L'homélie du dimanche (prochain)

6 août 2023

Passage obligé

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Passage obligé

Homélie pour le 19° Dimanche du Temps Ordinaire / Année A
13/08/2023

Cf. également :
Péripatéticiens avec le Christ
Le doux zéphyr du mont Horeb
Le dedans vous attend dehors
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Justice et Paix s’embrassent
Le festin obligé

Un seul commandement
Dans les siècles passés, les Églises chrétiennes – qu’elles soient catholiques, protestantes ou orthodoxes)   ont tellement corseté leurs fidèles dans des filets d’obligations innombrables qu’on a du mal aujourd’hui en France à imaginer le manque de liberté des chrétiens autrefois. Ils devaient observer des listes invraisemblables d’interdits cultuels, vestimentaires, alimentaires, sexuels, sociaux, financiers etc. Voilà ce qui arrive quand on s’éloigne de l’Écriture, ou quand on en fait une lecture partielle, tronquée, littérale, partiale, intéressée…

Pourtant, Jésus avait ouvert la voie à une simplification royale de toutes les obligations juives de son époque. Elles étaient si nombreuses que les croyants, emberlificotée dans les 613 commandements et autres prescriptions, ne s’y retrouvaient plus ! Aussi, quand on lui demande lequel de ces commandements est le plus important à respecter, Jésus réduit drastiquement le nombre : de 613 à … un seul (Mt 22,36-38) !
Il n’y a finalement en christianisme qu’une seule obligation : « tu aimeras », qui se décline en 3 amours équivalents [1] : Dieu / le prochain / toi-même.

Dans les Évangiles, lorsque le Christ adresse un impératif, c’est un appel – voire un ordre - et non une contrainte : viens, suis-moi, vent, lève-toi, passe derrière moi etc.
Pourtant, dans le texte de la tempête apaisée de ce dimanche (Mt 14,22-33), Jésus utilise - et c’est la seule fois chez Mathieu - le verbe obliger (en grec : ἀναγκάζω = anagkazo) :
Aussitôt Jésus obligea (anagkazo) les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules » (Mt 14,22)

 

Le festin obligé
Passage obligé dans Communauté spirituelle noces
Pour mieux comprendre, examinons l’autre emploi de la contrainte par Jésus.
Il n’y a que deux occurrences du verbe obliger dans le Nouveau Testament. Le second usage du verbe obliger se trouve chez Luc, dans la parabole des invités au festin de la noce (Lc 14,7-14) : « Le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies, et ceux que tu trouveras, contrains-les (anagkazo) d’entrer, afin que ma maison soit remplie » (Lc 14,23). Ce maître oblige tous ceux qui sont rencontrés à remplir la salle des noces. Le terme obliger est fort. Un peu comme un père oblige son enfant à goûter tel plat, tel sport inconnu pour lui faire découvrir ce qu’il ne découvrirait jamais autrement. Il y a des circonstances dans une vie ou Dieu – heureusement ! – nous oblige à recevoir de Lui. C’est la grâce d’un éblouissement spirituel, une rencontre bouleversante, une révélation décisive… Cette invitation est gratuite. C’est-à-dire qu’elle ne dépend pas de ce que nous avons fait. D’ailleurs le roi prend soin de préciser qu’il souhaite voir les bons comme les mauvais entrer dans la salle des noces. Les mauvais eux aussi vont se régaler et se réjouir aux noces divines ! Décidément, la foi chrétienne n’est pas d’abord une morale. Être chrétien c’est accepter d’être invité gracieusement à entrer dans la communion au Fils unique de Dieu qui nous unit à son Père (ce qui fait de l’éthique une réponse, et non un préalable).

Notre misère nous aveugle parfois au point de ne pas vouloir être invité, ni festoyer. Les coachs appellent cela « le syndrome de l’imposteur » : je crois que c’est trop beau pour moi, que je ne le vaux vraiment pas, et qu’on a du se tromper en m’invitant. Il faut alors me laisser contraindre par l’invitation divine ! Et me dire que malgré tous mes péchés – mes nombreux péchés - je peux être aimé gratuitement, sans conditions.

Au bord du lac, Jésus oblige ses disciples à embarquer.
On devine bien qu’ils n’ont aucune envie de prendre la mer, et que Jésus les force, les contraint – peut-être manu militari ! - à embarquer contre leur volonté.
Attardons-nous sur cette obligation étrange singulière : pourquoi et pour quoi ? à cause de quelles réticences ? et dans quel but ?

 

La triple peur des disciples, et la nôtre

- la peur du mauvais temps
Tempete-en-mer_full_image barque dans Communauté spirituelle
Première cause évidente qui fait renâcler les disciples : la météo marine du soir. Les Douze étaient de piètres marins. Rien à voir avec les fiers capitaines de chalutiers qui allaient pêcher la morue à Terre-Neuve pendant des campagnes pouvant durer plusieurs mois ! Pierre et ses associés de la petite entreprise familiale de pêche avaient une ou deux barques, avec quelques rames et sans doute un mât de fortune mal gréé, supportant à peine  une voile de beau temps. Dès que le vent dépassait 4 à 5 Beaufort, les pseudos marins qui évoluaient à la journée sur la flaque d’eau du lac de Tibériade paniquaient, rangeaient la voile avant que le souffle la démâte. Ils ramaient pour rejoindre au plus vite le rivage du lac dont ils ne s’éloignaient jamais qu’à quelques encablures, 5 à 6 milles nautiques au maximum. Toujours à une heure ou deux de navigation de la côte.

Piètres marins, ils observaient néanmoins le ciel, et savaient voir les orages à venir. « Quand vient le soir, vous dites : ‘Voici le beau temps, car le ciel est rouge.’ Et le matin, vous dites : ‘Aujourd’hui, il fera mauvais, car le ciel est d’un rouge menaçant.’ Ainsi l’aspect du ciel, vous savez en juger… » (Mt 16,2-3) De bons experts de la météo marine à 24 heures en somme. Et là, ils sont inquiets. Visiblement, ils prévoient un gros grain pour la nuit, et la traversée que leur demande Jésus va les plonger inévitablement au cœur de l’orage. Il faudrait être fou pour prendre autant de risques en embarquant avec une météo pareille !

C’est bien l’une de nos peurs, qui revient souvent : nous nous faisons tout un film à l’avance des difficultés que nous allons rencontrer, et cela nous décourage. Parce que nous avons dans le passé souffert des conditions semblables, nous pensons logiquement que cela se reproduira. Nous avons du mal à croire que demain est peut-être différent d’hier, qu’il peut y avoir du neuf, que nous ne sommes pas condamnés à répéter ce qui est déjà arrivé…

- la peur d’une longue traversée nocturne
Tibériade
Alors que Jésus les force à embarquer, les disciples savent bien que ce n’est pas pour une petite balade en mer. La traversée risque de durer, à cause des conditions de navigation difficiles. Ces moussaillons de cabotinage n’auraient pas eu peur d’une petite bourrasque d’une demi-heure sur une navigation de deux ou trois heures. Mais là, c’est autre chose : la traversée du lac d’une extrémité à l’autre est d’environ 20 km. Si l’on considère que « l’endroit désert à l’écart » (Mt 14,13.24) où Jésus a multiplié les pains juste avant est proche de Bethsaïde, la traversée sur l’autre rive vers Génésareth (Mt 14,34) représente une dizaine de kilomètres, soit 5 à 6 milles nautiques. Par beau temps, c’est l’affaire d’une ou deux heures. Mais si les vents sont contraires et les vagues fortes (Mt 14,24), on fait presque du sur place à la rame, et la traversée peut durer toute la nuit… De quoi angoisser nos marins d’eau douce !

La nuit sur une mer déchaînée est une perspective effrayante, à juste titre, car l’obscurité redouble le danger (il n’y a pas de phare ni de balises ni de bouées éclairées à l’époque sur le lac !)
Une longue traversée, de nuit : voilà une perspective qui nous effraie également ! Comment durer dans l’épreuve, ballotté par les vagues, face au vent ? Et en plus, c’est de nuit, comme l’écrivait Saint Jean de la Croix. Notre nuit à nous peut être celle du doute, de l’absence de toute émotion religieuse, de l’isolement amical ou spirituel, de la persécution pension etc. Mère Teresa a écrit dans son testament spirituel que cette nuit de la foi a duré des décennies pour elle !

Apprendre à durer dans l’adversité, apprendre à se passer de tout repère visible en gardant le cap intérieur : la deuxième peur des disciples nous invite à conjurer l’usure du temps, en suivant fidèlement notre boussole intérieure en pleine nuit, en plein tumulte…

- la peur de l’absence
Cette dangereuse navigation nocturne n’aurait pas effrayé les disciples si Jésus était resté avec eux ! Mais là, de façon incompréhensible pour eux, il s’absente. Il les oblige à partir sans lui. Il les expose au risque de la tempête sans être avec eux dans la barque.
Les Douze se sentent abandonnés en voyant Jésus gravir la montagne sans eux, comme les fils d’Israël se sont crus abandonnés de Dieu lorsqu’ils ont vu que Moïse gravissait la montagne du Sinaï… (Ex 32,1)

71JopNzT1LL passageNous aussi, nous en voulons au Christ lorsqu’il nous envoie au casse-pipe sans être à nos côtés pour nous protéger !
Où était-il à Auschwitz lorsqu’on gazait ses frères juifs ?
Où est-il aujourd’hui alors que sa barque-Église est ballottée par les scandales, les abus, les infidélités en tous genres, et par l’opposition ouverte des puissants qui la persécutent ?
Où est-il alors que moi-même je perds pied au milieu de mes épreuves ?

Ce n’est que plus tard que les disciples comprendront : Jésus avait besoin de se ressourcer, à l’écart, sur la montagne, afin de recevoir de son Père la force d’affronter le mal pour marcher sur l’eau et vaincre la tempête. S’il s’absentait, c’était pour faire le plein de puissance, lui que la multiplication des pains avait littéralement « vidé » auparavant, le laissant épuisé, ayant besoin de se recueillir, seul.

« Courage, moi je suis, ne craignez pas » (Mt 14,27) : la formule par laquelle Jésus calme la peur des disciples est celle par laquelle Dieu se désigne lui-même dans l’Ancien Testament. Il dit exactement Egô eimi, « moi je suis » – or cette formule n’est autre que le Nom divin révélé à Moïse au buisson ardent (Ex 3,14). Jésus ne fait qu’un avec son Père ; c’est pourquoi il doit régulièrement ‘réactiver’ cette communion lorsqu’elle a été mise à contribution.

D’où l’importance de ces moments de re-cueillement, de ré-collection, où nous aussi nous faisons le plein d’amour paternel avant d’aller affronter le mal…

Reste que l’angoisse de l’absence – et l’absence de l’être aimé par-dessus tout – nous paralyse à l’avance.
Heureusement que Dieu nous oblige à marcher sur cette troisième peur !

 

Pour quoi le Christ nous oblige-t-il à embarquer ?
Ces 3 peurs auraient clouer sur place les Douze. Alors Jésus les oblige, les contraint, les force malgré eux à prendre le risque de la traversée. Quel est l’enjeu ? Pourquoi en venir à cette extrémité ?

Vue sur le lac de TibériadeC’est que le but fixé par Jésus est énorme : « passer sur l’autre rive » (Mt 14,22). Et là, notre battement de cœur s’accélère : l’autre rive, c’est bien sûr l’au-delà de la mort… Qui voudrait aller voir de l’autre côté ?
Et si ce n’est pas la mort physique, « l’autre rive » peut être encore l’au-delà d’une séparation, d’une maladie, d’un exil, d’une épreuve redoutable etc.
Nous avons tant de passages obligés dans nos parcours de vie !

« La croix est le passage obligé, mais il n’est pas un but, c’est un passage : le but c’est la gloire, comme nous le montre Pâques » [2].
De Bethsaïde à Génésareth, d’une rive à l’autre du lac, la barque-Église n’en finit pas de nous conduire là où nous n’aurions jamais pensé aller. Pierre se l’entendre dire par le Ressuscité : « Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21,18).
Et Pierre ira d’une rive à l’autre, de Bethsaïde à Génésareth, puis de Jérusalem à Rome, des coutumes juives à l’universel romain… Sa traversée nocturne fut celle des oppositions, des dénonciations, de la prison, puis du martyre.

Si nous gardons les yeux fixés sur le but à atteindre, notre course prendra sens et nous l’endurerons jusqu’au bout. Si nous ne perdons pas de vue l’éclat intermittent du phare dans la nuit, même la pire des tempêtes ne pourra nous faire sombrer ni revenir en arrière.

 


[1]. au sens mathématique du terme : chaque amour implique les 2 autres et est impliqué par eux.

[2]. Audience générale du pape François, 12 avril 2017.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur » (1 R 19, 9a.11-13a)

Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb, la montagne de Dieu, il entra dans une caverne et y passa la nuit. Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère. Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.

PSAUME
(Ps 84 (85), 9ab-10, 11-12, 13-14)
R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps 84, 8)

J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Pour les Juifs, mes frères, je souhaiterais être anathème » (Rm 9, 1-5)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, c’est la vérité que je dis dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint : j’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ : ils sont en effet Israélites, ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen.

ÉVANGILE
« Ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux » (Mt 14, 22-33)
Alléluia. Alléluia. J’espère le Seigneur, et j’attends sa parole. Alléluia. (cf. Ps 129, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.
Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Patrick BRAUD

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25 janvier 2014

Descendre habiter aux carrefours des peuples

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Descendre habiter aux carrefours des peuples

Homélie du 2° dimanche du temps ordinaire / année A
26/01/14

Descendre à Capharnaüm

Les provinciaux disaient facilement autrefois : monter à Paris. Qu’on fut de Toulouse ou de Strasbourg, monter à la capitale c’était venir tenter sa chance et rechercher une ascension sociale par un travail plus important et mieux situé.

Descendre habiter aux carrefours des peuples dans Communauté spirituelle lactiberiademontarbel1À l’inverse, les gens de Nazareth disaient : descendre à Capharnaüm, avec une pointe de mépris. Capharnaüm est en effet plus bas que le village de Nazareth. On peut s’en rendre compte aujourd’hui encore en faisant la route à pied à travers un paysage aride qui descend vers le lac. Et en plus, la réputation de Capharnaüm était plutôt celle d’une ville de basses oeuvres que d’une ville sainte comme Jérusalem !

 

Quitter et descendre : ce déménagement physique de Jésus qui vient habiter à Capharnaüm est le symbole de son incarnation même.

Quitter la divinité, descendre au plus bas de notre humanité : tel est le début du parcours du Verbe de Dieu en notre chair. Saint Paul en parle en termes de kénose : « il s’est vidé de lui-même » dit-il de Jésus, « en prenant la condition de serviteur » (Ph 2,6-11).

Voilà donc un premier mouvement caractéristique de tout ministère fidèle à celui du Christ : quitter sa zone de privilèges pour rejoindre ceux qui sont au plus bas, descendre de Nazareth à Capharnaüm.

En entreprise, c’est accepter de voir les choses à partir du point de vue des plus petits, des moins gradés.

En Église, c’est rejoindre et donner la parole à ceux qui sont considérés comme à la marge ou hors-jeu.

En société, c’est ne pas revendiquer de place supérieure, et savoir se mélanger avec tous milieux sociaux, tous courants de pensée.

 

Habiter le carrefour des païens

« Galilée, toi le carrefour des païens » : cette apostrophe célèbre d’Isaïe est reprise par Mathieu pour expliquer le choix de Capharnaüm par Jésus.

La Galilée, c’était cela : « Galil ha-goyim », le « carrefour des païens ». Nous comprenons ainsi qu’il s’agit d’une région où se mêlent les religions et les ethnies : Juifs, Cananéens, Grecs, Phéniciens, etc. Non pas la Judée des Judéens, l’ex-Royaume de Juda, très centralisé et homogène – mais un pays « ouvert », de plein vent. Symboliquement, c’est là que peut s’amorcer l’annonce de l’Évangile à tous les peuples (même si bien sûr Isaïe, lui, visait à l’origine les tribus israélites du Nord opprimées par les Assyriens, cinq siècles avant Jésus). Un pays « carrefour » des cultures, qui annonce l’Église, dès l’origine à la croisée de la culture juive et de la culture gréco latine, et qui au long de son histoire s’est ouverte (et s’ouvre encore) à de multiples peuples avec leur langue et leur culture. Un pays très mélangé, où il n’y avait pas la fermeté de la foi, la pureté de la religion et des moeurs qui régnaient chez les bons Juifs de Judée. La Galilée, c’était toute une histoire, vieille de plusieurs siècles. Une histoire d’invasions, de brassage de peuples, de races, de religions. Il y avait eu des unions plus ou moins légitimes. Si bien que les Juifs qui habitaient là, dans cette Galilée carrefour des nations, terre d’invasion, n’étaient pas des Juifs de race pure, de religion pure. C’étaient des « sang-mêlés ». On les prenait un peu pour des bâtards.

Or, c’est là que Jésus inaugure sa mission. Non pas à Nazareth, qui était un petit village où il ne se passait rien. Mais au coeur même, au centre vital de cette Galilée, carrefour des nations, c’est-à-dire à Capharnaüm, où il y avait une garnison romaine, du commerce, où l’on était à la frontière avec les territoires païens.

Voie navigable, le lac de Tibériade sert de pont géographique vers la Décapole, les dix villes païennes aux confins du territoire d’Israël. Puisque la Galilée était le « carrefour » des païens, Jésus, en s’installant à Capharnaüm, village frontalier en quelque sorte, où il y avait un poste de douane, choisit de plonger au coeur de la mêlée des ethnies, des cultures et des valeurs. L’homme élevé à Nazareth ne va pas se réfugier dans sa judaïté : il expose plutôt sa foi sur la place publique, en territoire juif certes, mais au carrefour des nations !

carrefour-de-lautoroute,-los-angeles-149111 Capharnaüm dans Communauté spirituelleIl s’agit en effet de planter sa tente à un endroit où les peuples se rencontrent, se mélangent. Il s’agit d’aller habiter dans une ville impure, méprisée par les ‘vrais’ croyants de Jérusalem, ville bâtarde ni totalement juive ni réellement romaine, ouverte à tous les vents du commerce, au coeur du réseau d’échanges d’influence de la Décapole.

Bref, habiter la Galilée c’est ne pas avoir peur de se compromettre avec ceux qui viennent d’ailleurs, qui façonnent un monde nouveau. Capharnaüm étant une ville de garnison militaire, au croisement des routes commerciales, elle engendrait tous les excès que l’argent et la force savent engendrer de tous temps.

Aujourd’hui encore, habiter la Galilée des nations c’est vouloir comprendre de l’intérieur ceux qui font naître un monde nouveau. C’est discerner quels sont aujourd’hui les carrefours où les cultures se brassent, où les peuples se rencontrent, où les exclusions se fabriquent.

Cela peut aller des cités d’urgence du Quart-Monde aux milieux financiers des grandes banques, des clubs sportifs aux réseaux sociaux, des festivals au dialogue interreligieux…

L’essentiel est d’aller là où les hommes se rencontrent, pour que de ces carrefours émerge une possibilité de vivre ensemble en paix, rassemblés en une seule famille humaine, selon le sens que Jean a donné à la vie du Christ : « le Christ est mort afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52).

 

Faire de nos capharnaüms des lieux de consolation et de beauté

Le nom de Capharnaüm suggère cela : la ville du prophète Nahum, et aussi la ville de la consolation, ou de la beauté.

Capharnaüm : ville de passage entre la Syrie et Israël, Damas et Césarée, et aussi l’est et l’ouest, un brassage des populations – un vrai capharnaüm – « carrefour des païens ».

Son nom vient de l’hébreu : « Kfar Nahum », Kfar désignant le village et Nahum la compassion, la consolation. C’est littéralement le « village du Consolateur ».

Ainsi, Origène interprète Kefar Nahum comme « le village de la consolation », d’après la signification étymologique de la racine hébraïque nhm (consolation);
quant à Saint Jérôme, il traduit parfois le même nom par « la belle ville », d’après la racine hébraïque n’m (beauté).
Les langues non sémitiques rendent toujours le nom composé Kefar Nahum par un seul nom, et elles omettent simplement la lettre gutturale h.
Les manuscrits grecs des Évangiles connaissent deux orthographes: Capharnaüm et Capernaüm. Seule est bonne la première transcription, « Capharnaüm », proche de la prononciation hébraïque et adoptée aussi par Flavius Josèphe; l’orthographe « Capernaüm » est un idiome de la région d’Antioche.  

Il s’agit donc de descendre au plus bas de l’humanité pour y apporter la consolation à ceux qui désespèrent.
Il s’agit d’adopter le point de vue des plus méprisés pour les consoler et leur redonner une dignité humaine.

À cause du brassage des peuples qu’elle symbolise, la ville de Capharnaüm est devenue en français synonyme de bazar inextricable, de chaos insensé où tout est sens dessus dessous. Dire de la chambre d’un enfant que c’est un vrai capharnaüm, c’est l’inviter à y mettre un peu d’ordre pour qu’elle devienne enfin habitable et ressemble à une chambre !

Le Christ à Capharnaüm apporte la consolation au coeur du charivari ambiant : il annonce le Royaume de Dieu tout proche de ces païens si loin de la sainteté, il guérit toute infirmité et toute maladie dans le peuple. Il transforme les pêcheurs de poissons en des pêcheurs d’hommes : arrachant les hommes au mal – symbolisé à l’époque par la mer obscure et inconnue – les apôtres transforment les païens en baptisés, en poissons (ictus) chrétiens.

Apporter consolation et beauté là où la vie avait créé exploitation et noirceur est la première mission du Christ de Capharnaüm.

 carrefourOui : ce Jésus de Capharnaüm est à l’aise au milieu des impurs ; il est chez lui plus qu’à Nazareth - au coeur de ce brassage de cultures et de peuples, à tel point que cette ville est sa ville, plus que Nazareth ou Jérusalem. Si vous allez en pèlerinage en Terre Sainte, n’oubliez pas ce détour par Capharnaüm. Au bord du lac, au carrefour de la Décapole, célébrez l’eucharistie sur les ruines de la maison de Pierre retrouvée au XIXe siècle, et vous éprouverez pourquoi Jésus a choisi ce carrefour des païens comme sa ville. « Il est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus », et Capharnaüm était la ville la plus symbolique de ce salut offert à tous, de la lumière qui resplendit au pays de l’ombre…

Quitter nos univers de privilèges pour rejoindre ceux qui sont au plus bas, habiter les carrefours où les hommes se rencontrent, y apporter consolation et beauté : l’évangile de ce dimanche décrit ainsi notre mission à la suite du Christ.

Mais quels sont donc les capharnaüms proches de chez vous ?…

 

 

1ère lecture : Une lumière se lèvera sur la Galilée (Is 8, 23; 9,1-3)
Lecture du livre d’Isaïe
Dans les temps anciens, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée, carrefour des païens.
Le peuple qui marchait dans les ténèbresa vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi.
Tu as prodigué l’allégresse, tu as fait grandir la joie : ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit en faisant la moisson, comme on exulte en partageant les dépouilles des vaincus.
Car le joug qui pesait sur eux, le bâton qui meurtrissait leurs épaules, le fouet du chef de corvée, tu les as brisés comme au jour de la victoire sur Madiane.

Psaume : Ps 26, 1, 4abcd, 13-14
R/ Le Seigneur est lumière et salut.

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ? 

J’ai demandé une chose au Seigneur, 
la seule que je cherche : 
habiter la maison du Seigneur 
tous les jours de ma vie.

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur 
sur la terre des vivants. 
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; 
espère le Seigneur. »

2ème lecture : Le scandale des divisions dans l’Église du Christ (1Co 1, 10-13.17)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ à être tous vraiment d’accord ; qu’il n’y ait pas de division entre vous, soyez en parfaite harmonie de pensées et de sentiments.
J’ai entendu parler de vous, mes frères, par les gens de chez Cloé : on dit qu’il y a des disputes entre vous.
Je m’explique. Chacun de vous prend parti en disant : « Moi, j’appartiens à Paul », ou bien : « J’appartiens à Apollos », ou bien : « J’appartiens à Pierre », ou bien : « J’appartiens au Christ ».
Le Christ est-il donc divisé ? Est-ce donc Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?
D’ailleurs, le Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et sans avoir recours à la sagesse du langage humain, ce qui viderait de son sens la croix du Christ.

Evangile : Jésus commence son ministère par la Galilée (brève : 12-17) (Mt 4, 12-23)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Béni soit le Seigneur notre Dieu : sur ceux qui habitent les ténèbres, il a fait resplendir sa lumière. Aléluia.(cf. Lc 1, 68.79)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean Baptiste, il se retira en Galilée. Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord du lac, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali. Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète Isaïe :
Pays de Zabulon et pays de Nephtali,
route de la mer et pays au-delà du Jourdain,
Galilée, toi le carrefour des païens :
le peuple qui habitait dans les ténèbres
a vu se lever une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient
dans le pays de l’ombre et de la mort,
une lumière s’est levée.
À partir de ce moment, Jésus se mit à proclamer : « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche. »
Comme il marchait au bord du lac de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans le lac : c’étaient des pêcheurs.
Jésus leur dit : « Venez derrière moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »
Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.
Plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans leur barque avec leur père, en train de préparer leurs filets. Il les appela.
Aussitôt, laissant leur barque et leur père, ils le suivirent.
Jésus, parcourant toute la Galilée, enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.
Patrick Braud

Patrick Braud

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