L'homélie du dimanche (prochain)

10 juin 2022

Marthe + Marie = Lydie !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Marthe + Marie = Lydie !

Homélie pour le 16° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
17/07/2022

Cf. également :

Jesus, don’t you care ?
Le rire fait chair
Choisir la meilleure part
Le je de l’ouïe
Bouge-toi : tu as de la visite !
Dieu trop-compréhensible
« J’ai renoncé au comparatif »

Une histoire de verres d’eau

Marthe + Marie = Lydie ! dans Communauté spirituelle 12966064-diff%C3%A9rents-types-de-verres-pleins-d-eauDans Histoire d’une âme, ses manuscrits autobiographiques, Thérèse de l’Enfant-Jésus raconte ce souvenir d’enfance :
« Une fois, je m’étonnais de ce que le Bon Dieu ne donne pas une gloire égale dans le Ciel à tous les élus, et j’avais peur que tous ne soient pas heureux. Alors Pauline me dit d’aller chercher le grand verre à papa et de le mettre à côté de mon tout petit dé à coudre, puis, de les remplir d’eau, ensuite elle me demanda lequel était le plus plein. Je lui dis qu’ils étaient aussi pleins l’un que l’autre et qu’il était impossible de mettre plus d’eau qu’ils n’en pouvaient contenir ». Elle précise : « Pauline me fit comprendre qu’au Ciel le Bon Dieu donnerait à ses élus autant de gloire qu’ils en pourraient contenir et qu’’ainsi le dernier n’aurait rien à envier au premier ».

Cette belle métaphore de Pauline tue dans l’œuf toute tentative de comparatif entre les dons accordés par Dieu à chacun ! Saint Pierre n’est pas plus ni moins heureux que Sainte Thérèse, saint Paul n’a pas plus ni moins de gloire que Mère Teresa etc. Chacun est comblé à sa mesure, selon les spécificités de son être.

Autrement dit : la plénitude est incommensurable.
Même si le dé à coudre contient objectivement 10 fois moins que la chope de bière, sa plénitude n’a rien à envier à celle de la chope ! Parler de bonheur – surtout en Dieu – demande de renoncer au comparatif, car la pleine mesure de l’un n’est pas celle de l’autre.

On comprend alors pourquoi la traduction liturgique de l’Évangile de ce dimanche nous met sur une fausse piste (comme trop souvent hélas !). Dans le célébrissime épisode de Marthe et Marie, Marie n’a pas choisi la meilleure part (l’erreur de traduction remonte à saint Jérôme lorsqu’il traduisit la Vulgate, du grec au latin, au V° siècle), mais la bonne part (agathos en grec, qui a donné le prénom Agathe). Et ça change tout ! Car, en renonçant au comparatif, le texte original n’invite pas à dévaloriser Marthe au profit de Marie, mais indique juste que Marie a trouvé la plénitude qui lui convient.

« Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure bonne (ἀγαθὴν = agathos) part, elle ne lui sera pas enlevée » (Lc 10,42).

On verra plus bas que le reproche fait à Marthe n’est pas un reproche et ne porte pas sur sa part à elle. Pour l’instant, surlignons avec force que Jésus n’établit pas de hiérarchie entre la cuisine et la présence, le service et l’écoute, l’action et la contemplation. Il ne dit pas que Marie a choisi la meilleure part, mais la part qui lui correspond, qui en cela est la bonne part pour elle.

 

Qu’est-ce qu’une part ?

2016-203 action dans Communauté spirituelleEn français, on pense immédiatement à une part de gâteau : ‘prendre sa part du gâteau’ signifie retirer les bénéfices (honnêtes ou non !) d’un projet qu’on a réussi, quitte à se tailler ‘la part du lion’ si l’on est en position de force.

Dans la Bible, l’usage du mot est assez différent : loin d’être une mainmise cupide, la part biblique est d’abord la portion d’héritage que reçoit chacun des enfants à la mort des parents. Ainsi les deux sœurs, Rachel et Léa, s’interrogent : « Rachel et Léa lui firent cette réponse : Avons-nous encore une part, un héritage, dans la maison de notre père ? » (Gn 31,14). Par définition, cette part se reçoit. C’est le défunt qui a décidé pour chacun avant de mourir quelle serait sa part. Si bien que l’égalité arithmétique est rarement le critère du partage voulu par celui qui lègue. Ce qui suscite d’ordinaire bien des jalousies, car frères et sœurs veulent comparer au lieu d’accepter l’incommensurable. Le premier héritage est d’ailleurs celui que Dieu se reconnaît en Israël : ce peuple à la nuque raide lui est donné comme sa part d’héritage. « Le lot du Seigneur, ce fut son peuple, Jacob, sa part d’héritage » (Dt 32,9). À Dieu de se débrouiller avec !

Marthe et MarieLe deuxième héritage est la terre que les 12 tribus ont reçue en partage, et là encore la stricte égalité n’est pas possible, car chaque territoire est différent d’un autre, de la petite enclave de Dan au nord au désert de Ruben sur la rive est de la Mer Morte au sud. D’ailleurs, une tribu a reçu une part d’héritage complètement différente des onze autres, puisque la tribu de Lévi est sans-terre, entièrement consacrée au service du culte divin : « Lévi n’a pas reçu sa part d’héritage comme ses frères. C’est le Seigneur qui est son héritage, comme l’a dit le Seigneur notre Dieu » (Dt 10,9). Encore une différence de part qui n’est pas une hiérarchie, ni un comparatif !
« Rendez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière » (Col 1,12).

En plus de sa signification liée à l’héritage, la part biblique désigne également le fait d’avoir part à quelque chose, de participer à, d’être en lien, en communion avec. Paul par exemple demande aux corinthiens de ne pas participer aux cultes idolâtriques qui se pratiquent autour d’eux : « Ne formez pas d’attelage mal assorti avec des non-croyants : quel point commun peut-il y avoir entre la condition du juste et l’impiété ? quelle communion de la lumière avec les ténèbres ? quel accord du Christ avec Satan ? ou quelle part pour un croyant avec un non-croyant ? » (2 Co 6,14–15). En ce sens, on réalise que la part de Marie est bien d’être en communion avec le Christ, d’avoir part à son être en buvant ses paroles et en se rassasiant de sa présence.

 

Choisir sa part

moule-a-gateau ContemplationD’habitude, c’est Dieu qui choisit : choisir est un acte divin ! « Jésus appela ses disciples et en choisit douze auxquels il donna le nom d’Apôtres » (Lc 6,13). « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis… » (Jn 15,16).
Ou alors c’est l’Église qui choisit en appelant quelqu’un à servir (ministère). Ainsi pour les diacres : « Ces propos plurent à tout le monde, et l’on choisit : Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un converti au judaïsme, originaire d’Antioche » (Ac 6,5).
Ou ce sont les convives qui choisissent les meilleures places, les premières (Lc 14,7).

Par contre, si on parle de part d’héritage, il est plus difficile de voir Marie la choisir. Car le testament impose la répartition sans demander leur avis aux héritiers. La seule exception où l’on peut choisir sa part d’héritage est quand les parents demandent de leur vivant à leurs enfants d’indiquer chacun ce qu’il préfère dans les meubles, les bijoux, les tableaux, les maisons ou appartements etc. J’ai vécu cela en famille, en présence des parents, pour des biens qui n’étaient pas partageables. Là, il faut choisir. De même, après leur mort, nous sommes partagés d’un commun accord babioles et autre bijoux dont la valeur était surtout sentimentale, liée aux souvenirs d’enfance de chacun, et donc incommensurable.

Il est donc possible de choisir sa part d’héritage, non pas sur le fond (je serai toujours le fils de mes parents, quoi qu’il arrive) mais dans sa modalité (préférer tel objet, telle manière de vivre ou de penser qui vient d’eux plutôt que telle autre).

Marie fait son choix (écouter), et on peut penser que Jésus a deviné l’importance majeure qu’a eue pour Marie le fait de prendre une décision. Marie a choisi, en conscience, ce qui lui correspondait le mieux. Alors que Marthe subit. Elle se dit coincée dans ses cuisines par les obligations du service, étouffée par les contraintes de l’hospitalité. Elle en est tellement amère qu’elle ne supporte pas le bonheur de sa sœur qui s’est libérée de ces contraintes non choisies. La part du service qui occupe Marthe ici n’est ni moins ni plus valable que la part choisie par Marie. Jésus lui fait simplement constater, avec beaucoup de finesse et de douceur (« Marthe, Marthe… ») que Marie a choisi alors que elle subit. Subir le service de l’autre au lieu de le vouloir, c’est comme faire l’aumône avec mépris, ou faire un compliment du bout des lèvres : la manière de le faire contredit ce que l’on fait.

Jésus disait ainsi quelque chose du genre : ‘Marthe, Marthe, tu subis le service des invités au lieu de le vouloir. À cause de cela, tu le fais avec acrimonie et jalousie envers ta sœur. Marie, elle, a choisi d’écouter. Puisqu’elle l’a choisi, c’est pour elle la bonne part, sa part. Tu pourrais toi aussi choisir de faire ce que tu fais, et ta part serait alors la bonne pour toi également, car ce serait celle que tu aurais choisie. Et tu l’accomplirais avec joie, en chantant, en étant en communion avec moi dans ton ouvrage comme Marie l’est dans son écoute. Choisis donc ce que tu fais, que ce soit le service ou l’écoute. C’est là la bonne part pour chacune ».

Marc a sûrement compris ce que Jésus lui disait ainsi. Car on la voit dans l’Évangile de Jean professer sa foi en la résurrection devant Jésus allant voir le tombeau de son frère Lazare, mort depuis 4 jours. Et surtout, on la voit servir (c’est le mot diaconie qui est employé), telle une diaconesse, le souper au cours duquel une femme – une autre Marie ! - viendra répandre du parfum sur les pieds de Jésus (elle aussi aura choisi sa part, la bonne part) : « On donna un repas en l’honneur de Jésus. Marthe faisait le service, Lazare était parmi les convives avec Jésus » (Jn 12,2). Ce service-là semble beaucoup plus paisible que chez Luc, et il est facile d’imaginer Marthe heureuse d’avoir cette fois-ci choisi d’habiter pleinement le service des tables qui lui permet d’être en pleine communion avec le Christ.

Subir son métier, son couple, ses activités n’apporte qu’amertume, jalousie, rivalité.
Choisir sa part d’héritage nous donne d’être en paix avec nous-mêmes, là où nous devons être, chacun à la place qui lui correspond, sans hiérarchie.

 

Lydie, ou la synthèse de Marthe et Marie

La version de Jean nous montre déjà Marthe ayant surmonté son non-choix du service. Il existe un autre épisode raconté par Luc, dans les Actes des apôtres, où l’on peut voir une femme hyperactive comme Marthe faire comme Marie le choix de l’écoute. Il s’agit de Lydie, une commerçante, une femme de la ville, qui vend du tissu. S’échappant de son commerce, Lydie elle aussi est une femme qui écoute, longuement : elle écoutait (Ac 16,14). Le verbe est à l’imparfait (aoriste), pour exprimer une durée (ἀκούω = akouō, qui a donné acouphène pour désigner justement un trouble de l’audition). C’est le même verbe que pour Marie (Lc 10,39 : Marie écoutait), alors que Lydie est d’habitude une femme d’affaires très active, riche et renommée commerçante, avec sans doute un fort caractère et un fort pouvoir de persuasion, la preuve :

 écoute« Nous avons passé un certain temps dans cette ville de Philippes et, le jour du sabbat, nous en avons franchi la porte pour rejoindre le bord de la rivière, où nous pensions trouver un lieu de prière. Nous nous sommes assis, et nous avons parlé aux femmes qui s’étaient réunies. L’une d’elles nommée Lydie, une négociante en étoffes de pourpre, originaire de la ville de Thyatire, et qui adorait le Dieu unique, écoutait. Le Seigneur lui ouvrit l’esprit pour la rendre attentive à ce que disait Paul. Quand elle fut baptisée, elle et tous les gens de sa maison, elle nous adressa cette invitation : ‘Si vous avez reconnu ma foi au Seigneur, venez donc dans ma maison pour y demeurer.’ C’est ainsi qu’elle nous a forcé la main » (Ac 16,12-16).

Luc précise ensuite que la maison de Lydie était devenue la petite Église domestique de Paul. Elle aidait la communauté naissante de son hospitalité et de ses richesses, sans doute aussi de ses soutiens chez les gens influents en ville. Sans renier son commerce, Lydie a su se ménager la part d’écoute qui lui était vitale. En allant au bord de la rivière, elle a choisi d’écouter, et elle a choisi de continuer son négoce ensuite avec autorité pour le faire servir à l’Église de Philippe.

L’important pour nous n’est-il pas d’habiter intensément le moment présent, en le choisissant de tout cœur, que ce soit le temps de service ou le temps de l’écoute ?

 

Résumons-nous :

Marthe-Marie héritage– Il n’y a pas de commune mesure entre la plénitude correspondant à l’un et celle convenant à l’autre. Cette incommensurabilité élimine toute hiérarchie, tout comparatif dans la part occupée par chacun.

– La bonne part de Marie n’est pas la meilleure. C’est la sienne : elle l’a choisie et la vit intensément.

– Jésus ne reproche pas à Marie de faire le service, il lui fait constater qu’elle le subit au lieu de le choisir.

– La diaconie comme l’écoute peuvent être la bonne part, si c’est celle que nous choisissons.

– Lydie, business woman sponsorisant la start-up chrétienne de Philippe, choisit tantôt d’être Marthe au service des frères, tantôt d’être Marie écoutant la Parole au bord de la rivière. Devenons cette Lydie-là, habitant pleinement ce que nous choisissons de faire ou d’être au moment où nous le décidons !

 

Lectures de la messe
1ère lecture 

« Mon seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur » (Gn 18, 1-10a)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. » Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. » Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »

Psaume
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ?
 (Ps 14, 1a)

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.

Il met un frein à sa langue.
Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.

À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.
Il ne reprend pas sa parole.

Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

Deuxième lecture
« Le mystère qui était caché depuis toujours mais qui maintenant a été manifesté » (Col 1, 24-28)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. De cette Église, je suis devenu ministre, et la mission que Dieu m’a confiée, c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole, le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire ! Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.

Évangile
« Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part » (Lc 10, 38-42)
Alléluia. Alléluia. 
Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. Alléluia. (cf. Lc 8, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Patrick BRAUD

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24 avril 2022

Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ?

Homélie du 3° Dimanche de Pâques / Année C
01/05/2022

Cf. également :
Les 153 gros poissons
Quand tu seras vieux…
Le devoir de désobéissance civile
Les 7 mercenaires
L’agneau mystique de Van Eyck

Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ? dans Communauté spirituelle IMG_1032-e1414437391837-768x1024Tous ceux qui aiment la voile savent qu’il faut bien se capeler avant de prendre la mer. Les étourdis qui embarqueraient pieds nus le regretteraient vite : il y a tant d’aspérités, d’angles et d’objets contondants sur un bateau qu’on a vite fait de se cogner un orteil, de se prendre une écharde ou de se déchirer la plante des pieds sur un rail d’écoute ou une manille… Il n’y a guère que les nudistes invétérés qui osent rester nus sur un voilier, et encore : en Méditerranée, par mer très calme, sur un catamaran !
Alors, quand notre évangile du jour (Jn 21,1-19) nous dit que Pierre était nu dans sa barque de pêche, on ouvre de grands yeux ! « Quand Simon Pierre entendit que c’était le Seigneur, il mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu (γυμνς = gymnos), et se jeta dans la mer » (Jn 21,7).
Le matériel de pêche – filets, hameçons, lignes, épuisettes – n’est certes pas le meilleur allié du nudisme. Un vrai pêcheur se capèle pour aller brasser son matériel en mer, et Pierre est un vrai pêcheur. Pourquoi diable Jean mentionne-t-il la nudité invraisemblable de son ami en pleine campagne de pêche ?

Écartons tout de suite une réponse trop facile, trop simpliste, du style : c’était l’habitude des pêcheurs de l’époque. Nous n’avons aucune trace de cette soi-disant habitude, et répétons-le elle est invraisemblable. Allez essayer de pêcher tout nu dans une barque en bois pleine d’hameçons et de filets, et vous ne rapporterez pas que des palourdes… C’est bigrement dangereux de ne pas être couvert sur un bateau !
Ce détail est d’autant plus troublant que Pierre se rhabille pour se jeter à l’eau. Normalement c’est l’inverse, car nager avec des vêtements n’est ni facile ni naturel.
Évidemment, ce détail est voulu. Essayons d’en décliner quelques interprétations possibles, en lien avec la résurrection de Jésus qui fait l’objet du chapitre 21 de Jean, avec les conséquences pour nous lecteurs.

 

1. Vêtir ceux qui sont nus et d’abord soi-même

martin-of-tours barque dans Communauté spirituelleJean connaît l’Évangile de Matthieu lorsqu’il écrit vers 90. Il a déjà lu la fresque grandiose du Jugement dernier de Mt 25 : « j’étais nu et vous m’avez habillé ». Vêtir ceux qui sont nus est un des critères du Jugement qui annonce la venue du Fils de l’homme à la fin des temps. La venue du Ressuscité sur le rivage du lac provoque Pierre à se vêtir pour paraître devant lui : charité bien ordonnée commence par soi-même… Un premier sens de ce détail du texte pourrait alors être - de manière inattendue – l’amour de soi, le self care. Un peu comme on dit à une personne âgée de ne pas se négliger, de ne pas se laisser aller, de se pomponner au lieu de rester toute la journée en robe de chambre et pantoufles. Pierre s’habille, et on peut penser que c’est le Christ qu’il revêt ainsi symboliquement avec ce pagne de lin serré autour de sa taille. Prendre soin de soi, c’est revêtir la dignité et les mœurs du Christ, au lieu de rester dans un état de nature ne conduisant qu’à des œuvres stériles, à l’image de la pêche infructueuse de Pierre lorsqu’il était nu. Les nouveaux baptisés savent qu’ils revêtent le Christ en rentrant dans l’eau baptismale où ils ont été plongés nus : en sortant du bain, on les enveloppait d’un ample vêtement blanc symbolisant la vie nouvelle en Christ.

Pierre réactualise en quelque sorte sa participation à la Passion du Christ dans laquelle il vient d’être plongé les semaines précédentes, il prend soin de lui-même en ne restant pas nu pour aller vers le Christ.

 

2. La nudité, signe du désarroi humain

jardindesdelicesgaucheg nuditéDans les cités grecques ou dans l’Empire romain, la nudité était pourtant bien vue. Songez aux thermes, aux sportifs, aux athlètes nus des Jeux Olympiques. D’ailleurs en grec, le mot nu(γυμνς = gymnos) qu’emploie notre évangile en Jn 21,7 a donné en français le mot gymnase, endroit où l’on pratique les sports en étant nu.
Dans la Bible, la nudité ne glorifie pas la force ou la beauté de l’être humain comme chez les Grecs. Elle est plutôt le signe d’une faiblesse radicale, et d’un désarroi existentiel. On pense immédiatement à Adam et Ève dans le jardin d’Éden après le premier péché où ils ont décidé par eux-mêmes ce qui est bien ou mal : « ils virent qu’ils étaient nus ». Cette nudité nourrit la peur de l’homme de paraître devant Dieu : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché » (Gn 3,10). Pierre comme Adam aurait peur de paraître devant le Ressuscité en restant nu.

Depuis la Genèse, la nudité a toujours été dans la Bible associée à la faiblesse et à la honte.
- Ainsi Noé maudit son fils Cham parce qu’il l’a vu nu sous sa tente après s’être saoulé. Les deux autres fils ont couvert la nudité de leur père sans la regarder, et cela leur fut compté comme justice. « Noé, homme de la terre, fut le premier à planter la vigne. Il en but le vin, s’enivra et se retrouva nu au milieu de sa tente. Cham, le père de Canaan, vit que son père était nu et il en informa ses deux frères qui étaient dehors. Sem et Japhet prirent le manteau, le placèrent sur leurs épaules à tous deux et, marchant à reculons, ils en couvrirent leur père qui était nu. Comme leurs visages étaient détournés, ils ne virent pas la nudité de leur père » (Gn 9,20-23).
Pierre couvre sa nudité comme pour dessaouler de son reniement…

joseph-tunique-450x450 pêche- Ainsi Joseph est dépouillé de sa tunique par ses frères pour l’humilier et le vendre comme esclave. « Dès que Joseph eut rejoint ses frères, Ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique de grand prix qu’il portait » (Gn 37,23). La tunique prise à Jacob fait penser à la tunique qu’on enlèvera à Jésus pour le crucifier.
Pierre revêtira la tunique dont l’avait dépouillé sa triple trahison.

- Ainsi le prophète Osée compare Israël à une prostituée qui se vend nue aux idoles de Canaan, et que Dieu va venir confondre en mettant son cœur à nu devant tous : « Accusez votre mère, accusez-la, car elle n’est plus ma femme, et moi, je ne suis plus son mari ! Qu’elle écarte de son visage ses prostitutions, et d’entre ses seins, ses adultères ; sinon, je la déshabille toute nue, je l’expose comme au jour de sa naissance, je la rends pareille au désert, je la réduis en terre aride et je la fais mourir de soif. […] C’est pourquoi je reviendrai […] ; j’arracherai ma laine et mon lin dont elle couvrait sa nudité. Alors je dévoilerai sa honte aux yeux de ses amants, et nul ne la délivrera de ma main » (Os 2,4–12).
La honte de Pierre devant sa faute va lui permettre de retrouver son alliance avec le Christ.

- Ainsi le prophète Isaïe choisit symboliquement de marcher nu sur les chemins de Palestine pendant trois ans, pour annoncer la défaite des puissants de l’époque, qui seraient bientôt mis à nu par YHWH : « Le Seigneur dit : De même que mon serviteur Isaïe est allé dévêtu, les pieds nus, pendant trois ans, signe et présage pour l’Égypte et l’Éthiopie, de même le roi d’Assour emmènera les prisonniers d’Égypte et les déportés d’Éthiopie, les jeunes et les vieux, dévêtus, les pieds nus, les fesses découvertes – telle sera la nudité de l’Égypte » (Is 20,3‑4).
Pierre pêchant nu pourrait actualiser ce geste d’Isaïe, en annonçant la défaite de la mort dans la Résurrection de Jésus…

- Ainsi on dépouille Jésus de sa tunique pour le crucifier, nu comme un ver (Jn 19,23‑24).
La nudité de Pierre dans la barque renvoie à la nudité du crucifié, en attente du vêtement de la Résurrection.

- Et Jean dans son Apocalypse fera lui aussi le lien entre la venue du Christ en gloire et le fait de ne pas être nu : « Voici que je viens comme un voleur. Heureux celui qui veille et garde sur lui ses vêtements pour ne pas aller nu en laissant voir sa honte » (Ap 16,15).
Pierre est le premier des Douze à ne pas aller nu vers le Fils de l’homme…

Il peut certes y avoir des nudistes chrétiens ! Mais difficile de faire l’éloge de cet état de nature sur le plan symbolique lorsque la foi demande justement de changer de nature pour être rendue « participant de la nature divine » (2P 1,4). Entre Pâques et Pentecôte, la nudité de Pierre dans la barque renvoie à un entre-deux de désarroi stérile (cf. la pêche infructueuse) qui ne doit pas durer. Se rhabiller est la courageuse décision de revêtir le Christ pour le rejoindre sur la rive.

 

3. Le lien résurrection-pardon

ReconciliationAprès avoir été habillés de blanc, les nouveaux baptisés étaient aussitôt admis à l’eucharistie, pour alimenter leur communion au Ressuscité. Dans notre Évangile, Pierre lui aussi après s’être rhabillé participe au repas préparé par Jésus sur le rivage, à la teneur eucharistique évidente. C’est ensuite seulement que le triple reniement de Pierre lui sera trois fois pardonné, avec ce célèbre dialogue : « M’aimes-tu ? sois le pasteur… »
Revêtir la tunique du Christ, communier à sa Passion-Résurrection, être pardonné et recevoir une mission nouvelle sont les quatre maillons de la chaîne pascale chez Jean. D’ailleurs, se préparer à partir, ceinture aux reins, est la disposition requise pour fêter la Pâque juive : « Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur » (Ex 12,11).
Le lien résurrection-pardon est si fort que les chrétiens inventeront au fil des siècles le sacrement de réconciliation, réactualisation du baptême, comme en écho à ce triple pardon que Pierre a reçu à Tabgha.
La nudité du premier péché cède ainsi la place à la tunique du pardon, tunique sans couture que les soldats n’ont pas osé déchirer, annonçant la grâce du pardon toujours disponible.
Bonne nouvelle : lorsque nous sommes pardonnés, nous retrouvons comme Pierre la mission qui est la nôtre (« sois le pasteur… ») ; lorsque nous pardonnons à notre tour, nous ressuscitons littéralement celui qui nous a fait du mal et à qui son offense avait enlevé sa dignité. Nous le chargeons d’une nouvelle mission, avec ou sans nous : continuer à vivre au-delà de l’offense.
Pardonner, c’est vêtir l’autre de la tendresse de Dieu pour mener une vie nouvelle, une vie éternelle.

 

4. Pierre est comme le jeune homme nu de Marc

Correggio%2C_giovane_che_fugge_dalla_cattura_di_Cristo PierreLa nudité de Pierre dans la barque fait immanquablement penser à une autre nudité célèbre, détail qu’on trouve chez Marc cette fois, pendant l’arrestation de Gethsémani : « un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter. Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu » (Mc 14,51 52). Détail curieux, car les autres évangiles n’en parlent pas. Jean devait l’avoir lu quand il rédige son texte. Une explication simpliste le réduit à un détail autobiographique où Marc parle de lui. Mais Marc n’est pas l’homme des détails superflus sans importance. On le voit mal mentionner cette scène sans avoir une visée théologique.
Marc emploie le mot « jeune homme » (neoniskos) qu’il réutilise quand les femmes entrent au tombeau après la résurrection : un « jeune homme » est assis à droite, et cette fois-ci il n’est plus tout nu, il a revêtu le vêtement blanc (Mc 16,5). De plus, ce drap qui habille le jeune homme est un linceul (sindona) dans lequel Joseph d’Arimathie va envelopper le corps crucifié (Mc 15,46). Le sens du détail apparaît alors : le jeune homme nu de Gethsémani a échappé à la mort en laissant son drap blanc, comme le supplicié du Golgotha échappera à la mort en laissant son linceul. Le disciple vit la Passion du Christ pour être associé à sa résurrection [1].
La nudité de Pierre dans la barque pourrait être la version johannique du jeune homme nu de Marc. Pierre a failli être détruit par son triple reniement, mais le pardon du Christ le rhabille en quelque sorte pour accomplir sa mission de pasteur.
Chaque fois que nos reniements nous mettent à nu, en plein désarroi, tournons-nous vers le pardon du Christ pour recevoir de lui la nouvelle mission qu’il nous confiera à partir de là.

 

5. Servir, c’est ressusciter
Une dernière interprétation enfin nous est fournie par le verbe utilisé par Jean pour décrire Pierre se ceignant d’un vêtement pour plonger vers le Christ : διεζώσατο (diezōsato), se nouer un vêtement autour de la taille. « Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement (διεζωσμένος), car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau » (Jn 21,7). Il n’y a que deux autres usages de ce verbe dans toute la Bible, et c’est Jean encore qui y a recours, dans la scène du lavement des pieds : « Jésus se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture (διέζωσεν) ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture (διεζωσμένος) » (Jn 13,4-5).
Pierre fait donc le même geste que Jésus serviteur de ses disciples lors de la Cène : il enlève son vêtement, nu dans la barque, et se noue ensuite un vêtement à la ceinture pour devenir le pasteur des brebis. De même que le « Maître et Seigneur » lave les pieds de ses soi-disant subordonnés, Pierre apprendra à exercer sa mission de pasteur comme un service et non comme une domination.
Comme on est loin de toute forme de cléricalisme ! Toute responsabilité dans l’Église – et dans la société finalement – s’accepte après avoir pris conscience de sa nudité, et après avoir revêtu la tenue de service du Christ.
Les conséquences de ce vêtement noué autour de la taille sur les ministères actuels devraient nous appeler à réformer l’exercice du pouvoir, de la prise de décision, du statut et même de l’appel des responsables. Pierre revêt la tenue de service (la tenue diaconale pourrait-on dire) pour plonger vers le Ressuscité et recevoir de lui son pardon et sa mission.

Servir, c’est donc être associé à la vie nouvelle en Christ.
Servir, c’est plonger vers le Christ, être pardonné, recevoir de lui des responsabilités nouvelles.
Servir, c’est ressusciter.
Si nos dirigeants – aussi bien dans la société que dans l’Église – pouvaient prendre conscience de leur nudité réelle… ! Ils revêtiraient alors leur tenue de service pour servir au lieu de se servir.
Et chacun de nous est dans la barque ; chacun de nous reçoit sa part de service à accomplir.

 

Résumons-nous :
La nudité de Pierre dans la barque nous appelle à prendre soin de nous-mêmes en revêtant le Christ,
à prendre conscience de notre désarroi fondamental,
à croire en la puissance du pardon qui nous rhabille pour communier au Ressuscité,
à croire la puissance du baptême qui nous fait échapper à la mort,
et surtout à revêtir la tenue du service pour laver les pieds de nos frères.
Qu’à cela l’Esprit du Christ nous aide !

 


Lectures de la messe

Première lecture
« Nous sommes les témoins de tout cela avec l’Esprit Saint » (Ac 5, 27b-32.40b-41)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, les Apôtres comparaissaient devant le Conseil suprême. Le grand prêtre les interrogea : « Nous vous avions formellement interdit d’enseigner au nom de celui-là, et voilà que vous remplissez Jérusalem de votre enseignement. Vous voulez donc faire retomber sur nous le sang de cet homme ! » En réponse, Pierre et les Apôtres déclarèrent : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice. C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » Après avoir fait fouetter les Apôtres, ils leur interdirent de parler au nom de Jésus, puis ils les relâchèrent. Quant à eux, quittant le Conseil suprême, ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus.

Psaume
(Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13)
R/ Je t’exalte, Seigneur, tu m’a relevé. ou : Alléluia.
 (Ps 29, 2a)

Quand j’ai crié vers toi, Seigneur,
mon Dieu, tu m’as guéri ;
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.

Avec le soir, viennent les larmes,
mais au matin, les cris de joie !
Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie !

Que mon cœur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi ;
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
je te rende grâce !

Deuxième lecture
« Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse » (Ap 5, 11-14)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu : et j’entendis la voix d’une multitude d’anges qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens ; ils étaient des myriades de myriades, par milliers de milliers. Ils disaient d’une voix forte : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » Toute créature dans le ciel et sur la terre, sous la terre et sur la mer, et tous les êtres qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, la louange et l’honneur, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. » Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! » ; et les Anciens, se jetant devant le Trône, se prosternèrent.

Évangile
« Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson » (Jn 21, 1-19)
Alléluia. Alléluia. 
Le Christ est ressuscité, le Créateur de l’univers, le Sauveur des hommes. Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment. Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples. Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.
Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons. Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau. Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres. Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. » Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré. Jésus leur dit alors : « Venez manger. » Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » Ils savaient que c’était le Seigneur. Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson. C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.
Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »
Patrick BRAUD

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28 septembre 2016

Les deux serviteurs inutiles

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Les deux serviteurs inutiles

Homélie du 27° Dimanche du temps ordinaire / Année C
02/10/2016

Cf. également :

L’ « effet papillon » de la foi
L’injustifiable silence de Dieu
Jesus as a servant leader
Servir les prodigues
Entre dans la joie de ton maître
Restez en tenue de service

 

L’art pour rien

La prochaine fois que vous sortirez de la gare SNCF Paris Nord, laissez-vous étonner par un drôle de bâtiment de travers. Il s’agit d’une maison, avec de vraies fenêtres, ports, murs, toit… mais une maison qui penche, toute inclinée, émergeant du sol avec un rien d’ivresse.

Maison GDN

Les voyageurs qui acceptent de se laisser surprendre s’arrêtent, penchent la tête, tordent le cou pour retrouver l’axe familier d’une maison bien droite. Ils sourient, sortent leur smartphone pour immortaliser l’objet, en parler aux collègues, à la famille : « regardez ce qu’ils ont mis Gare du Nord ! »

Détruisez cet abri Naf-Naf factice et tout continuera comme avant : les trains seront toujours en retard, les foules iront du métro aux quais et des quais au métro, les brasseries vous proposeront leurs croque-monsieur avec le demi-pression et le petit noir qui les accompagnent si bien. Bref, cette maisonnée est réellement non-nécessaire.

Elle ne sert à rien, et c’est bien cela qui fait sa magie. Elle peut susciter un étonnement quasi-philosophique, ou l’indifférence des gens importants et pressés d’avoir – eux au moins – une tâche à accomplir.

La maison-tour-de-Pise est inutile : quel bonheur de la voir là, sans raison, sans prétention d’efficacité ou de rentabilité !

L’art et l’inutile ont bien un air de famille.

Si vous êtes sensible à l’art dans votre quotidien, vous serez également touché par ces serviteurs inutiles de la parabole de Jésus (Lc 17, 5-10). À l’instar de cette maisonnette-pour-rien, ils nous disent quelque chose d’essentiel sur la vraie beauté de la vie, et cela tourne évidemment autour du service désintéressé.

 

Les deux serviteurs inutiles

« Nous ne sommes que des serviteurs inutiles ».
Célébrissime réplique d’une parabole souvent commentée (Lc 17, 5-10). Parfois, des traductions essaient d’atténuer la dureté du propos en traduisant : serviteurs « ordinaires », ou « simples » serviteur comme la traduction liturgique de ce dimanche. Au moins, être ordinaire ne supprimerait pas toute utilité ! La tentation d’être un « président ordinaire » en quelque sorte…
Le texte grec ne dit pas ordinaires ni simples mais ἀχρεῖοί (achreioi) = inutiles, sans profit.

Inutile implique que le maître pourrait fort bien se passer des services de ce domestique qui pourtant a trimé toute la journée, bien au-delà du cadre des 35 heures !

De fait, Dieu n’avait pas besoin de l’homme. Il l’a créé sans nécessité aucune, par pure gratuité de l’amour voulant se communiquer.

De fait, Dieu pourrait fort bien se passer de l’homme, et peut-être cela arrivera-t-il un jour si, comme les dinosaures en leur temps, nous ne voyons pas venir les ‘météorites’ capables de nous faire disparaître de la surface de la Terre.

Nous ne sommes donc pas utiles à Dieu, et croire que nous pourrions mériter quoi que ce soit envers lui relève d’un l’orgueil démesuré.

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De même, Dieu ne nous est pas utile : nous ne croyons pas en lui pour obtenir la santé, la richesse, la gloire, contrairement à ce que prêchent tant d’évangélistes et de fondamentalistes chrétiens. Nous ne le servons pas pour obtenir une récompense.

Labourer, mettre les tables, servir le repas n’est pas un calcul pour se faire bien voir, être félicité et distingué devant tous. Il y a là d’ailleurs de quoi transformer l’état d’esprit de tout salarié vis-à-vis de son entreprise ou de ses chefs…

Remplacez le labour par votre activité professionnelle, en entreprise ou ailleurs, remplacez le service des tables par vos actions solidaires, généreuses, humanistes, et vous aurez ainsi une remise en cause radicale de tous vos motif plus ou moins intéressés pour faire ceci ou cela.

Le Christ nous fait une recommandation décisive, dont les orgueils et les pouvoirs que l’Église a si souvent brigués au cours de ses 20 siècles d’histoire montrent qu’elle n’est pas inutile : la recommandation de ne jamais se prévaloir devant Dieu du service accompli dans la communauté.

Ajoutons que dans la parabole de Jésus, ce n’est pas le maître qui appelle ses serviteurs « inutiles ». Ce sont eux qui sont invités à le reconnaître par eux-mêmes. « Dites : nous ne sommes que des serviteurs inutiles ». C’est la prise de conscience des disciples qui est sollicitée d’eux.

Découvrez par vous-même qu’agir par intérêt n’est que vanité.
Expérimentez alors la joie qu’il y a à servir en abandonnant toute notion d’utilité ou de profit.
La diaconie chrétienne ne relève ni de l’utilitarisme ni de l’intéressement.
« La rose fleurit sans pourquoi » (Angélus Silesius).

 

Les deux usages de l’expression

Afficher l'image d'origineL’expression « serviteurs inutiles » ne se retrouve que deux fois dans toute la Bible, et uniquement dans le Nouveau Testament. La première occurrence est ici en Luc 10,7 avec notre parabole des serviteurs inutiles. La deuxième occurrence est en Matthieu 25,30, dans la parabole dite des talents. Cette fois-ci, c’est bien le maître qui dit au serviteur apeuré ayant enfoui son argent (ses talents) :

« Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Mt 25, 29-30)

Le rapprochement entre ces deux seuls usages est terriblement exigeant. Tout serviteur est invité à se découvrir inutile, et pourtant s’il n’apporte pas une plus-value à Dieu, il est jeté dans les ténèbres ! S’il trime 20 heures par jour, il ne peut en attendre aucune reconnaissance ! Si à l’inverse il se tourne les pouces en laissant ses talents dormir, il se fera taper durement sur les doigts. S’il reçoit peu, ce n’est pas pour en faire peu. S’il reçoit beaucoup, c’est pour donner beaucoup. S’il a réussi une mission, ce n’est pas pour la médaille. S’il enchaîne les missions, ce n’est pas pour laisser une œuvre derrière lui, un nom, un héritage. Bigre !

La vraie raison d’être du service est en lui-même. Rabindranath Tagore l’exprimait avec poésie :

« Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie.
Je m’éveillais et je vis que la vie n’est que service.
Je servis et je compris que le service est joie ».

Les sculpteurs, maître-verriers et peintres du Moyen Âge ne signaient pas leurs chefs-d’œuvre : l’important pour eux n’était pas de passer à la postérité, mais de réjouir les passants, les visiteurs de toutes conditions. L’anonymat et le service vont bien ensemble. Ste Bernadette Soubirous à Nevers pratiquait cette humilité de retrait : « Quand on soigne un malade, il faut se retirer avant de recevoir un remerciement. On est suffisamment récompensé par l’honneur de lui donner des soins. »

Afficher l'image d'origineLe serviteur inutile de Luc ne peut ni ne veut s’enorgueillir de ce qu’il accomplit. À l’inverse, le serviteur inutile de Mathieu est jeté dehors à cause de sa stérilité.

Le paradoxe chrétien est donc de tenir ensemble ces deux figures contradictoires : travailler d’arrache-pied pour transformer ce monde et lui faire produire des fruits de justice et de paix tout en ne s’attachant pas à nos réussites, sans non plus stériliser aucun des talents reçus, et sans d’autre attente que la joie de servir pour elle-même.

 

Devant Dieu, quel mérite pourrions-nous avancer ? Il nous a façonnés gratuitement. Il nous aime gratuitement.
Jésus prescrivait aux Douze envoyés en mission : « vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
Réexaminons toutes nos raisons d’agir à la lumière de ce désintéressement caractéristique de l’Évangile du Christ.

 

 

1ère lecture : « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)

Lecture du livre du prophète Habacuc

Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.

Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

Psaume : Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !

(cf. Ps 94, 8a.7d)

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

2ème lecture : « N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

Evangile : « Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée.
Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.

Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD

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20 novembre 2014

Divine surprise

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Divine surprise

 

Homélie pour la fête du Christ Roi / Année A
23/11/2014

 

Comme sous un voile d’ignorance

Savez-vous réellement ce que vous aurez « fait de bien » dans votre vie ?
Connaissez-vous vraiment les noms et les visages de ceux pour qui vous aurez été quelqu’un d’important ?
Vous allez répondre : bien sûr ! Mon conjoint, mes enfants, telle personne que j’ai aidée, tel ami avec qui je suis très proche…

L’évangile de la fête du Christ-Roi (Mt 25, 31-46) nous invite à ne pas répondre trop vite à cette question. « Quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif ? » s‘étonnent les justes. Ils ne se souviennent pas d’avoir croisé le Christ. « Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? » : leur surprise est totale. Ils ne savaient pas l’importance d’une visite à un prisonnier ou à un malade. Ils ignoraient l’enjeu d’un verre d’eau ou d’un repas offert. Et pourtant ils l’ont fait, en oubliant le plus souvent qu’ils l’avaient fait.

Divine surprise que celle qui nous attend au terme de l’histoire : il nous sera enfin révélé la vraie qualité des gestes et des paroles posées. Amère surprise pour certains peut-être : ils ne se souviennent pas ne pas avoir fait, et pourtant ils ne l’ont pas fait.

Tant que le coup de sifflet final n’a pas retenti, nous ne savons donc pas quel est notre score réel, le nombre de buts marqués. Nous jouons notre partie comme sous un voile d’ignorance. Et cette ignorance est belle, dans la mesure où elle nous empêche de comptabiliser, de calculer, de maîtriser les résultats de nos actes.

Notons au passage que le jugement dernier de Mt 25 s’adresse aux « nations », c’est-à-dire justement à ceux qui ne connaissent pas le Christ. Les croyants eux « échappent au jugement » comme l’écrit l’évangéliste Jean. Les nations, dans l’ignorance du Christ, n’ont que leur conscience pour les guider. Il y a suffisamment d’image divine dans cette conscience humaine pour les faire choisir ce qui est juste et rejeter ce qui est injuste. Leur surprise sera donc d’autant plus grande de découvrir la valeur éternelle de leur service des pauvres, des malades et des prisonniers à qui le Christ s’identifie.

Chacun de nous participe de cette ignorance et de cette surprise.

À qui n’est-il pas arrivé de recueillir le témoignage bien des années après de quelqu’un pour qui il a été une aide, un sauveur, un déclic, sans même le savoir ? Les instituteurs par exemple qui croisent leurs anciens élèves 20 ans ou 30 ans après pourraient vous en raconter ! Et ce sont rarement ceux à qui on s’attendait qui manifestent de la reconnaissance…

Se laisser surprendre par le feed-back de nos actions est donc essentiel pour découvrir le vrai visage du Christ.
Accepter la docte ignorance de celui qui fait sans savoir ce que cela produit est salutaire.
Ne pas maîtriser le bien accompli rend libre pour continuer à diffuser ce bien hors de tout contrôle.

 

Le mal par omission

Cette ignorance concerne également le mal commis, hélas.
Nous ne savons pas – ou si peu - à qui nous n’avons pas offert un verre d’eau, un repas, une visite. Car le mal dans ce texte du jugement dernier est défini par l’absence plus que par les actes mauvais. C’est l’absence de service des pauvres que le Christ reproche aux injustes. Le péché par omission en quelque sorte.
Peut-être sommes-nous davantage détruits par le bien que nous ne faisons pas que par le mal que nous faisons ?

« Chaque fois que vous ne l’avez pas fait… » : c’est cela qui a éloigné les injustes du Christ. Visiblement, leur surprise est immense de découvrir ce qu’ils n’ont pas fait !

Pourtant, c’est évident si on y réfléchit : ce que nous ne faisons pas nous manque rarement. Un peu comme Mozart ne manque pas à celui qui n’y a jamais été initié. Chacun de nous peut vivre en toute bonne conscience sans jamais réaliser tout ce à côté de quoi il passe, tous ceux à côté de qui il passe.

C’est donc qu’il nous faut des alliés pour nous révéler ces angles morts inconnus de nous. Mieux vaudrait le dur reproche d’un allié maintenant que le terrible constat du Christ à la fin des temps : « ce que vous n’avez pas fait… »

Un tel allié met le doigt sur ce qui ne nous fait pas mal : notre absence de compassion, de service, de solidarité, d’humanité tout simplement.

Qui peut jouer ce rôle salutaire aujourd’hui pour éviter la terrible surprise demain ?

Les médias peuvent jouer un rôle, en nous éveillant à la galère des populations qui nous entourent, ou qui sont abandonnées au loin. Le voyage, le contact avec l’étranger peuvent être des déclics. Sans oublier des textes bibliques comme le jugement dernier de Mt 25, qui résonne comme une alarme d’incendie dans un gratte-ciel où tous pensent être à l’abri à leur étage. La responsabilité envers l’autre sait faire feu de tout bois pour s’inviter dans la tranquillité de celui qui croit être globalement un bon citoyen, un parent acceptable, un voisin correct, bref quelqu’un qui ne fait de mal à personne.

Or la parabole du jugement dernier laisserait penser que le problème viendra beaucoup plus de nos omissions que de nos actions…

 

Sourire aux médailles

Gen. Pace's medals as of Veterans Day 2005. Top row center is the Legion of Merit; bottom row right is the Vietnam Campaign Medal.Reste - heureusement - la divine surprise des justes qui s’ignorent comme tels. Il est donc recommandé de ne pas posséder le fruit de nos actes, même les meilleurs, comme si oublier le bien accompli était la voie la plus sûre pour laisser le Christ - in fine - nous révéler ce qui a été réellement le positif de nos vies.

Ce qui empêche d’ailleurs d’être jamais rassasié du service des plus démunis.

Celui qui comptabilise ses dons n’est pas dans le service.

Celui qui accepte de ne pas connaître ni le mal ni le bien commis sera libre de se laisser surprendre dès maintenant et à la fin.

Ce qui implique sans doute de renoncer à un tas de réflexes si bien ancrés : exiger un merci en retour, vouloir laisser une trace derrière soi, se valoriser en train de servir les autres, exercer une secrète domination sur ceux qu’on aide etc….

Vivre la divine surprise du jugement dernier demanderait plutôt de laisser l’autre s’en aller sans le retenir, de ne pas faire la liste de ce qu’on a fait de bien, d’oublier ce que les autres nous doivent, d’être libres vis-à-vis de toute forme de reconnaissance, de sourire aux médailles…

Ne pas vouloir contrôler ni maîtriser le fruit de ses actes, tout en aiguisant le désir de servir, est le chemin le plus sage pour se laisser surprendre, aujourd’hui et demain, par la révélation qui vient des autres partiellement et du Christ en plénitude.

Par qui, par quoi suis-je capable de me laisser surprendre ?

Que voudrais dire pour moi anticiper la divine surprise qui m’attend au terme de l’histoire ?

 

 

1ère lecture : Dieu, roi et berger d’Israël, jugera son peuple (Ez 34, 11-12.15-17)
Lecture du livre d’Ezékiel

Parole du Seigneur Dieu : Maintenant, j’irai moi-même à la recherche de mes brebis, et je veillerai sur elles. Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis, et j’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de brouillard et d’obscurité. C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, déclare le Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la soignerai. Celle qui est faible, je lui rendrai des forces. Celle qui est grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître avec justice. Et toi, mon troupeau, déclare le Seigneur Dieu, apprends que je vais juger entre brebis et brebis, entre les béliers et les boucs.

Psaume : 22, 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer.

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

2ème lecture : La royauté universelle du Fils (1Co 15, 20-26.28)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection. En effet, c’est en Adam que meurent tous les hommes ; c’est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang : en premier, le Christ ; et ensuite, ceux qui seront au Christ lorsqu’il reviendra. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal. C’est lui en effet qui doit régner jusqu’au jour où il aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qu’il détruira, c’est la mort. Alors, quand tout sera sous le pouvoir du Fils, il se mettra lui-même sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous.

Evangile : La venue du Fils de l’homme, pasteur, roi et juge de l’univers (Mt 25, 31-46)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Béni soit le règne de David notre Père, le Royaume des temps nouveaux ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Alléluia. (cf. Mc 11, 9-10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres : il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche.

Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’
Alors les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu…? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’
Et le Roi leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’
Alors ils répondront, eux aussi : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?’
Il leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.’
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
Patrick BRAUD

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