L'homélie du dimanche (prochain)

14 janvier 2024

Ninive, ou le succès du catastrophisme éclairé

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ninive, ou le succès du catastrophisme éclairé

 

Homélie pour le 3° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

21/01/2024

 

Cf. également :
Que nous faut-il quitter ?
Il était une fois Jonas…
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel
La « réserve eschatologique »
De la baleine au ricin : Jonas, notre jalousie
La soumission consentie
Les 153 gros poissons
La seconde pêche
Secouez la poussière de vos pieds

Êtes-vous éco-anxieux ?
Ninive, ou le succès du catastrophisme éclairé dans Communauté spirituelle
Une enquête Ipsos du 25/10/2023 chiffre à 80% la proportion de français se disant atteints d’éco-anxiété, qui désigne l’angoisse face à l’avenir climatique de la planète. Il n’était que 67% en septembre 2022 : le moral ne s’améliore donc pas… Les jeunes générations paraissent particulièrement touchées par cette peur de l’avenir, au point parfois de ne plus vouloir voyager en avion, ni même avoir d’enfant !
On nous annonce qu’à la fin du siècle les 1,5 degrés maximum d’augmentation de l’Accord de Paris (COP 21) ne seraient pas tenus : ce sera plutôt 3 ou 4 degrés. Les médias nous inondent d’images catastrophiques liées à ce réchauffement : typhons, sécheresses, inondations, fonte des glaciers, chute de la biodiversité etc.

Comment réagir face à ce malheur annoncé ? Selon Ipsos, c’est d’abord la colère qui prédomine (30%), et la peur (34%). Certains baissent les bras et dépriment (14%).

Et vous : êtes-vous éco-anxieux ? Quels sentiments cela suscite-t-il en vous ?

Si le dérèglement climatique n’est pas votre peur principale, identifiez celle qui est majeure pour vous : peur d’une troisième guerre mondiale contre Russie-Chine-pays islamiques ? Peur de mal vieillir et d’une fin dégradante ? Peur d’une séparation que vous sentez venir ?…

 

Soyons honnêtes : il est difficile de vivre sans peurs, individuelles et/ou collectives.

Que faire alors de nos angoisses ? Peuvent-elles devenir utiles et fécondes ?

L’histoire de Jonas à Ninive dans notre première lecture (Jon 3,1-5.10) est à cet égard très pertinente, et rejoint le sens de la conversion tel que le proclame Jésus dans notre Évangile (Mc 1, 14-20) : « le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ».

Voyons comment.

 

Jonas le collapsologue

« Encore 40 jours et Ninive sera détruite ! »

Bigre : voilà un avertissement qui fait froid dans le dos. Jonas est le prophète du malheur qui vient. Il annonce l’effondrement (collapse en anglais) de la cité la plus puissante de la région.

Transposez au domaine de l’écologie : Jonas est remplacé par le Club de Rome des années 70, qui préconisait une croissance zéro pour essayer d’éviter la catastrophe d’un effondrement général de l’économie mondiale vers 2030 !

L’université du MIT a publié en 1972 le fameux Rapport Meadows, modèle mathématique de la croissance qui prédisait un effondrement planétaire à partir des années 2020–2030.

Meadows Collapse 2030 

Les collapsologues, partisans de cette théorie du crash mondial, ont depuis peaufiné leur modèle. Tel Jonas dans Ninive, ils parcourent les sommets mondiaux pour crier : « notre Terre brûle et nous regardons ailleurs » (Jacques Chirac). Telle Greta Thunberg tonnant contre l’inaction coupable des grands de ce monde, les collapsologue veulent convaincre de la certitude de la catastrophe à venir, et changer de système avant qu’il ne soit trop tard.

 

Les plus anciens d’entre nous se souviendront du contexte de guerre froide dans lequel se déroulait le concile Vatican II (1962-65), avec la peur d’un conflit nucléaire Est-Ouest qui pouvait anéantir l’humanité. Pourtant, Jean XXIII lorsqu’il a convoqué ce concile récusait par avance les faux prophètes de malheur qui finiraient par précipiter la catastrophe proclamée :

« Il arrive souvent que dans l’exercice quotidien de notre ministère apostolique nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains qui, bien qu’enflammés de zèle religieux manquent de justesse, de jugement et de pondération dans leur façon de voir les choses. Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruines et calamités; ils ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés; ils se conduisent comme si l’histoire, qui est maîtresse de vie, n’avait rien à leur apprendre. Il Nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin ».

 

Jonas-300x211 catastrophisme dans Communauté spirituelleJonas est malheureux, car il sait bien que si Ninive en réchappe ce sera la fin du privilège du salut pour Israël (et c’est bien ce qui est arrivé avec l’Église !). C’est pourquoi il bâcle sa mission prophétique en parcourant Ninive en un jour seulement au lieu des trois jours normalement nécessaires pour la traversée. Autrement dit, il n’a pas envie que les Ninivites entendent vraiment son avertissement. Il espère secrètement que ces maudits païens idolâtres et sanguinaires n’écouteront pas et seront engloutis par la ruine qui vient.

Une autre interprétation – plus bienveillante – est qu’il a tellement conscience de l’urgence du message à transmettre qu’il met les bouchées doubles (triples) pour laisser à  Ninive le temps de réagir.

Mais Jonas le collapsologue reste là, pétrifié par le message qu’il vient de crier. Il voulait faire peur – et il y est parvenu – sans pour autant indiquer un chemin pour éviter le malheur tout proche. Il est comme le lapin figé dans le faisceau des phares d’une voiture déboulant sur lui. Proclamer que la fin est proche peut tétaniser, ou provoquer fatalisme et résignation, ou noyer dans une explication coupable. Le pire est que ces prophéties de malheur sont souvent auto-réalisatrices ! Les Anglais parlent de self-fullfilling prophecy, c’est-à-dire d’une annonce qui s’accomplit elle-même par le seul fait de la proclamer. On parle aussi d’énoncé performatif, en référence à la théorie du langage performatif de Tracy Austin (« Quand dire, c’est faire »). Un peu comme une prévision boursière peut provoquer un chaos financier par le seul fait d’être publiée par un organisme digne de confiance.

 

Jonas le collapsologue est la figure des prophètes de malheur actuels qui désespèrent au lieu de réveiller, qui paralysent au lieu de mobiliser.

Heureusement, il y a Ninive !

 

Ninive la catastrophiste éclairée

Que font les Ninivites en entendant Jonas ?
Le prophète Jonas rejeté sur le rivage de Ninive par le poisson, peinture sur manuscrit, Hortus Deliciarum par Herrade de Landsberg (vers 1180).« Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne [1], et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac ».

Ils établissent donc le lien entre leur comportement et la catastrophe qui s’approche. Car Ninive était idolâtre (Ninive signifie « maison de la déesse Ishtar »), débauchée (prostitution sacrée), sanguinaire (massacres épouvantables de cités ennemies, adonnée à la magie-divination), et riche à l’écœurement (palais somptueux, jardins suspendus, bibliothèque incroyable etc.). Les Ninivites ont corrigé d’eux-mêmes le message de Jonas : « Si vous ne changez pas de conduite, Ninive sera détruite ». Ils abandonnèrent leur mauvaise conduite, et eurent la vie sauve.

Ce salut n’est pas pour autant garanti pour toujours : Ninive entendit la prédication de Jonas vers -800. Elle est retombée ensuite dans ses errements, et le livre du prophète Nahum décrit sa chute, sa destruction complète (en -612) jusqu’à être enfouie sous des tonnes de terre et oubliée pendant des siècles :

Maintenant je m’adresse à toi, Ninive – oracle du Seigneur de l’univers – : Je ferai flamber tes chars et les réduirai en fumée ; tes lionceaux, l’épée les dévorera. Je supprimerai de la terre tes rapines, et l’on n’entendra plus la voix de tes messagers. Malheur à la ville sanguinaire toute de mensonge, pleine de rapines, et qui ne lâche jamais sa proie » (Na 2,14-3,1).

 

61CIvqbbMjL._SL1318_ collapsologie« Si vous ne changez pas de conduite, Ninive sera détruite » : c’est ce que Jean-Pierre Dupuy (polytechnicien et professeur à Stanford) appelle le catastrophisme éclairé : prêcher la venue d’un malheur – écrit-il – empêche qu’il advienne. À condition que la peur suscitée soit forte et radicale. C’est une performativité à l’envers en quelque sorte : énoncer le danger oblige à le conjurer.

Pour que les hommes changent radicalement de comportement (ce qui empêche la venue de la catastrophe), il faut qu’ils soient certains que la catastrophe va arriver. Sinon, ils en restent à des demi-mesures qui restent inutiles.

Jean-Pierre Dupuy réfléchit sur le destin apocalyptique de l’humanité. Celle-ci est devenue capable au siècle dernier de s’anéantir elle-même, soit directement par les armes de destruction massive, soit indirectement par l’altération des conditions qui sont nécessaires à sa survie. Le franchissement de ce seuil était préparé depuis longtemps, mais il a rendu manifeste et critique ce qui n’était jusqu’alors que danger potentiel. Nous savons ces choses, mais nous ne les croyons pas. C’est cela le principal obstacle à une prise de conscience. Théoricien du catastrophisme éclairé, il s’oppose au fatalisme des collapsologues qu’il juge dangereux à cause de l’idée que la population peut se faire de l’avenir. Pour lui, l’effondrement est possible, mais pas certain. La catastrophe ne doit pas être présentée comme inévitable.

S’il établit le même constat catastrophiste que les collapsologues, il précise que, selon lui, la catastrophe n’est pas certaine du tout. C’est ce qu’il appelle « le point de divergence fondamental » :

« Si on dit que la catastrophe est certaine, on mésestime quelle peut être la réaction des gens face à cela dès lors que l’on pense que c’est certain. Au point qu’une date est donnée pour confirmer cette certitude. C’est comme si nous connaissions la date de notre propre mort au titre individuel, en réalité ça gâcherait complètement notre vie ».

Donner une date pour la fin est une erreur fondamentale commise par beaucoup de lanceurs d’alertes.

Le collapsologue cite le psychiatre et philosophe Karl Jaspers qui l’a beaucoup influencé. Voici ce qu’il disait en 1948, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale :

« Quiconque tient une guerre imminente pour certaine contribue à son arrivée, précisément par la certitude qu’il en a. Quiconque tient la paix pour certaine se conduit avec insouciance et nous mène sans le vouloir à la guerre ».

« Les deux certitudes, ajoute-t-il, qu’elles soient pessimiste et optimiste, sont dans tous les cas à éviter complètement car seul celui qui voit le péril et ne l’oublie pas un seul instant se montre capable de se comporter rationnellement et de faire tout son possible pour l’exorciser ».

 

Le pape François ne disait rien d’autre avant la COP 28 où il voulait se rendre à Dubaï en décembre 2023 :

« Dire qu’il n’y a rien à espérer serait un acte suicidaire qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique ».

 

Et Jésus lui-même couronnera en quelque sorte la réaction salutaire des Ninivites leur permettant d’échapper à la catastrophe : « Lors du Jugement, les habitants de Ninive se lèveront en même temps que cette génération, et ils la condamneront ; en effet, ils se sont convertis en réponse à la proclamation faite par Jonas, et il y a ici bien plus que Jonas » (Mt 12,41).

 

Ayez le courage d’avoir peur !

51AQX8YXWSL._SY466_ DupuyLe catastrophisme éclairé dans sa version évangélique serait plutôt une euphorie efficace ! Car Jésus prêche le royaume de Dieu tout proche, et non un effondrement terrible. Il invite à accueillir le don gratuit en lui faisant de la place en nos vies, en nos cœurs : « convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! ». Il libère la capacité d’agir en ce sens, en appelant aussitôt Simon et André à le suivre, puis Jacques et Jean.

Autrement dit : le bonheur qui vient transforme notre conduite, nous provoque à quitter ce qu’il nous faut quitter, à suivre ce qu’il nous faut suivre.

Et si vous n’avez pas le courage d’accueillir ce bonheur qui vient, alors au moins bougez-vous par peur de ce qui arriverait autrement. Retrouvez le courage d’avoir peur [2] et alors vous aurez la force de rompre avec ce qui vous lie, et de choisir qui vous voulez servir.

Si Jésus pratique l’euphorie efficace, il manie également le catastrophisme éclairé : si vous ne vous convertissez pas par amour, faites-le au moins par peur : « Lors du Jugement, les habitants de Ninive se lèveront en même temps que cette génération, et ils la condamneront ; en effet, ils se sont convertis en réponse à la proclamation faite par Jonas, et il y a ici bien plus que Jonas » (Mt 12,41).

Ce catastrophisme éclairé vaut pour le climat, mais aussi pour votre couple, votre entreprise, votre santé physique et spirituelle…
Alors, finalement : quelle peur vous sera réellement utile ?

 ________________________________________

[1]. En mémoire de cette conversion, les chrétiens d’Irak (où est la ville de Mossoul, proche de l’ancienne Ninive) font encore pénitence annuellement trois jours, du lundi au jeudi de la troisième semaine avant le grand Carême. Ce jeûne de repentance que l’on appelle Supplications ou Rogations des Ninivites, continue à être fidèlement pratiqué chaque année depuis 2 500 ans.

[2]. Marie-Dominique Molinié, Le Courage d’avoir peur, Poche, 2017.


 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Les gens de Ninive se détournèrent de leur conduite mauvaise » (Jon 3, 1-5.10)

Lecture du livre de Jonas
La parole du Seigneur fut adressée de nouveau à Jonas : « Lève-toi, va à Ninive, la grande ville païenne, proclame le message que je te donne sur elle. » Jonas se leva et partit pour Ninive, selon la parole du Seigneur. Or, Ninive était une ville extraordinairement grande : il fallait trois jours pour la traverser. Jonas la parcourut une journée à peine en proclamant : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne, et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac.
En voyant leur réaction, et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacés.
 
PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Seigneur, enseigne-moi tes chemins. (24, 4a)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,

ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,

lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.
 
DEUXIÈME LECTURE
« Il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1 Co 7, 29-31)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons.
 
ÉVANGILE
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 14-20)
Alléluia. Alléluia. Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. Alléluia. (Mc 1, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Après l’arrestation de Jean le Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Passant le long de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter les filets dans la mer, car c’étaient des pêcheurs. Il leur dit : « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. Jésus avança un peu et il vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque et réparaient les filets. Aussitôt, Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite.
Patrick BRAUD

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15 janvier 2018

Il était une fois Jonas…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Il était une fois Jonas…


Homélie pour le 3° Dimanche du temps ordinaire / Année B
21/01/2018

Cf. également :

De la baleine au ricin : Jonas, notre jalousie
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel
Quand Dieu appelle
Rousseur et cécité : la divine embauche !
Jésus et les « happy few » : une autre mondialisation est possible

 

Il était une fois Jonas…

Il était une fois Jonas… dans Communauté spirituelle 9783314214134FSÇa commence comme une histoire que l’on raconte aux enfants, le soir, avant de s’endormir. Et c’est tout à fait cela : l’histoire de Jonas, c’est ce que les Juifs appellent un « midrash », c’est-à-dire un récit mi-réel mi-fictif, une de ces histoires qui font réfléchir petits et grands. Vous l’avez entendu dans la première lecture, et il faut le relire en entier (10’ minutes montre en main pour lire le livre de Jonas !) : quand les juifs racontent l’aventure de Jonas à leurs enfants, c’est pour leur faire découvrir que Dieu est plus grand que le peuple juif ; que le salut de Dieu est pour Ninive aussi, pour toutes les nations. Quand des chrétiens racontent Jonas à leurs enfants, c’est pour leur annoncer Jésus-Christ, le vrai Jonas ; et pour parler du baptême, le vrai poisson…

Rappelez-vous : Jonas est un prophète juif à qui Dieu demande d’aller avertir Ninive, la grande ville étrangère et païenne, pour qu’elle change de vie et soit sauvée. Or Jonas veut garder jalousement pour les Juifs le salut offert au peuple juif, et n’a aucune envie que Ninive soit sauvée… Alors il fuit ; il prend un bateau pour aller plus loin, à l’opposé de Ninive. Mais la tempête secoue le navire. Les marins réveillent Jonas qui dormait et lui demandent de l’aide. Il voit bien que c’est à cause de lui que la tempête se déchaîne, et demande librement à l’équipage de le jeter par-dessus bord pour apaiser l’océan déchaîné. Aussitôt fait. Un gros poisson qui passait par là avale Jonas, le préservant ainsi dans son ventre pendant 3 jours et 3 nuits. Puis il le recrache… comme par hasard sur la plage juste en face de Ninive ! Jonas comprend alors que Dieu est têtu pour sauver les païens. Il crie dans toute la ville : « Convertissez-vous ! ». Les gens l’écoutent. À la grande fureur de Jonas, Dieu accorde le salut à Ninive. C’est le fameux épisode de ricin : Jonas est dégoûté que Dieu soit si bon avec les méchants. Assis sous un plant de ricin, il contemple la ville en liesse. Le ricin se dessèche. Jonas attrape une insolation et maudit Dieu d’avoir laissé mourir le ricin. Alors Dieu lui dit : « Comment, Jonas, mon fils, tu pleures parce que le ricin s’est desséché, et tu n’aurais pas pleuré parce que Ninive aurait été détruite ? Sache que moi Dieu, j’ai plus de peine pour un humain qui se perd que pour une plante qui se fane »

2_j baleine dans Communauté spirituelleVoilà l’histoire. Et vous devinez dans quel esprit les Juifs la racontent aujourd’hui : Jonas préfigure pour eux le peuple juif chargé d’annoncer à toutes les nations de se convertir au Dieu unique. Ce peuple a la nuque raide et n’obéit pas facilement à Dieu, mais c’est finalement grâce à lui que le salut parvient jusqu’aux extrémités de la terre.

Vous devinez également la lecture que nous, chrétiens, nous en faisons. Jonas, c’est Jésus qui est envoyé pour le salut du monde entier. Jonas endormi au fond sur le bois du bateau préfigure Jésus endormi dans la mort sur le bois de la Croix. L’interrogatoire de Jonas par les marins préfigure la comparution du Christ devant ses juges. Jonas se sacrifie librement : « Prenez-moi et jetez-moi à la mer » : Jésus donnera librement sa vie dans sa Passion choisie volontairement. « C’est lui, Jésus, le vrai Jonas, qui a donné sa vie pour nous racheter » (Ambroise de Milan, sur le psaume 43,85). La répugnance des marins de jeter Jonas à la mer annonce celle de Pilate qui hésite à livrer Jésus à la mort.


Plus encore, le séjour de Jonas dans le ventre du poisson, au milieu de la mer, préfigure la Passion-Résurrection du Christ et notre propre baptême ! Ecoutez St Augustin : « Jonas a été précipité du navire dans le ventre du monstre marin ; de même le Christ a été précipité du bois de la Croix dans le sépulcre, dans les profondeurs de la mort » (Epître 102, 6, 34 ) « Pourquoi Jonas fut-il reçu dans le ventre du monstre, puis rejeté le 3ème jour, sinon pour préfigurer le Christ revenant le 3ème jour des profondeurs de l’enfer ? » (Cité de Dieu, 18, 30, 2 ).

Jésus lui-même nous met sur la voie de cette lecture symbolique (Mt 12, 38-41 ) :
« Tout comme Jonas fut dans le monstre du ventre marin 3 jours et 3 nuits, ainsi le Fils de l’Homme sera dans le sein de la terre 3 jours et 3 nuits. Lors du Jugement, les habitants de Ninive se lèveront avec cette génération et ils la condamneront, car ils se sont convertis à la prédication de Jonas. Eh bien ! Ici, il y a plus que Jonas ».

Et on a lu dans l’immersion de Jonas 3 jours et 3 nuits la triple immersion des nouveaux baptisés dans l’eau pascale : par 3 fois, ils sont plongés, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Pieter_Lastman_-_Jonah_and_the_Whale_-_Google_Art_Project conversion

Comme beaucoup de prénoms dans la Bible, Jonas a une signification très belle. Jonas veut dire « colombe » en hébreu.
La colombe qui annonce la paix et l’Alliance. Et le bateau de Jonas ressemble à l’arche de Noé d’où s’est élancée la colombe de la paix.
La colombe annonce l’Esprit Saint. Et la prière de Jonas ressemble à la prière de Jésus sur qui repose la colombe de l’Esprit de Dieu lorsqu’il est plongé dans les eaux du Jourdain, lors de son baptême.
C’est ce même Esprit de Jésus qui nous rassemble, grand-parents, parents et petits-enfants, blancs ou noirs, sachant écrire ou sachant dessiner, pour faire de nous une seule famille, un seul corps, le Corps du Christ.

Quant à Ninive, c’est la figure de notre propre conversion : comme les païens de l’époque, cela nous arrive de courir après les idoles (l’argent, le pouvoir, le plaisir, l’individualisme…). Par le baptême, nous pouvons mourir à notre péché pour renaître à une vie nouvelle. Il n’est jamais trop tard pour écouter l’appel que nous lancent les prophètes d’aujourd’hui à changer de vie. À ne pas vouloir la guerre. À ne pas détruire notre planète. À bâtir une mondialisation où la réconciliation serait offerte à tous. Ninive, c’est l’Église, issue de toutes les nations sous le ciel. « Car il devait arriver que le monde entier serait transformé en une seule cité, quand croiraient au Christ des peuples de toutes nations » (Zénon, homélie 1,14.3).

Mondialisation spirituelle…

Nous sommes peu habitués à lire l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau, à déchiffrer comment le Christ accomplit (et non pas abolit) cette première Alliance : le bateau de Jonas évoquait l’Église, la tempête apaisée par le sacrifice de Jonas annonçait la tempête apaisée sur le lac de Tibériade par la parole de Jésus, son plongeon annonçait le baptême, son rejet sur le rivage la Résurrection, Ninive symbolisait le passage de l’Église aux païens etc… Le fait qu’André et Pierre soient les fils d’un père nommé Jonas (Mt 16,17) n’est sans doute mentionné par hasard : Pierre fera passer l’Évangile au monde romain (cf. Pierre et le centurion romain Ac 10), André le fera passer au monde grec (cf. Jn 12, 20-24). Tous deux sont bien les enfants de Jonas, sauveur de la cité païenne de Ninive.

LA%2BRESURRECTION%2Bdroite Jonas

Tapisserie de l’abbaye de la Chaise-Dieu :
Jonas sortant de la gueule du poisson, figure du baptême

Que Jonas nous aide à faire mémoire des baptêmes que nous avons vécu ensemble, dans notre paroisse, et de notre propre baptême. Par 3 fois nous avons été plongés sous l’eau, c’est pour renaître aujourd’hui à une nouvelle manière de vivre, à une conversion de nos existences. N’attendons pas la tempête ou la baleine ou l’avertissement de Jonas : c’est aujourd’hui que nous pouvons accueillir le Christ dans nos vies. Il est lui le vrai Jonas, englouti dans la mort mais victorieux de la mort, offrant à tous les peuples le salut et la vie.

 

Pour prier avec les enfants et leurs parents à partir de l’histoire de Jonas :

·      Seigneur Jésus, comme Jonas, je suis souvent râleur !

Tu m’appelles, et moi je boude, ou je me cache.
Mais voilà qu’aujourd’hui, tu m’invite à embarquer avec toi.
Ce bateau qui a finalement emmené Jonas vers la grande ville étrangère, c’est l’Église, ton Église Seigneur Jésus.
Merci de me demander d’embarquer avec toi, avec les autres enfants, avec nos familles.

·      On dit que le gros poisson qui a avalé Jonas, c’était une baleine.

Pourquoi pas ? En tout cas, il devait être très gros pour que Jonas puisse tenir debout à l’intérieur !

- D’un côté, ce poisson, il était gentil parce qu’il a sauvé Jonas de la noyade.
Merci Seigneur pour tous ceux qui m’aiment. Merci pour tous ceux qui me consolent et me soutiennent quand j’ai besoin d’aide.

- D’un autre côté, ce poisson, il était dangereux parce que, si Dieu ne lui avait pas demandé de relâcher Jonas, il aurait fini par le manger tout entier !
Pardon Seigneur : nous aussi, parents et enfants, comme la baleine, nous avons quelquefois envie de dévorer les autres… Aide-nous à nous respecter sans nous étouffer.

·      Dans le ventre du poisson, Jonas est resté 3 jours et 3 nuits.

Il était dans le noir. Son cœur était dans la nuit. Mais la prière a été sa lumière :
« De la nuit où j’étais, j’ai crié vers Dieu, et il m’a répondu ».
C’était pour annoncer Jésus, qui a prié son père même aux heures les plus sombres, même pendant les 3 jours et les 3 nuits du tombeau.
« De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits ».
Merci Seigneur Jésus d’avoir gardé allumée cette flamme de la prière tout au long de ta Passion. 

·      Ta Résurrection est pour nous le signe d’une espérance extraordinaire : la lumière est plus forte que la nuit, l’amour est plus fort que nos divisions, le pardon est plus grand que la violence.
Seigneur Jésus, tu vois les hommes qui se font la guerre : éclaire leur cœur. Qu’ils écoutent ta parole d’amour. Qu’ils retrouvent le chemin du pardon. Qu’ils bâtissent la Justice et la Paix !

·      « Ninive était une ville divinement grande : il fallait 3 jours pour la traverser », nous dit la Bible.
Jonas l’a traversé en un seul jour ! : c’était pour annoncer le Christ, qui a hâte de traverser le cœur de chacun pour l’aider à changer. C’était l’image de l’Église, qui aujourd’hui encore parcourt toute l’humanité, toutes les grandes villes du monde pour les appeler à accueillir l’amour de Dieu, et qui a bien besoin de se convertir elle aussi.
Seigneur Jésus, viens traverser nos villes et nos villages, les Ninive de ce temps qui attendent un signe d’espérance.
Seigneur Jésus, viens vite traverser mon cœur. 

·      « Jonas s’assit à l’orient de la ville, sous une hutte. Il s’assit dessous, à l’ombre, pour voir ce qui arriverait à la ville ».
Cette hutte fait de l’ombre à Jonas pour le protéger des coups de soleil !
Tu nous donnes souvent, Seigneur, des personnes qui nous protègent, qui nous aident à ne pas nous dessécher. Donne-nous d’être des « huttes de Jonas » les uns pour les autres. Que nos familles, notre Église soit un abri plein d’amour et de paix pour grandir en ta présence.

Ah ! Seigneur, je commence à comprendre ! Et si l’histoire de Jonas, c’était un peu notre histoire à nous ?

Tantôt râleurs, tantôt prophètes ;
des fois presque engloutis par l’épreuve, mais ressuscités à l’espérance ;
rencontrant plein de poissons amis ou dangereux ;
traversant notre monde avec un mélange d’amour et de peur ;
nous plaignant pour un ricin qui meurt, et oubliant que Dieu pleure pour un seul enfant malheureux…
Le signe de Jonas, c’est ta résurrection, Seigneur Jésus, où nous sommes délivrés, comme Jonas est délivré de la baleine pour aller sur un autre rivage…
Viens nous redire cette Bonne Nouvelle, cet Évangile de salut offert à tous les hommes.

 

LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Les gens de Ninive se détournèrent de leur conduite mauvaise » (Jon 3, 1-5.10)

Lecture du livre de Jonas

La parole du Seigneur fut adressée de nouveau à Jonas : « Lève-toi, va à Ninive, la grande ville païenne, proclame le message que je te donne sur elle. » Jonas se leva et partit pour Ninive, selon la parole du Seigneur. Or, Ninive était une ville extraordinairement grande : il fallait trois jours pour la traverser. Jonas la parcourut une journée à peine en proclamant : « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu. Ils annoncèrent un jeûne, et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac. En voyant leur réaction, et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacés. – Parole du Seigneur.

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Seigneur, enseigne-moi tes chemins. (24, 4a) 

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi,Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Il passe, ce monde tel que nous le voyons » (1 Co 7, 29-31)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons.

ÉVANGILE
« Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 14-20)
Alléluia. Alléluia.
Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. Alléluia. (Mc 1, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Après l’arrestation de Jean le Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Passant le long de la mer de Galilée, Jésus vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter les filets dans la mer, car c’étaient des pêcheurs. Il leur dit : « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.
Jésus avança un peu et il vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque et réparaient les filets. Aussitôt, Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite.
Patrick BRAUD

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