L'homélie du dimanche (prochain)

16 mars 2025

Quatre lettres qui changèrent le monde

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quatre lettres qui changèrent le monde

 

Homélie pour le 3° Dimanche de Carême / Année C
23/03/25


Cf. également :
Dieu au détour

Le malheur innocent

Les multiples interprétations symboliques du buisson ardent

Les résistances de Moïse… et les nôtres

 

Les catholiques ne s’en sont guère aperçus, mais depuis 2008 une petite révolution liturgique s’est opérée dans les textes. En effet, la Congrégation Quatre lettres qui changèrent le monde dans Communauté spirituelleromaine pour le culte divin publiait une directive sur le « Nom de Dieu », demandant expressément à toutes les conférences épiscopales de faire disparaître la transcription Yahvé de la liturgie catholique, par respect de l’usage de la communauté juive qui s’interdit de prononcer le nom YHWH révélé à Moïse dans notre première lecture (Ex 3,1-15) [1]. Elle demandait de substituer Dominus à YHWH, ce qui se traduit en français par : Seigneur. « L’omission de la prononciation du tétragramme du nom de Dieu de la part de l’Église a donc sa raison d’être. En plus d’un motif d’ordre purement philologique, il y a aussi celui de demeurer fidèle à la tradition ecclésiale, puisque le tétragramme sacré n’a jamais été prononcé dans le contexte chrétien, ni traduit dans aucune des langues dans lesquelles on a traduit la Bible ». Benoît XVI donnait aussitôt l’exemple : dans son livre sur Jésus de Nazareth (tome 2, 2011), il écrivit le Tétragramme YHWH sans y mettre aucune voyelle.

 

Un nom de 4 lettres – 4 consonnes – qui s’écrivent mais ne se prononcent pas… 

Quel peut donc être le sens de cette énigme pour nous aujourd’hui ?

Tout dépend de la traduction que l’on fait de ces 4 lettres, qui se rapportent au verbe être en hébreu.

 

1. « Je suis Celui qui est »

Le nom YHWH (יהוה), connu comme le Tétragramme, provient de l’hébreu biblique. Il est dérivé de la racine הוה (h-w-h) ou היה (h-y-h), qui signifie « être ». Selon Ex 3,14, il est lié à l’expression Ehyeh Asher Ehyeh, que l’on peut traduire par « Je suis Celui qui est » (d’autres traductions sont possibles, cf. infra).

L'être et l'essence, le vocabulaire médiéval de l'ontologie Cette traduction affirme en creux que les autres divinités ne sont pas, n’existent pas réellement. La longue et difficile émergence du monothéisme est d’abord passée par une disqualification des autres divinités adorées parmi les Cananéens, les Hittites, les Philistins, les Sumériens, les Assyriens, les Babyloniens, les Égyptiens etc. : Mardouk, Baal, Astarté, Horus, Amon-Râ… Il y avait bien eu un pharaon ‘impie’, Akhénaton (ex Amenothep IV), qui au XIV° siècle avant J.-C. avait tenté d’instaurer le culte d’Aton ‑ le disque solaire ‑ comme Dieu unique. Sa réforme religieuse n’avait pas séduit le peuple, et les Égyptiens enterrèrent le culte solaire avec leur pharaon sacrilège, pour revenir à leurs divinités multiples. Il y avait eu également Zoroastre en Iran, le zoroastrisme s’étendant du X° siècle au VI° siècle avant J.-C. environ, qui avait élaboré une forme de monothéisme centrée sur Ahura Mazda, le dieu de la sagesse et de la lumière. Sa conception dualiste du bien et du mal affaiblissait cependant l’unicité divine. Mais l’influence du zoroastrisme a pu s’étendre jusqu’en Israël.

Chez les Hébreux, la transition vers un monothéisme strict s’est réalisée progressivement, probablement entre le XIII° et le VI° siècle avant J.-C. [2]. Les textes bibliques et l’archéologie montrent des traces de polythéisme et de monolâtrie (culte exclusif d’un dieu tout en reconnaissant l’existence d’autres dieux), avant l’affirmation du monothéisme pur.

 

Le nom divin biblique Élohim, qui est un pluriel du nom générique EL (Dieu), est le témoin de la persistance du polythéisme en Israël, de même que le pluriel de majesté employé lorsque Dieu est supposé dire Nous et parler au pluriel (exemple : « Faisons l’homme à notre image » Gn 1,26), comme le fait régulièrement le Coran.. Cette persistance montre que les idoles résistent, toujours et encore…

L’Ancien Testament commence par montrer que YHWH est plus fort que les idoles païennes (victoires militaires, libération d’Égypte, prodiges…), puis ridiculise les cultes idolâtriques où les fidèles se prosternent devant des bouts de bois ou de métal qu’ils ont eux-mêmes taillés et fabriqués. Tous ces faux dieux ne sont qu’« ouvrages de mains humaines », c’est-à-dire des projections de notre désir inconscient attribuant à ces faux dieux des pouvoirs imaginaires, tels les supers héros de Marvel sortis de l’imagination de Stan Lee et autres  comics… « Leurs idoles : or et argent, ouvrages de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n’entendent pas, des narines et ne sentent pas. Leurs mains ne peuvent toucher, leurs pieds ne peuvent marcher, pas un son ne sort de leur gosier ! » (Ps 114,4-8).

Démasquer l’inanité et l’inexistence des idoles modernes est toujours la tâche des héritiers de Moïse que nous sommes, que ce soit les idoles du marché financier, des idéologies totalitaires, des superstitions magiques etc.

 

« Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : JE-SUIS’ » : la pensée occidentale a exploré cette révélation de Dieu comme l’ÊTRE suprême, la source de l’être. La métaphysique de Thomas d’Aquin repose largement sur une philosophie de l’être (ontologie) mariant Moïse et Aristote, la relation et la substance. Synthèse admirable qui pendant des siècles a structuré la théologie et la pratique des catholiques. 

 

2. « Je suis qui je suis »

En traduisant YHWH ainsi, on insiste sur l’impossibilité pour l’homme de mettre la main sur l’identité profonde de YHWH. Il est l’Inconnaissable, celui qui échappe sans cesse à nos concepts, nos définitions. Seul Dieu parle bien de Dieu, et tout ce que l’homme pourra en balbutier est très loin de la réalité divine ! 

610RV9w7YpL._SL1051_ Carême dans Communauté spirituelle« Je suis qui je suis » : cette tautologie est également l’affirmation d’une radicale altérité Dieu–homme, d’une grandeur telle que l’homme ne peut la concevoir. Un peu comme la célèbre formule du général De Gaulle : « la France, c’est la France ! », qui produisait sur son auditoire un effet de grandeur et d’absolu. 

YHWH est, par lui-même, sans aucun rapport avec le peu que l’homme en saisit.

On rejoint par-là la tradition de la « docte ignorance » prônée par tant de mystiques : ignorer qui est Dieu est plus grand que croire le connaître. Le véritable savoir sur Dieu culmine dans le non-savoir, voire le silence (théologie apophatique). « Si tu comprends, ce n’est pas Dieu » répétait inlassablement Saint Augustin…

 

Laisser à YHWH sa part de mystère, d’inconnaissance est l’héritage de ceux qui comme Moïse enlèvent leurs sandales et se prosternent devant Celui qui les dépasse.

Or beaucoup prétendent sonder les profondeurs divines, et s’autoproclament interprètes exclusifs de sa volonté (cf. les Mormons, les Témoins de Jéhovah etc.). La charia islamique prétend enfermer l’obéissance à Dieu dans un code juridique (répressif et daté !). Les Églises chrétiennes ont trop souvent voulu régenter le quotidien de leurs fidèles au nom de leur « savoir » sur Dieu.

Mais, comme l’écrivait Maurice Clavel en son temps avec colère et humour : « Dieu est Dieu, nom de Dieu ! » Laissez-le exister tel qu’il est, et non tel que vous voudriez le modeler. Le Nom de Dieu – YHWH – rappelle à tous les apprentis sorciers qu’ils ne peuvent mettre la main sur lui. Ce qui devrait nous inciter à dénoncer inlassablement toute instrumentalisation du Nom de Dieu dans nos guerres, nos systèmes politiques, nos réussites ou nos échecs. « Gott mit uns » est l’anti-YHWH par excellence ! Annexer Dieu sur une boucle de ceinturon, un drapeau, un billet de banque ou une devise étatique, c’est le trahir, le réduire à une idole fabriquée pour servir nos intérêts…

 

Comment puis-je laisser Dieu être Dieu dans ma vie ?

 

3. « Je suis qui je serai »

Le chemin est le but par TrungpaCette autre traduction a le mérite de lier le présent au futur, pour Dieu comme pour l’homme. C’est comme si YHWH disait à Moïse : « tu verras bien en cours de route qui je suis. Marche, avance, guide ton peuple à travers le désert, et tu découvriras peu à peu Celui qui te porte comme sur les ailes de l’aigle« .

L’intérêt de cette traduction est multiple. Elle se situe d’emblée Dieu dans la relation avec Moïse, le peuple, et non dans l’Être (la substance). Elle privilégie l’histoire à l’éternité. Elle annonce l’Alliance par laquelle Moïse et le peuple (puis Jésus et l’Église) vont entrer dans une intimité de plus en plus grande avec Dieu. En même temps, elle réaffirme l’impossibilité humaine de savoir à l’avance comment Dieu va se manifester. C’est en marchant avec YHWH qu’on apprend à le connaître, ou du moins découvrir combien il est plus grand que nous. Ce qui là encore interdit l’instrumentalisation du Nom de Dieu : tu ne peux pas dire à l’avance où YHWH va te conduire. Seul le cheminement avec lui le révélera. N’essaie pas de l’amener là où tu veux, laisse-toi conduire par lui.

 

Accepter de ne pas savoir à l’avance, tout en se mettant en route : YHWH est celui qui permet l’histoire, l’alliance, le compagnonnage, le respect absolu de l’altérité divine.

 

Comment nourrir en moi cette confiance dans le chemin plus que dans le but ?

 

4. YHWH l’Imprononçable

La dernière traduction de YHWH n’en est pas une ! Elle consiste justement à s’interdire de traduire, car ce serait réduire Dieu à ce que je comprends de lui. Le peuple juif s’interdit même de prononcer ce Nom. Pas seulement parce qu’on ne sait plus quelles voyelles on a pu utiliser autrefois pour vocaliser ce texte qui ne comportait que des consonnes. Bien davantage parce que nommer quelqu’un, c’est déjà avoir un pouvoir sur lui, une forme de domination. Ainsi quand Adam nomme les animaux à l’invitation de YHWH (Gn 2,19-20), il exprime sa grandeur, sa seigneurie sur toute la création, sa différence. Ce que YHWH avait fait en nommant la terre, le ciel, les cieux, les astres lors de la genèse de l’univers.

 

Nommer quelqu’un, c’est affirmer un pouvoir sur lui ! Or YHWH par nature échappe à la maîtrise humaine. Prononcer son nom serait le convoquer, l’utiliser, l’asservir, l’enfermer dans des mots. C’est pourquoi traduire YHWH par YaHWeH (ou pire par Jéhovah) serait un « blasphème ». Dieu est plus grand que ce que la voix humaine peut en dire.

 

L’illéité divine : trace et éthique (Emmanuel Lévinas)

Un (trop) rapide détour par l’immense philosophe juif Emmanuel Lévinas (1906-1995) peut nous aider à traduire en termes contemporains ce que la transcendance du Tétragramme imprononçable peut signifier aujourd’hui.

 

 Levinas« Je vais vous conter un trait singulier de la mystique juive. Dans certaines prières très anciennes, fixées par d’antiques autorités, le fidèle commence par dire à Dieu « tu » et finit la proposition commencée en disant « il », comme si, au cours de cette approche du « toi » survenait sa transcendance en « il ». C’est ce que j’ai appelé, dans mes descriptions, l’ »illéité » de l’Infini [3] ». 

Parler de Dieu à la troisième personne – ‘il’– c’est le reconnaître à la fois absent (sinon, ce serait ‘tu’) et pourtant proche. Un peu comme le buisson ardent manifeste que Dieu est invisible et que pourtant il m’appelle. Dieu ne se voile ni ne se dévoile : il nous appelle à marcher avec lui.

« Le Dieu biblique ne se laisse pas enfermer dans une image ou une idée. Il est l’absolument Autre, celui qui ne peut être réduit à une totalité ». Dans Difficile liberté, Lévinas écrit : « Le Dieu biblique ne se manifeste pas dans une théophanie ; il ne s’offre pas à la contemplation mais à l’écoute. »

 

Moïse fera l’expérience qu’on ne peut voir YHWH de face, mais seulement de dos, après son passage : « YHWH dit encore : “Tu ne pourras pas voir mon visage, car un être humain ne peut pas me voir et rester en vie.” Le Seigneur dit enfin : “Voici une place près de moi, tu te tiendras sur le rocher ; quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher et je t’abriterai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. Puis je retirerai ma main, et tu me verras de dos, mais mon visage, personne ne peut le voir” » (Ex 33,20–23). 

D’où l’idée de Lévinas de parler de trace pour évoquer le passage de YHWH dans nos vies : il passe « de dos », mais nous pouvons discerner la trace de son passage. 

 

Comment ? Essentiellement pour Lévinas à travers le visage d’autrui :

« L’illéité est la manière dont l’infini se signale dans le visage, non comme une présence, mais comme une trace. La trace ne signifie pas l’absence d’un être, mais l’au-delà de l’être ».

En résumé, l’illéité chez Lévinas désigne la dimension absolument autre de l’autre, son irréductibilité à la totalité et à la compréhension. Elle est une trace de l’infini, qui appelle à une responsabilité éthique infinie. Ce concept est central pour comprendre la pensée de Lévinas, qui place l’éthique comme philosophie première, avant toute ontologie ou épistémologie.

Dieu ne se mélange pas au monde, mais laisse une trace qui interpelle l’homme. Cette trace se manifeste dans le visage d’autrui, qui est porteur de l’exigence divine.

« Le nom de Dieu est une trace, non une présence. Il est ce qui passe sans se laisser saisir, ce qui appelle sans se montrer ».

« La trace signe le retrait de celui qui se manifeste dans son évasion, qui se retire dans sa gloire en laissant une trace de son passage. »

 

Le concept d’illéité s’applique bien au Dieu juif YHWH, car il exprime une vision de Dieu comme transcendance radicale, insaisissable et irreprésentable, mais qui se manifeste dans l’éthique et la responsabilité envers autrui. YHWH, tel que présenté dans la Bible et les commentaires talmudiques, correspond pleinement à cette idée d’un Dieu qui « se dérobe » à l’intellect humain tout en interpellant l’homme par une exigence éthique infinie. Cela fait de Lévinas un penseur profondément enraciné dans la tradition juive, tout en proposant une philosophie universelle de la transcendance et de la responsabilité.

 

Quelles sont les traces du passage de YHWH dans ma vie ? 

À quels engagements éthiques l’écoute de YHWH m’appelle-t-elle ?

 

La transcendance comme donation et pur amour (Jean-Luc Marion)

Le philosophe chrétien Jean-Luc Marion (académicien, né en 1946) a lui aussi exploré les traductions contemporaines du Tétragramme, au-delà de toute spéculation sur l’être.

51UDDaplCRL._SL1500_ Marion« Dieu ne doit pas être pensé comme un étant, même suprême, mais comme ce qui excède toute ontologie » [4].

Marion met l’accent sur la manifestation de Dieu dans les expériences qu’il qualifie de « saturées », c’est-à-dire remplies d’un excès qui nous bouleverse (la beauté, l’amour humain, l’art, la création intellectuelle, scientifique, technique etc.). Loin d’être une pure absence, Dieu est pour Marion une pure donation, l’acte de se communiquer à l’homme librement, gracieusement, entièrement.

« Dieu se donne sans se laisser enfermer dans les catégories de l’être. Il est l’excès même, la surabondance de la donation ».

Chez Levinas, c’est le visage d’autrui qui est la trace de l’infini passant dans nos vies, et qui nous appelle à la responsabilité éthique. Chez Marion, c’est l’icône (et tout ce qui peut jouer ce rôle iconique) qui porte la révélation divine.

L’icône, contrairement à l’idole, ne cherche pas à capturer ou à représenter Dieu, mais à ouvrir une relation où Dieu se donne à voir sans être réduit à une image.

« L’icône ne représente pas Dieu, mais elle rend possible une rencontre où Dieu se donne à voir dans son excès ».

 

Cette expérience de l’infini se fait dans l’amour et par l’amour

« L’amour est ce qui précède l’être, ce qui le fonde et l’excède. Dieu est amour avant d’être être ». 

« La révélation n’est pas une information sur Dieu, mais une donation de soi qui excède toute compréhension ».

« Ce qui définit Dieu n’est pas d’être, mais d’aimer et de se donner comme amour ».

« Aimer ne signifie pas seulement recevoir ou donner, mais recevoir pour donner, et ainsi entrer dans la logique de l’excès. L’amour seul ouvre à l’infini ».

 

Quels sont les moments saturés ou quelque chose de l’infini s’est manifesté à moi dans mon parcours ?

Penser YHWH comme donation et pur amour : quelles conséquences pour moi ?

 

Au terme de cette évocation (non exhaustive, et trop limitée !) des différentes interprétations du Tétragramme, revisitez en vous-même les pistes abordées : la transcendance ; la source de l’Être et l’inanité des idoles ; une identité qui est un cheminement ; un appel à faire confiance sans savoir ; un passage qui laisse des traces sur le visage d’autrui et exige une éthique ; une pure donation dont l’icône est l’amour dont nous sommes capables…

 

YHWH : ces 4 lettres changèrent le monde. 

Qu’elles changent aussi notre vie !

_____________________________

[1]. Dans la traduction grecque de la Torah – la Septante (LXX) – le nom hébreu YHWH est toujours traduit par Κύριος (Kyrios) = Seigneur.

[2]. La plus ancienne mention épigraphique connue du Tétragramme est un nom théophore, c’est-à-dire « portant [le nom de] Dieu », daté de 820 av. J.-C. sur la stèle de Tel Dan au nord d’Israël. Une inscription plus explicite, datée de 810 av. J.-C., a été trouvée sur la stèle de Mesha en Jordanie.

[3]. Références principales :
Totalité et infini (1961) : Introduction à l’éthique comme philosophie première et à l’altérité radicale.
Autrement qu’être ou au-delà de l’essence (1974) : Texte fondamental pour comprendre l’illéité et la notion de trace.
Difficile liberté (1963) : Essais qui relient sa philosophie à la tradition juive.

[4]. Références principales :
Dieu sans l’être (1982) : Fondation de la critique de l’ontologie appliquée à Dieu.
Étant donné (1997) : Concept du phénomène saturé et de la donation.
De surcroît (2001) : Approfondissement de la révélation divine comme excès.
Le phénomène érotique (2003) : L’amour comme mode de révélation divine.
Certitudes négatives (2010) : Dieu comme dérobade et certitude excédante.
La croisée du visible (1996) : Excès du visible et analogie avec la transcendance divine.

 

 

LECTURES DE LA MESSE


1ère lecture : « Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : Je-suis » (Ex 3, 1-8a.10.13-15)


Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb. L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! » Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! » Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. Le Seigneur dit : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau et vaste pays, vers un pays, ruisselant de lait et de miel. Maintenant donc, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël. » Moïse répondit à Dieu : « J’irai donc trouver les fils d’Israël, et je leur dirai : ‘Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.’ Ils vont me demander quel est son nom ; que leur répondrai-je ? » Dieu dit à Moïse : « Je suis qui je suis. Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : ‘Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : Je-suis’. » Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : ‘Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est Le Seigneur, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob’. C’est là mon nom pour toujours, c’est par lui que vous ferez mémoire de moi, d’âge en d’âge. »

 

Psaume : Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 6-7, 8.11

R/ Le Seigneur est tendresse et pitié. (Ps 102, 8a)

 

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

 

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

 

Le Seigneur fait œuvre de justice,
il défend le droit des opprimés.
Il révèle ses desseins à Moïse,
aux enfants d’Israël ses hauts faits.

 

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint.

 

2ème lecture : La vie de Moïse avec le peuple au désert, l’Écriture l’a racontée pour nous avertir (1 Co 10, 1-6.10-12)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer que, lors de la sortie d’Égypte, nos pères étaient tous sous la protection de la nuée, et que tous ont passé à travers la mer. Tous, ils ont été unis à Moïse par un baptême dans la nuée et dans la mer ; tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ; tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher, c’était le Christ. Cependant, la plupart n’ont pas su plaire à Dieu : leurs ossements, en effet, jonchèrent le désert. Ces événements devaient nous servir d’exemple, pour nous empêcher de désirer ce qui est mal comme l’ont fait ces gens-là. Cessez de récriminer comme l’ont fait certains d’entre eux : ils ont été exterminés. Ce qui leur est arrivé devait servir d’exemple, et l’Écriture l’a raconté pour nous avertir, nous qui nous trouvons à la fin des temps. Ainsi donc, celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber.

 

Évangile : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (Cl 13, 1-9)

Acclamation : Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
Convertissez-vous, dit le Seigneur, car le royaume des Cieux est tout proche.
Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (Mt 4, 17)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Jésus disait encore cette parabole : « Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas. Il dit alors à son vigneron : ‘Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?’ Mais le vigneron lui répondit : ‘Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.’ »
Patrick BRAUD

 

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6 mars 2025

Ces tentations sont les nôtres

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 4 h 30 min

Ces tentations sont les nôtres

 

Homélie pour le 1° Dimanche de Carême / Année C
09/03/25


Cf. également :

Carême : le détox spirituel
Brûlez vos idoles !
Ne nous laisse pas entrer en tentation
L’île de la tentation
L’homme ne vit pas seulement de pain
Nous ne sommes pas une religion du livre, mais du Verbe
Et plus si affinité…
Une recette cocktail pour nos alliances
Gravity, la nouvelle arche de Noé ?
Poussés par l’Esprit


Jésus au désert : prolepse cinématographique

Ces tentations sont les nôtres dans Communauté spirituelle kelley_mcmorris_biblestoryNous connaissons par cœur ce récit des trois tentations au désert. À chaque début de carême nous le relisons, et nous entendons des commentaires sur le jeûne, la prière ou la pénitence, nos boucliers contre la tentation. Ce n’est déjà pas si mal. Comment aller plus loin ?

Étonnons-nous d’abord d’avoir un tel récit. Jésus était seul au désert. Pas un témoin. Comment Marc et Luc savent-ils ce qui s’y est passé ? Jésus l’aurait raconté aux Douze en détail ? Peu probable. D’autant que le côté hollywoodien de la mise en scène crève l’écran : un jeûne surhumain, des téléportations (sur le toit du temple de Jérusalem ou sur une haute montagne) dignes de Flash Gordon, un Satan qui parle araméen et cite la Bible, et Jésus stoïque qui – tel Œdipe devant le Sphinx – déjoue les trois pièges tendus en citant lui aussi la Bible. Tout cela est trop clinquant pour s’être déroulé exactement ainsi. 

 

 Carême dans Communauté spirituelleCe récit est une construction théologique. Marc et Luc veulent préparer leurs lecteurs à ce qui vient après. Il y a évidemment une part de vérité historique factuelle : Jésus a sans aucun doute séjourné au désert quelque temps, comme son cousin Jean-Baptiste, pour réfléchir à sa mission avant de se lancer sur les routes de Palestine. Il évoquera lui-même plus tard la nécessité de ces temps de préparation avant l’action : « Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? » (Lc 14,28)

Peut-être même est-il allé faire un tour du côté de la communauté essénienne de Qumran, en haut de la petite montagne dominant la Mer Morte ? Un peu comme une retraite au monastère de la Grande Chartreuse aujourd’hui…


Pour montrer ce que cette préparation spirituelle a produit en Jésus, Marc et Luc utilisent  un procédé qui ressemble à une technique cinématographique bien connue : la prolepse (pro-lapsus = saut en avant). C’est un peu le contraire du flash-back : le spectateur est informé à l’avance d’un élément qui se déroulera plus tard, dans le futur. Le film Minority Report par exemple joue sans cesse de ces anticipations, qu’on peut également appeler flash-forward (vs flash-back = saut en arrière). En mettant en scène trois tentations spectaculaires, Marc et Luc font référence à d’autres moments du ministère de Jésus qu’il connaîtra ensuite, qu’ils ont vécus avec lui, où ils l’ont vu mener un combat intérieur intense pour rester fidèle à sa mission.

Notre récit est en quelque sorte une cristallisation a posteriori de toutes les occasions historiques où Jésus a été tenté, classifiées en trois catégories concernant sa fidélité à la Parole, son humilité de Messie crucifié, sa filiation divine.

 

On peut donc faire l’exercice suivant : repérer les situations de la vie du Christ qui relèvent de la tentation n° 1, ou n° 2, ou n° 3. Pour cela, on pourra s’appuyer sur les autres usages du verbe tenter (πειράζω = peirazō en grec) dans les Évangiles, en essayant de voir à laquelle des 3 tentations le passage se rapporte. On pourra alors imaginer, par un procédé symétrique d’anticipation, comment y répondre nous-mêmes lorsque nous les rencontrerons plus tard…

 

Première tentation : me nourrir de quoi ?

Notre époque est à juste titre devenue ultrasensible sur les questions d’alimentation. L’obésité devient un problème de santé publique. L’éthique s’invite sur l’étiquette, pour un commerce équitable. Le Nutriscore est un critère marketing désormais incontournable, à surveiller de près. « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es »…

 

nutri-score-official-labels-vector désertLe jeûne pratiqué par Jésus au désert – qui deviendra le jeûne du carême – est d’abord l’indication symbolique que Jésus est le nouveau Moïse qui va conduire son peuple hors du désert : « Moïse demeura sur le Sinaï avec le Seigneur quarante jours et quarante nuits ; il ne mangea pas de pain et ne but pas d’eau. Sur les tables de pierre, il écrivit les paroles de l’Alliance, les Dix Paroles » (Ex 34,28). 

 

Au-delà de cet accomplissement faisant de Jésus un second Moïse, il y a sûrement l’allusion à une phrase qui a marqué les disciples, après l’épisode de la samaritaine : « Les disciples l’appelaient : “Rabbi, viens manger.” Mais il répondit : “Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas.” Les disciples se disaient entre eux : “Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ?” Jésus leur dit : “Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre » (Jn 4,31–34). 

Voilà l’enjeu spirituel de la première tentation : de quoi est-ce que je me nourris ? 

Des réseaux sociaux avec leurs fake news et leurs vidéos pleines de vide ? Des discours de haine des extrémistes politiques ? À quelles opinions accordé-je du crédit : mes collègues ? mon patron ? la tradition de ma famille ? De quelles lectures je me délecte ? De quelles images ?

La comparaison avec la nourriture ne s’arrête pas là : certains mangent en 5 minutes, seul devant un plateau et un écran ; d’autres avec gloutonnerie ; d’autres sont anorexiques… Sur la table de la sagesse comme de la spiritualité, chacun peut ainsi pratiquer le fast-food ou la gastronomie, l’excès ou le manque, la convivialité ou la solitude.

 

Jésus affirme tranquillement que la Parole est sa vraie nourriture, le désir de Dieu son vrai désir. Que cela peut-il signifier pour moi ? Lire la Parole, la dévorer, la ruminer, la mettre en pratique… Avoir faim d’ajuster ma vie à ce que j’y lis, avoir soif d’y puiser des sources nouvelles d’inspiration pour agir…

Jésus s’est tellement nourri de la Parole qu’il ne supporte pas qu’on la défigure pour accuser une femme adultère : « Dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve (peirazo), afin de pouvoir l’accuser » (Jn 8,5-6). 

Ni pour excuser la faiblesse humaine dans le mariage : « Des pharisiens s’approchèrent de lui pour le mettre à l’épreuve (peirazo) ; ils lui demandèrent : “Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif ?” » (Mt 19,3). 

Ni pour faire de l’argent autre chose qu’un outil fraternel : « On envoya à Jésus des pharisiens et des partisans d’Hérode pour lui tendre un piège (peirazo), en le faisant parler » (Mc 12,13)…

Ni pour dénaturer la Loi en séparant l’amour de Dieu de l’amour de l’homme : « L’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve (peirazo) : quel est le plus grand commandement ? » (Mt 22,35).

Dénaturer la Loi, tordre les textes : voilà la première tentation, récurrente, qui ne cessera de vouloir faire dévier Jésus de son amour de la Parole…

 

Comment ne pas me limiter au pain ordinaire après lequel courent la plupart (nourriture, argent, reconnaissance, pouvoir), mais cultiver en moi d’autres faims (de sens, de gratuité, de profondeur, de générosité…) ?

 

Deuxième tentation : devant qui me prosterner ?

Se prosterner, c’est reconnaître un plus grand que soi, et lui donner sa confiance.

d-cartoon-character-prostrate-white-backgroud-dark-hairs-dressed-like-french-guy-has-pretty-mustache-red-40919240 Jésus« C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte » : le Deutéronome et Jésus jouent aux lanceurs d’alerte pour nous réveiller de nos servitudes volontaires. Attention à qui vous choisissez comme référence ! Attention à qui vous voulez suivre ! Arrêtez d’instrumentaliser Dieu pour votre commerce ou votre bien-être ! 

Jésus sera confronté plusieurs fois à des foules tentées par la servitude volontaire. Elles voudront faire de lui un roi, se prosterner devant lui pour qu’il réalise leur rêve d’indépendance de grandeur : « Mais Jésus savait qu’ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul » (Jn 6,15). Même Pierre lui fera miroiter une messianité plus glorieuse pour essayer de le détourner de l’infamie de la croix : « Mais lui, se retournant, dit à Pierre : “Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.” » (Mt 16,23). Le Satan du désert annonce le Satan-Pierre qui veut éviter la croix… Les pensées des hommes avides de pouvoir et de gloire humaine, comme l’étaient les représentations du Messie courantes à cette époque, ne sont rien d’autre que des tentations « sataniques » : l’interpellation dont Pierre fait l’objet le montre d’une façon évidente. Ainsi la tentation de posséder la puissance et la gloire — non pas venues de son fond propre mais obtenues de l’extérieur — a poursuivi Jésus pendant toute sa vie.

 

Jésus refusera toujours d’être celui devant qui on se prosterne : au contraire, lui se met à genoux devant ses disciples pour leur laver les pieds : « Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert. Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22,25–27). 

Pourtant, il est bien Maître et Seigneur ; il a reçu de son Père la royauté sur toute chose. Mais il ne veut pas l’exercer à la manière des puissants de ce monde. Ce ne sont pas le pouvoir ou la gloire qui sont disqualifiés dans cette deuxième tentation, mais la façon de les obtenir (de Satan ou de Dieu) et de les exercer (domination ou service). Car la gloire nous est promise, reçue de Dieu, qui nous la partage gracieusement. Et nous serons associés à sa puissance, celle de l’amour qui se livre jusqu’au bout pour que l’autre vive.

 

Alors : qui est mon Pygmalion ? devant qui je me prosterne ? 

Quelles sont mes servitudes volontaires ?

 

Troisième tentation : me servir de Dieu ou le servir ?

La pensée magique est de retour en Occident. Nous croyions un peu naïvement que la science et le progrès l’avait disqualifiée depuis le XVIII° siècle. Elle fait son grand retour au travers du complotisme, de la « post-réalité », des fake-news, de l’ésotérisme, des croyances douteuses qui pullulent sur la Toile. Se jeter en bas depuis le toit du Temple de Jérusalem est une provocation à la magie : faire comme si la foi annulait la loi de gravité, comme si l’Écriture dispensait d’étudier la chute des corps, c’est nager dans un monde merveilleux et illusoire où Dieu exaucerait tous nos vœux.

La pensée magique croit qu’avec des rites étranges on obtient des prodiges, que beaucoup de prière apporte la guérison physique, que des forces invisibles régissent le visible, que le secret des initiés conditionne la réussite, que certains voyants, médiums, chamanes et autres sorciers sont capables de transformer la réalité. La complexité croissante de notre monde moderne et l’explosion des pensées ‘alternatives’ rendent crédibles – hélas ! – aux yeux de nos contemporains les plus délirantes théories ! La récente condamnation par Rome [1] des soi-disant ‘révélations’ privées d’une soi-disant voyante – Maria Valtorta – dont les écrits pullulent sur Internet, illustre bien la folie qu’engendre cette soif irrationnelle pour l’irrationnel…

 

Les pharisiens sont tombés dans ce piège de la pensée magique, eux qui réclameront sans cesse à Jésus des signes extraordinaires « venus du ciel » pour démontrer qu’il est bien le Messie : « D’autres, pour le mettre à l’épreuve (peirazo), cherchaient à obtenir de lui un signe venant du ciel » (Lc 11,16 ; Mc 8,11 ; Mt 16,1). « Ils lui dirent alors : Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? » (Jn 6,30). Durant les trois années de sa prédication, Jésus sera sans cesse confronté à cette demande de signes et de prodiges, où sa véritable identité s’imposerait à tous sans contestation grâce à ces démonstrations de force. Jésus s’y dérobera, car il sait que les prodiges nourrissent la crédulité, pas la foi. Il s’y refusera, car il ne confond pas la foi et la magie.

 

Quels sont aujourd’hui les pièges que la pensée magique risque de nous tendre dans les mois à venir, personnellement et collectivement ? De l’homme providentiel à la tireuse de cartes, des coachs-miracles aux écrivains à la mode, de la dernière théorie du management aux articles promus par les influenceurs, quelle pensée magique me séduit et m’asservit ?

 

11b7967fd90324c50214a38e2b08cfe7 prolepseLe pire est que cette pensée magique instrumentalise Dieu au lieu de le servir. Celui qui demande la guérison à Dieu aime la santé plus que Dieu. Même Poutine invoque Dieu pour justifier son invasion de l’Ukraine ! Même Donald Trump fait semblant de croire que Dieu l’a épargné de la balle assassine pour le faire élire ! Se servir du divin pour nos propres intérêts, pour un régime en place, pour légitimer une domination etc. sont des tentations aussi vieilles que l’humanité !

Maître Eckhart notait avec humour :

 » Celui qui aime Dieu en vue de son propre intérêt l’aime comme il aime sa vache…
pour le lait et le fromage qu’elle lui donne…
Ainsi font toutes les personnes qui aiment Dieu pour l’extérieur ou la consolation intérieure…
ils n’aiment pas vraiment Dieu …
mais leur propre avantage… »

(sermon 16b)

Utiliser un culte – à Satan ou à Dieu, peu importe ! – pour obtenir « le pouvoir et la gloire », la santé ou la richesse : voilà une tentation à laquelle chacun sera confronté tôt ou tard. Aimer « pour rien » est le remède à l’amour intéressé :

 » Aime Dieu aussi volontiers dans la pauvreté que dans la richesse,
aime le autant dans la maladie que quand tu es en bonne santé,
aime le autant dans la tentation que sans tentation,
aime le autant dans la souffrance que sans souffrance ».
(Maître Eckhart, sermon 30)

 

L’ultime tentation de démonstration magique sera adressée à Jésus sur la croix : « Toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es Fils de Dieu, et descends de la croix ! » (Mt 27,40). On croirait entendre Satan au désert : « jette-toi en bas », le sommet de la Croix remplaçant le toit du Temple…jesus-tempted-in-the-desert-painting-18 tentation

 

Conclusion

Le flash-forward de Luc nous invite à relire la vie du Christ à la lumière de ces trois combats intérieurs qu’il a dû mener jusqu’à la croix. Elles nous éclairent ainsi sur ce qui va venir pour nous.

En cette période de Carême où l’on prépare les catéchumènes à leur baptême, c’est une grille de décodage que l’Église leur fournit avec ce récit des tentations : « vous allez être tentés, inévitablement. Reconnaissez le type de tentation lorsqu’elle s’approchera de vous, et combattez-la avec les mêmes armes que le Christ ».


La malbouffe spirituelle, la servitude volontaire, la pensée magique : ces trois tentations sont les nôtres !

Quelle est celle qu’il m’est urgent de déjouer ? 

_________________________________


[1]. L’Église catholique ne reconnaît pas comme surnaturelles les « visions », « révélations » et « communications » de l’Italienne Maria Valtorta (1897-1961), a annoncé le Dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF), dans un bref communiqué publié mardi 4 mars et daté du 22 février 2025

 

Lectures de la messe

Première lecture
La profession de foi du peuple élu (Dt 26, 4-10)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple : Lorsque tu présenteras les prémices de tes récoltes, le prêtre recevra de tes mains la corbeille et la déposera devant l’autel du Seigneur ton Dieu. Tu prononceras ces paroles devant le Seigneur ton Dieu : « Mon père était un Araméen nomade, qui descendit en Égypte : il y vécut en immigré avec son petit clan. C’est là qu’il est devenu une grande nation, puissante et nombreuse. Les Égyptiens nous ont maltraités, et réduits à la pauvreté ; ils nous ont imposé un dur esclavage. Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères. Il a entendu notre voix, il a vu que nous étions dans la misère, la peine et l’oppression. Le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte à main forte et à bras étendu, par des actions terrifiantes, des signes et des prodiges. Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel. Et maintenant voici que j’apporte les prémices des fruits du sol que tu m’as donné, Seigneur. »

Psaume
(Ps 90 (91), 1-2, 10-11, 12-13, 14-15ab)
R/ Sois avec moi, Seigneur, dans mon épreuve.
 (cf. Ps 90, 15)

Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut
et repose à l’ombre du Puissant,
je dis au Seigneur : « Mon refuge,
mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! »

Le malheur ne pourra te toucher,
ni le danger, approcher de ta demeure :
il donne mission à ses anges
de te garder sur tous tes chemins.

Ils te porteront sur leurs mains
pour que ton pied ne heurte les pierres ;
tu marcheras sur la vipère et le scorpion,
tu écraseras le lion et le Dragon.

« Puisqu’il s’attache à moi, je le délivre ;
je le défends, car il connaît mon nom.
Il m’appelle, et moi, je lui réponds ;
je suis avec lui dans son épreuve. »

Deuxième lecture
La profession de foi en Jésus Christ (Rm 10, 8-13)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, que dit l’Écriture ? Tout près de toi est la Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur. Cette Parole, c’est le message de la foi que nous proclamons. En effet, si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. Car c’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste, c’est avec la bouche que l’on affirme sa foi pour parvenir au salut. En effet, l’Écriture dit : Quiconque met en lui sa foi ne connaîtra pas la honte. Ainsi, entre les Juifs et les païens, il n’y a pas de différence : tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l’invoquent. En effet, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

Évangile
« Dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert où il fut tenté » (Lc 4, 1-13)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim. Le diable lui dit alors : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. »
Alors le diable l’emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre. Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. » Jésus lui répondit : « Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui fit cette réponse : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.
Patrick BRAUD

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14 février 2024

La part des anges

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La part des anges

 

Homélie pour le 1° Dimanche du Carême / Année B 

18/02/2024

 

Cf. également :

Ce déluge qui nous rend mabouls
Poussés par l’Esprit
Une recette cocktail pour nos alliances
Gravity, la nouvelle arche de Noé ?

Sacrée belle-mère !


Un champignon ivre

La part des anges dans Communauté spirituelle fungus%20cognacSi vous allez visiter un jour la jolie petite ville de Cognac, avec ses chais au bord de la Charente, vous ne manquerez pas de voir sur de nombreux murs en pierre de la cité d’étranges traînées grises, comme des filets de toile d’araignée descendant entre les pierres ou s’accrochant sous les tuiles des toits. Pourquoi ne pas nettoyer les pierres et les tuiles de ces traînées noires ? Parce qu’elles reviennent sans cesse, du moins là où l’eau-de-vie est entreposée. En effet, un champignon qui se nourrit spécifiquement des vapeurs d’alcool (le torula compniacensis) se développe là où il y a des barriques, des caves, des réserves. Impossible de cacher son stock de cognac ! On est trahi par ce champignon ivre. Mais les vapeurs d’alcool font le bonheur d’autres créatures : on dit que les anges qui tournoient au-dessus des tuiles des chais de Cognac respirent eux aussi les effluves s’échappant des foudres, des distilleries, des cuves et des caves. Environ 3% en volume des eaux-de-vie de cognac s’évaporent chaque année, pour le plus grand bonheur de nos compagnons ailés. C’est la part des anges, le cadeau qui leur est offert en quelque sorte pour la transformation de l’eau-de-vie en cognac grâce au vieillissement en fûts de chêne du Limousin.

La part des anges à Cognac, c’est de s’enivrer de ce qui réjouit le cœur de l’homme.

Dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 1,12-15) la part des anges c’est de servir Jésus au désert pendant qu’il se prépare à sa mission en combattant les tentations par lesquelles Satan veut l’en détourner :

« Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ».

Ce texte est si court que pour une fois, exerçons-nous à le commenter presque mot à mot.

 

Aussitôt

As Soon As Possible"« Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt… » : le petit mot important qui fait la liaison avec l’épisode précédent est aussitôt. Ça n’a l’air de rien, mais pour Marc l’effet du baptême est immédiat. Hasard ou choix symbolique, Marc emploie cet adverbe 40 fois dans son Évangile (comme les 40 jours au désert !). C’est donc pour lui une constante de l’agir de Jésus : il y a urgence ! Chaque action, chaque déplacement de Jésus est marqué du sceau de cette urgence : le règne de Dieu est tout proche, vite, saisissez-le !

Ce dimanche, c’est aussitôt son baptême que Jésus part au désert.

Pourquoi remettre à demain ce que notre baptême nous pousse à faire ? Pourquoi différer notre conversion à l’Évangile ? Pourquoi procrastiner sans cesse les changements que nous devons opérer dans notre manière de vivre ?

Laissons résonner en nous cet aussitôt de Marc : qu’est-ce qu’il m’appelle à faire dès maintenant ? où m’appelle-t-il à aller sans tarder ?

 

L’Esprit le pousse au désert

On ne comprend rien à Jésus sans l’Esprit. C’est son être même d’Oint (= Christ) : il vient de recevoir l’onction, et dégouline encore de cet Esprit divin qui lui a entrouvert les cieux au Jourdain. Se laisser faire par l’Esprit est notre meilleure façon d’agir. Pas par nous-mêmes, mais poussé par lui. On retrouve la passivité-active qui fut celle de Marie à l’Annonciation, ou celle de l’Église de Jérusalem abolissant la circoncision sous la motion de l’Esprit de Pentecôte. Puisque nous aussi nous sommes des christs de par notre baptême, notre identité la plus vraie est de nous laisser conduire par l’Esprit, notre hôte intérieur plus intime à nous-même que nous-même…

La spiritualité chrétienne c’est cela : pas une accumulation d’exercices extérieurs (génuflexions, chapelets, processions etc.) ni une recherche de phénomènes magiques, mais une entière disponibilité à écouter ce que l’Esprit nous dit, à faire ce qu’il nous inspire, quoi qu’il en coûte.

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Cet Esprit pousse Jésus au désert. Le texte grec dit plus précisément : l’Esprit expulse (κβλλω = ekballō) Jésus au désert. C’est ce verbe que Marc emploie 12 fois pour l’action de chasser les démons en les expulsant hors de quelqu’un.

Voilà donc que Jésus est traité comme un démon !

Comme le bouc émissaire qu’on expulse au désert pour qu’il soit affronté à Azazel le démon, Jésus est chassé par l’Esprit au désert pour être confronté à Satan. Dans ce verbe chasser, expulser, on devine la violence de l’Esprit qui oblige Jésus à partir des rives du Jourdain pour aller au désert.

 

Il en va ainsi pour nous également : nous n’allons pas de bon cœur ni facilement vers les justes combats qui nous attendent. Il faut que l’Esprit nous force la main : par les événements, par une médiation, un ordre, une contrainte, un appel…

Se laisser expulser des lieux douillets où nous aimerions vivre notre baptême est donc le travail de l’Esprit en nous. Jonas ne voulait pas aller à Ninive : l’Esprit de Dieu l’y a obligé, par le naufrage et le poisson. Pierre ne voulait pas baptiser le païen Corneille : il y a été conduit par l’Esprit, presque à son corps défendant, lorsqu’il vit l’Esprit descendre sur Corneille et sa famille (Ac 10).

Nous renâclons devant les missions que nous n’avons pas choisies, mais heureusement l’Esprit se débrouille pour nous chasser de nos oasis de tranquillité et ainsi nous préparer à nos combats. Il nous expulse de nos régressions spirituelles de tous ordres (depuis nos écrans jusqu’à notre argent) pour connaître le désert. Pour certains (comme Mère Teresa) cela prendra la figure d’une nuit spirituelle épouvantable, rempli de doutes et d’absurde. Pour d’autres (comme Ignace de Loyola) ce sera le dépouillement d’une vie mondaine et superficielle à travers un accident, une catastrophe ; pour d’autres encore (comme Claudel) c’est une exaltation, un bonheur soudain qui leur révélera d’autres horizons à poursuivre en laissant tout tomber.
Laissons-nous conduire dans nos dépouillements successifs, comme autant de départs au désert, poussés par l’Esprit.

 

Dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan 

 CarêmeQuant au désert, inutile d’en dire beaucoup : les 40 années des Hébreux au désert restent  la référence de toutes les expériences de libération. Une génération (40 ans) s’y purifie de ses idoles, de ses veaux d’or. Une horde d’esclaves en fuite y devient un peuple. Des sans-loi y reçoivent une Alliance pour toujours. Jésus refait ce passage, comme s’il récapitulait en lui l’histoire de ses ancêtres assoiffés de liberté. Mais lui ne plie pas. Il est tenté constamment par Satan, mais ne s’incline pas devant lui : le veau d’or n’a pas de prise sur lui. Marc, sans doute plus proche du récit primitif, ne met pas en scène le jeûne (trop ?) spectaculaire de Jésus ni les trois tentations (trop ?) soigneusement construites pour explorer toutes les tentations que Jésus rencontrera après dans sa vie publique, jusqu’à l’ultime tentation sur la croix (« sauve-toi toi-même ! »). Non : Marc reste sobre, mais emploie l’imparfait pour montrer que ce combat contre Satan était continu, et durait.


Dieu que c’est long parfois d’être expulsé au désert ! Ne désespérons pas lorsque cette aridité dure et semble s’installer. Les 40 jours seront peut-être pour nous des mois, des années : notre départ pour la Galilée viendra pourtant, et l’Esprit nous fera discerner ce moment.

 

Un mot sur Satan, l’obstacle, l’adversaire : il sera actif tout au long de la prédication de Jésus. Les tentations au désert cristallisent en 40 jours les tentations des trois années à venir. Un peu comme la Transfiguration ramasse en un éblouissement toutes les facettes divines de Jésus se manifestant, éparpillées, lors de ses rencontres sur les chemins de Palestine.

Notre Satan est tout ce qui veut nous faire trébucher, ou changer d’orientation, ou abandonner par désespoir…

 

« Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient »

tumblr_neh4o57RLp1r3ov9vo1_1280 cognacEncore un imparfait qui dure, comme beaucoup d’imparfaits de nos vies…

La compagnie de bêtes sauvages, inoffensives ici, renvoie sans doute à l’Éden mythique où l’humanité vivait en paix avec tout être vivant ; ou au Déluge quand tous les animaux côtoyaient les 8 personnes sauvées dans l’arche (cf. 1° et 2° lectures de ce dimanche). Une nouvelle Création, enfin réconciliée, entoure Jésus au désert.

Nous avons nous aussi nos bêtes fauves, qui rôdent en nous et cherchent à nous dévorer, tel le loup de Gubbio terrorisant les habitants de ce petit village du temps de Saint François d’Assise. Nous savons que, si nous nourrissons ce loup intérieur qu’est notre part d’ombre [1], il deviendra notre ami et compagnon, comme François d’Assise nous l’a montré. Vivre avec les bêtes sauvages qui nous entourent demande cette pureté du cœur qui était celle de Jésus, en qui nul fauve ne pouvait lire de menace ni de convoitise.

Apprenons à vivre avec nos fauves ! [2]

 

« Et les anges le servaient »

Jan_van_Eyck_-_The_Ghent_Altarpiece_Adoration_of_the_Mystic_Lamb_Singing_angels_1432_-_%28MeisterDrucke-1201901%29 désertLa voilà la part des anges de ce dimanche : servir le Christ ! Ce sont les premiers diacres (ou diaconesses, selon le sexe des anges…) chez Marc, car c’est bien le verbe διακονω (= diakoneō) qui est utilisé. Souvenez-vous qu’ensuite, le premier être humain à revêtir cette fonction angélique du service, c’est la belle-mère de Pierre, première diaconesse de l’Église de Capharnaüm (« et elle les servait », Mc 1,31).

Autant dire que la part des anges nous revient désormais : servir le Christ rend libre comme lui. En le servant au désert, les anges le nourrissaient : à nous de nourrir les christs qui aujourd’hui encore sont chassés au désert, entourés de bêtes sauvages…

Les anges qui nous servent dans le désert sont ces mains tendues, ces inconnus qui passent en nous faisant du bien, ces messagers qui nous apportent de quoi tenir bon. Comme le bon samaritain qui devint l’ange du blessé sur la route. Comme pour Jésus lors de son agonie au mont des Oliviers : « du ciel lui apparut un ange qui le réconfortait » (Lc 22,43).

Parfois nous sommes nous-mêmes ces anges qui sans le savoir nourrissent  et réconfortent ceux qui ont été chassés au désert…

 

Quelle étrange réunion au final autour du Christ au désert : Satan, les bêtes fauves, les anges, c’est-à-dire l’enfer, la terre et le ciel !

Jésus était dans le désert, tenté par Satan.

Jésus était avec les bêtes sauvages, servi par les anges.

Ces deux phrases sont parallèles, avec un antagonisme terme à terme : désert vs bêtes / tenté vs servi / Satan vs anges. De quoi espérer le retournement final aujourd’hui invisible !

 

Ruminons cette scène qui symbolise la préparation spirituelle aux combats qui seront les nôtres.
Sans oublier l’issue promise : « et les anges le servaient… »

 

_____________________________

[2]. On pourrait d’ailleurs développer à partir de là une théologie animalière qui associe les bêtes au salut réalisé en Christ…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Alliance de Dieu avec Noé qui a échappé au déluge (Gn 9, 8-15)

Lecture du livre de la Genèse
Dieu dit à Noé et à ses fils : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » Dieu dit encore : « Voici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à jamais : je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants : les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être de chair. »

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Tes chemins, Seigneur, sont amour et vérité pour qui garde ton alliance. (cf. 24, 10)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,

ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,

lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
Le baptême vous sauve maintenant (1 P 3, 18-22)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. C’est en lui qu’il est parti proclamer son message aux Esprits qui étaient en captivité. Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant : le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ, lui qui est à la droite de Dieu, après s’en être allé au ciel, lui à qui sont soumis les anges, ainsi que les Souverainetés et les Puissances.

ÉVANGILE
« Jésus fut tenté par Satan, et les anges le servaient » (Mc 1, 12-15)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
 Patrick BRAUD

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11 février 2024

Mercredi des Cendres

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Mercredi des Cendres

 

Cf. les années précédentes :

Mercredi des Cendres dans Communauté spirituelle cendresLa radieuse tristesse du Carême
Cendres : « Revenez à moi ! »
Cendres : une conversion en 3D
Cendres : soyons des justes illucides
Mercredi des Cendres : le lien aumône-prière-jeûne
Déchirez vos cœurs et non vos vêtements
Mercredi des cendres : de Grenouille à l’Apocalypse, un parfum d’Évangile
Carême : quand le secret humanise
Mercredi des Cendres : 4 raisons de jeûner
Le symbolisme des cendres

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