L'homélie du dimanche (prochain)

29 décembre 2019

L’épiphanie du visage

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’épiphanie du visage

Homélie pour la fête de l’Épiphanie / Année A
05/01/2020

Cf. également :

Épiphanie : tirer les rois
Épiphanie : êtes-vous fabophile ?
Rousseur et cécité : la divine embauche !
Épiphanie : l’économie du don

Épiphanie : Pourquoi offrir des cadeaux ?
Le potlatch de Noël
Épiphanie : qu’est-ce que l’universel ?
L’Épiphanie, ou l’éloge de la double culture
L’inquiétude et la curiosité d’Hérode
Éloge de la mobilité épiphanique
La sagesse des nations

En Chine, le visage sert à tout. Reconnu par une caméra intelligente, il vous permet de payer au supermarché sans sortir votre carte bleue ni même faire la queue. Il vous donne  accès au métro, à l’entrée de votre immeuble, et à l’argent de votre compte en banque… Grâce à la reconnaissance faciale, le visage devient une signature unique, infalsifiable, qui simplifie les démarches de la vie courante.

Le revers de la médaille de cette prouesse technologique est l’avènement d’une société de contrôle, où la surveillance généralisée des visages permet de sanctionner, d’observer, de punir, de noter les citoyens. Chacun dispose ainsi d’une sorte de « permis à points » social en fonction de ses amendes, condamnations, incivilités ou au contraire des actes approuvés par le régime. Malheur à ceux dont le nombre baisse trop ! Les caméras les dénicheront où qu’ils soient et les écarteront du train, du métro, du spectacle auquel ils n’ont plus droit. On estime à près de 400 millions le nombre de caméras intelligentes dans le pays (une pour 3,5 habitants). Il passera probablement à 600 millions en 2025.

On pense bien sûr à George Orwell : son roman « 1984 » anticipait ce type de société de contrôle où la surveillance panoptique (= ayant vue sur tout) supprime l’anonymat et la vie privée. Et cela fait froid dans le dos…

Ces calculs sur les visages pour les traduire en une série de 0 ou 1 reconnaissable par l’intelligence artificielle font aussi penser à d’autres calculs étranges sur le visage humain, ceux des soi-disant docteurs nazis prétendant caractériser la race juive par son visage caricaturé à l’extrême. De grandes expositions à Paris et ailleurs consacraient cette approche anthropométrique du visage dans les années de l’occupation allemande. Sous couvert de scientificité, la mainmise sur le visage humain servait l’idéologie nazie : dénier aux juifs leur humanité et en faire des sous-hommes (Untermenschen). Cela fait froid dans le dos…

Après-guerre, bizarrement, cette manipulation des visages connut d’autres heures de gloire avec la pseudo-science de la morphopsychologie, inventée par un psychiatre français Louis Corman (1901–1995), heureusement largement inconnu. Il voulait classer scientifiquement les visages et en déduire les caractéristiques des personnalités de chacun d’après les traits de son faciès. Ce qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs une autre pseudo-science, chinoise à nouveau, qui régnait autrefois à la cour de Pékin. Le Mian Xiang était l’art impérial de la lecture du visage, populaire en Chine depuis l’Antiquité. Cette technique d’inspiration taoïste, vieille de plusieurs millénaires, permettrait de décrypter le caractère d’une personne mais aussi de ‘prédire’ ses actes à partir d’une analyse minutieuse des traits de son visage (la distance entre ses yeux, leur courbure, la forme du nez, des oreilles et des rides…). Elle était employée dans la Chine traditionnelle pour sélectionner les candidats aux postes de fonctionnaire, mais aussi – déjà! pour repérer les personnes malveillantes dans une foule dinvités.

À l’opposé de ces pensées calculantes et techniciennes, le philosophe juif Emmanuel Levinas a réfléchi sur ce qu’il appelle l’épiphanie du visage. Lorsque nos regards se croisent, le visage de l’autre est un appel à la responsabilité éthique envers lui, pour en prendre soin et le servir. Il y a dans le visage d’autrui la manifestation d’une transcendance, de quelque chose qui nous échappe et nous commande à la fois, qui n’est pas mesurable, qui n’est pas objet de manipulation ni de calcul. L’exposition du visage à autrui – peau nue offerte à la rencontre – est bouleversante pour qui prend le temps d’y déceler l’infini qui s’y manifeste. C’est bien une épiphanie (au sens grec du terme) c’est-à-dire une manifestation (paraître au-dessus) de l’infini (la personne humaine) dans le fini (son visage). Emmanuel Lévinas appelle épiphanie l’expression du visage en tant qu’elle résiste à la prise et se refuse à la possession. Le visage s’impose par-delà les formes qui le délimitent. Il me parle et m’invite à une relation sans aucune mesure avec tout pouvoir. Cette dimension infinie, transcendante, purement éthique, est expression et discours. Sans recourir à la force, elle résiste infiniment à toute appropriation ou négation, y compris au meurtre : c’est une résistance désarmée et désarmante.

« Le visage est sens à lui seul. Toi, c’est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n’est pas « vu ». Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l’incontenable, il vous mène au-delà.
Le  visage  se  refuse  à  la  possession,  à  mes  pouvoirs.  Dans  son épiphanie, dans l’expression, le sensible, encore saisissable se mue en  résistance  totale  à  la  prise.  (…)  L’expression  que  le  visage introduit dans le monde ne défie pas la faiblesse de mes pouvoirs, mais mon pouvoir de pouvoir.
L’infini paralyse le pouvoir par sa résistance infinie au meurtre, qui, dure et insurmontable, luit dans le visage d’autrui, dans la nudité totale de ses yeux, sans défense, dans la nudité de l’ouverture absolue du Transcendant. Il y a là une relation non pas avec une résistance très grande, mais avec quelque chose d’absolument Autre : la résistance de ce qui n’a pas de résistance – la résistance éthique.
L’épiphanie du Visage suscite cette possibilité de mesurer l’infini de la tentation du meurtre, non pas seulement comme une tentation de destruction totale, mais comme impossibilité – purement éthique – de cette tentation et tentative.
Le visage me parle et par là m’invite à une relation sans commune mesure avec un pouvoir qui s’exerce, fût-il jouissance ou connaissance.
Emmanuel Levinas, Totalité et infini, 1961.

Les Grecs pensaient autrefois qu’il fallait se masquer le visage pour jouer son rôle. Le masque de théâtre avait pour fonction de laisser porter la voix tout en cachant le visage. La personne (prosopon en grec, persona en latin) était alors en avant du masque (pro-sopon) le son qui perçait de derrière (per-sona). Avec Levinas, la personne humaine est au contraire celle que le visage révèle au lieu de la dissimuler, dans son irréductible altérité. C’est un autre qui se tient face à moi, et son altérité me renvoie au Tout-Autre dont il est une épiphanie. C’est pourquoi le visage d’autrui résonne comme une injonction éthique absolue : ‘tu ne tueras pas’.

Ce large détour par différentes conceptions du visage peut nous aider à redécouvrir le sens de la fête d’aujourd’hui.
Qu’est-ce en effet que l’Épiphanie sinon la manifestation de l’infini divin dans le fini de l’enfant de Bethléem ? En lui le Tout-Autre se révèle, l’indicible se laisse approcher, le très Grand est tout petit, l’invisible se donne à contempler. Les mages ne s’y sont pas trompés. Avec leur science astrologique, ils auraient pu se contenter de la description de leurs calculs. Ils avaient en quelque sorte inventé la reconnaissance faciale du Messie, à lire dans les astres mieux que les Chinois dans leurs caméras vidéo… Mais ils n’ont pas voulu en rester là. Cette connaissance théorique les laissait sur leur faim. Ils voulaient voir l’enfant. Ils désiraient éprouver son regard, scruter son visage, être physiquement en sa présence, se prosterner devant un être de chair et non une forme dans le ciel. Un Dieu sans visage pourrait-il vraiment entrer en relation, en communion avec l’homme ? Dès sa naissance, Jésus est l’épiphanie du Père : tout en lui nous parle de plus grand que lui ; ses actes nous montrent comment Dieu agit ; ses paroles lui sont inspirées par l’Esprit ; son visage bouleversera même ses ennemis dans le pardon offert.

Fêter l’Épiphanie, c’est donc répondre à l’injonction éthique qui me vient du visage d’autrui (pour reprendre Levinas) : ‘sois responsable de ton frère en humanité, ne te dérobe pas devant son regard. Contemple-le face-à-face et tu frémiras de pressentir une dignité infinie, ton cœur se dilatera de frôler ce qui dépasse l’entendement humain. Dans la rencontre de Bethléem, les mages font l’expérience de ce bouleversement intérieur. Les cadeaux qu’ils offrent sont les signes de leur responsabilité envers l’enfant : de l’or pour qu’il soit reconnu comme roi, de l’encens pour discerner en lui le Grand Prêtre venu de Dieu, de la myrrhe pour que son embaumement après la croix révèle au monde sa victoire sur la mort.

Totalité et infiniAllez rendre visite à un service de pédiatrie : vous ne pourrez pas échapper aux regards de ces enfants malades dont certains semblent vous avertir du danger extrême qui les menace et vous supplie en vous tendant leurs visages. Même le pire bourreau ne pourra rester insensible à cette détresse d’autrui qui est un appel à prendre soin de lui. On raconte que les commandos nazis chargés des basses besognes d’extermination en étaient réduits à se saouler continûment pour se confronter à des statistiques de travail et non à des visages humains implorant leur pitié ou flambant de colère et de haine.

À Bethléem, c’est presque l’effet symétrique. La profondeur du mystère qui émane du visage du nouveau-né oblige les mages à prendre soin d’eux-mêmes. Grâce à un songe commun, ils repartent « par un autre chemin » pour éviter la violence du fourbe Hérode qui aurait voulu les éliminer pour les faire taire. D’ailleurs Hérode fera tuer les premiers-nés à distance, sur un ordre politique, sans se salir lui-même les mains. 

Nous ne pouvons plus comme les mages aller nous prosterner au loin devant le Roi des juifs. Mais nous pouvons en-visager (c’est-à-dire donner un visage) à ceux que nous croisons sans les voir. Les voisins de palier, de quartier, de bureau. Les SDF dans la rue qui nous gênent et dont nous détournons le regard. Les gens trop gros, trop maigres, trop grands, trop petits, trop handicapés, trop différents de peau, psychologiquement trop dérangés… Et d’abord les tous proches : conjoint, enfants, famille, dont on croit connaître la personnalité et dont nous ne voulons plus nous étonner.

Dieu le Tout-Autre se révèle sur le visage d’autrui. Face-à-face, quelque chose de plus grand que tout se dévoile. Si je renonce à mettre la main sur lui (par la technique, le calcul, l’aveuglement idéologique, l’intérêt etc.), l’appel à prendre soin qui émane de son visage changera mon chemin et mes décisions.

Telle est l’épiphanie du visage humain, qui s’enracine dans l’Épiphanie du Christ à Bethléem : ne pas passer à côté de l’autre sans contempler sur son visage l’infini qui nous fait vivre tous les deux et nous convoque à devenir responsables l’un de l’autre…

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« La gloire du Seigneur s’est levée sur toi » (Is 60, 1-6)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

PSAUME

(Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13)
R/ Toutes les nations, Seigneur, se prosterneront devant toi. (cf. Ps 71,11)

Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

DEUXIÈME LECTURE
« Il est maintenant révélé que les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse » (Ep 3, 2-3a.5-6)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.

ÉVANGILE
Nous sommes venus d’Orient adorer le roi (Mt 2, 1-12)
Alléluia. Alléluia.Nous avons vu son étoile à l’orient, et nous sommes venus adorer le Seigneur. Alléluia. (cf. Mt 2, 2)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda,tu n’es certes pas le dernierparmi les chefs-lieux de Juda,car de toi sortira un chef,qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
 Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Patrick Braud

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17 février 2016

La face de Dieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

La face de Dieu

 

Cf. également :

Le sacrifice interdit

Dressons trois tentes…

La vraie beauté d’un être humain

L’alliance entre les morceaux

Visage exposé, à l’écart, en hauteur 

Figurez-vous la figure des figures 

Dieu est un trou noir 

 

Homélie du deuxième dimanche de carême / Année C
21/02/16

 

La biche mystique

Avez-vous déjà remarqué les biches, les cerfs et les scènes de chasse qui ornent souvent nos églises romanes en France et ailleurs ?

Bizarre, non ? Graver une meute de chiens courant après un cerf ou une biche sur la façade d’une cathédrale… Eh bien non, ce n’est pas bizarre ! C’est la traduction médiévale de notre psaume 27,8 : « cherchez ma face, dit Dieu ». « C’est ta face Seigneur que je cherche ».

Chasse à courre 1

Frise de chasse à courre au cerf (façade de la cathédrale d’Angoulême, XII° siècle)

Pourquoi graver une scène de chasse sur la façade d’une cathédrale ? par pur motif esthétique ?

Sans  doute  non.  La  chasse  est  en  effet  un  thème  spirituel  omniprésent  dans  la  littérature  spirituelle et biblique, depuis les rabbis parlant de la quête de Dieu comme d’une chasse, jusqu’aux Pères de l’Église exploitant tous les détails de cette allégorie de la chasse à courre pour parler du désir de Dieu. 

Ne dit-on pas en français courant : « se mettre en chasse » pour désigner la quête d’un objet, ou même d’un  partenaire  amoureux ?  Se  mettre  en  quête  du  Christ  est  une  condition  indispensable  pour entrer dans une église.

Dans l’iconographie médiévale, le cerf en était venu à désigner le Christ. Ses bois évoquent le bois de la Croix, car ils repoussent si on les coupe, à l’image du Christ ressuscitant quand on lui enlève la vie. On raconte qu’Hubert se convertit en voyant dans les bois d’un cerf le signe de la Croix du Christ ; saint Eustache également (ils devinrent pour cela patron des chasseurs / des sonneurs).

Le chercheur de Dieu devient lui même un cerf : « comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi mon Dieu. Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant… » (Ps 42,1)

« De même que le cerf, après avoir été chassé, a soif, de même toi, cours tout bonnement devant toi et laisse s’allumer en toi une nouvelle soif de Dieu. C’est pour cela que tu es chassé ». Ou encore : « l’homme, cerf chassé, court à Dieu comme il convient, gagné par la soif de Celui en qui sont réellement toute paix, toute vérité, toute consolation » (Tauler, XIV° siècle).

 

Cette frise traduit le désir de Dieu,  la  quête  intérieure  qui  permet  au  visiteur  d’entrer  véritablement  dans  le  mystère  offert  par  la cathédrale, au lieu d’en rester purement extérieur.

Chasse à courre 2

Biche chassée par les chiens (chevet de la cathédrale d’Angoulême, XII° siècle)

Surprise : à la sortie, à nouveau le thème de la chasse… C’est une magnifique inclusion, puisque située au chevet, symétriquement à celle de la façade. C’est donc que même après avoir franchi la porte, s’être rassemblé  avec  l’Église,  avoir  communié  au  Christ  dans  son  eucharistie,  le  chemin  n’est  pas  encore terminé  pour  autant !  Ni  la  vie  en  Église,  ni  les  sacrements  ne  suffisent  pour  aller  totalement  à  la rencontre du Dieu vivant. La quête spirituelle continue une fois sorti de la cathédrale, et se prolonge dans tous les domaines de la vie. La dimension mystique de la foi se nourrit de ce passage dans la cathédrale, et se joue dans la vie intérieure, mais aussi familiale, sociale…

Il s’agit de ne jamais enclore la recherche de Dieu, de ne jamais croire qu’on l’a trouvé. Comme l’écrivait le  génial  Saint  Augustin :  « Le  chercher  avec  le  désir  de  le  trouver,  et  le  trouver  avec  le  désir  de  le chercher encore…. »

La biche poursuivant sa course, haletante du désir de Dieu, nous invite à ne jamais nous arrêter dans notre propre course intérieure. « Le seul élément stable du christianisme, c’est l’ordre de ne s’arrêter jamais » (Bergson). « Car c’est là proprement voir Dieu que ne d’être jamais rassasié de le désirer sans cesse… » (Grégoire de Nysse).

 

Cherchez ma face

Afficher l'image d'origineLe psaume 27 de ce dimanche fait le lien en quelque sorte entre le Dieu caché de l’Ancien Testament et la transfiguration du Christ dans le Nouveau Testament :

Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.

Beaucoup de textes bibliques, des prophètes notamment, affirmaient que Dieu n’est comparable à aucun être humain, par ce que il est le Tout Autre. Il n’est pas comme les statues des idoles « qui ont des yeux et ne voient pas, une bouche et ne parlent pas ». Dieu est inatteignable, à nul autre pareil. Son Nom même ne peut être prononcé, car ce serait avoir sur lui un pouvoir de nomination qui le rabaisserait au rang d’une idole. Le Tétragramme YHWH marque à jamais la radicale altérité de Dieu sur les frontons des synagogues.

À côté de ce courant farouchement monothéiste subsistaient au sein du peuple d’autres représentations de Dieu, plus proches du polythéisme ambiant. L’expression « la face de Dieu » viendrait ainsi de coutumes royales : on était admis en présence du roi, et voir son visage représentait un honneur et un privilège réservé à quelques-uns. Il y avait également des processions où une statue royale de YHWH, malgré l’interdiction formelle des 10 commandements de ne pas faire d’image divine, était portée dans le Temple de Jérusalem.

Quoi qu’il en soit, le psaume recherche dans l’usage de l’expression anthropomorphique « la face de Dieu » une proximité, une familiarité qui puisse nourrir le peuple de l’espoir d’un Dieu accessible, alors que les dieux étrangers étaient bien lointains et indifférents au sort des hommes.

 

Voir Dieu face à face

Afficher l'image d'origine« Nul ne peut voir Dieu sans mourir » (Ex 33,20) : cette conviction biblique qui met Dieu à l’abri de nos projections humaines a quand même quelques exceptions célèbres dans l’Ancien Testament. Moïse est le plus connu.

« Yahvé parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami, puis il rentrait au camp » (Ex 33,11). « Il ne s’est plus levé en Israël de prophète pareil à Moïse, lui que Yahvé connaissait face à face » (Dt 34, 1.10).

La plupart du temps, Dieu n’est pas visible : « vraiment tu es un Dieu qui se cache, Dieu d’Israël Sauveur », ce qui ne l’empêche donc pas d’agir pour son peuple puisqu’il est sauveur, mais il le fait à sa manière. Et les voies de Dieu ne sont pas celles des hommes.

On voit que dans tout l’Ancien Testament oscille entre radicale altérité et bienfaisante proximité de Dieu envers son peuple.

 

Cherchez la face de Dieu

La vie spirituelle s’est alors focalisée sur la recherche des signes de la promesse de Dieu. La plupart du temps, c’est après coup que nous pouvons discerner les traces de son passage, un peu comme Élie n’apercevant Dieu que de dos, dans le murmure de la brise légère (1R 19, 9-18). Mais le psaume chante que chercher Dieu est la vraie soif de l’être humain, le véritable objet de la chasse à courre mystique. « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé » écrit Augustin dans ses Confessions (repris par Blaise Pascal dans ses Pensées). Comme si Dieu prenait un divin plaisir à jouer à cache-cache avec nous, pour éveiller notre désir et l’agrandir à la taille de son immensité, c’est-à-dire sans limites…

 

La Transfiguration, ou le vrai visage de Dieu

Afficher l'image d'origineEt voilà que celui que l’Ancien Testament avait cherché se révèle en Jésus de Nazareth ! Sur son visage d’homme on pouvait lire les traits divins. Sur le Mont Thabor, la face de Jésus irradie de façon si bouleversante que les trois témoins n’oublieront jamais cet éblouissement intense. Lorsque Jésus sera défiguré dans sa Passion, ils se souviendront après coup que la gloire de Dieu habitait cet homme. C’est donc pour que tout homme humilié comme le crucifié puisse recevoir du Christ la révélation de sa dignité divine qui est en lui. La transfiguration de Jésus nous apprend que, de manière surprenante, c’est Dieu le premier qui cherche le visage de l’homme. Comme au jardin de la Genèse où Adam a peur et se cache le visage, c’est nous qui nous dérobons au face à face. Dieu lui se donne entièrement à voir en Jésus de Nazareth. De la gloire du Mont Thabor à l’opprobre de la croix, c’est bien le visage de Dieu qui apparaît en cet homme faisant corps avec les damnés de la terre.

Depuis la transfiguration, chercher la face de Dieu ne se fait pas en s’évadant dans le ciel (« pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? »), mais en descendant du Thabor pour plonger au plus profond de l’enfer humain, et révéler  à tout homme humilié quelle est sa vraie beauté, sa vraie dignité en Dieu.

 

Chercher le visage de Dieu nous pousse aujourd’hui à côtoyer les regards perdus des malades d’Alzheimer dans nos EHPAD, nos foyers longs séjours d’hôpitaux. Avoir soif de la proximité divine nous amène à parcourir les jungles de Calais ou de Calcutta, les bidonvilles d’Inde ou d’Afrique pour essuyer la honte et la misère autour de ces visages, comme Véronique essuyait avec un linge la face tuméfiée de Jésus supplicié marchant vers le Golgotha.

Entretenir une vie spirituelle authentique ne peut se faire sans chercher passionnément la beauté de Dieu qui se cache en chacun, en chacune. Si Dieu a pris chair de notre chair, c’est dans la chair du monde qu’il nous donne désormais rendez-vous pour contempler sa face.

 

Les moines qui s’isolent pour chercher le visage de Dieu ne le font pas pour se couper du monde. Au contraire, toutes les règles monastiques prônent qu’accueillir les voyageurs et les étrangers, c’est accueillir le Christ en personne à l’hôtellerie du monastère, sans le dissocier de sa contemplation au tabernacle. Ainsi, saint Vincent de Paul ne disait-il pas à ses soeurs qui pestaient contre les mendiants sonnant à leur porte et les dérangeant à l’heure de l’office : 

« Il ne faut pas du retardement en ce qui est du service des pauvres. Si, à l’heure de votre oraison le matin, vous devez aller porter une médecine, oh, allez-y en repos. Offrez à Dieu votre action. Unissez votre intention à l’oraison qui se fait à la maison ou ailleurs et allez sans inquiétude. Si, quand vous serez de retour, votre commodité vous permet de faire quelque oraison ou lecture spirituelle, à la bonne heure, mais il ne faut point vous inquiéter ni croire avoir manqué, car on ne perd pas l’oraison quand on la quitte pour un sujet légitime. Et s’il y a un sujet légitime, c’est bien le service du prochain, car ce n’est point quitter Dieu que quitter Dieu pour Dieu. C’est-à-dire une œuvre de Dieu pour en faire une autre qui soit peut-être de plus grande obligation ou de plus grand mérite. Vous quittez l’oraison ou la lecture, vous perdez le silence pour assister un pauvre : sachez, mes filles, que faire tout cela c’est servir Dieu. Car, voyez-vous, la charité est par-dessus toutes les règles. Il faut que toutes les règles se rapportent à celle-là, car la charité est une grande dame et il faut faire ce qu’elle commande. Allons donc, et employons-nous avec un amour nouveau à servir les pauvres. Et même cherchons les plus pauvres et les plus abandonnés. Reconnaissons, devant Dieu, que ce sont nos seigneurs et nos maîtres et que nous sommes toujours indignes de leur rendre de petits services ».

Toute prétendue spiritualité qui voudrait se mettre à part, se couper du monde pour chercher Dieu entre soi serait en contradiction maximum avec la transfiguration du Christ sur la montagne.

Alors, cherchons nous aussi la face de Dieu, avec les psalmistes du Temple de Jérusalem, avec le roi David inventant une autre gouvernance pour son peuple, avec les prophètes défendant la dignité des pauvres, des immigrés, des orphelins et des veuves. Cherchons la face de Dieu sur les visages des inconnus comme des illustres.

« Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi mon Dieu » : creusons en nous cette soif de découvrir le vrai visage de Dieu sur ceux que personne ne regarde plus, si ce n’est avec mépris, peur ou haine…

 

 

1ère lecture : Le Seigneur conclut une alliance avec Abraham, le croyant (Gn 15, 5-12.17-18)
Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, le Seigneur parlait à Abraham dans une vision. Il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste.

 Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage. » Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que je l’ai en héritage ? » Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. » Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les cadavres, Abram les chassa. Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »

Psaume : Ps 26 (27), 1, 7-8, 9abcd, 13-14
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut.  (Ps 26, 1a)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N’écarte pas ton serviteur avec colère :
tu restes mon secours.

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

2ème lecture : « Le Christ transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Ph 3, 17 – 4, 1)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens

Frères, ensemble imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons. Car je vous l’ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant : beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Ils vont à leur perte. Leur dieu, c’est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne pensent qu’aux choses de la terre.

Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection, vous, ma joie et ma couronne, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.

Evangile : « Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre » (Lc 9, 28b-36)

Acclamation : Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! »
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.  (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.
Patrick BRAUD

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3 mars 2012

Visage exposé, à l’écart, en hauteur

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Visage exposé, à l’écart, en hauteur

 

Homélie du 2° Dimanche de Carême
04/03/2012

Un visage, des visages

C’est le titre d’une exposition très originale à Roubaix. Dans un bâtiment de briques de 1902 où l’on conditionnait autrefois la laine et la soie qui faisaient la fortune du Nord (d’où son nom : « la Condition Publique »), l’allée centrale découverte et les entrepôts sont reconvertis en itinéraire initiatique. Une première composition met en valeur neuf visages de la zone urbaine sensible (ZUS) du Pile, le quartier environnant. D’anciens tissus nordistes du musée de la Piscine (à Roubaix toujours) leur servent de fond d’écran, jusqu’à s’imprimer en transparence sur leur peau. Ils s’animent à tour de rôle ou ensemble pour chanter dans toutes les langues.

 

Il y a Maria la portugaise généreuse qui chante Piaf, Zena le rappeur à capuche trop timide pour chanter mais qui dévoile finalement sa face, Alice l’enfant de 13 ans déjà trop grosse qui rit de bonheur en fredonnant son idole, Willia l’africaine plus noire encore que ses piercings… Il se dégage de cette exposition une possibilité de transfiguration du visage par la voix : par le chant, les cultures transforment les yeux, font surgir d’autres sourires, d’autres plissements de front, d’autres mouvements de lèvres. Ce multiculturalisme est ici heureux, dans la précarité même de cette ZUS au passé cossu.

Un peu plus loin, une deuxième exposition est beaucoup plus sombre. Regards coulés sous la capuche, mines renfrognées et sourires soudains, portraits en solitude ou groupes d’amis bras dessus, bras dessous, l’installation égrène en un noir et blanc dur ou sépia 300 portraits co-construits de jeunes gens qui vivent dans la brique du Nord, dans le béton d’Évry ou les cités de Mantes-la-Jolie. Des centaines de regards en noir et blanc apparaissent aléatoirement sur des écrans de toutes tailles, au milieu d’un tic-tac inquiétant. Des visages sur écrans géants reproduisent le stéréotype du jeune de banlieue : un garçon, noir ou arabe, survêtement ou casquette de rigueur, les yeux durs et agressifs, toujours en noir et blanc. C’est à peine si l’angoisse s’allège lorsque enfin ce cliché se déride et rit un bref instant à pleines dents, pour montrer que les stéréotypes ne sont que des clichés, des chiqués… Mais le sentiment de malaise persiste dans la semi obscurité où les noms des 1200 ZUS de France succèdent sur les écrans à des centaines de visages durs et froids.

 

 

À l’écart, en hauteur

Où donc se reproduit aujourd’hui la Transfiguration qui éclaboussait Pierre, Jacques et Jean d’une beauté indicible ?

La première exposition de la Condition Publique la mettait en scène dans les portraits d’une ZUS, lorsque le chant les sublimait. La deuxième exposition pariait sur le rire pour révéler le dessous d’une casquette pourtant terriblement marquée par la malchance d’être née là et ainsi.

 

Notre évangile semble avoir choisi une autre voie : « à l’écart, sur une haute montagne ».

À l’écart : comme si notre vraie beauté demandait de créer de la distance pour se manifester.

Sur une haute montagne : comme si la seule proximité du Visage exposé, à l'écart, en hauteur dans Communauté spirituelleDieu très haut pouvait révéler la vraie splendeur d’un être, jusqu’à changer profondément sa présence au monde. Le visage transfiguré est le signe et la trace d’une nouvelle manière d’être en relation ; les habits resplendissants de blancheur symbolisent notre humanité ‘habillée’ pour cette rencontre ultime avec Dieu.

 

Voilà peut-être deux indices à retenir :

 

- accepter d’être emmené, seul, à l’écart de la surface de nos présences habituelles ;

- gravir une haute montagne, qui peut être celle de la conscience à soi et à Dieu, ou celle du plongeon dans l’action pour laquelle on est fait.

Car paradoxalement, prendre de la hauteur et plonger au plus profond ne sont pas contradictoires pour Jésus. En effet : « celui-ci est mon fils bien-aimé. Écoutez-le » est la phrase de la Transfiguration comme celle du baptême dans le Jourdain. Les deux mouvements se rejoignent : faire corps avec les pécheurs et faire resplendir la vraie beauté de l’homme sont un même mouvement, et font système.

 

La ZUS actuelle de Roubaix et sa richesse passée ne sont peut-être pas si éloignées l’un de l’autre. La magnificence des laines et des soies de tous les pays entreposées dans la Condition Publique annonçait le melting-pot des visages de cette banlieue, qui doit en retour se souvenir de sa fortune passée pour ne pas désespérer de sa noirceur apparente.  

 

En d’autres termes, plus personnels : la nécessité de prendre de la hauteur et de la distance par rapport aux soucis qui nous submergent est essentielle à la manifestation de la beauté du visage de chacun. Contrairement au discours qui voudrait situer dans ?le quotidien de tous les jours’ la vérité humaine, c’est ici dans les moments de rupture, d’altérité, de différence radicale que survient la transfiguration du parcours ordinaire.

 

S’il n’y a pas ces ruptures (retraites spirituelles, extases de tous ordres, éblouissements artistiques, expériences limite…), la plaine uniformise tout. Il vaut mieux les bas-fonds du Jourdain (le baptême du Christ) ou les essoufflements du Thabor (la Transfiguration) que la tiède complaisance avec des plaines trop répétitives…

 

 

Puissions-nous découvrir ce que signifie pour chacun : « être emmené à l’écart, sur une haute montagne ».

Alors peut-être surviendra cet éblouissement qui ne cesse de marquer le regard et le visage des amis du Christ.

 

 

 

 

1ère lecture : Dieu met Abraham à l’épreuve, et lui renouvelle ses promesses (Gn 22, 1-2.9a.10-13.15-18)

Lecture du livre de la Genèse

Dieu mit Abraham à l’épreuve. Il lui dit : « Abraham ! » Celui-ci répondit : « Me voici ! »
Dieu dit : « Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en sacrifice sur la montagne que je t’indiquerai. »

Quand ils furent arrivés à l’endroit que Dieu lui avait indiqué, Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils.
Mais l’ange du Seigneur l’appela du haut du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! » Il répondit : « Me voici ! »
L’ange lui dit : « Ne porte pas la main sur l’enfant ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique. »
Abraham leva les yeux et vit un bélier, qui s’était pris les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils.
Du ciel l’ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham :
« Je le jure par moi-même, déclare le Seigneur : parce que tu as fait cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance tiendra les places fortes de ses ennemis.
Puisque tu m’as obéi, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance. »

 

Psaume : Ps 115, 10.15, 16ac-17, 18-19

R/ Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants

Je crois, et je parlerai,
moi qui ai beaucoup souffert.
Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !

Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur, 
moi, dont tu brisas les chaînes ?
Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple, 
à l’entrée de la maison du Seigneur,
au milieu de Jérusalem !

 

2ème lecture : Le sacrifice du Fils (Rm 8, 31-34)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?
Il n’a pas refusé son propre Fils, il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout ?
Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? puisque c’est Dieu qui justifie.
Qui pourra condamner ? puisque Jésus Christ est mort ; plus encore : il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous.

 

Evangile : La Transfiguration (Mc 9, 2-10)

Acclamation : Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. Du sein de la nuée resplendissante, la voix du Père à retenti : « Voici mon Fils, mon bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux.
Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille.
Élie leur apparut avec Moïse, et ils s’entretenaient avec Jésus.
Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est heureux que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »
De fait, il ne savait que dire, tant était grande leur frayeur.
Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoutez-le. »
Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.

En descendant de la montagne, Jésus leur défendit de raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.
Et ils restèrent fermement attachés à cette consigne, tout en se demandant entre eux ce que voulait dire : « ressusciter d’entre les morts ». 
Patrick Braud

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19 mars 2011

Figurez-vous la figure des figures

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Figurez-vous la figure des figures

 

Homélie pour le 2° dimanche de Carême / Année A

Dimanche 20 Mars 2011

 

·       Les figures dans le langage et la Bible

Pour mieux apprécier le sens de ce mot étrange : transfiguration, qui est au cœur de notre page d’évangile, laissons résonner en nous les expressions françaises qui parlent de figure.

 

- Une figure de caractère, c’est une composition académique pour plus d’intensité expressive. C’est le genre de figure qu’inventait Jésus dans ses paraboles : le riche et Lazare, la veuve importune, le bon samaritain etc…

 

- Une figure de style est une construction oratoire soigneusement construite pour produire son effet : une litote, une métaphore etc? Les Écritures regorgent de tels procédés littéraires, le plus souvent au service de la mémorisation par cœur d’une tradition orale (les hymnes du Nouveau Testament par exemple).

 

- En patinage artistique, les champions doivent exécuter des figures libres et des figures imposées. Nombre de questions pièges tendues à Jésus par les notables ressemblent à des figures imposées pour être reconnu comme un vrai rabbin : interprétation de la Loi, études de cas alambiqués? Jésus leur propose souvent ses figures libres : paraboles décoiffantes, gestes surprenants?

 

- Une figure deFigurez-vous la figure des figures dans Communauté spirituelle figure-proue-301759 proue se situe à l’avant du navire : visage marquant qui conduit l’avancée d’un groupe. Jésus est par excellence la figure de proue d’une humanité naviguant vers son port d’attache : la communion d’amour trinitaire.

 

Prendre figure se dit d’un projet, une ébauche qui commence à se réaliser, à prendre forme. En Jésus, le projet divin prend figure, s’incarne dans un visage, prend forme au milieu de l’humanité.

 

- Quand quelque chose se voit comme le nez au milieu de la figure, c’est une évidence incontestable ! Les pauvres, les handicapés et les laissés-pour-compte de la société lisaient sur le visage de Jésus cette  évidence : il vient de Dieu, il mène à Dieu ; cela se voit comme le nez au milieu de la figure !

 

Se figurer, c’est s’imaginer, attribuer un visage à un projet, à un événement à venir. Les juifs se figuraient que le Messie serait glorieux, lumineux, imposant. Et voici que paraît un modeste galiléen bientôt cloué comme un criminel sur le bois de la croix…

 

Faire bonne figure : c’est ce que Hérode est obligé d’adopter comme attitude auprès des invités de son festin. Pour faire bonne figure, il fera décapiter Jean-Baptiste (ce qui est une autre manière de perdre la face, hélas !), à contrecœur.

 

christ12 beauté dans Communauté spirituelleFaire pâle figure : c’est sans doute ce qu’ont pensé de Jésus les spectateurs lors de son procès. Il s’est bien mal défendu. Il a fait triste figure.

 

Faire de la figuration, c’est accepté de jouer un rôle mineur, à la manière de Pilate qui se défausse de sa responsabilité.

 

L’art figuratif, à la différence de l’art abstrait, s’attache à peindre le réel pour qu’on le reconnaisse, tel que le sculpteur ou le peintre l’a interprété, transformé. L’art littéraire des Évangiles est plutôt de ce type.

 

- Le sens figuré d’une expression invite à lire un portrait d’autre chose ou de quelqu’un d’autre là où le sens propre se limite au texte. L’Ancien Testament pour les chrétiens a un sens figuré où le portrait du Christ apparaît en filigrane à chaque page des prophètes, de la Loi ou des sages.

 

- Un cas de figure est une situation envisagée par hypothèse. ?Et si cet homme était vraiment le Messie ?’ Gamaliel usera de cet argument auprès du Sanhédrin pour faire relâcher les apôtres persécutés.

 

Se casser la figure, c’est chuter tout entier, en prendre plein la figure. Ce qui arrive au visage est signe de ce qui arrive à la personne tout entière. Quand Jésus tombe trois fois sur son chemin de croix, il se casse plus que la figure…

 

- D’ailleurs, celui qui est défiguré devient étranger à lui-même, étranger aux autres qui le repoussent. Passer à travers le pare-brise lors d’un accident défigure gravement ; un jet d’acide ou une maladie de peau également. Passer à travers sa Passion a défiguré le Christ comme jamais homme n’a été défiguré. Il n’avait plus figure humaine...

 

·       La Transfiguration, antidote à la défiguration

christ figure

C’est comme une chirurgie du visage par avance qu’opère notre évangile.

Pour que la laideur de la défiguration du crucifié ne soit pas absolue, le Père de Jésus révèle un instant la vraie beauté de son Fils, dans la gloire de l’Esprit.

Pour que l’espérance ne soit pas assassinée avec Jésus, son Père le transfigure en une brève fulgurance  éblouissante.

Un filigrane de beauté s’imprimera en souvenir de cet événement dans la mémoire de Pierre, Jacques et Jean. Ce filigrane de la Transfiguration leur permettra après-coup de ne pas laisser la laideur de l’apparence du visage tuméfié être le dernier mot sur Jésus.

 

 

 

 

·       La figure humaine de la dignité de chacun

Ce n’est pas seulement à un parcours littéraire que nous invite ce terme de transfiguration.

C’est à un autre regard sur le visage de tout homme : du plus défiguré au plus resplendissant, le visage de chaque être humain est une épiphanie, une manifestation de la beauté promise.

 

Il nous faut des moments de lumière comme celui partagé au Mont Thabor pour affronter ensuite la laideur sans jamais désespérer.

 

Que la Transfiguration de Jésus change notre regard sur tout visage rencontré !

 

 

 

1ère lecture : La vocation d’Abraham (Gn 12, 1-4a)

Lecture du livre de la Genèse

Abraham vivait alors en Chaldée. Le Seigneur lui dit : « Pars de ton pays, laisse ta famille et la maison de ton père, va dans le pays que je te montrerai.
Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction.
Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te méprisera. En toi seront bénies toutes les familles de la terre.»

Abram partit, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth partit avec lui.

Psaume : Ps 32, 4-5, 18-19, 20.22

R/ Seigneur, ton amour soit sur nous, comme notre espoir est en toi !

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi.

2ème lecture : Dieu nous appelle à connaître sa gloire (2Tm 1, 8b-10)

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée

Fils bien-aimé,
avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile.
Car Dieu nous a sauvés, et il nous a donné une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles,
et maintenant elle est devenue visible à nos yeux, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.

 

Evangile : La Transfiguration (Mt 17, 1-9)

 

Acclamation : Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. Du sein de la nuée resplendissante, la voix du Père retenti : « Voici mon Fils, mon bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne.
Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.
Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »
Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le ! »
Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d’une grande frayeur.
Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et n’ayez pas peur ! »
Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Patrick BRAUD

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