L'homélie du dimanche (prochain)

24 juillet 2022

On n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

 On n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard !

Homélie pour le 18° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
31/07/2022

Cf. également :

Êtes-vous croissant ou décroissant ?
Vanité des vanités…
La double appartenance
Gardez-vous bien de toute âpreté au gain !
Le pauvre Lazare à nos portes
Chameau et trou d’aiguille
À quoi servent les riches ?
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?

On n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard !

 On n'a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard ! dans Communauté spirituelleJésus n’était pas canadien ! Mais il aurait pu inventer ce dicton de nos cousins du Nord. Il l’a fait en réalité avec la parabole de ce dimanche (Lc 12, 13-21) qui dénonce l’accumulation outrancière des riches :

« Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. Il se demandait : ‘Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.’ Puis il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.’ Mais Dieu lui dit : ‘Insensé : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?’ Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu ».

L’humanité hélas n’a pas beaucoup progressé depuis ! Ce triste constat de la surcapitalisation de quelques-uns aux dépens de leur vie spirituelle est toujours d’actualité : malgré un contexte morose en 2021, les grands patrons français du CAC 40 ont vu leurs rémunérations quasiment doubler en un an, et largement dépasser celles de 2019. Avec une augmentation moyenne de +93 % en 2021, les patrons du CAC ont connu une augmentation record de leurs émoluments. D’après la société spécialisée Scalen, la rémunération moyenne d’un dirigeant du CAC 40 s’élève désormais à la modeste somme de 8,7 millions d’euros par an, deux fois plus qu’en 2020, 60% de plus qu’en 2019, 3 fois plus qu’en 2011, 310 fois le salaire médian !

Dans la parabole, Jésus dénonce une double soif des riches, si insatiable qu’elle les dévore de l’intérieur : la soif de posséder, qui se traduit par une accumulation exponentielle, et la soif de jouir de l’existence, qui se traduit par des trains de vie époustouflants où la moindre montre vaut des centaines de milliers d’euros et le restaurant entre amis le salaire annuel d’un de leurs employés…

Max Weber projetait l’ascétisme protestant dans une certaine sobriété, un refus de consommer à outrance chez les pionniers du 18° siècle, qui créait ainsi une propension à épargner nécessaire à l’esprit du capitalisme naissant. On connaît sa thèse : selon Weber, le comportement économique des premiers protestants américains s’explique par la prédestination. Pour Calvin en effet, le salut éternel dépend d’une décision arbitraire de Dieu et non des actions bonnes ou mauvaises entreprises durant la vie, comme c’est le cas dans le catholicisme d’alors. La grâce seule sauve, pas les œuvres. Mais cette prédestination ne mène pas au fatalisme, car l’angoisse du calviniste (« suis-je destiné à aller au paradis ? ») peut être dissipée par la réussite économique, signe d’élection divine. Or le sermon sur ma montagne (Mt 5) demande de vivre dans un esprit de pauvreté une vie ascétique et austère. Autrement dit, les calvinistes sont incités à réussir, mais pas à consommer les fruits de leur labeur, ce qui est (évidemment) favorable à l’accumulation.

« Le calviniste ne peut savoir s’il sera sauvé ou damné, or c’est là une conclusion qui peut devenir intolérable. Par un penchant non pas logique, mais psychologique, il cherchera donc dans le monde les signes de son élection divine. C’est ainsi, suggère Weber, que certaines sectes calvinistes ont fini par trouver dans le succès temporel, éventuellement le succès économique, la preuve du choix de Dieu. L’individu est ainsi poussé au travail pour surmonter l’angoisse dans laquelle ne peut pas ne pas entretenir l’incertitude de son salut » (Raymond Aron).

Il est donc amené à travailler rationnellement en vue d’un profit et à ne pas dépenser ce profit. Ce qui rejoint une logique nécessaire au début du capitalisme : travailler comme un fou, non pas pour jouir des douceurs de l’existence, mais pour la seule satisfaction de produire toujours plus, avec la certitude de l’élection divine qui l’accompagne. Le profit ainsi accumulé constitue alors l’épargne, réinvestie pour développer de nouveaux moyens de production etc….

41IX4YYY0jL._SX302_BO1,204,203,200_ grenier dans Communauté spirituelle« Pour résumer ce que nous avons dit jusqu’à présent, l’ascétisme protestant, agissant à l’intérieur du monde, s’opposa avec une grande efficacité à la jouissance spontanée des richesses et frein la consommation, notamment celle des objets de luxe. En revanche, il eut pour effet psychologique de débarrasser des inhibitions de l’éthique traditionaliste le désir d’acquérir. Il a rompu les chaînes qui entravaient pareille tendance à acquérir, non seulement en la légalisant, mais aussi … en la considérant comme directement voulue par Dieu…

Plus important encore, l’évaluation religieuse du travail sans relâche, continu, systématique, dans une profession séculière, comme moyen ascétique le plus élevé et à la fois preuve la plus sûre, la plus évidente de régénération et de foi authentique, a pu constituer le plus puissant levier qui se puisse imaginer de l’expansion de cette conception de la vie que nous avons appelée, ici, l’esprit du capitalisme ».
(Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du Capitalisme)

Historiquement, pourtant, Max Weber avait tort : les riches de toutes les époques veulent à la fois épargner et consommer sans fin ! Le développement du capitalisme n’a pas fait exception. Qu’on songe aux riches marchands de Gêne, Venise, Bruges, Anvers, Amsterdam, Londres : ils ont tour à tour tenu le haut du pavé du commerce mondial depuis le 16° siècle, en s’enrichissant à l’excès, et en étalant leur réussite avec insolence et mépris.

 

Accumulez, accumulez…

Pour une fois, il faut donc donner raison à Marx (et Jésus !) contre Weber : la soif de jouir alimente la soif d’accumuler, et réciproquement. Le chapitre dans lequel Marx aborde ce thème s’intitule : « Théorie de l’abstinence » (on dirait aujourd’hui : de la frugalité, de la sobriété), et c’est bien une question très actuelle :

Le Capital« Accumulez, accumulez ! C’est la loi et les prophètes !
La parcimonie, et non l’industrie, est la cause immédiate de l’augmentation du capital. À vrai dire, l’industrie fournit la matière que l’épargne accumule.
Épargnez, épargnez toujours, c’est à dire retransformez sans cesse en capital la plus grande partie possible de la plus-value ou du produit net ! Accumuler pour accumuler, produire pour produire, tel est le mot d’ordre de l’économie politique proclamant la mission historique de la période bourgeoise.
Enfin, accumuler, c’est conquérir le monde de la richesse sociale, étendre sa domination personnelle, augmenter le nombre de ses sujets, c’est sacrifier à une ambition insatiable.
Il s’élève dès lors en lui (le capitaliste) un conflit à la Faust entre le penchant à l’accumulation et le penchant à la jouissance » [1].

Pour Marx, cette suraccumulation capitalistique est immorale et dangereuse. Pour Jésus, elle est littéralement in-sensée : « insensé, cette nuit même on va te demander ton âme ». Cette phrase est devenue proverbiale elle aussi : on l’adresse à quelqu’un qui se noie dans une recherche effrénée, afin de le réveiller avant qu’il ne soit trop tard. Les riches croient avoir trouvé la parade avec l’héritage, qui leur permet d’accumuler sur des générations et pas seulement sur la durée d’une vie. À la question de Jésus : « ce que tu as accumulé, à ta mort qui l’aura ? » ils répondent : « mon fils, ma fille », sans réaliser qu’ils avouent ainsi vouloir posséder leurs enfants à qui ils demandent de n’être qu’une extension de leur propre trajectoire.

Heureusement, la loi du Jubilé en Israël ou les lois antitrust modernes viennent régulièrement casser cette logique d’accumulation. Heureusement, l’expérience montre que le capitalisme familial a du mal à durer au-delà de 3 ou 4 générations (à part quelques exceptions notables, en France par exemple avec l’empire de la famille Mulliez. Mais cet empire familial ne date que de 1961. Et pour combien de temps ?).

Et de toute façon, survivre à travers ses enfants n’est pas survivre : c’est encore vouloir posséder ce qui n’est pas à soi, c’est se faire illusion en confondant le souvenir et la vie éternelle. Qu’est-ce que cela peut faire à Steve Jobs dans sa tombe que Steve Jobs junior soit immensément riche ? L’avenir de quelqu’un en Dieu ne s’achète pas, ni ne dépend de son revenu fiscal !

 

L’homme comblé ne dure pas, il ressemble au bétail qu’on abat

Le psaume 49, que Jésus a dû apprendre et psalmodier par cœur – par le cœur – exprime bien cette méfiance fondamentale d’Israël envers l’accumulation pratiquée par les riches :

chat-paradis-dscal Marx« Pourquoi craindre aux jours de malheur ces fourbes qui me talonnent pour m’encercler,
ceux qui s’appuient sur leur fortune et se vantent de leurs grandes richesses ?
Nul ne peut racheter son frère ni payer à Dieu sa rançon :
aussi cher qu’il puisse payer, toute vie doit finir.

Peut-on vivre indéfiniment sans jamais voir la fosse ?
Vous voyez les sages mourir : comme le fou et l’insensé ils périssent, laissant à d’autres leur fortune.
Ils croyaient leur maison éternelle, leur demeure établie pour les siècles ; sur des terres ils avaient mis leur nom.
L’homme comblé ne dure pas : il ressemble au bétail qu’on abat.

Tel est le destin des insensés et l’avenir de qui aime les entendre :
troupeau parqué pour les enfers et que la mort mène paître.
À l’aurore, ils feront place au juste ; dans la mort, s’effaceront leurs visages : pour eux, plus de palais !

Mais Dieu rachètera ma vie aux griffes de la mort : c’est lui qui me prendra.
Ne crains pas l’homme qui s’enrichit, qui accroît le luxe de sa maison :
aux enfers il n’emporte rien ; sa gloire ne descend pas avec lui.

De son vivant, il s’est béni lui-même : ‘On t’applaudit car tout va bien pour toi !’
Mais il rejoint la lignée de ses ancêtres qui ne verront jamais plus la lumière.
L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant ressemble au bétail qu’on abat ».

On croirait lire le Capital de Marx ! Mais c’est plutôt Marx qui, juif de culture, a puisé dans la Bible de quoi critiquer le capitalisme naissant, en sécularisant les arguments des textes inspirés. En tout cas, l’avertissement de Jésus est le même : l’homme comblé ne dure pas, il ressemble au bétail qu’on abat.

La fortune estimée de Vladimir PoutineVoilà de quoi faire trembler Poutine, multimilliardaire politique, et ses amis oligarques et ploutocrates de tous poils, qui ont profité de son ascension au pouvoir. Voilà également de quoi calmer les ardeurs de Bill Gates, Elon Musk et autres Mark Zuckerberg, propulsés à des niveaux de fortune inimaginables, carrément indécents : « insensé, cette nuit même on va te demander ton âme »

Soyons justes : certains essaient d’entendre cette petite voie de leur conscience qui leur rappelle que trop, c’est trop. Bill Gates par exemple a donné la moitié de sa fortune à sa fondation qui lutte contre le paludisme, fléau mondial trop oublié. La philanthropie des riches est une ancienne tradition très américaine. Elle produit de beaux fruits, sans annuler le constat sévère du Christ : même en étant généreux, tu continues d’accumuler pour toi ce qui manque aux autres, et tu te prosternes devant le Veau d’or. Une nouvelle forme d’idolâtrie en somme.

Tel Picsou plongeant avec délices dans son coffre-fort rempli de pièces d’or, les riches se délectent du seul fait de posséder, tout en voulant posséder encore plus que les autres riches…

Certains protestants font donc une lecture sélective de la Bible lorsqu’ils voient dans leurs greniers pleins le signe de leur élection divine. Ils ne retiennent que les versets où la richesse accumulée est le signe de la bénédiction par YHWH des travaux entrepris, tel Abraham jouissant de ses nombreux biens, ou Job rétabli enfin dans son abondance. Ils oublient une bonne moitié de la Bible, où l’ambivalence de la richesse la fait basculer du côté des tentations mortelles sur le plan spirituel. Citons quelques passages sans ambigüité :

1947-balthazar-picsou-02 parabole« Ne vous faites pas de trésors sur la terre, là où les mites et les vers les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler. Mais faites-vous des trésors dans le ciel, là où il n’y a pas de mites ni de vers qui dévorent, pas de voleurs qui percent les murs pour voler. » (Mt 6,19-20)
« Quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! » (Lc 6,24)
« Votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille sera un témoignage contre vous, elle dévorera votre chair comme un feu. Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! » (Jc 5,3)

« Tu dis : ‘Je suis riche, je me suis enrichi, je ne manque de rien’, et tu ne sais pas que tu es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu ! » (Ap 3,17)
Dans l’Apocalypse, la chute de Babylone-la-grande illustre la folie des gagnants de la mondialisation : « Les marchands qu’elle avait ainsi enrichis se tiendront à distance par peur de ses tortures, dans les pleurs et le deuil. [...] Et jetant de la poussière sur leur tête, ils criaient dans les pleurs et le deuil. Ils disaient : ‘Malheur ! Malheur ! La grande ville, dont l’opulence enrichissait tous ceux qui avaient des bateaux sur la mer : en une heure, elle a été dévastée !’ » (Ap 18,15.19)

Impossible d’aligner ici tous les passages où l’accumulation d’argent ou de biens condamne à la mort physique et spirituelle !

Weber avait donc deux fois tort : il croyait que la sobriété et l’accumulation peuvent aller de pair pour des raisons religieuses ; il croyait voir cette dynamique puritaine à l’œuvre dans le capitalisme naissant, en oubliant la cupidité à l’origine du capitalisme, et la soif de puissance très vite omniprésente dans l’enrichissement des premiers Américains.

Reste que la thèse de Max Weber sur l’affinité élective entre une foi religieuse et une économie est puissante. Contre Marx qui voulait démontrer que la religion n’est qu’une superstructure de l’économie, Weber nous aide à penser l’interaction entre nos systèmes religieux et nos systèmes économiques. Ce que nous croyons a une influence énorme sur ce que nous produisons et consommons, et sur la manière dont nous le faisons. Oui, il y a bien un lien entre ma réponse à la question sur l’au-delà et mon compte en banque ! Si je pense qu’après la mort j’ai un avenir en Dieu, alors à quoi sert d’accumuler dans des greniers ce qui périra avec moi ? C’est littéralement insensé que d’épargner ou de consommer comme si je ne devais jamais mourir ! Cela n’a aucun sens d’accumuler pour moi seul le temps de quelques courtes décennies, alors qu’une autre faim et une autre soif m’attendent en Dieu, pour toujours…

 

Et nos greniers à nous ?

589hommeriche richesseIl est facile de dénoncer les greniers des autres. Mais les miens ? Jésus, lui, était cohérent, car il n’avait pas de pierre où reposer la tête. Or nous affirmons – non sans raison – qu’un minimum d’accumulation est nécessaire pour vivre dignement. Seulement, la question du seuil est délicate. À partir de quand commence-t-on à ressembler au capitaliste de la parabole de ce dimanche ? Quand on est propriétaire de son logement ? Non, c’est un minimum, répondent les 64% de la population française qui ont pu acheter leur appartement ou leur maison. Quand on se paye une résidence secondaire, à la mer, la montagne la campagne ? Non, ce n’est pas grand-chose à côté des autres, répondront les ménages qui possèdent les 10 % de logements classés comme résidence secondaire. Quand on dépasse 500 000 € de patrimoine (soit 3 fois le patrimoine médian des Français) ? C’est à peine une poire pour la soif, répondront en s’excusant les 7 % de la population qui dépassent ce seuil…

Bref, les riches, c’est toujours les autres ! Les greniers trop pleins et trop nombreux sont ceux qu’on dénonce ailleurs que dans sa cour. Chacun veut être le pauvre d’un autre.
« Insensé, cette nuit même on va te redemander ta vie ! ».

Quels sont ces greniers où j’accumule de plus en plus sans même m’en apercevoir ?

On pense bien sûr à l’argent durement gagné (ou non !) : face à l’inflation, il est légitime de chercher à sécuriser notre retraite, notre pouvoir d’achat. Mais l’épargne solidaire, la finance éthique ou l’investissement utile (style crowfounding, coopérative, mutuelle etc.) sont des alternatives crédibles à la seule accumulation stérile.

Qui dit greniers signifie encore d’autres manières de thésauriser.
Accumuler du pouvoir devient en politique, en entreprise ou en famille une drogue dangereuse.
Accumuler du prestige transforme les meilleurs en baudruches gonflées d’eux-mêmes.
Accumuler du savoir sans le mettre au service d’une cause relève du dandysme intellectuel.
Accumuler des bonnes œuvres religieuses est tout aussi illusoire et conduit tout droit au pharisaïsme.
« Insensé, cette nuit même on va te redemander ta vie ! ».

Quelle est la soif d’accumulation, petite ou grande, qui me dévie du but ultime ?
Quels sont les greniers que je m’épuise à remplir, au point de perdre le sens de mon métier, de ma famille, de mes activités ?
« Insensé, cette nuit même on va te redemander ta vie ! ».

 


[1]. Karl MARX, Le Capital, Livre premier, Le développement de la production capitaliste, VII° section : Accumulation du capital, Chapitre XXIV : Transformation de la plus-value en capital, III. Division de la plus-value en capital et en revenu, Théorie de l’abstinence.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Que reste-t-il à l’homme de toute sa peine ? » (Qo 1, 2 ; 2, 21-23)

Lecture du livre de Qohèleth
Vanité des vanités, disait Qohèleth. Vanité des vanités, tout est vanité !

Un homme s’est donné de la peine ; il est avisé, il s’y connaissait, il a réussi. Et voilà qu’il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine. Cela aussi n’est que vanité, c’est un grand mal !
En effet, que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? Tous ses jours sont autant de souffrances, ses occupations sont autant de tourments : même la nuit, son cœur n’a pas de repos. Cela aussi n’est que vanité.

Psaume
(Ps 89 (90), 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc)

R/ D’âge en âge, Seigneur, tu as été notre refuge. (Ps 89, 1)

Tu fais retourner l’homme à la poussière ; tu as dit : « Retournez, fils d’Adam ! »
À tes yeux, mille ans sont comme hier, c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit.

Tu les as balayés : ce n’est qu’un songe ; dès le matin, c’est une herbe changeante :
elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée.

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu ! Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains.

Deuxième lecture
« Recherchez les réalités d’en haut ; c’est là qu’est le Christ » (Col 3, 1-5.9-11)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre.
En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire. Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie. Plus de mensonge entre vous : vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est tout, et en tous.

Évangile
« Ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? » (Lc 12, 13-21)
Alléluia. Alléluia. 
Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » Jésus lui répondit : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » Puis, s’adressant à tous : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. » Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. Il se demandait : ‘Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.’ Puis il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.’ Mais Dieu lui dit : ‘Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?’ Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. »
Patrick BRAUD 

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9 novembre 2016

Nourriture contre travail ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Nourriture contre travail ?

Homélie pour le 33° dimanche du temps ordinaire / Année C 13/11/2016

Cf. également :

« Même pas peur »…

La « réserve eschatologique »

La destruction créatrice selon l’Évangile

Personne ne nous a embauchés

 

« Celui qui ne veut pas manger, qu’il ne travaille pas non plus »

·      St Paul dans notre 2° lecture (2 Th 3, 7-12) tonne contre ceux rajoutent du désordre à une communauté déjà fortement perturbée.

À y réfléchir, Le lien travail-nourriture nous est très familier !

« Travailler c’est trop dur, et mendier c ‘est pas beau » : ce refrain d’une chanson cajun des années 90 exprime bien la tension entre lenvie de paresse et la nécessité du travail.

Le Préambule de la Constitution française du 27 octobre 1946 écrit noir sur blanc : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » (n° 5). Le devoir de travailler est donc inscrit dans la Constitution !
La Torah, mis par écrit au IV° siècle,  enseigne : « Quand tu bêches ton champ et qu’on t’annonce l’arrivée du Messie, finis d’abord de bêcher ton champ, lave-toi les mains, puis va accueillir le Messie ».
L’Ancien Testament se méfie de l’oisiveté comme de la peste. Il fustige au moins une trentaine de fois ce comportement humain, essentiellement dans le Livre des Proverbes.
« La paresse fait tomber dans l’assoupissement, et l’âme nonchalante éprouve la faim ». (Pr 19,15)
« Le paresseux dit : Il y a un lion dehors ! Je serai tué dans les rues ! » (Pr 22,13 : les paresseux ont toujours des excuses pour ne pas travailler. Dieu n’aime pas la paresse).
« Le paresseux est semblable à une pierre crottée, tout le monde le persifle. Le paresseux est semblable à une poignée d’ordures, quiconque le touche secoue la main » (Si 22,1-2).
« L’oisiveté enseigne tous les mauvais tours » (Si 33,28).
« L’oisiveté amène la pauvreté et la pénurie, car la mère de la famine, c’est l’oisiveté » (Tobie 4,13).

·      « Celui qui ne veut pas manger, qu’il ne travaille pas non plus » (2 Th 3,10).

Deux débats de société sont venus mettre à nouveau ce lien en question : les décisions du conseil général de Strasbourg de conditionner le RSA à quelques heures de travail bénévole [1], et la proposition d’un revenu (ou allocation) universelle qui apparaît dans des programmes des primaires présidentielles de 2017, à droite comme à gauche [2].

Vous le voyez : le lien entre travail et nourriture a fait l’objet de réflexions innombrables. Saint Paul en est un témoin : « Celui qui ne veut pas manger, qu’il ne travaille pas non plus ». Cette phrase a eu une postérité extraordinaire, pour le meilleur et pour le pire.

 

L’excuse eschatologique

De quoi s’agit-il ?

Le contexte dans lequel Paul écrit est très particulier. Les chrétiens de la ville de Thessalonique sont persuadés que le Christ va se manifester bientôt, et donc que la « fin », l’accomplissement de ce monde est proche. Dans ce climat d’attente eschatologique, toutes les priorités semblent bouleversées. Paul lui-même hésite : à quoi bon se marier, fonder une famille, alors que le Christ revient demain ? Et certains Thessaloniciens renchérissent : à quoi sert de travailler, d’amasser de l’argent, des biens, si le jugement dernier est à nos portes ? Le « chômage » de ces chrétiens un peu illuminés, « affairés sans rien faire », est donc théologique : ce n’est pas de la paresse volontaire, ni du sous-emploi, c’est une dérive presque sectaire de gens qui se désintéressent de l’ici-bas parce que l’au-delà est imminent.

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L’obligation du travail pour les riches

« Celui qui ne veut pas manger, qu’il ne travaille pas non plus ».

·      Cette phrase servit à éviter l’oisiveté, la mère de tous les vices comme dit la Bible, dans les monastères. Car l’abondance de terres et de revenus agricoles ou commerciaux des grandes abbayes les rendirent très riches. D’où la tentation de certains moines de s’installer comme rentiers, en faisant vaguement semblant de prier et d’étudier, mais surtout désireux de se mettre à l’abri d’une « honnête retirade » comme l’avouait Saint Vincent de Paul lui-même pour le début de son ministère. Car on oublie trop souvent que la maxime paulinienne s’applique aux riches comme aux pauvres ! L’obligation spirituelle de gagner son pain permit aux abbayes de rayonner pendant des siècles grâce à leur travail incessant. « Ora et labora » (prie et travaille) : la règle de saint Benoît inscrite sur la porte des abbayes inspire toujours l’équilibre de vie des bénédictins, constitué d’un tiers de sommeil, un tiers de prière, un tiers de travail.

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Cela devrait faire réfléchir les rentiers d’aujourd’hui, ne comptant que sur le revenu de leur patrimoine et non sur leur intelligence créatrice…

·      De même, au Moyen Âge, l’injonction de Paul a contribué à réhabiliter les activités productives, notamment manuelles, mais également marchandes. Les seigneurs, les princes, les évêques ou abbés avaient tendance à se reposer sur la seule force de travail du Tiers État.
Rappelons quand même qu’on brandissait ce lien travail-nourriture contre les gueux et les marginaux, afin de consolider un ordre social basé sur le travail voulu par Dieu…

 

La naissance du capitalisme

C’est avec l’avènement du capitalisme au XIII° siècle en Europe, avec les grandes foires, le développement des marchands, la circulation et l’échange, que la maxime de saint Paul trouve son apogée. Travailler est un impératif spirituel, et pour autant il doit se conjuguer avec l’interdiction évangélique de tomber dans les péchés capitaux du luxe et de l’avarice. Le sociologue allemand Max Weber a théorisé cette « affinité élective » quil découvre entre l’esprit du capitalisme et l’éthique protestante du XVI° siècle, qui s’est beaucoup appuyée sur ce lien travail-nourriture-richesse-sobriété considéré comme une bénédiction divine :

Afficher l'image d'origine« Le travail … constitue surtout le but même de la vie, tel que Dieu l’a fixé. Le verset de saint Paul : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » vaut pour chacun, et sans restriction. La répugnance au travail est le symptôme d’une absence de la grâce…

La richesse elle-même ne libère pas de ces prescriptions. Le possédant, lui non plus, ne doit pas manger sans travailler, car même s’il ne lui est pas nécessaire de travailler pour couvrir ses besoins, le commandement divin n’en subsiste pas moins, et il doit lui obéir au même titre que le pauvre. Car la divine providence a prévu pour chacun sans exception un métier qu’il doit reconnaître et auquel il doit se consacrer. Et ce métier ne constitue pas… un destin auquel on doit se soumettre et se résigner, mais un commandement que Dieu fait à l’individu de travailler à la gloire divine.

Partant, le bon chrétien  doit répondre à cet appel : si Dieu vous désigne tel chemin dans lequel vous puissiez légalement gagner plus que dans tel autre (cela sans dommage pour votre âme ni pour celle d’autrui)  et que vous refusiez le plus profitable pour choisir le chemin qui l’est le moins,  vous contrecarrez l’une des fins de votre vocation, vous refusez de vous faire l’intendant de Dieu  et d’accepter ses dons, et de les employer à son service s’il vient à l’exiger.

Pour résumer ce que nous avons dit jusqu’à présent, l’ascétisme protestant, agissant à l’intérieur du monde, s’opposa avec une grande efficacité à la jouissance spontanée des richesses et freina la consommation, notamment celle des objets de luxe. En revanche, il eut pour effet psychologique de débarrasser des inhibitions de l’éthique traditionaliste le désir d’acquérir. Il a rompu les chaînes qui entravaient pareille tendance à acquérir, non seulement en la légalisant, mais aussi … en la considérant comme directement voulue par Dieu…

Plus important encore, l’évaluation religieuse du travail sans relâche, continu, systématique, dans une profession séculière, comme moyen ascétique le plus élevé et à la fois preuve la plus sûre, la plus évidente de régénération et de foi authentique, a pu constituer le plus puissant levier qui se puisse imaginer de l’expansion de cette conception de la vie que nous avons appelée, ici, l’esprit du capitalisme.

L’Éthique protestante et l’esprit du Capitalisme, trad. J. Chavy, Plon, 1964, p. 208-236.

L‘obligation de travailler structurant la Réforme lui a permis de concilier richesse et salut, travail profane et bénédiction divine, accumulation de capital et austérité de vie, donc réinvestissement de plus en plus productif

 

Le soupçon de paresse sur les pauvres

Afficher l'image d'origineAux temps modernes, à partir du XVII°-XVIII° siècle, d’autres courants idéologiques se saisirent de la phrase de Paul. Ils l’appliquèrent, non plus aux riches, mais aux pauvres. Le raisonnement de la Réforme avait déjà presque disqualifié les pauvres comme réprouvés par Dieu (puisque la richesse est une bénédiction divine, signe du salut accordé). La Révolution industrielle fit naître le soupçon de paresse : ces pauvres le sont parce qu’ils veulent profiter des aides sociales sans rien faire, profiter de l’État-providence sans fournir le moindre travail en compensation. On est allé jusqu’à contraindre les indigents au labeur forcé, en les enfermant dans des maisons surveillées ! Karl Marx a sacralisé la valeur-travail dans la droite ligne de la phrase de Paul, qui est entrée comme mot d’ordre socialiste dans le texte de la constitution soviétique de l’URSS en 1936 !

Plus tard les ultralibéraux comme Milton Friedman ou Margareth Thatcher l’ont utilisée  comme condamnation de l’assistanat et de l’oisiveté… des plus pauvres ! Les fortunes boursières ou industrielles pouvaient quant à elles se passer du travail…

 

Le débat sur l’allocation universelle (ou revenu universel d’existence)

Afficher l'image d'origineLe débat sur certaines exigences en contrepartie du versement des allocations sociales vient de . Alors que d’autres vont également défendre la dignité du travail et sa capacité d’harmonisation d’humanisation en cherchant à réinsérer au lieu d’assister. Ainsi Emmaüs, qui demande aux compagnons un vrai travail : chine, réparation, vente, services etc. pour pouvoir garder leur place dans une communauté Emmaüs.

L’idée d’une allocation universelle inconditionnelle s’inscrit dans cette ligne de discussion : pour les uns (libéraux), elle va remplacer toutes les aides actuelles, afin de responsabiliser celui qui devra ainsi gérer son revenu de base. En outre elle aurait le mérite d’éliminer le maquis bureaucratique qui gère l’aide sociale. L’argument du pourtant très libéral Friedrich Hayek (volume 3 de Law, Legislation and Liberty) est méconnu, mais fonde ce revenu universel sur la légitime autonomie de chacun pour ne pas dépendre de l’assistanat :

« L’assurance d’un certain revenu minimum pour tous, une espèce de plancher en-dessous duquel personne ne devrait tomber même lorsqu’il n’arrive pas à s’auto-suffire, apparaît non seulement comme une protection tout à fait légitime contre un risque commun à tous, mais un élément nécessaire de la Grande Société dans laquelle l’individu n’a plus de demande spécifique pour les membres d’une communauté particulière dans laquelle il est né ». 

L’économiste Guy Sorman défend cette approche. 

Pour les autres (plutôt à gauche), c’est au titre de notre qualité d’être humain que chacun a droit à une part de la richesse collective, même s’il ne travaille pas. De toute façon ce revenu universel d’existence n’est jamais conçu comme se substituant au travail. Son montant ne sera jamais suffisant pour vivre dans l’oisiveté. Thomas Piketty est représentatif de cette approche (quitte à le moduler en fonction des revenus).

Dans les primaires de l’élection présidentielle à gauche, Manuel Walls récuse l’idée d’un revenu universel comme contraire à sa vision du travail. Benoît Hamon veut au contraire pousser cette idée, et l’expérimenter par étapes en commençant rapidement par les moins de 25 ans. Qui l’emportera ?

Vous voyez que la phrase de St Paul sur le lien travail-nourriture n’a pas fini d’alimenter ces débats…

 

Et nous ?

« Celui qui ne veut pas manger, qu’il ne travaille pas non plus ».

Ce rapide parcours historique montre que la phrase de Paul est omniprésente dans l’histoire sociale de l’Occident ! Au début avertissement destiné à des millénaristes ; puis appliquée aux riches, aux pauvres ; récupérée par des idéologies libérales, socialistes ; nourrissant le développement d’une économie d’accumulation de richesses ainsi qu’une sobriété productive…

Et nous ?

Quel lien faisons-nous entre notre travail et notre nourriture, notre niveau de vie ?

Comment faisons-nous notre chemin entre paresse et labeur, sobriété et création de richesses, équilibre de vie entre travail et non travail ?

 


[1]. « Pas de bénévolat, pas de RSA » : le principe que souhaitait appliquer le Conseil départemental du Haut-Rhin et son président, Éric Straumann, à partir du 1er janvier 2017, a été jugé illégal par le Tribunal administratif de Strasbourg le 05/10/16. Cette mesure très controversée a été prise le 05/02/16 par le Conseil départemental. Elle imposait aux allocataires du RSA de réaliser sept heures de bénévolat hebdomadaires pour des associations, collectivités locales, maisons de retraite ou établissements publics.
[2]. Cf. par exemple la tribune d’une plateforme d’économistes dans la tribune du quotidien Libération du 12/11/2015 : http://www.liberation.fr/debats/2015/11/12/pour-un-revenu-universel-inconditionnel_1412916

1ère lecture : « Pour vous, le Soleil de justice se lèvera » (Ml 3, 19-20a)

Lecture du livre du prophète Malachie Voici que vient le jour du Seigneur, brûlant comme la fournaise. Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille. Le jour qui vient les consumera, – dit le Seigneur de l’univers –, il ne leur laissera ni racine ni branche. Mais pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement.

Psaume : Ps 97 (98), 5-6, 7-8, 9

R/ Il vient, le Seigneur, gouverner les peuples avec droiture.  (cf. Ps 97, 9)

Jouez pour le Seigneur sur la cithare, sur la cithare et tous les instruments ; au son de la trompette et du cor, acclamez votre roi, le Seigneur !

Que résonnent la mer et sa richesse, le monde et tous ses habitants ; que les fleuves battent des mains, que les montagnes chantent leur joie.

Acclamez le Seigneur, car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture !

2ème lecture : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3, 7-12)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Frères, vous savez bien, vous, ce qu’il faut faire pour nous imiter. Nous n’avons pas vécu parmi vous de façon désordonnée ; et le pain que nous avons mangé, nous ne l’avons pas reçu gratuitement. Au contraire, dans la peine et la fatigue, nuit et jour, nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous. Bien sûr, nous avons le droit d’être à charge, mais nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter. Et quand nous étions chez vous, nous vous donnions cet ordre : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. Or, nous apprenons que certains d’entre vous mènent une vie déréglée, affairés sans rien faire. À ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ cet ordre et cet appel : qu’ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné.

Evangile : « C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie » (Lc 21, 5-19)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.  Redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. Alléluia. (Lc 21, 28)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

 En ce temps-là, comme certains disciples de Jésus parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Ils lui demandèrent : « Maître, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que cela est sur le point d’ariver ? » Jésus répondit : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : ‘C’est moi’, ou encore : ‘Le moment est tout proche.’ Ne marchez pas derrière eux ! Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. » Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel.

 Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. Cela vous amènera à rendre témoignage. Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »
Patrick BRAUD

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8 juillet 2015

Le polythéisme des valeurs

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Le polythéisme des valeurs


Homélie du 15° dimanche du temps ordinaire / Année B
12 juillet 2015

Cf. également :

Plus on possède, moins on est libre

Les 4 vertus du Psaume 84

Le polythéisme des valeurs dans Communauté spirituelle accommodementsUne fois n’est pas coutume, attardons-nous sur le psaume 84 de ce dimanche. Notamment sur ce verset célèbre : « amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ».

Pourquoi tenir autant à réconcilier ces quatre vertus ? Pourquoi ne pas les aligner une par une comme des caractéristiques du règne de Dieu sur son peuple ?

C’est que justement, dans l’histoire ordinaire, ces quatre principes sont en tension permanente. Prenez l’amour et la vérité. Au nom de la vérité, chaque camp politique ou religieux a connu des périodes de massacres, d’élimination de ceux qui étaient ‘dans l’erreur’. Au nom de leur orthodoxie, des chrétiens ont brûlé des hérétiques, des musulmans ont persécuté des païens et des chrétiens, des pays occidentaux ont colonisé des peuples ‘sauvages’ au nom des Lumières etc. La tension traverse l’Église elle-même : être vrai sur les questions de divorce et de remariage peut sembler à beaucoup très éloigné de l’amour et de la compassion qu’on attend de l’Église. Idem pour la juste attitude envers toutes les formes d’homosexualité. Si la vérité veut être aimable et aimée, elle devra souvent être réinterprétée de fond en comble. Et on sait bien qu’il faut parfois mentir par amour pour préserver une relation…

L’autre tandem justice-et-paix n’est pas moins sensible.

Que serait une paix sans justice, sinon le silence des lâches ? Pourtant c’est bien ce qui arrive le plus souvent : pour ne pas avoir de problème, chacun est tenté de mettre le mouchoir dans sa poche au lieu d’aborder le sujet qui fâche. Les puissants maintiennent le calme parmi ceux qu’ils dominent en distribuant quelques faveurs et en faisant croire qu’il n’y a pas d’autre solution que de continuer comme maintenant…

Et que serait une justice qui ne voudrait pas rétablir la paix ? Les commissions  nationales de réconciliation qui ont été mises en place en Afrique du Sud après l’apartheid et au Rwanda après le génocide relèvent de cette volonté : exercer une justice qui pacifie, et non une justice de revanche ou de représailles. Le traité de Versailles en 1918 en Europe a largement démontré qu’une paix sans justice engendre les pires démons de violence en retour.

Un conflit permanent

C’est donc il y a un antagonisme permanent de ces quatre valeurs prises deux à deux. À tel point que Saint Bernard par exemple imaginait que leur conciliation serait un signe proprement messianique :

Saint Bernard a reconstitué une petite pièce de théâtre à partir de ce psaume. Il s’agit de discussions dramatiques des quatre Vertus avec le Père des lumières, en vue de résoudre le cas d’Adam après sa chute. Vérité et Justice réclament la mort d’Adam au nom des engagements pris par le Seigneur. Amour s’écrie alors : « Pourquoi, Père, m’as-tu donné le jour, si je dois vivre si peu de temps? » Paix intervient : « Il ne convient pas aux Vertus de se disputer entre elles! » et suggère de s’en remettre au Fils. Celui-ci en vrai Salomon prononce : « L’Une dit : C’en est fait de moi, si Adam ne meurt ! - L’Autre reprend : Je suis perdue s’il ne lui est pas fait miséricorde! - Donc que la mort devienne bonne, et chacune aura gagné son procès! »

Étonnement général devant tant de sagesse : mais comment faire ? Le Fils, souverain Juge, reprend : « Il en sera ainsi, s’il se trouve quelqu’un qui, ne devant rien à la mort,veuille bien souffrir la mort par amour pour l’homme… Car l’amour est plus fort que la mort ! » On devine le reste : le Fils trace son propre destin car il sera celui-là. Il assume par amour une condition mortelle.  [1]

Le polythéisme des valeurs

Le sociologue allemand Max Weber avait repéré dès 1917 cet antagonisme des valeurs :

essais_theorie_L20 antagonisme dans Communauté spirituelleToute méditation empirique sur ces situations nous conduirait, selon la juste remarque du vieux Mill, à reconnaître que le polythéisme absolu est la seule métaphysique qui leur convienne. Une analyse non empirique mais orientée vers l’interprétation de significations, bref une authentique philosophie des valeurs qui dépasserait ce point de vue devrait reconnaître qu’aucun système conceptuel des « valeurs », si ordonné fût-il, n’est de taille à prendre la mesure du point décisif de cet état de choses. Il s’agit en fin de compte, partout et toujours, à propos de l’opposition entre valeurs, non seulement d’alternatives, mais encore d’une lutte mortelle et insurmontable, comparable à celle qui oppose « Dieu » et le « diable ».  [2]

S’il est une chose que de nos jours nous n’ignorons plus, c’est qu’une chose peut être sainte non seulement bien qu’elle ne soit pas belle mais encore parce que et dans la mesure où elle n’est pas belle – vous en trouverez les références au chapitre LIII du livre d’Isaïe et dans le psaume 21. De même une chose peut être belle non seulement bien qu’elle ne soit pas bonne, mais précisément par ce en quoi elle n’est pas bonne. Nietzsche nous l’a réappris, mais avant lui Baudelaire l’avait déjà dit dans les Fleurs du Mal, c’est là le titre qu’il a choisi pour son oeuvre poétique. Enfin la sagesse populaire nous enseigne qu’une chose peut être vraie bien qu’elle ne soit et alors qu’elle n’est ni belle ni sainte ni bonne. Mais ce ne sont là que les cas les plus élémentaires de la lutte qui oppose les dieux des différents ordres et des différentes valeurs. J’ignore comment on pourrait s’y prendre pour trancher « scientifiquement » la question de la valeur de la culture française comparée à la culture allemande; car là aussi différents dieux se combattent, et sans doute pour toujours. Les choses ne se passent donc pas autrement que dans le monde antique, encore sous le charme des dieux et des démons, mais prennent un sens différent. [3]

La conclusion de Weber est forte :

Pour autant que la vie a en elle-même un sens et qu’elle se comprend d’elle-même, elle ne connaît que le combat éternel que les dieux se font entre eux ou, en évitant la métaphore, elle ne connaît que l’incompatibilité des points de vue ultimes possibles, l’impossibilité de régler leurs conflits et par conséquent la nécessité de se décider en faveur de l’un ou de l’autre.  [4]

 coïncidentiaDans la devise française par exemple, ces tensions entre valeurs sont patentes : plus de liberté diminue l’égalité entre les hommes, et fait reculer la fraternité. Chacune des trois valeurs compromet les deux autres en se développant seule. Pour autant, il n’y a aucune raison a priori de choisir telle ou telle valeur plutôt que telle autre. Aucune valeur ne s’impose comme transcendante ou évidemment supérieure aux autres, alors qu’elle entre en conflit avec elles.

Ainsi chacun est obligé de faire des compromis pour ne pas trop maltraiter la vérité lorsqu’il essaie d’aimer, pour ne pas oublier la justice lorsqu’il construit la paix, etc.

 

Notre Psaume 84 nous annonce que c’est l’action de Dieu lui-même que de réconcilier ces quatre valeurs aujourd’hui antagonistes. En Jésus, l’amour et la vérité se rencontre réellement, « en personne ». C’est donc qu’en participant à l’être de Dieu, il nous sera donné de discerner quels compromis permettront de faire marcher une vertu avec l’autre, jamais sans elle.

Prenez le cas de la Grèce et de sa dette faramineuse : la justice exigerait que la Grèce rembourse, même sur des décennies, tous ses emprunts. L’amour commande qu’on réduise sa dette avant qu’elle soit insupportable et qu’elle ne menace la paix sociale. La vérité oblige à se souvenir de la responsabilité des créanciers des banques européennes ou américaines,et pas simplement du débiteur etc.

Plutôt qu’une position européenne rigide et dogmatique, la conciliation des vertus appelle à un cheminement, un discernement patient, où la justice économique ne pourra se faire au détriment de la paix sociale.

L’union des contraires

51fezBncXwL GounelleLa théologie médiévale avait médité sur l’antagonisme des valeurs. Sans utiliser ce mot de Max Weber, elle avait déjà pointé que, pour l’homme, réconcilier les extrêmes semble impossible. Mais pas pour Dieu. En Dieu, les opposés coïncident  (c’est la célèbre thèse de la coïncidentia oppositorum). Ce qui est folie pour l’homme est sagesse en Dieu, force et faiblesse se rejoignent en lui, amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent.

Dieu transcende toute affirmation et toute négation. Ainsi la considération de l’infini abolit les règles de la logique traditionnelle aristotélicienne fondée sur le principe de non contradiction qui fonctionne dans nos raisonnements habituels.

« Or, cela dépasse toute notre intelligence, car elle ne peut pas, dans son principe, combiner les contradictoires par la voie de la raison, parce que nous cheminons parmi les objets que nous manifeste la nature elle-même ; et notre intelligence, trébuchant parce qu’elle est loin de cette force infinie, ne peut pas lier des contradictoires, séparés par un infini. Donc, au-dessus de toute démarche de la raison, nous voyons, d’une façon incompréhensible, que la maximité absolue est infinie, que rien ne lui est opposé, et qu’avec elle coïncide le minimum. »  [5]

Un théologien protestant comme André Gounelle reprend ce concept à travers la notion de paradoxe évangélique :

Le paradoxe serait une structure de l’être lui-même. En ce sens, il n’est pas insolite, mais constitutif et habituel, il se rencontre à chaque moment. La théologie existentielle, influencée par Luther et Kierkegaard le caractérise par la coïncidentia oppositorum, la coïncidence incompréhensible des opposés : ainsi la sagesse humaine est folie devant Dieu et la sagesse divine scandale pour la rationalité humaine; ou encore la gloire de Dieu se manifeste dans l’ignominie de la croix, sa puissance dans la faiblesse de l’homme Jésus. Le paradoxe signifie que la logique divine contredit, inverse la logique humaine, qu’elle opère sans cesse des retournements. Barth et Brunner, dans cette ligne, définissent le paradoxe comme une « impossible possibilité ». Le paradoxe, c’est que Dieu se fasse homme, que le Christ ressuscite, que le pécheur soit pardonné. Ce sont des choses que la raison humaine ne peut pas comprendre, et qu’elle doit accepter par une sorte de sacrifice de l’intelligence. Le paradoxe signifie l’insuffisance radicale de la raison humaine qui doit renoncer à sa logique et à son savoir pour se soumettre au « fait » de la révélation qui contredit ses catégories. Dans cette perspective, on ne pense pas le paradoxe, il est aussi impensable que les postulats mathématiques sont indémontrables ; mais on pense à partir du paradoxe, comme on développe des théorèmes à partir des postulats.  [6]

 

Ne restons pas prisonniers des oppositions que notre paganisme naturel nous fait dresser entre liberté et sécurité, entre droit et miséricorde, entre développement et sobriété, entre égalité et fraternité etc.

Si en Dieu les contraires s’unissent, alors le polythéisme des valeurs diagnostiqué par Weber n’aura pas le dernier mot. Et cela peut orienter notre discernement, nos choix de vie, personnels et collectifs.

 

 _____________________________________________

[1]Cf. http://www.interbible.org/interBible/cithare/psaumes/2004/psa_041210.htm

[2]. Max Weber, Essais sur la théorie de la science, Quatrième essai : « Essai sur le sens de la « neutralité axiologique » dans les sciences sociologiques et économiques” (1917), p. 21.

[3]. Max Weber, Le savant et le politique, Paris, coll. 10 / 18, pp. 22-23.

[4]ibid., p. 26.

[5]. Nicolas de Cues (1401-1464), Docte ignorance I,4

 

 

1ère lecture : « Va, tu seras prophète pour mon peuple » (Am 7, 12-15)

Lecture du livre du prophète Amos

En ces jours-là, Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos :« Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda ; c’est là-basque tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète.     Mais ici, à Béthel,arrête de prophétiser ; car c’est unsanctuaire royal, un temple du royaume. » Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores.     Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va,tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ »

 Psaume: Ps 84 (85), 9ab.10, 11-12, 13-14
R/Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps84, 8)

J’écoute: que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pastraceront le chemin.

2ème lecture : « Il nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde » (Ep 1,3-14)
Lecturede la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

   Béni soit Dieu, le Père
de notre Seigneur Jésus Christ !
Il nous a bénis et comblés
des bénédictions de l’Esprit,
au ciel, dans le Christ.

   Il nous a choisis, dans le Christ,
avant la fondation du monde,
pour que nous soyons saints, immaculés
devant lui, dans l’amour.

   Il nous a prédestinés
à être, pour lui, des fils adoptifs
par Jésus, le Christ.

Ainsi l’a voulu sa bonté,
à  la louange de gloire de sa grâce,
la grâce qu’il nous donne
dans le Fils bien-aimé.

   En lui, par son sang,
nous avons la rédemption,
le pardon de nos fautes.

C’est la richesse de la grâce
que Dieu a fait déborder jusqu’à nous
en toute sagesse et intelligence. 

   Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté,
selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ :
pour mener les temps à leur plénitude,
récapituler toutes choses dans le Christ,
celles du ciel et celles de la terre.

   En lui, nous sommes devenus
le domaine particulier de Dieu,
nous y avons été prédestinés
selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé:
il a voulu  que nous vivions
à la louange de sa gloire,
nous qui avons d’avance espéré dans le Christ.

   En lui, vous aussi,
après avoir écouté la parole de vérité,
l’Évangile de votre salut,
et après y avoir cru,
vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint.
Et l’Esprit promis par Dieu
est une première avance sur notre héritage,
en vue de la rédemption que nous obtiendrons,
à la louange de sa gloire.

Evangile: « Il commença à les envoyer » (Mc6,7-13)
Acclamation: Alléluia. Alléluia.
Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur,
pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia.(cf. Ep 1, 17-18)

Evangilede Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture.     « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. »  Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage.» Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
Patrick BRAUD

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21 septembre 2013

Éthique de conviction, éthique de responsabilité

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Éthique de conviction, éthique de responsabilité

Homélie du 25° dimanche du temps ordinaire / Année C
22/09/13

Faut-il agir uniquement en fonction de ses convictions, quelles que soient les conséquences ?
Ou vaut-il mieux se montrer responsable en choisissant les actes en fonction de leurs conséquences prévisibles ?

Ce vieux débat qui parcourt l’histoire de l’humanité traverse également la Bible. À preuve : le contraste entre la première lecture et l’évangile de ce dimanche.
Amos, prophète intransigeant de la justice sociale, tonne contre les inégalités de la Jérusalem de son époque (environ 750 avant JC). Il est convaincu que les lois de l’Alliance doivent être respectées pour elles-mêmes, quelles que soient leurs conséquences sur le commerce par exemple. Alors que les marchands de Jérusalem pestaient contre le shabbat où ils devaient fermer boutique, contre les fêtes religieuses chômées etc. Le débat sur le travail le dimanche fait régulièrement ressurgir ces arguments de part et d’autre !

Un prophète ne se soucie pas de la gestion courante. Il pose la question du sens, du but ultime de notre activité. Il ne regarde pas le comment, mais le pour quoi. Amos avertit ses concitoyens : si vous continuez à déchirer l’Alliance en ne respectant ni les pauvres ni le shabbat, vous allez droit dans le mur.

En rappelant ce qu’il faut observer sans condition, Amos est le champion de ce qu’on peut appeler – à la suite de Max Weber – l’éthique de conviction (Gesinnungsethisch).

L’exil à Babylone sera perçu après-coup comme l’accomplissement de cet avertissement prophétique qui malheureusement n’a pas été entendu.

Dans la parabole dite du gérant malhonnête ou de l’argent trompeur, Jésus semble faire l’éloge d’un autre point de vue. Le gestionnaire qui s’en mettait plein la poche grâce à ses commissions réfléchit avec sagesse : ?tant que j’ai encore un peu de pouvoir avant d’être licencié pour de bon, autant en faire un usage intelligent. Je vais m’arranger pour me faire des obligés qui me dépanneront lorsque je serai sans emploi’. Autrement dit : il pense d’abord aux conséquences de l’usage de son pouvoir, et c’est en fonction de cela qu’il fait le choix de renoncer à ses commissions exorbitantes. Le calcul qu’il fait est effectivement habile : mieux vaut sacrifier des profits immédiats si cela me permet d’éviter la case Pôle Emploi plus tard… Si je veux des résultats, il faut que je calcule les effets de mes actes et que j’agisse en conséquence.

Ce gérant habile est le champion de l’éthique de responsabilité (Verantwortungsethisch, toujours selon Max Weber). D’ailleurs c’est justement parcequ’il doit répondre (=>responsable) de sa gestion qu’il se met à calculer la suite.

Alors : agir par conviction ou en fonction des conséquences ?

Max Weber résume ainsi le dilemme :

Éthique de conviction, éthique de responsabilité dans Communauté spirituelle b522f96642a028000e9e7110.L._SY445_Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte du fait suivant : toute activité orientée selon l’éthique peut être subordon­née à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s’orienter selon l’éthique de la responsabilité ou selon l’éthique de la convic­tion.

Cela ne veut pas dire que l’éthique de conviction est identique à l’absence de responsabilité et l’éthique de responsabilité à l’absence de conviction. Il n’en est évidemment pas question.

Toutefois il y a une opposition abyssale entre l’attitude de celui qui agit selon les maximes de l’éthique de conviction – dans un langage religieux nous dirions: « Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l’action il s’en remet à Dieu »?, et l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de responsabilité qui dit : « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes. »

Vous perdrez votre temps à exposer, de la façon la plus persuasive possible, à un syndicaliste convaincu de la vérité de l’éthique de conviction que son action n’aura d’autre effet que celui d’accroître les chances de la réaction, de retarder l’ascension de sa classe et de l’asservir davantage, il ne vous croira pas. Lorsque les conséquences d’un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n’attribuera pas la responsabilité à l’agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi.

Au contraire le partisan de l’éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l’homme (car, comme le disait fort justement Fichte, on n’a pas le droit de présupposer la bonté et la perfection de l’homme) et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu’il aura pu les prévoir. Il dira donc : « ces conséquences sont imputables à ma propre action. »

Le partisan de l’éthique de conviction ne se sentira « responsable » que de la nécessité de veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu’elle ne s’éteigne pas, par exemple sur la flamme qui  anime la protestation contre l’injustice sociale. Ses actes qui ne peuvent et ne doivent avoir qu’une valeur exemplaire mais qui, considérés du point de vue du but éventuel, sont totale­ment irrationnels, ne peuvent avoir que cette seule fin : ranimer perpétuellement la flamme de sa conviction.

Max Weber, le savant et le politique, 1919 (Politik als Beruf)

Prenez l’exemple de la corruption, si courante dans certains milieux professionnels (le BTP, l’armement, les marchés publics, voire certains milieux administratifs à Marseille ou en Corse etc.). Les « réalistes » vous diront : ?si je veux garantir mon carnet de commandes, il faut que je sacrifie comme les autres à la pratique du dessous-de-table, sinon je n’obtiendrai aucun marché. Mieux vaut écorner les grands principes et être efficace au service de mes salariés’. Les « idéalistes » rétorqueront : ?vous n’avez donc aucune conviction ? Vous vous reniez vous-même en acceptant de corrompre ou d’être corrompu. Et puis à terme, vous perdez en compétence ; vous compromettez votre survie car vous ne serez plus le meilleur sur le marché si vous vous habituez à le remporter sur d’autres critères que votre compétence’.

argent_1_4 argent dans Communauté spirituelleOn présente souvent le Christ du côté de l’éthique de conviction : prophète de l’amour de l’autre, il semble se moquer éperdument des conséquences de ses affirmations. Son impératif d’amour des ennemis, le pardon illimité, le renoncement volontaire semblent contre-productifs dans une économie moderne. L’intérêt de notre parabole du gérant malhonnête est de nuancer ce portrait. Jésus pratique visiblement l’éthique de responsabilité avec subtilité. « Faites-vous des amis avec l’argent trompeur » résonne comme un appel à réfléchir aux conséquences de ses actes, et à agir en responsable pour aujourd’hui et pour demain. Jésus regrette que « les fils de ce monde soient plus habiles que les fils de la lumière ». L’habileté prônée ici, c’est justement l’éthique de responsabilité qui doit louvoyer de manière efficace entre les écueils des contraintes qui s’imposent pour arriver à ramener le bateau à bon port.

Alors : agir en fonction de ses convictions ou en fonction des conséquences ?

Le Christ a savamment assumé ces deux lignes de conduite. Il a préféré risquer l’humiliation de la croix plutôt que de renoncer à sa conviction sur l’amour inconditionnel. Il a également dosé ses paroles ses actes en fonction de son auditoire, et a fait preuve « d’habileté » pour gagner les coeurs et les esprits.

Faut-il choisir entre ces deux éthiques ?
Ne vaudrait-il pas mieux pour chacun de nous prendre conscience de son penchant naturel, et ainsi le corriger en travaillant davantage l’autre posture éthique ?
Ceux qui auraient tendance à être des prophètes absolutistes feront bien de réfléchir aux effets induits de leurs prises de position, notamment sur les plus pauvres. On sait en économie qu’il y a des effets pervers à toute bonne intention.
Ceux qui seraient naturellement de bons gestionnaires visant l’efficacité avant tout feraient bien d’interroger leurs pratiques : au service de quoi / de qui suis-je en train de me dépenser ?

Que serait un convaincu irresponsable ?
Que serait un responsable cynique ?

 

 1ère lecture : Les mauvais riches (Am 8, 4-7)
Lecture du livre d’Amos
Écoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix, et fausser les balances. Nous pourrons acheter le malheureux pour un peu d’argent, le pauvre pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! »
Le Seigneur le jure par la Fierté d’Israël : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits. »

Psaume : Ps 112, 1-2, 5-6, 7-8

R/ Béni sois-tu Seigneur, toi qui relèves le pauvre.

Louez, serviteurs du Seigneur,
louez le nom du Seigneur !
Béni soit le nom du Seigneur,
maintenant et pour les siècles des siècles !

Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ? 
Lui, il siège là-haut. 
Mais il abaisse son regard 
vers le ciel et vers la terre. 

De la poussière il relève le faible, 
il retire le pauvre de la cendre 
pour qu’il siège parmi les princes, 
parmi les princes de son peuple.

2ème lecture : La prière universelle (1Tm 2, 1-8)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée
J’insiste avant tout pour qu’on fasse des prières de demande, d’intercession et d’action de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui ont des responsabilités, afin que nous puissions mener notre vie dans le calme et la sécurité, en hommes religieux et sérieux. Voilà une vraie prière, que Dieu, notre Sauveur, peut accepter, car il veut que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité.
En effet, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous les hommes. Au temps fixé, il a rendu ce témoignage pour lequel j’ai reçu la charge de messager et d’Apôtre ? je le dis en toute vérité ? moi qui enseigne aux nations païennes la foi et la vérité. Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en levant les mains vers le ciel, saintement, sans colère ni mauvaises intentions.

Evangile : L’argent trompeur (brève : 10-13) (Lc 16, 1-13)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Jésus Christ s’est fait pauvre, lui qui était riche, pour qu’en sa pauvreté vous trouviez la richesse. Alléluia. (2 Co 8, 9)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé parce qu’il gaspillait ses biens. Il le convoqua et lui dit : ‘Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.’
Le gérant pensa : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Travailler la terre ? Je n’ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, je trouve des gens pour m’accueillir.’
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ? ? Cent barils d’huile.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.’
Puis il demanda à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ? ? Cent sacs de blé.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu, écris quatre-vingts.’
Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s’était montré habile, car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est trompeur dans une petite affaire est trompeur aussi dans une grande. Si vous n’avez pas été dignes de confiance avec l’Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ? Et si vous n’avez pas été dignes de confiance pour des biens étrangers, le vôtre, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera le premier, et aimera le second ; ou bien il s’attachera au premier, et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent. »
Patrick Braud

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