L'homélie du dimanche (prochain)

12 janvier 2025

Cana : servir la joie d’un autre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Cana : servir la joie d’un autre

 

Homélie pour la 2° Dimanche du Temps ordinaire / Année C
19/01/25


Cf. également :

La pureté ne sert à rien
Notre angoisse de Cana
Intercéder comme Marie
La hiérarchie des charismes
Jésus que leur joie demeure
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?

 

1. Un traiteur pas comme les autres

Cana : servir la joie d’un autre dans Communauté spirituelle carte-resto1985 : Franck Chaigneau, père jésuite et cadre informatique dans une grande entreprise, distribue des repas aux sans domicile fixe d’Antony (92160), dans la grande banlieue parisienne. Pour les aider à trouver un travail simple et valorisant, il crée une association de bénévoles : La Table de Cana, dont la mission est de former des personnes éloignées de l’emploi aux métiers de la restauration. La Table de Cana est aujourd’hui implantée dans une dizaine de villes, et forme le premier réseau de traiteurs-restaurateurs d’insertion en France, avec 370 salariés dont 270 en contrat d’insertion, une centaine de bénévoles et un chiffre d’affaires de 11 M€ en année normale (hors Covid-19). Les personnes en situation de précarité y sont formées à une dizaine de métiers : commis de cuisine, serveur, plongeur, chauffeur-livreur, préparateur de commandes, assistant commercial, aide en pâtisserie ou en chocolaterie…  À l’issue de deux années de formation, le taux de réussite est de 65 %, et les salariés en insertion sont employables quasi-immédiatement. 

 

Jean n’a sûrement pas imaginé une telle fécondité sociale pour son récit des noces de Cana (Jn 2,1-11) ! Pourtant, la filiation est belle : réinsérer par le travail des gens en déshérence, sans logement ni profession, c’est bien faire en sorte que le vin ne manque pas pour les invités sans le sou. Mieux encore, c’est en se mettant au service de la joie des autres – qu’est-ce qu’un traiteur sinon cela ? – que ces exclus de la société vont peu à peu trouver leur place au festin commun…

 

Voilà qui nous invite à nous focaliser sur les serviteurs du mariage de Cana. On peut tour à tour s’identifier aux différents personnages du récit : Jésus intervenant pour que la joie coule à flots ; Marie  attentive aux failles du banquet ; les disciples invités de raccroc et témoins ébahis ; et finalement nos discrets serviteurs qui font confiance à Marie et exécutent l’étrange manipulation prescrite par Jésus.

Ces serviteurs, comme à La Table de Cana, sont le dernier maillon, indispensable, pour que la joie des mariés ne s’évanouisse pas à la fin du repas. 

Grâce à eux, la fête sera complète, jusqu’au bout de la nuit. 

Grâce à eux, Jésus se manifeste (Jean emploie le verbe φανέρωσεν = se manifester, qui a donné épiphanie) à ses disciples, « et ils crurent en lui »

Grâce à eux, la médiation de Marie est couronnée de succès.

Ils sont les serviteurs de la joie d’un autre.

 

2. Le miracle des mains vides

Ces domestiques ont bien vu que c’est de l’eau qu’ils ont versée dans les jarres (600 litres environ !). Et lorsqu’ils puisent dans les jarres pour servir à table les invités de la noce, ils voient bien que c’est du vin, et qu’ils n’y sont absolument pour rien ! Comme l’écrit Saint Ambroise de Milan : « Tu donnes la saveur du vin aux amphores remplies d’eau : le serviteur puisait, conscient qu’il ne les avait pas remplies ».

Les-Mains-vides Cana dans Communauté spirituelleIls sont conscients qu’ils ne savent pas d’où vient la joie qu’ils communiquent aux convives. La seule chose qu’ils sachent, c’est qu’elle ne vient pas d’eux.

Lacan disait avec un humour un peu grinçant que « l’amour consiste à donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Il avait à moitié raison : l’amour consiste bien à donner ce que nous n’avons pas, mais recevons de Dieu pour le donner à d’autres. C’est ce que la tradition chrétienne appelle « le miracle des mains vides » : pour donner à l’autre un cadeau vraiment divin, il faut que j’accepte d’avoir les mains vides. Sinon, je lui donnerai de ce qui m’appartient, je donnerai de ma richesse, mais je ne donnerai pas de Dieu.

Donner de mes biens, de mon temps, de mon intelligence ne suffit pas, et reste encore une aide trop humaine. Alors que donner ce que je n’ai pas, qui vient de Dieu et va à l’autre en me traversant, donner ainsi est plus grand que de faire l’aumône !

 

C’est la vocation du peuple de l’Alliance que les serviteurs de Cana accomplissent au plus haut point. Rappelez-vous les paroles du peuple s’engageant à respecter l’Alliance du Sinaï et à la mettre en pratique : « Tout ce que YHWH a dit, nous le ferons » (Ex 24,3). Ce sont les mêmes termes qu’emploie Marie pour demander aux domestiques de servir l’Alliance nouvelle : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ». De même qu’Israël a pour vocation de servir la joie des nations en témoignant du Dieu unique au milieu d’elles, de même l’Église, personnifiée dans les serviteurs de Cana, a pour mission de servir la joie de l’humanité invitée au banquet des noces de l’Agneau.

 

Sainte Thérèse de Lisieux écrivait ainsi dans son acte d’offrande :

« Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre Justice, et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même » (9 Juin 1895, fête de la Trinité).

Comme la plupart des mystiques, avec son souhait d’arriver devant le Père avec des mains vides, Thérèse se situe hors du modèle économique de l’échange, loin du point de vue du ‘mérite’. Elle est imprégnée d’un amour gratuit, qu’on appelait au XVII° siècle le « pur amour », comme est gratuit l’amour de Dieu lui-même. Elle ne cherche pas à accumuler ses mérites, mais les oublie en Dieu. Ses mains restent vides car elle reçoit tout de Dieu, pour le donner aux autres.

 

Le franciscain Éloi Leclerc a merveilleusement décrit l’esprit de pauvreté intérieure qui animait François d’Assise dans ce domaine. Au moment où il est contesté, puis évincé par l’Ordre qu’il a pourtant fondé, il découvre que le but de sa vie n’était pas de fonder quelque chose ou de ne pas fonder, mais de se fonder lui-même sur l’amour gratuit de Dieu :

- Dieu, fit observer frère Léon, réclame notre effort et notre fidélité.

- Oui, sans doute, répondit François. Mais la sainteté n’est pas l’accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on se découvre et que l’on accepte, et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude. Notre néant, vois-tu, s’il est accepté, peut devenir l’espace libre où Dieu peut encore créer.

(Éloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, Éditions franciscaines, 1984, p.114)

Celui qui ne laisse pas couler le flux de la grâce passant à travers lui vers les autres, celui qui comptabilise ses mérites au lieu d’oublier le bien qu’il a fait, celui-là sera bientôt seul, éloigné de Dieu, méprisant les autres.

 

Journal-d-un-cure-de-campagne joieBernanos a formidablement mis en scène ce miracle des mains vides dans le passage du « Journal d’un curé de campagne » où l’on voit le jeune abbé Donissan, en proie au doute et en pleine dépression spirituelle, apporter cependant le réconfort et la paix à la comtesse obsédée par la mort de sa fille :

Le prêtre est allé au château pour parler à la comtesse de sa fille, Chantal, dont la révolte est pour lui source d’angoisse. Par-delà l’apparence policée d’une grande dame chrétienne et résignée, le petit prêtre perce le secret d’une âme fermée à Dieu, révoltée depuis la mort de son premier enfant. Après un échange terrible sur le désespoir et l’enfer, la comtesse se rend, et jette, dans un geste fou, le médaillon et la mèche de son enfant qu’elle gardait, dans le feu où le prêtre essaie de les reprendre : « Prenez-vous Dieu pour un bourreau ? » lui dit-il. Et il ajoute : « Il veut que nous ayons pitié de nous-mêmes ».

Rentré chez lui, il trouve une lettre de la comtesse qui lui écrit :

« Le souvenir désespéré d’un petit enfant me tenait éloignée de tout, dans une solitude effrayante, et il me semble qu’un autre enfant m’a tiré de cette solitude. J’espère ne pas vous froisser en vous traitant ainsi d’enfant ? Vous l’êtes. Que le Bon Dieu vous garde tel, à jamais (…). Tout est bien. Je ne croyais pas la résignation possible. Et ce n’est pas la résignation qui est venue en effet. Elle n’est pas dans ma nature (…) Je ne suis pas résignée, je suis heureuse. Je ne désire rien ».

Puis, sur son journal intime, le prêtre note : « 6h30, Mme la Comtesse est morte cette nuit ».

L’abbé Donissan a donné à cette femme la paix que lui-même cherchait en vain. 

L’amour consiste à donner ce que l’on n’a pas…

Seul celui qui arrive les mains vides peut expérimenter l’absolue gratuité de l’amour divin.

 

3. Génitif objectif / génitif subjectif

Servir la joie d’un autre : telle est notre vocation, c’est-à-dire, comme pour La Table de Cana, apporter à d’autres de quoi festoyer et se réjouir.

La joie d'un autreServir la joie d’un autre : en français, ce génitif peut désigner aussi bien l’autre qui est le sujet de cette joie (génitif subjectif) que l’autre qui en est le destinataire (génitif objectif). Ainsi la crainte des ennemis peut signifier la crainte qu’ont les ennemis (génitif subjectif), ou la crainte qu’ils inspirent (génitif objectif).

Génitif subjectif : ce n’est pas notre joie que nous communiquons, c’est celle du Christ. C’est lui qui en est le sujet. Elle nous est donnée d’ailleurs. Elle vient du Royaume, d’un au-delà qui transcende nos productions et nos joies habituelles.

Génitif objectif : ce n’est pas une joie pour nous, mais pour d’autres. Elle leur appartient. Elle est pour ceux que nous aimons, que nous voulons chérir, et également pour ce que nous n’aimons pas assez, ou  qui nous font du mal.

Paradoxalement, c’est la dans la dépossession de ce que nous transmettons que nous trouvons notre propre joie. À la double condition qu’elle vienne d’un autre – le Christ – comme celle que transmet le curé de campagne de Bernanos, et qu’elle soit destinée à un autre, ce qui exclut toute appropriation, toute possession du serviteur de ce qu’il transmet.

L’amour consiste alors à recevoir d’un autre (Dieu) ce qui va réjouir les autres lorsque je leur communiquerai, sans que cela m’appartienne, sans que j’y sois pour quelque chose.

 

Insistons sur la docte ignorance qui est celle des serviteurs de Cana dans cette alchimie joyeuse : ils ne savent pas comment l’eau est changée en vin ; ils savent juste qu’ils n’en sont pas la cause ni l’origine, seulement le vecteur. Accepter de ne pas savoir comment s’opère le miracle des mains vides est la condition  pour y participer pleinement ! Ceux qui veulent maîtriser la transformation eau-vin termineront comme Midas empoisonné par son pouvoir égoïste.

 

Catalyseurs…

Les premiers repas servis à Antony par des extras peu reluisants ont prospéré d’eux-mêmes. Les serviteurs de Cana jouent le rôle d’un catalyseur en chimie : pour que deux substances entrent en interaction et qu’il se produise une réaction chimique, il faut souvent qu’un corps différent – un catalyseur – se mêle à eux pour amorcer la réaction et ensuite se retirer pour la laisser se poursuivre. Le catalyseur rend possible l’interaction sans en être le sujet ni l’objet.


Devenir un catalyseur de la joie de nos proches est une belle vocation, digne de Cana !

Comment pourrais-je la mettre en œuvre cette semaine… ? 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Comme la jeune mariée fait la joie de son mari » (Is 62, 1-5)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera. Tu seras une couronne brillante dans la main du Seigneur, un diadème royal entre les doigts de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.

Psaume
(Ps 95 (96), 1-2a, 2b-3, 7-8a, 9a.10ac)
R/ Racontez à tous les peuples les merveilles du Seigneur !
 (Ps 95, 3)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur, la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.

Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.

Deuxième lecture
« L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier » (1 Co 12, 4-11)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter. Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Évangile
« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée » (Jn 2, 1-11)
Alléluia. Alléluia.
Dieu nous a appelés par l’Évangile à entrer en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus Christ. Alléluia. (cf. 2 Th 2, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. » Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

Patrick BRAUD

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2 novembre 2023

Ni rabbi, ni père, ni maître : serviteur !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ni rabbi, ni père, ni maître : serviteur !

Homélie pour le 31° Dimanche du temps ordinaire / Année A
05/11/2023

Cf. également :
Ils disent et ne font pas
Une autre gouvernance

L’Église et la modernité: sel de la terre ou lumière du monde ? 
Conjuguer le « oui » et le « non » de Dieu à notre monde

Ni rabbi, ni père, ni maître : serviteur ! dans Communauté spirituelle 69327_vod_thumb_318816-hd« Ni Dieu ni maître ! »
Ce slogan souvent tagué à la hâte sur les murs parisiens pendant les manifestations de rue a d’abord été le titre du journal fondé par Auguste Blanqui en 1880. Il résume la doctrine anarchiste du XIX° siècle : s’émanciper de la tutelle des religions et de l’État, pour laisser les citoyens s’organiser librement. On raconte qu’à cette devise Paul Claudel aurait répondu : « choisir Dieu est le seul moyen radical de n’avoir aucun maître »
Bien vu ! C’est un peu cette remise en place que Jésus opère dans notre Évangile (Mt 23,1-12) : ne donnez à personne le nom de rabbi/père/maître, car vous n’avez qu’un seul rabbi/Père/maître : Dieu, plus grand que tous les pouvoirs terrestres.

Le Christ ne se fait pas que des amis avec cette triple contestation de l’autorité, qui pourrait paraître anarchiste si elle ne recentrait pas en Dieu la source de toute autorité, fondement de la fraternité entre nous tous.

 

1. Ni rabbi : contestation de l’autorité religieuse
Qu’est-ce qu’un rabbi au temps de Jésus ? C’est un titre de respect, qui veut honorer la sagesse du rabbin. Son rôle est celui d’un juge, d’un arbitre dont la décision permet de se conformer à la Loi dans une situation inédite. Il s’appuie sur son interprétation de la Torah pour conseiller les juifs le questionnant sur ce qu’il convient de faire en telle ou telle circonstance. Par exemple, lorsque des juifs viennent trouver Jésus pour des questions d’héritage, ils le prennent pour un rabbi. Et cela ne lui plaît pas ! Il leur répond d’ailleurs vertement : « Qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » (Lc 12,14).

L’objet de l’enseignement d’un rabbi est de trouver des solutions à des questions complexes concernant l’application de la Torah. En plus de la Bible, il se fonde sur les interprétations de ses prédécesseurs et sur leur jurisprudence. Un peu comme un juge du Tribunal des prud’hommes aujourd’hui en matière professionnelle. Son autorité ne repose que sur le respect qu’inspire sa science, indépendamment de son ascendance et de son passé. Sa consécration est de voir cette autorité reconnue par ses pairs et par les étudiants qui souhaitent apprendre auprès de lui avant d’enseigner à leur tour.

Rabbi Mennachem Mendel Schneerson Le Rabbi de LoubavitchDans le hassidisme contemporain, le rabbin est un « nassi », c’est-à-dire un chef guidant ses disciples, selon la définition du rabbi de Loubavitch : « Un nassi, au sens large, est un ‘chef des multitudes d’Israël’ [1]. Il est leur ‘tête’ et leur ‘cerveau’, leur source de vie et de vitalité. À travers leur attachement à lui, ils sont liés et unis avec leur source suprême en haut ». « Chacun et chacune d’entre nous doit savoir – c’est-à-dire méditer profondément et implanter dans son esprit – que le rabbi est notre nassi et notre tête : qu’il est la source et le canal pour tous nos besoins matériels et spirituels, et que c’est à travers notre lien avec lui que nous sommes liés et unis à notre source, et la source de notre source, jusqu’à notre source ultime en haut » (Lettre du 18 juin 1950).

Jésus conteste radicalement cet ascendant qu’un sage religieux pourrait obtenir sur ses disciples. D’ailleurs, dans l’Évangile de Matthieu, seul Judas utilise ce titre de rabbi pour désigner Jésus, signe qu’il se méprend sur son identité, sur sa mission, qu’il confond avec l’exercice habituel de l’autorité religieuse. Lors de la Cène, Judas demande qui doit aller livrer Jésus, ce qui dans son esprit correspond à une mission de médiation entre Jésus le Messie et les chefs juifs, pour s’unir afin de chasser les Romains hors d’Israël : « Judas, celui qui le livrait, prit la parole : ‘Rabbi, serait-ce moi ?’ Jésus lui répond : ‘C’est toi-même qui l’as dit !’ » (Mt 26,25). Et, dans le jardin des oliviers à Gethsémani, Judas embrasse sincèrement son ami en l’appelant rabbi, marque de son respect : « S’approchant de Jésus, il lui dit : ‘Salut, Rabbi !’ Et il l’embrassa. » (Mt 26,49).

Voilà pourquoi Jésus ne veut pas de ce titre de rabbi, qu’il réserve à Dieu seul. Si on attribue ce titre à un humain – fut-il le plus sage des hommes – la domination n’est pas loin, sous couvert d’autorité religieuse.

N’est-ce pas ce qui se produisit à la Pentecôte ? L’ancienne prophétie de Joël s’accomplissait enfin : « Je répandrai mon Esprit sur tout être de chair, vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes je répandrai mon Esprit en ces jours-là » (Jl 3,1-2). Pierre constatait alors (Ac 2,14-22) que l’Esprit de Dieu fait naître ce peuple où tous sont prêtres, prophètes et rois (cf. rituel de l’onction d’huile du baptême). Ceux qui voudraient s’arroger l’exclusivité de cette triple onction baptismale commettent un véritable « péché contre l’Esprit ».
Jean confirme que cette démocratisation de l’Esprit s’opère par l’onction baptismale : « L’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n’avez pas besoin d’enseignement. Cette onction vous enseigne toutes choses, elle qui est vérité et non pas mensonge ; et, selon ce qu’elle vous a enseigné, vous demeurez en lui » (1 Jn 2,27).
Pas  besoin d’être enseignés à la manière humaine donc : l’Esprit est notre rabbi intérieur. Pourquoi se soumettre au prestige des titres, des diplômes, des médailles en tous genres ?…

On voit combien cette radicale contestation de l’autorité religieuse des rabbis est nécessaire en tout siècle ! Les rabbis d’aujourd’hui pullulent, réclamant vénération, soumission et influence sociale.
Il faut étendre cette contestation évangélique aux imams, qui prétendent fixer les règles de pureté, du licite et de l’illicite, et plus encore les soi-disant imams autoproclamés qui sur Internet influencent des millions de jeunes followers avec des vidéos courtes, simplistes, terriblement légalistes et autoritaires.

L’autorité religieuse certes est nécessaire, mais elle ne doit jamais occulter sa source, lui faire écran en se perdant dans sa propre recherche de puissance. Parodiant Claudel, on pourrait dire que choisir Dieu est le seul moyen radical pour ne se laisser dominer par aucune institution religieuse, même la plus prestigieuse.

 

2. Ni père : contestation de l’autorité familiale
Le pater familias ches les latins
Cette fois-ci, c’est l’autorité familiale qui est remise en cause ! Pas n’importe laquelle : celle du pater familias, si puissante dans toutes les sociétés traditionnelles, patriarcales à l’excès. Le premier, Jésus n’a appelé personne Père sur cette terre. Il réservait ce titre à Dieu, la source de son existence, qu’il appelait d’ailleurs affectueusement abba c’est-à-dire papa, témoignant ainsi d’une intimité unique avec l’origine de toute vie.

De plus, Jésus n’a pas été tendre avec les liens du sang, dont il voyait bien les dérives mafieuses : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? Étendant la main vers ses disciples, il dit : ‘Voici ma mère et mes frères. Car celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère’ » (Mt 12,46-50). La pauvre Marie a dû en être toutes retournée : se faire ainsi rembarrer devant tout le monde aurait pu l’humilier. Mais non : elle comprit que père ou mère ne sont pas des titres donnés par le sang, mais par la foi. Marie est mère parce qu’elle a cru, bien plus que parce qu’elle a accouché. Elle recevra Jean comme son fils au pied de la croix, car la famille dont parle Jésus n’est pas limitée à la génération.

Contester l’autorité patriarcale est encore une idée neuve en christianisme ! Il a fallu des siècles en Occident pour que les baptisés s’émancipent d’un modèle familial où le pater familias décide de tout, depuis les études jusqu’au mariage ou même la croyance de ses enfants ! Le clergé lui-même reproduisait cette domination patriarcale. Le patriarcat existe toujours en Afrique, en Asie ou ailleurs. La parole de Jésus est on ne peut plus claire : « vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux ». Mais les chrétiens ne prennent pas au sérieux ce qu’ils lisent…

Très vite, les ermites égyptiens, les supérieurs des abbayes ou les prêtres en paroisse se sont faits appeler : « Monsieur l’Abbé » (abba = papa) ou « Mon Père » (ce qui est pareil).
Faut-il récuser cet usage au nom de Mt 23,9 ?
Oui, s’il est le prétexte au cléricalisme, mal pernicieux qui ronge les Églises catholique et orthodoxe depuis des siècles.
Non, s’il renvoie humblement à l’unique paternité divine dont les prêtres peuvent être le symbole en contestant l’exclusivité de la paternité biologique.

Les jeunes prêtres en France reviennent à la soutane, aux dentelles, aux dorures liturgiques, comme si l’habit leur garantissait un statut à part. En octobre dernier, devant le Synode ébahi, le pape François a vertement critiqué ces mondanités cléricales : « Il suffit d’aller chez les tailleurs ecclésiastiques de Rome pour voir le scandale des jeunes prêtres essayant des soutanes et des chapeaux ou des aubes avec dentelle ! Le cléricalisme, c’est un fléau, c’est une forme de mondanité qui salit et qui abîme ».

ob_bcd4a6_pape-francois diacre dans Communauté spirituelleLe cléricalisme profite de l’ordination presbytérale pour transformer l’ancien (presbyter) en clerc, le pouvoir sacramentel en pouvoir de domination sur les laïcs etc. Le pape François ne cesse de répéter que le cléricalisme est à la source des maux les plus graves de l’Église actuelle :

« Cette mondanité spirituelle à l’intérieur de l’Église fait grandir une chose grossière : le cléricalisme, a poursuivi François. Le cléricalisme est une perversion de l’Église. C’est le cléricalisme qui crée la rigidité. Et sous chaque type de rigidité, il y a de la pourriture. Toujours » (Entretien diffusé dimanche 6 février 2022 à la télévision italienne).

« Le manque de conscience d’appartenir au peuple fidèle de Dieu comme serviteurs, et non pas comme maîtres, peut nous conduire à l’une des tentations qui porte le plus de préjudice au dynamisme missionnaire que nous sommes appelés à impulser : le cléricalisme qui est une caricature de la vocation reçue » (Rencontre du 6 janvier 2018).

Par contre, si appeler un prêtre « Mon Père » traduit une conception de la paternité plus grande que biologique, dont Dieu seul est la source, alors ce titre peut effectivement renvoyer à la reconnaissance de Dieu Père, plus haut que toutes les autres formes de paternité, familiale, sociale, ecclésiale, artistique etc.

 

3. Ni maître : contestation de l’autorité sociale
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Le mot maître traduit en français le mot grec καθηγητς (kathēgētēs), dont les 3 seules occurrences sont justement dans le passage d’évangile de ce dimanche. La liturgie dit « maîtres » ; la TOB : « Docteurs » ; la BJ et Louis Segond : « Directeurs », Chouraqui : « chefs ». On ne sait donc pas trop qui sont ces καθηγητς. Quoiqu’il en soit, on devine qu’il s’agit d’une position officielle, réputée savante, qui a le droit d’enseigner et de diriger.

Tout le contraire de ce que Jésus incarne ! Son enseignement est de renvoyer l’autre à lui-même, de l’inviter à remonter à sa source intérieure : le royaume de Dieu présent en chacun. Quand le Messie enseigne, on croirait voir et entendre Bernadette Soubirous à genoux dans la tutte aux cochons de Massabielle, dégageant la boue du rocher pour que la source puisse jaillir à nouveau au fond de la grotte…
Jésus – le Christ – conteste radicalement tout enseignement, toute direction (on dirait aujourd’hui : tout management), tout leadership qui aliène aurait lieu de libérer, qui rendrait dépendant au lieu d’autonomiser, qui infantiliserait au lieu d’éduquer.

Que ce soit au bureau, dans l’atelier, dans la paroisse ou l’association, nous croulons sous les petits chefs qui veulent exister sur le dos des autres. Déboulonner la statue du Commandeur qui préside encore à tant de secteurs de notre vie est l’œuvre en nous de l’Esprit de liberté, l’Esprit dont Jésus est l’Oint, « l’imbibé » par excellence plus que l’éponge immergée dans l’océan…
N’avoir que le Messie – le Christ – pour maître est vraiment le choix le plus radical pour n’avoir aucun maître…

 

4. Dieu premier servi !
dieu-premier-servi-image-41 Père
Car finalement, si nul ne peut usurper l’autorité religieuse, familiale ou sociale de Dieu, c’est que notre identité en Christ est diaconale : « le plus grand parmi vous sera votre serviteur (δικονος= diakonos) ». Jésus avait déjà indiqué cette voie de la diaconie à la mère de Jacques et Jean qui voulait voir ses deux enfants chéris en bonne place dans le ‘shadow-cabinet’ du Messie : « Jésus lui dit : ‘Que veux-tu ?’ Elle répondit : ‘Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume’ » (Mt 20,21). La réponse est cinglante : « Il leur dit : ‘Ma coupe, vous la boirez ; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé par mon Père’ » (Mt 20,23). Et Jésus avait été obligé de le marteler au groupe des disciples qui le suivaient sur la route : « Jésus les appela et dit : Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur (δικονος) » (Mt 20,25–26).

Ici, Jésus nous invite à devenir diacre, chacun et tous. Il ne dit pas : il n’y a qu’un seul diacre, le Messie. Au contraire, il affirme que nous le sommes tous ! C’est peut-être le plus beau titre partagé par tous les chrétiens de par leur baptême : serviteur. Servir la vie, la croissance de l’autre, sa liberté, son autonomie… : tout le contraire du cléricalisme. Si dans l’Église quelques-uns sont ordonnés diacres, c’est pour rappeler à tous qu’ils sont appelés à devenir serviteurs.

Notre vocation diaconale est l’antidote aux dérives autoritaires stigmatisées par Jésus.
Idolâtrer l’autorité religieuse conduit au cléricalisme [2].
Idolâtrer la famille conduite à la mafia.
Idolâtrer l’autorité sociale conduit à la servitude volontaire.
Mais pratiquer le service rend libre comme Jésus : servir nous inspire comment nous agenouiller pour libérer en l’autre la source d’eau vive que l’Esprit fait jaillir en lui.

Et il en est du service comme de l’amour : le détour par Dieu est le plus court chemin vers l’autre, et le plus sûr. La devise de Jeanne d’Arc : « Dieu premier servi ! » nous garantit de servir les autres avec gratuité, désintéressement, en vérité, dès que nous plaçons le service de Dieu en clé de voûte de ce que nous construisons. Sinon, les serviteurs deviennent vite des mercenaires, des Wagner du pouvoir…

Diacres, nous le sommes à l’autel et dans l’assemblée, servant en nourriture à nos proches la Parole et la charité dont ils ont besoin pour vivre en plénitude.

Que la triple contestation de l’autorité humaine proclamée aujourd’hui par Jésus nous oblige à un examen de conscience honnête et rigoureux : quand suis-je rabbi/père/maître à la manière humaine et non diacre à la manière du Christ ?

 


[1]. Le mot « rav » qui a donné « rabbin », provient de la racine « R-B-B », qui dénote la grandeur ou la multitude. Il apparaît dans la Bible hébraïque lors de l’épisode de la sortie d’Égypte où il désigne l’Erev Rav, la Grande Multitude (ערב רב), les esclaves convertis qui suivaient les Enfants d’Israël.

[2]. « L’autre danger, qui est une tentation très forte et j’en ai parlé plusieurs fois, est le cléricalisme. Et celui-ci est très fort. Pensons qu’aujourd’hui, plus de 60% des paroisses n’ont pas de conseil pour les affaires économiques ni de conseil pastoral. Qu’est-ce que cela signifie ? Que cette paroisse et ce diocèse sont conduits dans un esprit clérical, uniquement par le prêtre, qui n’applique pas la synodalité paroissiale, la synodalité diocésaine, qui n’est pas une nouveauté de ce Pape. Non ! Cela figure dans le droit canonique, c’est une obligation qu’a le curé d’avoir le conseil des laïcs pour la pastorale et pour les affaires économiques. Et ils ne font pas cela. Et cela est le danger du cléricalisme aujourd’hui dans l’Église. Nous devons aller de l’avant et éliminer ce danger, car le prêtre est un serviteur de la communauté, l’évêque est un serviteur de la communauté, mais ce n’est pas le chef d’une entreprise. Non ! Cela est important » (Entretien du 12 mai 2016).

 

 

LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« Vous vous êtes écartés de la route, vous avez fait de la Loi une occasion de chute » (Ml 1, 14b – 2, 2b.8-10.

Lecture du livre du prophète Malachie
Je suis un grand roi – dit le Seigneur de l’univers –, et mon nom inspire la crainte parmi les nations. Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement : Si vous n’écoutez pas, si vous ne prenez pas à cœur de glorifier mon nom – dit le Seigneur de l’univers –, j’enverrai sur vous la malédiction, je maudirai les bénédictions que vous prononcerez. Vous vous êtes écartés de la route, vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude, vous avez détruit mon alliance avec mon serviteur Lévi, – dit le Seigneur de l’univers. À mon tour je vous ai méprisés, abaissés devant tout le peuple, puisque vous n’avez pas gardé mes chemins, mais agi avec partialité dans l’application de la Loi. Et nous, n’avons-nous pas tous un seul Père ? N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? Pourquoi nous trahir les uns les autres, profanant ainsi l’Alliance de nos pères ?

Psaume
(Ps 130 (131), 1, 2, 3)
R/ Garde mon âme dans la paix près de toi, Seigneur.

Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ;
je ne poursuis ni grands desseins,
ni merveilles qui me dépassent.

Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ;
mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère.

Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais.

Deuxième lecture
« Nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais même nos propres vies » (1 Th 2, 7b-9.13)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, nous avons été pleins de douceur avec vous, comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons. Ayant pour vous une telle affection, nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais jusqu’à nos propres vies, car vous nous étiez devenus très chers. Vous vous rappelez, frères, nos peines et nos fatigues : c’est en travaillant nuit et jour, pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous, que nous vous avons annoncé l’Évangile de Dieu. Et voici pourquoi nous ne cessons de rendre grâce à Dieu : quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants.

Évangile
« Ils disent et ne font pas » (Mt 23, 1-12)
Alléluia. Alléluia. Vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux ; vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. Alléluia. (cf. Mt 23, 9b.10b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples, et il déclara : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de rabbi.
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de rabbi (ῥ
αββ= rhabbi), car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères.
Ne donnez à personne sur terre le nom de père (
πατρ= patēr), car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres (
καθηγητς= kathēgētēs), car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur (διάκονος = diakonos). Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. »
Patrick BRAUD

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25 septembre 2022

Savoir se rendre inutile

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Savoir se rendre inutile

 

Homélie pour le 27° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
02/10/2022

 

Cf. également :

Foi de moutarde !

Les deux serviteurs inutiles

L’ « effet papillon » de la foi

L’injustifiable silence de Dieu

Jesus as a servant leader

Manager en servant-leader

Servir les prodigues 

Restez en tenue de service

Agents de service

18/20, c’est normal ?
Savoir se rendre inutile dans Communauté spirituelle 41886342._SY475_
Au lycée, quand je ramenais tout fier à la maison mon carnet de notes avec 18/20 de moyenne, je m’attendais les premières années à des torrents de félicitations et de louange pour tout ce travail scolaire que j’avais décidément bien fait. Ma fierté enthousiaste était vite douchée ! Mon père parcourait les notes avec attention et sérieux, et le signait en disant : « c’est bien, ne te relâche pas ». Ma mère lisait les comme
ntaires élogieux des professeurs, et rajoutait le sien : « c’est normal ; tu n’as aucun mérite, c’est ton niveau ». Et mon père renchérissait : « tu verras plus tard que tu es loin d’être le meilleur ; tu n’as pas à te vanter d’obtenir les notes que tu dois obtenir parce que tu as les facilités pour cela ». Effectivement, les classes préparatoires ensuite m’ont ramené au réalisme du bon élève de province qui se retrouve parmi les cracks de tout le pays ! Impossible de fanfaronner lorsqu’on est au coude à coude avec les autres, les meilleurs.

3b7a00e90b66ea9f4823305cb1410008 David dans Communauté spirituelleSi vous n’avez pas eu un bon carnet de notes au Lycée, consolez-vous : il y a sûrement un autre domaine d’excellence où il est normal que vous produisiez de l’excellent. Chacun de nous est très bon dans un domaine ou un autre (manuel, intellectuel, artistique, relationnel etc.). Le psychologue Howard Gardner a même distingué neuf formes d’intelligence chez l’enfant (théorie des intelligences multiples) [1], ce qui implique qu’il peut toujours trouver un champ d’application où il sera au top : atteindre un haut niveau dans ce domaine n’a alors rien d’exceptionnel, c’est normal.

La parabole de Jésus ce dimanche sur le serviteur inutile (Lc 17,5-10) me renvoie à ces souvenirs scolaires : celui qui donne ce qu’il peut n’a aucune gloire en tirer. Serait-il orgueilleux que très vite d’autres – beaucoup plus forts – lui rabattraient son caquet !

« Nous sommes de simples (χρεος achreiosserviteurs ».

Comment traduire l’adjectif grec χρεος de la parabole ? Inutile est passé dans le langage courant pour désigner le serviteur qui reste modeste, ‘qui ne se la pète pas’ comme dit joliment le langage populaire. La liturgie traduit : « simple serviteur ». D’autres disent : serviteur quelconque, ordinaire, sans mérite particulier. L’adjectif ἀχρεῖος est difficile à traduire car il ne se trouve que 3 fois dans la Bible grecque : pour qualifier David dansant devant l’Arche, pour éliminer le serviteur stérile de la parabole des talents, et ici dans notre parabole des serviteurs qui ne font que leur devoir.


David, le roi indécent

La seule apparition du terme ἀχρεῖος dans l’Ancien Testament (LXX) est en 2S 6,21-22 : « David dit à Mikal : ‘Oui, je danserai devant le Seigneur. Je me déshonorerai encore plus que cela, et je serai abaissé (ἀχρεῖοςà mes propres yeux, mais auprès des servantes dont tu parles, auprès d’elles je serai honoré’ ».

L’épisode est célèbre : David entre à Jérusalem pour fêter la victoire sur les Philistins et il est persuadé que c’est le soutien de YHWH symbolisé par l’Arche d’Alliance qui lui a permis de triompher. Alors, sans aucune pudeur ni retenue, lui le jeune roi laisse éclater sa joie en dansant devant l’Arche portée en procession. Il est à moitié dépenaillé, si bien que la cour royale est choquée de voir le plus haut personnage de l’État se contorsionner à moitié nu devant le peuple. La réponse de David à ceux qui le raillent montre bien le contenu de son attitude ἀχρεῖος : il est sans malice, naturel, sans calcul, il est simple au sens étymologique c’est-à-dire sans-pli, sans repli ni pensées tordues.

Être ἀχρεῖος pour David signifie alors : ‘je sais bien que ce n’est pas moi qui ai remporté la victoire ; toute la gloire en revient à Dieu et je me réjouis d’être ainsi entouré d’amour bien au-delà de ma valeur personnelle, bien au-delà de mes actes valeureux ou non’.

David est simple et sa cour le trouve simplet. Il est humble et les petites gens se reconnaissent en lui. Il rend toute gloire à Dieu, car depuis Bethsabée il se sait adultère, violeur, assassin. Il fait tout ce qu’il peut en tant que roi pour protéger son peuple, en comptant sur Dieu plus que sur ses propres forces.

Du coup il danse ! Quoi de plus inutile que la danse ? Danser n’est pas nécessaire. C’est gratuit ; c’est par-dessus le marché, et d’ailleurs il n’y a pas de marché avec Dieu !


danse de David devant l'Arche

Nous sommes David lorsque nous nous réjouissons de ce que Dieu réalise à travers nous, ou sans nous. Voilà le serviteur inutile de la parabole : quelqu’un qui n’est pas attaché à ses œuvres, libre de toute suffisance, qui ne se laisse pas troubler par le bien qu’il accomplit car cela lui a été donné. Cela ne vient pas de lui. Il n’a aucune gloire à en tirer pour lui-même.

La danse de David ajoute un petit grain de folie et de gratuité à l’humilité du simple serviteur qu’il a conscience d’être.

C’est un indice pour nous : quand dans nos vies il y a de l’exubérance, de la joie, de l’élan artistique, de l’excès créatif, alors nous ne sommes pas loin du serviteur inutile de la parabole.


L’enfouisseur de talents

ob_c7914b920ae63d1d641718f4cd1e9439_a7a humilitéLe 2e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος est plus douloureux. C’est l’exigence du maître de la parabole des talents qui se manifeste envers celui qui a enfoui en terre l’argent reçu :

« Quant à ce serviteur inutile (ἀχρεῖος), jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents ! » (Mt 25,30)

Ce serviteur-là est plus qu’inutile : il est stérile, contre-productif, voire dangereux. Alors que l’inflation rogne chaque année 5 % à 10 % du capital du maître, il le laisse dépérir. Pire que le livret A ! Avec de tels intendants on se retrouve vite sur la paille ! Ce bon-à-rien est alors dépouillé de tout et chassé au loin. Bigre ! C’est le même adjectif ἀχρεῖος dans les deux paraboles… : le serviteur bon-à-rien et le serviteur inutile sont qualifiés de même, mais n’ont pas le même traitement ! L’un est chassé ; l’autre est maintenu. C’est donc qu’il y a deux formes d’inutilité en réalité : celle qui ne travaille pas et a peur, et celle qui fait tout son devoir avec sérénité. Se savoir non-indispensable n’est pas un alibi pour la paresse ! Se déclarer inutile ne vaut qu’après une journée de labeur aux champs et de service à table. Sinon, c’est se défausser trop vite en refusant de s’impliquer.


Le serviteur inutile
Le 3e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος, celui de notre parabole, se situe quelque part entre David et le bas de laine : il s’agit pas de ne rien faire, mais de faire de son mieux sans orgueil ni vanité. C’est bien connu : le cimetière est rempli de gens indispensables…
L’avertissement sera précieux pour les Douze : Jésus va les envoyer en mission deux par deux, et ils vont connaître eux aussi leur quart d’heure de gloire promis par Andi Warhol (« À l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale »). En guérissant les malades, en prêchant avec talent et autorité, en subjuguant les foules, les Douze vont très vite voir le succès leur monter à la tête ! Ils vont par exemple vouloir faire tomber « le feu de Dieu » sur leurs contradicteurs, pour être sûrs de les écraser devant tout le monde (Lc 9,54). Heureusement Jésus résistera à leur orgueil, et les ramènera à plus d’humilité : ‘ne prenez pas la grosse tête ; vous n’êtes pas plus grands que celui qui vous a envoyé. Réjouissez-vous parce que Dieu agit à travers vous, et ne cherchez pas en tirer profit ou prestige’.

Se considérer comme un serviteur inutile est source de sérénité. Je peux accomplir mon devoir avec cœur sans trop en attendre. Car ma valeur personnelle n’est pas dans ce que je fais : elle est dans le fait d’être moi, et aimé pour ce que je suis. Et cela suffit.

C’est la vieille leçon du jour du shabbat : ce jour-là, un juif ne travaille pas, ne produit rien, n’est utile à rien, et pourtant il existe encore, il vaut tout autant qu’hier ou demain. La non-activité du shabbat libère les juifs de l’obsession productiviste sans abolir le sens du devoir, au contraire. D’ailleurs le shabbat ce n’est pas ne rien faire ! C’est consacrer du temps à la famille, à la culture, à l’art, au repos, avec créativité et génie artistique. C’est danser devants l’Arche sans autre but que la danse elle-même…

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Marc Pernot, Pasteur de l’Église Protestante de Genève, commente [2] :

51crYiOaemS._SX322_BO1,204,203,200_ parabole« J’aime bien ce passage de l’Évangile selon Luc. L’idée que j’en tire est la joie d’avoir fait ce que l’on a pu, tel que ça vient, et de ne pas en tirer d’orgueil personnel de ne pas y chercher un statut. Il y a là comme un calme et une tranquillité qui me plaît […] Il me semble qu’alors l’action, si elle devient possible, trouve une motivation bien placée, pour elle-même, parfois pour la beauté du geste, parfois parce que c’est utile et juste, parfois parce que cela me correspond, comme un jaillissement. Et c’est alors une action juste, sincère, pure ».

Parce que l’être est premier, parce qu’en Dieu il est inconditionnel, l’action peut en découler, libre de tout attachement. Cette action-là n’est pas remplie de l’angoisse de se prouver aux autres ou à soi-même, elle coule, tranquille et gratuite, de la source où je suis assuré dans l’être.

Non pas faire pour être, mais être et donc faire (ou ne pas faire) de manière égale.

Marc Pernot apprécie alors le serviteur à sa juste valeur :

« Son travail peut sembler bien peu de chose, rien de spectaculaire, et pourtant, revenant d’avoir accompli ces soins, il lui est donné de nourrir et servir Dieu lui-même avant de se servir soi-même. Je trouve cela beau, un peu comme David dansant devant l’arche. Ce n’est pas un sacrifice de soi-même, c’est même tout le contraire, c’est un amour du meilleur, dans le monde, pour le monde et en soi-même, pour soi-même. Sans oublier de manger après. C’est peut-être sa propre créativité qu’il a nourrie en nourrissant Dieu et en servant Dieu ? Avec la force aussi qu’il n’a pas oublié de prendre ensuite (bien sûr), ce serviteur a fait un travail sur l’être se concentrant là-dessus en mettant de côté le paraître. C’est peut-être cela la façon d’être mise ici en relief par Jésus. Le serviteur n’a certes pas été inutile puisqu’il a fait ce qu’il devait. Mais sa façon d’être est à la face du monde comme un manifeste de cette tranquillité de celui qui s’attache à faire ce qu’il peut en mettant la priorité sur ce qui est bien dans la profondeur de l’être.

Et ce serviteur se met alors à parler au pluriel, semblant rejoindre ainsi d’autres serviteurs de la profondeur. Ou rejoindre Dieu lui-même, spécialiste de cet humble travail en profondeur ? »


L’adjectif hébreu

4e5e95c8b7f0acb7f93fc7fc8c438cf6 serviteurQuel serait l’équivalent hébreu de l’adjectif grec ἀχρεῖος ? On le trouve dans la version hébraïque du passage concernant David : שָׁפָל (sha.phal)littéralement celui qui est en bas. En français, on dirait ‘humble’. David, tout roi prestigieux qu’il était, dansait humblement devant l’Arche, se sachant tout petit devant le Très-Haut. Les usages de ce terme abondent dans l’Ancien Testament pour encourager les petits qui comptent sur Dieu :

« YHWH élève les humbles שָׁפָל, les affligés parviennent au salut » (Jb 5,11).

« Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble שָׁפָל ; de loin, il reconnaît l’orgueilleux » (Ps 138,6).

« L’orgueil d’un homme l’humiliera, l’esprit humble שָׁפָל obtiendra la gloire » (Pr 29,23).

« Car ainsi parle Celui qui est plus haut que tout, lui dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint : J’habite une haute et sainte demeure, mais je suis avec qui est broyé, humilié שָׁפָל dans son esprit, pour ranimer l’esprit des humiliés שָׁפָל, pour ranimer le cœur de ceux qu’on a broyés » (Is 57,15).

Le royaume de David lui-même doit rester humble et modeste, sinon il s’éloignera de l’alliance :

« YHWH a pris quelqu’un de souche royale et a conclu une alliance avec lui ; il lui a fait prêter serment, après avoir enlevé les puissants du pays, pour que le royaume reste modeste שָׁפָל, sans s’élever, qu’il garde son alliance et qu’elle subsiste » (Ez 17,13-14).

L’Égypte également après l’orgueil des pharaons sera ramenée à plus de modestie afin de ne plus être le tyran qui asservit ses voisins :

« Je changerai la destinée des Égyptiens ; je les ferai revenir au pays de Patros, leur pays d’origine. Ils formeront un royaume modeste שָׁפָל. Il sera plus modeste שָׁפָל que les autres royaumes ; il ne s’élèvera plus au-dessus des nations. Je l’amoindrirai pour qu’il ne domine plus les nations » (Ez 29,14-15).

Comme quoi les royaumes, les régimes politiques eux aussi peuvent être de simples serviteurs, pour peu qu’ils mettent leur orgueil ultra-nationaliste de côté… Toute allusion à l’actualité de la guerre dans le monde serait bien sûr voulue.

Finalement, on devine dans l’adjectif hébreu שָׁפָל l’attitude de Marie coopérant de tout son cœur à l’œuvre de Dieu en elle, en sachant en sachant que tout vient de lui : « Je suis la servante du Seigneur », « Il a jeté les yeux sur son humble servante » (Luc, 1,38.48) …
Marie ne revendique rien pour elle, elle attribue tout à Dieu, ce qui la rend libre pour participer corps et âme au salut qui la traverse.

Puissions-nous dire ensemble : « nous sommes de simples serviteurs ».
Puissions-nous apprendre à nous rendre inutiles !

_____________________


[1]
 Intelligence linguistique, logico-mathématique, spatiale, intra-personnelle, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, musicale, naturaliste, existentielle (ou spirituelle).


[2]
https://jecherchedieu.ch/question/comment-vous-interpretez-et-vivez-cette-parabole-de-jesus-sur-le-serviteur-inutile-ou-quelconque/

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)

 

Lecture du livre du prophète Habacuc

Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent.
Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.
Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

 

PSAUME
(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !
 (cf. Ps 94, 8a.7d)

 

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

 

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

 

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 

DEUXIÈME LECTURE
« N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

 

ÉVANGILE
« Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10) Alléluia. Alléluia.
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée. Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD

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14 avril 2022

Le Vendredi Saint du Serviteur souffrant

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 32 min

Le Vendredi Saint du Serviteur souffrant

Homélie du Vendredi Saint / Année C
15/04/2022

Cf. également :

Le grand silence du Samedi Saint
Vendredi saint : les soldats, libres d’obéir
Vendredi Saint : la Passion musicale
Comme un agneau conduit à l’abattoir
Vendredi Saint : paroles de crucifié
Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ
Vendredi Saint : les morts oubliés
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Bas et hauts

Qu’y a-t-il de commun entre les juifs des camps de concentration et Socrate buvant la ciguë ? Ou bien entre Mandela croupissant en prison et les huguenots obligés de quitter la France ? Entre les esclaves noirs vendus sur le marché et Van Gogh interné dans un asile d’aliénés ? Tous ont en commun ce que notre première lecture appellerait la chute et le relèvement, le mépris et l’exaltation, la catastrophe et le salut. À l’instar de l’énigmatique personnage d’Isaïe 53, ils ont touché le fond, puis ont été rétablis dans leur dignité et plus haut encore, même si ce fut souvent après leur mort.

Les 6 millions de fantômes humains décharnés des camps nazis engendrèrent une terre – Eretz Israël - qui avait disparu depuis 2000 ans, fière, forte, redoutée, critiquée et admirée. Après 27 ans de cellule, le matricule 46664 de la prison de Robben Island devint ce premier président noir d’Afrique du Sud, immensément respecté et aimé. Socrate fut condamné pour avoir corrompu la jeunesse, mais ses écrits et sa pensée font désormais partie des fondations de l’Occident. Les huguenots exilés sont devenus les riches marchands des pays du Nord puis les premiers Américains, tout aussi puissants. Les esclaves noirs donnèrent à l’humanité le Gospel tant qu’ils étaient dans les fers, puis des poètes à foison et des hommes d’État admirables ensuite. Van Gogh termina lamentablement dans la folie, mais ses tableaux sont aujourd’hui unanimement reconnus, célébrés, exposés.

L’histoire est pleine de ces alternances chute / relèvement, mépris / exaltation, catastrophe / salut.
Notre première lecture (Is 52,13–53,12) connaît bien cette dialectique à l’œuvre dans nombre de parcours historiques. Isaïe décrit la trajectoire d’un mystérieux serviteur de YHWH, tombant au plus bas du mépris et de l’abandon par tous, puis relevé pour être le salut d’une multitude.

 

Qui est ce Serviteur souffrant ?

Le Vendredi Saint du Serviteur souffrant dans Communauté spirituelle couv_peb_71_serviteurL’expression est passée dans le commun biblique, grâce à un exégète qui a repéré en 1892 ce qu’on appelle depuis les quatre « chants du Serviteur souffrant » : 42,1-9 ; 49,1-7 ; 50,4-11 et 52,13-53,12.
N’est-il pas étrange cependant qu’un serviteur fidèle soit soumis à la souffrance ? Et plus étrange encore qu’il chute, immergé dans un océan de réprobation ?
Bien avant les chrétiens, les juifs se sont interrogés sur ces textes et leur portée les concernant. Les rabbins ont exploré successivement plusieurs hypothèses :

– Ce serviteur est peut-être une évocation d’Abraham, fidèle parmi les fidèles, obligé de quitter son pays, mais devenu une bénédiction pour tous les peuples de la terre.
Cependant, ça ne colle pas totalement, car le serviteur est frappé, châtié au nom de Dieu, ce qui n’est pas le cas d’Abraham.

– On pensa alors à Job : fidèle serviteur lui aussi, subissant malheur sur malheur, soi-disant infligés par Dieu injustement, et rétabli ensuite dans son honneur, sa dignité et sa richesse.
Là encore, ça ne colle pas tout à fait. Car le Serviteur souffrant devient le salut d’une multitude, pas Job.

- Alors les rabbins pensèrent à Joseph. Lui aussi fut comme le Serviteur souffrant vendu par ses frères, méprisé et humilié comme esclave, fidèle et sans péché puisqu’il a repoussé les avances de la femme de Putiphar. Lui, l’ancien esclave hébreu, va pourtant devenir le numéro deux du royaume de Pharaon, puissant, adulé. Il pourra ainsi sauver sa famille de la famine, lorsqu’ils viendront de Canaan pour quémander du blé à la riche Égypte. Sans Joseph, pas d’installation en Égypte, donc pas d’Exode ensuite, donc pas de Pâques…

– D’autres personnages peuvent prétendre au titre de Serviteur souffrant, notamment ceux qui ont permis la reconstruction du Temple détruit par l’envahisseur. Ainsi les rois Yoyakin et Zorobabel ont traversé l’épreuve de l’exil à Babylone pour redonner espérance à leur peuple de retour sur leur terre, et sont salués du titre de « serviteur de YHWH » par les prophètes Aggée et Zacharie.

– Finalement, les rabbins se dirent que le Serviteur souffrant était peut-être tout autant un personnage du futur que du passé. Ils y virent un portrait du Messie à venir, dont le salut ne serait pas limité à Israël.

Les chrétiens n’auront évidemment aucun mal à emboîter le pas à ces différentes interprétations rabbiniques, pour les appliquer à Jésus, Messie crucifié, injustement méprisé, condamné, éliminé par tous, mais relevé par Dieu pour être la lumière de toutes les nations. C’est pourquoi la grande liturgie non-eucharistique du Vendredi Saint commence par cette lecture du Serviteur souffrant d’Isaïe : la véritable eucharistie est de faire de sa vie une offrande telle que le Serviteur souffrant l’incarnait, de sa déchéance initiale à sa réussite finale.

 

Le concept de personnalité corporative

15235062 Isaïe dans Communauté spirituelleReprenons le fil des exégèses rabbiniques. Recouvrant l’ensemble des grandes figures d’Israël, le Serviteur souffrant pourrait être en définitive le peuple lui-même, s’incarnant tour à tour en Abraham, Job, Joseph, Zorobabel ou le Messie. C’est un procédé biblique assez fréquent que les spécialistes appellent « corporate personnality ». En bon français, cela signifie que le groupe est une unité synchronique et diachronique qui peut agir, parler ou être traité comme un seul homme. La notion de personnalité corporative est cet aspect de la psychologie hébraïque qui rend compte du fait que « tout le groupe englobant les membres antérieurs, présents et futurs peut agir comme un seul individu, par l’entremise de n’importe quel membre conçu comme représentant du groupe » (Henry Wheeler Robinson, 1935). Elle implique une relation étroite et dans certains cas une identification de l’individu à son groupe.

Au sein d’une grande entreprise actuelle, « résonner corporate » dans le jargon managérial implique que chacun adhère aux intérêts du groupe pris dans son ensemble, et qu’entre le groupe et lui il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes. Isaïe raisonne corporate lorsqu’il met en scène un Serviteur qui est lié au peuple comme le peuple se lie à lui. Pour les rabbins, c’est alors ce petit peuple à la nuque raide, souvent persécuté et humilié, qui devient dans l’histoire humaine l’instrument du salut de YHWH pour toutes les nations.

Pour les chrétiens, le Serviteur souffrant désigne bien sûr le Christ, dans sa Passion-exaltation, mais également le corps du Christ, l’Église qui fait resplendir la lumière du Messie crucifié sur toute l’humanité, comme la lune fait malgré la nuit resplendir le soleil en son absence.

 

Changer de regard

Voilà pourquoi contempler le Serviteur souffrant en ce Vendredi Saint nous appelle à un triple changement de regard :

les-grands-vaincus-de-l-histoire Metz– changer notre regard sur les vaincus de l’histoire.
Apparemment, le Serviteur souffrant a été balayé de la scène. On a voulu l’éliminer des mémoires et pas seulement physiquement. On a voulu nier son droit à exister et pas seulement l’exterminer. L’histoire aurait dû s’écrire sans lui, comme l’histoire officielle de l’empire romain ne fait aucune mention d’un obscur crucifié juif d’une province reculée. La ‘revanche de Dieu’, c’est justement la réinscription de la mémoire des vaincus dans le récit collectif. C’est la réhabilitation – même post-mortem – de ceux que les puissants avaient jetés aux oubliettes de leurs manuels scolaires.
Le théologien Jean-Baptiste Metz y voit l’une des missions les plus signifiantes de l’Église : transmettre ce souvenir dangereux et libérant de Jésus Messie humilié, qui presse le présent et le met en question, qui libère de toute absolutisation de quelque pouvoir que ce soit, qui permet de critiquer la société, ses orientations vers le succès, la rationalité et la production, et qui permet de s’engager à la suite de Jésus envers les plus démunis parmi les frères. Ce souvenir dangereux implique solidarité avec le passé, avec les morts, les vaincus ; l’Église transmet cette mémoire dangereuse dans les structures de la vie sociale.
Le thème de la « mémoire des vaincus » avait déjà, quelques années avant Jean-Baptiste Metz, hanté les écrits de Walter Benjamin. En 1940, dans ses thèses « Sur le concept d’histoire », le philosophe juif avait refusé de passer par pertes et profits les défaites et désastres humains jonchant l’histoire de l’humanité. Il s’était dressé contre « l’histoire des vainqueurs » qui avale, digère et oublie la souffrance des vaincus.
Pour Jean-Baptiste Metz, c’est en étant « souvenir dangereux de la liberté de Jésus-Christ » que la foi chrétienne conserve une pertinence. Une pertinence spirituelle, mais aussi « pratique », sociale et politique. Dans des sociétés où les promesses de libération héritées des Lumières n’ont pas encore été réalisées, où nombre d’humains ne peuvent encore être sujets de leur propre existence, la mémoire chrétienne doit provoquer un réveil. Elle vient « briser le cercle enchanteur de la conscience dominante ». Elle se dresse contre le mythe d’un ‘Progrès’ qui ne voudrait pas voir ce qu’il brise sur son chemin.
La mémoire met en péril l’assurance des puissants, des installés, de ceux qui semblent profiter du système en place. Elle ouvre sur une solidarité avec les exclus. Elle ne permet plus à la foi de se réduire à une attitude intellectualiste ou à une posture privée. Pour Metz, l’Église a désormais pour raison d’être de porter ce projet de liberté dans la société. L’Église doit se définir et s’attester comme celle qui témoigne et transmet publiquement un souvenir dangereux de la liberté dans les systèmes de notre société oublieuse des perdants.

Les oubliés de l’histoire aujourd’hui pourraient bien être les Arméniens dont la Turquie voudraient effacer le génocide de 1915-16 ; ou les Ouïghours que la Chine communiste voudrait cacher dans des camps loin de toute caméra, comme elle a dispersé les tibétains pour coloniser le Tibet ; ou l’Ukraine, les pays baltes, la Géorgie à qui on a soustrait l’Ossétie du sud et l’Abkhazie : ils seront priés de souffrir en silence sous la patte de l’ours russe etc… Le Serviteur souffrant sera encore la figure collective de ces minorités religieuses non-hindoues persécutées en Inde, ou non-musulmanes persécutées dans les États musulmans. Et comment penser sans frémir aux millions de vies humaines interrompues chaque année volontairement avant leur naissance ? L’eugénisme se banalise sans que nos consciences s’en émeuvent…

 

61ltNL6-+tS._AC_SY445_ Passion– changer notre regard sur les méprisés
La dimension singulière, personnelle du Serviteur souffrant nous appelle à le reconnaître sur le visage de ceux que tous méprisent. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les invisibles de nos sociétés disparaissent de nos préoccupations. Les SDF (plus de 150 000 en France !) font partie de la misère jugée incompressible, et on s’y habitue. On n’en parle plus.
Chaque être humain rejeté et stigmatisé retrouve sa vraie dignité sous les traits du Serviteur souffrant : « il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien ».

Nous ne nous battons pas seulement pour des causes collectives, mais en même temps pour des visages, des personnes, Pierre, Aïcha, Raja ou Itzhak. La dimension personnelle du Serviteur souffrant nous oblige à ne pas traiter que des statistiques ou de la macro-économie : c’est mon voisin, mon collègue, le clochard de ma rue… Se battre pour leur redonner un nom, un visage, une identité singulière est la première fidélité aux chants du Serviteur souffrant.

 

du-pourquoi-vers-le-pour-quoi-article-eb-consult serviteur- changer notre regard sur nos épreuves
Les minorités oubliées, les personnes méprisées : la troisième incarnation du Serviteur souffrant, c’est moi-même ! Uni au Christ dans sa Passion, je peux vivre les épreuves qui m’accablent avec la force de sa résurrection. « Durcissant mon visage comme pierre », je peux résister aux catastrophes qui parfois semblent s’acharner sur moi en faisant corps avec ce Serviteur souffrant qu’Isaïe nous promet victorieux de tout mal. Lui qui est juste peut sauver les injustes que nous sommes. Mon épreuve peut alors changer de sens : au lieu de m’épuiser à me demander pourquoi cela m’arrive, je vais chercher pour quoi elle me transforme, c’est-à-dire ce vers quoi elle peut finalement me conduire. L’exaltation du Serviteur souffrant m’annonce la traversée de mon épreuve pour l’ouvrir sur autre chose, que Dieu seul connaît, qui relève de son don gracieux.

En ce Vendredi Saint, contemplons l’homme des douleurs de la Passion, en y reconnaissant les traits du Serviteur d’Isaïe. Plus nous le contemplerons, plus notre regard sur les Passions actuelles changera…

 

Lectures de l’Office de la Passion

Première lecture
« C’est à cause de nos fautes qu’il a été broyé » (Is 52, 13 – 53, 12)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme. Il étonnera de même une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler.
Qui aurait cru ce que nous avons entendu ? Le bras puissant du Seigneur, à qui s’est-il révélé ? Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous.
Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. Arrêté, puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est inquiété de son sort ? Il a été retranché de la terre des vivants, frappé à mort pour les révoltes de son peuple. On a placé sa tombe avec les méchants, son tombeau avec les riches ; et pourtant il n’avait pas commis de violence, on ne trouvait pas de tromperie dans sa bouche. Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira.
Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs.

Psaume
(30 (31), 2ab.6, 12, 13-14ad, 15-16, 17.25)
R/ Ô Père, en tes mains je remets mon esprit.
 (cf. Lc 23, 46)

En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ;
garde-moi d’être humilié pour toujours.
En tes mains je remets mon esprit ;
tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité.

Je suis la risée de mes adversaires
et même de mes voisins ;
je fais peur à mes amis,
s’ils me voient dans la rue, ils me fuient.

On m’ignore comme un mort oublié,
comme une chose qu’on jette.
J’entends les calomnies de la foule :
ils s’accordent pour m’ôter la vie.

Moi, je suis sûr de toi, Seigneur,
je dis : « Tu es mon Dieu ! »
Mes jours sont dans ta main : délivre-moi
des mains hostiles qui s’acharnent.

Sur ton serviteur, que s’illumine ta face ;
sauve-moi par ton amour.
Soyez forts, prenez courage,
vous tous qui espérez le Seigneur !

Deuxième lecture
Il apprit l’obéissance et il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel (He 4, 14-16 ; 5, 7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours. Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

Évangile
Passion de notre Seigneur Jésus Christ (Jn 18, 1 – 19, 42)
Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur.
 Pour nous, le Christ est devenu obéissant, jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom. Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. (cf. Ph 2, 8-9)

La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Jean
Indications pour la lecture dialoguée : les sigles désignant les divers interlocuteurs sont les suivants :
X = Jésus ; L = Lecteur ; D = Disciples et amis ; F = Foule ; A = Autres personnages.

L. En ce temps-là, après le repas, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. Judas, avec un détachement de soldats ainsi que des gardes envoyés par les grands prêtres et les pharisiens, arrive à cet endroit. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils lui répondirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Il leur dit : X « C’est moi, je le suis. » L. Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. Quand Jésus leur répondit : « C’est moi, je le suis », ils reculèrent, et ils tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils dirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Jésus répondit : X « Je vous l’ai dit : c’est moi, je le suis. Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. » L. Ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. » Or Simon-Pierre avait une épée ; il la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus. Jésus dit à Pierre : X « Remets ton épée au fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, vais-je refuser de la boire ? » L. Alors la troupe, le commandant et les gardes juifs se saisirent de Jésus et le ligotèrent. Ils l’emmenèrent d’abord chez Hanne, beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là. Caïphe était celui qui avait donné aux Juifs ce conseil : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple. » Or Simon-Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivait Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre. Pierre se tenait près de la porte, dehors. Alors l’autre disciple – celui qui était connu du grand prêtre – sortit, dit un mot à la servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre. Cette jeune servante dit alors à Pierre : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un des disciples de cet homme ? » L. Il répondit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un feu de braise pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer. Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : X « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit. » L. À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : A. « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » L. Jésus lui répliqua : X « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » L. Hanne l’envoya, toujours ligoté, au grand prêtre Caïphe. Simon-Pierre était donc en train de se chauffer. On lui dit : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un de ses disciples ? » L. Pierre le nia et dit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, insista : A. « Est-ce que moi, je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » L. Encore une fois, Pierre le nia. Et aussitôt un coq chanta. Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal. Pilate sortit donc à leur rencontre et demanda : A. « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » L. Ils lui répondirent : F. « S’il n’était pas un malfaiteur, nous ne t’aurions pas livré cet homme. » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le suivant votre loi. » L. Les Juifs lui dirent : F. « Nous n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort. » L. Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir. Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : A. « Es-tu le roi des Juifs ? » L. Jésus lui demanda : X « Dis-tu cela de toi-même, Ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » L. Pilate répondit : A. « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » L. Jésus déclara : X « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » L. Pilate lui dit : A. « Alors, tu es roi ? » L. Jésus répondit : X « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » L. Pilate lui dit : A. « Qu’est-ce que la vérité ? » L. Ayant dit cela, il sortit de nouveau à la rencontre des Juifs, et il leur déclara : A. « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? » L. Alors ils répliquèrent en criant : F. « Pas lui ! Mais Barabbas ! » L. Or ce Barabbas était un bandit. Alors Pilate fit saisir Jésus pour qu’il soit flagellé. Les soldats tressèrent avec des épines une couronne qu’ils lui posèrent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau pourpre. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : F. « Salut à toi, roi des Juifs ! » L. Et ils le giflaient. Pilate, de nouveau, sortit dehors et leur dit : A. « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Jésus donc sortit dehors, portant la couronne d’épines et le manteau pourpre. Et Pilate leur déclara : A. « Voici l’homme. » L. Quand ils le virent, les grands prêtres et les gardes se mirent à crier : F. « Crucifie-le! Crucifie-le! » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Ils lui répondirent : F. « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » L. Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte. Il rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : A. « D’où es-tu? » L. Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : A. « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » L. Jésus répondit : X « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand. » L. Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher ; mais des Juifs se mirent à crier : F. « Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. » L. En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors; il le fit asseoir sur une estrade au lieu dit le Dallage – en hébreu : Gabbatha. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure, environ midi. Pilate dit aux Juifs : A. « Voici votre roi. » L. Alors ils crièrent : F. « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » L. Pilate leur dit : A. « Vais-je crucifier votre roi ? » L. Les grands prêtres répondirent : F. « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. » L. Alors, il leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié. Ils se saisirent de Jésus. Et lui-même, portant sa croix, sortit en direction du lieu dit Le Crâne (ou Calvaire), qui se dit en hébreu Golgotha. C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. » Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que l’endroit où l’on avait crucifié Jésus était proche de la ville, et que c’était écrit en hébreu, en latin et en grec. Alors les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : F. « N’écris pas : “Roi des Juifs” ; mais : “Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs.” » L. Pilate répondit : A. « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. » L. Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : A. « Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura. » L. Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats. Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : X « Femme, voici ton fils. » L. Puis il dit au disciple : X « Voici ta mère. » L. Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : X « J’ai soif. » L. Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : X « Tout est accompli. » L. Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. (Ici on fléchit le genou, et on s’arrête un instant.) Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Écriture dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
Patrick BRAUD

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