Les multiples interprétations symboliques du dimanche des rameaux
Homélie du Dimanche des Rameaux
13/04/2014
Dans bien des régions de France, ce dimanche des rameaux est le plus fréquenté de toute l’année, davantage que Pâques, davantage encore que Noël. À tel point qu’on est obligé de rajouter des offices, et de laisser à la porte des églises ouvertes ensuite des brassées de buis béni pour les retardataires, les timides, ou les oublieux qui veulent quand même renouveler leur rameaux secs et jaunis accroché à leurs crucifix.
1. Un signe sensible
C’est là tout particulièrement le génie du catholicisme : savoir parler à tous dans un langage simple, accessible, charnel. Et quoi de plus concret que le langage des signes sensibles, comme un rameau béni rapporté à la maison ? Point n’est besoin d’être docteur en théologie, ni même grand pratiquant, pour saisir d’instinct ce que cette branche d’arbuste signifie. Pas même besoin de mots : la tradition orale a suffisamment imprégné pendant des siècles cet objet et les gestes qui l’accompagnent pour que l’enfant, le SDF ou la vieille femme qui viendraient le ramasser furtivement – comme à la dérobée - après la messe sachent qu’il y a là une question de vie et de mort.
Pas de catholicisme sans des gestes et des objets aussi populaires que les rameaux, aussi simples que ces feuilles de buis béni, aussi accessible que ces branches coupées pour que la vie ne le soit pas.
2. Une espérance invincible
Que fait-on de ces rameaux en effet ? On les glisse entre les bras du crucifix sur la croix familiale, on les coince entre le crucifix et le mur pour qu’ils dépassent fièrement en hauteur, on s’arrange pour que leur vert absolu tranche sur le gris ou l’or de la croix si triste…
À lui seul, un rameau béni témoigne que l’arbre de la croix portera du fruit, quoi qu’il arrive.
À lui seul, un bout de branchages de buis proclame la résurrection promise à chacun.
À elle seule, une palme fièrement dressée au-dessus de la tête du crucifié annonce à la fois la consolation, la transfiguration, l’oasis à travers la mort.
D’ailleurs, quand l’un des nôtres nous a quitté, naviguant on ne sait comment vers une autre rive on ne sait où, il est de coutume d’aller décrocher ce rameau ramené comme un butin du dimanche avant Pâques. On dispose une table en face du corps du défunt, avec une soucoupe d’eau et le rameau à côté. Les visiteurs qui viennent se recueillir devant l’enveloppe charnelle peuvent alors la bénir avec cet humble feuillage. En traçant cet itinéraire cruciforme perlé de gouttes d’eau sur le corps, ils rendent hommage à ce que le défunt a été pour eux, ils rappellent à Dieu – sans le savoir – sa promesse de ne pas laisser ses amis aussi éloignés de lui que la mort peut le faire.
Il n’est donc une nulle épreuve que l’espérance pascale ne puisse illuminer : les rameaux témoignent de cette espérance invincible, avec simplicité.
3. Entre vert et sec : le rappel à l’éphémère
Pourtant ces rameaux se flétrissent. Du vert resplendissant de la semaine sainte, il passe en quelques mois au jaune sec et cassant des feuilles abandonnées.
Ainsi nos espoirs humains touchent vite leurs limites.
Ainsi nos projets se dessèchent tôt ou tard.
Ainsi nos réalisations les plus belles deviennent rabougries et prêtes à tomber en poussière avec les années, à l’échelle du temps de l’univers…
Ce n’est que sagesse d’enlever alors ces tiges desséchées de nos crucifix pour aller les brûler en début de carême. On dit que les cendres du premier mercredi de carême sont faites avec celle des rameaux brûlés, réduits en poudre, et étalés sur le front des fidèles pour leur rappeler que tout passe…
Nous sommes dans des réalités avant-dernières : rien ici-bas ne peut être absolutisé au point de ne pas devoir vieillir et tomber en poussière. Ce n’est que dans la réalité dernière – celle du monde à venir après la mort – que les rameaux ne jauniront pas. D’ici là, le nécessaire renouvellement annuel de nos rameaux nous oblige à ne pas croire éternel nos espoirs ou nos réussites.
Entre arbre vert et arbre sec, ces branches qui ne durent qu’une année accrochées à nos murs nous ramènent à l’éphémère humain, nous convertissent à l’éternité seulement divine.
4. La fête des tentes ou la vraie présence de Dieu
Le pasteur de l’Église réformée de Versailles rappelait ainsi en 2004 le lien ente les rameaux et la fête des tentes :
« David ordonna autrefois que sa propre mule serve de monture à son fils Salomon et qu’on le fasse descendre à Guihôn pour qu’il y reçoive l’onction d’huile le consacrant ainsi roi d’Israël.
Ainsi, cette entrée de Jésus à Jérusalem, juché sur un ânon, ne rappelle pas seulement la prophétie messianique de Zacharie, mais aussi l’intronisation du roi Salomon.
« Mais Salomon allait à Guihôn », me direz-vous, « pas à Jérusalem ! ».
« Justement ! », vous répondrais-je, « on a là une coïncidence extraordinaire ! ».
Guihôn (qui veut dire ?la jaillissante? en hébreu) était une des deux sources qui alimentaient la ville de Jérusalem. Elle se situait à l’extérieur de la ville, ce qui n’était pas pratique, et parfois même dangereux, pour les habitants de Jérusalem. Après divers aménagements, c’est finalement le roi Ezéchias qui, dans les années 700 av. JC, fit creuser un canal souterrain reliant Guihôn à un bassin situé à l’intérieur des remparts : la fameuse piscine de Siloé. À l’époque de Jésus, pendant la fête des Tentes, la plus grande et la plus sainte des fêtes juives (du moins jusqu’à la destruction du temple de Jérusalem en l’an 70), les prêtres allaient tous les jours puiser de l’eau à cette piscine de Siloé, et ils l’emportaient en procession jusqu’au Temple pour nettoyer l’autel des holocaustes, où l’on faisait de nombreux sacrifices pendant les sept jours que durait cette fête. Cette procession se faisait sous les cris de la foule brandissant des palmes et des rameaux de verdure. Nous y voilà !
Cette procession de l’eau purificatrice, fournie par la source de Guihôn, ressemble étrangement à cette procession qui accompagne Jésus à l’entrée de Jérusalem, où il va purifier la maison de son Père en chassant les marchands du Temple. Par ailleurs, nous avons entendu tout à l’heure un extrait du psaume 118, celui qui était vraisemblablement chanté (ou plutôt « psalmodié ») pendant ces processions de la fête des Tentes, rameaux en main. Et vous y avez reconnu le « Béni soit celui qui vient, au nom du Seigneur ! » (Hosanna !) que crie la foule en accueillant Jésus (peut-être y avez-vous relevé également l’histoire de la pierre angulaire, que Jésus citera quelques versets plus loin).
Mais ce n’est pas tout : il y a une autre coïncidence. Vous savez sans doute que c’est Salomon (on y revient) qui fit construire le premier temple de Jérusalem. Et bien c’est justement au cours de cette ?fête des Tentes? que Salomon l’inaugura, en faisant entrer dans le temple, toujours en procession, la fameuse ?arche de l’alliance?, celle que le peuple hébreu avait transportée dans le désert, et qui contenait les fameuses ?tables de la Loi? qui scellaient l’alliance entre Dieu et son peuple. D’ailleurs, la fête des Tentes est en rapport direct avec l’Exode. En hébreu, on l’appelle la fête des Soukkôth. La soukkah (soukkôth au pluriel) n’est pas exactement une « tente » mais plutôt une cabane ou une hutte faite de branchages. Cette fête évoque les 40 ans d’errance dans le désert du Sinaï, où les Hébreux n’avaient que des tentes ou des huttes pour se protéger du soleil. En mémoire de ce temps héroïque, les juifs vont vivre pendant une semaine dans des soukkôth qu’ils auront construit eux-mêmes aux alentours de Jérusalem. Aujourd’hui encore, cette fête symbolise le ?renouvellement de l’alliance?.
Bref, résumons ce que nous avons découvert :
- Jésus est monté sur un ânon, comme le roi Salomon lors de son intronisation.
- Son accueil par la foule branchages à la main ressemble fort aux cérémonies de la fête des Tentes, considérée comme la fête du ?renouvellement? de l’alliance. Et Jésus y joue le rôle de la source ?royale? de Guihôn, qui est menée en procession jusqu’au temple pour la purification.
- C’est justement dans ce contexte de la fête des Tentes que Salomon inaugura le premier Temple de Jérusalem. »
http://erys.pagesperso-orange.fr/PREDICATION%20DU%204%20AVRIL%202004.html
Les rameaux annoncent donc la nouvelle tente que Dieu va établir : non pas une hutte de branchages faite de main d’homme, pas même un nouveau Temple de pierres à Jérusalem, mais le corps même de Jésus transfiguré à travers la mort.
Brandir nos palmes en chantant Hosanna !, c’est donc reconnaître en Christ la vraie source de vie et de purification. C’est saluer en lui le Temple vivant de la présence de Dieu. C’est désirer que nos propres corps en communiant à lui dans l’eucharistie deviennent en lui des temples vivants de cette présence pour nos frères.
5. Un signe de fécondité
Les autres usages bibliques du mot branches (kladous, en grec) utilisé ici pour désigner les rameaux nous mettent sur la voie de la fécondité.
Car ce mot branches est également utilisé par les évangélistes pour désigner le grand arbre et ses branchages finalement sortis de la minuscule graine de sénevé :
Et il disait: « Comment allons-nous comparer le Royaume de Dieu ? Ou par quelle parabole allons-nous le figurer? C’est comme un grain de sénevé qui, lorsqu’on le sème sur la terre, est la plus petite de toutes les graines qui sont sur la terre; mais une fois semé, il monte et devient la plus grande de toutes les plantes potagères, et il pousse de grandes branches, au point que les oiseaux du ciel peuvent s’abriter sous son ombre. » (Mc 4,32 ; Mt 13,13 ; Lc 13,19).
Cette disproportion entre la petite cause et les grands effets s’applique à la Passion du Christ : une injustice ordinaire (hélas !), invisible dans l’histoire de l’époque, se déroulant dans une obscure contrée toute petite, se révélera finalement le salut de toute l’humanité. Cet effet papillon de la foi se réfugie dans nos rameaux, va se cacher dans la petitesse de la branche coupée, pour resurgir à Pâques en toute majesté.
Rien ne sera perdu de nos amours les plus vrais : leur fécondité abritera même les oiseaux du ciel !
6. L’olivier greffé
Les seuls autres usages du mot branches de notre évangile des rameaux se retrouvent chez Paul. Et précisément 6 usages dans le chapitre 11 de la lettre aux Romains. Il s’agit du passage consacré au mystère d’Israël, toujours vivant au milieu de nous. Paul le compare à l’olivier racine, sur lequel a été greffé l’olivier sauvage des païens :
« Mais si quelques-unes des branches ont été coupées tandis que toi, sauvageon d’olivier tu as été greffé parmi elles pour bénéficier avec elles de la sève de l’olivier, ne va pas te glorifier aux dépens des branches. » (Rm 11,17-18)
Nous sommes ces païens qui, grâce à Jésus de Nazareth, ont été incorporés à l’Israël de Dieu. Cette greffe réussie, où l’Église vient accomplir la synagogue sans l’abolir, nous oblige à ne jamais oublier nos racines juives.
Brandir un rameau en chantant Hosanna ! nous enracine dans la tradition juive qui a élevé Jésus à l’âge adulte, qui lui a donné son identité, sa profondeur, et l’a ensuite offert à toutes les nations.
Cueillir des branches d’olivier pour le dimanche des rameaux a ainsi tout son sens : nous sommes cet olivier sauvage greffé sur le bois de la croix, pour devenir avec le Christ un seul peuple, une seule famille de Dieu par tout l’univers.
Pas besoin de savoir tout cela pour fêter le dimanche des rameaux de tout son coeur ! Il suffit de chanter à tue-tête (même en chantant faux), d’agiter ses branchages, et de les rapporter précieusement à la maison pour en décorer nos crucifix.
Evangile : (Mt 21, 1-11)
Acclamation : Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Quelques jours avant la fête de la Pâque, Jésus et ses disciples, approchant de Jérusalem, arrivèrent à Bethphagé, sur les pentes du mont des Oliviers. Alors Jésus envoya deux disciples : « Allez au village qui est en face de vous ; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et son petit avec elle. Détachez-les et amenez-les moi. Et si l’on vous dit quelque chose, vous répondrez : ‘Le Seigneur en a besoin, mais il les renverra aussitôt.’ »
Cela s’est passé pour accomplir la parole transmise par le prophète : Dites à la fille de Sion : Voici ton roi qui vient vers toi, humble, monté sur une ânesse et un petit âne, le petit d’une bête de somme. Les disciples partirent et firent ce que Jésus leur avait ordonné. Ils amenèrent l’ânesse et son petit, disposèrent sur eux leurs manteaux, et Jésus s’assit dessus. Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route. Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » Comme Jésus entrait à Jérusalem, l’agitation gagna toute la ville ; on se demandait : « Qui est cet homme ? » Et les foules répondaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. »
Messe de la Passion
1ère lecture : Le Serviteur de Dieu accepte ses souffrances (Is 50, 4-7)
Lecture du livre d’Isaïe
Dieu mon Seigneur m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus. La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire.
Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé.
J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas protégé mon visage des outrages et des crachats.
Le Seigneur Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu.
Psaume : Ps 21, 8-9, 17-18a, 19-20, 22c-24a
R/ Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Tous ceux qui me voient me bafouent,
ils ricanent et hochent la tête :
« Il comptait sur le Seigneur : qu’il le délivre !
Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »
Oui, des chiens me cernent,
une bande de vauriens m’entoure.
Ils me percent les mains et les pieds ;
je peux compter tous mes os.
Ils partagent entre eux mes habits
et tirent au sort mon vêtement.
Mais toi, Seigneur, ne sois pas loin :
ô ma force, viens vite à mon aide !
Mais tu m’as répondu !
Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
Vous qui le craignez, louez le Seigneur.
2ème lecture : Abaissement et glorification de Jésus (Ph 2, 6-11)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout ; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms, afin qu’au Nom de Jésus, aux cieux, sur terre et dans l’abîme, tout être vivant tombe à genoux, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est le Seigneur », pour la gloire de Dieu le Père.
Evangile : La Passion (brève : 27, 11-54) (Mt 26, 14-75; 27, 1-66)
Acclamation :
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus.
Pour nous, le Christ s’est fait obéissant, jusqu’à la mort, et la mort sur une croix.
Voilà pourquoi Dieu l’a élevé souverainement et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom.
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus.
La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Matthieu
L’un des Douze, nommé Judas Iscariote, alla trouver les chefs des prêtres
et leur dit : « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ? » Ils lui proposèrent trente pièces d’argent.
Dès lors, Judas cherchait une occasion favorable pour le livrer.
Le premier jour de la fête des pains sans levain, les disciples vinrent dire à Jésus : « Où veux-tu que nous fassions les préparatifs de ton repas pascal ? »
Il leur dit : « Allez à la ville, chez un tel, et dites-lui : ‘Le Maître te fait dire : Mon temps est proche ; c’est chez toi que je veux célébrer la Pâque avec mes disciples.’»
Les disciples firent ce que Jésus leur avait prescrit et ils préparèrent la Pâque.
Le soir venu, Jésus se trouvait à table avec les Douze.
Pendant le repas, il leur déclara : « Amen, je vous le dis : l’un de vous va me livrer. »
Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, l’un après l’autre : « Serait-ce moi, Seigneur ? »
Il leur répondit : « Celui qui vient de se servir en même temps que moi, celui-là va me livrer. Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet ; mais malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux que cet homme-là ne soit pas né ! »
Judas, celui qui le livrait, prit la parole : « Rabbi, serait-ce moi ? » Jésus lui répond : « C’est toi qui l’as dit ! »
Pendant le repas, Jésus prit du pain, prononça la bénédiction, le rompit et le donna à ses disciples, en disant : « Prenez, mangez : ceci est mon corps. »
Puis, prenant une coupe et rendant grâce, il la leur donna, en disant :
« Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude en rémission des péchés. Je vous le dis : désormais je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je boirai un vin nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. »
Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.
Alors Jésus leur dit : « Cette nuit, je serai pour vous tous une occasion de chute ; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. »
Pierre lui dit : « Si tous viennent à tomber à cause de toi, moi, je ne tomberai jamais. »
Jésus reprit : « Amen, je te le dis : cette nuit même, avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. »
Pierre lui dit : « Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas. » Et tous les disciples en dirent autant.
Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani et leur dit : « Restez ici, pendant que je m’en vais là-bas pour prier. »
Il emmena Pierre, ainsi que Jacques et Jean, les deux fils de Zébédée, et il commença à ressentir tristesse et angoisse.
Il leur dit alors : « Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez avec moi. »
Il s’écarta un peu et tomba la face contre terre, en faisant cette prière : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. »
Puis il revient vers ses disciples et les trouve endormis ; il dit à Pierre : « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi ? Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible. »
Il retourna prier une deuxième fois : « Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! »
Revenu près des disciples, il les trouva endormis, car leurs yeux étaient lourds de sommeil.
Il les laissa et retourna prier pour la troisième fois, répétant les mêmes paroles.
Alors il revient vers les disciples et leur dit : « Désormais, vous pouvez dormir et vous reposer ! La voici toute proche, l’heure où le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs ! Levez-vous ! Allons ! Le voici tout proche, celui qui me livre. »
Jésus parlait encore, lorsque Judas, l’un des Douze, arriva, avec une grande foule armée d’épées et de bâtons, envoyée par les chefs des prêtres et les anciens du peuple.
Le traître leur avait donné un signe : « Celui que j’embrasserai, c’est lui : arrêtez-le. »
Aussitôt, s’approchant de Jésus, il lui dit : « Salut, Rabbi ! », et il l’embrassa.
Jésus lui dit : « Mon ami, fais ta besogne. » Alors ils s’avancèrent, mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent.
Un de ceux qui étaient avec Jésus, portant la main à son épée, la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille.
Jésus lui dit : « Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. Crois-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père, qui mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d’anges ? Mais alors, comment s’accompliraient les Écritures ? D’après elles, c’est ainsi que tout doit se passer. »
À ce moment-là, Jésus dit aux foules : « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus m’arrêter avec des épées et des bâtons ? Chaque jour, j’étais assis dans le Temple où j’enseignais, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais tout cela est arrivé pour que s’accomplissent les écrits des prophètes. » Alors les disciples l’abandonnèrent tous et s’enfuirent.
Ceux qui avaient arrêté Jésus l’amenèrent devant Caïphe, le grand prêtre, chez qui s’étaient réunis les scribes et les anciens.
Quant à Pierre, il le suivait de loin, jusqu’au palais du grand prêtre ; il entra dans la cour et s’assit avec les serviteurs pour voir comment cela finirait.
Les chefs des prêtres et tout le grand conseil cherchaient un faux témoignage contre Jésus pour le faire condamner à mort.
Ils n’en trouvèrent pas ; pourtant beaucoup de faux témoins s’étaient présentés. Finalement il s’en présenta deux, qui déclarèrent : « Cet homme a dit : ‘Je peux détruire le Temple de Dieu et, en trois jours, le rebâtir.’ »
Alors le grand prêtre se leva et lui dit : « Tu ne réponds rien à tous ces témoignages portés contre toi ? »
Mais Jésus gardait le silence. Le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Messie, le Fils de Dieu. »
Jésus lui répond : « C’est toi qui l’as dit ; mais en tout cas, je vous le déclare : désormais vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant et venir sur les nuées du ciel. »
Alors le grand prêtre déchira ses vêtements, en disant : « Il a blasphémé ! Pourquoi nous faut-il encore des témoins ? Vous venez d’entendre le blasphème ! Quel est votre avis ? » Ils répondirent : « Il mérite la mort. »
Alors ils lui crachèrent au visage et le rouèrent de coups ; d’autres le giflèrent en disant : « Fais-nous le prophète, Messie ! qui est-ce qui t’a frappé ? »
Quant à Pierre, il était assis dehors dans la cour. Une servante s’approcha de lui : « Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen ! »
Mais il nia devant tout le monde : « Je ne sais pas ce que tu veux dire. »
Comme il se retirait vers le portail, une autre le vit et dit aux gens qui étaient là : « Celui-ci était avec Jésus de Nazareth. »
De nouveau, Pierre le nia : « Je jure que je ne connais pas cet homme. »
Peu après, ceux qui se tenaient là s’approchèrent de Pierre : « Sûrement, toi aussi, tu fais partie de ces gens-là ; d’ailleurs ton accent te trahit. »
Alors, il se mit à protester violemment et à jurer : « Je ne connais pas cet homme. » Aussitôt un coq chanta.
Et Pierre se rappela ce que Jésus lui avait dit : « Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » Il sortit et pleura amèrement.
Le matin venu, tous les chefs des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire condamner à mort.
Après l’avoir ligoté, ils l’emmenèrent pour le livrer à Pilate, le gouverneur.
Alors Judas, le traître, fut pris de remords en le voyant condamné ; il rapporta les trente pièces d’argent aux chefs des prêtres et aux anciens.
Il leur dit : « J’ai péché en livrant à la mort un innocent. » Ils répliquèrent : « Qu’est-ce que cela nous fait ? Cela te regarde ! »
Jetant alors les pièces d’argent dans le Temple, il se retira et alla se pendre.
Les chefs des prêtres ramassèrent l’argent et se dirent : « Il n’est pas permis de le verser dans le trésor, puisque c’est le prix du sang. »
Après avoir tenu conseil, ils achetèrent avec cette somme le Champ-du-Potier pour y enterrer les étrangers.
Voilà pourquoi ce champ a été appelé jusqu’à ce jour le Champ-du-Sang.
Alors s’est accomplie la parole transmise par le prophète Jérémie : Ils prirent les trente pièces d’argent, le prix de celui qui fut mis à prix par les enfants d’Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné.
On fit comparaître Jésus devant Pilate, le gouverneur, qui l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus déclara : « C’est toi qui le dis. »
Mais, tandis que les chefs des prêtres et les anciens l’accusaient, il ne répondit rien.
Alors Pilate lui dit : « Tu n’entends pas tous les témoignages portés contre toi ? »
Mais Jésus ne lui répondit plus un mot, si bien que le gouverneur était très étonné.
Or, à chaque fête, celui-ci avait coutume de relâcher un prisonnier, celui que la foule demandait.
Il y avait alors un prisonnier bien connu, nommé Barabbas.
La foule s’étant donc rassemblée, Pilate leur dit : « Qui voulez-vous que je vous relâche : Barabbas ? ou Jésus qu’on appelle le Messie ? »
Il savait en effet que c’était par jalousie qu’on l’avait livré.
Tandis qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire : « Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en songe à cause de lui. »
Les chefs des prêtres et les anciens poussèrent les foules à réclamer Barabbas et à faire périr Jésus.
Le gouverneur reprit : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Ils répondirent : « Barabbas ! »
Il reprit : « Que ferai-je donc de Jésus, celui qu’on appelle le Messie ? » Ils répondirent tous : « Qu’on le crucifie ! »
Il poursuivit : « Quel mal a-t-il donc fait ? » Ils criaient encore plus fort : « Qu’on le crucifie ! »
Pilate vit que ses efforts ne servaient à rien, sinon à augmenter le désordre ; alors il prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant : « Je ne suis pas responsable du sang de cet homme : cela vous regarde ! »
Tout le peuple répondit : « Son sang, qu’il soit sur nous et sur nos enfants ! »
Il leur relâcha donc Barabbas ; quant à Jésus, il le fit flageller, et le leur livra pour qu’il soit crucifié.
Alors les soldats du gouverneur emmenèrent Jésus dans le prétoire et rassemblèrent autour de lui toute la garde.
Ils lui enlevèrent ses vêtements et le couvrirent d’un manteau rouge.
Puis, avec des épines, ils tressèrent une couronne, et la posèrent sur sa tête ; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’agenouillaient en lui disant : « Salut, roi des Juifs ! »
Et, crachant sur lui, ils prirent le roseau, et ils le frappaient à la tête.
Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l’emmenèrent pour le crucifier.
En sortant, ils trouvèrent un nommé Simon, originaire de Cyrène, et ils le réquisitionnèrent pour porter la croix.
Arrivés à l’endroit appelé Golgotha, c’est-à-dire : Lieu-du-Crâne, ou Calvaire, ils donnèrent à boire à Jésus du vin mêlé de fiel ; il en goûta, mais ne voulut pas boire.
Après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort ; et ils restaient là, assis, à le garder.
Au-dessus de sa tête on inscrivit le motif de sa condamnation : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. »
En même temps, on crucifie avec lui deux bandits, l’un à droite et l’autre à gauche.
Les passants l’injuriaient en hochant la tête :
« Toi qui détruis le Temple et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es Fils de Dieu, et descends de la croix ! »
De même, les chefs des prêtres se moquaient de lui avec les scribes et les anciens, en disant :
« Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même ! C’est le roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui !
Il a mis sa confiance en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant s’il l’aime ! Car il a dit : ‘Je suis Fils de Dieu.’ »
Les bandits crucifiés avec lui l’insultaient de la même manière.
À partir de midi, l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à trois heures.
Vers trois heures, Jésus cria d’une voix forte : « Éli, Éli, lama sabactani ? », ce qui veut dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Quelques-uns de ceux qui étaient là disaient en l’entendant : « Le voilà qui appelle le prophète Élie ! »
Aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il trempa dans une boisson vinaigrée ; il la mit au bout d’un roseau, et il lui donnait à boire.
Les autres dirent : « Attends ! nous verrons bien si Élie va venir le sauver. »
Mais Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit.
Et voici que le rideau du Temple se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla et les rochers se fendirent.
Les tombeaux s’ouvrirent ; les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, et, sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la ville sainte, et se montrèrent à un grand nombre de gens.
À la vue du tremblement de terre et de tous ces événements, le centurion et ceux qui, avec lui, gardaient Jésus, furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu ! »
Il y avait là plusieurs femmes qui regardaient à distance : elles avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour le servir.
Parmi elles se trouvaient Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée.
Le soir venu, arriva un homme riche, originaire d’Arimathie, qui s’appelait Joseph, et qui était devenu lui aussi disciple de Jésus.
Il alla trouver Pilate pour demander le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna de le lui remettre.
Prenant le corps, Joseph l’enveloppa dans un linceul neuf,
et le déposa dans le tombeau qu’il venait de se faire tailler dans le roc. Puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla.
Cependant Marie Madeleine et l’autre Marie étaient là, assises en face du tombeau.
Quand la journée des préparatifs de la fête fut achevée, les chefs des prêtres et les pharisiens s’assemblèrent chez Pilate, en disant : « Seigneur, nous nous sommes rappelé que cet imposteur a dit, de son vivant : ‘Trois jours après, je ressusciterai.’
Donne donc l’ordre que le tombeau soit étroitement surveillé jusqu’au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent voler le corps et ne disent au peuple : ‘Il est ressuscité d’entre les morts.’ Cette dernière imposture serait pire que la première. »
Pilate leur déclara : « Je vous donne une garde ; allez, organisez la surveillance comme vous l’entendez. »
Ils partirent donc et assurèrent la surveillance du tombeau en mettant les scellés sur la pierre et en y plaçant la garde.
Patrick BRAUD
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