pensez toujours à cela ».
Que ce soit le soulèvement des vaincus ou l’expansion guerrière des vainqueurs, on a toujours vu au final les dictateurs périr, les tyrans être châtiés et chassés, les violents périr par la violence.

Répondre à la force par la force ne suffit pas, même si cela peut être légitime dans un premier temps, celui de la légitime défense (à condition que la riposte soit proportionnée à l’agression). Après les millions de morts de la première guerre mondiale, le Traité de Versailles n’a pu ramener la paix, car les vainqueurs prenaient leur revanche et imposaient par la force des conditions injustes et impossibles aux vaincus. Ce traité violent qui humiliait les ennemis a malheureusement préparé la guerre suivante. Prions pour qu’on ne rejoue pas un scénario semblable entre la Russie et l’OTAN, avec l’Ukraine au milieu…

Plus près de nous hélas, la présence des soldats français au Sahel s’enlise dans une démonstration de force inefficace. Plus le temps passe, plus les populations locales se rapprochent des djihadistes. Plus les armes sont puissantes, moins l’avenir est assuré. Le triste exemple des interventions en Libye, en Syrie, en Afghanistan, en Iran, en Irak et ailleurs aurait dû nous avertir ! La violence n’est jamais la solution, et l’issue ne peut être militaire seulement…

3b4775df_285795 Gandhi dans Communauté spirituelleS’il n’y a pas la diplomatie, c’est-à-dire le dialogue avec l’ennemi pour le changer en partenaire, la victoire violente d’un jour engendrera la défaite sanglante d’un autre jour. Le but ultime de la non-violence est de résoudre la crise comme un conflit se terminant sans rancœur, où les ennemis deviennent des amis.

Ce qui est vrai entre les États l’est également entre les individus. Jésus le savait d’expérience : la violence engendre la violence, la punition fabrique le désir de représailles, la force couve la révolte. D’où la phrase devenue proverbiale : « à celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue ». Chez Mathieu, le texte est plus précis : « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre » (Mt 5,39). Car, pour frapper quelqu’un sur la joue droite avec la main droite (la main gauche est impure en Orient et en Afrique, réservée aux besoins hygiéniques naturels), il faut le faire du revers de la main, ce qui est plus humiliant et dévalorisant (la loi juive prescrivait d’ailleurs une amende de 200 zuzims – un zuzim était une pièce de 3,7 grammes d’argent – en cas de gifle avec la paume, et de 400 zuzims en cas de gifle d’un revers de main). Un peu comme le « soufflet » du Moyen Âge, où le gant de l’offenseur claquant sur la joue de l’offensé valait un duel à fleurets non mouchetés…

 

triangle Karpmann

Sortir du triangle infernal

Que faire alors ? Répondre par une claque équivalente, c’est tomber dans le cycle infernal violence–représailles dénoncé plus haut. Se plaindre, pleurer, c’est rester devant son offenseur à lui tendre la même joue meurtrie, sans autre perspective que de jouer le rôle de victime. Une ancienne version du triangle de Karpman en somme, où l’identification au rôle de persécuteur, de sauveur ou de victime induit des situations de manipulation et de domination psychologique au sein d’un groupe ou d’un couple. Le persécuteur croit qu’il peut dominer par la force. Le sauveur croit qu’il peut y répondre par une force plus grande. La victime s’installe dans un état de soumission permanente et présente toujours sa même joue meurtrie à qui la frappe.

Tendre l’autre joue pour Jésus, c’est sortir de ce piège triangulaire : non, je ne suis pas la victime qui se résigne, je suis ton égal en humanité, et ma part de visage non meurtri est semblable au tien. À travers le visage apparaît à la fois la vulnérabilité de l’être et sa transcendance. La découverte du visage de l’autre homme me fait prendre conscience à la fois de la possibilité et l’impossibilité du meurtre; cette prise de conscience est l’affirmation de ma conscience morale. « La relation au visage, affirme le philosophe Emmanuel Lévinas, est d’emblée éthique. Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins ce dont le sens consiste à dire : « Tu ne tueras point » » (Éthique et Infini).

Je ne suis pas la victime qui se résigne. Je ne suis pas non plus le sauveur, super-héros qui rêve de faire tomber le persécuteur pour enfin renverser les rôles. Combien de victimes d’une domination se sont révélées être à leur tour des bourreaux une fois la situation renversée ? La dictature soviétique du prolétariat, la longue marche de Mao, la résistance de Fidel Castro ou du Che, la soif de libération des Khmers rouges, les colonnes infernales en Vendée… : tant de révolutions n’ont fait qu’intervertir les maîtres sans supprimer la violence !

En famille, c’est encore plus vrai. Et le triangle de Karpman fait des ravages lorsqu’il n’y a pas la parole et le pardon pour conjurer la violence. Combien de couples se déchirent lors d’une séparation pour la garde des enfants, de la maison, des appareils ménagers ou des objets de valeur ? Même « à l’amiable », un divorce demande de sortir du triangle violent persécuteur/sauveur/victime pour établir de nouvelles relations pacifiques. Le pardon est l’arme la plus efficace pour cela. Pardon envers soi-même, car la culpabilité à raison nous taraude. Pardon envers l’autre, car lui aussi se débat dans ses contradictions, et seule la non-violence permettra de trouver la juste distance.

 

2008-03-lmrj-fra Karpman

Une justice restauratrice

Au-dessus de la justice punitive, il y a la justice restauratrice. La première emploie la force (amende, prison), la deuxième mise sur le dialogue et le pardon.
Jésus giflé humilié par les soldats romains lors de son procès en donne une incarnation : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18, 23). Il empêche ses partisans de réagir par le glaive lors de l’arrestation à Gethsémani : « L’un de ceux qui étaient avec Jésus, portant la main à son épée, la tira, frappa le serviteur du grand prêtre, et lui trancha l’oreille. Alors Jésus lui dit : Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée » (Mt 26, 51 52).
Il lui demande de pardonner 70 fois 7 fois (Mt 18,22), comme lui le fera à ceux qui l’insulteront et l’élimineront comme un déchet de la société : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).
Les Messies violents fascinent les foules, connaissent leur heure de gloire, puis périssent sous les coups de la même violence qui les a portés au pouvoir. Machiavel a vraiment tout faux lorsqu’il fait de son cynique calcul à court terme la clé de l’exercice du pouvoir ! Tout violent rencontrera plus violent que lui et sera défait (même s’il faut comme pour Lénine et Staline attendre parfois des années après sa mort pour voir sa statue déboulonnée !).
Jésus est le non-violent par excellence, c’est sans doute pour cela que son royaume n’aura pas de fin. Car, basé sur le pardon, il rétablit la relation de communion avec l’adversaire d’hier au lieu de l’éliminer. Basé sur la parole, il refuse d’endosser le rôle de victime, de bourreau ou de sauveur, et désire seulement rétablir l’autre dans son égale humanité.

Puissions-nous apprendre ce que tendre l’autre joue signifie !
Heureux ceux qui seront assez forts pour mettre cela réellement en pratique, sans lâcheté ni vengeance !

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur » (1 S 26, 2.7-9.12-13.22-23)

Lecture du premier livre de Samuel
 En ces jours-là, Saül se mit en route, il descendit vers le désert de Zif avec trois mille hommes, l’élite d’Israël, pour y traquer David. David et Abishaï arrivèrent de nuit, près de la troupe. Or, Saül était couché, endormi, au milieu du camp, sa lance plantée en terre près de sa tête ; Abner et ses hommes étaient couchés autour de lui. Alors Abishaï dit à David : « Aujourd’hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Laisse-moi donc le clouer à terre avec sa propre lance, d’un seul coup, et je n’aurai pas à m’y reprendre à deux fois. » Mais David dit à Abishaï : « Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ? » David prit la lance et la gourde d’eau qui étaient près de la tête de Saül, et ils s’en allèrent. Personne ne vit rien, personne ne le sut, personne ne s’éveilla : ils dormaient tous, car le Seigneur avait fait tomber sur eux un sommeil mystérieux. David passa sur l’autre versant de la montagne et s’arrêta sur le sommet, au loin, à bonne distance. Il appela Saül et lui cria : « Voici la lance du roi. Qu’un jeune garçon traverse et vienne la prendre ! Le Seigneur rendra à chacun selon sa justice et sa fidélité. Aujourd’hui, le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur. »

Psaume
(Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13)
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié.
 (Ps 102, 8a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

Aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés ;
comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

Deuxième lecture
« De même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel » (1 Co 15, 45-49)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, l’Écriture dit : Le premier homme, Adam, devint un être vivant ; le dernier Adam – le Christ – est devenu l’être spirituel qui donne la vie. Ce qui vient d’abord, ce n’est pas le spirituel, mais le physique ; ensuite seulement vient le spirituel. Pétri d’argile, le premier homme vient de la terre ; le deuxième homme, lui, vient du ciel. Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel. Et de même que nous aurons été à l’image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l’image de celui qui vient du ciel.

Évangile
« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 27-38)
Alléluia. Alléluia. 
Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus déclarait à ses disciples : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour, quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu’on leur rende l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »
Patrick BRAUD

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20 septembre 2020

L’évangile de la seconde chance

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’évangile de la seconde chance

Homélie pour le 26° Dimanche du temps ordinaire / Année A
27/09/2020

Cf. également :

Justice punitive vs justice restaurative
Changer de regard sur ceux qui disent non
Les collabos et les putains
Rameaux, kénose et relèvement

La société française est-elle plus violente qu’avant ?

Ensauvagement, incivilités, faits divers sanglants, procès Charlie Hebdo… : la fin de l’été a été marquée en France par une résurgence de la question sécuritaire, qui vient juste après les inquiétudes autour du Covid et de l’explosion du chômage annoncée. Comme souvent, la proximité d’élections explique en partie cette surenchère sécuritaire que les médias amplifient avec délices. Car, si l’on compare notre début de siècle avec le siècle précédent et ses 231 millions de morts violentes [1], nous vivons une période presque paisible… Jean-François Dortier, sociologue et directeur de la publication du magazine Sciences Humaines, distingue cinq formes de violence sociale [2] : la guerre / la violence d’État / la criminalité / la violence domestique / la violence verbale. Les trois premières formes de violence sont manifestement en régression au XXI° siècle jusqu’à présent. Les deux dernières formes de violence – verbale et domestique – sont maintenant mises en lumière et mieux mesurées qu’auparavant, mais on ne sait pas ce qu’elles représentaient quantitativement au siècle précédent. Le bilan est donc clair : notre société est beaucoup moins marquée par la violence qu’avant, mais certains ont intérêt à faire croire le contraire.

L’instrumentalisation du sentiment d’insécurité n’est pas nouvelle. Elle nourrit dans l’opinion des avis de plus en plus durs au sujet de la condamnation des coupables. Ainsi, un récent sondage indique que 55% des français sont pour le rétablissement de la peine de mort ! Or l’Évangile de ce dimanche (Mt 21, 28-32) prend à rebrousse-poil ces jugements à l’emporte-pièce : le premier fils apparemment rebelle sera finalement plus obéissant que son frère, les publicains et les prostituées précéderont les gens très religieux dans le royaume de Dieu, et « le méchant qui se détourne de sa méchanceté sauvera sa vie » (comme l’écrit Ézéchiel dans la première lecture : Ez 18, 25–28).

 

Punir et haïr les coupables ?

L’évangile de la seconde chance dans Communauté spirituelle 41Dab6544KL._SX313_BO1,204,203,200_Michel Foucault a bien montré que les sociétés modernes s’organisent pour « surveiller et punir ». Pratiquant une mauvaise lecture de la loi du talion, beaucoup voudraient faire souffrir les coupables à hauteur de ce qu’ils ont infligé à leurs victimes. Comme c’est impossible, même en tuant des assassins (cf. le procès des attentats contre Charlie Hebdo), il ne reste que la haine envers les criminels, et la volonté farouche de les punir, de se venger, de les voir souffrir autant qu’ils ont fait souffrir. « Criminels un jour, criminels toujours » : cette conviction si populaire est inhumaine et dangereuse…

Pourtant, un père de famille touché dans la chair de sa chair par les attentats a su montrer un autre chemin : « vous n’aurez pas ma haine » (Antoine Leiris). Tant qu’on demeure dans la haine, impossible d’accorder une seconde chance à l’agresseur. La prison ne sert alors qu’à punir, ou soi-disant protéger la société le temps de l’emprisonnement. Sauf que toutes les études montrent que la récidive se nourrit du passage en prison, qui ne protège alors qu’un temps, préparant hélas un ‘après’ encore plus violent [3]. La justice punitive peut être utile pour faire prendre conscience aux coupables de la gravité de leurs actes, mais elle ne peut suffire à retrouver la paix. Il faut la conjuguer avec une justice restauratrice du lien social entre agresseurs, victimes et société.

La justice de Dieu dans la Bible est dite salvifique justement à cause de cela : elle vise la transformation du non en oui, du méchant en juste, des collabos en résistants, des prostituées en dames de cœur.

 

La lettre écarlate

Ne pas accorder de seconde chance à ces coupables revient à reproduire les vieilles pratiques par lesquelles on clouait littéralement les criminels au pilori en place publique. Ainsi la flétrissure, châtiment royal qui marquait au fer rouge le coupable devant le village réuni pour l’occasion. En France, ce fer chauffé au rouge avait la forme d’une fleur de lys, puis au XVIII° siècle d’une lettre : V pour voleur, M pour marchand, GAL pour galérien. Napoléon y rajoutera le T pour travaux forcés, D pour déporté, F pour faussaire. Nul doute que l’étoile juive imposée par les nazis s’inscrit dans ce droit-fil du mépris public dû aux supposés coupables, réduits à leur flétrissure.

La lettre écarlate - couverture livre occasionUn roman américain a rendu célèbre cette lettre écarlate qui marquait à jamais les pécheurs aux yeux de tous. Vers 1642, Hester Pryne se voit condamnée à porter toujours sur son corsage une lettre rouge : A, pour l’adultère qui a donné naissance à Pearl, dont elle persiste à cacher le nom du père. Cela se passe dans la communauté très puritaine de Boston, où les premiers colons veulent imposer une morale biblique fondamentaliste et hypocrite. Or le père de Pearl n’est autre que… le pasteur de la communauté, celui-là même qui prêche la rigueur morale au nom de Dieu ! Nathaniel Hawthorne, l’auteur du roman, est né en 1804 à Salem, dont la tristement célèbre chasse aux sorcières de 1694 l’avait marqué par son intransigeance soi-disant religieuse, devenue folle et meurtrière.

La lettre écarlate condamne à jamais Esther à vivre en rebut de la communauté. Aucune rédemption. Aucune possibilité de réintégration. Un châtiment à perpétuité en somme, sans remise de peine. Alors, elle coud un fil d’or autour de cette lettre A qui l’expose au mépris public, comme si elle pressentait l’Évangile de ce jour : les adultères précéderont les époux fidèles dans le royaume de Dieu (mais qui peut se prétendre toujours fidèle ?)…

Marquer au fer rouge, stigmatiser par une lettre écarlate infamante, ne pas offrir de seconde chance, c’est faire mentir Dieu qui désire la conversion du méchant, le oui du fils rebelle, la réintégration de tous « ceux qui suivent une autre route », comme le chantait Brassens.

 

Méchant, fils rebelle, putains et collabos

Entendons bien nos lectures de ce Dimanche : ce n’est pas la méchanceté que loue Dieu dans Ézéchiel, c’est la capacité du méchant à se détourner du mal commis. Et qui n’en commet jamais ? Ce n’est pas le « non » adolescent et rebelle du premier fils que Jésus propose en exemple, mais sa capacité à réfléchir, à revenir sur une mauvaise décision pour finalement aller travailler à la vigne. Ce n’est pas la collaboration avec l’occupant romain que Jésus fait entrer en premier dans le royaume de Dieu, mais la capacité de Zachée à l’accueillir et à changer sa pratique professionnelle à cause de lui. Ce n’est pas la prostitution que Jésus valide faisant entrer les prostituées en premier, c’est la capacité de cette « femme de la ville, une pécheresse » (Luc 7,36–50) à mouiller ses pieds de ses larmes en les embrassant et en y versant du parfum.

41KE8PVH6BL._SX286_BO1,204,203,200_ chance dans Communauté spirituelleOn retrouve là la distinction si fondamentale entre le péché et le pécheur : le péché est à condamner, le pécheur à sauver.

Les plus grands pécheurs sentent bien au fond d’eux-mêmes qu’ils se détruisent. Parce qu’ils ont plus à gagner que les autres, ils écoutent le Christ avec plus d’intensité, car leur enjeu est plus important que les gens bien soi-disant impeccables. Voilà pourquoi les premiers à suivre Jésus sont souvent des candidats à la deuxième chance : esclaves de Rome, dockers de Corinthe, prostituées de Capharnaüm, des Lévy et des Zachée, des Marie de Magdala et des possédées, bref une fange pas très reluisante aux yeux des juifs pieux et religieux.

Aujourd’hui encore, un criminel comme Jacques Fesch se convertit avant de monter sur l’échafaud ; une institutrice pour école dorée d’enfants riches en Inde part avec un sari et un seau recueillir les mourants de Calcutta ; le sensuel et sectaire Augustin change de vie en lisant l’Évangile ; l’ex khmer rouge Duch (Kang Kek Iew) ayant dirigé le camp d’extermination S 21 (13 000 détenus torturés puis exécutés) lit la Bible et se convertit en prison ; Léo le tortionnaire nazi de Maïti Girtanner lui téléphone 40 ans après pour lui demander pardon. « Même les bourreaux ont une âme », écrira-t-elle.

Ce n’est pas par hasard si Jésus est mort sur le bois de la croix – l’équivalent de la lettre écarlate à son époque – entouré de deux bandits assez criminels pour mériter cette sentence romaine infamante. La prophétie de Jésus : « les publicains et les prostituées vous précéderont dans le royaume des cieux » se réalise le soir du Vendredi Saint, avec l’entrée en premier d’un des deux criminels en croix : « aujourd’hui, tu seras avec moi on paradis ».

 

Seconde chance à tous les étages

Qui serions-nous alors pour refuser aux autres ce que Dieu lui-même accorde aux méchants, aux rebelles, aux putains et aux collabos ?

Accorder une deuxième chance à ceux qui nous ont fait mal n’est pas de la faiblesse, ni même un calcul social : c’est de notre ressemblance avec Dieu qu’il s’agit, car c’est l’image de Dieu en nous qui nous fait voir le bourreau autrement que sous l’angle de la punition et de la vengeance.

Dans un couple, accorder une seconde chance à l’autre – à son couple – peut devenir une bouleversante expérience de pardon après une infidélité, un éloignement, une blessure. Brel ne chantait-il pas : « on a vu souvent rejaillir le feu d’un ancien volcan qu’on croyait trop vieux » ? Tant de couples volent en éclats à la première incompréhension grave ! Mais tant d’autres peuvent témoigner que leur relation est plus forte et plus vraie après avoir traversé l’orage. À condition de ne pas enfermer l’autre dans ce qu’il a un jour commis. À condition de se remettre en question pour comprendre. Faire la vérité, chercher une issue, proposer de repartir sur d’autres bases : la relation amoureuse n’en finit pas de se réinventer en reconstruisant patiemment le lien fragile.

winFail écarlateAu travail, la deuxième chance évangélique se traduira notamment par ce que le management appelle le droit à l’erreur. Si une entreprise veut favoriser l’initiative, la créativité, et finalement la performance de ses employés, elle a intérêt à leur laisser carte blanche au maximum, quitte à ce qu’il y ait beaucoup d’erreurs et d’échecs. Ainsi Google laisse régulièrement une journée libre à ses salariés, sans charge de travail précise, pour qu’ils puissent poursuivre des études, des projets, des chantiers qui les passionnent. La seule exigence de ce « Fedex Day » est de rendre compte (Fedex) à l’équipe de ce que chacun a essayé, cherché, expérimenté, trouvé ou non. Nombre d’innovations de Google viennent de là, car les passionnés explorent des pistes inédites, originales, que l’encadrement n’aurait jamais pu produire. Se tromper est alors le chemin normal pour inventer : le droit à l’erreur est écrit noir sur blanc, pour que chacun puisse risquer des chemins nouveaux sans avoir peur. Bien sûr, persévérer dans l’erreur là comme ailleurs ne sera pas admis à la longue ! Mais savoir qu’on aura une seconde chance est une condition de réussite de l’apprentissage et de l’innovation. Et Jésus parlera même d’accorder 77×7 fois cette nouvelle chance… !

Entre nations également, la seconde chance évangélique a prouvé sa pertinence. Tant que le vainqueur d’une guerre veut humilier le vaincu, l’infernal cercle des vengeances-représailles se reproduit sans fin. C’est la victoire de Napoléon à Iéna en 1806 qui prépare la revanche prussienne de 1870, puis celle allemande de 1914, puis celle de 1939. Il a fallu De Gaulle-Adenauer, avec l’aide du plan Marshall, pour qu’enfin cette spirale infernale soit brisée et que le couple franco-allemand devienne un des moteurs de l’Europe. De même au Rwanda, après l’épouvantable génocide ayant fait 800 000 morts en 1994, la commission nationale de réconciliation entre Hutus et Tutsis, dans laquelle les Églises participent activement, offre une seconde chance à la coexistence ethnique, pour que ne revienne jamais la folie raciste.

 

L’évangile de la seconde chance

La promesse de Jésus sur les publicains et prostituées est donc une bonne nouvelle (= évangile en grec) pour tous (car qui ne l’est jamais ?). Si l’on revient à l’Évangile, la figure la plus aboutie de la deuxième chance est bien le bon larron. L’anti-type en est sans doute Judas : ayant cru à une révolution politique (façon Khmer rouge), ayant trahi, il n’a pas cru que le Christ pourrait à nouveau lui proposer son amitié. Là où Pierre par trois fois confessait aimer Jésus malgré son triple reniement, Judas désespère d’avoir une seconde chance. Son suicide traduit sa conviction que la porte du royaume des cieux lui est fermée, alors qu’elle est pourtant promise à des renégats comme lui par Jésus lui-même.

Puisque les lectures de ce dimanche mettent à l’honneur les méchants, les rebelles, les putains et les collabos lorsqu’ils accueillent le royaume de Dieu, changeons de regard sur ceux qui aujourd’hui sont marqués d’une lettre écarlate aux yeux de tous.

À l’image du Christ, offrons-leur une deuxième chance.
Ce qui revient d’ailleurs à nous l’offrir à nous-même…

 


[3]. En France, 80 000 personnes sortent de prison tous les ans. Après plusieurs années passées derrière les barreaux, beaucoup ont du mal à retrouver un logement, un emploi ou simplement une vie normale. Livrés à eux-mêmes, ces ex-détenus sont trop souvent menés vers la récidive. 63% d’entre eux ont été recondamnés dans les 5 ans après leur première sortie de prison.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Si le méchant se détourne de sa méchanceté, il sauvera sa vie » (Ez 18, 25-28)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

Ainsi parle le Seigneur : « Vous dites : ‘La conduite du Seigneur n’est pas la bonne’. Écoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Il a ouvert les yeux et s’est détourné de ses crimes. C’est certain, il vivra, il ne mourra pas. »

 

PSAUME
(Ps 24 (25), 4-5ab, 6-7, 8-9)
R/ Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse. (Ps 24, 6a)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse ;
dans ton amour, ne m’oublie pas.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 1-11)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens

Frères, s’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres.
Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : ayant la condition de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.

 

ÉVANGILE
« S’étant repenti, il y alla » (Mt 21, 28-32)
Alléluia. Alléluia.Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ; moi, je les connais, et elles me suivent. Alléluia. (Jn 10, 27)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.’ Celui-ci répondit : ‘Je ne veux pas.’ Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : ‘Oui, Seigneur !’ et il n’y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. »
Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. »
Patrick BRAUD

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17 novembre 2019

Christ-Roi : Reconnaître l’innocent

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Christ-Roi : Reconnaître l’innocent

Homélie pour la fête du Christ Roi  / Année C
24/11/2019

Cf. également :

Le Christ-Roi, Barbara et les dinosaures
Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?
Les trois tentations du Christ en croix
La violence a besoin du mensonge
Divine surprise
Le Christ Roi fait de nous des huiles
Non-violence : la voie royale
Roi, à plus d’un titre
Un roi pour les pires

Christ-Roi : Reconnaître l’innocent dans Communauté spirituelle Robert_Campin_004On ne le répétera jamais assez : le premier à entrer dans le royaume du Christ ressuscité, ce n’est pas un des douze apôtres, ni même Marie. Non : c’est un bandit condamné à mort pour ses crimes ! À l’époque, la peine de mort paraissait juste pour ces hommes-là. D’ailleurs, il accepte le châtiment qui lui est infligé : « pour nous (les deux crucifiés aux côtés de Jésus) ce n’est que justice. Nous récoltons ce que nous avons semé. » (cf. Lc 23, 35 43) Déjà en cela cet homme est remarquable, car il assume ses actes criminels et leur conséquence : la mort. L’autre condamné veut encore échapper à son sort en suppliant le Christ d’éclabousser la foule de sa puissance : « sauve-toi toi-même, et nous avec ». Mais le point de bascule entre les deux attitudes est le moment où le deuxième bandit atteste devant tous de l’innocence de Jésus crucifié : « lui n’a rien fait de mal ».

Au moment de mourir dans l’opprobre et la dérision, ce malfaiteur prend parti pour Jésus, et dépose une dernière fois à la barre du procès qui lui est fait : il est innocent. Au moment où la logique sacrificielle du bouc émissaire est à son paroxysme (éliminer celui qui compromet la stabilité de la nation : « il vaut mieux qu’un seul homme meure plutôt que tout le peuple » Jn 18,14), le bon larron dénonce le mensonge qui permet à la violence de se déchaîner : non, Jésus n’est pas coupable de blasphème ni de sédition ; il est innocent de tout ce dont on l’accuse.

En dévoilant ainsi l’imposture qui engendre le déchaînement de la violence, ce malfaiteur prend le parti de Jésus, et s’unit à lui jusque dans la mort. C’est pourquoi le Christ constate : « aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ».

Dès lors que quelques-uns dénoncent le sort fait aux innocents dans un système violent, que ce système soit religieux (conquêtes musulmanes, Inquisitions chrétiennes, guerres de religion…) ou politiques (URSS de Staline, Cambodge de Pol Pot…), le royaume de Dieu advient !

Reconnaître l’innocent là où tous jettent des pierres ou se moquent, c’est démasquer le mensonge à la racine de cette violence. C’est ce que Jésus a fait avec la femme adultère que tous voulaient lapider. Ce n’est pas sans risques. Jésus savait qu’il exposait sa vie en intervenant pour les exclus injustement stigmatisés dans la société de son temps. Le bon larron n’a plus rien à perdre au seuil de la mort : il est libéré du qu’en-dira-t-on et du jugement des autres désormais. Il a alors ce courage que personne n’avait jusque-là au sommet du Golgotha : reconnaître publiquement l’innocent et prendre son parti. Du coup, il ouvre la voie au courage des autres, pas des disciples (qui ont fui !) mais d’un centurion romain qui proclame lui aussi l’innocence de Jésus après sa mort : « vraiment, cet homme était fils de Dieu » (Mc 15,39). Autrement dit, s’il existe un cycle infernal de la violence s’abattant par mimétisme sur des innocents, il existe également un cercle symétrique, vertueux, qui rompt  cette chaîne de violence par le seul fait de reconnaître publiquement l’innocence des sacrifiés.

Inévitablement, des rapprochements avec les déchaînements contemporains de violence sautent aux yeux. Songez aux 200 000 enfants environ qui chaque année ne naissent pas en France. Pourquoi les éliminer ? Serait-il une chose, capable de troubler l’équilibre de leurs parents potentiels ? En les proclamant innocents, l’Église – sachant qu’elle-même est coupable par ailleurs de bien d’autres crimes – veut être le bon larron attestant devant tous de l’injustice faite à ces non-nés.

Songez encore aux centaines de personnes qui chaque année en France meurent dans la rue, sans logement ni entourage (500 à 600 selon les associations). Leur corps rejoignent le ‘carré des indigents’ dans les cimetières, fosse commune recouverte d’oubli. Certains voudraient nous faire croire que la réussite se mérite, et que donc les pauvres ne le doivent qu’à eux-mêmes. Eh bien non ! Des collectifs (chrétiens et aconfessionnels) dénoncent ces morts indignes comme une violence faite à des innocents, car les pauvres ne sont pas coupables de leur misère.

FB_modele_COCO1 innocent dans Communauté spirituelle

De même, criminaliser les migrants qui fuient la pauvreté chronique de leur pays d’origine n’est pas juste. La racine du mal est dans la domination des nations gagnantes de la mondialisation : elles fixent le terme des échanges, répartissent les inégalités, culpabilisent les perdants. Réguler les flux migratoires n’implique pas ces traitements inhumains dans nos ‘jungles’ et autres camps de détention administratifs.

On nous dit qu’il n’y a plus d’idéologie depuis la chute du communisme en 1989 : que nenni ! L’idéologie de la violence sacrificielle qui a éliminé Jésus est toujours là, terriblement efficace : faire passer les innocents pour des coupables, les victimes pour des dommages collatéraux inévitables.

Fêter le Christ-Roi nous engage.

Ils ne savent pas ce qu'ils fontNon pas à brandir des étendards, ni à constituer des mini royaumes à l’écart. Pour fêter le Christ-Roi, le mieux est de suivre la voie du bon larron : reconnaître nos torts et avoir le courage de reconnaître publiquement l’innocence de ceux que l’on a cloués au pilori de la dérision publique. D’ailleurs, Jésus lui-même n’a-t-il pas jusqu’au bout plaidé en faveur de ses bourreaux ? « Ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). S’ils savaient qui ils condamnent, qui ils crucifient, qui ils éliminent aujourd’hui encore, ils ne le feraient pas. Le mensonge est père de la violence. Si le mensonge de la culpabilité des autres était levé, ils reculeraient horrifiés devant l’abomination de leurs actes, les Hutus devant les Tutsis et les Tutsis  devant les Hutus, les djihadistes devant les blessés de leurs attentats, les millionnaires devant les souffrances des pauvres, les abattoirs indignes devant la détresse animale etc.…

Il y a en chacun de nous – même les pires – une part d’innocence qui vient du voile de mensonge manipulant notre liberté à notre insu. C’est pourquoi nous espérons que chacun, jusqu’à son dernier souffle, peut comme le bon larron confesser ses torts, reconnaître l’innocent et prendre son parti.

Que le Christ-Roi nous aide à anticiper son royaume de justice et de paix, où les innocents ne sont plus tournés en dérision puis éliminés par les vainqueurs du moment.

Prenons leur défense avec courage.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Ils donnèrent l’onction à David pour le faire roi sur Israël » (2 S 5, 1-3)

Lecture du deuxième livre de Samuel

En ces jours-là, toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent : « Vois ! Nous sommes de tes os et de ta chair. Dans le passé déjà, quand Saül était notre roi, c’est toi qui menais Israël en campagne et le ramenais, et le Seigneur t’a dit : ‘Tu seras le berger d’Israël mon peuple, tu seras le chef d’Israël.’ » Ainsi, tous les anciens d’Israël vinrent trouver le roi à Hébron. Le roi David fit alliance avec eux, à Hébron, devant le Seigneur. Ils donnèrent l’onction à David pour le faire roi sur Israël.

PSAUME
(Ps 121 (122), 1-2, 3-4, 5-6)
R/ Dans la joie, nous irons à la maison du Seigneur. (cf. Ps 121, 1)

Quelle joie quand on m’a dit :
« Nous irons à la maison du Seigneur ! »
Maintenant notre marche prend fin
devant tes portes, Jérusalem !

Jérusalem, te voici dans tes murs :
ville où tout ensemble ne fait qu’un !
C’est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur,
là qu’Israël doit rendre grâce au nom du Seigneur.

C’est là le siège du droit,
le siège de la maison de David.
Appelez le bonheur sur Jérusalem :
« Paix à ceux qui t’aiment ! »

DEUXIÈME LECTURE
« Dieu nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé » (Col 1, 12-20)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens

Frères, rendez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. Nous arrachant au pouvoir des ténèbres, il nous a placés dans le Royaume de son Fils bien-aimé : en lui nous avons la rédemption, le pardon des péchés.  Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui. Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel.

ÉVANGILE
« Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » (Lc 23, 35-43)
Alléluia. Alléluia. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Béni soit le Règne qui vient, celui de David notre père. Alléluia. (cf. Mc 11, 9b.10a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, on venait de crucifier Jésus, et le peuple restait là à observer. Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient : « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! » Les soldats aussi se moquaient de lui ; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée, en disant : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »
Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs. » L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! » Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu ne crains donc pas Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. » Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » Jésus lui déclara : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
Patrick BRAUD

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30 juin 2019

Je voyais Satan tomber comme l’éclair

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Je voyais Satan tomber comme l’éclair

Homélie pour le 14° Dimanche du temps ordinaire / Année C
07/07/2019

Cf. également :

Secouez la poussière de vos pieds
Les 72
Briefer et débriefer à la manière du Christ
Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »

Bigre ! Revoilà Satan, que la modernité avait cru évacuer à grand renfort de démythologisation. Il y a bien l’Exorciste, Amityville, Annabelle et tout autre film terrifiant que les effets spéciaux rendent de plus en plus efficaces ; mais c’est du cinéma. Il y a certes les soi-disant marabouts venus d’Afrique ou d’ailleurs qui pullulent pour exploiter la misère sociale en promettant force désenvoûtements et autres « travaux occultes ». Mais globalement, Satan n’a plus guère de place dans la culture ambiante, ni dans la foi des catholiques non plus.

Comment recevoir alors la désignation du combat que les démons eux-mêmes attribuent à Jésus : « Tu es venu pour nous perdre » (Lc 4,34).
Comment interpréter la joie de Jésus félicitant les 72 comme après une victoire : « je voyais Satan tomber comme l’éclair » (Lc 10,18) ?

Il se trouve que ce verset est également le titre d’un livre de René Girard, célèbre anthropologue français ayant enseigné aux USA, mort en 2015. René Girard propose une lecture originale et séduisante de cette déclaration de Jésus. Essayons d’en préciser les grandes lignes pour en tirer quelques pistes d’actualisation de notre évangile (Lc 10, 1-20).

Si Satan tombe comme l’éclair du ciel vers la terre grâce à la mission de 72, c’est parce que les disciples en annonçant le Royaume de Dieu désamorcent le cercle proprement infernal de la violence (notons au passage que les 72 le font… avant les 12 !).

En effet, d’où vient la violence ? Pour René Girard, s’appuyant sur le Décalogue (commandement 6 à 10 : « tu ne convoiteras pas… »), la violence vient essentiellement du désir mimétique, de la convoitise de ce qui appartient à autrui, de l’envie d’être l’autre. En convoitant ce qu’il a et ce qu’il est, le désir mimétique fait naître et grandir une violence meurtrière : prendre la place de l’autre.

Je voyais Satan tomber comme l'éclair dans Communauté spirituelle 10.%2BTu%2Bne%2Bconvoiteras%2Bpas%2Ble%2Bbien%2Bdes%2BautresLe bien d’autrui est désirable justement en cela qu’il est à autrui. Le désir devient infernal lorsqu’il est mimétique : vouloir, à travers la possession de l’objet appartenant à l’autre, devenir l’autre lui-même, à sa place (désir de la marchandise, pour parler le langage contemporain). Donc désir qui, par nature, est homicide dans son principe : désirer être l’autre, c’est déjà vouloir le tuer. « Homicide dans son principe » est la définition biblique de Satan. Satan, nous dit Girard, c’est justement tout le cycle mimétique dans son ensemble.

Cette prolifération de la violence culmine en une crise généralisée dangereuse pour tous. La seule issue est alors celle du bouc émissaire : trouver une victime et lui faire porter tout le poids du désordre, l’exclure pour exclure ainsi la violence, du moins pour un temps. Des sacrifices humains aztèques à la tentative de sacrifice d’Isaac jusqu’aux pogromes ou autres lynchages racistes, les rites païens essaient de réguler la violence mimétique en désignant un coupable à éliminer.

Image illustrative de l’article Bouc à AzazelLes rites juifs ont transformé cette logique en ne supprimant pas le bouc émissaire, mais en le chassant au désert « pour Azazel » après avoir prononcé sur lui un rite d’absolution (Lv 16). Pour les pèlerins musulmans, c’est la lapidation d’un pilier représentant le grand Satan qui lors du pèlerinage à la Mecque (le hadj) en sera une résurgence.

Le christianisme quant à lui reconnaît en Jésus la victime innocente, injustement condamnée pour soi-disant sauver le peuple : « il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple » (Jn 11,50 ; 18,14). En prenant le parti des victimes, en refusant que l’innocent soit déclaré coupable, en dévoilant la convoitise à la racine de la violence, les disciples de Jésus révèlent au grand jour ce qui devait rester caché pour exercer son emprise. Il prive ainsi Satan de son pouvoir sur des hommes.
« C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. » (Jn 12,31)
« Qui commet le péché est du diable, parce que depuis l’origine le diable est pécheur. C’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu » (1 Jn 3,8).
« Il est vaincu l’accusateur de nos frères, lui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu » (Ap 12,10).

C’est par l’Esprit de Dieu que Jésus défait Satan. « Si c’est par l‘Esprit de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Mt 12,28). René Girard explique ce pouvoir libérateur de l’Esprit par son autre nom, le Paraclet :

J’ai commenté ce terme dans d’autres essais mais son importance pour la signification de ce livre est si grande que je dois y revenir. Le sens principal de parakleitos, c’est l’avocat dans un tribunal, le défenseur des accusés. Au lieu de chercher des périphrases, des échappatoires, dans le but d’éviter cette traduction, il faut la préférer à toutes les autres, il faut s’émerveiller de sa pertinence. Il faut prendre à la lettre l’idée que l’Esprit éclaire les persécuteurs sur leurs propres persécutions. L’Esprit révèle aux individus la vérité littérale de ce qu’a dit Jésus pendant sa crucifixion : « Ils ne savent pas ce qu’ils font. » Il faut songer aussi à ce Dieu que Job appelle : « mon Défenseur ».
La naissance du christianisme est une victoire du Paraclet sur son vis-à-vis, Satan, dont le nom signifie originairement l’accusateur devant un tribunal, celui qui est chargé de prouver la culpabilité, des prévenus. C’est une des raisons pour lesquelles les Évangiles font de Satan le responsable de toute mythologie.
Que les récits de la Passion soient attribués à la puissance spirituelle qui défend les victimes injustement accusées correspond merveilleusement au contenu humain de la révélation, tel que le mimétisme permet de l’appréhender.

Il est intéressant de noter que Satan n’est pas défini en lui-même, mais par sa fonction : accuser l’homme, ou par sa chute comme l’éclair.
Cette révélation du ressort mimétique de la violence est en marche avec les 72 bien avant la Croix. Avec la Passion-Résurrection, cette dénonciation de la convoitise conduisant au bouc émissaire s’incarnera au plus haut point en Jésus de Nazareth. Il est, lui, l’innocent, que tous comptent parmi les pécheurs. Il est condamné pour les coupables alors qu’il n’a jamais rien fait de mal. En ce sens il est l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. En le faisant se lever d’entre les morts, Dieu apporte sa caution à cette dénonciation du désir mimétique. Il appose son sceau à l’œuvre de dévoilement opéré par cet obscur prophète éliminé pour maintenir la paix à Jérusalem.

Voilà pourquoi Satan tombe comme l’éclair, rapidement et avec puissance, de la terre au ciel : sa chute est la conséquence de la prédication de l’Évangile où l’humilité, l’esprit de pauvreté et l’amour des ennemis désarment l’envie et la violence qui dressent des hommes les uns contre les autres. D’ailleurs, notre passage insiste sur cet esprit de non-possession qui va triompher de Satan : « Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales ». Lorsqu’on ne veut rien posséder, l’autre n’est pas une menace. Lorsqu’on veut aimer l’autre comme soi-même, ni plus ni moins, la tentation de la violence s’efface devant la reconnaissance de l’autre. Le désir mimétique s’évanouit devant le désir de communion. Chaque fois que les Églises se sont éloignées de cet esprit de pauvreté – et ce fut souvent ! – elles sont elles-mêmes tombées dans le piège de Satan et ont généré une violence en complète contradiction avec leur message évangélique.

En demandant aux 72 d’être « comme des agneaux au milieu des loups », Jésus brise le ressort infernal de la violence : la non-violence répondra à la violence, le pardon à l’offense, le don au vol, la bénédiction à la persécution.

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En leur demandant de ne rien posséder comme lui-même n’a ni terrier ni pierre où poser la tête (Lc 9,58), Jésus prive Satan du levier par lequel il soulève les antagonismes entre les hommes. La cupidité des riches n’a pas de limites (cf. l’affaire Carlos Gohsn !). Seul un cœur de pauvre peut extirper cette volonté folle de posséder et d’amasser sans cesse.

Même le geste si fort de secouer la poussière de ses pieds en cas de non-accueil coupe l’herbe sous le pied à la violence : en refusant de s’imposer par la force, en ne sacrifiant pas la vérité à la concorde, en s’éloignant des violents sans pour autant fermer la porte pour toujours.

Reconnaître en Satan le mimétisme violent, c’est achever de discréditer le prince de ce monde, c’est parachever la démystification évangélique, c’est contribuer à cette « chute de Satan » que Jésus annonce aux hommes avant sa crucifixion. La puissance révélatrice de la Croix dissipe les ténèbres dont le prince de ce monde ne peut pas se passer pour conserver son pouvoir.

Satan tombe comme l’éclair du ciel vers la terre. C’est donc que sur terre il n’a pas fini de faire des dégâts… Il est potentiellement vaincu, mais pas encore pleinement. Il faudra attendre la manifestation du Christ en gloire pour que cette victoire soit totale, un peu comme il a fallu attendre le 8 mai 1945 après le 6 juin 1944, entre débarquement et armistice, entre D-Day et triomphe final.

Et nous, à la suite des 72, comment allons-nous couper court à la violence en nous et autour de nous ?
Comment allons-nous désarmer Satan et le faire
« chuter comme l’éclair » ?
Si la racine du péché est la convoitise comme l’écrit Jacques :
« chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l’amorce et l’entraîne. Ensuite la convoitise, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché, et le péché, lorsqu’il est consommé, engendre la mort » (Jc 1,14-15), alors le remède est simple : cesser de se comparer, cesser de convoiter, se réjouir de ce que l’autre a sans l’envier, se réjouir de ce que l’autre est sans le jalouser. Ce qui n’empêche nullement de se battre contre les structures d’un système injuste. Au contraire, car le combat est alors pur de toute recherche égoïste. La recherche du bien commun demande en effet des cœurs libres de tout attachement excessif.

Travaillons sur nous-mêmes afin d’étouffer dans l’œuf la violence infernale du désir mimétique qui pollue notre carrière professionnelle, nos relations familiales, notre vie spirituelle…

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve » (Is 66, 10-14c)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez !
Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire. Car le Seigneur le déclare : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. » Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ; et vos os revivront comme l’herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.

Psaume
(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur !
(cf. Ps 65, 1)

Acclamez Dieu, toute la terre ;
fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
Venez et voyez les hauts faits de Dieu,

ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.

Il règne à jamais par sa puissance.

Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ;
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

Deuxième lecture
« Je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus » (Ga 6, 14-18)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates

Frères, pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis, c’est d’être une création nouvelle. Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie et pour l’Israël de Dieu, paix et miséricorde. Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus. Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.

Évangile
« Votre paix ira reposer sur lui » (Lc 10, 1-12.17-20)
Alléluia. Alléluia.
Que dans vos cœurs, règne la paix du Christ ; que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse. Alléluia. (Col 3, 15a.16a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : ‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ » Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.’ Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. »
Les 72 disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »

Patrick BRAUD

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