L'homélie du dimanche (prochain)

16 juin 2024

Meunier, tu dors ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Meunier, tu dors ?

 

Homélie pour le 12° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

24/06/24

 

Cf. également :

Jesus, don’t you care ?

Passage obligé 

Le dedans vous attend dehors

Le pourquoi et le comment

Qui a piqué mon fromage ?
L’amour du prochain et le « care »
La croissance illucide


Meunier, tu dors ?

Les enfants d’aujourd’hui chantent-ils encore la comptine que des générations avant eux connaissaient par cœur ?

Meunier tu dorsR/ Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite

Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop fort

 

Meunier tu dors, et le vent souffle souffle

Meunier tu dors, et le vent souffle fort

Les nuages, les nuages viennent vite,

Et l’orage et l’orage gronde fort !

Les nuages, les nuages viennent vite,

Et l’orage et l’orage gronde fort !

Le vent du Nord a déchiré la toile

Meunier, tu dors, ton moulin est bien mort

Dans notre Évangile de ce dimanche (Mc 4,35-41), Jésus est un peu le meunier de la comptine.
Pourquoi dort-il alors que la barque menace de chavirer ?
Le reproche des disciples n’est-il pas également le nôtre : où es-tu pendant que nous sombrons ?


1. Erreur de casting

Meunier, tu dors ? dans Communauté spirituelle image%2F1484046%2F20210626%2Fob_9dadd0_jesus-apaise-la-tempete-1Un premier élément de réponse vient de la place occupée par Jésus dans la barque. On se serait attendu à ce que les disciples le mettent à l’avant, en figure de proue, pour les avertir des dangers lors de la traversée du lac en furie. Ou bien ils auraient pu lui confier le gouvernail : avec Jésus à la barre, rien à craindre ! Eh bien non : ils l’ont cantonné dans la cabine arrière, sous le gouvernail. On a retrouvé une grande barque de pêcheurs de Tibériade où effectivement il y a un espace protégé, comme une cabine arrière, ne gênant pas les manœuvres, sous la grande barre manœuvrant le gouvernail. Les disciples ont donc fait une erreur de casting : ils n’ont pas attribué à Jésus le rôle de vigie ou de pilote, mais de fret en soute…

L’erreur est manifeste lorsqu’ils l’appellent pour le réveiller : « Maître (cela ne te fait rien que nous périssions ?) ». « Maître », (διδσκαλος, didaskalos, qui a donné didascalie =  enseignement supérieur) c’est un titre de respect certes, mais à distance, qualifiant Jésus sous l’angle du savoir. Or le savoir ne suffit pas pour accéder à Jésus, comme l’avait montré l’épisode du possédé de Capharnaüm : « je sais qui tu es » (Mc 1,24). Les démons savent, mais ne sauvent pas. Les disciples se sont mis eux-mêmes dans la peau d’élèves studieux voulant appliquer les leçons de leur maître sans leur maître.

Au moins l’épisode de la tempête aura fait chavirer leur point de vue ! Car, à la fin, ils ne sont plus sûrs du tout de connaître la véritable identité de celui qu’ils appelaient Maître : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

Cette erreur de casting des piètres marins de Tibériade, nous la faisons souvent ! Nous acceptons peut-être Jésus comme passager, mais plus comme un poids mort que comme vigie ou pilote, plus comme un colis à trimbaler qu’un compas à consulter régulièrement, plus comme une leçon apprise qu’un GPS ou un sonar…

À quelle place se trouve Jésus dans notre barque ?

Pour mieux apprécier le sommeil de Jésus, regardons maintenant de plus près le verbe employé par Marc : καθεδω (katheudō), dormir. Il a des harmoniques très signifiantes dans l’Ancien Testament. Examinons deux ou trois d’entre elles.

 

2. Chez les marins : le syndrome Jonas

Jonas dort dans la cale du bateau en pleine tempêteLe verbe καθεδω (dormir) est employé dans la LXX (traduction grecque de l’Ancien Testament) pour le prophète Jonas, lui aussi dans un bateau, lui aussi dans la tempête. Tiens, ce n’est sûrement pas un hasard !

« Les matelots prirent peur ; ils crièrent chacun vers son dieu et, pour s’alléger, lancèrent la cargaison à la mer. Or, Jonas était descendu dans la cale du navire, il s’était couché et dormait d’un sommeil mystérieux » (Jon 1,5).

L’histoire est connue, et rappelle furieusement notre épisode de Tibériade : une embarcation est chahutée par les flots ; l’équipage a peur. Ils se demandent pourquoi l’orage les malmène, et commencent à chercher un coupable. Le juif Jonas embarqué pour fuir Ninive la païenne leur apparaît comme un coupable tout désigné (par le truchement d’un tirage au sort). Désigner un juif coupable du malheur ambiant, c’est vieux comme les juifs eux-mêmes hélas…

Le reproche fait à Jonas rejoint celui fait à Jésus : ‘Pourquoi dors-tu ? C’est de ta faute si nous coulons’.

 

Faire des reproches au dieu absent est un marronnier de la littérature. L’homme ne voit en Dieu que l’aide qu’il peut lui apporter, comme un maquignon ne voit que le lait et la viande, pas la vache. Il nous faut inverser cette logique pour guérir du syndrome Jonas (la désignation d’un coupable) : c’est nous qui pouvons et devons aider Dieu, pas l’inverse ! La jeune juive hollandaise Etty Hillesum – si proche du christianisme – l’avait compris au milieu des jours sombres du ghetto de Varsovie :

une-vie-bouleversee-lettres-de-westerbork barque dans Communauté spirituelle« Je vais T’aider, mon Dieu, à ne pas T’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas Toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons T’aider – et, ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de Toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à Te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. 

Oui, mon Dieu, Tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne T’en demande pas compte, c’est à Toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un Jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement, presque à chaque pulsation de mon cœur, que Tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de T’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui T’abrite en nous ».

Prière du Dimanche matin 12 juillet 1942 composée par Etty Hillesum (1914-1943), morte au camp de concentration d’Auschwitz le 30 novembre 1943.

 

Dieu serait peut-être en droit de nous faire des reproches : lui, pas nous. 

Dieu ne peut guère nous aider de manière magique, c’est à nous de l’aider, par notre foi, à apaiser la tempête qui nous déstabilise.

 

Le syndrome Jonas frappe les disciples de plein fouet. La ressemblance avec Jonas est accentuée par la destination de la traversée du lac : Gérasa (Mc 5,1), en plein territoire païen (Transjordanie actuelle), comme Ninive la grande ville païenne. On ne va pas chez les païens avec un maître d’université, fut-il prestigieux. On y va avec l’autorité du Christ sur les forces du mal. Le troupeau de porcs qui se précipitera du haut de la falaise dans le lac symbolisera cette libération du mal que le Christ apporte en plénitude à tous les peuples (Mc 5,13).

Et, comme pour Jésus, les marins du navire de Jonas s’interrogent alors sur sa véritable identité : « Quel est ton métier ? D’où viens-tu ? Quel est ton pays ? De quel peuple es-tu ? » (Jon 1,8).

 

Reconnaître ne pas connaître le Christ en vérité est le début du salut, notamment pour ceux qui sont « tombés dans la marmite quand ils étaient petits ». 

« Non sum » (je ne suis pas le Messie) avait humblement avoué Jean-Baptiste à ceux qui le prenaient pour le Christ. « Non cognosco » (je ne connais pas) est l’humble confession de non-savoir du vrai disciple qui refuse d’instrumentaliser le Christ comme maître, magicien, guérisseur etc.

 

3. Le coussin de Jésus

il_794xN.2579871073_lgft CantiqueLe texte grec dit que Jésus dormait, sur un coussin ou un oreiller : προσκεφλαιον (proskefalaion) ; littéralement : pour la tête. Ce terme est un hapax (usage unique) du Nouveau Testament. Il n’y a que deux autres usages dans la Bible, et c’est dans la traduction grecque du livre d’Ézéchiel. Le terme hébreu (mal) traduit par oreiller ou coussin est en réalité une amulette magique : סֶת (ke.set), faite de cordelettes autour du poignet : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : Quel malheur pour celles qui cousent des cordelettes à tous les poignets, qui fabriquent des voiles pour les têtes de diverses tailles, afin de capturer des vies ! Vous capturez la vie des gens de mon peuple, et voulez conserver la vôtre ? » (Ez 13,18). Cela fait sans doute allusion à d’obscures pratiques magiques, où des ‘sorcières’ attachaient des cordelettes aux poignets pour prendre possession des âmes de certains : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici, je m’en prends à vos cordelettes, avec lesquelles vous capturez les vies comme des oiseaux. Je les déchirerai sur vos bras, et je libérerai les vies que vous avez capturées comme des oiseaux » (Ez 13,20.) Une sorte de filtre d’amour ou de haine, de possession…

 

Faire allusion à ce passage d’Ézéchiel avec notre mot grec προσκεφλαιον si rare n’est pas une coïncidence. On peut y lire la dénonciation de tout usage magique du nom de Jésus. En laissant Jésus reposer sur ce coussin / lié par ces cordelettes, les disciples retombaient en quelque sorte dans le péché d’idolâtrie. Ils faisaient de Jésus une chose pour conjurer la tempête, un savoir magistral pour dominer les païens, un talisman pour éviter les naufrages. La tête sur ce coussin, Jésus reste un point mort, une chose qu’on manipule, une religion qu’on instrumentalise pour le pouvoir. Libéré de cet oreiller / cordelette, réveillé / ressuscité, Jésus devient une interrogation plus qu’un maître à penser, un compagnon plus qu’un bagage, un libérateur plus qu’une doctrine.

 

Et nous : quand avons-nous la tentation d’instrumentaliser le nom de Jésus ? Ou de le faire fonctionner comme une amulette ?

 

4. Chez Jésus, le syndrome Samuel

Samuel était couché dans le temple du Seigneur, où se trouvait l’arche de Dieu.Le verbe καθεδω (être couché, dormir) est utilisé cinq fois pour Samuel dans le célèbre passage de sa vocation nocturne (1S 3,3-10). Trois fois, le jeune Samuel couché dans le Temple entend dans son sommeil une voix l’appeler. Trois fois il se lève pour aller demander à Eli si c’est lui qui a parlé, et trois fois Eli lui répond : « non sum », ce n’est pas moi. Si bien que la dernière fois sera la bonne : « Parle Seigneur, ton serviteur écoute ».

En reprenant ce verbe, Marc trace – consciemment ou non – un parallèle entre Jésus et Samuel. Tous deux dorment à un moment crucial de leur existence où il leur faudra prendre une décision : accepter d’être le prophète de YHWH et aller oindre David roi (pour Samuel) ; aller libérer les païens du mal (pour Jésus ; cf. le possédé de Gérasa) juste après son débarquement sur l’autre rive. Il est bien question de vocation, d’appel dans les deux  cas. Comment servir YHWH (Samuel) ? Comment servir la volonté du Père (Jésus) ?

Car le succès remporté en Galilée a littéralement vidé Jésus : il est crevé, au point que ses disciples l’emportent « tel qu’l est », en vrac, épuisé et au creux de la vague (!) : « Et maintenant, que vais-je faire ? Continuer à prêcher et guérir en territoire juif, ou me risquer à annoncer l’Évangile aux païens ? »

Le sommeil de Jésus est sa façon de se reconnecter à YHWH au-delà de la griserie des premiers succès, en laissant les forces de son inconscient spirituel recomposer en lui son désir le plus fort pendant son sommeil.

Souvenez-vous : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (Ps 126,2)…

« Dans tes démarches, les préceptes de ton père te guideront, dans ton sommeil, ils te garderont, à ton réveil, ils te tiendront compagnie » (Pr 6,22).

 

Le syndrome Samuel est pour Jésus le retour à l‘écoute après la prédication, le laisser-faire au lieu du calcul, le choix de demeurer serviteur plus que Maître.

 

Que cet heureux syndrome de Samuel devienne nôtre, lorsque les succès nous auront tourné la tête, lorsque nous nous n’écouterons plus qu’une seule voix, la nôtre !

 

5. Je dors, mais mon cœur veille
Gustav Klimt : Le baiser 1907-1908Avec Jonas et Samuel, le verbe dormir fait encore irrésistiblement penser au Cantique des cantiques : « je dors, mais mon cœur veille » (Ct 5,2). La bien-aimée est assoiffée du désir du bien-aimé, et le sommeil est pour elle une autre façon de veiller : celle où, justement parce que les barrières de surmoi sont levées, le cœur peut discerner celui qui vient « de nuit ». Jésus dort comme la bien-aimée du Cantique des cantiques : il est en quête de son Père, il désire son désir, il se laisse façonner par l’accomplissement de ce désir, « sur l’autre rive ». Si la tempête ne le réveille pas, c’est que sa veille est d’un autre ordre : veiller à rester fidèle à l’ouverture universelle de sa mission (Gérasa), sans se laisser accaparer ni instrumentaliser par ses disciples.

Et ce n’est pas une tempête qui le distraira de cette veille-là ! Par pitié pour le manque de foi de son équipage, il consent à faire un geste pour les rassurer. Mais son but est ailleurs : à Gérasa, sur l’autre rive, où l’attend parmi les tombeaux une humanité enchaînée qui s’automutile…

 

Alors, ce coup de vent Force 4 ou 5 Beaufort, ce n’est pas ça qui va le détourner de son but dont il vient de renforcer la prise de conscience pendant son sommeil !

« Je dors, mais mon cœur veille… » : si nous ne faisions qu’un avec Jésus / la bien-aimée, nous resterions alignés sur le cap vrai de notre combat intérieur, sans laisser le bruit et la fureur du monde nous détourner de notre vocation.…

 

Il y a encore d’autres usages bibliques du verbe dormir de ce dimanche. Mais Jonas, Samuel et la Bien-aimée du Cantique des cantiques nous en disent assez pour pratiquer nous aussi ce sommeil réparateur, où la vision intérieure de notre mission se construit en nous, illucide, sans que nous sachions comment (Mc 4,27)…

Souvenez-vous : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (Ps 126,2)…

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots ! » (Jb 38, 1.8-11)

 

Lecture du livre de Job

Le Seigneur s’adressa à Job du milieu de la tempête et dit : « Qui donc a retenu la mer avec des portes, quand elle jaillit du sein primordial ; quand je lui mis pour vêtement la nuée, en guise de langes le
nuage sombre ; quand je lui imposai ma limite, et que je disposai verrou et portes ? Et je dis : “Tu viendras jusqu’ici ! tu n’iras pas plus loin, ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots !” »

 

PSAUME
(106 (107), 21a.22a.24, 25-26a.27b, 28-29, 30-31)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !Éternel est son amour !ou : Alléluia ! (106, 1)

 

Qu’ils rendent grâce au Seigneur de son amour,
qu’ils offrent des sacrifices d’action de grâce,
ceux qui ont vu les œuvres du Seigneur
et ses merveilles parmi les océans.

 

Il parle, et provoque la tempête,
un vent qui soulève les vagues :
portés jusqu’au ciel, retombant aux abîmes,
leur sagesse était engloutie.

 

Dans leur angoisse, ils ont crié vers le Seigneur,
et lui les a tirés de la détresse,
réduisant la tempête au silence,
faisant taire les vagues.

 

Ils se réjouissent de les voir s’apaiser,
d’être conduits au port qu’ils désiraient.
Qu’ils rendent grâce au Seigneur de son amour,
de ses merveilles pour les hommes.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5, 14-17)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, l’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous, et qu’ainsi tous ont passé par la mort. Car le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. Désormais nous ne regardons plus personne d’une manière simplement humaine : si nous avons connu le Christ de cette manière, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né.

 

ÉVANGILE
« Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? » (Mc 4, 35-41)
Alléluia. Alléluia. Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. Alléluia. (Lc 7, 16)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Toute la journée, Jésus avait parlé à la foule. Le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. » Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d’autres barques l’accompagnaient. Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »
.Patrick Braud

 

 

 

Mots-clés : , , , , ,

14 janvier 2024

Ninive, ou le succès du catastrophisme éclairé

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ninive, ou le succès du catastrophisme éclairé

 

Homélie pour le 3° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

21/01/2024

 

Cf. également :
Que nous faut-il quitter ?
Il était une fois Jonas…
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel
La « réserve eschatologique »
De la baleine au ricin : Jonas, notre jalousie
La soumission consentie
Les 153 gros poissons
La seconde pêche
Secouez la poussière de vos pieds

Êtes-vous éco-anxieux ?
Ninive, ou le succès du catastrophisme éclairé dans Communauté spirituelle
Une enquête Ipsos du 25/10/2023 chiffre à 80% la proportion de français se disant atteints d’éco-anxiété, qui désigne l’angoisse face à l’avenir climatique de la planète. Il n’était que 67% en septembre 2022 : le moral ne s’améliore donc pas… Les jeunes générations paraissent particulièrement touchées par cette peur de l’avenir, au point parfois de ne plus vouloir voyager en avion, ni même avoir d’enfant !
On nous annonce qu’à la fin du siècle les 1,5 degrés maximum d’augmentation de l’Accord de Paris (COP 21) ne seraient pas tenus : ce sera plutôt 3 ou 4 degrés. Les médias nous inondent d’images catastrophiques liées à ce réchauffement : typhons, sécheresses, inondations, fonte des glaciers, chute de la biodiversité etc.

Comment réagir face à ce malheur annoncé ? Selon Ipsos, c’est d’abord la colère qui prédomine (30%), et la peur (34%). Certains baissent les bras et dépriment (14%).

Et vous : êtes-vous éco-anxieux ? Quels sentiments cela suscite-t-il en vous ?

Si le dérèglement climatique n’est pas votre peur principale, identifiez celle qui est majeure pour vous : peur d’une troisième guerre mondiale contre Russie-Chine-pays islamiques ? Peur de mal vieillir et d’une fin dégradante ? Peur d’une séparation que vous sentez venir ?…

 

Soyons honnêtes : il est difficile de vivre sans peurs, individuelles et/ou collectives.

Que faire alors de nos angoisses ? Peuvent-elles devenir utiles et fécondes ?

L’histoire de Jonas à Ninive dans notre première lecture (Jon 3,1-5.10) est à cet égard très pertinente, et rejoint le sens de la conversion tel que le proclame Jésus dans notre Évangile (Mc 1, 14-20) : « le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ».

Voyons comment.

 

Jonas le collapsologue

« Encore 40 jours et Ninive sera détruite ! »

Bigre : voilà un avertissement qui fait froid dans le dos. Jonas est le prophète du malheur qui vient. Il annonce l’effondrement (collapse en anglais) de la cité la plus puissante de la région.

Transposez au domaine de l’écologie : Jonas est remplacé par le Club de Rome des années 70, qui préconisait une croissance zéro pour essayer d’éviter la catastrophe d’un effondrement général de l’économie mondiale vers 2030 !

L’université du MIT a publié en 1972 le fameux Rapport Meadows, modèle mathématique de la croissance qui prédisait un effondrement planétaire à partir des années 2020–2030.

Meadows Collapse 2030 

Les collapsologues, partisans de cette théorie du crash mondial, ont depuis peaufiné leur modèle. Tel Jonas dans Ninive, ils parcourent les sommets mondiaux pour crier : « notre Terre brûle et nous regardons ailleurs » (Jacques Chirac). Telle Greta Thunberg tonnant contre l’inaction coupable des grands de ce monde, les collapsologue veulent convaincre de la certitude de la catastrophe à venir, et changer de système avant qu’il ne soit trop tard.

 

Les plus anciens d’entre nous se souviendront du contexte de guerre froide dans lequel se déroulait le concile Vatican II (1962-65), avec la peur d’un conflit nucléaire Est-Ouest qui pouvait anéantir l’humanité. Pourtant, Jean XXIII lorsqu’il a convoqué ce concile récusait par avance les faux prophètes de malheur qui finiraient par précipiter la catastrophe proclamée :

« Il arrive souvent que dans l’exercice quotidien de notre ministère apostolique nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains qui, bien qu’enflammés de zèle religieux manquent de justesse, de jugement et de pondération dans leur façon de voir les choses. Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruines et calamités; ils ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés; ils se conduisent comme si l’histoire, qui est maîtresse de vie, n’avait rien à leur apprendre. Il Nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin ».

 

Jonas-300x211 catastrophisme dans Communauté spirituelleJonas est malheureux, car il sait bien que si Ninive en réchappe ce sera la fin du privilège du salut pour Israël (et c’est bien ce qui est arrivé avec l’Église !). C’est pourquoi il bâcle sa mission prophétique en parcourant Ninive en un jour seulement au lieu des trois jours normalement nécessaires pour la traversée. Autrement dit, il n’a pas envie que les Ninivites entendent vraiment son avertissement. Il espère secrètement que ces maudits païens idolâtres et sanguinaires n’écouteront pas et seront engloutis par la ruine qui vient.

Une autre interprétation – plus bienveillante – est qu’il a tellement conscience de l’urgence du message à transmettre qu’il met les bouchées doubles (triples) pour laisser à  Ninive le temps de réagir.

Mais Jonas le collapsologue reste là, pétrifié par le message qu’il vient de crier. Il voulait faire peur – et il y est parvenu – sans pour autant indiquer un chemin pour éviter le malheur tout proche. Il est comme le lapin figé dans le faisceau des phares d’une voiture déboulant sur lui. Proclamer que la fin est proche peut tétaniser, ou provoquer fatalisme et résignation, ou noyer dans une explication coupable. Le pire est que ces prophéties de malheur sont souvent auto-réalisatrices ! Les Anglais parlent de self-fullfilling prophecy, c’est-à-dire d’une annonce qui s’accomplit elle-même par le seul fait de la proclamer. On parle aussi d’énoncé performatif, en référence à la théorie du langage performatif de Tracy Austin (« Quand dire, c’est faire »). Un peu comme une prévision boursière peut provoquer un chaos financier par le seul fait d’être publiée par un organisme digne de confiance.

 

Jonas le collapsologue est la figure des prophètes de malheur actuels qui désespèrent au lieu de réveiller, qui paralysent au lieu de mobiliser.

Heureusement, il y a Ninive !

 

Ninive la catastrophiste éclairée

Que font les Ninivites en entendant Jonas ?
Le prophète Jonas rejeté sur le rivage de Ninive par le poisson, peinture sur manuscrit, Hortus Deliciarum par Herrade de Landsberg (vers 1180).« Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne [1], et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac ».

Ils établissent donc le lien entre leur comportement et la catastrophe qui s’approche. Car Ninive était idolâtre (Ninive signifie « maison de la déesse Ishtar »), débauchée (prostitution sacrée), sanguinaire (massacres épouvantables de cités ennemies, adonnée à la magie-divination), et riche à l’écœurement (palais somptueux, jardins suspendus, bibliothèque incroyable etc.). Les Ninivites ont corrigé d’eux-mêmes le message de Jonas : « Si vous ne changez pas de conduite, Ninive sera détruite ». Ils abandonnèrent leur mauvaise conduite, et eurent la vie sauve.

Ce salut n’est pas pour autant garanti pour toujours : Ninive entendit la prédication de Jonas vers -800. Elle est retombée ensuite dans ses errements, et le livre du prophète Nahum décrit sa chute, sa destruction complète (en -612) jusqu’à être enfouie sous des tonnes de terre et oubliée pendant des siècles :

Maintenant je m’adresse à toi, Ninive – oracle du Seigneur de l’univers – : Je ferai flamber tes chars et les réduirai en fumée ; tes lionceaux, l’épée les dévorera. Je supprimerai de la terre tes rapines, et l’on n’entendra plus la voix de tes messagers. Malheur à la ville sanguinaire toute de mensonge, pleine de rapines, et qui ne lâche jamais sa proie » (Na 2,14-3,1).

 

61CIvqbbMjL._SL1318_ collapsologie« Si vous ne changez pas de conduite, Ninive sera détruite » : c’est ce que Jean-Pierre Dupuy (polytechnicien et professeur à Stanford) appelle le catastrophisme éclairé : prêcher la venue d’un malheur – écrit-il – empêche qu’il advienne. À condition que la peur suscitée soit forte et radicale. C’est une performativité à l’envers en quelque sorte : énoncer le danger oblige à le conjurer.

Pour que les hommes changent radicalement de comportement (ce qui empêche la venue de la catastrophe), il faut qu’ils soient certains que la catastrophe va arriver. Sinon, ils en restent à des demi-mesures qui restent inutiles.

Jean-Pierre Dupuy réfléchit sur le destin apocalyptique de l’humanité. Celle-ci est devenue capable au siècle dernier de s’anéantir elle-même, soit directement par les armes de destruction massive, soit indirectement par l’altération des conditions qui sont nécessaires à sa survie. Le franchissement de ce seuil était préparé depuis longtemps, mais il a rendu manifeste et critique ce qui n’était jusqu’alors que danger potentiel. Nous savons ces choses, mais nous ne les croyons pas. C’est cela le principal obstacle à une prise de conscience. Théoricien du catastrophisme éclairé, il s’oppose au fatalisme des collapsologues qu’il juge dangereux à cause de l’idée que la population peut se faire de l’avenir. Pour lui, l’effondrement est possible, mais pas certain. La catastrophe ne doit pas être présentée comme inévitable.

S’il établit le même constat catastrophiste que les collapsologues, il précise que, selon lui, la catastrophe n’est pas certaine du tout. C’est ce qu’il appelle « le point de divergence fondamental » :

« Si on dit que la catastrophe est certaine, on mésestime quelle peut être la réaction des gens face à cela dès lors que l’on pense que c’est certain. Au point qu’une date est donnée pour confirmer cette certitude. C’est comme si nous connaissions la date de notre propre mort au titre individuel, en réalité ça gâcherait complètement notre vie ».

Donner une date pour la fin est une erreur fondamentale commise par beaucoup de lanceurs d’alertes.

Le collapsologue cite le psychiatre et philosophe Karl Jaspers qui l’a beaucoup influencé. Voici ce qu’il disait en 1948, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale :

« Quiconque tient une guerre imminente pour certaine contribue à son arrivée, précisément par la certitude qu’il en a. Quiconque tient la paix pour certaine se conduit avec insouciance et nous mène sans le vouloir à la guerre ».

« Les deux certitudes, ajoute-t-il, qu’elles soient pessimiste et optimiste, sont dans tous les cas à éviter complètement car seul celui qui voit le péril et ne l’oublie pas un seul instant se montre capable de se comporter rationnellement et de faire tout son possible pour l’exorciser ».

 

Le pape François ne disait rien d’autre avant la COP 28 où il voulait se rendre à Dubaï en décembre 2023 :

« Dire qu’il n’y a rien à espérer serait un acte suicidaire qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique ».

 

Et Jésus lui-même couronnera en quelque sorte la réaction salutaire des Ninivites leur permettant d’échapper à la catastrophe : « Lors du Jugement, les habitants de Ninive se lèveront en même temps que cette génération, et ils la condamneront ; en effet, ils se sont convertis en réponse à la proclamation faite par Jonas, et il y a ici bien plus que Jonas » (Mt 12,41).

 

Ayez le courage d’avoir peur !

51AQX8YXWSL._SY466_ DupuyLe catastrophisme éclairé dans sa version évangélique serait plutôt une euphorie efficace ! Car Jésus prêche le royaume de Dieu tout proche, et non un effondrement terrible. Il invite à accueillir le don gratuit en lui faisant de la place en nos vies, en nos cœurs : « convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! ». Il libère la capacité d’agir en ce sens, en appelant aussitôt Simon et André à le suivre, puis Jacques et Jean.

Autrement dit : le bonheur qui vient transforme notre conduite, nous provoque à quitter ce qu’il nous faut quitter, à suivre ce qu’il nous faut suivre.

Et si vous n’avez pas le courage d’accueillir ce bonheur qui vient, alors au moins bougez-vous par peur de ce qui arriverait autrement. Retrouvez le courage d’avoir peur [2] et alors vous aurez la force de rompre avec ce qui vous lie, et de choisir qui vous voulez servir.

Si Jésus pratique l’euphorie efficace, il manie également le catastrophisme éclairé : si vous ne vous convertissez pas par amour, faites-le au moins par peur : « Lors du Jugement, les habitants de Ninive se lèveront en même temps que cette génération, et ils la condamneront ; en effet, ils se sont convertis en réponse à la proclamation faite par Jonas, et il y a ici bien plus que Jonas » (Mt 12,41).

Ce catastrophisme éclairé vaut pour le climat, mais aussi pour votre couple, votre entreprise, votre santé physique et spirituelle…
Alors, finalement : quelle peur vous sera réellement utile ?

 ________________________________________

[1]. En mémoire de cette conversion, les chrétiens d’Irak (où est la ville de Mossoul, proche de l’ancienne Ninive) font encore pénitence annuellement trois jours, du lundi au jeudi de la troisième semaine avant le grand Carême. Ce jeûne de repentance que l’on appelle Supplications ou Rogations des Ninivites, continue à être fidèlement pratiqué chaque année depuis 2 500 ans.

[2]. Marie-Dominique Molinié, Le Courage d’avoir peur, Poche, 2017.


 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Les gens de Ninive se détournèrent de leur conduite mauvaise » (Jon 3, 1-5.10)

Lecture du livre de Jonas
La parole du Seigneur fut adressée de nouveau à Jonas : « Lève-toi, va à Ninive, la grande ville païenne, proclame le message que je te donne sur elle. » Jonas se leva et partit pour Ninive, selon la parole du Seigneur. Or, Ninive était une ville extraordinairement grande : il fallait trois jours pour la traverser. Jonas la parcourut une journée à peine en proclamant : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne, et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac.
En voyant leur réaction, et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacés.
 
PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Seigneur, enseigne-moi tes chemins. (24, 4a)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,

ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,

lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.
 
DEUXIÈME LECTURE
« Il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1 Co 7, 29-31)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons.
 
ÉVANGILE
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 14-20)
Alléluia. Alléluia. Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. Alléluia. (Mc 1, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Après l’arrestation de Jean le Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Passant le long de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter les filets dans la mer, car c’étaient des pêcheurs. Il leur dit : « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. Jésus avança un peu et il vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque et réparaient les filets. Aussitôt, Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite.
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , ,

15 janvier 2018

Il était une fois Jonas…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Il était une fois Jonas…


Homélie pour le 3° Dimanche du temps ordinaire / Année B
21/01/2018

Cf. également :

De la baleine au ricin : Jonas, notre jalousie
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel
Quand Dieu appelle
Rousseur et cécité : la divine embauche !
Jésus et les « happy few » : une autre mondialisation est possible

 

Il était une fois Jonas…

Il était une fois Jonas… dans Communauté spirituelle 9783314214134FSÇa commence comme une histoire que l’on raconte aux enfants, le soir, avant de s’endormir. Et c’est tout à fait cela : l’histoire de Jonas, c’est ce que les Juifs appellent un « midrash », c’est-à-dire un récit mi-réel mi-fictif, une de ces histoires qui font réfléchir petits et grands. Vous l’avez entendu dans la première lecture, et il faut le relire en entier (10’ minutes montre en main pour lire le livre de Jonas !) : quand les juifs racontent l’aventure de Jonas à leurs enfants, c’est pour leur faire découvrir que Dieu est plus grand que le peuple juif ; que le salut de Dieu est pour Ninive aussi, pour toutes les nations. Quand des chrétiens racontent Jonas à leurs enfants, c’est pour leur annoncer Jésus-Christ, le vrai Jonas ; et pour parler du baptême, le vrai poisson…

Rappelez-vous : Jonas est un prophète juif à qui Dieu demande d’aller avertir Ninive, la grande ville étrangère et païenne, pour qu’elle change de vie et soit sauvée. Or Jonas veut garder jalousement pour les Juifs le salut offert au peuple juif, et n’a aucune envie que Ninive soit sauvée… Alors il fuit ; il prend un bateau pour aller plus loin, à l’opposé de Ninive. Mais la tempête secoue le navire. Les marins réveillent Jonas qui dormait et lui demandent de l’aide. Il voit bien que c’est à cause de lui que la tempête se déchaîne, et demande librement à l’équipage de le jeter par-dessus bord pour apaiser l’océan déchaîné. Aussitôt fait. Un gros poisson qui passait par là avale Jonas, le préservant ainsi dans son ventre pendant 3 jours et 3 nuits. Puis il le recrache… comme par hasard sur la plage juste en face de Ninive ! Jonas comprend alors que Dieu est têtu pour sauver les païens. Il crie dans toute la ville : « Convertissez-vous ! ». Les gens l’écoutent. À la grande fureur de Jonas, Dieu accorde le salut à Ninive. C’est le fameux épisode de ricin : Jonas est dégoûté que Dieu soit si bon avec les méchants. Assis sous un plant de ricin, il contemple la ville en liesse. Le ricin se dessèche. Jonas attrape une insolation et maudit Dieu d’avoir laissé mourir le ricin. Alors Dieu lui dit : « Comment, Jonas, mon fils, tu pleures parce que le ricin s’est desséché, et tu n’aurais pas pleuré parce que Ninive aurait été détruite ? Sache que moi Dieu, j’ai plus de peine pour un humain qui se perd que pour une plante qui se fane »

2_j baleine dans Communauté spirituelleVoilà l’histoire. Et vous devinez dans quel esprit les Juifs la racontent aujourd’hui : Jonas préfigure pour eux le peuple juif chargé d’annoncer à toutes les nations de se convertir au Dieu unique. Ce peuple a la nuque raide et n’obéit pas facilement à Dieu, mais c’est finalement grâce à lui que le salut parvient jusqu’aux extrémités de la terre.

Vous devinez également la lecture que nous, chrétiens, nous en faisons. Jonas, c’est Jésus qui est envoyé pour le salut du monde entier. Jonas endormi au fond sur le bois du bateau préfigure Jésus endormi dans la mort sur le bois de la Croix. L’interrogatoire de Jonas par les marins préfigure la comparution du Christ devant ses juges. Jonas se sacrifie librement : « Prenez-moi et jetez-moi à la mer » : Jésus donnera librement sa vie dans sa Passion choisie volontairement. « C’est lui, Jésus, le vrai Jonas, qui a donné sa vie pour nous racheter » (Ambroise de Milan, sur le psaume 43,85). La répugnance des marins de jeter Jonas à la mer annonce celle de Pilate qui hésite à livrer Jésus à la mort.


Plus encore, le séjour de Jonas dans le ventre du poisson, au milieu de la mer, préfigure la Passion-Résurrection du Christ et notre propre baptême ! Ecoutez St Augustin : « Jonas a été précipité du navire dans le ventre du monstre marin ; de même le Christ a été précipité du bois de la Croix dans le sépulcre, dans les profondeurs de la mort » (Epître 102, 6, 34 ) « Pourquoi Jonas fut-il reçu dans le ventre du monstre, puis rejeté le 3ème jour, sinon pour préfigurer le Christ revenant le 3ème jour des profondeurs de l’enfer ? » (Cité de Dieu, 18, 30, 2 ).

Jésus lui-même nous met sur la voie de cette lecture symbolique (Mt 12, 38-41 ) :
« Tout comme Jonas fut dans le monstre du ventre marin 3 jours et 3 nuits, ainsi le Fils de l’Homme sera dans le sein de la terre 3 jours et 3 nuits. Lors du Jugement, les habitants de Ninive se lèveront avec cette génération et ils la condamneront, car ils se sont convertis à la prédication de Jonas. Eh bien ! Ici, il y a plus que Jonas ».

Et on a lu dans l’immersion de Jonas 3 jours et 3 nuits la triple immersion des nouveaux baptisés dans l’eau pascale : par 3 fois, ils sont plongés, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Pieter_Lastman_-_Jonah_and_the_Whale_-_Google_Art_Project conversion

Comme beaucoup de prénoms dans la Bible, Jonas a une signification très belle. Jonas veut dire « colombe » en hébreu.
La colombe qui annonce la paix et l’Alliance. Et le bateau de Jonas ressemble à l’arche de Noé d’où s’est élancée la colombe de la paix.
La colombe annonce l’Esprit Saint. Et la prière de Jonas ressemble à la prière de Jésus sur qui repose la colombe de l’Esprit de Dieu lorsqu’il est plongé dans les eaux du Jourdain, lors de son baptême.
C’est ce même Esprit de Jésus qui nous rassemble, grand-parents, parents et petits-enfants, blancs ou noirs, sachant écrire ou sachant dessiner, pour faire de nous une seule famille, un seul corps, le Corps du Christ.

Quant à Ninive, c’est la figure de notre propre conversion : comme les païens de l’époque, cela nous arrive de courir après les idoles (l’argent, le pouvoir, le plaisir, l’individualisme…). Par le baptême, nous pouvons mourir à notre péché pour renaître à une vie nouvelle. Il n’est jamais trop tard pour écouter l’appel que nous lancent les prophètes d’aujourd’hui à changer de vie. À ne pas vouloir la guerre. À ne pas détruire notre planète. À bâtir une mondialisation où la réconciliation serait offerte à tous. Ninive, c’est l’Église, issue de toutes les nations sous le ciel. « Car il devait arriver que le monde entier serait transformé en une seule cité, quand croiraient au Christ des peuples de toutes nations » (Zénon, homélie 1,14.3).

Mondialisation spirituelle…

Nous sommes peu habitués à lire l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau, à déchiffrer comment le Christ accomplit (et non pas abolit) cette première Alliance : le bateau de Jonas évoquait l’Église, la tempête apaisée par le sacrifice de Jonas annonçait la tempête apaisée sur le lac de Tibériade par la parole de Jésus, son plongeon annonçait le baptême, son rejet sur le rivage la Résurrection, Ninive symbolisait le passage de l’Église aux païens etc… Le fait qu’André et Pierre soient les fils d’un père nommé Jonas (Mt 16,17) n’est sans doute mentionné par hasard : Pierre fera passer l’Évangile au monde romain (cf. Pierre et le centurion romain Ac 10), André le fera passer au monde grec (cf. Jn 12, 20-24). Tous deux sont bien les enfants de Jonas, sauveur de la cité païenne de Ninive.

LA%2BRESURRECTION%2Bdroite Jonas

Tapisserie de l’abbaye de la Chaise-Dieu :
Jonas sortant de la gueule du poisson, figure du baptême

Que Jonas nous aide à faire mémoire des baptêmes que nous avons vécu ensemble, dans notre paroisse, et de notre propre baptême. Par 3 fois nous avons été plongés sous l’eau, c’est pour renaître aujourd’hui à une nouvelle manière de vivre, à une conversion de nos existences. N’attendons pas la tempête ou la baleine ou l’avertissement de Jonas : c’est aujourd’hui que nous pouvons accueillir le Christ dans nos vies. Il est lui le vrai Jonas, englouti dans la mort mais victorieux de la mort, offrant à tous les peuples le salut et la vie.

 

Pour prier avec les enfants et leurs parents à partir de l’histoire de Jonas :

·      Seigneur Jésus, comme Jonas, je suis souvent râleur !

Tu m’appelles, et moi je boude, ou je me cache.
Mais voilà qu’aujourd’hui, tu m’invite à embarquer avec toi.
Ce bateau qui a finalement emmené Jonas vers la grande ville étrangère, c’est l’Église, ton Église Seigneur Jésus.
Merci de me demander d’embarquer avec toi, avec les autres enfants, avec nos familles.

·      On dit que le gros poisson qui a avalé Jonas, c’était une baleine.

Pourquoi pas ? En tout cas, il devait être très gros pour que Jonas puisse tenir debout à l’intérieur !

- D’un côté, ce poisson, il était gentil parce qu’il a sauvé Jonas de la noyade.
Merci Seigneur pour tous ceux qui m’aiment. Merci pour tous ceux qui me consolent et me soutiennent quand j’ai besoin d’aide.

- D’un autre côté, ce poisson, il était dangereux parce que, si Dieu ne lui avait pas demandé de relâcher Jonas, il aurait fini par le manger tout entier !
Pardon Seigneur : nous aussi, parents et enfants, comme la baleine, nous avons quelquefois envie de dévorer les autres… Aide-nous à nous respecter sans nous étouffer.

·      Dans le ventre du poisson, Jonas est resté 3 jours et 3 nuits.

Il était dans le noir. Son cœur était dans la nuit. Mais la prière a été sa lumière :
« De la nuit où j’étais, j’ai crié vers Dieu, et il m’a répondu ».
C’était pour annoncer Jésus, qui a prié son père même aux heures les plus sombres, même pendant les 3 jours et les 3 nuits du tombeau.
« De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits ».
Merci Seigneur Jésus d’avoir gardé allumée cette flamme de la prière tout au long de ta Passion. 

·      Ta Résurrection est pour nous le signe d’une espérance extraordinaire : la lumière est plus forte que la nuit, l’amour est plus fort que nos divisions, le pardon est plus grand que la violence.
Seigneur Jésus, tu vois les hommes qui se font la guerre : éclaire leur cœur. Qu’ils écoutent ta parole d’amour. Qu’ils retrouvent le chemin du pardon. Qu’ils bâtissent la Justice et la Paix !

·      « Ninive était une ville divinement grande : il fallait 3 jours pour la traverser », nous dit la Bible.
Jonas l’a traversé en un seul jour ! : c’était pour annoncer le Christ, qui a hâte de traverser le cœur de chacun pour l’aider à changer. C’était l’image de l’Église, qui aujourd’hui encore parcourt toute l’humanité, toutes les grandes villes du monde pour les appeler à accueillir l’amour de Dieu, et qui a bien besoin de se convertir elle aussi.
Seigneur Jésus, viens traverser nos villes et nos villages, les Ninive de ce temps qui attendent un signe d’espérance.
Seigneur Jésus, viens vite traverser mon cœur. 

·      « Jonas s’assit à l’orient de la ville, sous une hutte. Il s’assit dessous, à l’ombre, pour voir ce qui arriverait à la ville ».
Cette hutte fait de l’ombre à Jonas pour le protéger des coups de soleil !
Tu nous donnes souvent, Seigneur, des personnes qui nous protègent, qui nous aident à ne pas nous dessécher. Donne-nous d’être des « huttes de Jonas » les uns pour les autres. Que nos familles, notre Église soit un abri plein d’amour et de paix pour grandir en ta présence.

Ah ! Seigneur, je commence à comprendre ! Et si l’histoire de Jonas, c’était un peu notre histoire à nous ?

Tantôt râleurs, tantôt prophètes ;
des fois presque engloutis par l’épreuve, mais ressuscités à l’espérance ;
rencontrant plein de poissons amis ou dangereux ;
traversant notre monde avec un mélange d’amour et de peur ;
nous plaignant pour un ricin qui meurt, et oubliant que Dieu pleure pour un seul enfant malheureux…
Le signe de Jonas, c’est ta résurrection, Seigneur Jésus, où nous sommes délivrés, comme Jonas est délivré de la baleine pour aller sur un autre rivage…
Viens nous redire cette Bonne Nouvelle, cet Évangile de salut offert à tous les hommes.

 

LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Les gens de Ninive se détournèrent de leur conduite mauvaise » (Jon 3, 1-5.10)

Lecture du livre de Jonas

La parole du Seigneur fut adressée de nouveau à Jonas : « Lève-toi, va à Ninive, la grande ville païenne, proclame le message que je te donne sur elle. » Jonas se leva et partit pour Ninive, selon la parole du Seigneur. Or, Ninive était une ville extraordinairement grande : il fallait trois jours pour la traverser. Jonas la parcourut une journée à peine en proclamant : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne, et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac. En voyant leur réaction, et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacés. – Parole du Seigneur.

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Seigneur, enseigne-moi tes chemins. (24, 4a) 

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi,Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1 Co 7, 29-31)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons.

ÉVANGILE
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 14-20)
Alléluia. Alléluia.
Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. Alléluia. (Mc 1, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Après l’arrestation de Jean le Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Passant le long de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter les filets dans la mer, car c’étaient des pêcheurs. Il leur dit : « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.
Jésus avança un peu et il vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque et réparaient les filets. Aussitôt, Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite.
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , , ,

21 janvier 2012

De la baleine au ricin : Jonas, notre jalousie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

De la baleine au ricin : Jonas, notre jalousie

 

Homélie du 3° Dimanche ordinaire  / Année B

22/01/2012

L’extrait liturgique du livre de Jonas pour notre deuxième dimanche ordinaire est trop pauvre : on veut tellement insister sur le pardon offert qu’on passe sous silence la résistance de Jonas à ce cadeau fait aux païens de Ninive. Or cette résistance est énorme. L’idée que Dieu puisse se soucier d’un autre peuple que le sien met Jonas en colère : il refuse de collaborer à cette trahison de la « préférence nationale » pour le peuple juif. L’idée que Dieu puisse pardonner gratuitement aux pécheurs et les avertir que avant que le châtiment s’abatte – pour qu’il ne s’abatte pas ! – révulse son côté rude et exigeant.

 

Bref : Jonas est jaloux.

Jaloux du salut des autres.

Jaloux de l’exclusivité juive,  quitte à ce qu’elle se fasse aux dépens des autres peuples.

Jaloux de son statut de prophète qu’il ne veut pas mettre au service d’étrangers : ce serait donner de la confiture à des cochons et gaspiller la parole de Dieu que de l’annoncer à Ninive !

 

Alors Jonas fuit en bateau loin de cette ville qu’il exècre. Mais un fameux poisson (une baleine ?) l’avale et le régurgite ensuite devant les remparts de Ninive qu’il voulait fuir. Jonas s’exécute, contraint, pas de bon coeur : en trois jours symboliques il offre contre son gré une vraie renaissance à cette Las Vegas antique. Il faudra l’épisode du ricin desséché pour qu’il accepte enfin le salut des autres, plus important que la survie de ce ricin destiné à le protéger.

 

La jalousie de Jonas est légaliste et rigoureuse. Les païens ont refusé l’Alliance. Seul Israël y est entré, et cela ne lui apporte que des ennuis. Alors, si Dieu est généreux envers ceux qui l’ont renié, à quoi ça sert d’être fidèle ? Si le pardon est offert même aux pires, pourquoi se fatiguer à pratiquer la loi juive pour être des  justes ? Si Dieu aime les païens, que devient l’élection juive ?

 

La jalousie de Jonas est la nôtre

Dès que nous croyons détenir un avantage ou une position privilégiée, nous croyons qu’il faut la défendre contre les autres. Dès que nous pensons détenir plus de vérité, que ce soit dans une Église ou dans nos savoirs humains, nous avons un mal fou à imaginer que d’autres aient un accès différent à cette même vérité.

La jalousie ne veut pas partager ce que l’intelligence a découvert. Elle s’approprie ce qui a été donné. Elle se réjouit des failles des autres. Elle a peur de perdre, et croit pour cela qu’il faut empêcher l’autre de gagner. Elle confond choix préférentiel et exclusivité : or Dieu est capable de préférer chacun, sans que cela soit comparable.

La jalousie ne cherche pas à faire grandir des collaborateurs, des enfants, un conjoint. Elle n’appelle pas des compagnons à partager l’aventure, comme Jésus le fait avec Jean et André, Jacques et Jean dans l’évangile d’aujourd’hui. Elle se réserve les dividendes des réussites, elle mutualise les pertes et privatise les profits…

 

Un antidote de louange

L’inverse de la jalousie serait sans doute la louange.

Se réjouir de ce que Dieu fait de grand chez les autres libère de la possession de ce qu’il accomplit en moi. « Réjouis-toi Marie » est la salutation où Marie se découvre libérée de toute jalousie pour accueillir le travail de l’Esprit Saint en elle. L’émerveillement de Jésus devant la foi d’une libanaise ou d’un centurion le protège contre tout exclusivisme juif qui a dû le tenter pourtant. « Père, je proclame ta louange : au coeur des enfants tu te révèles ». Cette louange admirative ne jalouse pas ce qui est donné ni la manière dont c’est donné. Elle se réjouit pour l’autre, et sans le savoir se prépare ainsi à recevoir davantage !

 

Quels sont les domaines où la jalousie de Jonas fait encore des ravages de nos jours ?

On pense bien sûr aux relations de travail, où on voudrait nous faire croire que la compétition et la rivalité sont plus efficaces que la coopération et le service. Et puis il y a la famille : les questions d’argent, de réussite sociale et d’héritage révèlent combien la jalousie peut miner des liens fraternels. Mais il ne faut pas oublier non plus les Églises, jalouses les unes des autres, qui se dessèchent au lieu de se réjouir de ce que d’autres ont reçu : d’autres paroisses, d’autres diocèses, d’autres courants spirituels, d’autres Églises, d’autres religions même.

Comme si l’identité de chacun devait se conquérir contre et non avec. Comme si la peur de perdre devait primer sur tout.

 

Jonas a appris à marcher sur sa jalousie pour servir la parole de Dieu.

Relisons son histoire, de la baleine ou ricin, comme un antidote à notre propre jalousie.

 

1ère lecture : A l’appel du prophète, les païens se convertissent (Jon 3, 1-5.10)

Lecture du livre de Jonas

La parole du Seigneur fut adressée de nouveau à Jonas :
« Lève-toi, va à Ninive, la grande ville païenne, proclame le message que je te donne sur elle. »
Jonas se leva et partit pour Ninive, selon la parole du Seigneur. Or, Ninive était une ville extraordinairement grande : il fallait trois jours pour la traverser.
Jonas la parcourut une journée à peine en proclamant : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! »
Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne, et tous, du plus grand au plus petit, prirent des vêtements de deuil.
En voyant leur réaction, et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacés.

 

Psaume : Ps 24, 4-5ab, 6-7, 8-9

R/ Fais-nous connaître tes chemins, Seigneur !

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve. 

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse ;
dans ton amour, ne m’oublie pas.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

 

2ème lecture : Le monde passe : vivons ce temps pour le Seigneur (1Co 7, 29-31)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui sont heureux, comme s’ils n’étaient pas heureux, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui tirent profit de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas. Car ce monde tel que nous le voyons est en train de passer.

 

Evangile : Jésus invite les hommes à la conversion, et appelle ses premiers Apôtres (Mc 1, 14-20)

 

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le règne de Dieu est venu jusqu’à vous ; croyez à la Bonne Nouvelle. Alléluia. (Mc 1, 15)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Après l’arrestation de Jean Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu ; il disait :
« Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. »

Passant au bord du lac de Galilée, il vit Simon et son frère André en train de jeter leurs filets : c’étaient des pêcheurs.
Jésus leur dit : « Venez derrière moi. Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes. »
Aussitôt, laissant là leurs filets, ils le suivirent.

Un peu plus loin, Jésus vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient aussi dans leur barque et préparaient leurs filets.
Jésus les appela aussitôt. Alors, laissant dans la barque leur père avec ses ouvriers, ils partirent derrière lui.
Patrick Braud

Mots-clés : , , ,