L'homélie du dimanche (prochain)

13 octobre 2024

Peut-on être chrétien et ambitieux ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Peut-on être chrétien et ambitieux ?

 

Homélie pour le 29° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
20/10/24

Cf. également :

Manager en servant-leader
Premiers de cordée façon Jésus
Jesus as a servant leader
Jeudi saint : les réticences de Pierre
On voudrait être un baume versé sur tant de plaies…
Donner sens à la souffrance
Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu
Une autre gouvernance
À quoi servent les riches ?
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?
Cendres : une conversion en 3D
 

 

Si l’on te tourne autour…

« Si à 50 ans tu n’as pas une Rolex, c’est que tu as raté ta vie ! »

On se souvient de cette fameuse phrase du publicitaire Jacques Séguéla, qui prônait la réussite financière comme critère de réussite de sa vie. Les chrétiens se bouchent facilement le nez devant l’odeur nauséabonde de ces ambitions aussi vulgaires que clinquantes. Sous couvert d’humilité, sommes-nous pour autant condamnés à refuser les premiers rôles, quitte à les laisser à des monstres d’égoïsme ? Devons-nous fuir la réussite (scolaire, professionnelle, politique etc.) sous prétexte d’être serviteur selon le mot de Jésus aujourd’hui ? Est-ce contraire à notre foi d’accepter des responsabilités importantes, avec l’argent qui va avec, nous désignant comme chef, patron, leader ou haut  gradé ?

 

La question n’est pas simple. Beaucoup se sont brûlé les ailes à s’approcher des sommets. Beaucoup sont devenus addicts au prestige, à l’argent facile, au pouvoir discrétionnaire.

Or il y a tant de passages des évangiles où l’ambition est déclarée péché mortel ! Ainsi ce dimanche (Mc 10,35-45). Jacques et Jean font l’indignation de tout le groupe des disciples en demandant Jésus : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire ».

Ils exigent un siège ministériel, rien de moins ! Ils imaginent Jésus en Premier ministre de YHWH, et eux à l’Intérieur et à l’Économie ! Ils étalent leur ambition, écœurante. Alors qu’ils sont déjà des proches : Jacques est le cousin de Jésus, Jean son « disciple bien-aimé ».  Ils en veulent encore plus.

Peut-on être chrétien et ambitieux ? dans Communauté spirituelleIls devraient savoir pourtant que les arrivistes sont détestés, et plus encore en politique (72 % des Français pensent que leurs politiques sont de piètre qualité… sondage IFOP d’août 2024). Les nouveaux riches traînent derrière eux des suspicions de malhonnêteté, les petits chefs veulent se faire craindre à défaut d’être aimés. Les aigris crient à l’injustice pour excuser leur médiocrité. Jacques et Jean subissent de plein fouet l’indignation que suscitent inévitablement les ambitieux flagorneurs.

 

Ambition : le mot lui-même fait penser à ces mouches qui bourdonnent autour du pot de miel. Amb (autour) – ire (aller) = déambuler autour. Jacques et Jean tournent autour de Jésus, l’entourent en l’isolant un peu du groupe pour le flatter et lui soutirer des faveurs. Parfois, des responsables aiment bien qu’une cour de flatteurs leur tourne autour : cela les rend importants, désirables, reconnus. Jésus, lui, n’y est guère sensible. Pour autant, il ne va pas désavouer totalement les deux ambitieux qui l’entreprennent. Il leur propose un chemin de conversion qui peut devenir le nôtre : non pas éteindre nos ambitions, mais les convertir, et les rattacher à une ambition plus fondamentale.

Essayons de repérer les étapes de ce processus où nous pourrons nous aussi « baptiser » nos ambitions : en parler / les retourner / les redresser/ les accomplir.

 

L’ambition, c’est mieux d’en parler

 ambition dans Communauté spirituelleC’est une franchise qu’on peut mettre au crédit de Jacques et Jean : au moins, ils ne cachent pas leurs ambitions. Ils en parlent à leur leader. Signe qu’ils lui font confiance. Signe qu’ils osent dire à haute voix leur attrait pour ces postes ministériels, et qu’ils se risquent dans une conversation pour en évaluer la faisabilité.

Tant d’ambitieux restent tapis dans l’ombre et le silence, couvant des projets de grandeur sans en piper mot à quiconque, de peur de se dévoiler et de faire échouer leurs plans. D’ailleurs, il est à parier que les 10 autres disciples qui s’indignent ostensiblement nourrissaient eux aussi des rêves de grandeur, mais n’osaient les avouer. La preuve : Jésus appelle ces 10 pour qu’ils entendent eux aussi l’appel fameux à servir au lieu de se servir.

Le fait même de confier ses ambitions à quelqu’un oblige à sortir de soi, pour tenir compte des autres. C’est entrer dans le monde de l’échange, de la parole donnée, de l’écoute de la parole de l’autre. Le regard de l’autre va éclairer mes ambitions, leur réalisme, leur utilité. Et alors je dois répondre à ces questions sur le pourquoi, le comment, le quand etc. de ces désirs de réussite. Devenir responsable, c’est étymologiquement bien cela : répondre de mes projets devant d’autres.

Risquer son ambition dans le dialogue, c’est donc l’éclairer du jugement d’autrui, accepter qu’elle se précise en la formulant, entrer dans un compagnonnage fraternel qui va la faire évoluer grâce à l’échange de parole.

N’ayons donc pas peur de confier nos ambitions au Christ, à des amis, à des membres de l’Église ! Parlez-en. Mettez des mots sur vos attentes. Écoutez la réaction d’autrui. Vous serez souvent surpris de mieux vous comprendre vous-même en vous livrant ainsi à d’autres.

 

Ce que fait Jésus avec la finesse d’un coach expérimenté, c’est de prendre Jacques et Jean là où ils en sont à un instant t, et de les conduire patiemment plus loin, beaucoup plus loin que leur demande immédiate. Pour cela, il procède graduellement, en franchissant une à une les étapes de toute conversion chrétienne : accomplir ce qu’il y a de meilleur dans la demande exprimée / redresser cette demande en l’orientant vers ailleurs sans l’éteindre / retourner la demande en signifiant clairement ce qu’elle comporte d’incompatible avec l’Évangile [1].

 

a) conversion par accomplissement : des ambitions à l’ambition

unification conversionJacques et Jean demandent des sièges pour partager la gloire de Jésus. Aspirer à la gloire n’est pas mauvais en soi, puisque c’est précisément ce que Dieu désire : « la gloire de Dieu c’est l’homme vivant » (Irénée de Lyon). Jésus les prend au mot : la gloire qu’ils demandent à avoir en partage est d’abord une densité (doxa = lourdeur, en grec) d’être, une consistance qui donne du poids et de la gravité à chaque moment vécu. Jésus connaît bien cette gloire-là, car il vit chaque rencontre, chaque parole et chaque visage comme une gorgée d’élixir divin. Il se nourrit de la qualité de ces échanges. Mais il sait où cela va le conduire. C’est pourquoi aux sièges de Jacques et Jean il répond par la coupe et le baptême. Peuvent-ils s’exercer à désirer, au-delà des sièges ministériels, le vrai pouvoir qu’ils cherchent à tâtons, le pouvoir de faire grandir l’autre ? Peuvent-ils boire la coupe du sang versé, c’est-à-dire aller jusqu’au bout du don de soi ? Veulent-ils être plongés dans le baptême de la Passion, c’est-à-dire affronter lucidement le mal pour en délivrer leurs proches ?

Autrement dit : écoutez battre le meilleur de vos ambitions, et vous y entendrez battre le cœur de Dieu.

 

Du coup, si avec Jacques et Jean nous découvrons ce que les sièges ministériels recelaient en vérité de ‘coupe’ et de ‘baptême’, nous unifierions peu à peu nos rêves de gloire et de réussite autour d’une seule ambition, fondamentale : servir et non se servir. Peu importe les conséquences pratiques de la poursuite de cette ambition : désirer servir apporte  à certains médailles, postes et argent, et à d’autres persécutions, mise à l’écart et diffamation. Le serviteur n’est pas grand parce qu’il est reconnu ou au contraire rejeté : il est grand parce qu’il sert, un point c’est tout, quelles que soient les conséquences.

Celui qui a unifié ses ambitions autour de cette quête fondamentale : servir, accueillera la réussite comme l’échec avec un cœur égal, la santé ou la maladie, la reconnaissance ou le mépris avec la « sainte indifférence » chère à Ignace de Loyola.

 

Arrêtez de vous éparpiller en poursuivant une multitude de lièvres. Unifiez votre désir en concentrant votre quête sur l’unique nécessaire : servir. Et tout le reste vous sera donné, « par-dessus le marché ».

 

b) conversion par redressement : ajuster son ambition

Ajustage du fer à chevalPar nature, nos désirs sont initialement désordonnés. Ils partent dans tous les sens. Nos ambitions sont buissonnantes : argent, succès, amour, famille, gloire… Apprendre à les unifier en Christ est le premier travail, tel le maréchal-ferrant qui martèle le fer à cheval rougi par le feu pour lui donner forme et qu’il s’ajuste au sabot du cheval.

Sur cette voie d’unification, l’ombre le cédera à la proie : ce n’est pas la gloire à la manière des hommes que je recherche, mais la gloire en Dieu-même. Ce n’est pas l’ivresse du pouvoir qui est ma soif véritable lorsque je demande des postes à responsabilité : c’est la soif de faire vivre l’autre, de boire à la coupe de l’alliance fraternelle avec ceux qui m’entourent. Ce n’est pas la médaille de baptême que j’ambitionne, mais la Passion que Jésus avait pour chacun et chacune, et plonger dans cet engagement passionnant est beaucoup plus motivant finalement que de figurer au Who’s Who des gens qui comptent.

 

Il y a toujours quelque chose de tordu dans nos ambitions de départ. Qui fait de l’humanitaire de façon purement désintéressée ? Qui accède à de hauts postes – même dans l’Église – sans se sans y mettre un peu d’orgueil, de vanité et de volonté de puissance ? C’est la vieille histoire du bon grain et de l’ivraie qui grandissent ensemble. Nos désirs sont tordus, mais ce n’est pas une raison pour les arracher, pour ne pas laisser croître à travers eux l’unique désir du Royaume. Nos talents peuvent servir le mal, mais mieux vaut les risquer en les faisant fructifier que de les enterrer stérilement.

 

Bref : accueillons pleinement nos ambitions, à condition de les soumettre sans cesse au travail que l’Évangile opère sur elles. Comme le crie Jean-Baptiste dans le désert : « préparez les chemins du Seigneur, rendez droits ses sentiers, aplanissez les collines… »

 

c) conversion par retournement : les ambitions incompatibles

 serviceÉcouter battre le meilleur de nos aspirations, les ajuster en les évangélisant : reste que certaines demandes sont irrecevables, certains rêves sont dangereux, certains projets sont inconciliables avec notre foi.

D’où l’importance de savoir dire non. À soi-même d’abord lorsque que je me rêve tyran, Crésus, Midas ou Napoléon. Aux autres ensuite : Jésus ose dire non, catégoriquement, à la folle demande de sièges : « Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé ».

Il dit non à l’envie de grandeur autoritaire qui couvre chez les 10 autres : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ».

 

Voilà, c’est dit : il y a des ambitions incompatibles avec l’Évangile de Jésus. Le ‘saint désir’  peut conduire à une ambition juste. Les passions désordonnées conduisent à des ambitions meurtrières, inhumaines, suicidaires. « Se servir ou servir » est l’opposition fondamentale dont nous ne devons jamais sous-estimer la portée ni la violence… Esquiver cette dénonciation courageuse ne peut que se retourner contre nous.

 

L’Esprit du Christ nous apprendra ainsi à renoncer aux ambitions incompatibles avec lui. Et encore à faire renoncer ceux qui se laissent fasciner par les dangereux miroirs aux alouettes où ils se leurrent eux-mêmes. L’ambition de Poutine de reconstituer l’empire soviétique, celle de la Chine d’imposer son communisme aux Tibétains, aux Ouïgours, à Hong Kong et Taïwan, l’ambition follement mégalomane de Donald Trump etc. : les errements des grands de ce monde sont faciles à dénoncer. Alors examinons-nous.

Soyons honnêtes avec nous-même : quelles sont les ambitions que je chéris et dont je sens bien qu’elles contredisent finalement ma foi chrétienne ?

 

Conclusion

leffeta-article-quen-a-til-ambition--scaledLe terme ambition (φιλοτιμομαι = philotimeomai) ne se retrouve que 3 fois dans la Bible, et sous la plume de Paul. Il relit son parcours en y discernant comme ligne de force une ambition : la mission. « J’ai ambitionné de n’évangéliser que là où le nom du Christ n’avait pas encore été prononcé, car je ne voulais pas bâtir sur les fondations posées par un autre » (Rm 15,20).

Le moteur de sa vie n’est pas en lui, mais centrée en Christ : « Mais de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur » (2Co 5,9).

Et finalement, il invite les communautés locales à se concentrer sur le progrès spirituel dans l’exercice ordinaire des responsabilités de chacun : « Frères, nous vous encourageons à progresser encore : ayez pour ambition de vivre calmement, de vous occuper chacun de vos propres affaires et de travailler de vos mains comme nous vous l’avons ordonné » (1Th 4,10–11).

 

Toi qui cherches le Christ, quelle sera ton ambition fondamentale ?

Accepteras-tu d’en parler à quelqu’un ?

Dans les ambitions qui sont les tiennes, qu’y a-t-il à accomplir, à redresser, à retourner ?

 

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LECTURES DE LA MESSE

Première lecture
« S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours » (Is 53, 10-11)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes.

Psaume
(Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22)
R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous comme notre espoir est en toi !
 (Ps 32, 22)

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

Deuxième lecture

« Avançons-nous avec assurance vers le Trône de la grâce » (He 4, 14-16)


Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.

Évangile
« Le Fils de l’homme est venu donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 35-45)  Alléluia. Alléluia. 
Le Fils de l’homme est venu pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. Alléluia. (cf. Mc 10, 45)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. » Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Ils lui répondirent : « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? » Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. »
Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean. Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Patrick Braud

 

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10 mars 2024

Agonistique

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Agonistique

 

Homélie pour le 5° Dimanche de Carême / Année B 

17/03/2024

 

Cf. également :
 
Va te faire voir chez les Grecs !

Grain de blé d’amour…
La corde à nœuds…
Qui veut voir un grain de blé ?
Le jeu du qui-perd-gagne
Quels sont ces serpents de bronze ?

Dieu est un trou noir

 

1. Les Jeux agones

Agonistique dans Communauté spirituelleNos Jeux Olympiques Paris 2024 vont débuter le 26 juillet. Ce sont les héritiers des anciennes compétitions organisées par la ville grecque d’Olympie tous les 4 ans. Ces Jeux ont été créés au cours du VIII° siècle avant J.-C., en l’honneur du dieu Zeus. Ils durèrent environ 1000 ans, jusqu’en 393, date des dernières Olympiades (car l’empire devenu chrétien a abandonné les cultes des idoles grecques et romaines). Ces jeux antiques étaient appelés λυμπιακο γώνες  (olympiakoi agōnes), littéralement « Agones Olympiques » : le terme grec γν (agōn) signifie combat, lutte. Les épreuves étaient désignées par ce terme : ππικο γνες (hippikoì agỗnes, courses de chevaux), γυμνικοί γνες (gumnikoí agỗnes, athlétisme) etc. Contrairement à la devise moderne de Pierre de Coubertin (« L’important, c’est de participer »), l’important dans ces jeux antiques était de combattre jusqu’à la victoire. L’agonistique était alors la discipline qui concernait les sports de combat et les épreuves olympiques. En français, le terme est resté pour désigner une attitude combative qui va jusqu’au bout, jusqu’à la mort s’il le faut.

 

Pour les chrétiens, agōn fait immédiatement penser à l’agonie de Jésus à Gethsémani. Là, sur le Mont des Oliviers, il se bat en lui-même pour rester fidèle à sa mission alors que l’infamie du supplice de la croix se profile. Et c’est un sacré combat intérieur : ne pas fuir, faire face, donner sa vie, jusqu’au bout, sans haine, par amour. Ce combat, cette agonie est tellement violente que Jésus en transpire du sang et de l’eau. Il est comme pressuré, vidé par cette déchirure intérieure : sauver sa peau en rentrant dans le rang, ou se ranger du côté des exclus au prix de son honneur, de sa dignité, de sa vie.

Les Jeux agones de Jésus se déroulent à Gethsémani…

 

Sauf pour Jean ! Comme souvent très différent de Mt/Mc/Lc, Jean ne raconte pas dans l’évangile de ce dimanche (Jn 12,20-33) cette scène à Gethsémani, mais à Jérusalem au moment où Philippe et André transmettent à Jésus le désir des Grecs de le connaître. Jésus répond : pas seulement les Grecs, mais le monde entier sera attiré par le Christ « élevé de terre ». Entre les deux, il y a la croix : « il signifiait par-là de quel genre de mort il allait mourir ». Alors Jean transfère ici l’agonie que les trois autres situent à Gethsémani : « Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! ».

 

 agonie dans Communauté spirituelleCette agonie johannique vise l’universalité de la croix–résurrection, alors que l’agonie à Gethsémani chez les synoptiques visait la fidélité du fils au désir de son Père d’aller chercher et sauver ceux qui étaient perdus.

 

Entrer en agonie et devenir universel sont liés : ceux qui rêvent de porter du fruit sans accepter d’être mis en terre se font illusion. La couronne de lauriers admirée par tous dans le stade ne s’obtient pas sans une rude ascèse de l’athlète sacrifiant une existence facile à sa quête de victoire. Paul s’exprimera ainsi – en des termes quasi olympiques – à la fin de sa vie : « J’ai mené le bon combat (agōn), j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » (2 Tm 4,7). C’est « le bon combat de la foi » (1 Tm 6,12) que Paul a mené tout au long de ses voyages à Philippes (Ph 1,3), Colosse, Laodicée (Col 2,1), Thessalonique (1 Th 2,2) et tout autour de la Méditerranée, afin justement de rendre l’Évangile universel. Il encourage les Hébreux à persévérer dans ce marathon de la foi, en combattant le péché en eux (He 12,1).

 

2. Entre deux services

L’agonie johannique est située entre le repas à Béthanie (Jn 12,1-11) et la Cène (Jn 13), entre deux repas donc. Et aussi entre deux services liés à ces repas : le service de Marthe qui les servait (διηκόνει, du verbe diakoneo) à table, et le service de Jésus s’abaissant au rang de domestique lavant les pieds des convives.

onction bethanieLa première figure du service chez Jean est féminine (comme l’était la belle-mère, première servante chez Marc ; Mc 1,31) : Marthe de Béthanie est la première diaconesse  de l’Église pour Jean. Cette figure de la diaconie est redoublée par celle de sa sœur Marie, oignant les pieds de Jésus avec un parfum précieux.

Jésus assume cette part féminine de sa vocation messianique en servant ses disciples à table, et en lavant leurs pieds avec l’eau précieuse du baptême. Marie les essuyait avec ses cheveux, Jésus le fait avec un linge (ἱμάτιον, himation : le mot fait allusion au manteau de pourpre ironique dont on a affublé Jésus lors de sa Passion en Jean 19). Le parallélisme est frappant.

 

Il y a donc comme une inclusion entre ces deux repas de Béthanie et de la Cène, qui se font miroir, et où Jésus reprend la diaconie de Marthe et Marie pour la situer en Dieu même.

Au milieu, il y a l’agonie. C’est donc que le service est un combat, et que le combat de la foi est pour servir. D’ailleurs, il n’y a que trois usages du verbe διακονω, servir (diaconie) chez Jean : un pour Marthe (Jn 12,2), et deux pour l’agonie : Jn 12,26.

Diaconie et agonie sont inséparables. Celui qui veut servir devra apprendre à se détacher de ses œuvres, de sa gloire personnelle, de sa vie même. « Qui veut garder sa vie la perdra, qui la donne avec moi la trouvera ». Il sera entraîné sur un chemin de dépossession, de mort à soi-même, dont la mort physique ne sera que l’ultime étape. Et réciproquement : celui qui veut mener le combat de la foi (djihad en arabe) ne sera ni violent ni puissant, mais serviteur.

 

Jésus à l'agonie en prière dans le jardin des olives avant sa crucifixion - 72813916Qui mieux que Jésus de Nazareth a incarné ce lien entre diaconie et agonie ?

Comment dès lors les chrétiens ne seraient-ils pas eux aussi configurés au Christ en agonie, s’ils ont vraiment la Passion de servir ? C’est ce qu’écrivait Blaise Pascal avec génie : « le Christ sera en agonie jusqu’à la fin du monde ».

Les persécutions anti-chrétiennes actualisent dramatiquement ce climat agonistique dans lequel les baptisés veulent malgré tout servir l’homme, tout homme, tous les hommes (Cf. le rapport de l’association ‘Porte ouvertes’ dénombrant 365 millions de chrétiens persécutés dans le monde fin 2023).

Mais notre agonie ordinaire est moins visible : utiliser notre argent, nos relations, nos talents, nos responsabilités, notre métier etc. non pas pour nous servir mais pour servir les autres – et Dieu en premier – est un combat intérieur si exigeant ! On stigmatise (à raison hélas !) les politiques trop nombreux qui recherchent leur intérêt individuel, leur gloire, leur pouvoir au lieu de chercher le bien-être de leur peuple. Ayons également le courage de nous examiner : servir est-il réellement le combat de notre vie ?

 

3. Jésus troublé

Dans ce combat pour demeurer le serviteur, Jésus est troublé (ταρσσω, tarassō) (Jn 12,27). Ce n’est pas le sang et l’eau du Gethsémani des synoptiques. Mais c’est le trouble de l’agonie chez Jean, qui prend soin de le répéter à nouveau pendant la Cène, faisant ainsi un lien supplémentaire entre les deux épisodes : « Après avoir ainsi parlé, Jésus fut troublé en son esprit, et il rendit ce témoignage : “Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera.” » (Jn 13,21). Être livré par un de ses meilleurs amis est un trouble existentiel : que vaut ma vie si ceux qui disent m’aimer me trahissent, m’abandonnent ?

C’était le trouble que Jésus avait déjà ressenti en voyant Marie (toujours elle !) pleurer la mort de son frère Lazare : « Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut troublé » (Jn 11,33).

Ce trouble de l’agonie est lié à la perte de ses amis – l’un meurt, l’autre trahit – ou à leur  détresse (Marie pleurait). L’heure qui s’approche est celle de la Passion, avec sa solitude, sa déréliction. Devant l’infamie de la croix, les amis s’enfuient (sauf les femmes !), la foule se moque et insulte, et Dieu lui-même semble se dérober, abandonnant la chair de sa chair.

Bezatha piscineLe trouble agonistique de Jésus renvoie encore à l’agitation des eaux de la piscine de  Bethzatha. C’est le même verbe ταράσσω qui est employé par Jean pour décrire l’agitation intérieure de Jésus dans son agonie et l’ébullition de l’eau dans la piscine miraculeuse : « Seigneur, je n’ai personne pour me plonger dans la piscine au moment où l’eau est troublée » (Jn 5,7). Ce trouble conduit à la guérison pour les malades, et à la résurrection pour Jésus. L’eau troublée dans la piscine est remplacée par Jésus troublé en son agonie…

Se laisser ainsi troubler par Dieu est la marque de sa puissance de résurrection à l’œuvre en nous. À l’image de la femme qui met tout sens dessus dessous en remuant la poussière de sa maison pour retrouver la pièce d’argent égarée (Lc 15,8), Dieu nous trouble en notre for intérieur pour nous amener à choisir le bon combat, pour nous guérir de nos attachements maladifs, pour nous ressusciter avec le Christ. C’est déjà le lien agonie–gloire qui est affirmée dans ce trouble de Jésus, qu’il va expliciter plus loin en promettant la gloire à ceux qui serviront jusqu’au bout.

Qui de nous, s’avançant sur le chemin de cette agonie–service, ne ressentira pas tôt ou tard cette détresse intérieure ? « Mon esprit est abattu au dedans de moi, Mon cœur est troublé dans mon sein » (Ps 143,4). « Mon âme est troublée. Et toi, Seigneur, que fais-tu ? » (Ps 6,3–4).

Qui ne sera pas troublé par l’arrachement à soi-même qui attend tout serviteur fidèle ?

C’est pourquoi le Ressuscité dira par deux fois à ses amis : « que votre cœur ne se trouble pas » (Jn 14,1.27). Il sait de quoi nous sommes pétris. Sa victoire sur la mort est notre garantie : servir jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême (Jn 13,1) est un combat qui peut devenir angoissant, mais qui en Christ est déjà couronné de succès.

Rien à craindre fondamentalement donc, sinon la peur d’avoir peur…


4. Du service à la gloire : la gloire, c’est de servir…Lavement des pieds - Corinne SIMON CIRIC

Qu’est-ce que cette gloire ? En grec, le mot δξα (doxa) désigne ce qui est lourd, dense, grave. Parler de la gloire de Dieu, c’est donc dire que Dieu est lourd, pesant. Non pas qu’il ait besoin de faire un régime ! Mais la lourdeur, la pesanteur de Dieu, c’est une certaine densité d’être qui fait que sa vie a du poids, a de la consistance.

La gloire de YHWH est une densité d’être, une plénitude de vie. C’est en même temps une force d’attraction considérable, à la manière d’une force gravitationnelle : ce qui est dense attire à lui tous les objets à proximité, comme un trou noir en physique attire particules, atomes, lumières et corps célestes. D’où la parole de Jésus : « élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ».

 

Diaconie agonie gloireDiaconie–agonie–gloire : servir est un combat où nous recevons une densité d’être, une plénitude de sens et de vie qui nous fait ressembler à Dieu, qui fait de nous des dieux, selon la parole du Psaume 82,6 que Jésus aimait à rappeler : « N’est-il pas écrit dans votre Loi : J’ai dit : Vous êtes des dieux ? » (Jn 10,34).

Diaconie–agonie–gloire : la voie de la divinisation repose pour Jean sur ces trois piliers inséparables.

La séquence n’est d’ailleurs pas linéaire, mais plutôt systémique. Des moments de transfiguration glorieuse nous sont donnés pour affermir notre courage à servir, des combats qui nous tiennent à cœur nous transforment peu à peu en serviteur authentique, et la beauté de la vie en Dieu transparaît déjà en filigrane dans l’agonie de ceux qui persévèrent dans le service de leurs semblables…

 

Lorsque l’agonie du Christ deviendra la nôtre, laissons-nous attirer par la figure du service qu’il a su incarner jusqu’au bout, de façon agonistique, jusqu’à l’extrême.

 


God’s gonna trouble the water
Dieu va troubler cette eau (pour donner la guérison, la vie)

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Je conclurai une alliance nouvelle et je ne me rappellerai plus leurs péchés » (Jr 31, 31-34)

 

Lecture du livre du prophète Jérémie

Voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle. Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte : mon alliance, c’est eux qui l’ont rompue, alors que moi, j’étais leur maître – oracle du Seigneur.

Mais voici quelle sera l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés – oracle du Seigneur. Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère en disant : « Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands – oracle du Seigneur. Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés.

 

PSAUME
(50 (51), 3-4, 12-13, 14-15)
R/ Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu. (50, 12a)

 

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

 

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

 

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les égarés.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Il a appris l’obéissance et est devenu la cause du salut éternel » (He 5, 7-9)

 

Lecture de la lettre aux Hébreux

Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

 

ÉVANGILE
« Si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 20-33)
Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi. 

Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive, dit le Seigneur ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. 

Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi. (Jn 12, 26)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par-là de quel genre de mort il allait mourir.

Patrick BRAUD

 

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10 juin 2022

Marthe + Marie = Lydie !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Marthe + Marie = Lydie !

Homélie pour le 16° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
17/07/2022

Cf. également :

Jesus, don’t you care ?
Le rire fait chair
Choisir la meilleure part
Le je de l’ouïe
Bouge-toi : tu as de la visite !
Dieu trop-compréhensible
« J’ai renoncé au comparatif »

Une histoire de verres d’eau

Marthe + Marie = Lydie ! dans Communauté spirituelle 12966064-diff%C3%A9rents-types-de-verres-pleins-d-eauDans Histoire d’une âme, ses manuscrits autobiographiques, Thérèse de l’Enfant-Jésus raconte ce souvenir d’enfance :
« Une fois, je m’étonnais de ce que le Bon Dieu ne donne pas une gloire égale dans le Ciel à tous les élus, et j’avais peur que tous ne soient pas heureux. Alors Pauline me dit d’aller chercher le grand verre à papa et de le mettre à côté de mon tout petit dé à coudre, puis, de les remplir d’eau, ensuite elle me demanda lequel était le plus plein. Je lui dis qu’ils étaient aussi pleins l’un que l’autre et qu’il était impossible de mettre plus d’eau qu’ils n’en pouvaient contenir ». Elle précise : « Pauline me fit comprendre qu’au Ciel le Bon Dieu donnerait à ses élus autant de gloire qu’ils en pourraient contenir et qu’’ainsi le dernier n’aurait rien à envier au premier ».

Cette belle métaphore de Pauline tue dans l’œuf toute tentative de comparatif entre les dons accordés par Dieu à chacun ! Saint Pierre n’est pas plus ni moins heureux que Sainte Thérèse, saint Paul n’a pas plus ni moins de gloire que Mère Teresa etc. Chacun est comblé à sa mesure, selon les spécificités de son être.

Autrement dit : la plénitude est incommensurable.
Même si le dé à coudre contient objectivement 10 fois moins que la chope de bière, sa plénitude n’a rien à envier à celle de la chope ! Parler de bonheur – surtout en Dieu – demande de renoncer au comparatif, car la pleine mesure de l’un n’est pas celle de l’autre.

On comprend alors pourquoi la traduction liturgique de l’Évangile de ce dimanche nous met sur une fausse piste (comme trop souvent hélas !). Dans le célébrissime épisode de Marthe et Marie, Marie n’a pas choisi la meilleure part (l’erreur de traduction remonte à saint Jérôme lorsqu’il traduisit la Vulgate, du grec au latin, au V° siècle), mais la bonne part (agathos en grec, qui a donné le prénom Agathe). Et ça change tout ! Car, en renonçant au comparatif, le texte original n’invite pas à dévaloriser Marthe au profit de Marie, mais indique juste que Marie a trouvé la plénitude qui lui convient.

« Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure bonne (ἀγαθὴν = agathos) part, elle ne lui sera pas enlevée » (Lc 10,42).

On verra plus bas que le reproche fait à Marthe n’est pas un reproche et ne porte pas sur sa part à elle. Pour l’instant, surlignons avec force que Jésus n’établit pas de hiérarchie entre la cuisine et la présence, le service et l’écoute, l’action et la contemplation. Il ne dit pas que Marie a choisi la meilleure part, mais la part qui lui correspond, qui en cela est la bonne part pour elle.

 

Qu’est-ce qu’une part ?

2016-203 action dans Communauté spirituelleEn français, on pense immédiatement à une part de gâteau : ‘prendre sa part du gâteau’ signifie retirer les bénéfices (honnêtes ou non !) d’un projet qu’on a réussi, quitte à se tailler ‘la part du lion’ si l’on est en position de force.

Dans la Bible, l’usage du mot est assez différent : loin d’être une mainmise cupide, la part biblique est d’abord la portion d’héritage que reçoit chacun des enfants à la mort des parents. Ainsi les deux sœurs, Rachel et Léa, s’interrogent : « Rachel et Léa lui firent cette réponse : Avons-nous encore une part, un héritage, dans la maison de notre père ? » (Gn 31,14). Par définition, cette part se reçoit. C’est le défunt qui a décidé pour chacun avant de mourir quelle serait sa part. Si bien que l’égalité arithmétique est rarement le critère du partage voulu par celui qui lègue. Ce qui suscite d’ordinaire bien des jalousies, car frères et sœurs veulent comparer au lieu d’accepter l’incommensurable. Le premier héritage est d’ailleurs celui que Dieu se reconnaît en Israël : ce peuple à la nuque raide lui est donné comme sa part d’héritage. « Le lot du Seigneur, ce fut son peuple, Jacob, sa part d’héritage » (Dt 32,9). À Dieu de se débrouiller avec !

Marthe et MarieLe deuxième héritage est la terre que les 12 tribus ont reçue en partage, et là encore la stricte égalité n’est pas possible, car chaque territoire est différent d’un autre, de la petite enclave de Dan au nord au désert de Ruben sur la rive est de la Mer Morte au sud. D’ailleurs, une tribu a reçu une part d’héritage complètement différente des onze autres, puisque la tribu de Lévi est sans-terre, entièrement consacrée au service du culte divin : « Lévi n’a pas reçu sa part d’héritage comme ses frères. C’est le Seigneur qui est son héritage, comme l’a dit le Seigneur notre Dieu » (Dt 10,9). Encore une différence de part qui n’est pas une hiérarchie, ni un comparatif !
« Rendez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière » (Col 1,12).

En plus de sa signification liée à l’héritage, la part biblique désigne également le fait d’avoir part à quelque chose, de participer à, d’être en lien, en communion avec. Paul par exemple demande aux corinthiens de ne pas participer aux cultes idolâtriques qui se pratiquent autour d’eux : « Ne formez pas d’attelage mal assorti avec des non-croyants : quel point commun peut-il y avoir entre la condition du juste et l’impiété ? quelle communion de la lumière avec les ténèbres ? quel accord du Christ avec Satan ? ou quelle part pour un croyant avec un non-croyant ? » (2 Co 6,14–15). En ce sens, on réalise que la part de Marie est bien d’être en communion avec le Christ, d’avoir part à son être en buvant ses paroles et en se rassasiant de sa présence.

 

Choisir sa part

moule-a-gateau ContemplationD’habitude, c’est Dieu qui choisit : choisir est un acte divin ! « Jésus appela ses disciples et en choisit douze auxquels il donna le nom d’Apôtres » (Lc 6,13). « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis… » (Jn 15,16).
Ou alors c’est l’Église qui choisit en appelant quelqu’un à servir (ministère). Ainsi pour les diacres : « Ces propos plurent à tout le monde, et l’on choisit : Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un converti au judaïsme, originaire d’Antioche » (Ac 6,5).
Ou ce sont les convives qui choisissent les meilleures places, les premières (Lc 14,7).

Par contre, si on parle de part d’héritage, il est plus difficile de voir Marie la choisir. Car le testament impose la répartition sans demander leur avis aux héritiers. La seule exception où l’on peut choisir sa part d’héritage est quand les parents demandent de leur vivant à leurs enfants d’indiquer chacun ce qu’il préfère dans les meubles, les bijoux, les tableaux, les maisons ou appartements etc. J’ai vécu cela en famille, en présence des parents, pour des biens qui n’étaient pas partageables. Là, il faut choisir. De même, après leur mort, nous sommes partagés d’un commun accord babioles et autre bijoux dont la valeur était surtout sentimentale, liée aux souvenirs d’enfance de chacun, et donc incommensurable.

Il est donc possible de choisir sa part d’héritage, non pas sur le fond (je serai toujours le fils de mes parents, quoi qu’il arrive) mais dans sa modalité (préférer tel objet, telle manière de vivre ou de penser qui vient d’eux plutôt que telle autre).

Marie fait son choix (écouter), et on peut penser que Jésus a deviné l’importance majeure qu’a eue pour Marie le fait de prendre une décision. Marie a choisi, en conscience, ce qui lui correspondait le mieux. Alors que Marthe subit. Elle se dit coincée dans ses cuisines par les obligations du service, étouffée par les contraintes de l’hospitalité. Elle en est tellement amère qu’elle ne supporte pas le bonheur de sa sœur qui s’est libérée de ces contraintes non choisies. La part du service qui occupe Marthe ici n’est ni moins ni plus valable que la part choisie par Marie. Jésus lui fait simplement constater, avec beaucoup de finesse et de douceur (« Marthe, Marthe… ») que Marie a choisi alors que elle subit. Subir le service de l’autre au lieu de le vouloir, c’est comme faire l’aumône avec mépris, ou faire un compliment du bout des lèvres : la manière de le faire contredit ce que l’on fait.

Jésus disait ainsi quelque chose du genre : ‘Marthe, Marthe, tu subis le service des invités au lieu de le vouloir. À cause de cela, tu le fais avec acrimonie et jalousie envers ta sœur. Marie, elle, a choisi d’écouter. Puisqu’elle l’a choisi, c’est pour elle la bonne part, sa part. Tu pourrais toi aussi choisir de faire ce que tu fais, et ta part serait alors la bonne pour toi également, car ce serait celle que tu aurais choisie. Et tu l’accomplirais avec joie, en chantant, en étant en communion avec moi dans ton ouvrage comme Marie l’est dans son écoute. Choisis donc ce que tu fais, que ce soit le service ou l’écoute. C’est là la bonne part pour chacune ».

Marc a sûrement compris ce que Jésus lui disait ainsi. Car on la voit dans l’Évangile de Jean professer sa foi en la résurrection devant Jésus allant voir le tombeau de son frère Lazare, mort depuis 4 jours. Et surtout, on la voit servir (c’est le mot diaconie qui est employé), telle une diaconesse, le souper au cours duquel une femme – une autre Marie ! - viendra répandre du parfum sur les pieds de Jésus (elle aussi aura choisi sa part, la bonne part) : « On donna un repas en l’honneur de Jésus. Marthe faisait le service, Lazare était parmi les convives avec Jésus » (Jn 12,2). Ce service-là semble beaucoup plus paisible que chez Luc, et il est facile d’imaginer Marthe heureuse d’avoir cette fois-ci choisi d’habiter pleinement le service des tables qui lui permet d’être en pleine communion avec le Christ.

Subir son métier, son couple, ses activités n’apporte qu’amertume, jalousie, rivalité.
Choisir sa part d’héritage nous donne d’être en paix avec nous-mêmes, là où nous devons être, chacun à la place qui lui correspond, sans hiérarchie.

 

Lydie, ou la synthèse de Marthe et Marie

La version de Jean nous montre déjà Marthe ayant surmonté son non-choix du service. Il existe un autre épisode raconté par Luc, dans les Actes des apôtres, où l’on peut voir une femme hyperactive comme Marthe faire comme Marie le choix de l’écoute. Il s’agit de Lydie, une commerçante, une femme de la ville, qui vend du tissu. S’échappant de son commerce, Lydie elle aussi est une femme qui écoute, longuement : elle écoutait (Ac 16,14). Le verbe est à l’imparfait (aoriste), pour exprimer une durée (ἀκούω = akouō, qui a donné acouphène pour désigner justement un trouble de l’audition). C’est le même verbe que pour Marie (Lc 10,39 : Marie écoutait), alors que Lydie est d’habitude une femme d’affaires très active, riche et renommée commerçante, avec sans doute un fort caractère et un fort pouvoir de persuasion, la preuve :

 écoute« Nous avons passé un certain temps dans cette ville de Philippes et, le jour du sabbat, nous en avons franchi la porte pour rejoindre le bord de la rivière, où nous pensions trouver un lieu de prière. Nous nous sommes assis, et nous avons parlé aux femmes qui s’étaient réunies. L’une d’elles nommée Lydie, une négociante en étoffes de pourpre, originaire de la ville de Thyatire, et qui adorait le Dieu unique, écoutait. Le Seigneur lui ouvrit l’esprit pour la rendre attentive à ce que disait Paul. Quand elle fut baptisée, elle et tous les gens de sa maison, elle nous adressa cette invitation : ‘Si vous avez reconnu ma foi au Seigneur, venez donc dans ma maison pour y demeurer.’ C’est ainsi qu’elle nous a forcé la main » (Ac 16,12-16).

Luc précise ensuite que la maison de Lydie était devenue la petite Église domestique de Paul. Elle aidait la communauté naissante de son hospitalité et de ses richesses, sans doute aussi de ses soutiens chez les gens influents en ville. Sans renier son commerce, Lydie a su se ménager la part d’écoute qui lui était vitale. En allant au bord de la rivière, elle a choisi d’écouter, et elle a choisi de continuer son négoce ensuite avec autorité pour le faire servir à l’Église de Philippe.

L’important pour nous n’est-il pas d’habiter intensément le moment présent, en le choisissant de tout cœur, que ce soit le temps de service ou le temps de l’écoute ?

 

Résumons-nous :

Marthe-Marie héritage– Il n’y a pas de commune mesure entre la plénitude correspondant à l’un et celle convenant à l’autre. Cette incommensurabilité élimine toute hiérarchie, tout comparatif dans la part occupée par chacun.

– La bonne part de Marie n’est pas la meilleure. C’est la sienne : elle l’a choisie et la vit intensément.

– Jésus ne reproche pas à Marie de faire le service, il lui fait constater qu’elle le subit au lieu de le choisir.

– La diaconie comme l’écoute peuvent être la bonne part, si c’est celle que nous choisissons.

– Lydie, business woman sponsorisant la start-up chrétienne de Philippe, choisit tantôt d’être Marthe au service des frères, tantôt d’être Marie écoutant la Parole au bord de la rivière. Devenons cette Lydie-là, habitant pleinement ce que nous choisissons de faire ou d’être au moment où nous le décidons !

 

Lectures de la messe
1ère lecture 

« Mon seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur » (Gn 18, 1-10a)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. » Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. » Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »

Psaume
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ?
 (Ps 14, 1a)

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.

Il met un frein à sa langue.
Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.

À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.
Il ne reprend pas sa parole.

Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

Deuxième lecture
« Le mystère qui était caché depuis toujours mais qui maintenant a été manifesté » (Col 1, 24-28)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. De cette Église, je suis devenu ministre, et la mission que Dieu m’a confiée, c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole, le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire ! Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.

Évangile
« Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part » (Lc 10, 38-42)
Alléluia. Alléluia. 
Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. Alléluia. (cf. Lc 8, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Patrick BRAUD

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24 avril 2022

Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ?

Homélie du 3° Dimanche de Pâques / Année C
01/05/2022

Cf. également :
Les 153 gros poissons
Quand tu seras vieux…
Le devoir de désobéissance civile
Les 7 mercenaires
L’agneau mystique de Van Eyck

Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ? dans Communauté spirituelle IMG_1032-e1414437391837-768x1024Tous ceux qui aiment la voile savent qu’il faut bien se capeler avant de prendre la mer. Les étourdis qui embarqueraient pieds nus le regretteraient vite : il y a tant d’aspérités, d’angles et d’objets contondants sur un bateau qu’on a vite fait de se cogner un orteil, de se prendre une écharde ou de se déchirer la plante des pieds sur un rail d’écoute ou une manille… Il n’y a guère que les nudistes invétérés qui osent rester nus sur un voilier, et encore : en Méditerranée, par mer très calme, sur un catamaran !
Alors, quand notre évangile du jour (Jn 21,1-19) nous dit que Pierre était nu dans sa barque de pêche, on ouvre de grands yeux ! « Quand Simon Pierre entendit que c’était le Seigneur, il mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu (γυμνς = gymnos), et se jeta dans la mer » (Jn 21,7).
Le matériel de pêche – filets, hameçons, lignes, épuisettes – n’est certes pas le meilleur allié du nudisme. Un vrai pêcheur se capèle pour aller brasser son matériel en mer, et Pierre est un vrai pêcheur. Pourquoi diable Jean mentionne-t-il la nudité invraisemblable de son ami en pleine campagne de pêche ?

Écartons tout de suite une réponse trop facile, trop simpliste, du style : c’était l’habitude des pêcheurs de l’époque. Nous n’avons aucune trace de cette soi-disant habitude, et répétons-le elle est invraisemblable. Allez essayer de pêcher tout nu dans une barque en bois pleine d’hameçons et de filets, et vous ne rapporterez pas que des palourdes… C’est bigrement dangereux de ne pas être couvert sur un bateau !
Ce détail est d’autant plus troublant que Pierre se rhabille pour se jeter à l’eau. Normalement c’est l’inverse, car nager avec des vêtements n’est ni facile ni naturel.
Évidemment, ce détail est voulu. Essayons d’en décliner quelques interprétations possibles, en lien avec la résurrection de Jésus qui fait l’objet du chapitre 21 de Jean, avec les conséquences pour nous lecteurs.

 

1. Vêtir ceux qui sont nus et d’abord soi-même

martin-of-tours barque dans Communauté spirituelleJean connaît l’Évangile de Matthieu lorsqu’il écrit vers 90. Il a déjà lu la fresque grandiose du Jugement dernier de Mt 25 : « j’étais nu et vous m’avez habillé ». Vêtir ceux qui sont nus est un des critères du Jugement qui annonce la venue du Fils de l’homme à la fin des temps. La venue du Ressuscité sur le rivage du lac provoque Pierre à se vêtir pour paraître devant lui : charité bien ordonnée commence par soi-même… Un premier sens de ce détail du texte pourrait alors être - de manière inattendue – l’amour de soi, le self care. Un peu comme on dit à une personne âgée de ne pas se négliger, de ne pas se laisser aller, de se pomponner au lieu de rester toute la journée en robe de chambre et pantoufles. Pierre s’habille, et on peut penser que c’est le Christ qu’il revêt ainsi symboliquement avec ce pagne de lin serré autour de sa taille. Prendre soin de soi, c’est revêtir la dignité et les mœurs du Christ, au lieu de rester dans un état de nature ne conduisant qu’à des œuvres stériles, à l’image de la pêche infructueuse de Pierre lorsqu’il était nu. Les nouveaux baptisés savent qu’ils revêtent le Christ en rentrant dans l’eau baptismale où ils ont été plongés nus : en sortant du bain, on les enveloppait d’un ample vêtement blanc symbolisant la vie nouvelle en Christ.

Pierre réactualise en quelque sorte sa participation à la Passion du Christ dans laquelle il vient d’être plongé les semaines précédentes, il prend soin de lui-même en ne restant pas nu pour aller vers le Christ.

 

2. La nudité, signe du désarroi humain

jardindesdelicesgaucheg nuditéDans les cités grecques ou dans l’Empire romain, la nudité était pourtant bien vue. Songez aux thermes, aux sportifs, aux athlètes nus des Jeux Olympiques. D’ailleurs en grec, le mot nu(γυμνς = gymnos) qu’emploie notre évangile en Jn 21,7 a donné en français le mot gymnase, endroit où l’on pratique les sports en étant nu.
Dans la Bible, la nudité ne glorifie pas la force ou la beauté de l’être humain comme chez les Grecs. Elle est plutôt le signe d’une faiblesse radicale, et d’un désarroi existentiel. On pense immédiatement à Adam et Ève dans le jardin d’Éden après le premier péché où ils ont décidé par eux-mêmes ce qui est bien ou mal : « ils virent qu’ils étaient nus ». Cette nudité nourrit la peur de l’homme de paraître devant Dieu : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché » (Gn 3,10). Pierre comme Adam aurait peur de paraître devant le Ressuscité en restant nu.

Depuis la Genèse, la nudité a toujours été dans la Bible associée à la faiblesse et à la honte.
- Ainsi Noé maudit son fils Cham parce qu’il l’a vu nu sous sa tente après s’être saoulé. Les deux autres fils ont couvert la nudité de leur père sans la regarder, et cela leur fut compté comme justice. « Noé, homme de la terre, fut le premier à planter la vigne. Il en but le vin, s’enivra et se retrouva nu au milieu de sa tente. Cham, le père de Canaan, vit que son père était nu et il en informa ses deux frères qui étaient dehors. Sem et Japhet prirent le manteau, le placèrent sur leurs épaules à tous deux et, marchant à reculons, ils en couvrirent leur père qui était nu. Comme leurs visages étaient détournés, ils ne virent pas la nudité de leur père » (Gn 9,20-23).
Pierre couvre sa nudité comme pour dessaouler de son reniement…

joseph-tunique-450x450 pêche- Ainsi Joseph est dépouillé de sa tunique par ses frères pour l’humilier et le vendre comme esclave. « Dès que Joseph eut rejoint ses frères, Ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique de grand prix qu’il portait » (Gn 37,23). La tunique prise à Jacob fait penser à la tunique qu’on enlèvera à Jésus pour le crucifier.
Pierre revêtira la tunique dont l’avait dépouillé sa triple trahison.

- Ainsi le prophète Osée compare Israël à une prostituée qui se vend nue aux idoles de Canaan, et que Dieu va venir confondre en mettant son cœur à nu devant tous : « Accusez votre mère, accusez-la, car elle n’est plus ma femme, et moi, je ne suis plus son mari ! Qu’elle écarte de son visage ses prostitutions, et d’entre ses seins, ses adultères ; sinon, je la déshabille toute nue, je l’expose comme au jour de sa naissance, je la rends pareille au désert, je la réduis en terre aride et je la fais mourir de soif. […] C’est pourquoi je reviendrai […] ; j’arracherai ma laine et mon lin dont elle couvrait sa nudité. Alors je dévoilerai sa honte aux yeux de ses amants, et nul ne la délivrera de ma main » (Os 2,4–12).
La honte de Pierre devant sa faute va lui permettre de retrouver son alliance avec le Christ.

- Ainsi le prophète Isaïe choisit symboliquement de marcher nu sur les chemins de Palestine pendant trois ans, pour annoncer la défaite des puissants de l’époque, qui seraient bientôt mis à nu par YHWH : « Le Seigneur dit : De même que mon serviteur Isaïe est allé dévêtu, les pieds nus, pendant trois ans, signe et présage pour l’Égypte et l’Éthiopie, de même le roi d’Assour emmènera les prisonniers d’Égypte et les déportés d’Éthiopie, les jeunes et les vieux, dévêtus, les pieds nus, les fesses découvertes – telle sera la nudité de l’Égypte » (Is 20,3‑4).
Pierre pêchant nu pourrait actualiser ce geste d’Isaïe, en annonçant la défaite de la mort dans la Résurrection de Jésus…

- Ainsi on dépouille Jésus de sa tunique pour le crucifier, nu comme un ver (Jn 19,23‑24).
La nudité de Pierre dans la barque renvoie à la nudité du crucifié, en attente du vêtement de la Résurrection.

- Et Jean dans son Apocalypse fera lui aussi le lien entre la venue du Christ en gloire et le fait de ne pas être nu : « Voici que je viens comme un voleur. Heureux celui qui veille et garde sur lui ses vêtements pour ne pas aller nu en laissant voir sa honte » (Ap 16,15).
Pierre est le premier des Douze à ne pas aller nu vers le Fils de l’homme…

Il peut certes y avoir des nudistes chrétiens ! Mais difficile de faire l’éloge de cet état de nature sur le plan symbolique lorsque la foi demande justement de changer de nature pour être rendue « participant de la nature divine » (2P 1,4). Entre Pâques et Pentecôte, la nudité de Pierre dans la barque renvoie à un entre-deux de désarroi stérile (cf. la pêche infructueuse) qui ne doit pas durer. Se rhabiller est la courageuse décision de revêtir le Christ pour le rejoindre sur la rive.

 

3. Le lien résurrection-pardon

ReconciliationAprès avoir été habillés de blanc, les nouveaux baptisés étaient aussitôt admis à l’eucharistie, pour alimenter leur communion au Ressuscité. Dans notre Évangile, Pierre lui aussi après s’être rhabillé participe au repas préparé par Jésus sur le rivage, à la teneur eucharistique évidente. C’est ensuite seulement que le triple reniement de Pierre lui sera trois fois pardonné, avec ce célèbre dialogue : « M’aimes-tu ? sois le pasteur… »
Revêtir la tunique du Christ, communier à sa Passion-Résurrection, être pardonné et recevoir une mission nouvelle sont les quatre maillons de la chaîne pascale chez Jean. D’ailleurs, se préparer à partir, ceinture aux reins, est la disposition requise pour fêter la Pâque juive : « Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur » (Ex 12,11).
Le lien résurrection-pardon est si fort que les chrétiens inventeront au fil des siècles le sacrement de réconciliation, réactualisation du baptême, comme en écho à ce triple pardon que Pierre a reçu à Tabgha.
La nudité du premier péché cède ainsi la place à la tunique du pardon, tunique sans couture que les soldats n’ont pas osé déchirer, annonçant la grâce du pardon toujours disponible.
Bonne nouvelle : lorsque nous sommes pardonnés, nous retrouvons comme Pierre la mission qui est la nôtre (« sois le pasteur… ») ; lorsque nous pardonnons à notre tour, nous ressuscitons littéralement celui qui nous a fait du mal et à qui son offense avait enlevé sa dignité. Nous le chargeons d’une nouvelle mission, avec ou sans nous : continuer à vivre au-delà de l’offense.
Pardonner, c’est vêtir l’autre de la tendresse de Dieu pour mener une vie nouvelle, une vie éternelle.

 

4. Pierre est comme le jeune homme nu de Marc

Correggio%2C_giovane_che_fugge_dalla_cattura_di_Cristo PierreLa nudité de Pierre dans la barque fait immanquablement penser à une autre nudité célèbre, détail qu’on trouve chez Marc cette fois, pendant l’arrestation de Gethsémani : « un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter. Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu » (Mc 14,51 52). Détail curieux, car les autres évangiles n’en parlent pas. Jean devait l’avoir lu quand il rédige son texte. Une explication simpliste le réduit à un détail autobiographique où Marc parle de lui. Mais Marc n’est pas l’homme des détails superflus sans importance. On le voit mal mentionner cette scène sans avoir une visée théologique.
Marc emploie le mot « jeune homme » (neoniskos) qu’il réutilise quand les femmes entrent au tombeau après la résurrection : un « jeune homme » est assis à droite, et cette fois-ci il n’est plus tout nu, il a revêtu le vêtement blanc (Mc 16,5). De plus, ce drap qui habille le jeune homme est un linceul (sindona) dans lequel Joseph d’Arimathie va envelopper le corps crucifié (Mc 15,46). Le sens du détail apparaît alors : le jeune homme nu de Gethsémani a échappé à la mort en laissant son drap blanc, comme le supplicié du Golgotha échappera à la mort en laissant son linceul. Le disciple vit la Passion du Christ pour être associé à sa résurrection [1].
La nudité de Pierre dans la barque pourrait être la version johannique du jeune homme nu de Marc. Pierre a failli être détruit par son triple reniement, mais le pardon du Christ le rhabille en quelque sorte pour accomplir sa mission de pasteur.
Chaque fois que nos reniements nous mettent à nu, en plein désarroi, tournons-nous vers le pardon du Christ pour recevoir de lui la nouvelle mission qu’il nous confiera à partir de là.

 

5. Servir, c’est ressusciter
Une dernière interprétation enfin nous est fournie par le verbe utilisé par Jean pour décrire Pierre se ceignant d’un vêtement pour plonger vers le Christ : διεζώσατο (diezōsato), se nouer un vêtement autour de la taille. « Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement (διεζωσμένος), car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau » (Jn 21,7). Il n’y a que deux autres usages de ce verbe dans toute la Bible, et c’est Jean encore qui y a recours, dans la scène du lavement des pieds : « Jésus se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture (διέζωσεν) ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture (διεζωσμένος) » (Jn 13,4-5).
Pierre fait donc le même geste que Jésus serviteur de ses disciples lors de la Cène : il enlève son vêtement, nu dans la barque, et se noue ensuite un vêtement à la ceinture pour devenir le pasteur des brebis. De même que le « Maître et Seigneur » lave les pieds de ses soi-disant subordonnés, Pierre apprendra à exercer sa mission de pasteur comme un service et non comme une domination.
Comme on est loin de toute forme de cléricalisme ! Toute responsabilité dans l’Église – et dans la société finalement – s’accepte après avoir pris conscience de sa nudité, et après avoir revêtu la tenue de service du Christ.
Les conséquences de ce vêtement noué autour de la taille sur les ministères actuels devraient nous appeler à réformer l’exercice du pouvoir, de la prise de décision, du statut et même de l’appel des responsables. Pierre revêt la tenue de service (la tenue diaconale pourrait-on dire) pour plonger vers le Ressuscité et recevoir de lui son pardon et sa mission.

Servir, c’est donc être associé à la vie nouvelle en Christ.
Servir, c’est plonger vers le Christ, être pardonné, recevoir de lui des responsabilités nouvelles.
Servir, c’est ressusciter.
Si nos dirigeants – aussi bien dans la société que dans l’Église – pouvaient prendre conscience de leur nudité réelle… ! Ils revêtiraient alors leur tenue de service pour servir au lieu de se servir.
Et chacun de nous est dans la barque ; chacun de nous reçoit sa part de service à accomplir.

 

Résumons-nous :
La nudité de Pierre dans la barque nous appelle à prendre soin de nous-mêmes en revêtant le Christ,
à prendre conscience de notre désarroi fondamental,
à croire en la puissance du pardon qui nous rhabille pour communier au Ressuscité,
à croire la puissance du baptême qui nous fait échapper à la mort,
et surtout à revêtir la tenue du service pour laver les pieds de nos frères.
Qu’à cela l’Esprit du Christ nous aide !

 


Lectures de la messe

Première lecture
« Nous sommes les témoins de tout cela avec l’Esprit Saint » (Ac 5, 27b-32.40b-41)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, les Apôtres comparaissaient devant le Conseil suprême. Le grand prêtre les interrogea : « Nous vous avions formellement interdit d’enseigner au nom de celui-là, et voilà que vous remplissez Jérusalem de votre enseignement. Vous voulez donc faire retomber sur nous le sang de cet homme ! » En réponse, Pierre et les Apôtres déclarèrent : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice. C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » Après avoir fait fouetter les Apôtres, ils leur interdirent de parler au nom de Jésus, puis ils les relâchèrent. Quant à eux, quittant le Conseil suprême, ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus.

Psaume
(Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13)
R/ Je t’exalte, Seigneur, tu m’a relevé. ou : Alléluia.
 (Ps 29, 2a)

Quand j’ai crié vers toi, Seigneur,
mon Dieu, tu m’as guéri ;
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.

Avec le soir, viennent les larmes,
mais au matin, les cris de joie !
Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie !

Que mon cœur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi ;
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
je te rende grâce !

Deuxième lecture
« Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse » (Ap 5, 11-14)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu : et j’entendis la voix d’une multitude d’anges qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens ; ils étaient des myriades de myriades, par milliers de milliers. Ils disaient d’une voix forte : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » Toute créature dans le ciel et sur la terre, sous la terre et sur la mer, et tous les êtres qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, la louange et l’honneur, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. » Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! » ; et les Anciens, se jetant devant le Trône, se prosternèrent.

Évangile
« Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson » (Jn 21, 1-19)
Alléluia. Alléluia. 
Le Christ est ressuscité, le Créateur de l’univers, le Sauveur des hommes. Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment. Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples. Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.
Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons. Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau. Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres. Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. » Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré. Jésus leur dit alors : « Venez manger. » Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » Ils savaient que c’était le Seigneur. Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson. C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.
Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »
Patrick BRAUD

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