L'homélie du dimanche (prochain)

9 mars 2025

Quel est votre cercle rapproché ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quel est votre cercle rapproché ?

 

Homélie pour le 2° Dimanche de Carême / Année C
16/03/25


Cf. également :

L’alliance entre les morceaux
Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor
Compagnons d’éblouissement
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Le sacrifice interdit
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures
En descendant de la montagne…

 

1. Suis-je vraiment de tes amis proches ?

J’ai le bonheur d’avoir quelques amis avec qui on se suit depuis plus de 40 ans ! Depuis les années étudiantes où nous refaisions le monde dans d’interminables discussions arrosées, enthousiasmés par les idéaux de l’époque, prêts à tout pour les choix fondamentaux à faire ou juste faits : le couple, le métier, les engagements politiques, religieux, associatifs etc. Les années ont apporté pour chacun leur lot de drames et de joies, et nous avons continué à les partager, même éloignés par des centaines de kilomètres. 

Quel est votre cercle rapproché ? dans Communauté spirituelle affiche-citation-chez-nousNous connaissons tous de ces liens qu’il suffit de raviver une fois par an pour continuer comme si on s’était quitté la veille ! Loin de la banale superficialité des échanges quotidiens, ces amis-là provoquent à être vrais, à dire les choses, à aller à l’essentiel. Dispersés aux quatre coins de la France, même si un fil WhatsApp, des mails et des coups de fil maintiennent le lien, il faut quand même se voir en physique de temps à autre pour nourrir l’amitié ! On prévoyait un de ces rendez-vous avec un groupe d’amis intimes, lorsque l’un d’entre nous écrivit : « Nous avons mauvaise conscience de faire tant de kilomètres, ou pire encore de prendre l’avion, de dépenser beaucoup d’argent pour nos retrouvailles. On le fait déjà pour nos enfants qui habitent à l’étranger. Notre engagement social et écologique nous oblige à nous limiter, même pour vous ». Le choc fut double : découvrir que nous ne faisions peut-être pas partie en réalité du premier cercle des priorités de nos amis, alors que nous les avons inclus dans les nôtres. Et découvrir qu’au nom de principes tout à fait respectables ils étaient prêts à remettre en cause nos retrouvailles régulières. Une certaine radicalisation idéologique en fait, où les amis passent après les convictions…

 

Suis-je vraiment ton ami proche ? 

Si oui, tu seras prêt à sacrifier de ton temps, de ton argent, voire de tes principes, pour me rejoindre tel que je suis. Si non, le temps fera son œuvre d’éloignement, et notre lien se relâchera, invisiblement. Nous avons ainsi tous des amis avec qui nous avons été très proches autrefois, et qui ont disparu de nos yeux, presque sans s’en rendre compte, sans que cela nous manque vraiment. À l’inverse, le tamis du temps qui passe a filtré quelques-uns, que la confiance, les confidences, l’affection et la volonté de se retrouver nous rend indispensables, même éloignés.

 

2. The inner circle : Pierre, Jacques et Jean

Faites la carte des personnes que vous fréquentez. Il y a le large cercle de celles qu’on peut appeler des ‘relations’, des gens que l’on croise régulièrement et avec qui les contacts sont agréables, sympathiques : des collègues de travail, des voisins, des connaissances. 

Puis il y a des cercles d’intérêt, où nous partageons des activités, des hobbys, des passions  communes : un club de sport, une chorale, un groupe de tarot ou de bridge, une association etc. 915VI3gEftL._SL1500_ Douze dans Communauté spirituelleLes échanges y sont forcément plus qualitatifs, car l’intérêt partagé sert de plate-forme, de dénominateur commun. 

Il y a ensuite le cercle des familiaux : certains sont très proches bien sûr, d’autres assez lointains finalement. Autrefois, c’était le lien de ressourcement principal. Avec l’éclatement des familles – tant affectivement que géographiquement – peu de gens finalement peuvent affirmer que les familiaux sont tous des proches : certains oui, d’autres non. Un tiers des personnes âgées disent éprouver un sentiment de solitude, et se disent abandonnées, de leur famille d’abord.


Heureusement, il y a un autre cercle, celui que les anglophones appellent the inner circle : le cercle des intimes. C’est d’ailleurs le titre d’un film tourné après la chute du Mur de Berlin, retraçant l’histoire vraie du projectionniste privé de Staline, introduit dans le cercle rapproché du dictateur par ce biais. Il projette des films pour Beria, le patron du KGB, pour Staline et ses intimes. Il est fasciné par ce petit cercle restreint dont il fait désormais partie, au grand dam de sa femme qui prendra sous son aile une fillette juive orpheline à protéger de la déportation au goulag. De qui Ivan, notre projectionniste, est-il le plus proche ?…


Symétriquement, il y a dans les Évangiles un autre cercle rapproché, vertueux celui-là. Pierre, Jacques et Jean émergent en effet du groupe des Douze, comme the inner circle de Jésus. Dans l’Évangile de la Transfiguration de ce dimanche (Lc 9,28-36), on devrait par exemple s’étonner que Jésus ne prenne avec lui que ces trois-là pour monter au Thabor !

« Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier ».

Pourquoi pas les Douze ? À quoi rime cette sélection ?

  •  JacquesUne première réponse tient dans la liberté de Jésus : il appelle « qui il veut » (Mc 3,13) ! C’est son choix d’associer Pierre, Jacques et Jean – et eux seulement - à son éblouissement au Thabor. Respecter la liberté du choix de nos amis lorsqu’ils se choisissent des plus proches que nous est ainsi la première marque de respect que nous leur devons. En retour, assumons nous-même cette liberté de choix de quelques-uns pour les associer de plus près à ce qui est important pour nous. On ne peut pas être ami intime avec tout le monde, ayons le courage de choisir…
  • Une deuxième interprétation serait plus symbolique. 

Pierre représente la foi, forte et tranchante : « Tu es le Messie, le fils de Dieu » (profession de foi de Pierre à Césarée, Mt 16,16), qui entraîne le reste du groupe des Douze. 

Jacques représente les œuvres, la nécessité d’allier le social et le spirituel, l’éthique et la foi (« Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi » Jc 2,18). Son épître est considérée comme un des joyaux de la Doctrine sociale de l’Église, fustigeant les riches et leur soif de richesses, et les inégalités dans la communauté. 

Jean représente plutôt une tradition mystique, contemplative et spirituelle, où l’amour joue le premier rôle (le mot amour ἀγάπη = agapê est utilisé 30 fois chez Jean, dont 18 fois dans la seule première lettre de Jean).

La foi et les œuvres, dans l’amour : notre trio incarne ainsi les trois colonnes de l’Église (Ga 2,9), sur lesquelles on peut s’appuyer solidement pour bâtir le Corps du Christ transfiguré.

  • Une troisième réponse pourrait venir de la stratégie de diffusion de l’Évangile que Jésus a choisie. 

- Un peu comme un caillou crée des vagues concentriques en tombant dans l’eau, Jésus sait bien qu’il ne peut s’adresser directement aux foules sans médiations, ni tout le temps. Il faut des relais, des intermédiaires. 

- Déjà, il distingue les disciples des foules, vers lesquelles ils sont envoyés. Il les nourrit avec des paraboles, des miracles, des enseignements destinés à un grand nombre. 

- Au sein de ses disciples, Jésus en choisit 70 (comme Moïse au désert) pour être l’avant-garde évangélisatrice. Il les envoie deux par deux, les débriefe au retour de leur mission, et compte sur eux pour la suite. 

- Mais 70, c’est encore trop de monde pour avoir de vraies relations personnelles, intimes. Alors il appelle les Douze, à qui il va se confier plus particulièrement, en leur expliquant les paraboles en privé, en mangeant et buvant avec eux, en les emmenant sur les chemins poussiéreux de Palestine avec lui. Ce petit groupe est à taille humaine pour un manager comme Jésus. Il correspond au Comité de Direction (Codir), Comité exécutif (Comex) ou autre petit groupe de Direction associé de très près à la gouvernance d’un PDG ou d’un directeur de service ou de magasin. 

jean-et-jacques-rapportent-a-pierre-leur-rencontre-avec-le-messie Jean- Parmi ces Douze, Jésus ressent le besoin d’aller encore plus loin avec trois d’entre eux. Parce qu’un leader seul devient vite tyrannique, il a besoin d’un cercle restreint avec qui il est en confiance. L’attention particulière que Jésus a accordée à Pierre, Jacques et Jean faisait partie de la stratégie de leadership de Jésus. Plutôt que d’essayer de développer une large portée pour son ministère en solo, Jésus a évité la popularité et s’est concentré sur la véritable profondeur et l’impact à long terme. 

Pour en faire ses intimes, Jésus fera de ces trois-là les témoins privilégiés de la résurrection de la fille de Jaïre (Lc 8,51), de l’annonce  de la destruction du Temple – avec André – (Mt 13,3–4), de sa Transfiguration sur le Mont Thabor (Lc 9, 28-36), et de sa défiguration sur la colline de Gethsémani (Mc 14,33). Ils auront ainsi les clés pour déchiffrer le scandale la croix : Jésus est bien le Seigneur de gloire (Transfiguration) qui par amour va accepter d’être humilié (Gethsémani) jusqu’à la croix, mais dont la résurrection sera la nôtre (fille de Jaïre) et annonce un culte nouveau (destruction du Temple).

Aurait-il pu initier les Douze à ce degré d’intimité avec lui ? Peut-être ; sans doute. Mais il ne faut pas rêver : être vraiment intime avec quelqu’un, cela se compte sur les doigts d’une main…

- D’ailleurs, Jésus choisira Pierre parmi les trois pour être le rocher du nouveau Temple à venir. La responsabilité ultime ne peut être collective uniquement : elle réclame un visage, un nom, quelqu’un, et pas seulement un groupe. Pierre incarnera la dimension personnelle de l’autorité de l’Église, les Douze l’autorité collégiale, et les disciples l’autorité communautaire

Un/quelques-uns/tous : le triptyque est essentiel à la diffusion du message, pour éviter de le personnaliser à outrance comme de le dissoudre dans un collectif anonyme.


– Terminons notre carte relationnelle en mentionnant que le cercle initial est le cercle de Jésus lui-même. Jésus est à lui-même son cercle premier. Le premier à être évangélisé doit être l’évangélisateur lui-même, sinon il annonce un message extérieur à qui il est. « Medium is message », dira plus tard Mac Luhan (théoricien des médias). Jésus prend grand soin de son évangélisation intérieure : il rumine la Parole de Dieu dont il connaît beaucoup de passages par cœur. Il se réserve des temps de solitude pour prier, à l’écart. Il demeure seul au désert 40 jours en préparation de ses années publiques. Il dialogue sans cesse avec son Père pour recevoir de lui seul son identité, sa mission, son pouvoir, pour rester fidèle à sa mission.
Le leader à la manière de Jésus commencera par se manager lui-même, en cohérence avec ce qu’il demande aux autres. Négliger ce cercle initial serait s’exposer à l’incohérence et l’inconsistance…

 

On peut schématiser ainsi les 7 niveaux de la stratégie de Jésus en matière d’évangélisation :


The inner circle of Jesus
 

 

3. Quelle sera votre cercle rapproché ?

La question m’est alors posée : de qui est composé chaque cercle en ce qui me concerne ? Qui peut jouer pour moi le rôle de Pierre, Jacques et Jean ? 

Quel est mon cercle restreint, the inner circle à qui je réserve mes larmes, mes enthousiasmes, avec qui je partage et relis les événements qui me touchent de près ?

En entreprise, c’est la question de la solitude des dirigeants et managers : quels sont les deux ou trois avec qui aller plus vite et plus loin que les autres, légitimes par ailleurs ? D’une manière générale, c’est la mise en place et la gestion des 7 cercles de relations qui me nourrissent, en insistant sur les quelques-uns avec qui je suis vraiment intime : le premier cercle, the inner circle, le cercle restreint, le cercle rapproché, le cercle des intimes.

 

Qui sont vos trois ?

Quelles sont les trois personnes dans votre vie (votre travail, vos responsabilités diverses) dans lesquelles vous investissez intentionnellement et stratégiquement plus que les autres ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
Le Seigneur conclut une alliance avec Abraham, le croyant (Gn 15, 5-12.17-18)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, le Seigneur parlait à Abraham dans une vision. Il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage. » Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que je l’ai en héritage ? » Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. » Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les cadavres, Abram les chassa. Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »

Psaume 
(Ps 26 (27), 1, 7-8, 9abcd, 13-14)
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut.
 (Ps 26, 1a)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N’écarte pas ton serviteur avec colère :
tu restes mon secours.

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

Deuxième lecture
« Le Christ transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Ph 3, 17 – 4, 1)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Frères, ensemble imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons. Car je vous l’ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant : beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Ils vont à leur perte. Leur dieu, c’est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne pensent qu’aux choses de la terre. Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection, vous, ma joie et ma couronne, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.

Évangile
« Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre » (Lc 9, 28b-36)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
 De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti :
« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » 
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.
Patrick BRAUD

 

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28 janvier 2024

Sacrée belle-mère !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Sacrée belle-mère !

 

Homélie pour le 5° Dimanche du Temps ordinaire  /  Année B 

04/02/2024

 

Cf. également :
Bonheur à moi si j’annonce l’Évangile !
Des sommaires pas si sommaires
Sortir, partir ailleurs…
Avec Job, faire face à l’excès du mal
Vers un diaconat féminin ?
Conjuguer Pâques au passif
La Résurrection est un passif
Recevoir de se recevoir

 

La matrone de Capharnaüm

Blague - Sacrée Belle-mèreCe pourrait être une blague belge :

– Pourquoi Pierre a-t-il trahi Jésus, trois fois ?

– Parce qu’il a guéri sa belle-mère, une fois…

Les belles-mères ont mauvaise réputation, c’est bien connu ! C’est sans doute freudien : une histoire de rivalité d’attachements possessifs…

Mais dans l’Évangile de Marc, la belle-mère est carrément une icône, un modèle pour la communauté croyante. À l’image de l’autre belle-mère célèbre dans la Bible – Noémi – qui a accueilli chez elle Ruth l’étrangère de Moab lorsque celle-ci est devenue veuve. C’est grâce à sa belle-mère que Ruth put épouser Booz, devenir juive, et incarner ainsi l’une des plus belles figures d’Israël à tel point qu’un livre de la Bible lui est entièrement dédié. Comme Noémi, la belle-mère de Pierre a accueilli chez elle sa fille, sans doute parce que le couple avait besoin d’une habitation près du lac où Pierre exerçait son métier de pêcheur. Le premier pape était donc marié [1], comme tout bon juif adulte qui se respecte (Jésus en restant célibataire est hors normes, voire choquant). Plus tard, il emmènera sa femme lors de ses missions, comme l’atteste Paul (marié également, mais qui lui s’est sans doute séparé de sa femme pour ses voyages missionnaires) : « N’aurions-nous pas le droit d’emmener avec nous une femme croyante, comme les autres apôtres, les frères du Seigneur et Pierre ? » (1Co 9,5). La tradition attribue même à Pierre une fille nommée Pétronille, honorée comme martyre dans la catacombe romaine de Domitille, puis au sein même de la basilique Saint-Pierre.

 

La belle-mère de Pierre assumait donc la vie ordinaire de cette petite famille chez elle, et en plus elle assurait l’intendance régulièrement pour le groupe des disciples qui venaient manger et se réunir chez elle.

 

Mettons-nous donc dans la peau de cette belle-mère iconique, en éprouvant pour nous-mêmes les étapes de son parcours à Capharnaüm. Suivons-la avec les 4 qualificatifs qui jalonnent son parcours : elle est successivement alitée / fiévreuse / relevée / servante.

 

Alitée

Sacrée belle-mère ! dans Communauté spirituelle agyhoz-kotott-betegRappelez-vous quand vous avez été obligé de rester au lit : à cause d’une grippe, du Covid, après une opération, parce que vous étiez exténué etc. Être alité est signe d’une faiblesse généralisée, où l’on ne tient plus sur ses pieds. Comme le paralysé couché sur son brancard (Mc 2,4), comme les foules des malades couchés sous les colonnades de la piscine de Bethzatha (Jn 5,2-3), la belle-mère de Pierre est momentanément impotente, incapable de faire quoi que ce soit par elle-même, sinon garder le lit.

 

Nous avons tous de ces périodes où le corps dit : ‘stop’, où l’esprit exige de s’arrêter pour récupérer. Je me souviens d’un ami hospitalisé après une prothèse de hanche. Il trouvait le temps long, trop long, lui d’habitude si actif. Je lui ai dit, avec le plus de douceur possible : « mon ami, c’est le moment d’expérimenter ta radicale inutilité… » 

Conseil un peu scandaleux dans un monde où chacun se définit par ce qu’il fait. Et plus il fait, plus il existe aux yeux de tous. Mais voilà que la maladie ou autre motif de faiblesse oblige à être passif, alité (professionnellement, socialement, spirituellement etc.). Comment dès lors continuer à se définir par ses titres, ses cartes de visite, ses missions importantes ? Ce serait risquer de condamner tous les inutiles à être sans valeur : handicapés, malades psychiatriques, seniors trop âgés, et tous ceux qui ne peuvent ‘rien faire’ aux yeux de l’activisme ambiant.

Apprendre à être alité fait donc partie de la maturité spirituelle. Il s’agit de ne pas s’attacher à ses œuvres (réussite professionnelle, famille, responsabilité, réalisations diverses). La faiblesse de la belle-mère de Pierre nous sera salutaire si elle nous libère de la vanité d’exister par nous-même.

 

Et vous, quand avez-vous été alité d’une manière ou d’une autre ? Qu’est-ce cela vous a appris sur votre ‘radicale inutilité’ ?

 

Fiévreuse

coloriage-fievre-dl11754 belle-mère dans Communauté spirituelleLa fièvre est plus qu’une fièvre dans la Bible. À travers la poussée de température, elle y voit la symbolique du feu dévorant des passions humaines consumant chacun dans des convoitises épuisantes. En hébreu, le mot fièvre קַדַּחַת qaddachath vient de קָדַח qadach qui veut dire brûler comme un feu : feu de bois qui flambe (Dt 32,22 ; Is 50,11 ; 64,2), c’est également le feu de la colère de Dieu (Dt 32,22 ; Jr 15,14 ; 17,4).

De plus, le mot belle-mère en hébreu se dit חָמוֹת (chamowth) qui vient de la racine חָם (cham) signifiant beau-père mais également chaud, bouillant :

« Voyez notre pain : il était encore chaud (cham) quand nous en avons fait provision… » (Jos 9,12). « Toi, dont les habits sont trop chauds (cham)  quand repose la terre au vent du midi… » (Jb 37,17).

La belle-mère brûle donc ‘par nature’ pourrait-on dire avec humour : les beaux-parents ont toujours une certaine difficulté à laisser leur fille partir avec un autre… C’est chaud-bouillant !

 

En tout cas cette fièvre est symbole de jalousie et d’amertume.

Fiévreuse, la belle-mère de Pierre est la figure de notre humanité en proie au feu intérieur du désir d’avoir toujours plus : plus de richesse, plus de pouvoir, plus de reconnaissance etc. Cette soif inextinguible se trompe de cible : elle nous fait brûler pour des idoles alors que la vraie libération est de brûler nos idoles, comme Moïse a brûlé le veau d’or au désert pour affranchir les hébreux de son esclavage. Et Moïse les a forcés à boire les cendres du veau d’or fondu (« Il se saisit du veau qu’ils avaient fait, le brûla, le réduisit en poussière, qu’il répandit à la surface de l’eau. Et cette eau, il la fit boire aux fils d’Israël » Ex 32,20), pour que « la fièvre de l’or » ne les consume plus et qu’ils en soient dégoûtés à jamais.

 

Jésus en guérissant la belle-mère de Pierre nous libère de nos fièvres intérieures, de nos passions brûlantes d’un désir mal orienté.

 

Et vous : de quoi êtes-vous fiévreux en ce moment ?

 

Relevée

2021-02-07-Hitda-EvangeliarHeilungSchwiegermutter-Guerison-belle-mere-de-Pierre-731x1024 CapharnaümMarc fait exprès d’inverser les moments logiques de la guérison. Normalement, Jésus aurait dû prendre la belle-mère par la main avant de la relever. Là c’est l’inverse : « il la fit se lever / en lui prenant la main ». C’est pour souligner la primauté de la résurrection : le verbe se lever (γερω = egeirō) est celui que Marc et les évangélistes emploient pour la résurrection de Jésus : « Dieu l’a relevé d’entre les morts » (Ac 13,30). « Christ s’est levé d’entre les morts » (Rm 6,4). La belle-mère est la figure du disciple parce qu’elle est ressuscitée, gratuitement, et se conduit ensuite comme telle. Mais le don de la résurrection est premier.

Elle ne demande rien. Elle n’a rien fait pour mériter cela. Jésus la guérit sans conditions. Rien n’est dit sur la qualité de sa foi, ni de ses œuvres avant. Jésus lui offre son secours gratuitement, inconditionnellement. Telle est la chance du chrétien, ressuscité par grâce pour porter du fruit. Autrement dit, les bonnes œuvres viennent après le don reçu, comme une conséquence et non pas avant comme une condition.

 

Être chrétien est donc d’abord un passif : se laisser aimer, recevoir le don de la résurrection dès maintenant, accepter d’être guéri au lieu de vouloir se guérir soi-même. C’est cependant un passif actif : la belle-mère saisit la main tendue. Elle l’agrippe. Elle se remet sur pieds et aussitôt se met à servir la petite communauté qui squatte chez elle. Marie est d’ailleurs le plus bel exemple de cette passivité active, elle qui accueille le don de la vie en son sein et y coopère de toutes ses forces.

 

À nous de redécouvrir sans cesse le bon ordre de la séquence : résurrection–œuvres, salut reçu–charité donnée, afin d’accomplir les œuvres que Dieu veut et non les nôtres.

 

Et vous : que pourrait signifier ‘être ressuscité’ pour vous dès maintenant ? Qu’est-ce que cela changerait dans les chantiers que vous menez ?

 

Servante

diaconessesDiaconesse serait le mot exact : elle les servait (ιακονω = diakoneō). Comme, juste avant,  les anges servaient le Christ au désert selon Mc 1,13 : « dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ». En servant le corps du Christ qui est la communauté, la belle-mère est l’ange de l’Église…

Comme seules les femmes savent le faire jusqu’au bout : « Il y avait aussi des femmes, qui observaient de loin, et parmi elles, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, qui suivaient Jésus et le servaient quand il était en Galilée, et encore beaucoup d’autres, qui étaient montées avec lui à Jérusalem » (Mc 15,40-41).

Servir est la vraie manière d’être configuré au Christ, « car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10,45). Ce sont les quatre seuls usages du verbe servir chez Marc.

 

Normalement la fièvre, même après avoir baissé, laisse le malade affaibli. Pourtant la belle-mère de Pierre n’eut pas besoin de prendre un temps de repos pour retrouver toutes ses forces. Cette guérison immédiate est typique des miracles de Jésus : il s’agit toujours d’une restauration totale et immédiate des forces et de la santé. Ce que Dieu ressuscite  est plus neuf que le neuf !

Pour la belle-mère de Pierre, comme pour nous, la reconnaissance se manifeste dans le service. Le temps employé (l’aoriste = un imparfait qui se prolonge) implique une action qui dure, et non un service occasionnel. C’est donc que la belle-mère de Pierre remplit longtemps cet office : servir l’Église, à travers Jésus et les Douze.

La diaconie du Christ-serviteur trouve dès le début de l’Évangile une figure féminine pour l’incarner : la belle-mère de Pierre, première diaconesse en quelque sorte !, en tout cas la première dans l’Évangile de Marc à servir Jésus et ses disciples, juste après les anges….

De quoi renouveler la réflexion sur le diaconat féminin, dont le Nouveau Testament et les Pères de l’Église gardent une trace bien vivante pendant plusieurs siècles.

 

Recevoir la vie de ressuscité en plénitude se manifeste donc aussitôt par le service. C’est un indicateur précieux pour discerner si je progresse dans la mise en œuvre du don reçu : servir est-il pour moi un vrai bonheur, une évidence intérieure, une seconde nature ? ou un devoir, une performance, une preuve à donner ?

 

Notons que c’est un jour de shabbat que la guérison a eu lieu : cela n’empêche pas la belle-mère de reprendre son rôle de matrone de Capharnaüm en allumant le feu et en remuant chaudrons et ustensiles pour la communauté, toutes activités interdites le jour du shabbat. La résurrection affranchit du shabbat. Ce n’est plus l’observance de la Loi qui compte, mais la force de la reconnaissance pour le salut offert.

 

Servir ainsi n’est pas forcément multiplier les actions en volume. C’est plutôt une qualité de relation, une façon d’être.

Servir n’est pas une question de quantité. La grâce n’est pas stakhanoviste ! Bernadette Soubirous a passé des années à Nevers à accomplir les tâches ménagères de son couvent avec amour, sans rien faire d’extraordinaire, mais en servant, par reconnaissance, par amour, jusque dans sa maladie où elle était ‘radicalement inutile’. Et c’est pour cela qu’elle a été reconnue sainte, pas pour ses visions à Lourdes.

 

Et vous : votre désir de servir est-il hypertendu, forcé, dicté par un surmoi exigeant ? Ou découle-t-il avec simplicité de votre expérience spirituelle intérieure ?

 

Alitée, fiévreuse, relevée, servante : la belle-mère de Pierre, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Elle est la figure du disciple qui a conscience du présent offert, et en tire toutes les conséquences.

À nous de saisir la main tendue…

 __________________________________________

[1]. Selon Eusèbe de Césarée, citant saint Clément d’Alexandrie, l’épouse de Pierre serait morte martyre avant son mari. Il l’assista et l’encouragea dans l’épreuve (Histoire Ecclésiastique, 3, ch. 30).

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je ne compte que des nuits de souffrance » (Jb 7, 1-4.6-7)

Lecture du livre de Job
Job prit la parole et dit : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre. Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye, depuis des mois je n’ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance. À peine couché, je me dis : “Quand pourrai-je me lever ?” Le soir n’en finit pas : je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube. Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent faute de fil. Souviens-toi, Seigneur : ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur. »

PSAUME
(Ps 146 (147a), 1.3, 4-5, 6-7)
R /  Bénissons le Seigneur qui guérit nos blessures ! ou : Alléluia ! (Ps 146, 3)

Il est bon de fêter notre Dieu,
il est beau de chanter sa louange :
il guérit les cœurs brisés
et soigne leurs blessures.

Il compte le nombre des étoiles,
il donne à chacune un nom ;
il est grand, il est fort, notre Maître :
nul n’a mesuré son intelligence.

Le Seigneur élève les humbles
et rabaisse jusqu’à terre les impies.
Entonnez pour le Seigneur l’action de grâce,
jouez pour notre Dieu sur la cithare !

DEUXIÈME LECTURE
« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16-19.22-23)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, annoncer l’Évangile, ce n’est pas là pour moi un motif de fierté, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Certes, si je le fais de moi-même, je mérite une récompense. Mais je ne le fais pas de moi-même, c’est une mission qui m’est confiée. Alors quel est mon mérite ? C’est d’annoncer l’Évangile sans rechercher aucun avantage matériel, et sans faire valoir mes droits de prédicateur de l’Évangile. Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile, pour y avoir part, moi aussi.

ÉVANGILE
« Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies » (Mc 1, 29-39)
Alléluia. Alléluia. Le Christ a pris nos souffrances, il a porté nos maladies. Alléluia. (Mt 8, 17)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm, Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André. Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, on parla à Jésus de la malade. Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait.
Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était.
Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent : « Tout le monde te cherche. » Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »
Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.
Patrick BRAUD

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7 mai 2023

Philippe à la mêlée, Pierre à l’ouverture

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Philippe à la mêlée, Pierre à l’ouverture

Homélie pour le 6° Dimanche de Pâques / Année A
14/05/2023

Cf. également :
Passons aux Samaritains !
L’agilité chrétienne
Fidélité, identité, ipséité
Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous
Se réjouir d’un départ
Le Paraclet, l’Église, Mohammed et nous

Philippe à la mêlée, Pierre à l’ouverture dans Communauté spirituelle

De l’importance vitale des charnières
Lors du match France-Galles du Tournoi des six Nations le 18/03/23, les numéros 9 Antoine Dupont et 10 Romain Ntamack ont fêté leur 26° titularisation ensemble, un record ! Les deux complices du Stade toulousain forment ce que le monde de l’ovalie appelle une charnière. Charnière bien nommée, car c’est grâce à cette paire que le jeu bascule des lignes avant aux lignes arrières.

Les appeler « demi », c’est souligner que chacun a besoin de l’autre !
Le demi de mêlée va fouiller dans les regroupements pour extraire la balle qu’il passera à son demi d’ouverture, chargé de lancer l’attaque à la main jusqu’à l’aile, ou de taper au pied pour aller occuper le camp adverse, ou de repiquer dans l’axe pour avancer avec les avants.

Il existe bien des charnières célèbres dans l’histoire du rugby ! Pour la France on se souvient de Pierre Lacroix & Pierre Albaladejo, Lilian & Guy Camberabero, Jacques Fouroux & Jean-Pierre Romeu, Jérôme Gallion & Alain Caussade etc. Mais aussi de Gareth Edwards & Phil Bennett (Galles), Peter Stringer & Ronan O’Gara (Irlande), Connor Murray & Jonathan Sexton (Irlande, 67 sélections !), Piri Weepu & Dan Carter (Nouvelle Zélande), George Gregan & Stephen Larkham (Australie), Faf de Klerk & Handré Pollard (Afrique du Sud).

Bref : capitaliser sur l’effort de conquête des avants et ouvrir le jeu jusqu’aux arrières nécessite une charnière solide, inspirée ! Il se pourrait bien que cela nous aide à comprendre le sens de notre première lecture…


La charnière de Samarie
 Esprit dans Communauté spirituelle
Luc était peut-être un fan assidu des compétitions de rugby en Israël ! Notre première lecture (Ac 8,5-8.14-17) raconte en effet le travail du diacre Philippe en pleine mêlée samaritaine, puis l’intervention de Pierre à qui Philippe passe le relais pour ouvrir l’Église à ces hérétiques mal famés ! En excellent numéro 9, Philippe se démène pour arracher la balle des mains de Simon le Magicien qui subjuguait les foules autour du mont Garizim. Notons d’ailleurs que Philippe est le premier, avant les Douze, à s’aventurer en territoire adverse : comme quoi les apôtres ne sont pas toujours à la pointe de l’évangélisation ! Ils doivent pouvoir compter sur des défricheurs, des aventuriers qui les précèdent en terrain inconnu.

Pierre et Jean arriveront à point, comme des seconds couteaux – ou des secondes lames si l’on préfère la publicité de Gillette G2 - pour conclure l’affaire, sceller l’œuvre de Philippe et en faire le bien commun de toute l’Église.

N’attendons donc pas tout des prêtres, diacres, évêques ou même du pape ! Il faut à l’Église des pionniers qui, tels des numéros 9 incisifs, vont plonger dans les mêlées culturelles, éthiques, économiques etc. de notre temps et en extraire des pistes d’action pour toute l’Église. Un peu à l’image des assemblées synodales qui font un gros travail d’écoute des signes des temps, de discernement, de créativité, et proposent ainsi au magistère des pistes pour ouvrir l’Église aux attentes contemporaines.

L’énigme de Samarie
Mais pourquoi diable séparer le baptême et l’Esprit Saint ? En effet, Philippe baptise les samaritains, mais Pierre et Jean constatent qu’ils n’ont pas encore reçu l’Esprit Saint. Ils s’empressent de leur imposer les mains que cela arrive. Cette séparation entre baptême et Esprit Saint est une énigme pour les exégètes. Plusieurs interprétations ont été explorées, qui nous intéressent par leur impact sur aujourd’hui.

a) L’Esprit souffle où il veut
vent Pentecôte
Les théologiens aiment bien lier le baptême et l’Esprit Saint de façon systématique et quasi mécanique. Mais les Actes des apôtres résistent à cette systématisation. En Samarie, on voit bien qu’on peut recevoir le baptême sans être réellement animé par l’Esprit Saint. Pensez à tous ceux qui demandent le baptême par routine, conformisme familial ou social, ou autrefois par peur de perdre leurs avantages. Pensez à tous ces bébés qu’on baptise et qui ne seront jamais ni catéchisés, ni confirmés ni eucharistiés. Suffirait-il de recevoir le baptême pour vivre de l’Esprit, par l’Esprit et dans l’Esprit ? La confirmation catholique, donnée des mois après le baptême des enfants, est la trace de cette hésitation : le baptême ne suffit pas, il faut une plénitude, une adhésion entière, une maturité de la foi qui n’est pas totalement présente au début.

Les Actes des apôtres connaissent également un autre décalage entre baptême et Esprit Saint, mais en sens inverse, quand l’Esprit précède le baptême. En effet, Pierre – toujours lui – constate que le centurion romain Corneille et sa famille ont déjà reçu l’Esprit à Césarée bien avant qu’il ne se décide enfin à baptiser ces païens incirconcis ! « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint tout comme nous ? » (Ac 10,47)
Saint Augustin commente en rappelant l’absolue liberté de l’Esprit Saint qui n’est lié par aucune action humaine, pas même le baptême ou tout autre sacrement :

« Où sont ceux qui disaient que c’est une puissance d’homme qui confère l’Esprit-Saint ? Pendant que Pierre annonçait l’Évangile, Corneille et tous les gentils qui l’écoutaient avec lui se convertirent à la foi ; et tout à coup, avant même de recevoir le baptême, ils furent remplis du Saint-Esprit. Que répondra ici la présomption humaine? Ce n’est pas seulement avant l’imposition des mains, c’est même avant le baptême que l’Esprit-Saint est descendu. Ainsi prouve-t-il sa puissance et non sa dépendance. Pour trancher la question relative à la circoncision, il vient avant la purification du baptême. Des esprits chagrins ou ignorants auraient pu dire à l’Apôtre : Tu as mal fait ici de donner le Saint-Esprit. Mais voilà que s’est accomplie, que s’est réalisée clairement cette parole du Seigneur : « L’Esprit souffle où il veut ». Voilà qu’il est démontré manifestement et par l’effet même combien le Seigneur a eu raison de dire : ‘L’Esprit souffle où il veut’ ».

Résumons-nous : il peut y avoir des baptisés qui ne vivent pas de l’Esprit Saint, et des non-baptisés qui en vivent ! Comme disait le même et génial Augustin en parlant de l’Église :
« il y en a qui se croient dedans et qui sont dehors, et d’autres qui se croient dehors alors qu’ils sont dedans »…
Étonnante liberté de l’Esprit, qui nous invite à ne pas fétichiser l’action sacramentelle, et donc à accorder une importance égale à la vie spirituelle !

b) Le baptême seul ne suffit pas pour arracher les croyances magiques de nos cœurs
p28sorcier Philippe
Quand on lit Ac 8 en entier (la lecture liturgique est hélas tronquée), on est frappé de l’importance que les samaritains accordent dans un premier temps au surnaturel : les signes accomplis par Philippe, les esprits impurs exorcisés, les paralysés et boiteux guéris, la puissance de Dieu – « la Grande ! » – agissant en Simon le Magicien etc. Ils sont stupéfaits, comme sidérés par les pratiques magiques de Simon ou les guérisons plus spectaculaires encore de Philippe. Ils suivent le gourou qui a cette puissance, Simon d’abord, puis Philippe. Même Simon « ne quittait plus Philippe » ! Ils croient parce qu’ils ont vu des miracles ; or Jésus se défiait de pareille adhésion : « beaucoup crurent en son nom à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous » (Jn 2,23-24). Le texte précise : « ils crurent en Philippe » (Ac 8,12) comme ils ont cru en Simon le Magicien. Or être chrétien, ce n’est pas changer de gourou !

À qui cela n’est-il pas arrivé de s’attacher d’abord à tel catéchiste, à tel prêtre ou religieuse, à tel chrétien ayant une aura charismatique ? Ce n’est pas négatif en soi si c’est le début d’une adhésion plus mature conduisant au Christ. Toujours l’histoire du doigt qui montre la lune !

Vient un moment où il nous faut passer d’une relation trop affective et magique à une communion plus vraie et plus ouverte. C’est tout le cheminement des catéchumènes adultes. En Samarie, c’est Pierre et Jean qui en imposant les mains aident les convertis à décoller de Philippe pour s’ouvrir à la dimension catholique (« kat-olon », selon le tout en grec = toute la foi, toute l’Église, partout) et pour renoncer à la dimension magique de leur foi naissante. L’œuvre de l’Esprit est ici de purifier une foi encore trop engluée dans des superstitions et croyances magiques, ou dans un attachement trop personnel à Philippe.

Pensez aux pratiques superstitieuses qui prolifèrent encore dans nos paroisses (Perpignan et Draguignan ont par exemple organisé des processions pour faire tomber la pluie !).
Ou pensez encore à l’attachement malsain avec lequel des communautés nouvelles comme les Frères de Saint-Jean, les Légionnaires du Christ, les Fraternités monastiques de Jérusalem, l’Arche, les Béatitudes, les Bénédictines de Montmartre, l’ex-communauté de la Théophanie, l’abbaye de Sylvanès avec le P. Gouzes etc. ont vénéré leurs fondateurs aujourd’hui reconnus coupables des pires abus.

C’est pour cela qu’il faut quelqu’un de l’extérieur – Pierre jouant le rôle de demi d’ouverture - pour se saisir de la communauté naissante rassemblée par Philippe et l’ouvrir à la grande Église.

c) L’Esprit nous ancre fermement dans l’unité ecclésiale
1024px-Greco-Espolio-Lyon Pierre
La forte et rapide croissance d’une start-up est pleine de risques, nous apprennent les économistes. À grandir trop vite et trop fort, on risque d’investir trop et mal, d’embaucher trop et mal, de se disperser à produire tous azimuts en oubliant sa raison d’être…
Il en est de même pour l’Église : elle a grandi rapidement à partir de Jérusalem, selon le programme explicite donné par Jésus à ses apôtres : « vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8).

Chaque étape de cette croissance a été franchie sous l’impulsion de l’Esprit : lors de la Pentecôte pour les juifs (Ac 2), avec Philippe, Pierre et Jean en Samarie (Ac 8), avec Pierre pour le passage aux païens dans la famille du centurion Corneille à Césarée (Ac 10) puis au ‘concile de Jérusalem’ (Ac 15). Trois ou quatre Pentecôtes successives, rythmant l’expansion demandée par le Ressuscité. À chaque fois, il aurait pu y avoir un schisme. Et en réalité il y en a eu : des juifs de stricte observance n’ont pas suivi après Pentecôte, des samaritains n’ont pas suivi Philippe et Pierre, l’adhésion des païens depuis Corneille a provoqué l’opposition et le départ de bien des judéo-chrétiens etc.

De même, après chaque concile un schisme s’est opéré. Le dernier était celui de Mgr Lefebvre suite à Vatican II. C’est donc quasiment une loi historique que chaque étape de croissance nette de l’Église suscite des réactions de séparation abîmant l’unité ecclésiale. Le rôle de l’imposition des mains en Samarie est de conjurer ce risque dès sa naissance : l’intervention des apôtres de Jérusalem va ancrer fermement les samaritains dans la grande Église, les détournant de l’envie de fonder une Église à part, une communauté trop liée aux seuls aspects ethniques ou nationaux. On a déjà dit ailleurs que c’est un peu le péché originel des Églises orthodoxes : être tellement liées au pouvoir politique local, à leur culture, à leur nation qu’elles en deviennent littéralement autocéphales, et capables de soutenir un empereur byzantin parce qu’il est orthodoxe ou un tyran russe parce qu’il est russe…

Les catholiques ont noté quant à eux la présence de Pierre à chacune de ces trois grandes étapes de la croissance ecclésiale dans les Actes.
Un évangélique commente [1] :

« Chaque fois, c’est Pierre qui préside. C’est lui à la Pentecôte ; c’est lui qu’on doit attendre à Samarie ; c’est lui que Dieu fait chercher par les gens de Corneille. Après cela, il ne sera plus guère question de lui dans le livre des Actes. A la mémoire remonte alors une promesse de Jésus : « Je te donnerai les clés du Royaume des Cieux » (Mt 16,19). Son privilège de « majordome » de la maison du Seigneur, Pierre ne l’a-t-il pas exercé dans sa mission historique d’ouverture ? Oui, il a ouvert la porte du Royaume : aux Juifs, puis aux Samaritains, puis aux païens. Pierre, le représentant du collège tout entier associé au Christ pour former le fondement de l’Église s’est trouvé là les trois fois : « vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondations les Apôtres et les prophètes ; et la pierre angulaire, c’est le Christ Jésus lui-même » (Ep 2,20) ».

image rugbyVoilà le rôle du pape encore actuellement : garantir l’unité de la grande Église en récoltant les inspirations venant des Églises locales tout en les intégrant dans une communion plus vaste, catholique. Par exemple le rite zaïrois est légitime pour célébrer la messe, afin de tenir compte du génie spirituel africain, à condition de ne pas en faire une exclusive ou un dénigrement des autres liturgies. Le diaconat permanent est légitimement rétabli en Occident, pas en Afrique, tout aussi légitimement. Chaque Église locale doit reconnaître la catholicité de l’autre, et Pierre – le pape – préside à la communion entre elles, pour que ne soit pas déchirée la tunique du Christ, l’unité des Églises. C’est le même processus dans un diocèse : l’évêque doit veiller à ce que les charismes de chaque mouvement, communauté ou paroisse s’intègrent dans un bien commun où l’on conjugue différences et communion.

Quelle que soit l’interprétation qui vous satisfait le plus parmi les trois évoquées ci-dessus, l’essentiel est de jouer notre rôle charnière : comme un numéro 9, extraire les pépites enfouies sous l’ensevelissement des débats qui nous traversent, et transmettre au numéro 10 – les responsables ecclésiaux – les matériaux dont ils pourront faire des ouvertures, des percées indispensables à la marche en avant de toute l’Église, sans rupture d’unité.

Que l’Esprit de Pentecôte de Jérusalem, de Samarie ou de Césarée fasse de nous ces charnières que le « French flair » fait étinceler de génie, de courage, d’intelligence pour aller en « terre promise »… !

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LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint » (Ac 8, 5-8.14-17)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ. Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même les voyaient. Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. Et il y eut dans cette ville une grande joie.
Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint. « C’est ainsi que Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ. Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même les voyaient. Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. Et il y eut dans cette ville une grande joie. Or il y avait déjà dans la ville un homme du nom de Simon ; il pratiquait la magie et frappait de stupéfaction la population de Samarie, prétendant être un grand personnage. Et tous, du plus petit jusqu’au plus grand, s’attachaient à lui en disant : ‘Cet homme est la Puissance de Dieu, celle qu’on appelle la Grande.’ Ils s’attachaient à lui du fait que depuis un certain temps il les stupéfiait par ses pratiques magiques. Mais quand ils crurent Philippe qui annonçait la Bonne Nouvelle concernant le règne de Dieu et le nom de Jésus Christ, hommes et femmes se firent baptiser. Simon lui-même devint croyant et, après avoir reçu le baptême, il ne quittait plus Philippe ; voyant les signes et les actes de grande puissance qui se produisaient, il était stupéfait. Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint. » (Ac 8,5-17)

PSAUME

(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur ! ou : Alléluia ! (Ps 65, 1)

Acclamez Dieu, toute la terre ;
fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.

Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »
« Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. »

Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.
Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.

Il règne à jamais par sa puissance.
Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ;
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

DEUXIÈME LECTURE
« Dans sa chair, il a été mis à mort ; dans l’esprit, il a reçu la vie » (1 P 3, 15-18)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect. Ayez une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ. Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si c’était la volonté de Dieu, plutôt qu’en faisant le mal. Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit.

ÉVANGILE
« Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur » (Jn 14, 15-21)
Alléluia. Alléluia. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »
Patrick BRAUD

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9 avril 2023

Et si nos épreuves étaient d’or ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Et si nos épreuves étaient d’or ?

Homélie pour le 2° Dimanche de Pâques / Année A
16/04/2023

Cf. également :
Croire sans voir : la pédagogie de l’inconditionnel
Thomas, Didyme, abîme…
Quel sera votre le livre des signes ?
Lier Pâques et paix
Deux utopies communautaires chrétiennes
Le Passe-murailles de Pâques
Le maillon faible
Que serions-nous sans nos blessures ?
Croire sans voir
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Trois raisons de fêter Pâques
Riches en miséricorde ?
Aimer Dieu comme on aime une vache ?

Pierre, métallurgiste spirituel
En tant que petit patron de pêche indépendant, Simon-Pierre connaît d’expérience la valeur du travail manuel. Pas de moteur à l’époque pour propulser la barque de pêche sur les eaux du lac de Tibériade, pas de treuil électrique pour relever les lourds filets pleins d’algues, de rochers et de poissons. Pas de machine pour réparer les mailles déchirées, pas de camions frigorifiques pour aller vendre au marché du Capharnaüm… Immergé dans le monde du travail, Pierre a dû observer ses collègues, et les autres artisans sur les marchés. Visiblement cela lui a donné des idées théologiques ! Ainsi dans notre deuxième lecture (1P 1,3–9), il prend l’image des fondeurs d’or qu’il a vu faire couler le métal précieux dans des moules pour bijoux ou lingots :

« Vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ ».

Pierre a entendu Jésus faire souvent la transposition du monde professionnel à la vie spirituelle. Ainsi les métiers du semeur, du berger, de la femme qui met du levain dans le pétrin ou qui balaie la terre battue de sa maison, du commerçant de perles, du gérant d’un domaine, des ouvriers embauchés à la vigne, des vignerons cupides, des banquiers faisant profiter l’argent, des juges iniques etc. Dans cet esprit, Pierre prolonge la réflexion de Jésus sur la sagesse cachée des savoir-faire de son époque.

Première invitation donc : apprenons à lire dans les savoir-faire professionnels qui nous entourent les harmoniques de l’Évangile. Apprenons à extraire du métier de l’autre les points d’appui pour une catéchèse qui lui parle, parce que c’est sa culture de tous les jours.

Ici c’est avec le processus pour obtenir de l’or purifié. Pierre se fait métallurgiste avec les métallos, du moins ceux qui savent comment passer du minerai brut à la pépite étincelante. Suivons-le dans son raisonnement, en transposant au domaine spirituel les différentes étapes de fabrication de l’or.

 

Cet or, vérifié par le feu…
Et si nos épreuves étaient d’or ? dans Communauté spirituelle mine_or-1-900x506
En pleine période de persécutions romaines et juives, et même de divisions internes, Pierre réfléchit au sens des épreuves que les premières communautés traversent. En faisant le parallèle avec le processus de transformation aurifère, il permet à ses lecteurs de comprendre deux choses :
– le but de tout cela est d’une immense valeur, comme un bijou finement ciselé d’or.
– ce qui arrive avant est un processus de transformation, individuelle et collective, pour nous ajuster à ce que nous allons devenir.

Situer le but des événements éprouvants dans un résultat final en or est une invitation à tenir bon dans l’espérance. Tout cela ne conduira pas nulle part. Il y a bien une promesse, et elle se réalisera, même si nous ne savons ni quand ni comment.

Dire ensuite que nous sommes en chemin vers ce salut en or est une autre invitation : à nous laisser transformer par ce qui nous arrive, comme le minerai brut se laisse travailler par le fondeur d’or. Dieu ne nous lâchera pas la main en cours de route sur cette voie difficile :

« L’épreuve qui vous a atteints n’a pas dépassé la mesure humaine. Dieu est fidèle : il ne permettra pas que vous soyez éprouvés au-delà de vos forces. Mais avec l’épreuve il donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter » (1 Co 10,13).

Suivons de plus près ces différentes étapes de ce travail sur nous-même auxquelles nos épreuves nous obligent.
Au temps de Pierre, dans le monde romain notamment, on connaît depuis Pline l’Ancien trois étapes pour transformer de la roche en poudre d’or : le concassage, le lavage et le chauffage. Ces techniques étaient attestées depuis au moins 6000 ans avant J.-C., en Mésopotamie, en Syrie etc. Pierre peut donc avoir en tête trois interprétations théologiques de ce que nous appelons « épreuves ».

 

1. Être broyé, concassé, fracturé
 épreuves dans Communauté spirituelle
Le minerai brut taillé dans une carrière ou une montagne doit d’abord être préparé avant de pouvoir extraire l’or. Cela implique généralement le concassage et le broyage de la roche pour la réduire en petits morceaux. La transposition est facile à imaginer.

Rappelez-vous : quand vous êtes-vous fracassés sur un échec retentissant ? Vous aviez construit quelque chose de solide (carrière, couple, réputation…) et voilà que cela est réduit en miettes en quelques instants ! Vous vous croyiez invulnérable, et soudain la maladie vous a broyé de douleur. Vous pensiez « avoir » la foi, et puis goutte-à-goutte le doute a fini par dissoudre vos certitudes. Vous aviez un logement, un peu d’épargne, et soudain un licenciement vint tout remettre en cause…

Soyons clair : ces catastrophes sont des catastrophes, pas des cadeaux déguisés. Elles ne viennent pas de Dieu, qui n’est pas pervers au point de susciter le malheur de ceux qu’il aime pour les forcer à se rapprocher de lui ! Non, pas plus que la tour de Siloé s’effondrant en faisant 18 victimes (Lc 13,1-5), les épreuves qui nous tombent sur la tête ne sont pas liées à notre péché, et ne viennent pas de Dieu.

Par contre, ce que nous allons en faire – avec l’aide de Dieu – dépend de nous. Le fait divers de la tour infernale de Siloé est pour Jésus une invitation à prendre conscience de l’urgence de la conversion. La préparation du minerai aurifère est pour Pierre l’invitation à réfléchir sur ce qu’opèrent en nous les épreuves qui nous broient.

Et, de fait, pensez à ce qui vous a déjà fracturé de partout, et vous verrez peut-être ce qui a volé en éclats : une trop grande confiance en soi, une difficulté à demander de l’aide, un goût trop prononcé pour le paraître etc.

Un ami qui travaille dans les Ressources Humaines me confiait : « avant d’être moi-même concerné par un plan social, j’étais dur envers ceux qui devaient partir. C’était de leur faute, à eux de rebondir, de ne pas pénaliser ceux qui restent. Maintenant que c’est mon tour, il me semble que je deviens plus humain, en voyant les choses du point de vue de ceux qui subissent… »

Si l’épreuve fait voler en éclats notre inhumanité, notre dureté du cœur, notre autosuffisance, alors bénissons-la !

 

2. Être lavé de nos impuretés
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L’orpailleur amateur secoue pendant des heures son tamis dans l’eau de la rivière pour enfin apercevoir un éclat sous la boue… Bien sûr, Pierre pense à l’eau du baptême qui nous débarrasse de toutes ces impuretés qui empêchent l’éclat divin en nous de resplendir.

Et nous pouvons penser à tous ce qui joue ce rôle purificateur pour nous en temps d’épreuve : des lectures, des paroles amicales, du silence intérieur… Après le choc et le fracas du concassage, c’est le temps du dépouillement, de la perte, du deuil assumé.
Heureuse perte qui nous lave ainsi de notre surpoids spirituel ! Pierre sait d’expérience combien c’est humiliant de se faire laver, lui qui a protesté au soir du Jeudi saint contre ce geste de Jésus. Maintenant, il voit dans les événements – même les plus éprouvants – une œuvre comparable au lavement des pieds.

À nous de déchiffrer ce que nos épreuves nous invitent à abandonner, boues et roches sans valeur auxquelles nous étions trop attachés.

 

3. Devenir des fondus de Dieu
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La troisième étape du processus aurifère est la fusion. Dans un creuset de terre ou un four à haute température, les miettes minérales changent de nature, de phase. De solides, elles deviennent liquides, libérant ainsi les différents éléments qui les composent. Des gouttelettes d’or flottent alors à la surface ; les scories peuvent être filtrées, et l’or purifié être coulé dans des moules puis séché à l’air libre.

Entrer en fusion n’est agréable pour personne… Dans le bouillonnement intérieur qui suit les deux premières étapes, nous devinons pourtant que quelque chose – ou plutôt quelqu’un – de neuf commence à apparaître. Cette fusion spirituelle peut s’opérer pendant une retraite dans un monastère, ou grâce à un accompagnement judicieux, pendant une lecture, une musique ou un spectacle, devant un paysage inspirant…

C’est par exemple l’incandescence du buisson du Sinaï qui achève le parcours de transformation de Moïse, du haut fonctionnaire égyptien au meurtrier rebelle en fuite puis finalement en libérateur de son peuple.
C’est le « mal de vivre, au creux des reins » que chantait Barbara, et qui s’en même savoir pourquoi se transforme un matin en « joie de vivre » à notre surprise.

C’est l’inquiétude du jeune et noble Charles de Foucauld faisant la fête avec alcool, argent, maîtresse et compagnie douteuse, jusqu’à ce qu’il réalise avoir faim d’autre chose.

Nous sommes ces fondus de Dieu qui ont laissé nos épreuves nous façonner pour dégager en nous l’éclat divin enseveli et obscurci sous nos succès apparents.

Puissions-nous témoigner qu’être vérifié par le feu est un chemin de naissance à soi et aux autres !

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun » (Ac 2, 42-47)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. La crainte de Dieu était dans tous les cœurs à la vue des nombreux prodiges et signes accomplis par les Apôtres.Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun.
Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple tout entier. Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés.

PSAUME

(Ps 117 (118), 2-4, 13-15b, 22-24)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !Éternel est son amour !ou : Alléluia ! (Ps 117, 1)

Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !
Que le dise la maison d’Aaron :
Éternel est son amour !

Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur :
Éternel est son amour !
On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ;
mais le Seigneur m’a défendu.

Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ;
il est pour moi le salut.
Clameurs de joie et de victoire
sous les tentes des justes.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle ;
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.

Voici le jour que fit le Seigneur,
qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

DEUXIÈME LECTURE
« Il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts » (1 P 1, 3-9)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts, pour un héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure. Cet héritage vous est réservé dans les cieux, à vous que la puissance de Dieu garde par la foi, pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps. Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ. Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire, car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi.

ÉVANGILE
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)
Alléluia. Alléluia. Thomas, parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Patrick BRAUD

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