Le délai entre Pâques et Pentecôte
Le délai entre Pâques et Pentecôte
Homélie pour le Dimanche de Pentecôte / Année A
28/05/2023
Cf. également :
La séquence de Pentecôte
Pentecôte : un universel si particulier !
Le déconfinement de Pentecôte
Les langues de Pentecôte
Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
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Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre
Il faut du temps…
Quand j’étais enfant, mon père m’apprenait à compter les secondes entre l’éclair de la foudre et le grondement du tonnerre qui venait après. Il me donnait mon premier cours de physique : « tu vois, il faut du temps pour que le bruit de l’éclair parvienne jusqu’à nous. Tu divises le nombre de secondes que tu as comptées par 3, et tu as le nombre de kilomètres qui nous séparent de l’endroit où la foudre est tombée ».
J’étais fasciné par ce temps de latence entre l’éclair et le tonnerre, secondes de silence suspendues dans l’espace, pendant lesquelles on craignait être beaucoup trop près…
Depuis, j’ai appris que même la lumière met du temps à nous parvenir, comme l’atteste la découverte de Mathusalem – la bien nommée – la plus vieille étoile de l’univers (13,6 milliards d’années) située à 6000 années-lumière de la Terre. Elle pourrait donc être morte alors que nous la voyons briller dans le télescope spatial !
Il faut du temps pour que la nouvelle de la mort ou la vie d’une étoile nous parvienne !
Vous voyez une zébrure dans le ciel, et il faut du temps pour entendre le tonnerre.
Vous voyez une étoile scintiller, mais il faut du temps pour savoir si elle est vivante ou morte.
Il en est ainsi de bien des choses !
Vous vous mariez, et il faut bien plusieurs dizaines d’années avant de goûter la vraie qualité, la solidité, la fécondité de votre amour.
Vous plantez une semence, et il faut des saisons avant qu’elle fleurisse.
Vous recevez le baptême, et il vous faut des années avant de réaliser ce que cela signifie vraiment.
Vous entendez le même passage biblique chaque année, et un jour enfin il vous parle.
Vous faites cent fois le même geste au travail, en famille, et sans raison il vous apparaît soudain sous un autre jour.
Continuez vous-même la liste…
Il y a souvent un délai, un écart, entre un événement et la plénitude de ce que cet événement nous apporte. La résurrection de Jésus n’échappe pas à cette règle empirique. Les apôtres ont été témoins de cet événement unique, inimaginable. Sous le choc, ils se sont confinés au Cénacle. Le temps de digérer l’énorme nouvelle et de commencer à intégrer cette donnée improbable. Après « un certain temps » – comme aurait plaisanté Fernand Raynaud autrefois – ils osent pointer le bout de leur nez dehors, encore convalescents de l’heureux traumatisme pascal. Symboliquement, Luc fixe ce délai à 50 jours pour ainsi passer de Pâques à Pentecôte, en situant le grondement du tonnerre de l’Esprit Saint 50 jours après la lumière fulgurante de Pâques :
« Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble… » (Ac 2,1).
Évidemment, on ne parle pas ici de secondes, mais de l’accomplissement de la promesse du Christ d’envoyer l’Esprit ; on parle de la plénitude de la Résurrection du Christ qui est l’effusion de l’Esprit sur tous et chacun.
Parcourons quelques interprétations symboliques de ces 50 jours par lesquelles il nous faut toujours passer aujourd’hui.
1. Il faut du temps pour récolter
Les hébreux n’ont pas inventé la fête de Pentecôte. Ils l’ont empruntée aux cananéens qui étaient là avant eux dans le pays. C’est une fête agricole comme il y en a tant, célébrant le renouveau de la vie grâce aux premières récoltes qui arrivent. On l’appelait à cause de cela la « fête des prémices », car devait apporter les premières gerbes de céréales aux divinités païennes pour les remercier de l’abondance qui revient. Israël a gardé cette coutume, en la transposant sur YHWH et non plus Baal. Le sens est le même : il faut du temps entre les semailles et la moisson. La récolte demande d’être patient, d’anticiper le bon moment pour enfouir les graines et ensuite d’attendre le délai qu’imposera la nature pour cueillir et récolter.
Le nombre 50 est ainsi devenu symbolique d’une durée d’accomplissement. Par exemple, la Bible fixe la retraite des lévites … à 50 ans !
« À cinquante ans, le lévite se retirera du service actif, il ne servira plus » (Nb 8,25).
Et ses adversaires doutent que Jésus soit un prophète mature, car il n’a pas encore atteint cet âge de plénitude :
« Les Juifs lui dirent alors : ‘Toi qui n’as pas encore cinquante ans, tu as vu Abraham !’ » (Jn 8,57)
Ainsi en est-il de nos propres semailles : le délai de 50 jours nous apprend à être patients, envers nous-mêmes et envers les autres. Nous ne pouvons récolter immédiatement les fruits de ce que nous avons semé. Que ce soit au travail, en famille, dans la vie associative, la sagesse est de voir à long terme, de ne pas calculer trop court, de miser sur le temps avant de juger ou de récolter.
2. Il faut du temps pour intérioriser ce qui m’arrive
Tout en gardant le sens agricole de la fête, les hébreux lui ont associé un événement historique majeur : le don de la Loi à Moïse sur la montagne du Sinaï pendant l’Exode (Ex 19,16-25) La sortie d’Égypte était l’éclair déchirant leur servitude ; la théophanie sur la montagne fumante sera le tonnerre qui en délivre toute la signification, grâce à la Torah qui fait passer le peuple de la servitude de Pharaon au service de YHWH. D’ailleurs, le nombre 50 garde la trace de cette plénitude : c’est 5×10, soit le nombre de livres de la Torah (Gn, Ex, Nb, Lv, Dt) multiplié par le nombre de commandements inscrits sur les tables de la Loi. La Pentecôte juive fête donc la plénitude donnée par la Torah.
La Pentecôte chrétienne reprendra ce symbolisme, en allant jusqu’au bout de l’accomplissement : c’est l’Esprit de la Torah et non sa lettre qui fait vivre.
Il a fallu des années au désert pour que les fugitifs apprennent à avoir faim d’autre chose que les marmites de viande égyptiennes. Il a fallu des siècles pour que les juifs apprennent avec les prophètes que la Loi de Dieu n’est pas extérieure à l’homme. C’est dans le cœur de chacun que réside la véritable règle de conduite, et non dans des interdits extérieurs. L’Esprit de Pentecôte est celui qui fait passer la loi de l’extérieur à l’intérieur : intérioriser la Loi, c’est se laisser conduire par l’Esprit du Christ.
Nous mettons plus de 50 jours hélas à réaliser que notre foi chrétienne n’est pas un catalogue de permis et de défendus, qu’elle n’est même pas d’abord une morale, mais l’abandon confiant à l’inspiration qui nous vient de Dieu et que nous appelons fort justement l’Esprit de Dieu.
Ceux qui réduisent la religion à un marchandage pour obtenir ce qu’ils souhaitent (santé, succès, amour etc.) observent peut-être les commandements écrits sur les tables de pierre, mais ils ne les ont pas gravés dans leurs cœurs.
Ceux qui veulent imposer leurs croyances par la force ne savent pas vouloir ce que Dieu veut.
Ceux qui confondent foi et morale idolâtrent le texte, au lieu d’en retrouver le souffle.
Par contre, ceux qui font confiance à l’Esprit comme à leur ami le plus intime découvrent au contraire que Dieu n’est pas à l’extérieur, et qu’il ne se laisse enfermer par aucune loi, aucune liturgie, aucune autorité, aucune morale.
L’Esprit souffle où il veut : être chrétien, c’est le laisser devenir notre respiration la plus personnelle, c’est intérioriser ce qui nous anime.
3. Il faut du temps pour devenir libre
Une troisième signification de la Pentecôte tient dans sa manière de compter les semaines. Car la Bible dit : « À partir du lendemain du sabbat, jour où vous aurez apporté votre gerbe avec le geste d’élévation, vous compterez 7 semaines entières. Le lendemain du 7° sabbat, ce qui fera 50 jours, vous présenterez au Seigneur une nouvelle offrande » (Lv 23, 15-16).
C’est pourquoi les juifs appellent cette fête « shavouot » [1] (les semaines en hébreu), et la cinquantaine (πεντήκοντα = pentekonta en grec), ce qui a donné « pentecôte ».
L’allusion au Jubilé est très claire : de même que tous les 50 ans Israël devaient normalement libérer les esclaves, remettre les dettes à zéro, répartir à nouveau les terres à cultiver pour éviter d’injustes accumulations de richesses (cf. Lv 25, la première loi antitrust en quelque sorte !), de même à Pentecôte le 50°jour Israël fête sa libération d’Égypte enfin complète.
La Pentecôte est jubilaire ! La jubilation des apôtres (« ils sont pleins de vins doux ») le 50° jour à Jérusalem exprime cette liberté nouvelle accordée par l’Esprit : tous les peuples sont invités, l’inspiration accomplit la Loi, le baptême unit toutes les différences, les interdits (alimentaires, sexuels, rituels etc.) se révèlent n’être que les ombres portées de la vie spirituelle en Christ.
Nous aussi, nous mettons du temps à devenir vraiment libres…
Enserrés dans notre éducation familiale, la culture de notre pays, de notre milieu social, dans les aveuglements de notre époque, nous cherchons des sauveurs, des leaders, des modèles, des gourous. L’Esprit de Pentecôte nous délie de ces esclavages de pensée, comme il nous a déliés de l’esclavage en Égypte. Il annule nos dettes grâce au pardon, comme s’il était un Jubilé permanent. Il répartit ses dons entre tous mieux que les terres redistribuées l’année du Jubilé.
À nous de laisser l’Esprit de Pentecôte nous enivrer de sa liberté. Car la sobre ivresse de l’Esprit est de celles qui nous ouvrent les yeux sur la réalité du monde, et sur la vraie dignité de tout être humain.
4. Il faut du temps pour ressusciter
Finalement, avec ses 50 jours symboliques entre Pâques et Pentecôte, Luc nous invite à laisser le renouveau pascal nous transformer en profondeur, ce qui demande du temps, de la patience, un savant mélange de désir et de laisser-faire l’Esprit en nous.
Nous ne savons pas ce que « ressusciter » veut dire.
Nous commençons juste en goûter quelques accords lorsque l’Alléluia pascal nous bouleverse.
Il nous faut des années de joies et de déceptions, de foi et de doute, de malheurs et d’extases pour que vivre en Christ devienne notre identité la plus vraie.
Apprivoisons les délais qui nous sont imposés.
Apprenons à ressusciter jour après jour.
Si nous laissons l’Esprit nous conduire sur ce chemin, comment notre mort pourrait-elle l’empêcher de continuer ?
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[1]. « Tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘), des premiers fruits, de la moisson des blés, et aussi la fête de la Récolte, en fin de l’année. » (Ex 34,22)
« Le jour des Prémices, quand vous apporterez au Seigneur la nouvelle offrande de céréales pour la fête des Semaines (shabuwa‘), vous tiendrez une assemblée sainte et vous n’accomplirez aucun travail, aucun labeur. » (Nb 28,26)
« Tu compteras sept semaines (shabuwa‘) : dès que la faucille commence à couper les épis, tu commenceras à compter les sept semaines (shabuwa‘). Puis tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘) en l’honneur du Seigneur ton Dieu, avec l’offrande volontaire que fera ta main ; ton offrande sera à la mesure de la bénédiction du Seigneur ton Dieu. » (Dt 16,9-10)
MESSE DU JOUR
PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues » (Ac 2, 1-11)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
PSAUME
(Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !ou : Alléluia ! (cf. Ps 103, 30)
Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
la terre s’emplit de tes biens.
Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.
Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.
DEUXIÈME LECTURE
« C’est dans un unique Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 3b-7.12-13)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint. Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.
Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.
SÉQUENCE
Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut de ciel un rayon de ta lumière. Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs. Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur. Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort. Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles. Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti. Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé. Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé. À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés. Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.
ÉVANGILE
« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie : recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 19-23)
Alléluia. Alléluia. Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
C’était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Patrick BRAUD