L'homélie du dimanche (prochain)

24 novembre 2024

Le présent eschatologique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le présent eschatologique

 

Homélie pour le 1° Dimanche de l’Avent / Année C
01/12/24

Cf. également :
Le syndrome du hamster
Le droit et la justice, signes Avent-coureurs
Quand le cœur s’alourdit 
À l’improviste !
La venue. Quelle venue ?
Laissez le présent ad-venir
Encore un Avent…
L’Apocalypse, version écolo, façon Greta

Le mascaret de l’Apocalypse

Il faut aller voir ce spectacle incroyable : sur les rives de la Garonne comme de la Dordogne, par marée basse de grand coefficient (supérieur à 90), une vague se forme qui parcourt régulièrement, à environ 20 km/h, une centaine de kilomètres depuis l’embouchure de l’estuaire bordelais jusqu’à l’intérieur des terres. Oui, c’est bien une vague en sens inverse du fleuve, à contre-courant, appelé mascaret : elle reflue sur le fleuve, et la force de ce courant crée une bande d’eau se déplaçant comme un troupeau de bœufs au galop (selon l’étymologie occitane [1])… Les surfeurs s’en donnent à cœur joie, chevauchant cette vague de 1m à 2m de hauteur pendant des dizaines de minutes.

Avec le mascaret, l’océan reflue sur le fleuve, la destination sur l’origine, l’arrivée sur le départ…

C’est une belle image pour comprendre ce que nous disent les passages apocalyptiques de la Bible, et notamment celui de ce dimanche (Lc 21,25-28.34-36) : 

« Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire ».

 

Autrement dit : l’Apocalypse n’est pas tant la fin du monde que la venue d’un autre à notre rencontre. Nous croyons nous hâter vers le terme de notre histoire (individuelle et collective), mais c’est l’inverse ! C’est la fin qui vient vers nous, c’est notre avenir qui reflue sur notre présent. Et le Christ, tel un surfeur sur la Dordogne, vient vers nous de l’avenir en chevauchant le mascaret de l’Apocalypse qu’est la vague d’amour trinitaire déferlant de Dieu vers l’homme. D’où le nom du temps liturgique qui commence : ad-ventus = Avent = ce qui vient vers nous.

 

Les Pères de l’Église avaient bien lu dans ces annonces effrayantes au premier abord la bonne nouvelle d’un monde nouveau se réalisant en moi / en nous sans attendre : 

« Il faut toujours tenir compte d’un double avènement du Christ : l’un quand il viendra, et que nous devrons rendre compte de tout ce que nous aurons fait ; l’autre, quotidien, quand il visite sans cesse notre conscience, et qu’il vient à nous afin de nous trouver prêts lors de son avènement. 

À quoi me sert, en effet, de connaître le jour du jugement, lorsque je suis conscient de tant de péchés? De savoir si le Seigneur vient, s’il ne vient pas d’abord dans mon cœur et ne revient pas dans mon esprit, si le Christ ne vit pas et ne parle pas en moi ?

Alors, oui, il m’est bon que le Christ vienne à moi, si avant tout il vit en moi et moi en lui. Alors pour moi, c’est comme si le second avènement s’était déjà produit, puisque la disparition du monde s’est réalisée en moi, parce que je puis dire d’une certaine manière : Le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde (Ga 6,14) ».

Homélie de saint Paschase Radbert († vers 860)

Commentaire sur l’évangile de Matthieu, 11, 24, PL 120, 799-800

 

Voilà donc un sens possible, très concret, très opérationnel, de la période de l’Avent qui s’ouvre ce dimanche : Christ nous vient de notre avenir en Dieu ; Christ vient vers nous, en nous, et il nous aide à ajuster ce que nous sommes à ce que nous serons appelés à devenir. 

L’avenir informe le présent, et non l’inverse.

 

Dans la foi chrétienne, le passé ne conditionne pas le présent et le présent ne construit pas l’avenir. C’est l’avenir (nous, unis au Christ en Dieu) qui transforme le présent. Notre vocation compte plus que nos réalisations, errements et réussites mêlés. La dernière parole du Christ en croix au bon larron est le signe le plus éloquent de cette priorité de l’avenir en Dieu : « Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis ». Alors que son passé est coupable et son présent lamentable, le bon larron entend cette promesse lui ouvrir les portes d’une vie autre, dès maintenant. 

 

De même, en invitant les nouveaux baptisés de Pâques à contempler le pain eucharistique sur l’autel, Saint Augustin les assurait qu’ils voyaient là leur avenir refluer sur leur présent, tel le mascaret de l’Apocalypse : « soyez ce que vous voyez ; recevez ce que vous êtes » (Sermon 272).

Le présent eschatologique dans Communauté spirituelle

 

Le présent eschatologique

Le Christ a beau nous avertir que sa venue à la fin des temps est imminente, depuis 2000 ans on se dit que statistiquement on a peu de chances de voir ce jour de notre vivant… 

Pourtant, « levez la tête car votre rédemption approche » : c’est donc que cette venue n’est pas si lointaine. 

Pourtant, « le royaume de Dieu est au milieu de vous » : c’est donc que je peux en vivre maintenant. 

Pourtant, « ce jour s’abattra sur tous les habitants de la terre comme un filet », « à l’improviste » : et si ce filet était déjà lancé au milieu du désordre de ma vie pour rassembler en Dieu tout ce que je suis ?

 

Le diacre syrien Saint Éphrem (III° siècle) a bien noté que le Christ ne veut pas dire la date du jour de son retour. Pourquoi ? Pour que nous désirions accueillir ce jour maintenant ; pour qu’il se réalise en moi sans tarder, avance Éphrem. Si nous connaissions cette date, nous pourrions différer l’ajustement nécessaire à la venue du Christ : ‘j’ai bien le temps de faire mille choses avant’. C’est bien aujourd’hui que le Christ vient en moi, tel le surfeur de l’Apocalypse : impossible de me défiler.

« Le Christ a dit, pour empêcher les disciples de l’interroger sur le moment de son avènement : Quant à l’heure, personne ne la connaît, pas même les Anges, pas même le Fils. Il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates. Il nous a caché cela pour que nous veillions, et pour que chacun d’entre nous pense que cela pourra se produire pendant sa vie. Si le temps de sa venue avait été révélé, son avènement aurait été quelque chose de banal, et les nations et les siècles dans lesquels il se produira ne l’auraient pas désiré. Il a bien dit qu’il viendrait, mais il n’a pas précisé à quel moment, et ainsi toutes les générations et tous les siècles l’attendent ardemment.

Bien que le Seigneur ait fait connaître les signes de son avènement, on ne voit pas clairement leur terme ; car ces signes, dans un changement constant, sont venus et sont passés, et ils durent toujours. Son ultime avènement est en effet semblable au premier.
Les justes et les prophètes le désiraient, parce qu’ils estimaient qu’il paraîtrait de leur temps ; de même, aujourd’hui, chacun des fidèles désire le recevoir de son temps […]. Il a mis ces signes en relief pour que, dès le premier jour, tous les peuples et les siècles pensent que l’avènement du Christ se ferait de leur temps. »

Commentaire de Saint Éphrem sur l’évangile concordant

 

Histoire et eschatologie BultmannUn théologien protestant, David Cox, écrivait :

« Il existe une forte pensée chrétienne […] selon laquelle Jésus est venu apporter le salut « ici et maintenant » ; c’est dans ce monde. Selon cette ligne de pensée, il est souligné que la « vie éternelle » doit être considérée comme une possibilité présente, une nouvelle qualité de vie, une manière de vivre dans ce monde, plutôt que comme quelque chose que l’on peut avoir après la mort ; ou bien, que nous vivons déjà dans le « nouvel éon », « »l’âge » ou la « période » mondiale inaugurée par Jésus, dans laquelle sont inclus tous ceux qui ont accepté Jésus comme leur Sauveur. Une telle pensée est une pensée chrétienne orthodoxe, qui met l’accent sur la valeur du christianisme pour la vie dans ce monde » [2].

Et les orthodoxes nous disent que la « divine liturgie » byzantine, avec ses ors, ses encens, ses mystères, ses chasubles chamarrées et ses chœurs intenses, « c’est le ciel sur la terre ». Dans les deux interprétations – l’une existentielle, et l’autre liturgique – il s’agit bien d’accueillir la fin dans le début, l’avenir dans le présent.

 

Un autre immense théologien protestant, Rudolf Bultmann, a repris cette intuition d’une anticipation dès à présent de ce que nous serons pour toujours.

« Le sens de l’histoire réside chaque fois dans le présent, et si le présent est saisi à partir de la foi chrétienne comme présent eschatologique, le sens de l’histoire s’y réalise ».

L’eschaton (le but ultime) et le présent coulissent l’un dans l’autre, comme deux anneaux sur un même cylindre. Leur trait commun réside dans le moment présent, qui seul importe.

Il nous est donc possible de vivre dans le « maintenant » divin où s’accomplit la promesse. Le futur de la fin des temps devient un présent eschatologique, c’est-à-dire un présent déjà transfiguré par l’avenir divin, un présent contenant l’eschaton (la « fin ») et contenu par lui : les deux réalités sont mutuellement imbriquées l’une dans l’autre, si bien qu’on ne peut accueillir l’une sans expérimenter l’autre, et réciproquement.

Le chrétien vit alors un peu moins « entre les temps » et un peu plus dans le « maintenant » divin. Le futur eschatologique est devenu pour lui un présent eschatologique. L’éternité signifie pour lui moins l’action de Dieu avant le temps et moins la vie de Dieu après le temps, et plus la présence de Dieu dans le temps. La vie éternelle est une qualité de l’existence dans l’ici et le maintenant.

Mascaret Apocalypse 

Bultmann en déduit un vibrant appel à laisser l’expérience chrétienne prendre corps aujourd’hui, sans attendre, tout en sachant que la plénitude est encore devant, car l’humanité tout entière – et le cosmos ! – est concerné :

« À tous ceux qui désespèrent et qui disent : « Je ne vois plus de sens à ma vie, je ne sais plus quelle est la signification de mon histoire », le Christ adresse cet encouragement et cet appel :

« Regarde ta propre histoire.

C’est toujours chaque instant présent qui contient la signification de ton histoire.

Tu ne peux pas regarder cette histoire en spectateur.

Tu dois l’envisager à partir de tes décisions, à partir de ta responsabilité.
Dans chaque instant présent de ta vie sommeille la possibilité qu’il soit l’instant du salut. À toi de le réveiller »
[3].

 

Saint Bernard de Clairvaux (XII° siècle) prenait l’analogie du bassin et du canal pour initier chacun à la plénitude présente, qu’il s’agit d’accueillir pour la laisser déborder vers les autres :

Petra bassin d'eau

Petra / Bassin d’irrigation
dans le désert jordanien

La Sagesse consiste pour toi

à jouer le rôle d’un bassin

et non pas d’un canal.

Un canal rend presque immédiatement

ce qu’il reçoit.

Un bassin, au contraire,

attend d’être rempli

pour communiquer sans dommage

ce dont il surabonde…

Laisse-toi combler par Dieu

avant de pouvoir partager

avec les autres ».

(St Bernard, Pensées)

 

La révolution des temps

La révolution des temps opérée par la foi chrétienne est colossale !

Les sciences humaines explorent les déterminismes sociaux qui conditionnent le futur des masses.
Les sciences génétiques et biologiques découvrent comment les mutations et la sélection transforment peu à peu les espèces.

Les mathématiques, la physique et autre sciences « dures » font du futur la conséquence du passé et la prolongation du présent.

L’hindouisme et le bouddhisme font du karma le principe de la réincarnation, où les vies antérieures conditionnent les vies suivantes. 

Le Coran fait de l’avenir un décret divin indiscutable, et le paradis ne sera que plus tard.
Le judaïsme attend toujours en la personne du Messie celui qui achèvera l’histoire et lui donnera tout son sens.

Seuls les chrétiens osent dire que c’est l’avenir qui informe le présent ! 

Seuls ils proclament que ce que nous sommes appelés à être influe déjà sur ce que nous sommes et devenons. 

Seul le Christ, tel un surfeur chevauchant le mascaret de l’Apocalypse, nous fait passer en Dieu sans attendre.

Le royaume de Dieu est en nous, au milieu de nous (Lc 17,21). Il nous est donné d’anticiper cette réalité ultime, unis au Christ, en vivant déjà le présent atemporel de la foi, le présent eschatologique.

Perspective vertigineuse, dont les répercussions sur notre rapport au temps, aux déterminismes de tous ordres, à nous-mêmes… sont immenses. 

 ___________________________________________________

[1]. En occitan, mascaret est dérivé de mascar (« tacheté de noir ») et signifie « tacheté, barbouillé ». En ancien français mascarer a le sens de « mâchurer ». Certains donnent à l’occitan le sens de « bœuf tacheté » et dérivent le sens de « vague » par une analogie entre un troupeau de bovins qui se déplace et un mascaret.

[2]. D. Cox, Jung and St. Paul, New York, Association Press, 1959, p. 10.

[3]. Bultmann, Histoire et eschatologie, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1959.

 

 

Lectures de la messe


Première lecture

« Je ferai germer pour David un Germe de justice » (Jr 33, 14-16)


Lecture du livre du prophète Jérémie
Voici venir des jours – oracle du Seigneur – où j’accomplirai la parole de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et à la maison de Juda : En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice, et il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé, Jérusalem habitera en sécurité, et voici comment on la nommera : « Le-Seigneur-est-notre-justice. »


Psaume

(Ps 24 (25), 4-5ab, 8-9, 10.14)
R/ Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme, vers toi, mon Dieu.
 (Ps 24, 1b-2)


Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.


Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.


Les voies du Seigneur sont amour et vérité
pour qui veille à son alliance et à ses lois.
Le secret du Seigneur est pour ceux qui le craignent ;
à ceux-là, il fait connaître son alliance.


Deuxième lecture

« Que le Seigneur affermisse vos cœurs lors de la venue de notre Seigneur Jésus » (1 Th 3, 12 – 4, 2)


Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. Et qu’ainsi il affermisse vos cœurs, les rendant irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre Seigneur Jésus avec tous les saints. Amen.
Pour le reste, frères, vous avez appris de nous comment il faut vous conduire pour plaire à Dieu ; et c’est ainsi que vous vous conduisez déjà. Faites donc de nouveaux progrès, nous vous le demandons, oui, nous vous en  rions dans le Seigneur Jésus. Vous savez bien quelles instructions nous vous avons données de la part du Seigneur Jésus.


Évangile
« Votre rédemption approche » (Lc 21, 25-28.34-36) Alléluia. Alléluia. 
Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. Alléluia. (Ps 84, 8)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire. Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche.
Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Patrick BRAUD

 

 

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4 août 2024

Tuer la mort ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Tuer la mort ?

 

Homélie pour le 19° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

11/08/24

 

Cf. également :

L’antidote absolu, remède d’immortalité
Bonne année !
Le peuple des murmures
Le caillou et la barque
Traverser la dépression : le chemin d’Elie
Reprocher pour se rapprocher
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Un nuage d’inconnaissance

La « réserve eschatologique »


1. La mort de la mort

« La mort survient à un âge différent selon les espèces, mais elle n’a rien d’obligatoire ni d’inévitable… du moins pour une humanité maîtrisant les technologies NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives). Une révolution médicale et philosophique est en marche. Le combat contre la mort va s’intensifier, annonce ainsi le chirurgien-urologue français Laurent Alexandre. La mort deviendra un choix et non plus notre destin » [1]. Il se dit convaincu que les hommes qui vivront mille ans sont déjà nés… Avec le transhumanisme [2], un nouveau paradigme religieux émerge : ce n’est plus le renoncement de l’athée qui se voit seul dans l’Univers, c’est désormais l’affirmation fière de ce que l’homme peut tout faire, y compris créer du vivant et se recréer lui-même » [3].

Laurent Alexandre a fait fortune en fondant le site Doctissimo, qu’il a vendu ensuite pour devenir futurologue. Sa conférence TEDX à Paris, en 2012, sur « le recul de la mort », recueille plus de 1,4 million de vues en ligne [4]. Il prévoit la disparition du cancer « dans une quinzaine d’années », et considère que « la science donnera à l’homme le pouvoir d’un dieu. L’homme va remodeler l’univers ».

Évidemment, cette espérance technologique est très éloignée de l’Évangile de ce dimanche (Jn 6,41-51) : « Celui qui croit a la vie éternelle ». « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ». Remplacez le pain par les NBIC, et Jésus par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et vous vous apercevrez que l’utopie transhumaniste est en fait une version sécularisée de l’espérance chrétienne. Tout comme la vision de l’humanité augmentée, fusionnant le cerveau avec les NBIC, est une version sécularisée de l’Homme Nouveau dont Paul expérimente le surgissement en Christ : « Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité »  (Ep 4,24).

Ce thème de l’Homme Nouveau a déjà été exploité par la Révolution française croyant régénérer le monde par le Progrès, les Lumières, la science (mais aussi la violence de la Terreur…), ou encore par le marxisme visant à établir une société sans classes, où l’Homme Nouveau ne serait plus un loup pour l’homme.

 

Ces idéologies séculières de l’Homme Nouveau se sont révélés meurtrières, inhumaines, parce qu’elles reposaient sur une anthropologie infirme, où le transcendant était réduit au social, au technique, au matériel.

Le transhumanisme va plus loin : il rend crédible la promesse d’une vie prolongée grâce aux implants neuronaux, aux manipulations génétiques, aux technologies de substitution corps–machine. À y regarder de plus près, le transhumanisme parle plus d’a-mortalité que d’immortalité : ne plus mourir, en régénérant sans cesse le corps humain, est sa promesse majeure. Ce n’est pas tout à fait la vie éternelle promise par Jésus à ceux qui croient !

Google et autres milliardaires investissent des sommes faramineuses pour un but ultime : fusionner l’homme et l’ordinateur, après l’avoir soustrait au vieillissement et à la mort. Il s’agirait alors d’une nouvelle humanité, dont on ne sait encore que peu de choses, sinon qu’elle échapperait à la mort en se régénérant perpétuellement… Si bien qu’il est légitime de se demander si le transhumanisme est encore un humanisme ! Il semble bien que le trans soit plus important que l’humain dans cette quête un peu folle.

Tuer la mort ? dans Communauté spirituelle slide_10

Pourtant, grâce à cette technologie, vieillir mieux et plus longtemps n’est pas incroyable. Et qui refuserait de mieux voir, marcher, penser à 120 ans et davantage ? Pourquoi la foi chrétienne devrait-elle être opposée à ces tentatives d’amélioration de la condition humaine, qui ne font que prolonger les antiques efforts de la médecine, de l’artisanat, et plus récemment de la science occidentale ? L’affaire Galilée résonne encore à nos oreilles comme une dramatique erreur catholique de l’Église refusant d’accepter le réel, même s’il contredit sa lecture des Écritures. Pourquoi refuser à l’humanité de continuer une évolution qui a commencé il y a des dizaines de millions d’années en la faisant émerger péniblement de l’animalité ?


Le Vatican proteste contre les manipulations génétiques ou informatiques de l’humain, au nom de la morale [5] : « changer l’identité génétique de l’homme en tant que personne humaine par la production d’un être infra-humain est radicalement immoral », ajoutant que « le recours à la modification génétique pour produire un surhomme ou un être doté de facultés spirituelles essentiellement nouvelles est impensable, puisque le principe de la vie spirituelle de l’homme […] n’est pas produit par des mains humaines », et puisque la véritable amélioration ne peut survenir que par l’expérience religieuse et la divinisation venant de Dieu.

Mais la morale ne peut rien contre le réel … « Fides et ratio », répétait inlassablement Jean-Paul II : « La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité ». Si la rationalité des NBIC nous offre une évolution du concept d’humanité, pourquoi se raidir et se figer dans une anthropologie bientôt obsolète ?


2. La quête de l’immortalité

Longtemps, on a cru que seul l’humain avait conscience de la mort. Mais les observations s’accumulent où l’on constate que des animaux ont bien conscience de la mort des autres et en souffrent. Des éléphants restent des heures auprès du cadavre d’un des leurs, le caressent de leurs trompes. Ils sont capables d’enterrer les carcasses de leurs congénères, avec ce qui ressemble à des rites funéraires troublants. Des baleines traînent avec elles la dépouille de leur baleineau mort sur des centaines de kilomètres, ne pouvant s’en défaire, avec des cris déchirants. Etc.

Cependant, dans nulle autre espèce la quête de l’immortalité ne s’est développée autant que chez l’homme, à tel point qu’on ne sait plus qui a engendré qui, comme la poule et l’œuf.

Nécropole mégalithique de Wamar (Sénégal)

Nécropole mégalithique de Wamar (Sénégal)

Sommes-nous devenus humains en cherchant l’immortalité, ou est-ce que parce que nous devenions humains que nous avons cherché à devenir immortels ?

Une chose est sûre : cette quête impossible est une constante de notre histoire. Les premiers sanctuaires et nécropoles mégalithiques d’il y a plus de 50 000 ans en sont une trace imposante. Tailler et déplacer des blocs de pierre de plusieurs dizaines de tonnes pour honorer leurs morts à cette époque témoigne de l’aspiration incompressible des premiers humains à un au-delà de la mort. Les chamanes et les sorciers qui ont pullulé aux temps préhistoriques entretenaient l’image d’un monde des esprits mélangé à celui des vivants, comme s’il existait des forces invisibles venant de l’au-delà. Les civilisations de Sumer et Babylone ont prolongé cette soif d’immortalité avec des mausolées, des sépultures et les premières pyramides censées accompagner un défunt royal dans son voyage au-delà de la mort. Les Égyptiens ont multiplié leurs divinités pour rendre crédible cette survie imaginaire, et leurs orgueilleuses pyramides pharaoniques voulaient garantir aux puissants une résurrection auprès d’Osiris. Notons au passage que, comme dans le transhumanisme, cette survie est extrêmement coûteuse et est en pratique réservée aux riches, aux ‘happy few’ détenant le pouvoir et la fortune …

Les Grecs ont inventé une autre forme d’immortalité, celle que confère l’Histoire aux héros et aux philosophes. Laisser une trace dans l’Histoire est encore aujourd’hui l’obsession, héritée des Grecs, de la plupart des acteurs politiques, de Mitterrand et sa pyramide du Louvre à Poutine et son empire reconstitué…

Les sagesses orientales ont apporté une autre réponse, plus originale, à cette même question de l’immortalité. Elles ont remplacé : ne plus mourir par ne plus vivre. L’extinction du désir dans le nirvana est une fusion avec le Grand Tout de l’Univers : l’immortalité hindoue, bouddhiste ou taoïste rêve d’échapper à l’illusion de ce que nous appelons la vie terrestre.

Le Grand Spinoza d’Amsterdam sécularisera cette intuition en faisant de Dieu la nature avec laquelle ne faire qu’un, dans une forme de panthéisme moderne. Et beaucoup de scientifiques actuels sont plutôt spinozistes, considérant que l’univers est éternel dans ses  cycles de Big Crunch / Big-Bang, et que la mort recycle nos atomes et molécules dans cette perpétuelle succession de contractions–dilatations implacablement programmée.


Toutes ces quêtes d’immortalité coexistent encore aujourd’hui, métissées, relookées, mais pour l’essentiel toujours fidèles à l’énigme originelle : qu’est-ce que la mort ? pourquoi la mort ?


3. Le futur au présent

72_9782259315555_1_75 bios dans Communauté spirituelleEst-ce bien de cette immortalité-là que parle Jésus ? Notre Évangile mélange étonnamment le présent et le futur lorsque Jésus évoque le sujet : « Celui qui croit a la vie éternelle ». « Qui mange ce pain vivra toujours ».

Tout indique qu’il y a un futur déjà offert en présent, et un présent si intense qu’il ouvre sur un futur réellement infini.

Ce battement présent/futur est une caractéristique de la foi chrétienne : le royaume de Dieu est déjà là, présent en chacun de nous, et il n’adviendra en plénitude qu’au retour du Christ (sans que nous sachions exactement comment, où et quand ce retour se produira). La vie éternelle est déjà là pour celui qui croit, et en même temps il y a bien quelque chose de plus grand à attendre par-delà la mort physique. Le futur est présent, offert gracieusement ici et maintenant, et ce présent ouvre sur un futur infini…

Dans les siècles passés, l’Église utilisait la peur de l’enfer et la promesse du paradis pour détourner les pauvres de la transformation sociale. L’eschatologie engloutissait l’histoire. Depuis les Lumières, c’est l’inverse : les sécularisations diverses de l’expérience chrétienne ont braqué les projecteurs sur l’amélioration de la seule vie terrestre, sans plus se préoccuper de l’après. Le Progrès et les sciences ont rendu l’eschatologie moins crédible, moins intéressante que la transformation du présent.


4. La vie zoè, pas la vie bios

Notre défi de croyants et de tenir ensemble l’histoire et l’eschatologie, le présent et le futur, l’effort et la grâce. Nous taire sur l’au-delà serait nous prosterner devant les idoles modernes sans transcendance. Nous réfugier dans un discours ancien rempli de magie et de superstition sur l’au-delà nous ferait régresser aux temps préscientifiques, mutilant ainsi la foi et la raison.

Comment espérer réellement en un au-delà sans dénaturer ni affaiblir la transformation de l’aujourd’hui ?

 eschatologie
Une piste pourrait nous être donnée par l’évangile de ce dimanche. Jean en effet parle de vie (éternelle) en employant le terme grec : ζω (zoé, 49 usages chez Jean), et pas seulement celui de βος (bios, 2 usages).

La différence est signifiante : le bios relève de ce qui est nécessaire à la survie, à la prolongation (biologique) de l’espèce. Zoé relève du spirituel, du souffle qui anime, du principe vital différenciant du non-vivant. La vie bios est une question de quantité ; la vie z est une question de qualité. Immortalité d’un côté, vie éternelle de l’autre. Prolongation versus intensité.

Nous vivons parfois des instants qui ont un goût d’éternité. Nous expérimentons alors ce qu’est le vrai bonheur mais de manière tellement fugace ! Cette vie bienheureuse nous échappe alors même que nous la désirons. Et, au fond, nous ne savons pas vraiment ce qu’elle est. « L’expression “vie éternelle” cherche à donner un nom à cette réalité connue inconnue », expliquait Benoît XVI dans l’encyclique Spe salvi.

Ne nous y trompons pas : la « vie » dont il est question n’est pas celle que nous connaissons, ce chemin fait d’épines plus que de roses. Quant à l’adjectif « éternel », il n’est pas à comprendre dans le sens d’interminable. « L’éternité n’est pas une succession continue des jours du calendrier (…). Il s’agirait du moment de l’immersion dans l’océan de l’amour infini (…), tandis que nous sommes simplement comblés de joie », poursuivait le pape.


En ce sens la vie éternelle n’est pas la vie qui vient après la mort. Elle est la vie elle-même, la vraie vie dès maintenant, celle que rien ni personne ne peut détruire. Cette vie surabondante, que saint Jean, en grec, appelle « zoè », la distinguant ainsi du « bios », peut être vécue ici et maintenant, embrassée dans le temps. Comment ? Comment vivre pleinement au lieu de se contenter d’exister ? Jésus nous met sur la voie dans sa grande prière sacerdotale : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jean 17, 3).

Et Benoît XVI de commenter dans son Jésus de Nazareth : « L’homme a trouvé la vie, quand il s’attache à celui qui est lui-même la vie. (…) C’est la relation avec Dieu en Jésus Christ qui donne cette vie qu’aucune mort n’est en mesure d’enlever ». Ce vers quoi tend l’espérance chrétienne

La vie éternelle de notre Évangile n’est pas l’amortalité transhumaniste. Elle relève d’une intensité que l’amour, la beauté, l’art, la gratuité nous font parfois côtoyer dans des moments d’extase où le temps est aboli, où la communion est réelle, où le bonheur d’être à l’autre transcende toutes les limites. C’est de cette densité de relation que parle Jésus, et non du simple fait d’exister pour toujours. L’immortalité transhumaniste pourrait fort bien se révéler malheureuse et triste si elle est solitaire ou sans amour. La vie éternelle, c’est d’aimer au point de ne plus exister…

Saint Irénée parlait avec enthousiasme de cette vie éternelle : « Ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur. (…) La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ». La vie éternelle, c’est donc une vie où enfin, nous « verrons », où nous serons dans le « ravissement », dans un bonheur qui nous dépasse. Nous serons « vivants » très intensément, pleinement, et cette éternité, ce moment exceptionnel, ne passera pas.


« Celui qui croit a la vie éternelle » 
: prenons au sérieux cette déclaration de Jésus.

En venant communier à l’autel, nous laissons le Christ devenir notre trait d’union avec le Père, dans la communion d’amour de l’Esprit.

Cette communion nous fait vivre en lui.

Dès maintenant.

Intensément.

C’est-à-dire : éternellement.


______________________________________

[1]. Laurent Alexandre, La Mort de la mort, J.-C. Lattès, 2011.

[2]. Le transhumanisme veut promouvoir, selon la définition du biologiste Julian Huxley (frère d’Aldous Huxley), « un homme qui reste un homme, mais se transcende lui-même en déployant de nouveaux possibles de et pour sa nature humaine » (Huxley, 1957)

[3]. Laurent Alexandre, La guerre des intelligences, J.-C. Lattès, 2017.

[5]. Commission Théologique Internationale, Communion et service : la personne humaine créée à l’image de Dieu, 2004.

 


LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Fortifié par cette nourriture, il marcha jusqu’à la montagne de Dieu » (1 R 19, 4-8)

Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! » Il regarda, et il y avait près de sa tête une galette cuite sur des pierres brûlantes et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit. Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.
 
PSAUME
(Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7, 8-9)
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (Ps 33, 9a)

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Magnifiez avec moi le Seigneur,
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond :
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.

L’ange du Seigneur campe alentour
pour libérer ceux qui le craignent.
Goûtez et voyez : le Seigneur est bon !
Heureux qui trouve en lui son refuge !

 
DEUXIÈME LECTURE
« Vivez dans l’amour, comme le Christ » (Ep 4, 30 – 5, 2)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, n’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau en vue du jour de votre délivrance. Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes, tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur.
 
ÉVANGILE
« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel » (Jn 6, 41-51)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. » Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : ‘Je suis descendu du ciel’ ? » Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi. Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père. Amen, amen, je vous le dis : il a la vie éternelle, celui qui croit. Moi, je suis le pain de la vie. Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
.Patrick Braud

 

 

 

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1 novembre 2022

Vos enfants ou petits-enfants seront-ils des Ginks ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Vos enfants ou petits-enfants seront-ils des Ginks ?

 

Homélie du 32° Dimanche du temps ordinaire / Année C 

06/11/2022 

 

Cf. également :

Mourir pour une côtelette ?

Aimer Dieu comme on aime une vache ?

N’avez-vous pas lu dans l’Écriture ?

Sur quoi fonder le mariage ?

D’Amazonie monte une clameur

 

Les générations childfree

Les mariages de l’été sont de bonnes occasions de discuter avec les jeunes générations. J’ai été surpris de rencontrer au moins quatre trentenaires qui affirmaient catégoriquement : « Je ne ferai pas d’enfant ». Pourquoi ? « Par conviction écologique, car les enfants c’est ce qui fait le plus de mal à la planète ». Le phénomène prend de l’ampleur : la proportion de femmes en âge de procréer ne souhaitant pas avoir d’enfant a triplé en vingt ans : elles étaient 12 % en 2000, elles sont désormais 33 % en 2022 selon l’IFOP !

Les bras m’en tombaient ! La militance écologique pouvait donc conduire à refuser d’être parent ? L’écologiste Yves Cochet soutient même la proposition d’une « allocation familiale inversée », qui diminuerait à chaque enfant supplémentaire…

Il suffit de pianoter rapidement sur Internet pour trouver d’où vient cette conviction étonnante. C’est une étude de l’université suédoise de Lund de 2017, qui classe l’impact carbone de différents actes de la vie quotidienne, depuis l’ampoule LED jusqu’à la voiture ou l’enfant.

Vos enfants ou petits-enfants seront-ils des Ginks ? dans Communauté spirituelleSelon cette étude, avoir un enfant en moins serait 30 fois plus efficace que d’abandonner sa voiture à essence ! Une idée se répand comme une traînée de poudre : ne pas faire d’enfants, c’est sauver la planète ! L’éco-anxiété « engendre » décidément des fruits étonnants…

Aux États-Unis c’est l’université du Michigan qui a publié une autre étude en juin 2021 : « Nous avons découvert que 21,6 % des adultes du Michigan, soit environ 1,7 million de personnes, ne voulaient pas d’enfants. Il s’agit d’un nombre supérieur à la population des neuf plus grandes villes de l’État », mentionne Zachary Neal, professeur associé au département de psychologie de l’université, et coauteur de l’étude. « Les gens prennent la décision d’être sans enfant rapidement dans leur vie, le plus souvent à l’adolescence et au début de la vingtaine. Et ce ne sont pas seulement les jeunes qui affirment ne pas vouloir d’enfants. Les femmes qui ont décidé de ne pas avoir d’enfants, lors de leur adolescence, ont maintenant, en moyenne, près de 40 ans et n’en veulent toujours pas ».

 

Ces jeunes ont même un nom : les « Ginks », pour « Green Inclination, No Kids » (« engagement vert, pas d’enfant »). « Ce monde sera meilleur s’il est moins peuplé », estiment-ils. « Si nous voulons sauver cette planète, nous n’avons pas d’autre choix que d’aborder le problème de la surpopulation humaine », assume Leilani Münter, ex-pilote de course automobile américaine, dont les vidéos sont largement partagées sur les réseaux sociaux. Très active également, l’ONG britannique Population Matters s’est spécialisée dans la promotion d’une vie « sans enfant », ou avec « moins d’enfants ». Malthus ressuscité, en quelque sorte…

 

consumption-co2-per-capita Source : Our World in dataPourtant, ces deux études sont contestables, et contestées. Car elles reposent sur des trains de vie de famille américaine dont l’empreinte carbone est 50 fois supérieure à celles d’une famille africaine par exemple.
En 2019, les USA émettaient environ 30 fois plus de CO2 par habitant que la Côte d’Ivoire; la France ou la Chine 11 fois plus…

Comme le note le démographe Hervé le Bras dans un entretien donné en 2011 à la revue Sciences Humaines : « Les pays développés se servent de l’argument démographique pour rejeter la responsabilité sur des pays peuplés et en croissance démographique comme la Chine ou l’Inde. Entretenir l’angoisse populationnelle est une façon de ne pas remettre en cause la structure de la consommation des pays les plus riches ».

Pour ce démographe et auteur de l’essai « Vie et mort de la population mondiale » (Le Pommier, 2009), le seul moyen de résoudre le problème serait « un changement drastique du type de consommation d’énergie au Nord (de même qu’un changement du type d’alimentation), car alors le Nord pourra dire au Sud: faites comme nous ».

 

Par contre, dire qu’on ne veut pas d’enfant sans raison, la pilule a du mal à passer. Alors le respect de l’environnement, la survie de l’espèce, etc. ne serait-ce pas autant de justifications-alibis pour ces femmes lassées de devoir constamment se justifier ? Toujours est-il que pour Émilie Tixador, ancienne Gink et auteur du blog Green Girl, l’écologie a porté ses fruits. « Je choquais les gens quand je disais que je ne voulais pas d’enfant parce que j’avais envie de m’épanouir dans mon métier. Mais dès que j’ai parlé de limiter la surconsommation et la surpopulation, ma cause est devenue noble aux yeux de tous »… Le greenwashing  peut s’infiltrer là où on ne l’attend pas !

 

Il y a beaucoup d’autres raisons pour lesquelles de jeunes occidentaux ne veulent pas d’enfants. Là encore, on peut trouver des listes pleines d’humour sur le Net, énumérant tous les problèmes qui s’accumulent à partir de la venue d’un enfant :

Pourquoi vaut-il mieux réfléchir avant de dire oui à un enfant ?

1 | Pour rester jeune et cool

2 | Pour préserver ta santé mentale et physique

3 | Parce que tu as déjà un conjoint

4 | Parce que tu ne veux pas devenir n°2

5 | Parce que bébé va te coûter un bras (chaque mois)

6 | Parce que tu aimes le silence

7 | Parce que tu aimes dormir

8 | Parce que le rêve n’a rien à voir avec la réalité 

9 | Parce que toi aussi tu as été enfant puis ado

10 | Parce que tu ne pourras pas l’abandonner sur une aire d’autoroute [1].

 

41a9vIdzBDL._ célibat dans Communauté spirituelleOn appelle childfree (sans enfant, par choix) ce mouvement venu des États-Unis de contestation radicale du devoir de parentalité, pour des questions d’épanouissement personnel, d’intérêt individuel, de combat écologique. 

La chantre du mouvement est Corinne Maier, avec son livre de référence : No Kid, Quarante raisons de ne pas avoir d’enfant, Paris, 2008 [2].

Entre acte écologique et angoisse de l’avenir, ne pas avoir d’enfant – ou n’en avoir qu’un – pour sauver la planète ou pour s’épanouir est un discours qui résonne chez une partie de la jeunesse de plus en plus préoccupée par les questions environnementales. Qu’ils aillent au bout ou non de la démarche, ce questionnement témoigne d’un regard nouveau sur les conséquences de la parentalité.

On a même instauré une Journée Internationale des « non-parents », le 11 Novembre : « single day ». La journée n’a pas été choisie au hasard : 11-11 = 4 fois le chiffre 1. C’est censé représenter “l’individualité heureuse”. Parce que oui, on peut être heureux en étant célibataire. Des études cherchent d’ailleurs à établir que les personnes vivant seules seraient plus épanouies…

 

Jésus était-il childfree ?

711S8XNTvWL childfreeC’est ce que pensent des auteurs proches de l’extrême gauche écologiste. Théophile Giraud par exemple, jeune philosophe belge, a écrit un pamphlet de 65 pages sur l’antinatalisme supposé du christianisme primitif, qu’aurait trahi les Églises ensuite [3] :

« Pas une année ne se passe sans que le pape ou un autre dignitaire chrétien chante les louanges de la fécondité et les vertus de la famille, nombreuse de préférence. Pourtant, la lecture des Évangiles nous fait découvrir un Christ farouchement hostile à la famille biologique et plus encore à la reproduction. Parmi les quelques penseurs qui se sont penchés sur la question, Kierkegaard arrivera à la conclusion que le christianisme visait à « bloquer notre espèce ». Dans le sillage du Christ, qui est resté sans enfant tout en nous exhortant à devenir eunuques pour le Royaume des Cieux, les premiers pères de l’Église glorifieront également la virginité perpétuelle et dénigreront la fertilité charnelle. Saint Augustin a même souhaité que chacun s’abstienne de procréer pour que la fin du monde soit précipitée ! Le natalisme des Églises chrétiennes contemporaines serait-il la plus grande tromperie de tous les temps ? En tout cas, c’est une trahison absolue, qui, en ce siècle de surpopulation mondiale, est encore plus désastreuse que celle de Judas. Le but de cet essai sera de redécouvrir une vérité soigneusement occultée : le christianisme originel était bien un antinatalisme ».

Il s’appuie pour dire cela sur des passages comme l’Évangile de notre dimanche (Lc 20,27-38), où le Christ semble bien prôner le mode de vie des enfants du monde à venir, qui ne prennent ni femme ni mari, et ne font pas enfants :

« Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection ».

Si on ajoute ce passage à ceux où Jésus relativise très fortement les liens du sang, de la famille humaine (cf. Dieu est le plus court chemin d’un homme à un autre), où il prône de devenir « eunuque pour le Royaume » (Mt 19,12), ainsi qu’à ceux où Paul recommande de ne pas se marier (1Co 7,8), le lecteur rapide peut être troublé… 

Comment expliquer cet apparent radicalisme anti-mariage et anti-enfants dans le Nouveau Testament ?

 

L’urgence eschatologique

074_calendrier eschatologieNous l’avons oubliée ! La petite frayeur du passage à l’an 2000 n’était rien comparée à l’effervescence eschatologique qui maintenait la société juive en ébullition au premier siècle. Le peuple était persuadé que le Messie annoncé allait enfin venir les délivrer de toute occupation étrangère. Les faux Messies pullulaient, générant beaucoup d’espérance, de révoltes, de déceptions. En préparation de cette venue, des sectes regroupaient leurs adeptes à l’écart de la société, tels des survivalistes religieux : les Esséniens, la communauté de Massada etc. N’importe quel prédicateur ayant un peu de talent, de charisme, pouvait soulever les foules en leur annonçant l’arrivée imminente du Jour du Seigneur. N’importe quel guérisseur pouvait faire croire qu’avec lui les derniers temps allaient arriver. Pierre se fait l’écho de cette attente : « Le jour du Seigneur viendra, comme un voleur. Alors les cieux disparaîtront avec fracas, les éléments embrasés seront dissous, la terre, avec tout ce qu’on a fait ici-bas, ne pourra y échapper » (2P 3,10). Paul également : « Vous savez très bien que le jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit » (1Th 5,2).

À tel point que Jésus est obligé de mettre en garde : « On vous dira : ‘Voilà, le Royaume est là-bas !’ ou bien : ‘Voici, il est ici !’ N’y allez pas, n’y courez pas ! » (Lc 17,23). Et Paul alerte les communautés contre les dérives de ces survivalistes du dernier jour : « Frères, nous avons une demande à vous faire à propos de la venue de notre Seigneur Jésus Christ et de notre rassemblement auprès de lui : si l’on nous attribue une inspiration, une parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n’allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer » (2Th 2,1-2). Comme certains prétextaient de  cette venue imminente pour se la couler douce et se faire entretenir par les autres sans rien faire, Paul réagit : « Quand nous étions chez vous, nous vous donnions cet ordre : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2Th 3,10).

 

Jésus était pris lui-même dans ce tourbillon eschatologique qui voyait arriver la fin, et l’espérait. Il annonçait le Royaume de Dieu tout proche. Ses guérisons, ses paroles et ses actes étaient autant de signes de sa messianité : c’est donc qu’avec lui « les temps sont accomplis ». Sa mort a semblé mettre en échec la venue du jour ultime. Alors ses disciples ont reporté leur espérance sur sa deuxième venue, à la fin des temps, lorsqu’il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts. Ainsi, du temps de Jésus ou juste après, on est persuadé de vivre « ces temps qui sont les derniers ». Si donc la fin de l’histoire est pour demain, à quoi bon un accumuler des richesses, se marier, avoir des enfants ? Parce que le Royaume est là avec lui, Jésus choisit de rester célibataire, sans enfant. Car dans le monde de la résurrection qu’il inaugure et qu’il incarne, on n’a plus besoin de faire des enfants pour survivre ! 

Dans le monde d’après, il n’y a plus ni homme ni femme (ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre cf. Ga 3,28), alors à quoi sert de se marier, puisque la différence homme-femme n’est que pour ce monde-ci ? Après la résurrection de Jésus, Paul poursuivra ce raisonnement, en étant persuadé que le retour du Christ est pour demain. « Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1Co 7,29-31).

Si on avait pris au sérieux l’affirmation eschatologique de Paul, on aurait dû abolir l’esclavage beaucoup plus tôt ! Puisqu’il n’y a ni esclave ni homme libre en Christ, on devrait en tirer toutes les conséquences sociales sans atteindre la fin de ce monde !

Ajoutons au passage que les Églises ne sont pas allées jusqu’au bout, à part les protestants, de ce raisonnement eschatologique : s’il n’y a plus la différence homme-femme dans le monde à venir, alors il faudrait en témoigner dès maintenant dans la vie de l’Église, en l’anticipant, en répartissant les ministères, les responsabilités et rôles divers à égalité entre hommes et femmes, puisque cette distinction n’existe pas dans le Royaume de Dieu que l’Église a charge d’anticiper !

Si la fin des temps est pour très bientôt, mieux vaut donc se préparer et ne pas gaspiller le temps qui reste à amasser des fortunes, à se marier ou avoir des enfants.

On le voit : la position de Jésus ou de Paul n’est pas du tout anti-nataliste.

Elle relève de l’anticipation eschatologique. Il s’agit de manifester dès maintenant en ce monde notre espérance en la résurrection qui vient. Évidemment, avec les siècles, on s’est très vite aperçu que cette seconde venue du Christ ne serait pas pour tout de suite… Pierre était déjà obligé de trouver des raisons au retard apparent de cette venue : « Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion » (2P 3,9)…

Alors, au lieu de se préparer à l’ultime, on s’est installé dans l’éphémère, et le langage nataliste de co-création de la vie a pris le pas en Église sur l’attestation d’un autre monde.

Pourtant, on a gardé le célibat de quelques-un(e)s comme un signe de l’espérance d’aimer et de donner la vie autrement dans l’au-delà de ce monde. Comme un avertissement de ne pas trop s’installer, car nous ne sommes que de passage. L’Occident fait de ce célibat une obligation pour les prêtres alors que les Églises orientales ont gardé la plus ancienne tradition d’un double clergé marié et célibataire, selon le choix de chacun. Les prêtres catholiques mariés au Liban (maronites) et en Grèce (melkites) rappellent que le célibat ne s’impose pas, mais garde toute sa valeur comme libre attestation prophétique du monde de la résurrection.

 

Le fondement du célibat est donc essentiellement eschatologique.

Vatican II a réaffirmé cet ancrage eschatologique du célibat dans l’Église :

La chasteté « pour le royaume des cieux » Mt 19,12, dont les religieux font profession, doit être regardée comme un grand don de la grâce. Elle libère singulièrement le cœur de l’homme 1Co 7,32-35 pour qu’il brûle de l’amour de Dieu et de tous les hommes; c’est 31GKjJPiNUL Ginkpourquoi elle est un signe particulier des biens célestes, ainsi qu’un moyen très efficace pour les religieux de se consacrer sans réserve au service divin et aux œuvres de l’apostolat. Ils évoquent ainsi aux yeux de tous les fidèles cette admirable union établie par Dieu et qui doit être pleinement manifestée dans le siècle futur, par laquelle l’Église a le Christ comme unique époux.

Décret Perfectae Caritatis n°12, 1965.

 

Paul VI l’a clairement rappelé :

Le célibat comme signe des biens célestes 

Notre Seigneur et Maître a déclaré  » qu’à la résurrection… on ne prendra ni femme ni mari, mais que tous seront comme les anges de Dieu dans le Ciel  » (Mt 22,30). Au milieu du monde tellement engagé dans les tâches terrestres et si souvent dominé par les convoitises de la chair (cf. 1Jn 3,2), le don précieux et divin de la chasteté parfaite en vue du royaume des cieux constitue précisément  » un signe particulier des biens célestes  » ; il proclame la présence parmi nous des temps derniers de l’histoire du salut (cf. 1Co 7,29-31) et l’avènement d’un monde nouveau. Il anticipe en quelque sorte la consommation du royaume en en affirmant les valeurs suprêmes, qui resplendiront un jour en tous les fils de Dieu. Il constitue donc un témoignage de l’aspiration du Peuple de Dieu vers le but dernier de son pèlerinage terrestre, et une invitation pour tous à lever les yeux vers le ciel, là où le Christ siège à la droite de Dieu, là où notre vie est cachée en Dieu avec le Christ, jusqu’à ce qu’elle se manifeste dans la gloire (Col 3,1-4). 

Paul VI, Encyclique Sacerdotalis caelibatus n°34, 1967).

 

Le célibat consacré n’est pas mépris de la chair comme celui des cathares dans le sud de la France à partir de l’an Mil.

Il n’est pas ascétique comme le célibat des ermites hindous ou des moines bouddhistes.

Il n’est pas militant comme le célibat des révolutionnaires tout donnés à leur cause comme Louise Michel ou Arlette Laguiller (ce qui est fort respectable au demeurant !).

Il n’est pas angoissé comme celui des Ginks, ni individualiste comme celui des childfree.

Il n’est pas pastoral comme on le dit trop souvent pour les prêtres : ce n’est pas pour avoir plus de temps disponible pour leurs ouailles (ce qui ne se vérifie guère…) !

 

9782755001655 mariageVoilà pourquoi le célibat évangélique est largement incompréhensible pour nos contemporains : ne croyant plus guère en l’au-delà, ils voient mal pourquoi se priver aujourd’hui au nom d’un hypothétique lendemain…

Ce mépris est d’autant plus paradoxal que suite au veuvage, aux séparations, aux exigences des études et des carrières professionnelles, le célibat a progressé de façon spectaculaire en Occident. On estime que dans les grandes villes comme Paris ou Lille, un logement sur deux au moins est occupé par une personne seule !

 

Le monde de la Résurrection est notre avenir. Nous pouvons en témoigner, en attestant que les liens de parentalité ne disent pas tout de notre vocation humaine. Le célibat consacré est le témoignage prophétique de notre espérance du monde à venir. Il ne disqualifie en rien la générosité et l’amour parental. Donner la vie reste une magnifique participation à l’élan créateur qui vient de Dieu lui-même (cf. Gn 1,28). 

Apprenons à écouter chez les jeunes générations leurs aspirations légitimes à plus d’épanouissement personnel, à plus de respect de la planète. 

Aidons-les à choisir en conscience d’être parent ou non, libre de toute pression idéologique d’un côté ou de l’autre. 

Et accompagnons-les dans leur choix, quel qu’il soit.

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[1]. Cf. https://www.je-suis-papa.com/10-bonnes-raisons-de-ne-pas-avoir-enfant/
[2]. Cf. également : Moins nombreux, plus heureux : l’urgence écologique de repenser la démographie, ouvrage collectif dirigé par Michel Sourrouille, Ed. Sang de la Terre, Paris, 2014.

[3]. Théophile de Giraud, The Childfree Christ: Antinatalism in early Christianity (Le Christ sans enfants: l’antinatalisme dans le christianisme primitif), Kindle Edition, 2021.

  

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 M 7, 1-2.9-14)

 

Lecture du deuxième livre des Martyrs d’Israël

En ces jours-là, sept frères avaient été arrêtés avec leur mère. À coups de fouet et de nerf de bœuf, le roi Antiocos voulut les contraindre à manger du porc, viande interdite. L’un d’eux se fit leur porte-parole et déclara : « Que cherches-tu à savoir de nous ? Nous sommes prêts à mourir plutôt que de transgresser les lois de nos pères. » Le deuxième frère lui dit, au moment de rendre le dernier soupir : « Tu es un scélérat, toi qui nous arraches à cette vie présente, mais puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle. » Après cela, le troisième fut mis à la torture. Il tendit la langue aussitôt qu’on le lui ordonna et il présenta les mains avec intrépidité, en déclarant avec noblesse : « C’est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois je les méprise, et c’est par lui que j’espère les retrouver. » Le roi et sa suite furent frappés de la grandeur d’âme de ce jeune homme qui comptait pour rien les souffrances. Lorsque celui-ci fut mort, le quatrième frère fut soumis aux mêmes sévices. Sur le point d’expirer, il parla ainsi : « Mieux vaut mourir par la main des hommes, quand on attend la résurrection promise par Dieu, tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie. »

 

PSAUME
(Ps 16 (17), 1ab.3ab, 5-6, 8.15)

R/ Au réveil, je me rassasierai de ton visage, Seigneur. (Ps 16, 15b)

 

Seigneur, écoute la justice !
Entends ma plainte, accueille ma prière.
Tu sondes mon cœur, tu me visites la nuit,
tu m’éprouves, sans rien trouver.

 

J’ai tenu mes pas sur tes traces,
jamais mon pied n’a trébuché.
Je t’appelle, toi, le Dieu qui répond :
écoute-moi, entends ce que je dis.

 

Garde-moi comme la prunelle de l’œil ;
à l’ombre de tes ailes, cache-moi,
Et moi, par ta justice, je verrai ta face :
au réveil, je me rassasierai de ton visage.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Que le Seigneur vous affermisse « en tout ce que vous pouvez faire et dire de bien » (2 Th 2, 16 – 3, 5)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Frères, que notre Seigneur Jésus Christ lui-même, et Dieu notre Père qui nous a aimés et nous a pour toujours donné réconfort et bonne espérance par sa grâce, réconfortent vos cœurs et les affermissent en tout ce que vous pouvez faire et dire de bien. Priez aussi pour nous, frères, afin que la parole du Seigneur poursuive sa course, et que, partout, on lui rende gloire comme chez vous. Priez pour que nous échappions aux gens pervers et mauvais, car tout le monde n’a pas la foi. Le Seigneur, lui, est fidèle : il vous affermira et vous protégera du Mal. Et, dans le Seigneur, nous avons toute confiance en vous : vous faites et continuerez à faire ce que nous vous ordonnons. Que le Seigneur conduise vos cœurs dans l’amour de Dieu et l’endurance du Christ.

 

ÉVANGILE

« Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Lc 20, 27-38)
Alléluia. Alléluia. Jésus Christ, le premier-né d’entre les morts, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Alléluia. (Ap 1, 5a.6b)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, quelques sadducéens – ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de résurrection – s’approchèrent de Jésus et l’interrogèrent : « Maître, Moïse nous a prescrit : Si un homme a un frère qui meurt en laissant une épouse mais pas d’enfant, il doit épouser la veuve pour susciter une descendance à son frère. Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; de même le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi. Eh bien, à la résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »
Jésus leur répondit : « Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »
Patrick BRAUD

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1 août 2021

L’antidote absolu, remède d’immortalité

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’antidote absolu, remède d’immortalité

Homélie pour le 19° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
08/08/2021

Cf. également :

Bonne année !
Le peuple des murmures
Le caillou et la barque
Traverser la dépression : le chemin d’Elie
Reprocher pour se rapprocher
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »

L’eucharistie, quel cirque !

Pendant les trois premiers siècles, demander le baptême ou aller à l’assemblée du dimanche était risqué. Une dénonciation, une rafle, quelques légionnaires romains encerclant une communauté rassemblée, et les fauves du cirque se léchaient les babines… Les martyrs chrétiens de ces persécutions nous ont laissé des témoignages bouleversants, notamment sur l’importance de l’eucharistie pour affronter la mort imminente. Ainsi Ignace d’Antioche, troisième évêque de cette ville de l’actuelle Turquie où les disciples reçurent pour la première fois le nom de ‘chrétiens’ (Ac 11,26) : vers 107-110, il marche au supplice, sachant que le cirque de Rome va bientôt résonner des clameurs de la foule fascinée par le massacre, et des rugissements des bêtes transformées en bourreaux, bouchers, nettoyeurs de la fange chrétienne…

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Pour Ignace, l’eucharistie est source d’une force extraordinaire, non-violente et miséricordieuse. Il y trouve le courage d’affronter la condamnation injuste, l’humiliation du cirque, la fin prochaine dans les souffrances physiques infligées par les dents des fauves. Plus encore, il considère que la mort a déjà perdu la partie, malgré l’assassinat légal tout proche, à cause de la présence de vie que l’eucharistie lui procure :
« Vous vous réunissez dans une même foi, et en Jésus-Christ « de la race de David selon la chair » (Rm 1,3), fils de l’homme et fils de Dieu, pour obéir à l’évêque et au presbyterium, dans une concorde sans tiraillements, rompant un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ pour toujours » (Lettre d’Ignace d’Antioche aux Éphésiens).

Antidote, remède d’immortalité : les mots d’Ignace d’Antioche font écho à ceux de Jésus dans notre Évangile de ce dimanche (Jn 6, 41-51) : « le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde ».

Pour Jésus, faire eucharistie c’est se livrer corps et âme par amour, pour que l’autre vive, fut-il le pire des bourreaux. Nourrir la foule, c’est lui distribuer le pain de la Parole et devenir soi-même pain rompu pour la vie du monde.

Ignace d'AntiocheEn écrivant aux chrétiens de Rome qui vont le voir périr dans l’arène, Ignace fait le parallèle entre son supplice à venir et l’eucharistie plus forte que la mort :
« Moi, j’écris à toutes les Églises, et je mande à tous que moi c’est de bon cœur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous vous ne m’en empêchez pas. Je vous en supplie, n’ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ. Flattez plutôt les bêtes, pour qu’elles soient mon tombeau, et qu’elles ne laissent rien de mon corps, pour que, dans mon dernier sommeil, je ne sois à charge à personne. C’est alors que je serai vraiment disciple de Jésus-Christ, quand le monde ne verra même plus mon corps. Implorez le Christ pour moi, pour que, par l’instrument des bêtes, je sois une victime offerte à Dieu » (Lettre d’Ignace d’Antioche aux Romains).

Voilà pourquoi on cherchait toujours à enchâsser une petite relique d’un martyr dans le nouvel autel à consacrer dans une église : pour rappeler que la véritable eucharistie est de faire de sa vie une offrande d’amour, gratuitement, jusqu’à se donner entièrement soi-même s’il le faut.

Un peu après Ignace, Irénée de Lyon attestera lui aussi que la communion eucharistique est remède d’immortalité : « De même que le pain terrestre, après avoir reçu l’invocation de Dieu, n’est plus du pain ordinaire mais Eucharistie, de même nos corps qui participent à l’Eucharistie ne sont plus corruptibles puisqu’ils ont l’espérance de la résurrection » (Adversus haereses 4,18).

 

Mourir à chaque messe

Jean-Marie Vianney, curé d'Ars, montrant ç un enfant le chemin du cielL’eucharistie et la mort sont tellement liées ! On se souvient du mot du curé d’Ars : « si on savait ce qu’est la messe, on en mourrait ». Et c’est vrai que chaque eucharistie est une petite mort, transition déjà accomplie vers la vie éternelle. « Nul ne peut voir Dieu sans mourir », affirme la Torah (Ex 33,20). Or en chaque eucharistie, Dieu se laisse voir, sacramentellement, et nous fait ainsi passer dans une autre façon de penser, d’agir, d’aimer, ce qui nous demande de mourir à nos anciennes manières de faire. Lorsque Jésus nous promet que « celui qui mangera de ce pain ne mourra jamais », nous savons bien qu’il ne parle pas de la mort physique - la première mort – mais de l’autre mort – la seconde – bien plus redoutable (cf. « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises. Le vainqueur ne pourra être atteint par la seconde mort » Ap 2, 11). Nous pourrions presque renverser le programme que Montaigne fixait à la philosophie : « que philosopher c’est apprendre à mourir », en affirmant simplement : communier, c’est apprendre à vivre, d’une vie plus forte que ce que nous en voyons matériellement.

Associés à la Passion du Christ dont nous faisons mémoire en chaque célébration, nous mourons avec lui pour ressusciter avec lui, dès maintenant. L’Évangile de Jean le fait dire non sans humour à Thomas : « allons mourir avec lui ! » (Jn 11, 16). Dès maintenant nous avons part à sa mort-résurrection, dès maintenant et pas seulement à la fin des temps ! La vie éternelle est déjà commencée en chaque eucharistie…

 

Souviens-toi de ton futur

Souviens-toi de ton futurLes rabbins aimaient déjà rappeler à Israël que c’est le futur qui est déterminant, pas le passé. Le présent n’est jamais pour la Torah que l’irruption eschatologique de l’intervention de Dieu dans l’histoire, pour nous conformer à notre vocation ultime : être un peuple de fils et de filles, vivant dans l’Alliance avec Dieu et entre nous. « Souviens-toi de ton futur » : cette maxime rabbinique trouve un accomplissement, une plénitude extraordinaire dans l’eucharistie de Jésus. L’Église est un peuple d’appelés, dont la vocation est de vivre la communion d’amour même qui unit le Père et le Fils dans l’Esprit. « Devenir participants de la nature divine » (2P 1,4) est à ce titre la raison profonde de toute l’action sacramentelle.

Nous ne venons pas à la messe offrir notre passé, mais recevoir notre avenir : devenir Dieu. En communiant, nous n’assimilons pas le Christ, au contraire : nous le laissons nous assimiler à lui, faire de nous son corps, pour devenir par lui avec lui et en lui une vivante offrande à la louange de la gloire de Dieu le Père (prière eucharistique n° 3). Saint Augustin avait bien compris que c’est de l’avenir que nous vient notre dignité, et que c’est notre union au Ressuscité qui nous transforme peu à peu, irréversiblement, en Celui avec qui nous sommes appelés à ne plus faire qu’un. Dans ses Confessions, il fait dire au Christ : « Je suis la nourriture des forts : grandis et tu me mangeras. Tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ton corps, c’est toi qui seras changé en moi ». C’est bien Lui qui aimante notre histoire, et nous attire en Dieu-Trinité.

 

La communion des temps

Il s’opère donc dans l’eucharistie une inversion des temps dont l’enjeu est la transformation de notre présent, pour toujours. En écho à la communion des saints du Credo, la célébration de la messe accomplit une communion des temps où chacun reçoit de quoi anticiper la façon de vivre qui est celle du Christ : sa vie devient nôtre, par anticipation, pour toujours.

Le temps liturgique n’est pas fermé, mais ouvert, au sens mathématique du terme : il ouvre le temps humain sur une limite qui n’appartient pas au temps humain.
En chaque eucharistie, nous fêtons un évènement qui n’est pas encore arrivé : la venue du Christ dans la gloire (cf. l’anamnèse) ! Nous nous souvenons de notre avenir, pour qu’il transforme notre présent, en s’appuyant sur le passé où tout s’est joué.
Le temps eucharistique n’est donc pas un temps linéaire, ni un temps cyclique.
La liturgie opère une « communion des temps » très originale.
En racontant ce qui s’est passé avec Israël ou Jésus, elle nous rend contemporains des « merveilles » de Dieu accomplies pour son peuple. En faisant ainsi mémoire, l’Église s’ouvre à l’avenir, à l’ad-venir de Dieu, elle s’ouvre à tous les possibles de l’Histoire. Elle proclame que c’est la fin qui informe le présent et non l’inverse ; c’est le terme de l’histoire qui transforme l’aujourd’hui, selon la très belle intuition du sage : « Hâte le temps, rappelle-toi le terme, et que soient racontées tes merveilles ! » (Si 36, 7).

L’eucharistie contient toute une philosophie du temps, irréductible aux autres philosophies humaines.
Les civilisations traditionnelles croient qu’il y a eu un âge d’or auquel il faudrait revenir pour retrouver l’harmonie primordiale (in illo tempore = en ce temps-là) : un temps cyclique.
La civilisation moderne des Lumières et du Progrès industriel croit que le temps est linéaire, et que le progrès permet d’aller toujours de l’avant. Ce mythe du Progrès a nourri aussi bien le marxisme que la recherche scientifique et les Trente Glorieuses…
Les catastrophistes actuels, collapsologues écologistes ou nihilistes, nous prédisent un temps d’effondrement qui nous conduit à la perte de l’homme dans l’univers.

Les chrétiens quant à eux reçoivent de leur liturgie une philosophie du temps qui ne ressemble à aucune autre. On pourrait l’appeler « la communion des temps » en référence à la communion des saints qui est à l’œuvre dans la communion eucharistique. Raconter le passé, en faire mémoire, permet de s’ouvrir à l’avenir ouvert dans la Résurrection de Jésus, et cet avenir reflue dès maintenant sur notre présent pour le transformer à l’image de ce qu’il sera un jour en plénitude, lorsque le Christ viendra, Roi de gloire, tout récapituler en lui.

Dans l’eucharistie, nous faisons mémoire de la Passion du Christ, nous rendant ainsi contemporains de sa Pâque qui nous ouvre à l’avenir en Dieu qui nous attend.

On peut risquer la schématisation suivante :

Communion des temps 

Quelques petites conséquences au passage de cette conception du temps :

- Nous ne sommes pas surdéterminés par notre passé. C’est notre avenir qui nous transforme : « Soyez ce que vous voyez (sur l’autel eucharistique), et recevez ce que vous êtes » (St Augustin). Le passé ne suffit pas pour guérir de ses blessures : l’ouverture à l’avenir compte encore plus.
- L’espérance est le moteur qui maintient notre vie ouverte sur l’avenir. Sans l’espérance, ni la foi ni la charité ne peuvent tenir.
- Si le temps humain est ouvert sur la venue du Christ, alors notre société doit devenir une société ouverte, et non fermée, ainsi que nos familles, nos paroisses.

Communier change notre rapport au temps, et l’agrandit à la mesure de notre immense espérance : la venue du Christ, Roi de gloire, à la plénitude des temps…
Communier nous repose la question de notre rapport au temps : quelle est notre philosophie du temps qui passe ? Vivons-nous dans la mémoire et le souvenir ? ou tendus vers les buts que nous nous sommes fixés ? ou goûtons-nous le présent sans penser à autre chose ?
Ni cyclique quoique mémoriel, ni linéaire quoique eschatologique, le temps liturgique nous invite à nous recevoir du futur promis, afin de transformer le présent à son image, appuyés sur ce que Dieu a déjà réalisé dans le passé pour nous.

Prenons le temps de méditer sur le temps à la lumière de l’eucharistie !
- Ne pas sacraliser le passé avec nostalgie, mais y relire l’action de Dieu qui a commencé en nous. Car comme dit le psaume, Dieu n’arrêtera pas l’œuvre de ses mains.
- Ne pas construire l’avenir, mais l’accueillir comme une promesse que Dieu va réaliser pour nous, avec nous. C’est là sans doute le point le plus difficile pour l’Occident : se laisser façonner par l’avenir qui reflue au-devant de nous, au lieu de croire que nous pouvons comme des dieux fabriquer notre destinée tout seuls.
- Ne pas éviter le présent, mais l’habiter comme ouvert à tous les possibles qu’il nous faut nous orienter vers la fin, l’accomplissement de l’histoire.

Il y a bien une idolâtrie païenne du temps dont l’eucharistie nous délivre.
Plus que jamais, les chrétiens sont des dissidents temporels : ils ne s’affolent pas avec le temps médiatique, ils ne s’engloutissent pas dans le court-terme du temps financier ou de la consommation, ils résistent aux futurs idéologiques construits par les hommes contre eux-mêmes.

Ils se tiennent, libres et indéterminés, sur la ligne de crête eucharistique qui unit l’avenir et le passé en un présent d’une intensité redoublée.

 

Tout voir à partir de Dieu

quid hoc ad aeternitatem : voir les choses d'un autre point de vue, à partir de la finCette notion d’anticipation eschatologique, dont l’eucharistie est source et sommet, nous permet dès lors de ne plus voir les choses et les gens à la manière purement humaine. Comme un drone révèle tout à coup l’ordonnancement des géoglyphes sur le sol du désert chilien d’Atacama en prenant de la hauteur, la communion eucharistique nous donne de lire les lignes de force que Dieu dessine dans notre histoire personnelle et collective.

Une abbesse à qui ses sœurs venaient se plaindre des multiples mesquineries ordinaires de la vie monastique les invitaient à changer de point de vue : ‘quid hoc ad aeternitatem ?’ Qu’est-ce que cela par rapport à l’éternité ? Et si vous vous placez du côté de l’éternité, à partir d’elle, cela donne quoi ?

Voir les choses à partir de Dieu permet de relativiser l’anecdotique et de goûter l’essentiel, de déchiffrer le fatras de l’histoire, de laisser notre vocation nous transformer en celui/celle que nous sommes appelés à devenir ultimement.

Grâce à l’eucharistie, nous ne voyons plus les choses ni les gens tels qu‘ils sont actuellement, mais tels qu’ils seront en Dieu, de façon ultime, en plénitude. Voilà pourquoi nous ne désespérons de personne, jusqu’à son souffle final.

Bien des virus contaminent notre existence ; bien des poisons polluent notre nourriture physique et spirituelle. Voir dans l’eucharistie l’antidote absolu aux poisons anti-évangéliques nous permet d’y puiser le courage du martyre. Croire que le pain eucharistique est remède d’immortalité nous ouvre à une vie plus intense, dès maintenant, à jamais.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Fortifié par cette nourriture, il marcha jusqu’à la montagne de Dieu » (1 R 19, 4-8)

Lecture du premier livre des Rois

En ces jours-là, le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! » Il regarda, et il y avait près de sa tête une galette cuite sur des pierres brûlantes et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit. Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.

 

PSAUME
(Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7, 8-9)

R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (Ps 33, 9a)

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Magnifiez avec moi le Seigneur,
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond :
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.

L’ange du Seigneur campe alentour
pour libérer ceux qui le craignent.
Goûtez et voyez : le Seigneur est bon !
Heureux qui trouve en lui son refuge !

 

DEUXIÈME LECTURE
« Vivez dans l’amour, comme le Christ » (Ep 4, 30 – 5, 2)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, n’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau en vue du jour de votre délivrance. Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes, tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur.

 

ÉVANGILE
« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel » (Jn 6, 41-51)
Alléluia. Alléluia.Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. » Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : ‘Je suis descendu du ciel’ ? » Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi. Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père. Amen, amen, je vous le dis : il a la vie éternelle, celui qui croit. Moi, je suis le pain de la vie. Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
.Patrick Braud

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