L'homélie du dimanche (prochain)

9 février 2025

Béatitudes : faire pour, ou faire avec ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Béatitudes : faire pour, ou faire avec ?

 

Homélie pour le 6° Dimanche du Temps ordinaire / Année C
16/02/25


Cf. également :

Conjuguer le bonheur au présent

Aux arbres, citoyens !
Les malheuritudes de Jésus
La « réserve eschatologique »
Toussaint : le bonheur illucide
Aimer Dieu comme on aime une vache ?


1. Mayotte : comment reconstruire ?

Béatitudes : faire pour, ou faire avec ? dans Communauté spirituelle pictureAprès le cyclone Chido qui a dévasté l’archipel en décembre, Mayotte est dévastée : plus d’eau ni d’électricité, plus de toits, écoles et hôpitaux fermés etc. Comment reconstruire ? Sachant qu’un tiers environ des 500 000 résidents provient de l’immigration clandestine comorienne, s’entassant dans des bidonvilles de planches et de tôles, comment éviter que ce type de baraques précaires n’envahisse l’île à nouveau, jusqu’à la prochaine tornade ?

Deux approches se dessinent. L’une, approuvée par une partie des Mahorais, attend tout de la métropole. Il faut faire venir de l’eau, des ouvriers d’EDF, des ingénieurs Ponts et Chaussées, des architectes, et surtout beaucoup d’argent – des milliards – afin de faire ce que les Mahorais sont dans l’impossibilité de réaliser. Alors on a vu le Président de la République avec une cohorte de fonctionnaires, puis le Premier Ministre avec une autre cohorte de ministres et de fonctionnaires, débarquer quelques heures sur Mayotte pour annoncer un plan « Mayotte debout », et des moyens financiers hors normes.

Pourtant, de petites voix – d’élus locaux notamment – ont commencé à se faire entendre : « nous n’avons  pas été consultés, ni même informés. Personne ne nous a demandé notre avis. Or, si l’on veut des solutions pérennes, il faut les trouver et les mettre en œuvre avec les Mahorais eux-mêmes ».

Et voilà l’éternel dilemme auquel l’évangile ce dimanche nous renverra également :

faut-il faire pour les pauvres ? ou avec eux ?


2. Sur la montagne ou sur le plat ?

Dans sa version des Béatitudes (Lc 6,17-26), Luc ne dit pas la même chose que Matthieu (les deux seuls qui mentionnent ce discours des « Heureux… »).  Béatitudes dans Communauté spirituelleD’abord, il situe ce discours « sur un terrain plat », alors que Matthieu les met en scène « sur la montagne ». Un détail, me direz-vous. Certes, mais les détails sont rarement anecdotiques dans la Bible.

Chez Matthieu, Jésus monte au-dessus de la foule dans la montagne : il fait tomber sur eux ses huit béatitudes.

Chez Luc, Jésus descend de la montagne, et s’arrête « sur un terrain plat », si bien qu’il est obligé de « lever les yeux » sur ses disciples, qui sont donc au-dessus de lui, tout en étant à égalité avec la foule, à sa hauteur, sur un même plateau.

Matthieu est en mode amphithéâtre inversé : la parole descend sur la foule.

Luc est en mode basilique, ou marché ouvert : la parole circule à hauteur d’homme.

Cette différence est renforcée par l’adresse initiale :

Mathieu parle des pauvres : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux » (Mt 5,3).

Luc parle aux pauvres : « Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara : Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous » (Lc 6,20).


En parlant des pauvres à la troisième personne, Matthieu se réfère sans doute à l’oracle d’Isaïe qui est la clé pour comprendre la vocation messianique de Jésus : « L’Esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur, et un jour de vengeance pour notre Dieu, consoler tous ceux qui sont en deuil » (Is 61,1–2). Le Messie apporte la libération, la consolation, le salut à ceux qui ne peuvent se les donner à eux-mêmes. Et il est bien des situations où les pauvres attendent tout de Dieu, car ils ne peuvent plus rien.


En parlant aux pauvres, Luc établit un dialogue entre le Messie et la foule des disciples : « vous les pauvres, le royaume de Dieu est à vous ». Pour Matthieu, c’est Dieu seul qui rétablit la justice, qui intervient en faveur des petits, ces anawim (en hébreu : ces courbés, ces abaissés), ces humiliés qui n’en peuvent plus. Les riches croient pouvoir s’en sortir par eux-mêmes, avec orgueil, grâce à leur puissance et leurs réseaux. Les pauvres désirent le don gratuit du salut divin qui seul peut les sortir de l’ornière : « De la poussière, il relève le faible, il retire le malheureux de la cendre pour qu’il siège parmi les princes, et reçoive un trône de gloire » (1S 2,8). Le Magnificat de Marie fera écho à cette conviction : « Dieu renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles ».

Pourtant le Magnificat écrit par Luc met en même temps en lumière l’admirable coopération de la Vierge à l’opération de l’Esprit en elle : elle participe de tout son être, charnellement et spirituellement, à la mise en œuvre du don de Dieu. Le Seigneur fait en elle des merveilles, mais pas sans elle.

De la même façon, chez Luc, les pauvres deviennent acteurs de leur salut et pas seulement bénéficiaires. Ils sont sujets de leur libération, pas seulement objets de la grâce divine : « vous les pauvres, vous avez le royaume de Dieu entre vos mains justement parce que vous n’avez rien. Prenez conscience de votre pouvoir et votre libération n’est pas loin ».


3. Faire pour / faire avec

Faire pour, faire avec : les deux polarités des Béatitudes sont en réalité deux dimensions nécessaires, à maintenir en tension. À faire pour uniquement, on en devient dame  patronnesse du XIX° siècle qui fait la charité à ses pauvres. À ne faire qu’avec, on risque de priver les petits de l’aide nécessaire, on risque de faire porter toute la responsabilité aux opprimés, sans jamais leur apporter ce qu’ils ne peuvent produire et doivent recevoir d’un autre.

 co-construction
Pour articuler ces deux polarités, la Doctrine sociale de l’Église formulera ultérieurement le principe de subsidiarité : le niveau N +1 doit intervenir pour aider (subside = aide) le niveau N, mais si et seulement si N ne peut le faire par lui-même ; il doit fournir tous les éléments pour que le niveau N réalise le maximum de ce qu’il peut faire par lui-même.

Pie XI le définissait ainsi : « De même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber » [1].

Lorsque Matthieu dit : « le royaume de Dieu est aux pauvres », il s’adresse à ceux qui compromettent la justice en privant les pauvres de ce qui leur revient.

Lorsque Luc dit : « vous les pauvres, le royaume de Dieu est à vous », il les invite à prendre conscience de leur dignité et les encourage en tirer toutes les conséquences par eux-mêmes.


Faire pour / faire avec :
cette tension parcourt tous les échelons de l’action publique. Prenez par exemple la mairie d’une ville de 100 000 habitants. Impossible de connaître personnellement tous les citoyens. Alors la plupart des services techniques et des bureaux de la mairie se réfugient dans le faire pour : on élabore des solutions pour les usagers (transport, sécurité, logement…) grâce à des bureaux d’études, des spécialistes, des fonctionnaires zélés, et on vient présenter la population ce qu’on a échafaudé pour elle. Pas étonnant que bien souvent la grogne, les pétitions et manifestations accueillent les élus qui descendent de la montagne pour exposer leurs vues !

Faire avec demande plus de temps : le temps de l’échange en amont, du débat pour identifier les problèmes, dresser des priorités, imaginer des réponses ensemble. De plus, faire avec demande d’arriver avec une page blanche, et non un projet pré-écrit à faire valider en manipulant plus ou moins l’opinion ! Quand on fait ensemble – experts, riverains et administration – on ne sait pas à l’avance où on va exactement, ni comment on va le faire, avec quels moyens etc. Beaucoup plus déstabilisant qu’un dossier préparé à l’avance par des experts ou des politiques !

Pour l’action publique traditionnelle, l’usager est un objet, un « agent », un simple bénéficiaire des actions qui sont pensées en dehors de lui. Il est l’objet de l’activité et du soin qui lui sont destinés, même si ces activités et ces soins sont individualisés à son endroit.


Pour les partisans du faire avec, si cet usager est mieux représenté et associé dès le début,  le voilà « acteur », sujet si on veut. Par l’activité, ce « sujet » incorpore, assimile ; il co-construit lui-même ses propres apprentissages et changements. Il n’est plus le simple bénéficiaire de programmes qui lui sont destinés. Au contraire, on compte sur son propre pouvoir de réflexion et d’adaptation, pour produire lui-même les changements nécessaires.

Une association – fondée par le Père Joseph Wrezinski – a bien compris cette inversion de la filière pour agir : toutes les actions menées par ATD Quart-Monde sont pensées et conçues à partir des personnes concernées, avec elles, à partir de leur expérience, préoccupations et propositions. Bien sûr, en cours de route, ATD apporte son expertise et son carnet d’adresses pour voir ensemble comment réaliser des projets avec l’aide d’experts et de techniciens. Mais commencer en disant : « vous les pauvres, le royaume de Dieu est à vous » met en route une dynamique de co-construction qui change tout !

« Avant, on ne nous demandait jamais notre avis, on a eu une vie de galère, mais on a eu la chance de connaître ATD Quart Monde et maintenant, on sait qu’on a une intelligence, que notre parole a une valeur. Des gens demandent à la connaître pour transformer les situations de pauvreté et d’exclusion », disent des familles lors d’universités populaires, soirées d’échanges organisées par ATD.

Afin de permettre au savoir issu de l’expérience de vie des personnes qui connaissent la pauvreté de dialoguer avec d’autres savoirs, ATD Quart Monde a développé une méthode innovante, qu’il appelle « le Croisement des savoirs et des pratiques » [2].

S’inscrivant dans des domaines divers, le Croisement des savoirs et des pratiques est notamment utilisé pour mener des recherches participatives et des co-formations avec des personnes en situation de pauvreté, des professionnels, des scientifiques et des universitaires. Le Croisement des savoirs et des pratiques est une démarche développée par ATD Quart Monde permettant de créer les conditions pour que le savoir issu de l’expérience de vie des personnes qui ont connu ou connaissent la pauvreté puisse dialoguer avec les savoirs scientifiques et savoirs professionnels. Sa visée est de construire une société plus juste en associant pleinement les personnes avec l’expérience de la pauvreté.

En croisant des savoirs différents on produit une connaissance et des méthodes d’actions plus complètes et inclusives. L’enjeu de cette démarche est de réhabiliter, au bénéfice de tous, la contribution intellectuelle et pratique issue de l’analyse du vécu des personnes en situation de grande pauvreté et d’exclusion. Donner à cette contribution les moyens d’émerger, d’être reconnue et de se confronter aux autres savoirs, est une exigence démocratique qui donne espoir et confiance à tout le monde. Sinon, ‘ce qui a été fait sans nous vivra sans nous’…


Lettres de Westerbork par HillesumTerminons par le témoignage de Etty Hillesum, jeune fille juive du ghetto d’Amsterdam au début de la guerre de 39-45. Vint un moment où, alors qu’elle aurait pu sauver sa peau en profitant de ses relations pour fuir le ghetto d’Amsterdam, elle se porte volontaire pour rejoindre les autres juifs déportés dans le camp de Westerbork, antichambre d’Auschwitz. Elle désire faire corps avec son peuple, ne pas faire pour lui, mais avec lui, au milieu des siens.

Lorsque les déportations massives commencèrent en juillet 1942, le Conseil juif d’Amsterdam recruta pour la forme un grand nombre de nouveaux employés, fournissant ainsi une protection au moins temporaire aux heureux élus. Etty avait des amis au Conseil et, à la prière instante de son frère Jaap, accepta de poser sa candidature à un emploi ; elle fut engagée le 15 juillet 1942. Son journal nous apprend qu’elle détestait sa position de privilégiée et en ressentait un profond malaise. Aussi, lorsque le Conseil décida de détacher une partie de son personnel au camp de Westerbork pour y assurer un service d’« aide sociale aux populations en transit », Etty demanda aussitôt son transfert. C’est dans ces conditions qu’elle arriva le 30 juillet à Westerbork, non en déportée mais de sa propre initiative et en qualité de « fonctionnaire ». Elle veut être avec.

De là naît sa joie paradoxale, celle des Béatitudes, qu’elle irradie autour d’elle dans le camp :

 « Maria, petite amie,

Ce matin, il y avait un arc-en-ciel au-dessus du camp, et le soleil brillait dans les flaques. Je boue. Quand je suis entrée dans la baraque hospitalière, quelques femmes m’ont lancé : « Vous avez de bonnes nouvelles ? Vous avez l’air si radieuse ! ».
J’ai inventé une petite histoire où il était question de Victor-Emmanuel, d’un gouvernement démocratique et d’une paix toute proche, je ne pouvais tout de même pas leur servir mon arc-en-ciel, bien qu’il fût l’unique cause de ma joie ? »

Lettre à Maria Tuinzing, Westerbork, samedi 7 août – dimanche 8 août 1943.

Faire pour, faire avec… 

Cette semaine examinons-nous :

Quelle est la dimension qui est sous-représentée dans mon action ?

Comment y remédier ?

 

____________________

[1]. Pie XI, Encyclique Quadragesimo anno, 1931, n° 203.

[2]. Cf. : https://www.youtube.com/watch?v=ZuEoGPs7AVI

 




Lectures de la messe

Première lecture
« Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel. Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur » (Jr 17, 5-8)


Lecture du livre du prophète Jérémie
Ainsi parle le Seigneur : Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel, qui s’appuie sur un être de chair, tandis que son cœur se détourne du Seigneur. Il sera comme un buisson sur une terre désolée, il ne verra pas venir le bonheur. Il aura pour demeure les lieux arides du désert, une terre salée, inhabitable. Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance. Il sera comme un arbre, planté près des eaux, qui pousse, vers le courant, ses racines. Il ne craint pas quand vient la chaleur : son feuillage reste vert. L’année de la sécheresse, il est sans inquiétude : il ne manque pas de porter du fruit.

Psaume
(Ps 1, 1-2, 3, 4.6)
R/ Heureux est l’homme qui met sa foi dans le Seigneur.
 (Ps 39, 5a)

Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants,
qui ne suit pas le chemin des pécheurs,
ne siège pas avec ceux qui ricanent,
mais se plaît dans la loi du Seigneur
et murmure sa loi jour et nuit !

Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau,
qui donne du fruit en son temps,
et jamais son feuillage ne meurt ;
tout ce qu’il entreprend réussira.

Tel n’est pas le sort des méchants.
Mais ils sont comme la paille balayée par le vent.
Le Seigneur connaît le chemin des justes,
mais le chemin des méchants se perdra.

Deuxième lecture
« Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans valeur » (1 Co 15, 12.16-20)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, nous proclamons que le Christ est ressuscité d’entre les morts ; alors, comment certains d’entre vous peuvent-ils affirmer qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans valeur, vous êtes encore sous l’emprise de vos péchés ; et donc, ceux qui se sont endormis dans le Christ sont perdus. Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. Mais non ! le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis.

Évangile
« Heureux les pauvres ! Quel malheur pour vous les riches ! » (Lc 6, 17.20-26)
Alléluia. Alléluia.
Réjouissez-vous, tressaillez de joie, dit le Seigneur, car votre récompense est grande dans le ciel. Alléluia. (Lc 6, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus descendit de la montagne avec les Douze et s’arrêta sur un terrain plat. Il y avait là un grand nombre de ses disciples, et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon.

Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.
Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »
Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , ,

2 février 2025

Sur des charbons ardents

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Sur des charbons ardents

 

Homélie pour le 5° Dimanche du Temps ordinaire / Année C
09/02/25


Cf. également :

Quand le Christ nous choisit
La seconde pêche
Du hérisson à la sainteté, puis au management
Porte-voix embarqué
Dieu en XXL
La relation maître-disciple

Démêler le fil du pêcheur
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel

Les dignes et les indignes

 

1. Bateau ardent ou bateau mou ?

Rappelez-vous : devant la grille du lycée pour lire les résultats du Bac ; devant votre téléphone en attendant le résultat de l’intervention chirurgicale ; en faisant les cent pas dans le couloir de la maternité… Dans ces moments-là, vous étiez sur des charbons ardents, ne tenant plus en place d’impatience ou d’anxiété. Tout comme quelqu’un qui ne peut poser ses pieds sur des braises est obligé de danser sans cesse d’un pied sur l’autre. Comme le dit un proverbe biblique : « Peut-on marcher sur des charbons ardents sans se griller les pieds ? » (Pr 6,28).

 

Dans la première lecture (Is 6,1–8), les lèvres d’Isaïe sont touchées par un charbon ardent, et du coup il devient lui-même ardent à partir en mission : « Me voici, envoie-moi ! ». Il y a une impatience prophétique dans cet appel d’Isaïe, que Jésus va transmettre lui aussi aux pêcheurs du lac de Génésareth (Lc 5,1–11). Après la pêche exceptionnelle obtenue sur l’ordre de Jésus, au lieu de soigneusement stocker et saler le poisson pour le vendre ensuite, « laissant tout, ils le suivirent ». Il y a donc une urgence qui parcourt la vocation d’Isaïe et des Douze.

 

Sur des charbons ardents dans Communauté spirituelle depart-lof-grand-spiEn français, ardent désigne un voilier qui a tendance à remonter au vent, à lofer, c’est-à-dire à se rapprocher de l’axe du vent. À certaines allures – au près ou au près bon plein notamment – la plupart des voiliers vont avoir tendance à tourner vers le vent, c’est-à-dire que la barre va tirer du côté du vent. Le voilier est plus ou moins ardent en fonction de la force du vent. Plus le vent forcit, plus le bateau est ardent et se met à gîter. Cela nécessite de constamment jouer avec sa barre pour tenir son cap. Il faudra donc prodiguer plus d’effort pour maintenir le bateau sur sa route. À l’inverse, on dit d’un bateau qui s’éloigne de cet axe du vent que c’est un voilier « mou » : il aura tendance à abattre sans cesse. La métaphore vaut pour notre désir de suivre le Christ. Dans ma navigation vers Lui, suis-je ardent ou mou ?

Paul souhaite que nous soyons un peuple ardent, ardent à faire le bien : « Christ s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien » (Tite 2,14 ; lecture de la nuit de Noël).

 

Peut-être devrions-nous également être sur les charbons ardents pour supplier : « Envoie-moi ! »

Brûlons-nous encore d’impatience de suivre le Christ et d’être envoyés par lui ?

 

2. Les charbons ardents du pardon

Le sens premier du charbon ardent pour Isaïe est bien celui-là : être purifié de ses fautes pour pouvoir annoncer la parole de YHWH : « Ce charbon a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné ». Dans les Évangiles, le lien entre charbons ardents et pardon est un souvenir douloureux pour Pierre. Car c’est alors qu’il se chauffait auprès d’un tel foyer avec les gardes et les servantes dans la cour du Grand Prêtre qu’il va renier trois fois son ami par peur d’être arrêté lui aussi : « Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un braséro de charbons pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer » (Jn 18,18). Mais, lors de la seconde pêche miraculeuse sur le lac (la première étant celle de ce dimanche), Pierre en débarquant constate que Jésus a préparé un barbecue spécialement pour lui : « Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposés là, des charbons allumés avec du poisson posé dessus, et du pain » (Jn 21,9). Les charbons ardents de ce barbecue vont rappeler à Pierre son triple reniement. Et ils annoncent le triple pardon donné par Jésus : « M’aimes-tu ? Pais mes brebis ».

 

Sur-des-charbons-ardents ardent dans Communauté spirituellePourquoi ce lien entre charbons ardents et rémission des péchés ? Sans doute à cause du phénomène de sublimation (passage d’un état physique à un autre) qu’ils permettent. Isaïe voit le Temple rempli de fumée : ce sont les grains d’encens qui en tombant sur les charbons rougeoyants se transforment instantanément en volutes d’encens parfumées. « Le grand prêtre prendra alors un brûle-parfum rempli de charbons ardents qui étaient sur l’autel, devant le Seigneur, puis il prendra deux pleines poignées de poudre d’encens aromatique et portera le tout au-delà du rideau » (Lv 16,12).

Ézéchiel prendra la même image pour évoquer la mission purificatrice du Fils de l’homme : « Le Seigneur dit à l’homme vêtu de lin : “Entre par les espaces du cercle sous le Kéroub ; prends à pleines mains des charbons ardents par les espaces entre les Kéroubim, et répands-les sur la ville” » (Ez 10,2).

Et les charbons incandescents vont purifier l’offrande de toutes ses impuretés : « Mets la marmite vide sur les charbons pour qu’elle chauffe ; que le bronze rougisse, que les impuretés fondent à l’intérieur et que la rouille soit consumée ! » (Ez 24,11).

Freud a transposé ce phénomène de sublimation aux pulsions psychiques qui nous animent : certaines activités humaines – comme par exemple la création littéraire, artistique ou intellectuelle – tirent leur force de la conversion de désirs primaires vers un but socialement plus élevé. Le célibat peut ainsi devenir une énergie de transformation qui conduit à mobiliser l’être tout entier au service de buts plus hauts (service des pauvres, ascèse spirituelle etc.). La conversion du charbon en chaleur et des grains d’encens en vapeur évoque cette symbolique où l’on atteint au sublime par le passage d’un état à un autre.

 

Dans les pays nordiques, on utilise des pierres chaudes selon le même principe pour le sauna familial. Il suffit de verser une bonne louche d’eau sur les pierres chauffées pour que le sauna s’emplisse de vapeur, purifiant le corps de ses toxines.

Une pierre chaude était ainsi conservée dans tous les anciens foyers orientaux comme moyen d’appliquer de la chaleur à des fins domestiques. Pour faire des gâteaux (« cuit sur les pierres chaudes », 1R 19,6), ou pour rôtir de la chair, la pierre était d’abord chauffée au feu, et la pâte humide ou la chair étalée sur elle. Pour faire bouillir le lait, la pierre chaude y était plongée lorsqu’elle était contenue dans la peau de cuir qui servait à la fois de chaudron et de broc. En bref, la pierre chauffée était un moyen primitif d’appliquer le feu partout où le feu était nécessaire.

 

processus-cuisson-du-poisson-dorado-gril-du-poisson-grille-au-citron-bbq-bonne-nourriture-generative-ai_136403-19548 charbonsLa parole trop humaine d’Isaïe est ainsi « sublimée » pour devenir la parole de YHWH.

Ses lèvres n’en sont pas brûlées pour autant au contact du charbon : c’est sa bouche qui désormais peut exhaler l’encens de la Parole divine alors qu’elle n’était que langage grossier auparavant.

Ce même phénomène de sublimation est à l’œuvre dans le barbecue de Jésus sur la plage : les braises incandescentes vont transformer le poisson cru immangeable en chair grillée  devenue nourriture. Le pardon du Christ a ce pouvoir de faire de nous des êtres comestibles et nourrissants, nous qui étions bruts et gluants… 

Le pardon de YHWH a le pouvoir de sublimer notre péché pour que notre vie devienne un parfum agréable à tous ; il transforme notre parole grossière en annonce prophétique fidèle.

Raison de plus pour désirer recevoir ce pardon et le mettre en œuvre !

 

3. Des charbons ardents sur la tête

Par curiosité, faisons un petit détour par un autre usage des charbons ardents, mentionné par Paul en Rm 12,20 (citant Pr 25,22) : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire : en agissant ainsi, tu entasseras sur sa tête des charbons ardents ».

maxresdefault IsaïeDonner à manger et à boire, on voit bien ce que c’est ; mais que viennent faire ces boulets rouges sur la tête de mon ennemi ? C’est qu’autrefois, on n’avait pas de briquet ni d’allumage piézo-électrique ! Pour allumer un feu à la maison, il fallait d’abord en chercher chez les voisins : on frappait à leur porte, avec un vase d’argile sur la tête pour récolter les charbons ardents qu’ils voudraient bien nous donner, et les rapporter à la maison sans se brûler. Paul appelle ainsi à ne pas attendre que notre ennemi nous demande du feu, mais à lui donner au préalable, sans condition. L’amour des ennemis est ici on ne peut plus concret. Lui donner de quoi manger et boire, de quoi se chauffer et cuisiner. 

Les charbons ardents qui purifient les lèvres d’Isaïe pour sa mission deviennent ainsi la promesse d’une réconciliation possible avec l’ennemi du moment, à l’initiative du prophète.

 

4. À prendre avec des pincettes

Terminons avec un détail amusant et signifiant à la fois : les pincettes de l’ange !

« L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche ».

Alors que le Fils de l’homme prend les braises à pleines mains (Ez 10,2), le séraphin est obligé de prendre le feu de Dieu avec des pincettes…

 mission« Avec des pincettes » : en français, depuis l’hygiénisme du XIX° siècle surtout, on emploie cette expression pour désigner des personnes pas très propres, ou dangereuses à approcher. Car on utilisait des pincettes pour déplacer des choses sales sans les toucher, par souci d’hygiène. Par extension, on dit aujourd’hui d’une information qu’elle est à prendre avec des pincettes, car on n’est pas sûr de sa qualité (les fake news pullulent !). Par hyperbole, on dira d’un colérique qu’il n’est pas à prendre avec des pincettes, c’est-à-dire que même avec mille précautions, on n’en tirera rien de bon si on s’approche de lui !

 

Sur l’autel du Temple, le charbon ardent du pardon est à prendre avec des pincettes. Ce n’est pas parce que le feu purificateur du pardon serait sale ou dangereux, bien sûr. C’est tout simplement parce qu’il est brûlant : le pardon ne se manipule pas avec légèreté, sans précaution. Il demande du doigté, une forme de pédagogie et d’approche pour pouvoir toucher les lèvres de l’impur. Sinon, il vous brûlera avant que vous puissiez en toucher celui à qui vous offrez ce pardon. 

C’est tout un savoir-faire que d’aller saisir la braise de la réconciliation avec la pince pour la déposer sur autrui… Rien de plus délicat que l’art de transmettre le pardon qui vient de Dieu !

Entre Israël et Gaza, entre l’Ukraine et la Russie, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, entre les frères ennemis du Congo et du Rwanda etc., le pardon est à prendre avec des pincettes, ce qui exige diplomatie, négociations, précautions, marques de respect mutuel, acceptation de la durée… Ce qui ne dispense pas du commandement d’amour des ennemis, mais lui ouvre un chemin patient et exigeant.

 

Charbons ardents, barbecue, pincettes : que la parole de Dieu ce dimanche nous brûle au plus intime jusqu’à nous écrier avec Isaïe : « Me voici, envoie-moi ! »

Qu’attendons pour aller au charbon ?….

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Me voici : envoie-moi ! » (Is 6, 1-2a.3-8)

Lecture du livre du prophète Isaïe
L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils se criaient l’un à l’autre : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. » Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le Temple se remplissait de fumée. Je dis alors : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! » L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche et dit : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. » J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? » Et j’ai répondu : « Me voici : envoie-moi ! »

Psaume
(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 4-5, 7c-8)
R/ Je te chante, Seigneur, en présence des anges.
(cf. Ps 137, 1c)

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

Tous les rois de la terre te rendent grâce
quand ils entendent les paroles de ta bouche.
Ils chantent les chemins du Seigneur :
« Qu’elle est grande, la gloire du Seigneur ! »

Ta droite me rend vainqueur.
Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

Deuxième lecture
« Voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez » (1 Co 15, 1-11)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Évangile, vous l’avez reçu ; c’est en lui que vous tenez bon, c’est par lui que vous serez sauvés si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé ; autrement, c’est pour rien que vous êtes devenus croyants. Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre, puis aux Douze ; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois – la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort –, ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis. Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi.
Bref, qu’il s’agisse de moi ou des autres, voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez.

Évangile
« Laissant tout, ils le suivirent » (Lc 5, 1-11)
Alléluia. Alléluia.
« Venez à ma suite, dit le Seigneur, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Alléluia. (Mt 4, 19)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. à cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , , , ,

26 janvier 2025

Syméon l’anti-bernique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Syméon l’anti-bernique

 

Homélie pour la fête de la Présentation du Seigneur au Temple / Année C
02/02/25


Cf. également :

Chandeleur : les relevailles de Marie

Chandeleur et Vie Religieuse : vos Vœux nous Intéressent

Quand le corps tombe en ruines 

 

1. Nunc dimittis

Syméon l’anti-bernique dans Communauté spirituelle Nunc-Dimittis-Musique-de-la-Collection-DubenUn journaliste raconte que Jean-Marie Le Pen – bête de scène à son époque – était un jour invité à une émission politique, style l’Heure de vérité ou autre. À la fin, l’intervieweur lui pose la question : ‘Que diriez-vous si un jour c’était votre fille et non vous-même qui était élue Présidente de la République ?’ Le vieux lion au verbe acéré répondit : « Nunc dimittis ». Silence embarrassé du journaliste, qui attendait dans son oreillette l’explication de ces mots inconnus, car sa culture latine devait être aussi faible que sa culture biblique…
Rassurez-vous : je ne partage ni les idées ni la stratégie de feu Jean-Marie Le Pen, mais avouez que sa réplique avait du panache ! « Nunc dimittis » : c’est bien sûr le début en latin du cantique de Syméon de notre Évangile de la Présentation (Lc 2,22-40), que les moines et moniales chantent tous les soirs à l’office de Complies :

« Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. 

(Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace).

Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »

 

La version sécularisée cet hymne peut convenir à beaucoup de situations : ici au vieux leader qui cède la place à sa fille, là aux champions sportifs qui comme Nadal ou Federer savent raccrocher leur raquette au sommet de leur gloire, ou encore lorsqu’un chef d’entreprise familiale sait vendre son bébé à temps et s’en détacher, ou lorsque comme Syméon l’on pressent que le but d’une vie est désormais atteint. Cet art de l’effacement de soi une fois l’objectif réalisé fait évidemment penser à l’attitude de Jean-Baptiste qui au Jourdain s’efface derrière la valeur montante qu’est son cousin  : « Il faut qu’il croisse et que je diminue » (Jn 3,30). Dans les deux cas, toucher à la plénitude est source de détachement et de dépossession. Au lieu de se cramponner à un poste de pouvoir comme font les politiques une fois élus – jusqu’à atteindre des âges déraisonnables – Syméon et Jean-Baptiste laissent la course se poursuivre sans eux. Ils ont fait leur part du travail. Ils peuvent décrocher en paix.

 

Âge des dirigeants en févirer 2024

Âge des dirigeants en février 2024

 bernique dans Communauté spirituelleAvec les années, comment ne pas se sentir concerné tôt ou tard par ce courageux lâcher-prise ? Que ce soit pour laisser ses enfants continuer leur trajectoire sans vous, pour remettre à d’autres la responsabilité de ce que vous avez bâti, pour susciter des vocations nouvelles au lieu d’être l’indéboulonnable, l’indispensable, vous ferez tôt ou tard cette expérience : il est temps pour moi de partir en vous transmettant les clés. Ne pas consentir à cet effacement, c’est préférer la reconnaissance sociale à l’efficacité, c’est instrumentaliser les responsabilités pour sa propre gloire au lieu de servir, c’est compromettre l’avenir de ceux qui viendront après…

 

C’est si commun ! Ces gens me font penser aux « chapeaux chinois » (les berniques), ces coquillages que nous récoltions enfants sur les rochers des plages de Bretagne : il fallait un bon couteau et pas mal de patience et de force pour les détacher de leur rocher auquel ils étaient collés de toute la puissance de leur muscle-ventouse. « Comme une bernique à son rocher » est devenue une expression populaire désignant l’attitude des personnes-sangsues qui restent scotchées à leurs galons, à leur poste en entreprise ou association, voire à leur partenaire, tant et si bien qu’on n’arrive jamais à les décoller !

 

Syméon est l’anti-bernique par excellence !

Célébrer la Présentation au Temple ce dimanche nous invite à puiser en nous cette liberté spirituelle : savoir discerner quand c’est le moment de raccrocher et comment le faire avec panache. Sacré enjeu !

 

2. J’ai achevé ma course

b24af3b58b4686b1e9731305b4df4caa suicideJe me souviens de ma grand-mère, à plus de 80 ans (dans les années 60, on était un vieillard à ces âges-là !), Veuve depuis longtemps, elle me confiait tristement : ‘Le bon Dieu m’a oublié. Je connais plus de monde là-haut qu’ici-bas. J’ai terminé mon tour de piste maintenant et je ne sais pas ce que je fais encore là. Je prie Dieu chaque jour de venir me chercher’. Ce discours me faisait pleurer à chaque fois dans ses bras, mais instinctivement je ne cherchais pas à la contredire, ni à la dissuader de prier pour partir. Car au fond, une fois qu’on a accompli 99 % du programme initial, il ne reste plus grand-chose. Je trouvais qu’elle n’avait pas tort finalement de se languir en trouvant le temps bien long. Et pour les croyants, la perspective d’aller rejoindre la famille des aimés de l’au-delà vaut mieux que la longue et solitaire attente au bout du couloir…

 

Avec de tels raisonnements, je ne suis pas loin du plaidoyer pour le suicide assisté ! Vient un moment où quelqu’un peut discerner qu’il est temps pour lui de partir. Syméon nous pousse à y réfléchir : désirer mourir non pas pour éviter la souffrance, la douleur insupportable - car ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans le texte de Luc - mais mourir… de plénitude ! Quand on se dit à soi-même : ‘J’ai fait l’essentiel. Maintenant, tout le reste n’est plus que prolongations’, c’est qu’on a vraiment envie de rentrer aux vestiaires…

N’allez pas trop vite crier au scandale ! Souvenez-vous que Paul lui-même confiait ressentir cette envie de mourir à l’approche du martyre de Rome vers lequel il voyageait, inexorablement : « Moi, en effet, je suis déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » (2Tm 4,6-7). Et : « Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire » (Ph 1,23-24).

« J’ai achevé ma course » : c’est ce que cherchait à me dire ma grand-mère. C’est ce que cherchent à nous dire – pour qu’on les respecte dans cette volonté – les milliers de gens qui ont recours chaque année à cette procédure là où elle a été légalisée sous strictes conditions (Suisse, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Canada, Espagne, Australie, Autriche, quelques états des USA etc.).

 

StatsSuicideAssisteSuisse Syméon

 

Précisons tout de suite que Syméon ne cherche pas à mourir, mais se déclare prêt à accueillir la mort maintenant qu’il a vu le Messie. On ne peut donc pas tordre le texte de son cantique pour le transformer en plaidoyer pour le suicide assisté ! Surtout que la plupart des demandes ont pour but d’éliminer la souffrance, alors que Syméon est au contraire dans la plénitude de la joie maintenant que sa mission est accomplie. 

Reste que l’envie de mourir n’est pas illégitime pour Syméon ou Paul, une fois l’essentiel de leur mission achevé. C’est ce qu’exprime l’expression populaire (imaginée par Goethe semble-t-il) : « Voir Naples et mourir » (en italien : ‘Vedi Napoli e poi muori’ ; littéralement : ‘Vois Naples et puis meurs’). Elle est couramment employée par les Napolitains, si imprégnés de la beauté envoûtante de leur ville qu’ils estiment allégoriquement qu’après une telle émotion, la vie n’a plus de sens. Du haut de ses 2700 ans d’existence, la ville mérite bien un tel engouement par l’unique diversité, la concentration et la richesse de son patrimoine historique, architectural, culturel, artistique, musical, gastronomique, sociologique, balnéaire et la douceur de son climat.

Il y a quelques moments comme celui-là devant la baie de Naples où l’on peut dire : « Maintenant, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix… »

 

Les bonnes âmes charitables vont protester en multipliant les lotos et les ateliers de gymnastique douce dans les EHPAD pour enthousiasmer les résidents languissants… Mais rien n’y fait. Certains deviennent imperméables aux promesses d’un mieux-être à leur âge : « Ma vie est derrière moi ». Et qui pourrait les convaincre du contraire ? Bien sûr, il y a toujours, jusqu’au bout, de vrais moments de joie, d’amitié et de fraternité à partager. Ceux qui visitent régulièrement les personnes âgées solitaires, à domicile ou en institution, le savent pourtant bien : quelques éclairs d’amitié ou de plaisir partagé ne lavent pas la grisaille quotidienne qui se dépose jour après jour, jusqu’à tout recouvrir. Alors, on attend la fin, et on en vient à la souhaiter.

 

L’opposition de l’Église catholique au suicide assisté est bien connue : la vie est sacrée, nul n’a le droit d’en disposer, même pour soi-même (« Tu ne tueras pas »), seule la fin dite ‘naturelle’ est légitime (Catéchisme de l’Église catholique, nos 2280–2283). Et l’Église catholique est très vigilante – à raison – sur les dérives possibles d’une légalisation du suicide assisté, notamment pour les personnes vulnérables (âgées, handicapées). Le catéchisme reconnaît quand même la « proportionnalité des soins » et le refus de « l’acharnement thérapeutique ».« On ne veut pas ainsi donner la mort ; on accepte de ne pas pouvoir l’empêcher » (n. 2278). Évoquant la question de la souffrance, le Catéchisme assure que « l’usage des analgésiques pour alléger les souffrances du moribond, même au risque d’abréger ses jours, peut être moralement conforme à la dignité humaine si la mort n’est pas voulue, ni comme fin ni comme moyen, mais seulement prévue et tolérée comme inévitable » (n. 2279). La doctrine catholique assure par ailleurs que « les soins palliatifs constituent une forme privilégiée de la charité désintéressée ». À ce titre, ils sont « encouragés ». 

Mais la position sur le suicide assisté est sans nuance : « la coopération volontaire au suicide est contraire à la loi morale »…

En contrepoint, on a déjà étudié les récits de suicide dans la Bible (cf. Quand le corps tombe en ruines), où les rédacteurs ne prennent pas position pour ou contre, ce qui laisse la question ouverte.

 

En France, la dissolution malheureuse de juin 2024 a reporté le débat en cours préparant un vote d’une loi sur la fin de vie. Dans une interview du 10/03/2024 à La Croix &  Libération, Emmanuel Macron précisait les conditions d’accès prévues pour l’aide à mourir :

642695439d9f8_080-hl-mgruss-1915845- E.M. : Cet accompagnement sera réservé aux personnes majeures, comme la Convention citoyenne l’avait recommandé. Deuxième condition : les personnes devront être capables d’un discernement plein et entier, ce qui signifie que l’on exclut de cette aide à mourir les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer. Ensuite, il faut avoir une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme. Enfin, le quatrième critère est celui de souffrances – physiques ou psychologiques, les deux vont souvent ensemble – réfractaires, c’est-à-dire que l’on ne peut pas soulager. Si tous ces critères sont réunis, s’ouvre alors la possibilité pour la personne de demander à pouvoir être aidée afin de mourir. Ensuite, il revient à une équipe médicale de décider, collégialement et en transparence, quelle suite elle donne à cette demande.

 

- La Croix & Libération : Vous excluez le terme de suicide assisté, mais si l’équipe médicale accède à la demande, ce sera bien au patient d’effectuer le geste final, le geste létal ?

 

- E.M. : Je vais vous lire ce qui est écrit dans le projet de loi. « L’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsque aucune contrainte d’ordre technique n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne ».

 

Que vous soyez ou non d’accord avec la possibilité du suicide assisté, il faut vous y préparer, comme phénomène de société. C’est la responsabilité des chrétiens que de réfléchir aux questions que cela pose, et d’accompagner – sans condamner, même s’il faut poser des repères – ceux qui voudraient s’y engager.

Sommes-nous prêts ?

 

« J’ai achevé ma course » : viendra un moment où nous pourrons faire nôtre cette plénitude qui nous libère du devoir d’être là.

« Nunc dimittis » : plusieurs fois dans notre existence, nous aurons l’occasion de nous détacher, de laisser les autres aller plus loin sans nous.

Allons-nous nous accrocher, telle la bernique sur son rocher, où allons-nous avec pleine confiance consentir à nous effacer ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez » (Ml 3, 1-4)

Lecture du livre du prophète Malachie
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient – dit le Seigneur de l’univers. Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs. Il s’installera pour fondre et purifier : il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme l’or et l’argent ; ainsi pourront-ils, aux yeux du Seigneur, présenter l’offrande en toute justice. Alors, l’offrande de Juda et de Jérusalem sera bien accueillie du Seigneur, comme il en fut aux jours anciens, dans les années d’autrefois. Parole du Seigneur.

Psaume
(Ps 23 (24), 7, 8, 9, 10)

R/ C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ; c’est lui, le roi de gloire. (Ps 23, 10bc)

Portes, levez vos frontons,
élevez-vous, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, le fort, le vaillant,
le Seigneur, le vaillant des combats.

Portes, levez vos frontons,
levez-les, portes éternelles :
qu’il entre, le roi de gloire !

Qui donc est ce roi de gloire ?
C’est le Seigneur, Dieu de l’univers ;
c’est lui, le roi de gloire.

Deuxième lecture
« Il lui fallait se rendre en tout semblable à ses frères » (He 2, 14-18)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition : ainsi, par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable,     et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves.     Car ceux qu’il prend en charge, ce ne sont pas les anges, c’est la descendance d’Abraham.     Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple.     Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve.

Parole du Seigneur.

Évangile
« Mes yeux ont vu ton salut » (Lc 2, 22-40)
Alléluia. Alléluia. Lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. Alléluia. (Lc 2, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.

Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »
Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »
Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de 84 ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick BRAUD

Mots-clés : , ,

19 janvier 2025

Pleurer de joie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Pleurer de joie

 

Homélie pour le 3° Dimanche du Temps ordinaire / Année C
26/01/25


Cf. également :

Fixer les yeux sur le Christ
Faire corps
Saules pleureurs
L’Aujourd’hui de Dieu dans nos vies
L’événement sera notre maître intérieur
Accomplir, pas abolir

 

1. La dernière fois, c’était quand ?

Pleurer de joie dans Communauté spirituelleSeptembre dernier : je découvre la ville de Split, station balnéaire le long de la côte bulgare de la mer Noire. Détour obligé par le petit musée local, sans intérêt à vrai dire. Tout en passant rapidement devant les maigres tableaux disséminés çà et là, je perçois les lourdes vibrations d’un violoncelle descendant du troisième étage. Il n’est pas seul : un violon lui tient tête parfois, alors qu’un piano se déchaîne en toile de fond. Curieux, je monte jusqu’à une grande salle où seuls trois jeunes instrumentistes répètent une œuvre  inconnue qui m’ensorcelle aussitôt. Sans les déranger, je m’assois et les écoute, les contemple, dans leur répétition difficile. Deux heures après, ils jouent l’ensemble de ce que je saurai ensuite être le Trio opus 4 de Vladigerov, compositeur bulgare contemporain. L’œuvre est âpre, rugueuse, violente, parsemée d’éclairs et d’éclaircies, à mi-chemin entre Mahler et Chostakovitch. Fasciné, je me surprends à essuyer de mes paupières des larmes qui n’étaient pas invitées… Ce trio était si beau, si intense que j’en pleurais de joie sans le savoir depuis de longues minutes ! Je suis redescendu de cette « générale » bouleversé, dans un état de désordre intérieur, les yeux lavés par cette rosée musicale incontrôlée. J’avais rencontré une musique qui me disait qui je suis, et cette coïncidence de soi à soi s’opérait dans des larmes éblouies…

 

Et vous, c’était quand la dernière fois que vous avez pleuré de joie ?

Si vous avez du mal à vous le raconter, inquiétez-vous…

C’est peut-être aussi simple que l’émotion heureuse d’un bon ami – fort gaillard barbu de  près de 2m de haut – voyant son fils tenir sa petite-fille juste née dans ses bras. Il a craqué, me disait-il, avec le doux plaisir du sportif recevant sa médaille d’or.

C’est peut-être une lecture, un paysage, votre conjoint contre vous …

C’était quand la dernière fois que vous avez pleuré de joie ?

 

2. Aimer la Torah à en pleurer

 charisme dans Communauté spirituelleDans notre première lecture (Ne 8,2–10), les juifs de retour d’exil à Babylone vivent une expérience semblable dans le Temple de Jérusalem. Le scribe et grand prêtre Esdras y avaient retrouvé un exemplaire de la Torah, miraculeusement rescapé des flammes et de la destruction des Perses. Il en fait une lecture publique (avec traduction car c’était en hébreu, qu’ils ne parlaient plus depuis leur départ, et explication car le texte n’est rien sans l’interprétation). La réaction du peuple est bouleversante : « Ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi ».

Esdras, habitué aux larmes des exilés faites de tristesse et de douleur, croit que c’est une manifestation de détresse devant ce qu’ils ont manqué depuis tant d’années hors d’Israël. Peut-être se trompe-t-il : le peuple fond de bonheur en touchant de près à nouveau le trésor de sa foi. Il prend conscience de la beauté, la grandeur de ce qui est lu pour lui, et il en pleure de joie ! Il ne prend pas le deuil : au contraire, il se réjouit de sa renaissance ! Aussi met-il en pratique ce qu’Esdras lui demande avant même qu’il le demande : « Ne prenez pas le deuil, mangez et buvez, partagez, ne vous affligez pas, car la joie du Seigneur est votre rempart ».

 

Avez-vous jamais pleuré en écoutant ou en lisant la Bible ? 

Pleuré au point de laisser réellement couler ces perles d’abandon que sont les larmes du peuple écoutant Esdras ?

Vous avez sans doute pleuré devant un paysage à couper le souffle, ou quand une musique vous perce le cœur, ou devant l’être aimé qui vous comble de bonheur… Mais avez-vous souvenir d’une telle émotion à la lecture d’un passage biblique, à l’audition d’une homélie sur des lectures du dimanche, à l’écho qu’une parole de Dieu a suscité en vous ? Si non, priez instamment pour que ce don des larmes vous soit fait avant de mourir ! Celui qui est imperméable à la parole biblique au point de la laisser ruisseler sur lui comme sur les plumes d’un canard sans jamais en être inondé peut-il vraiment en vivre ? Comment un saule pourrait-il s’épanouir s’il n’était plus pleureur grâce à ses racines puisant l’eau du fleuve ?

 

3. Le don de larmes

9782220095011-475x500-1 joieLes siècles précédents faisaient l’éloge de cette capacité à laisser couler ses larmes au lieu de les réprimer ou de les assécher. Les Pères de l’Église, et plus encore les mystiques et les auteurs spirituels du Moyen Âge parlaient de ces larmes comme d’un don de Dieu. Un de ces charismes dont Paul fait la liste dans notre deuxième lecture (1Co 12,12–30). Car c’est l’Esprit Saint lui-même qui vient pleurer en nous lorsque nous nous abandonnons à la contrition, à la tristesse ou à la joie. On peut d’ailleurs légitimement reprocher aux évangélistes d’avoir pudiquement écarté les larmes de joie de leurs écrits. On y voit Marie de Béthanie pleurer en essuyant les pieds de Jésus de ses larmes, ou bien Jésus lui-même pleurer devant Lazare au tombeau, devant Jérusalem, à Gethsémani, mais pas de joie. Les évangélistes se boucheraient-ils le nez devant cette heureuse faiblesse qui fait penser à la danse de David devant l’Arche d’Alliance et la réprobation que cette danse débridée suscita parmi les dignitaires d’Israël ? (2S 6) « Cela ne se fait pas… »

Pourtant, imagine-t-on un Jésus qui n’ait jamais pleuré de joie ? Impossible ! C’est donc la pudeur mal placée de ses apôtres et disciples qui l’ont passé sous silence – comme son rire –  trop suspect au regard de la culture ambiante.

Heureusement, les chrétiens par la suite ont rompu ce silence : ils ne se sont pas privés de pleurer de joie ! Ils pleuraient bien sûr des larmes de tristesse devant le péché lors de leur conversion, de douleur et d’affection devant la détresse des autres, de souffrance  physique et morale etc. Ils pleuraient de joie également.

Guillaume de Saint Thierry (XII° siècle), Hugues de Balma (XIII°), Denys le Chartreux (XV°) etc. : tout le Moyen Âge est irrigué par ce don des larmes, « ravissement », « nouveau baptême », « ablution intérieure », « suavité spirituelle », « torrent de délices », « béatitude de la Présence » … Dans cette opération, les larmes jaillissent pour manifester la joie spirituelle donnée par Dieu.

Comment oublier le bout de papier cousu dans la doublure du manteau de Blaise Pascal afin de garder la trace de son éblouissement intérieur lors de sa conversion : « Père juste, je t’ai connu ! Joie ! Joie ! Joie ! Pleurs de joie ! ».

« L’âme est émue de pleurs de joie. L’esprit conçoit une joie ineffable qui ne peut plus être cachée et qu’aucun mot ne peut exprimer… Il n’est pas dit ‘Heureux le peuple qui dit sa joie’, mais qui la connaît – cette joie qui peut être connue ne peut se dire. Elle est ressentie mais elle est bien au-delà de tout sentiment. La conscience de celui qui la ressent ne suffit pas à la contempler, comment pourrait-elle jamais l’exprimer. Je verrai ta face dans l’allégresse (Jb 33, 26) ».

Grégoire le Grand, Moralia 23, 10

 

Augustin, dont les Confessions sont toutes ruisselantes de larmes, s’interroge : « pourquoi les larmes sont-elles douces aux affligés ? » Et il se souvient que sa conversion si tardive s’est accompagnée de pleurs nombreux et durables :

« À ces hymnes, à ces cantiques célestes, quel torrent de pleurs faisaient jaillir de mon âme violemment remuée les suaves accents de ton Église ! Ils coulaient dans mon oreille, et versaient ta vérité dans mon cœur ; ils soulevaient en moi les plus vifs élans d’amour ; et mes larmes roulaient, larmes délicieuses !

Confessions, Augustin, IX, VI, 14.

Ces larmes de joie annoncent la présence de Dieu. Elles surviennent quand quelque chose dans notre vie apparaît plus grand que nous-même et se voit touché par une transcendance, quand quelque chose de plus grand vient transfigurer l’instant.

 

Il y a au moins quatre situations positives qui peuvent engendrer en nous des larmes de joie :

mouchoirs-ceremonie-laique-800x532 pleurer- Les larmes d’affection

L’amour est l’émotion qui nous fait le plus vibrer. Il est très facile d’éprouver ce sentiment dans lequel tout à coup un mot, un geste, un câlin ou un moment partagé nous excite suffisamment pour nous faire pleurer.

Il en va de même avec la tendresse. Par exemple, quand nous tenons un bébé dans nos bras ou quand notre animal fait quelque chose qui nous semble mignon, une larme de joie peut très facilement s’échapper…

 

- Le frisson du triomphe, les larmes du dépassement

Gagner un match, réussir un examen, décrocher un emploi après un entretien… Des larmes de joie peuvent également surgir dans ces situations où, après un certain temps d’efforts, de rêves et de sacrifices, nous réalisons quelque chose. Le dépassement de soi trouble intensément.

 

- L’inspiration et la beauté

Un lever de soleil en mer… Les vues aériennes d’un cadre naturel d’une beauté à couper le souffle… Voir notre œuvre picturale préférée face à face… Profiter d’une pièce de théâtre qui nous émeut profondément… Aller à un concert du groupe que nous aimons tant… Les larmes de joie se nourrissent également de l’esthétique, du naturel et du culturel.

 

- Le rire partagé

Il y a peu de plaisirs plus satisfaisants que de pleurer de rire avec les gens que l’on aime. Rire à en pleurer, jusqu’à ce que notre ventre nous fasse mal… Pourquoi s’en priver ? C’est un plaisir authentique qui mêle émotions positives et humour : un bonheur authentique.

 

Les larmes sont bien à recevoir comme un cadeau, un don gratuit, non mérité.

Elles sont un cadeau parce qu’elles signifient la présence de quelqu’un. Je pense que l’on ne pleure pas quand on est vraiment seul. Si l’on pleure et qu’on est seul, c’est qu’on pleure devant quelqu’un. Ce quelqu’un peut être Dieu, ce peut être aussi celui auquel on pense et qui s’est absenté ou qui est mort, mais qui est présent sous forme d’absence, si je puis dire. Celui qui est absolument déserté par ses proches ne pleure pas. Nous en avons tous fait l’expérience, quand nous sommes en présence d’une personne de confiance, nous nous mettons à pleurer. Un ami arrive, on se lâche et on se met à pleurer. Les larmes sont donc le signe d’une présence, c’est pourquoi elles sont un cadeau.

 

4. Ouvrir les vannes

Au fond, sait-on jamais pourquoi on pleure ? Il y a bien des larmes qui sont sans raison, des larmes qui, en somme, nous échappent. N’est-ce pas celles-ci, justement, qui ont le plus de sens ? Dans la tradition chrétienne, ces larmes permettent la révélation de ce qu’est l’homme, en vérité, devant Dieu. Elles ne viennent pas de nous : elles nous sont données, gratuitement, par pure grâce.

C’est un exutoire de la peine intérieure, antidote à toutes les sécheresses. Les larmes, « sang des blessures de notre âme » selon Grégoire de Nysse, sont aussi l’eau d’un baptême renouvelé, qui purifie, lave des péchés, lorsqu’elles signent une contrition profonde. Et au bout du chemin, sous la plume du moine Macaire-Syméon, ce sont « des perles précieuses que le flot de ces bienheureuses larmes ».


Le fluide vital que sont les larmes n’est pas seulement un signe de déploration et de lâcher-prise, mais aussi la manifestation d’un réveil de la sensibilité, d’une rupture dans l’anesthésie du cœur.

La langue française a d’ailleurs mille manières de le suggérer avec des expressions comme « pleurer à chaudes larmes », « pleurer comme un enfant », « des larmes dans la voix », « avoir les larmes au bord des yeux », « n’avoir plus d’yeux que pour pleurer », « rire à en pleurer », ou encore cette interjection populaire : « Pleure, ça te fera du bien ».

Mais l’énergie interne des larmes est également une énergie profondément jubilatoire :  

« Pascal ne profère pas la foi au début de sa conversion : il la pleure. 

Seules les larmes possèdent cette intelligence du cœur pour témoigner de l’extase mystique. Elles n’expliquent rien parce qu’elles ne savent rien. Nous ne comprenons pas pourquoi nous pleurons, car nous pleurons quand, précisément, nous cessons de comprendre. Le sens de la vraie larme est de nous surprendre au-delà de nos logiques » [1].


« Bienheureux ceux qui pleurent … »

Pour quoi, pour qui, coulent vos larmes ?

Acceptez-vous d’entendre l’appel du Christ à laisser jaillir de vous de vraies larmes de compassion, de pénitence ou de joie ? 

Consentez-vous à cette « hémorragie lumineuse de l’âme » (JL Charvet), à cette « rosée de l’être » où nous renaissons à l’amour véritable ? 

 

Nous pleurons parfois sans presque nous en rendre compte, au-delà de nos simples sensations. L’âme est comblée d’une si immense tendresse, qu’elle voudrait fondre non de douleur, mais en larmes de joie. Elle s’en trouve baignée sans avoir rien senti, sans savoir quand elle a pleuré, ni comment. Si les larmes sont pour certains les premiers mots de l’enfance, elles ne font pourtant jamais de l’homme qui pleure un enfant : elles le rendent pareil à un enfant. Le langage d’une âme vraiment atteinte fait l’économie de tout discours comme de toute apparition. Car on ne parle pas plus des larmes que du sommeil d’un enfant. Tout juste de son imprécise joie.

 

Pleurer est l’une des expériences les plus bouleversantes qu’il nous soit donné de vivre.

Là, nous lâchons prise, enfin. 

Là, nous consentons à nous-mêmes, vraiment. 

 

Les hypocrites ne savent pas pleurer, sinon des larmes de crocodile. Les orgueilleux se sont entourés de carapaces pour ne pas se laisser atteindre : leur cuirasse fait ricocher les flèches qui pourraient fendre leur invulnérabilité. Or pleurer, c’est justement accepter d’être vulnérable, d’être touché par le malheur ou le bonheur d’autrui, d’établir un lien d’empathie avec l’autre, avec le monde, avec soi-même, avec Dieu.

 

Il y a tant de barrages qui enclosent notre énergie vitale, tant de digues qui peinent à contenir les grandes marées de nos émotions mieux que les moulins à vent hollandais régulent les niveaux d’eau dans les polders immergés !

Celui qui ne pleure jamais est-il vraiment humain ? 

On devine que la dureté du cœur peut empêcher de pleurer. 

On pressent que la sécheresse des yeux peut venir des boucliers et des cuirasses dont quelqu’un a été obligé de se barder dans son histoire pour ne pas trop souffrir. 

Mais Dieu que les larmes font du bien lorsqu’elles coulent par amour ! 

Comme les vannes d’un barrage qu’on libère et dont les eaux deviennent source d’énergie…
Cette énergie est bien celle de l’Esprit Saint : laisser enfin couler hors de soi ce que l’on s’épuisait à accumuler et à contenir sans rien dire, sans rien exprimer…

 

Entre silence et langage coulent nos larmes… 

Elles traversent le corps de l’homme en prière, et plusieurs parmi vous pourraient témoigner de ces instants de grâce où la prière nous fait littéralement fondre en larmes. C’est un bouleversement de tout notre être, qui peut devenir une étape de la vie spirituelle. 

Larmes de joie ou de compassion, elles nous revêtent d’une grâce purificatrice.
Pendant des siècles, des chrétiens ont recherché, désiré, imploré ce don de larmes aujourd’hui un peu oublié. De sainte Monique à sainte Catherine de Sienne, des Pères du Désert des premiers siècles aux effusions de l’Esprit aujourd’hui, c’est la même promesse des Béatitudes qui s’accomplit : « heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » (Mt 5,5)

C’est un chemin de sainteté.

Refuser de pleurer, ce serait devenir dur comme la pierre, avoir le cœur sec comme un désert (et même le désert contient des sources cachées…). 

Ce serait finalement se haïr soi-même, puisqu’il serait alors impossible de consentir à sa faiblesse.

 

Ce charisme dont Paul serait fier, cette communion du peuple écoutant la Torah dans les larmes, apprenons à les désirer, à les laisser irriguer à nouveau les zones desséchées de nous-même.

Lorsque ce don des larmes nous prend par surprise, lorsqu’il nous déstabilise, réjouissons-nous et laissons faire l’Esprit en nous ! Sans pudeur ni fausse honte : David avait-il honte de danser à demi-nu devant l’Arche d’Alliance ?

Ouvrons les vannes au don des larmes, surtout lorsqu’elles sont de joie…


_______________________________

[1]. Jean-Louis CHARVET, L’éloquence des larmes, DDB, 2000, p. 85.

 

LECTURES DE LA MESSE

1ère lecture : « Tout le peuple écoutait la lecture de la Loi » (Ne 8, 2-4a.5-6.8-10)

Lecture du livre de Néhémie
En ces jours-là, le prêtre Esdras apporta le livre de la Loi en présence de l’assemblée, composée des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre. C’était le premier jour du septième mois. Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux, fit la lecture dans le livre, depuis le lever du jour jusqu’à midi, en présence des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre : tout le peuple écoutait la lecture de la Loi. Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, construite tout exprès. Esdras ouvrit le livre ; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée. Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout. Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand, et tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! » Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre. Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis les Lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre.
Néhémie le gouverneur, Esdras qui était prêtre et scribe, et les Lévites qui donnaient les explications, dirent à tout le peuple : « Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! » Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi. Esdras leur dit encore : « Allez, mangez des viandes savoureuses, buvez des boissons aromatisées, et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt. Car ce jour est consacré à notre Dieu ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! »

Psaume : Ps 18 (19), 8, 9, 10, 15
R/ Tes paroles, Seigneur, sont esprit et elles sont vie. (cf. Jn 6, 63c)

La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

Les préceptes du Seigneur sont droits,
ils réjouissent le cœur ;
le commandement du Seigneur est limpide,
il clarifie le regard.

La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes
et vraiment équitables.

Accueille les paroles de ma bouche,
le murmure de mon cœur ;
qu’ils parviennent devant toi,
Seigneur, mon rocher, mon défenseur !

2ème lecture : « Vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps » (1 Co 12, 12-30)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, prenons une comparaison : notre corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit. Le corps humain se compose non pas d’un seul, mais de plusieurs membres.
Le pied aurait beau dire : « Je ne suis pas la main, donc je ne fais pas partie du corps », il fait cependant partie du corps. L’oreille aurait beau dire : « Je ne suis pas l’œil, donc je ne fais pas partie du corps », elle fait cependant partie du corps. Si, dans le corps, il n’y avait que les yeux, comment pourrait-on entendre ? S’il n’y avait que les oreilles, comment pourrait-on sentir les odeurs ? Mais, dans le corps, Dieu a disposé les différents membres comme il l’a voulu. S’il n’y avait en tout qu’un seul membre, comment cela ferait-il un corps ? En fait, il y a plusieurs membres, et un seul corps. L’œil ne peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi » ; la tête ne peut pas dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous ». Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables. Et celles qui passent pour moins honorables, ce sont elles que nous traitons avec plus d’honneur ; celles qui sont moins décentes, nous les traitons plus décemment ; pour celles qui sont décentes, ce n’est pas nécessaire. Mais en organisant le corps, Dieu a accordé plus d’honneur à ce qui en est dépourvu. Il a voulu ainsi qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres. Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie.
Or, vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps.
Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Église, il y a premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui ont charge d’enseigner ; ensuite, il y a les miracles, puis les dons de guérison, d’assistance, de gouvernement, le don de parler diverses langues mystérieuses. Tout le monde évidemment n’est pas apôtre, tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ; tout le monde n’a pas à faire des miracles, à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter.

Evangile : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture » (Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Le Seigneur m’a envoyé, porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération. Alléluia. (Lc 4, 18cd)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus. En ce temps-là, lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge. Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , ,
12345...235