L'homélie du dimanche (prochain)

19 juillet 2020

Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu

Homélie du 17° Dimanche du temps ordinaire / Année A
26/07/2020

Cf. également :

Tirer de son trésor du neuf et de l’ancien
Que demander dans la prière ?
Quelle sera votre perle fine ?
Acquis d’initié
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Les bonheurs de Sophie

« Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu »

Qui oserait écrire cette énormité aujourd’hui ? après la Shoah, comment soutenir que cette barbarie peut finalement servir le bien ? Après la boucherie de 14-18, comment prétendre qu’il pourrait y avoir un bilan positif pour quiconque ? Plus près de nous, les morts du Coronavirus auraient-il une utilité ? La souffrance des centaines de milliers de licenciements à venir en France peut-elle être convertie en quelque chose de bien ?

Écouter notre deuxième lecture (Rm 8, 28-30) de ce dimanche sans broncher, c’est avoir la tête ailleurs, et ne pas écouter ! Battons-nous contre ce texte jusqu’à ce qu’il rende les armes…

Il y a d’abord un problème de traduction.

 

Les choses, ou la main invisible
Et pas un petit, car des traductions différentes donnent des interprétations différentes, ici particulièrement. La Traduction Oecuménique de la Bible écrit (comme beaucoup de Bibles) : « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu ». Comme si les choses par elles-mêmes s’ordonnaient en lignes de force pour converger vers le bien. Une main invisible en quelque sorte, à la manière de celle d’Adam Smith ordonnant le marché pour servir l’intérêt général. Il se peut d’ailleurs que cette croyance fondamentale du libéralisme provienne de Rm 8 lu à travers le prisme de l’État minimum : laissez les choses se dérouler d’elles-mêmes et vous verrez que le résultat final sera meilleur que les autres, malgré les inégalités inévitables. Cette interprétation accorde à l’ordre du monde un quasi personnalité, immanente : tout se passe comme si les événements, ressentis comme bons ou mauvais, convergeaient d’eux-mêmes vers un optimum. Comme si les passions humaines, morales et immorales, servaient finalement à leur insu le bien commun. La Fable des abeilles de Mandeville (1714) racontait déjà comment les vices et les vertus de chacun dans la ruche humaine s’intégraient avec brio dans la réussite de la construction commune :
« La Vertu ne peut faire vivre les nations dans la Splendeur.
Qui veut Ramener l’âge d’or doit accueillir également le Vice et la Vertu. »

 

Le problème avec cette traduction si répandue de Rm 8,28 est qu’elle n’est pas fidèle au texte grec ! En voici le mot à mot (qu’on appelle version interlinéaire grec-français) :

Οἴδαμεν Nous savons δὲ maintenant ὅτι τοῖς ἀγαπῶσι τὸν θεὸν que pour ceux aimant Dieu πάντα toutes choses συνεργεῖ (il) travaille ensemble εἰς ἀγαθόν pour le bien

 

Dieu, ou la Providence

Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu dans Communauté spirituelle couv_peb_53_providence-212x300Le sujet du verbe synergei (συνεργεῖ : travailler ensemble à = concourir à) n’est pas « tout » (panta = toutes choses). C’est soit « Dieu » (ho theos : mais cette locution vient de certains manuscrits où elle a été rajoutée [1]), soit plutôt l’Esprit (Pneumatos), en cohérence avec la phrase précédente : « L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l’Esprit puisque c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles » (Rm 8, 20 27).

Si l’on choisit Dieu comme sujet du verbe synergei, on a alors la théorie selon laquelle c’est Dieu qui fait travailler ensemble les événements pour le bien de ceux qu’il aime. C’est l’option de la Bible de Jérusalem, ainsi que de la traduction liturgique : « Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour » (Rm 8, 28). On rejoint ainsi le thème de la mystérieuse Providence divine à l’œuvre dans l’histoire. Le philosophe Leibniz a théorisé cette idée : selon lui, Dieu ayant en main des cartes et une vision bien plus grande que les nôtres, compose avec le mal et la souffrance pour obtenir ce que lui sait être le meilleur. Ce monde est vraiment le meilleur des mondes possibles, même s’il nous révolte par son absurdité et son injustice apparente.

Le Catéchisme de l’Église catholique semble suivre cette piste au n° 313 :
« Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu  » (Rm 8,28). Le témoignage des saints ne cesse de confirmer cette vérité :
Ainsi, S. Catherine de Sienne dit à  » ceux qui se scandalisent et se révoltent de ce qui leur arrive » : « Tout procède de l’amour, tout est ordonné au salut de l’homme, Dieu ne fait rien que dans ce but ».
Et S. Thomas More, peu avant son martyre, console sa fille : « Rien ne peut arriver que Dieu ne l’ait voulu. Or, tout ce qu’il veut, si mauvais que cela puisse nous paraître, est cependant ce qu’il y a de meilleur pour nous ».
Et Lady Julian of Norwich : « J’appris donc, par la grâce de Dieu, qu’il fallait m’en tenir fermement à la foi, et croire avec non moins de fermeté que toutes choses seront bonnes… Et tu verras que toutes choses seront bonnes ».

Cette figure de la Providence divine a eu son heure de gloire dans les siècles passés, lorsqu’il s’agissait de prêcher la résignation à ceux qui gémissaient sous le poids du fardeau social, la soumission à ceux qui étaient tentés de se révolter devant les inégalités, les richesses, la domination des puissants, la peste, la famine… [2]

Quel est ce Dieu qui demanderait de s’accommoder du monde tel qu’il est sous prétexte que lui saurait en tirer un bon parti pour les croyants ? D’ailleurs, la plupart du temps, les commentateurs situaient le résultat final (« le bien de ceux qui aiment Dieu ») dans l’au-delà de la mort, expliquant ainsi que cela vaut la peine de souffrir ici-bas si c’est pour la gloire future. Or Paul ne parle pas d’un bien futur en Rm 8. Il décrit son expérience passée, sur laquelle se fonde cette espérance. Nous y reviendrons plus tard.

 

L’Esprit, puissance de transformation
La troisième interprétation fait de l’Esprit du verset 27 le vrai sujet du verbe synergei.
Paul n’a pas voulu le répéter, de même que nous employons le pronom « il » afin de ne pas reprendre deux fois le même terme.
« L’Esprit vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas ce que nous devons, selon nos besoins, demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables; et celui qui sonde les cœurs connaît quels sont les désirs de l’Esprit; il sait qu’il prie selon Dieu pour des saints »  (Rm 8, 26-27). J’avoue préférer cette troisième voie, faisant de l’Esprit l’acteur historique d’une transformation de toutes choses – même le mal – en occasion de progrès pour ceux qui aiment Dieu. C’est le parti de la traduction de la New English Bible : « en toutes choses, il (l’Esprit) coopère (fait concourir toutes choses) pour le bien avec ceux qui aiment Dieu ». Ce qui n’excuse pas le mal ni ne l’explique. Ce qui ne dispense pas de lutter contre lui, au contraire. Mais ce qui affirme que le mal n’aura pas le dernier mot. Constatant sa présence (sans l’expliquer) les croyants trouveront en eux la force spirituelle de transformer sa négativité en quelque chose de plus grand et de meilleur.

Résultat de recherche d'images pour "hillesum etty une vie bouleversée"Le Catéchisme de l’église Catholique suit cette voie au n° 2379 :
« Chez S. Paul, cette confiance est audacieuse (cf. Rm 10,12-13), fondée sur la prière de l’Esprit en nous et sur l’amour fidèle du Père qui nous a donné son Fils unique (cf. Rm 8,26-39). La transformation du cœur qui prie est la première réponse à notre demande ».

La version sécularisée de cette intégration du mal dans un bien supérieur grâce au travail de l’Esprit est bien sûr la dialectique hégélienne :

« L’Esprit conquiert sa vérité seulement à condition de se retrouver soi-même dans l’absolu déchirement […]. L’Esprit est cette puissance seulement en sachant regarder le négatif en face, et en sachant séjourner près de lui. Ce séjour est le pouvoir magique qui convertit le négatif en être » [3].

Il s’agit d’utiliser la puissance du négatif pour en faire sortir autre chose : le travail du négatif par l’Esprit pourra finalement faire émerger un bien supérieur, une œuvre utile. Le dépassement (Aufhebung) du mal ne le détruit pas, mais l’assume et l’intègre dans une œuvre plus grande. Puisqu’il existe, puisqu’il est là, autant en faire quelque chose ! Ceux qui croient au travail de l’Esprit en eux trouveront l’alchimie par laquelle convertir le négatif en force de transformation vers le bien.

On échappe ainsi aux justifications douteuses que la Providence fournissait autrefois pour expliquer le mal et s’y habituer. Chez Hegel comme chez Job, le mal est injuste, inacceptable. Le vaincre n’implique pas de le nier ou de l’expliquer, mais de le dépasser.

Etty Hillesum, jeune femme juive dans le ghetto d’Amsterdam, déportée à Westerbork, puis à Auschwitz où elle mourra en 1943, en est témoin :

« Mes enfants je suis pleine de bonheur et de gratitude, je trouve la vie si belle et si riche de sens. Mais oui, belle et riche de sens, au moment même où je me tiens au chevet de mon ami mort - mort beaucoup trop jeune – et où je me prépare à être déportée d’un jour à l’autre à des régions inconnues. Mon Dieu je te suis si reconnaissante de tout. » [4]

 

Un savoir expérimental
Qui fait concourir toutes choses au bien de ceux qui aiment Dieu ? Et comment ?
Au-delà de ces questions, il faut revenir à l’auteur de Rm 8,28. Ce qui est écrit est énorme, mais ce n’est pas un philosophe qui a trouvé ces mots. Ni un moraliste ou un conseiller du prince. Paul n’est pas en train de réfléchir ou de se lancer dans une spéculation intellectuelle. Non : il relit sa vie ; il relie les événements heureux et malheureux qui l’ont jalonné ; il constate au cœur de ce chaos apparent qu’une fidélité et une ligne de conduite ont progressivement émergé ; il découvre en lui cette capacité étonnante à faire feu de tout bois – même du pire – pour devenir ce qu’il est appelé à être : l’apôtre des nations. Il aura connu les naufrages en Méditerranée, le fouet, les caricatures de procès juifs et romains, les chaînes, le froid, la faim, la soif, le supplice, la prison, le mépris, et finalement la décapitation dont il se doute qu’elle l’attend à Rome. Mais tout cela a finalement servi sa mission : annoncer l’Évangile aux païens. À chaque étape, il a puisé en lui – ou plutôt dans le travail de l’Esprit en lui – une force (dynami) grandissante lui donnant par expérience cette certitude époustouflante qu’il crie dans cette longue litanie de la même lettre aux Romains :

« Que dire de plus ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? Dieu est celui qui rend juste : alors, qui pourra condamner ? Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous : alors, qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? En effet, il est écrit : C’est pour toi qu’on nous massacre sans arrêt, qu’on nous traite en brebis d’abattoir. Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (Rm 8, 31 39)

 Esprit dans Communauté spirituellePaul proclame une confiance qui s’appuie sur son expérience passée, et non sur un raisonnement ou des idées. C’est un savoir expérimental, et non théorique. Il témoigne de son espérance invincible en la victoire sur la mort et le mal pour soutenir le combat spirituel des chrétiens de Rome exposés aux menaces, aux persécutions, à la dérision. Les martyrs romains l’ont entendu cinq sur cinq ! Ils chanteront dans l’arène face aux fauves ; ils pardonneront à leurs bourreaux ; ils béniront ceux qui les maudiront. Et Tertullien constatera au troisième siècle que l’incendie qu’ils ont allumé n’est pas celui de Rome par Néron, mais l’Évangile se répandant comme une traînée de poudre autour du bassin méditerranéen : « le sang des martyrs est semence de chrétiens ». Nul éloge des persécutions dans cet adage, mais le constat historique que « l’Esprit fait concourir toutes choses au bien de ceux qui aiment Dieu ».

Paul expose dans les versets précédents le rôle de l’Esprit en nous : (Rm 8,26 27). C’est vrai : nous ne savons pas ce qui est bon pour nous. Nous appelons « bien » la santé, la richesse, la tranquillité alors qu’elles sont peut-être en train de nous éloigner de Dieu. Nous appelons « mal » nos déceptions, nos fragilités, nos finitudes, alors qu’elles pourraient peut-être nous faire grandir en humanité. Voilà pourquoi l’Esprit prie en nous mieux que nous-mêmes, car nous ne savons pas quoi demander. La vraie demande n’est pas tel ou tel bien particulier (est-ce si bien que cela ?) mais la Sagesse demandée par Salomon, l’Esprit du Veni Creator. Jésus avait indiqué à ses disciples comment accomplir la prière de demande : « combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11, 13) Quel bien plus grand que l’Esprit Saint pourrions-nous demander ?

Le travail de l’Esprit en nous est d’abord de nous déprendre de nos représentations (au-delà du bien et du mal, aurait dit Nietzsche) pour nous donner d’accueillir toutes choses comme un matériau à transformer en vue d’un bien supérieur révélé en cours de route…

Faites vous-même cet exercice de relecture qui était celui de Paul : quelles sont les blessures, les catastrophes de votre existence que finalement vous avez réussi à transformer en autre chose ? À l’inverse, quelles réussites, quels succès vous apparaissent aujourd’hui trompeurs et superficiels ?

 

Et ceux qui n’aiment pas Dieu ?

 HegelUn dernier mot sur la fin de notre désormais célèbre phrase : « pour le bien de ceux qui aiment Dieu ». Ah bon ! Et les autres ? Ceux qui n’aiment pas Dieu ? L’Esprit les laisserait tomber ? Ou pire : Dieu se vengerait en les broyant dans la grande machine de l’Histoire ? Comment notre amour de Dieu pourrait-il être un pur amour, gratuit et désintéressé, s’il avait pour moteur d’obtenir que tout s’arrange pour le mieux en finale ? Interrogations un peu anachroniques, car ce n’est pas le problème de Paul. Lui veut réconforter et soutenir les croyants dans la tourmente romaine. Il écrit une lettre aux chrétiens de Rome, pas à leurs persécuteurs. D’ailleurs, comment savoir qui aime Dieu et qui ne l’aime pas ? Saint Augustin disait avec finesse à propos de l’Église : « il y en a qui se croient dedans alors qu’ils sont dehors ; il y en a qui se croient dehors alors qu’ils sont dedans ». Paul affirme que l’Esprit a la puissance de tout transformer pour peu que l’on soit porté par l’amour de Dieu. Son but ici n’est donc pas d’affirmer la perte des ‘méchants’, mais la force de l’amour que nous portons à Dieu dans l’adversité. Et qui sait si « le bien de ceux qui aiment Dieu » n’inclue pas le salut des ennemis ?
Ne transformons pas en machine de guerre contre nos adversaires réels ou supposés ce qui est essentiellement une proclamation d’espérance :
« rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ ».

 

Conclusion
Résumons-nous : Rm 8,28 n’est pas une théodicée justifiant le mal par son utilité ; pas besoin d’une mystérieuse Providence à qui attribuer tout ce qui arrive ; pas de résignation devant ce qui arrive non plus, parce que les choses n’ont pas de consistance en elles-mêmes  (il n’y a pas de destin ; Paul parle de vocation, d’appel et non de destin).

Paul nous appelle à découvrir ce trésor de l’extraordinaire énergie de l’Esprit, capable de tout transformer – même le pire – à l’avantage de ceux qui aiment Dieu, justement parce que cet amour (agapê dans le texte) est le vrai moteur de l’Histoire.

Apprenons donc à relire notre vie, les événements qui nous touchent, en positif comme en négatif, pour que cette alchimie spirituelle les transforme en quelque chose de plus grand.

 


[1]. Karl Lachmann Lachmann a ajouté ho theos après synergei dans son Nouveau testament grec en 1831, en s’appuyant sur le Papyrus P46 datant d’environ l’an 200 et d’autres sources, notamment les manuscrits A (5e siècle) et B (4e siècle) ainsi que la version copte sahidique. Cette variante a permis d’avoir la traduction faisant de Dieu le sujet du verbe synergei.

[2]. Le Catéchisme de l’Église Catholique au n° 395 utilise même Rm 8,28 pour justifier l’existence de l’activité diabolique, car elle ne peut empêcher la réalisation du Royaume de Dieu : « La puissance de Satan n’est cependant pas infinie. Il n’est qu’une créature, puissante du fait qu’il est pur esprit, mais toujours une créature : il ne peut empêcher l’édification du Règne de Dieu. Quoique Satan agisse dans le monde par haine contre Dieu et son Royaume en Jésus-Christ, et quoique son action cause de graves dommages – de nature spirituelle et indirectement même de nature physique – pour chaque homme et pour la société, cette action est permise par la divine Providence qui avec force et douceur dirige l’histoire de l’homme et du monde. La permission divine de l’activité diabolique est un grand mystère, mais  » nous savons que Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment » (Rm 8,28).

[3]. G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, Préface (1807).

[4]. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Journal 1941-1943, Seuil, 1985, p. 206.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tu m’as demandé le discernement » (1 R 3, 5.7-12)

Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, à Gabaon, pendant la nuit, le Seigneur apparut en songe à Salomon. Dieu lui dit : « Demande ce que je dois te donner. » Salomon répondit : « Ainsi donc, Seigneur mon Dieu, c’est toi qui m’as fait roi, moi, ton serviteur, à la place de David, mon père ; or, je suis un tout jeune homme, ne sachant comment se comporter, et me voilà au milieu du peuple que tu as élu ; c’est un peuple nombreux, si nombreux qu’on ne peut ni l’évaluer ni le compter. Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ; sans cela, comment gouverner ton peuple, qui est si important ? »
Cette demande de Salomon plut au Seigneur, qui lui dit : « Puisque c’est cela que tu as demandé, et non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, mais puisque tu as demandé le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner, je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage, tel que personne n’en a eu avant toi et que personne n’en aura après toi. »

 

PSAUME
(Ps 118 (119), 57.72, 76-77, 127-128, 129-130)
R/ De quel amour j’aime ta loi, Seigneur ! (Ps 118, 97a)

Mon partage, Seigneur, je l’ai dit,
c’est d’observer tes paroles.
Mon bonheur, c’est la loi de ta bouche,
plus qu’un monceau d’or ou d’argent.

Que j’aie pour consolation ton amour
selon tes promesses à ton serviteur !
Que vienne à moi ta tendresse, et je vivrai :
ta loi fait mon plaisir.

Aussi j’aime tes volontés,
plus que l’or le plus précieux.
Je me règle sur chacun de tes préceptes,
je hais tout chemin de mensonge.

Quelle merveille, tes exigences,
aussi mon âme les garde !
Déchiffrer ta parole illumine
et les simples comprennent.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Il nous a destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils » (Rm 8, 28-30)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères. Ceux qu’il avait destinés d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu’il a rendus justes, il leur a donné sa gloire.

 

ÉVANGILE
« Il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ » (Mt 13, 44-52)
Alléluia. Alléluia.Tu es béni, Père, Seigneur du ciel et de la terre, tu as révélé aux tout-petits les mystères du Royaume ! Alléluia. (cf. Mt 11, 25)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à la foule ces paraboles : « Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ.
Ou encore : Le royaume des Cieux est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle.
Le royaume des Cieux est encore comparable à un filet que l’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes et les jetteront dans la fournaise : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
 « Avez-vous compris tout cela ? » Ils lui répondent : « Oui ». Jésus ajouta : « C’est pourquoi tout scribe devenu disciple du royaume des Cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. »
Patrick BRAUD

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29 octobre 2018

Conjuguer le verbe aimer à l’impératif

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Conjuguer le verbe aimer à l’impératif


Homélie pour le 31° dimanche du temps ordinaire / Année B
04/11/2018

Cf. également :

Simplifier, Aimer, Unir
J’ai trois amours
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Aime ton Samaritain !

Sans condition, ni délai
Boali, ou l’amour des ennemis
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?


« Tu aimeras » : que ce soit pour aimer Dieu, son prochain ou soi-même, Jésus use aujourd’hui d’un impératif catégorique qui devrait nous étonner :

En ce temps-là, un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » (Mc 12, 28b-34)

Conjuguer le verbe aimer à l'impératif dans Communauté spirituelle Lapinbleu323C-Dt6_51

N’y a-t-il pas en effet une contradiction dans les termes ? Interrogez vos proches, vos amis. Ils vous diront que l’amour est un sentiment, qu’on n’y peut rien lorsqu’il vous tombe dessus (d’ailleurs on « tombe » amoureux comme on tombait enceinte autrefois !), qu’il vaut mieux s’y résoudre en se séparant lorsqu’il s’absente etc. Cette conception moderne (à partir du 18° siècle) de l’amour-sentiment imprègne la littérature romantique et la philosophie des Lumières. Ainsi Emmanuel Kant :

« L’amour est une affaire de sentiment et non de volonté ; je ne peux aimer parce que je le veux, encore moins parce que je le dois ; il s’ensuit qu’un devoir d’aimer est un non-sens. » [1]

Bertrand Russell, philosophe du 20° siècle, dans Le Mariage et la morale, en remet une couche :

« L’amour ne peut fleurir que s’il reste libre et spontané. Nous dire que c’est notre devoir d’aimer telle personne, c’est le moyen le plus sûr de nous la faire haïr ».

Comment le Christ peut-il commander d’aimer ? Peut-il ordonner d’éprouver du sentiment pour l’autre, surtout quand celui-ci n’est pas aimable ?

Albert Camus pourtant voulait tenir ensemble l’obligation et l’amour :
« Je ne connais qu’un devoir : c’est celui d’aimer. » [2]

Comment se sortir de ce dilemme ?

Procédons en deux étapes :

1. L’amour ne se réduit pas au sentiment, loin de là

2. L’obligation d’aimer n’est pas morale, mais un fruit de l’Esprit.

 

1. L’amour ne se réduit pas au sentiment, loin de là

Le mariage d'amour a-t-il échoué ? par BrucknerLes historiens comme Georges Duby, Le Roy Ladurie, Denis de Rougemont dans son histoire de l’amour en Occident ou même Luc Ferry ont bien montré que la conception romantique de l’amour est finalement assez tardive. L’idéalisation du sentiment naît avec l’amour courtois dès le haut Moyen Âge, et se focalise ensuite au 18° siècle sur l’émotion ressentie dans les bras de l’aimé ou loin de lui (cf. Lamartine, Baudelaire…). Auparavant, il n’en était pas ainsi. Et d’ailleurs nombre de cultures (Afrique, Asie…) ont conservé une autre approche : le couple n’est pas d’abord le lieu du sentiment, mais de l’entraide mutuelle, de l’accueil de la vie, du rayonnement social. Si avec le temps vient l’amour-émotion – et c’est souvent le cas – tant mieux, mais c’est un plus, une cerise sur le gâteau. Voilà pourquoi les mariages forcés ne choquaient pas les mentalités. C’est en assumant ensemble leur place et leur mission que les époux apprenaient à s’apprécier et à développer tendresse et affection. Dans cette vision traditionnelle, le temps construisait l’amour, alors que c’est l’inverse en Occident désormais.

Or réduire l’amour au sentiment, au cœur qui bat, appauvrit l’amour, qui est bien plus grand que cela.

Saint Augustin dans ses Confessions distingue trois stades dans son évolution amoureuse, qui peuvent nous éclairer pour pressentir ce qu’aimer en vérité signifie.

Amare amari

Les Confessions de Saint augustinLe premier stade est celui de l’amour adolescent : amare amari (aimer être aimé).

Ma plus vive jouissance n’était-elle pas d’aimer et d’être aimé ? Mais je ne m’en tenais pas à ces liens d’âme à âme, sur la chaste lisière de l’amitié spirituelle. D’impures vapeurs s’exhalaient des fangeuses convoitises de ma chair, de l’effervescence de la puberté ; elles couvraient et offusquaient mon cœur : la sérénité de l’amour était confondue avec les nuages de la débauche. L’une et l’autre fermentaient ensemble, et mon imbécile jeunesse était entraînée dans les précipices des passions et plongeait dans le gouffre du libertinage. (Confessions II,2)

L’adolescent aime être aimé, parce qu’il retire un plaisir immense du trouble amoureux, dont il découvre la profondeur et le vertige. Peu importe l’objet ou la personne aimée à la limite, l’essentiel pour lui est de se fondre, de vibrer, de s’immerger dans un océan fusionnel avec l’autre (dont Freud ne manquera pas de souligner le caractère narcissique et régressif). Beaucoup de gens sont encore adolescents lorsqu’ils affirment : « si je ne ressens rien pour l’autre, je ne peux pas l’aimer, et nul ne peut m’y forcer ».

Amare amare

Le deuxième stade de l’amour est celui de l’amour adulte : amare amare (aimer aimer).

102567857 amour dans Communauté spirituelleJ’aime aimer, non plus pour recevoir en retour, mais pour construire quelque chose de vrai et de durable.

Je vins à Carthage, où bientôt j’entendis bouillir autour de moi la chaudière des sales amours. Je n’aimais pas encore, et j’aimais à aimer; et par une indigence secrète, je m’en voulais de n’être pas encore assez indigent. Je cherchais un objet à mon amour, aimant à aimer; et je haïssais ma sécurité, ma voie exempte de pièges. Mon cœur défaillait, vide de la nourriture intérieure, de toi-même, mon Dieu; et ce n’était pas de cette faim-là que je me sentais affamé ; je n’avais pas l’appétit des aliments incorruptibles: non que j’en fusse rassasié; je n’étais dégoûté que par inanition. (Confessions III,1,1)

Devenir mari/femme, puis père/mère relève de cette volonté de se donner pour que d’autres vivent. L’amitié sincère s’inscrit également dans ce mouvement qui mobilise la volonté, l’intelligence, les ressources financières etc. au service de la croissance de l’autre. C’est un amour responsable, qui ne fait pas dépendre son investissement ni sa durée du nombre de battements de cœur ressentis pour l’autre.

Amare

Le troisième stade selon Augustin est celui de l’amour gratuit, inconditionnel, totalement désintéressé : amare (aimer).

Saint Bernard le dit en ces termes :

L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche pas hors de lui-même sa raison d’être : son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime, j’aime pour aimer (Saint-Bernard, sermon sur le cantique des cantiques).

Aimer, sans autre raison que l’amour même.

Le pur amour dont Fénelon et Mme Guyon  débattaient avec Bossuet.

Les Grecs l’appelaient agapè, qui a donné le mot français agapes pour désigner des repas fraternels et aimants. Parce qu’il est sans pourquoi, l’Agapè peut choisir de se porter sur ce que le sentiment ne choisirait jamais, et que l’amour responsable n’assumerait pas : aimer ses ennemis, aimer ceux qu’on présente comme des monstres inhumains, aimer les effrayants mourants de Calcutta ou les SDF repoussants de Paris, aimer ceux à qui on dénie toute dignité du tout début à la toute fin de leur existence…

Comment aimer ceux qui sont laids, répugnants, tombés en déchéance, si ce n’est en voulant les aimer et en choisissant de se faire leur serviteur ?

Les deux premiers stades sont connus de tous, même si beaucoup s’arrêtent au premier. Le troisième est plus subtil, à contre-courant des mentalités de ce siècle. Il ne s’apprend qu’au contact de ceux qui le vivent eux-mêmes, bien souvent sans en avoir conscience, et qui l’irradient sans rien faire qu’être eux-mêmes.

Ainsi Jésus salue dans le scribe de ce dimanche un alter ego : comme lui, cet homme a appris à distinguer l’essentiel de l’accessoire dans la loi juive (au milieu de 613 commandements !). Il a appris grâce à l’étude comment simplifier et unir les trois amours au cœur du judaïsme (Dieu/soi-même/le prochain). Jésus et lui se reconnaissent, se saluent, et chacun laisse l’autre aller son chemin sans que cet éloignement soit une distance entre eux, au contraire.

 

2. L’obligation d’aimer n’est pas morale, mais un fruit de l’Esprit.

Les philosophes modernes comme Kant et Russell font du commandement : « tu aimeras » une obligation morale. Or dans la foi chrétienne, aimer est une conséquence de l’union à Dieu et non un préalable. « Tu aimeras » est donc une obligation spirituelle et non morale, au sens où c’est l’Esprit de Dieu qui vient aimer en moi parce que, par le Christ et avec lui, je suis en communion profonde avec Dieu. À ce moment-là, ce n’est plus une obligation, car cela découle de l’amour même qu’est Dieu, se donnant gratuitement, sans calcul ni retour.

Il n’y a donc pas lieu de se forcer à éprouver quelque sentiment que ce soit pour Hitler ou Pol Pot ! Il s’agit d’abord de laisser le Christ m’unir à lui, afin que son Esprit vienne m’inspirer des paroles, des gestes, des pensées qui conviendront pour témoigner à l’autre – même horrible – qu’il est aimé, et que cela peut changer son existence. Si l’autre accueille Dieu à travers moi, il se détournera du mal commis. S’il refuse, il n’en sera pas moins aimé de Dieu, de moi uni à Dieu.

On pourrait presque jouer avec les temps, et transformer l’impératif en futur. « Tu aimeras » résonne comme une promesse : ‘si tu es uni à Dieu, tu aimeras comme lui et toi-même et ton prochain’…

Facile à dire… Mais quand on est face à un bourreau, un violent, un malfaisant, la répulsion prend le dessus. L’objection est réelle : elle souligne le travail intérieur auquel je dois me livrer pour laisser Dieu aimer en moi au lieu de vouloir aimer comme Dieu.

Paul a suivi ce chemin de communion spirituelle avec Jésus ressuscité, au point de s’écrier : « ce n’est plus moi qui vis, mais Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Rien ne sert être volontariste pour aimer. Sinon, il y aura toujours quelque intérêt caché qui entachera notre désir d’aimer. Car on peut se montrer aimant et en réalité rechercher des félicitations, de la gloire, des remerciements, des avantages en retour, ne serait-ce qu’une bonne image de soi et une bonne réputation. Loin de chercher la morale pour elle-même, nous la pratiquons pour des raisons extérieures à elle. Nous nous soumettons à la loi morale pour ne pas perdre l’amour de nos parents, de nos proches, pour sauvegarder notre image sociale, pour ne pas subir les sanctions des uns et des autres etc.

41-no-m60cL._ commandementLa seule manière d’aimer impérativement chacun est de lâcher prise sur cette volonté elle-même. Si nous communions à la vie divine, Dieu fera son œuvre en nous mille fois mieux que nous pourrons faire l’œuvre de Dieu.

Ce que la jeune juive Etty Hillesum écrivait en 1943 à Amsterdam de l’écoute intérieure vaut également pour le mouvement de l’amour de Dieu en nous :

Même un corps maladif n’empêchera pas l’esprit de continuer à fonctionner et apporter ses fruits. Ni de continuer à aimer, à être à l’écoute de soi-même, des autres, de la logique de cette vie, et de toi (mon Dieu). Hineinhörchen, écouter au-dedans : je voudrais disposer d’un verbe bien hollandais peux dire la même chose. De fait, ma vie n’est qu’une perpétuelle écoute au-dedans de moi-même, des autres, de Dieu. Et quand je dis que j’écoute au-dedans, en réalité c’est plutôt Dieu en moi qui est à l’écoute. Ce qu’il y a de plus essentiel et de plus profond en moi écoute l’essence et la profondeur de l’autre. Dieu écoute Dieu[3]

« Dieu aime Dieu en moi » si je laisse son Esprit m’unir à lui. Alors, même le soldat nazi du camp de Westerbrok apparaissait à Etty comme un frère en humanité qu’elle pouvait aimer de toutes ses forces, de toute son intelligence, quel que soit le sentiment du moment.

Cette unification intérieure naît de l’amour pour Dieu, le premier amour qui engendre tous les autres.

Mais aujourd’hui, qui ose appeler à aimer Dieu d’abord et en toutes choses ?

 


[1]. Emmanuel KANT, Doctrine de la vertu, Introduction, XII, c, « De l’amour des hommes », Vrin, 1968, pp. 73-74.

[2]. Albert Camus, Carnets II, janvier 1942 – mars 1951 (1964).

[3]. Etty Hillesum, Une vie bouleversée (Journal 1941-43), Seuil, coll. Points, 1995, pp 207-208.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Écoute, Israël : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur » (Dt 6, 2-6)

Lecture du livre du Deutéronome

Moïse disait au peuple : « Tu craindras le Seigneur ton Dieu. Tous les jours de ta vie, toi, ainsi que ton fils et le fils de ton fils, tu observeras tous ses décrets et ses commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie. Israël, tu écouteras, tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité, dans un pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a dit le Seigneur, le Dieu de tes pères.
Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.
Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur. »

Psaume
(Ps 17 (18), 2-3, 4, 47.51ab)
R/ Je t’aime, Seigneur, ma force.
(Ps 17, 2a)

Je t’aime, Seigneur, ma force :
Seigneur, mon ro ma forteresse,
Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite,
mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !

Louange à Dieu !
Quand je fais appel au Seigneur,
je suis sauvé de tous mes ennemis.
Vive le Seigneur ! Béni soit mon Rocher !

Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire,
Il donne à son roi de grandes victoires,
il se montre fidèle à son messie.

Deuxième lecture
« Jésus, parce qu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce qui ne passe pas » (He 7, 23-28)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, dans l’ancienne Alliance, un grand nombre de prêtres se sont succédé parce que la mort les empêchait de rester en fonction. Jésus, lui, parce qu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce qui ne passe pas. C’est pourquoi il est capable de sauver d’une manière définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, car il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur.
C’est bien le grand prêtre qu’il nous fallait : saint, innocent, immaculé ; séparé maintenant des pécheurs, il est désormais plus haut que les cieux. Il n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses péchés personnels, puis pour ceux du peuple ; cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même. La loi de Moïse établit comme grands prêtres des hommes remplis de faiblesse ; mais la parole du serment divin, qui vient après la Loi, établit comme grand prêtre le Fils, conduit pour l’éternité à sa perfection.

Évangile
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Tu aimeras ton prochain » (Mc 12, 28b-34) Alléluia. Alléluia.

Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Le scribe reprit : « Fort bien, Maître, tu as dit vrai : Dieu est l’Unique et il n’y en a pas d’autre que lui. L’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. » Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n’osait plus l’interroger.
Patrick BRAUD

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27 mars 2018

Deux prérequis de Pâques

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Deux prérequis de Pâques


Homélie pour la fête de Pâques / Année B
01/04/18

Cf. également :

Pâques : Courir plus vite que Pierre
Les Inukshuks de Pâques
Pâques n’est décidément pas une fête sucrée
Comment annoncer l’espérance de Pâques ?
Incroyable !
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Les sans-dents, pierre angulaire


Que s’est-il passé entre la sinistre éclipse du Vendredi saint vers 15 heures et l’annonce incroyable de l’aurore de Pâques en ce dimanche matin ?

Nul ne saura jamais quelle mystérieuse alchimie opérant dans le tombeau scellé a produit ce corps transfiguré adapté à l’autre monde. Par contre, nous connaissons deux démarches qui ont préparé sans le savoir cet évènement hors normes. Deux prérequis en quelque sorte, indispensables pour que quelque chose d’inouï arrive. Sans rien enlever à la gratuité de l’événement pascal, ces deux prérequis soulignent la part humaine, notre contribution à la résurrection du Christ, rien moins que cela !

 

Réhabiliter les vaincus de l’histoire (Joseph d’Arimathie)

L’Évangile de Jean nous rapporte l’intervention courageuse de Joseph d’Arimathie auprès des autorités juives :

« Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus (Jn 19,38) ». 

Deux prérequis de Pâques dans Communauté spirituelle MaT%2B-%2BLouviers%2B27%2B%25282%2529C’est un peu comme demander le corps de Jean Moulin à la Kommandantur après qu’il ait été supplicié par la Gestapo. Alors que l’affaire Jésus s’est soldée par la défaite totale de ce faux prophète et la mise en déroute de sa bande, ce notable Joseph d’Arimathie, respecté et ayant pignon sur rue, risque sa réputation et sa sécurité pour récupérer le cadavre lamentable qui gît au pied de la croix. Il ose ainsi se dévoiler, prendre parti, et risquer l’affrontement avec les vainqueurs apparents de la confrontation.

Il fait plus encore : il place le cadavre dans un tombeau neuf prévu pour un riche. Donner une sépulture à un crucifié est déjà une transgression, car la loi juive demande de laisser les corps pendre au gibet, sans doute à titre d’exemple (barbarie assez répandue hélas), pour que la honte et l’humiliation soient portées à l’extrême avec les oiseaux et autres charognards déchiquetant les chairs… Rappelons-nous que la malédiction attachée au supplice de la croix fait du crucifié un non-juif, un maudit de Dieu, rayé du peuple, exclu de toute dignité humaine même après sa mort (Ga 3,13; Dt 21,23).

Or Joseph ose lui redonner cette dignité en lui offrant son tombeau. Et un tombeau de riche, c’est-à-dire de quelqu’un béni des dieux, admiré des hommes. Un théologien – Jean-Baptiste Metz – a appelé « souvenir des vaincus » cette démarche au cœur de Pâques : faire mémoire de la Pâque du Christ, c’est se souvenir de tous les vaincus de l’histoire qui aurait dû passer aux oubliettes de la mémoire collective, mais inoubliables en Christ.

Réhabiliter les vaincus de l’histoire, c’est raconter les millions de vies supprimées dans les goulags soviétiques, donner un nom aux ombres des camps de Pol Pot ou de Mao, réécrire l’histoire des pauvres gens et pas seulement des princes, des rois et des puissants. C’est adopter le point de vue des plus petits lorsqu’on envisage un projet d’entreprise. C’est faire attention à ceux que personne ne remarque. C’est écrire les monographies des familles du Quart-Monde avec ATD. C’est ne pas passer sous silence les existences éliminées en début ou en fin de vie sans état d’âme. C’est égrener le nom des indigents morts dans la rue et destinés à la fosse commune.

Cette réhabilitation comporte un risque majeur : être soi-même identifié à ceux dont on réclame les corps pour les honorer, et finalement subir le même sort qu’eux. C’est pourquoi les candidats ne se bousculent pas ! Mais Joseph d’Arimathie a eu ce courage. Sans lui, pas de tombeau pour Jésus le maudit.

 

Être un baume versé sur tant de plaies

Les deux Marie (mais où est la mère de Jésus ?) et la mère de Salomé incarnent le deuxième prérequis de Pâques : embaumer le corps du supplicié.

« Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller oindre le corps.  Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil s’étant levé. » (Mc 16,1-2)

Toutes les familles qui ont eu recours à un thanatopracteur après un décès comprennent ce que cela signifie. Rendre à un visage aimé un peu de beauté et de sérénité après l’épreuve de la maladie et ici de la croix. Retravailler les tissus abîmés après un accident de la route, disposer les membres déformés de manière à leur redonner apparence convenable. Embaumer, c’est mettre du baume sur les plaies et préserver la dignité du corps humain le plus longtemps possible. Les embaumements égyptiens de pharaons préparaient ainsi la vie des puissants dans l’au-delà. Les trois femmes du matin de Pâques viennent embaumer un malheureux sans pouvoir imaginer que c’est lui qui leur ouvrira l’au-delà. Elles veulent faire de lui un « oint » de leurs aromates, et c’est le Christ (l’Oint de Dieu) qui les consolera.

« On voudrait être un baume versé sur tant de plaies » : c’est la dernière phrase du journal intime d’Etty Hillesum en 1942 [1], avant de partir volontairement du quartier juif d’Amsterdam vers le camp de Westerbrok où elle mourut en 1943. Etty a consacré ses mois de captivité à Westerbrok à être aux côtés de ses compagnons d’infortune, avec générosité, compassion, et même beaucoup d’humour et de gaieté. À l’image des deux Marie et de Salomé, Etty voulait comme embaumer ceux que l’extermination nazie allait gazer puis incinérer. Sans aucun doute préparait-t-elle ainsi leur résurrection, unis au sacrifice du Christ, l’un des leurs.

Être un baume versé sur tant de plaies se traduit aujourd’hui par la présence auprès des migrants, des prisonniers, des mourants, des rejetés de toutes sortes…

Entre Vendredi saint et matin de Pâques, un homme et trois femmes incarnent deux prérequis de la Résurrection : réhabiliter les vaincus de l’histoire, être soi-même comme un baume versé sur les plaies de notre entourage…

Que l’Esprit de Dieu nous souffle comment nous engager sur cette double voie : nous goûterons alors à la vraie joie de Pâques.

 


[1] . Une vie bouleversée. suivi de Lettres de Westerbork, Journal 1941-1943, Etty Hillesum, 1995, Seuil, coll. Points.

 

 

MESSE DU JOUR DE PÂQUES

PREMIÈRE LECTURE
« Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts » (Ac 10, 34a.37-43)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, quand Pierre arriva à Césarée chez un centurion de l’armée romaine, il prit la parole et dit : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean : Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage : Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »

PSAUME
(Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23)
R/ Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! (Ps 117, 24)

Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Oui, que le dise Israël :
Éternel est son amour !

Le bras du Seigneur se lève,
le bras du Seigneur est fort !
Non, je ne mourrai pas, je vivrai,
pour annoncer les actions du Seigneur.

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Recherchez les réalités d’en haut, là où est le Christ » (Col 3, 1-4)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens

Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire.

SÉQUENCE
À la Victime pascale, chrétiens, offrez le sacrifice de louange.

L’Agneau a racheté les brebis ;
le Christ innocent a réconcilié
l’homme pécheur avec le Père.

La mort et la vie s’affrontèrent
en un duel prodigieux.
Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne.

 « Dis-nous, Marie Madeleine,
qu’as-tu vu en chemin ? »

 « J’ai vu le sépulcre du Christ vivant,
j’ai vu la gloire du Ressuscité.

J’ai vu les anges ses témoins,
le suaire et les vêtements.

Le Christ, mon espérance, est ressuscité !
Il vous précédera en Galilée. »

Nous le savons : le Christ
est vraiment ressuscité des morts.

Roi victorieux,
prends-nous tous en pitié !
Amen.

 

ÉVANGILE
« Il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20, 1-9)

Alléluia. Alléluia. Notre Pâque immolée, c’est le Christ ! Célébrons la Fête dans le Seigneur ! Alléluia. (cf. 1 Co 5, 7b-8a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
Patrick BRAUD

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14 octobre 2015

On voudrait être un baume versé sur tant de plaies…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

On voudrait être un baume versé sur tant de plaies…

 

Homélie du 29° dimanche du temps ordinaire / Année B
18/10/2015

Cf. également :

Donner sens à la souffrance

Jesus as a servant leader

 

« On voudrait être un baume versé sur tant de plaies… »

Cette phrase est la dernière ligne du journal d’Etty Hillesum [1], rédigée le 12/10/1942.

On voudrait être un baume versé sur tant de plaies… dans Communauté spirituelle 41NvQLzB9gL._SX345_BO1,204,203,200_Elle traduit une attitude du cœur entièrement tournée vers les autres. Du décentrement de soi jaillit non seulement la compassion, mais l’action pour soulager la souffrance d’autrui. Et Dieu sait que cette période a engendré au XXe siècle plus de souffrance, quantitativement et qualitativement hélas, que jamais aucune autre période de l’humanité.
Jeune femme juive, Etty Hillesum a vu éclater l’orage nazi. Habitant Amsterdam, elle a étudié et travaillé jusqu’à ce que la déportation de sa famille au camp de Westerbrok l’amène à vouloir la rejoindre, en tant que membre du conseil juif d’Amsterdam. Elle finit par être déportée, avec ses parents et ses frères, à Auschwitz, où elle meurt en 1943. Dans ses années étudiantes, elle tient par écrit dans son journal intime l’évolution de son cheminement intérieur. Attentive à elle-même, elle écoute de mieux en mieux les autres :

« Bien des gens sont encore pour moi de véritables hiéroglyphes, mais tout doucement j’apprends à les déchiffrer. Je ne connais rien de plus beau que de lire la vie en déchiffrant les êtres. »

Lorsque ses cahiers quadrillés ont été publiés – tardivement en 1981 – les Pays-Bas puis le monde entier ont découvert une personnalité hors du commun, et à l’itinéraire intérieur éblouissant. Notamment sur la question – l’énigme - de la souffrance qui parcours nos lectures de ce dimanche, Isaïe surtout :

« Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. » (Is 53, 10-11) 

Broyée par la souffrance

Être « broyé par la souffrance », comme gémit Isaïe, Etty l’a vécu dans sa chair, ses amis, sa famille. Mais elle faisait une distinction entre souffrir et être vaincue par la souffrance :

« Nous avons le droit de souffrir, mais non de succomber à la souffrance »,
écrit-elle depuis le camp de Westerbork.

Comment fait-elle pour ne pas se laisser dominer ?

Elle fait une deuxième distinction entre la souffrance et la représentation de la souffrance que nous nous construisons intérieurement. L’image est souvent plus terrible que la réalité : imaginer les tortures que peut inventer la Gestapo en interrogatoire devient terrifiant…

« Il n’est pas au-dessous de la dignité humaine de souffrir. Je veux dire : on peut souffrir avec, ou sans dignité humaine. La plupart des occidentaux ignorent l’art de souffrir, tout ce qu’ils savent c’est se ronger d’angoisse. »

Se ronger d’angoisse en anticipant le pire est insupportable. Briser la représentation du malheur qui vient est la clé de la liberté et le courage d’Etty pour aller au devant de l’extermination en marche. Elle s’ancre dans le présent, suivant le mot de Jésus : « à chaque jour suffit sa peine, demain s’occupera de lui-même ».

 

Sacrifice de réparation

Cela va de pair avec « justifier les multitudes » et « se charger de leurs fautes ».
Collectif-Supplement-Au-Cahier-Evangile-N-97-Le-Serviteur-Souffrant-Isaie-53-Revue-746388530_ML Amsterdam dans Communauté spirituelleLe serviteur souffrant d’Isaïe peut être un prophète – les chrétiens y ont reconnu le portrait de Jésus – ou plus vraisemblablement le peuple juif personnifié. La déportation et l’exil à Babylone en -587 avaient déjà hélas produit ces cohortes lamentables d’un peuple décimé obligé de prendre la route pour devenir esclave ailleurs, en pays ennemi. Si ce petit reste d’Israël tient bon dans la foi et respecte l’Alliance malgré tout, alors même le roi perse Cyrus reconnaîtra la valeur des hébreux, et les fera revenir sur leur terre en -537. Etty a vécu quelque chose de cet ordre lorsqu’elle transforme son aventure personnelle en source d’amour soulageant le fardeau les autres :

« Parfois je m’asseyais à côté de quelqu’un, je passais un bras autour de son épaule, je ne parlais pas beaucoup, je regardais les visages. Rien ne m’étaient étranger, aucune manifestation de souffrance humaine. Tout me semblait familier, j’avais l’impression de tout connaître d’avance et d’avoir déjà vécu cela une fois dans le passé. Certains me disaient : mais tu as donc des nerfs d’acier pour tenir le coup aussi bien ? Je ne crois pas du tout avoir des nerfs d’acier, j’ai plutôt les nerfs à fleur de peau, mais c’est un fait, je ‘tiens le coup’. J’ose  regarder chaque souffrance au fond des yeux, la souffrance ne me fait pas peur. Et à la fin de la journée j’éprouvais toujours le même sentiment, l’amour de mes semblables. Je ne ressentais aucune amertume devant les souffrances qu’on leur infligeait, seulement de l’amour pour eux, pour la façon de les endurer, si peu préparés qu’ils fussent à endurer quoique ce fût. »

Elle va même jusqu’à prendre sur elle le maximum de la souffrance des autres qu’elle peut porter. Le mot qu’elle emploie pour désigner cela est allemand (!) : Vorwegnehmen, littéralement enlever à l’avance (la souffrance de quelqu’un), qui correspond assez bien à ce que Isaïe appelait « justifier les multitudes », « se charger de leurs fautes ».

« Vorwegnehmen : je ne connais pas de bonne traduction hollandaise de ce mot. Depuis hier soir du fond de mon lit, j’assimile un peu de la souffrance infinie qui, disséminée dans le monde entier, attend des âmes pour l’assumer. J’engrange un peu de cette souffrance en prévision de l’hiver. Cela ne se fait pas en un jour. J’ai une rude journée devant moi. Je vais rester couchée et je prendrai en quelque sorte une avance sur toutes les rudes de journée qui m’attendent encore. Lorsque je souffre pour les faibles, n’est-ce pas souffrir en fait pour la faiblesse que je sens en moi ? »

Elle peut ainsi rejoindre les autres jusque dans leur enfer même, et de l’intérieur, les aider à ne pas se laisser anéantir spirituellement, alors que l’anéantissement physique était inéluctable de Westerbork à Auschwitz :

« Les plus larges fleuves s’engouffrent en moi, les plus hautes montagnes se dressent en moi. Derrière les broussailles entremêlées de mes angoisses de mes désarrois s’étendent les vastes plaines, le plat pays de ma paix et de mon bienheureux abandon. Je porte en moi tous les paysages. J’ai tout l’espace voulu. Je porte en moi la terre et je porte le ciel. Et que l’enfer soit une invention des hommes m’apparaît avec une évidence totale. Je ne vivrai plus jamais mon enfer personnel (je l’ai vécu suffisamment autrefois, j’ai pris de l’avance pour toute une vie), mais je puis vivre très intensément l’enfer des autres. »

Le secret de cette force intérieure invincible, c’est l’acceptation sereine de sa propre mort. Pour Etty, accepter sa mort en l’offrant, c’est élargir sa vie :

« En disant « J’ai réglé mes comptes avec la vie », je veux dire : l’éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir la vie. A l’inverse, sacrifier dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre petit bout de vie mutilée, méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie on se prive d’une vie complète et en l’y accueillant on élargit et on enrichit sa vie. »

 

Le serviteur a plu au Seigneur

Ce qui plaît à Dieu, ce n’est pas de souffrir, mais, souffrant, de grandir dans le service des autres. Cela 62786637 Auschwitzpasse par un décentrement de soi (« remettre sa vie en sacrifice ») qui pour Etty était un travail acharné sur elle-même. Avec l’aide de son grand ami, Julius Spier, psychologue et vaguement gourou, elle a su progressivement traverser l’agitation extérieure de son époque et ses tourbillons sentimentaux intérieurs pour s’ancrer dans une présence à soi et aux autres d’une intensité exceptionnelle.

Dès lors, Etty habite la confiance, quoi qu’il arrive, et goûte la beauté de la vie, malgré tout :

« Mes enfants, je suis pleine de bonheur et de gratitude, je trouve la vie si belle et si riche de sens. Mais oui, belle et riche de sens, au moment même où je me tiens au chevet de mon ami mort – mort beaucoup trop jeune – et où je me prépare à être déportée d’un jour à l’autre à des régions inconnues. Mon Dieu je te suis si reconnaissante de tout. »

« J’ai en moi une immense confiance. Non pas la certitude de voir la vie extérieure tourner bien pour moi, mais celle de continuer à accepter la vie et à la trouver bonne, même dans les pires moments. »

Cette descente en elle-même, cette écoute intérieure (hineinhörchen), Etty finit par y discerner la trace de Dieu :

« Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois je parviens à l’atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre à jour. »

Elle va jusqu’à écrire : « en moi, Dieu écoute Dieu… » Cette conversation, ce dialogue ininterrompu entre Dieu et Dieu en elle lui permet d’affronter les horreurs de la déportation sans désespérer ni devenir folle. C’est ce qui a permis également à Jacques et Jean, malgré leur fanfaronnade dans l’évangile d’aujourd’hui (Mc 10,35–45) de réellement pouvoir boire la coupe du Christ et être plongé dans son baptême, c’est-à-dire de participer à sa passion, jusqu’au martyre.


Les martyrs d’ailleurs témoignent de cette force étonnante qui leur est donnée au moment voulu pour ne pas haïr, pour ne pas se laisser dominer par la souffrance, pour espérer et aimer de plus belle au cœur de la détresse, à partir du fond de la détresse…
Etty était ancrée dans cette tranquille confiance qu’elle pourrait supporter toute épreuve, quand elle se présentera, dès lors que son dialogue intérieur ne cesse pas…

 

Le serviteur souffrant d’Isaïe a les traits d’Etty Hillesum, de Jésus de Nazareth, du peuple juif sur les routes de la déportation à Babylone ou à Auschwitz…

Nous sommes ces serviteurs, chacun, quand nous trouvons en nous, en Dieu, la force de traverser la souffrance sans haine, la transformant en source d’amour pour les autres.

« On voudrait être un baume versé sur tant de plaies… »

 

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[1]. Etty est le diminutif d’Esther, prénom juif d’une reine sauvant son peuple du génocide qui s’annonçait (déjà, encore…), comme en témoigne le livre d’Esther dans la Bible. Etty n’y fait pas allusion, mais c’est comme une parenté spirituelle qu’elle assumait sans le savoir.

 

 

1ère lecture : « S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours » (Is 53, 10-11)
Lecture du livre du prophète Isaïe

Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes.

Psaume : Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22

R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !
(Ps 32, 22)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

2ème lecture : « Avançons-nous avec assurance vers le Trône de la grâce » (He 4, 14-16)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.

Evangile : « Le Fils de l’homme est venu donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 35-45)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
Le Fils de l’homme est venu pour servir,
et donner sa vie en rançon pour la multitude.
Alléluia. (cf. Mc 10, 45)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. » Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Ils lui répondirent : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? » Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. » Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean. Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Patrick BRAUD

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