L'homélie du dimanche (prochain)

2 décembre 2018

Réinterpréter Jean-Baptiste

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 01 min

Réinterpréter Jean-Baptiste

Homélie du 2° Dimanche de l’Avent / Année C
09/12/2018

Devenir des précurseurs
Maintenant, je commence
Crier dans le désert
Le Verbe et la voix
Devenir des précurseurs
Le courage pascal
Yardén : le descendeur

 

L’esprit et la lettre

Mu'tazila - use of reason in early Islamic theology (English Edition) par [Martin, Matthew]A-t-on le droit de revisiter les grandes figures bibliques pour en actualiser le message ?
Peut-on discerner les prophètes d’aujourd’hui à partir des prophètes d’il y a 2000 ou 3000 ans ?
Ceux qui sont attachés à la lettre des écrits répondront par la négative. Ainsi les sunnites  ont dit non à la tentative des mutazilites [1] au IX° siècle pour interpréter le Coran en le replaçant dans son contexte, ce qui permettait d’en relativiser la lettre et de rejeter la doctrine du Coran incréé. Aujourd’hui encore, nombre d’Églises protestantes refuse cette herméneutique : pour elles, le texte se suffit à lui-même, pas besoin de l’interpréter. Ce fondamentalisme engendre des positions aberrantes sur les questions de société contemporaines, non prévues évidemment par les textes bibliques. Ou des positions ultraconservatrices sur la peine de mort, l’économie, la sexualité, et autrefois l’esclavage, l’apartheid, la condition des femmes etc. Beaucoup d’orthodoxes sont tentés quant à eux par un rigorisme similaire, au nom de la sacro-sainte tradition des Pères de l’Église, qu’ils répètent inlassablement sans vouloir y aménager quelque nouveauté ou changement. Les catholiques ultras sont dans cette même veine : confondant la Tradition et les traditions, ils ne veulent de vérité qu’immobile, et ne peuvent discerner l’Esprit à l’œuvre dans les bouleversements actuels.

Or il n’en a pas toujours été ainsi…

Au contraire : dès l’origine, les traditions orales des premières communautés chrétiennes ont relu les événements fondateurs à la lumière de leur situation particulière. Le cas de Jean-Baptiste en ce deuxième dimanche de l’Avent est à ce titre très instructif. La version de Luc que nous avons lue (Lc 3, 1-6) diffère par bien des points de celle de Marc, de celle de Matthieu ou encore de Jean. Examinons rapidement deux différences et deux points communs entre ces quatre versions, en essayant de les transposer à notre époque.

 

1. Le souci de l’historicité

Réinterpréter Jean-Baptiste dans Communauté spirituelle 9782755000122Luc parle à des non-juifs, qui n’ont pas connu les Écritures, ni Jean-Baptiste, et ne savent pas où est le Jourdain. Par contre, ils savent leur histoire de Rome, de son empire, de son administration. D’où les détails historiques que Luc mentionne à l’égard de ses lecteurs païens, sachant bien que cela sera pour eux le gage d’une véracité éprouvée.

« L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène, les grands prêtres étant Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie. »

Nos contemporains ont eux aussi besoin de preuves historiques, pour que l’Évangile ne soit pas rangé au rayon des contes pour enfants. Passer au feu de la critique scientifique les traces de l’existence de Jésus, de Pilate, Tibère ou Hérode est indispensable pour donner du crédit au message évangélique. Plus généralement, accepter l’analyse scientifique des textes et des croyances ne peut qu’être salutaire. Cela demande une solide exégèse d’un côté et une rigoureuse critique scientifique de l’autre. Au final, c’est bien d’inculturation qu’il s’agit : annoncer le Christ en faisant appel au surnaturel et à l’incompréhensible comme autrefois ruinerait toute crédibilité du message (sauf auprès de ceux qui réduisent la fois à la magie !).

 

2. Crier dans la ville et non dans le désert.

Description de cette image, également commentée ci-aprèsLà c’est plus surprenant. Matthieu nous a habitués à appliquer Isaïe au pied de la lettre : « une voix crie dans le désert… ». Au point que c’en est devenu une expression proverbiale en français. Or Luc ne dit pas la même chose. Selon lui, Jean-Baptiste prêche « dans toute la région autour du Jourdain ». Il va donc inviter à son baptême de repentance les villes autour du fleuve : Béthanie, Jéricho, les villes de la Transjordanie et de la Décapole… Bref, il élargit son rayon d’action pour ne pas toucher que les juifs pieux venus le voir au désert. Luc insiste un peu plus loin, en citant Isaïe plus longuement que les autres pour y introduire une touche d’universalisme que Matthieu, Marc et Jean ne mentionnent pas : « toute chair  verra le salut de Dieu ». Grâce à cet ajout, les Romains, les Grecs ou les Syriens lisant cela se sentent concernés et s’incluent dans la promesse se réalisant en Jean-Baptiste, et c’est  majeur pour la prédication chrétienne.

Aujourd’hui encore, cet universalisme est attendu, à condition qu’il respecte les cultures locales et le génie propre de chaque peuple. Le salut de Dieu est pour tous : occidentaux ou asiatiques, arabes ou africains, hétérosexuels ou homosexuels, pauvres ou riches, enfants ou adultes, hommes ou femmes… Décliner ce que contient l’expression « toute chair » d’Isaïe permettra à Luc dans le livre des Actes des Apôtres de faire sauter le verrou de la circoncision, des interdits alimentaires juifs, des barrières sociales ou sexuelles. Ce même travail est toujours d’actualité : l’homme et la femme sont loin d’être à égalité dans les Églises qui ont besoin de se réformer radicalement pour répondre à cette aspiration légitime, véritable signe des temps inspiré par l’Esprit dans l’histoire. De même pour la place des plus pauvres : comment annoncer le salut pour « toute chair » si l’Église est perçue comme l’Église des riches ? Comment annoncer le salut pour toute chair si justement la place de la chair reste taboue ou suspecte dans l’enseignement et les pratiques ecclésiales ? Comment enfin annoncer que le salut est pour tous si la foi demeure romaine et occidentale dans une expression unique, dans sa discipline ou ses rites uniformes ? Comment l’Église pourrait-elle incarner un mondialisme écrasant les identités et liquidant les frontières alors que les quatre Évangiles font un travail d’inculturation remarquable au service de la particularité de chaque Église dans sa culture locale ? Les premières assemblées synodales inventaient un chemin entre démocratie et structure apostolique. Les premiers synodes provinciaux alliaient autonomie locale et communion entre évêchés bien distincts. Les premiers conciles se voulaient symphoniques, par une reconnaissance réciproque des us et coutumes des autres patriarcats, avec des lettres de communion et des hospitalités croisées pour maintenir l’unité dans la diversité. Il est urgent de réinventer un tel chemin aujourd’hui, à l’heure où la mondialisation libérale ou le repli sur soi nationaliste et religieux triomphent. Comme Luc, il nous faut tirer du neuf à partir de l’ancien pour répondre aux défis actuels sans répéter, mais en innovant dans la fidélité à l’Esprit agissant dans l’histoire. Et que dire du caractère urbain de la prédication chrétienne qui plus que jamais dans nos mégalopoles devrait retentir d’une manière qui soit adaptée aux modes de vie, aux logements et aux médias contemporains ?

Restent deux points communs entre les quatre Évangiles au sujet de ce passage de Luc 3,1 6: le kérygme et l’accomplissement des Écritures.

 

3. Le kérygme

RO30078665 criLe kérygme, c’est l’action publique du héraut qui proclame dans les rues un événement capital. Le verbe kerussein (proclamer, annoncer) est devenu si important dans le Nouveau Testament qu’il symbolise la mission chrétienne, kérygmatique par nature.

Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant (du verbe grec kerussein) un baptême de conversion pour le pardon des péchés

Kerussein : crier, proclamer, c’est dans les Actes des Apôtres annoncer la Pâque du Christ. Il y a plus d’une vingtaine de kérygmes formellement rapportés par Luc dans les Actes, attribués à Étienne, Pierre, Paul ou autres apôtres. Et Luc fait participer Jean-Baptiste à l’annonce de la Résurrection, en employant ce même verbe pour sa prédication et son baptême. En plongeant les pénitents dans le fleuve, Jean-Baptiste les associe sans le savoir à la mort/résurrection du Christ. Mourir au péché en étant plongée sous l’eau, renaître au souffle de la vie nouvelle en émergeant hors de l’eau : la symbolique du baptême de Jean est pascale. Elle s’affronte au mystère du mal et du péché en nous. Elle nous donne de lutter contre les forces de mort pour que la vie de Dieu triomphe en nous. Impossible d’annoncer l’Évangile aujourd’hui encore sans cette dimension tragique au cœur de la foi. Annoncer le Christ ne se réduit pas aux thérapies en tout genre qui pullulent autour de nous. Ni aux leçons de morale auquel on voudrait parfois le réduire. Évangéliser, c’est toujours s’affronter au mystère du mal et de la mort qui prolifère à chaque époque sous des masques nouveaux. Évangéliser produira tôt ou tard une centration sur le dynamisme pascal : veux-tu mourir à ton péché pour renaître à une vie nouvelle ? Une prédication qui éviterait cet affrontement crucial deviendrait rapidement des enfantillages, des mythes pour nostalgiques du sacré. Le péché prend des allures de désastre écologique, de crise financière, de complicité avec l’individualisme et son cortège de solitudes… Mourir à ce péché est l’invitation des Jean-Baptiste d’aujourd’hui. Édulcorer ou éviter ce combat central enlève à la mission de l’Église sa pertinence et son efficacité.

 

4. Accomplir les Écritures

CE-182 L'accomplissement des EcrituresLes quatre évangélistes citent Isaïe 40 et sa fameuse voix criant dans le désert. Même si chacun le fait à sa manière, avec ses versets en plus ou en moins, le tronc commun est bien là : le baptême de Jean-Baptiste accomplit la prophétie d’Isaïe. Autrement dit, le christianisme n’est pas la religion des promesses d’abord, elle est d’abord l’annonce des accomplissements. Ce qui était attendu arrive. Ce qui était espéré s’accomplit. Plus besoin de promettre que demain on rase gratis, puisque le salut de Dieu est pour maintenant, vraiment gratuit. Ce qui doit se voir en actes dans la vie de l’Église.

Si nous n’apportons pas avec nous les preuves tangibles de l’accomplissement des Écritures, surtout en ce qui concerne le salut des plus petits, alors mieux vaut rester chez soi et se taire. Si notre prédication avec les quatre évangélistes est une prédication de l’accomplissement, alors passons plus de temps à révéler les merveilles de Dieu déjà là qu’à stigmatiser les péchés des autres encore marquants. Accomplir, c’est relire les Écritures pour comprendre ce qui nous arrive maintenant, et montrer à tous comment les promesses de Dieu sont en train de se réaliser sous nos yeux. Nous sommes les receleurs de l’immense émerveillement devant le Verbe prenant chair, devant l’amour des ennemis rendu possible, devant la communion unissant sans séparation ni confusion, le pardon restaurant la relation, la paix du cœur plus forte que l’épreuve… À nous de discerner de tels accomplissements autour de nous, et de les proclamer haut et fort !

Que cette version de Jean-Baptiste par Luc - si semblable et si différente des autres - nous inspire un témoignage fort et puissant auprès de ceux qui ne connaissent pas encore le Christ.

 


[1]. « Nous rejetons la foi comme seule voie vers la religion si elle rejette la raison », tel serait l’adage du mutalizisme.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Dieu va déployer ta splendeur » (Ba 5, 1-9)

Lecture du livre du prophète Baruc

Jérusalem, quitte ta robe de tristesse et de misère, et revêts la parure de la gloire de Dieu pour toujours, enveloppe-toi dans le manteau de la justice de Dieu, mets sur ta tête le diadème de la gloire de l’Éternel. Dieu va déployer ta splendeur partout sous le ciel, car Dieu, pour toujours, te donnera ces noms : « Paix-de-la-justice » et « Gloire-de-la-piété-envers-Dieu ». Debout, Jérusalem ! tiens-toi sur la hauteur, et regarde vers l’orient : vois tes enfants rassemblés du couchant au levant par la parole du Dieu Saint ; ils se réjouissent parce que Dieu se souvient. Tu les avais vus partir à pied, emmenés par les ennemis, et Dieu te les ramène, portés en triomphe, comme sur un trône royal. Car Dieu a décidé que les hautes montagnes et les collines éternelles seraient abaissées, et que les vallées seraient comblées : ainsi la terre sera aplanie, afin qu’Israël chemine en sécurité dans la gloire de Dieu. Sur l’ordre de Dieu, les forêts et les arbres odoriférants donneront à Israël leur ombrage ; car Dieu conduira Israël dans la joie, à la lumière de sa gloire, avec sa miséricorde et sa justice.

Psaume
(Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)
R/ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
(Ps 125, 3)

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert.
Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.

Deuxième lecture

« Dans la droiture, marchez sans trébucher vers le jour du Christ » (Ph 1, 4-6.8-11)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens

Frères, à tout moment, chaque fois que je prie pour vous tous, c’est avec joie que je le fais, à cause de votre communion avec moi, dès le premier jour jusqu’à maintenant, pour l’annonce de l’Évangile. J’en suis persuadé, celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus. Dieu est témoin de ma vive affection pour vous tous dans la tendresse du Christ Jésus. Et, dans ma prière, je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la pleine connaissance et en toute clairvoyance pour discerner ce qui est important. Ainsi, serez-vous purs et irréprochables pour le jour du Christ, comblés du fruit de la justice qui s’obtient par Jésus Christ, pour la gloire et la louange de Dieu.

Évangile

« Tout être vivant verra le salut de Dieu » (Lc 3, 1-6) Alléluia. Alléluia.
Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers : tout être vivant verra le salut de Dieu. Alléluia. (cf. Lc 3, 4.6)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène, les grands prêtres étant Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie.
Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis ; et tout être vivant verra le salut de Dieu.
Patrick BRAUD

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