Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
Fête du Corps et du Sang du Christ
Dimanche 04/06/2015 / Année B
cf. également :
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédek
C’est la première fois que je le remarque !
Pourtant j’ai bien du lire ce texte d’évangile de Marc des dizaines de fois, mais cette semaine, en méditant ce récit, cela m’a sauté aux yeux : Jésus donne le pain en livrant immédiatement sa signification (« prenez, ceci est mon corps »), alors qu’il donne la coupe, attend qu’ils en boivent tous et après seulement leur livre la clé : « ceci est mon sang, le sang de l’Alliance… ».
Petit détail, me direz-vous ! C’est vrai. Et pourtant, comme tous les détails, il fait sens.
À y réfléchir en effet, le Christ nous fait souvent faire des choses que nous ne pouvons pas comprendre sur le moment, mais qui s’éclairent après…
Pensez à telle décision professionnelle, à tel événement familial, à telle sollicitation d’un ami ou d’une association etc.
Là c’est flagrant : il est inconcevable pour un Juif de boire du sang, car le sang c’est la vie, et la vie appartient à Dieu. D’où les interdits alimentaires qui régissent encore aujourd’hui la cuisine juive casher (et la cuisine musulmane hallal également) : pas de boudin ! pas de sauce mélangeant du sang et du vin… (cf. Dt 12, 23-35). Boire du sang est « péché » comme diraient les musulmans aujourd’hui !
La 1ère lecture du rite de l’Alliance par Moïse nous a bien décrit comment le sang devait être retiré de la victime pour en asperger l’autel et le peuple, réunis ainsi en une alliance de sang. Être aspergé avec du sang, oui, mais le boire pour un Juif, c’est inconcevable ! C’est même un blasphème : car le sang appartient à Dieu, c’est la vie qui vient de Dieu. Le boire, c’est donc affirmer que la vie de Dieu coule dans nos veines : blasphème… L’eucharistie chrétienne accomplit ce blasphème jusqu’à l’extrême : en buvant au calice, c’est la vie même de Dieu-Trinité qui coule dans nos veines, nous devenons frères de sang avec lui, nous devenons Dieu…
Le sang de l’agneau pascal, qui était étalé sur les linteaux des portes des maisons des hébreux pour l’Exode, n’est désormais plus apposé à l’extérieur, mais bien à l’intérieur, au plus intime de nous-mêmes, par l’acte de boire à la coupe : c’est cette consanguinité entre Dieu et l’homme qui est en jeu dans l’eucharistie.
Souvenons-nous que pour les romains, les chrétiens des premiers siècles étaient des païens, puisqu’ils refusaient d’adorer l’empereur et les dieux ; alors que pour les juifs ils étaient des blasphémateurs, puisqu’ils osaient affirmer la communion entre Dieu et l’homme. Les caricaturistes de Charlie Hebdo savent bien que les accusations de blasphème sont dangereuses…
Jésus est donc obligé de prendre ses disciples par surprise, pour contourner leur opposition à ce geste. « Buvez, vous comprendrez après ». Comme pour le lavement des pieds, auquel Pierre voudra s’opposer; et Jésus lui dit : « tu comprendras plus tard… »
Pour la coupe, Jésus leur donne cette explication énigmatique qui ne s’éclairera que dans sa Passion et sur la Croix : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude ». D’ailleurs, pour qu’ils ne restent pas là à discuter indéfiniment de la signification de la coupe de vin de l’eucharistie, il les entraîne aussitôt vers l’eucharistie en actes qui va suivre : « après le chant d’action de grâce, ils partirent pour le mont des oliviers », c’est-à-dire vers la Passion et la mort sanglante.
Deux pistes pour continuer cette semaine à méditer sur ce « détail » de la coupe bue d’abord puis parlée ensuite :
- Je n’ai pas besoin de tout comprendre de l’eucharistie pour me laisser porter par elle.
Il s’agit d’abord d’une expérience : manger pour faire corps avec le Christ, boire ses paroles et sa vie. Les interprétations viendront après : l’initiation à l’eucharistie se fait plus souvent par osmose que par explication, par capillarité (les chants, l’orgue, la fraternité, le silence, la joie…) plus que par démonstration théorique. Il s’agit de se laisser saisir par la liturgie de la messe, et de laisser l’Esprit du Christ nous enivrer à travers elle. Les mots viendront après. Se laisser ainsi porter par l’eucharistie (au lieu de la supporter…) permet ensuite de se laisser porter par le Christ pour aller là où je n’aurai jamais pensé aller. À l’image des disciples étonnés découvrant qu’ils viennent de boire le sang de l’alliance, nous pouvons peut-être découvrir que telle grande joie, telle grande épreuve sont en fait les signes d’une alliance extraordinaire entre Dieu et nous.
- Mais il faut du temps pour cela… C’est la 2° piste: il faut que la coupe de l’Alliance nous fasse partir nous aussi vers le Mont des oliviers, sitôt la messe finie.
Autrement dit : communier au Corps et au Sang du Christ le Dimanche ne s’éclaire que dans la passion vécue avec le Christ « pour la multitude » d’aujourd’hui.
Osons-nous croire assez à cette vérité permanente du mystère pascal qui est le cœur de la liturgie eucharistique et de tous les sacrements ? Dans le Christ vivant, le cœur de l’Eucharistie, c’est la victoire de l’Amour de Dieu sur le mal et la violence du monde. En sorte que « seul célèbre vraiment l’Eucharistie celui qui l’achève dans le service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel » (Joseph Ratzinger, le nouveau peuple de Dieu, Paris, 1971, p. 17).
Rappelez-vous saint Paul, pour qui le véritable culte eucharistique est justement l’offrande de soi : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu: c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre. (Rm 12,1) ».
Nous étions partis du sang de la coupe et nous voici arrivés au service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel, au travail comme en famille…
Quel est le donc votre Mont des oliviers auquel votre communion eucharistique vous envoie ?
Quelle coupe accepterez-vous de boire, même sans comprendre sur l’instant, pour que l’Alliance soit vraiment offerte à la multitude ?
Ne communiez pas machinalement, surtout aujourd’hui en cette fête du Corps et du Sang du Christ. Approchez-vous du pain rompu, approchez-vous de la coupe en désirant de tout votre être ne plus vous appartenir, jusqu’à devenir ensemble une vraie nourriture et une vraie boisson pour la multitude…
1ère lecture : « Voici le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous » (Ex 24, 3-8)
Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, Moïse vint rapporter au peuple toutes les paroles du Seigneur et toutes ses ordonnances. Tout le peuple répondit d’une seule voix : « Toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique. » Moïse écrivit toutes les paroles du Seigneur. Il se leva de bon matin et il bâtit un autel au pied de la montagne, et il dressa douze pierres pour les douze tribus d’Israël. Puis il chargea quelques jeunes garçons parmi les fils d’Israël d’offrir des holocaustes, et d’immoler au Seigneur des taureaux en sacrifice de paix. Moïse prit la moitié du sang et le mit dans des coupes ; puis il aspergea l’autel avec le reste du sang. Il prit le livre de l’Alliance et en fit la lecture au peuple. Celui-ci répondit : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique, nous y obéirons. » Moïse prit le sang, en aspergea le peuple, et dit : « Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclue avec vous. »
Psaume : 115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18
R/ J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur.
ou : Alléluia ! (115, 13)
Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?
Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.
2ème lecture : « Le sang du Christ purifiera notre conscience » (He 9, 11-15)
Lecture de la lettre aux Hébreux
Frères,
le Christ est venu, grand prêtre des biens à venir. Par la tente plus grande et plus parfaite, celle qui n’est pas œuvre de mains humaines et n’appartient pas à cette création, il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, en répandant, non pas le sang de boucs et de jeunes taureaux, mais son propre sang. De cette manière, il a obtenu une libération définitive. S’il est vrai qu’une simple aspersion avec le sang de boucs et de taureaux, et de la cendre de génisse, sanctifie ceux qui sont souillés, leur rendant la pureté de la chair, le sang du Christ fait bien davantage, car le Christ, poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut ; son sang purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant. Voilà pourquoi il est le médiateur d’une alliance nouvelle, d’un testament nouveau : puisque sa mort a permis le rachat des transgressions commises sous le premier Testament, ceux qui sont appelés peuvent recevoir l’héritage éternel jadis promis.
Séquence : « Lauda Sion » (ad libitum) ()
Sion, célèbre ton Sauveur,
chante ton chef et ton pasteur
par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser,
car il dépasse tes louanges,
tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie,
il est aujourd’hui proposé
comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène,
il est bien vrai qu’il fut donné
au groupe des douze frères.
Louons-le
à voix pleine et forte,
que soit joyeuse et rayonnante
l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle
où nous fêtons de ce banquet divin
la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi,
la Pâque de la Loi nouvelle
met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau,
la réalité chasse l’ombre,
et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène,
il ordonna qu’en sa mémoire
nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint,
nous consacrons le pain, le vin,
en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens
que le pain se change en son corps,
que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir,
notre foi ose l’affirmer,
hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces,
qui ne sont que de purs signes,
voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve,
mais le Christ tout entier demeure
sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser,
le rompre ni le diviser ;
il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient,
il se donne à l’un comme aux autres,
il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment,
mais pour un sort bien différent,
pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ;
vois : ils prennent pareillement ;
quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces,
n’hésite pas, mais souviens-toi
qu’il est présent dans un fragment
aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé,
le Christ n’est en rien divisé,
ni sa taille ni son état
n’ont en rien diminué.
* Le voici, le pain des anges,
il est le pain de l’homme en route,
le vrai pain des enfants de Dieu,
qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé
par Isaac en sacrifice,
par l’agneau pascal immolé,
par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain,
ô Jésus, aie pitié de nous,
nourris-nous et protège-nous,
fais-nous voir les biens éternels
dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout,
toi qui sur terre nous nourris,
conduis-nous au banquet du ciel
et donne-nous ton héritage,
en compagnie de tes saints.
Evangile : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » (Mc 14, 12-16.22-26)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ;
si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? » Il envoie deux de ses disciples en leur disant : « Allez à la ville ; un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre. Suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire : “Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?” Il vous indiquera, à l’étage, une grande pièce aménagée et prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs. » Les disciples partirent, allèrent à la ville ; ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.
Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »
Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.
Patrick BRAUD