L'homélie du dimanche (prochain)

3 juillet 2022

Elle est tout près de toi, cette Parole…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Elle est tout près de toi, cette Parole…

Homélie pour le 15° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
10/07/2022

Cf. également :

Les multiples interprétations du Bon Samaritain
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif
J’ai trois amours
Aime ton Samaritain !
Réintroduisons le long-terme dans nos critères de choix
Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses dures
L’amour du prochain et le « care »
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?

Un sans-abri patiente sur les marches de la cathédrale

Une bible pour SDF

Des protestants (l’Alliance biblique française) vont mener à bien une initiative singulière : distribuer gratuitement en 2023 des Bibles aux sans-abri, des Bibles adaptées à leur mode de vie et à leurs caractéristiques sociales. En effet, « bien souvent, lorsqu’on leur en distribue, on leur en offre une bon marché. Le problème, avec ces bibles, c’est qu’elles utilisent une langue compliquée, alors que le français n’est pas la langue natale de nombreux SDF, résume Gilles Boucomont, le président de la Mission évangélique parmi les sans-logis à Paris. Régulièrement, la taille des caractères est trop petite, et ils sont imprimés à l’encre grise sur du papier recyclé souvent de mauvaise qualité qui se déchire facilement ». Le projet a pris corps à partir de ce constat.

Distribuer des Bibles aux SDF ! Une variante des Restos du cœur ? Pas faux ! Quelle idée bizarre quand même aux yeux de nos contemporains pour qui l’humanitaire prime sur tout ! Distribuer des paniers repas, des tentes, des douches, oui, mais des Bibles ! ?
Donner des Bibles accessibles à chacun relève d’une triple conviction :
– l’être humain n’a pas faim que de sandwiches, mais aussi de paroles qui ont du sens
– les pauvres tout particulièrement sont en résonance assez immédiate avec les récits bibliques
– la Bible possède en elle-même assez de force pour toucher le cœur de lecteurs apparemment dénués de tout, pourvu qu’on leur en facilite l’accès.

Ce genre de convictions poussèrent les évangélistes à distribuer clandestinement des Bibles dans l’empire soviétique, au temps où cela valait des années de prison. Ils continuent actuellement, sous le manteau malgré les menaces, en Chine toujours communiste, dans les pays musulmans, en Corée du Nord, partout où le seul fait de posséder une bible est passible de condamnation pénale.
Malgré de louables efforts de vulgarisation et de diffusion biblique, il faut reconnaître que les catholiques sont encore loin d’un tel amour biblique…

La première lecture de ce dimanche devrait pourtant nous réveiller. Le Deutéronome nous rappelle que la Parole de Dieu n’est ni compliquée ni lointaine, ni réservée à quelques happy few :
« Cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. Elle n’est pas dans les cieux, pour que tu dises : ‘Qui montera aux cieux nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ Elle n’est pas au-delà des mers, pour que tu dises : ‘Qui se rendra au-delà des mers nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique ».

 

décrocher la lune

Le ciel est vide

Comme en écho de l’Ascension où les apôtres étaient invités à revenir sur terre au lieu de rester là à fixer le ciel, hébétés, sidérés, voilà donc que le Deutéronome déclare lui aussi que les cieux sont vides, et que ce n’est surtout pas là qu’il faut chercher la Parole :
« Elle n’est pas dans les cieux, pour que tu dises : ‘Qui montera aux cieux nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ ».
Les gourous de tous bords nous font croire que eux – eux seuls – sont allés décrocher la lune pour nous ramener des révélations sensationnelles. Les clercs de tous bords nous font croire qu’eux – eux seuls – savent correctement interpréter les écrits sacrés soi-disant venus d’ailleurs.

La Bible, elle, répète inlassablement que c’est en descendant en lui-même que l’être humain entendra Dieu lui parler. C’est en écoutant battre le meilleur de notre cœur que nous entendrons battre le cœur de Dieu. C’est en allant au plus intime de nous-mêmes que nous découvrirons la vérité de notre être. Car, par l’Esprit qui se moque des frontières religieuses, Dieu habite en chacun : il est plus intime à moi-même que moi-même (Augustin). C’est donc en me re-cueillant, par le silence, l’étude, la prière, la contemplation, que je pourrai laisser jaillir la source divine intérieure.

Descendre en soi est le plus sûr chemin pour écouter ce que Dieu veut me dire. C’est également une voie de salut, pour me réconcilier avec moi-même, et trouver l’unité fondamentale qui me fait vivre en communion avec le monde. L’intériorité est ainsi un chemin de guérison très sûr. Une amie m’en témoignait récemment avec enthousiasme :
« Suite à un stage que je viens de faire dans un lieu sympa mais plus encore avec des personnes hors du lot, psycho énergéticiennes incroyables, je suis toute retournée. Dans la hutte de sudation amérindienne, j’ai lâché des poids, je me suis allégée et mon mal de dos, c’est à dire mon psoas, muscle de l’âme s’est relâché d’un seul coup ! Je te raconte ça car c’est une expérience extraordinaire ».
Évidemment, je suis un peu méfiant et sceptique sur le vocabulaire et l’appareil théorique qui prétend expliquer ce genre d’expérience. Mais la qualité de l’expérience spirituelle paraît bien là. Revenir à soi nous rapproche de Dieu, tout proche. Et même si certains en rendent compte avec des théories un peu délirantes, cela ne supprime pas la force de l’expérience intérieure à la base de toute guérison spirituelle. Ce n’est pas parce que Christophe Colomb raconte avoir découvert les Indes qu’il n’a rien découvert du tout…

 

La source d’eau, le quatrième signe de Lourdes

Aller à la source intérieure

Le livre du Deutéronome nous renvoie donc à notre profondeur personnelle. Ceux qui vivent à la surface d’eux-mêmes auront du mal à entendre cet appel. Ils s’étourdissent dans l’action ; la poursuite des hochets (argent, gloire, puissance, plaisir) calment leur faim au lieu de la creuser. Pour entendre la Parole, il nous faut être attentifs à la soif la plus vraie qui nous habite, au désir le plus exigeant qui nous anime. Telle une baguette de sourcier, la lecture de la Bible nous fait alors vibrer à l’approche de la source en nous. Telle Bernadette Soubirous grattant la boue de la ‘tutte aux cochons’ de Massabielle, la lecture intime de la Bible dégage au plus profond de notre être un filet d’eau d’abord trouble, puis de plus en plus clair, jusqu’à devenir parfois gave impétueux qui emporte tout !

N’avez-vous jamais pleuré en lisant tel verset, tel passage ? Comme si cette parole n’avait été écrite que pour vous, tellement elle vous révèle à vous-même à cet instant précis de votre trajectoire.
N’avez-vous jamais bondi de joie en découvrant telle perle dans la Bible ?
N’avez-vous jamais chanté les psaumes comme si vous veniez de les composer pour votre détresse ou votre allégresse ?
N’avez-vous jamais été ébloui devant la beauté de l’être humain qui se révèle dans un texte ? Ou fasciné par la complexité de ce même humain à l’œuvre entre les lignes ?

La proximité de la Parole de Dieu est pleinement réalisée depuis Pentecôte, où la promesse du prophète Joël est accomplie en plénitude :
« Il arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes » (Jl 2,26 ; Ac 2, 16-17)

Depuis Pentecôte, la Parole n’est plus à l’extérieur de nous-mêmes. Cela ne signifie pas que nous n’ayons plus besoin de maîtres, de guides pour descendre en nous écouter cette Parole. Cela signifie que ces maîtres, ces guides devront respecter la localisation intime du trésor de la Parole, et qu’ils ne devront jamais se substituer à mon appropriation personnelle, en conscience.

Rappelons que chez les juifs encore aujourd’hui la tradition orale est aussi importante que l’écrite. Il y a deux Torah : la Torah orale s’appuie sur la Torah écrite pour lui donner toute sa saveur personnelle et mystique, comme pour l’actualiser sans cesse dans les nouveaux contextes politiques et sociaux.

En christianisme, c’est l’Esprit de Pentecôte qui assure ce passage de l’extérieur à l’intérieur, de l’objectif à l’intime, de la norme au désir, de la loi à l’esprit. C’est l’Esprit qui fait du texte lu, médité, entendu, une parole pour moi, maintenant.

La vie spirituelle – c’est-à-dire la vie dans l’Esprit, selon l’Esprit – est une itinérance d’intimité avec soi où Dieu se fait tout proche, où sa Parole devient notre parole et réciproquement.

 

Une soif infinie

Quant à la soif de cette Parole que la lecture de la Bible a pour but de creuser et d’accroître à l’infini, laissons le diacre syriaque Éphrem (IV° siècle) nous la décrire mieux que quiconque :

Ephrem le syriaque« Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d’une seule de tes paroles, Seigneur ? Ce que nous en comprenons est bien moindre que ce que nous en laissons ; comme des gens assoiffés qui boivent à une source. Les perspectives de ta parole sont nombreuses, comme sont nombreuses les orientations de ceux qui l’étudient. Le Seigneur a coloré sa parole de multiples beautés, pour que chacun de ceux qui la scrutent puisse contempler ce qu’il aime. Et dans sa parole il a caché tous les trésors, pour que chacun de nous trouve une richesse dans ce qu’il médite. […]

Celui qui obtient en partage une de ces richesses ne doit pas croire qu’il y a seulement, dans la parole de Dieu, ce qu’il y trouve. Il doit comprendre au contraire qu’il a été capable d’y découvrir une seule chose parmi bien d’autres. Enrichi par la parole, il ne doit pas croire que celle-ci est appauvrie ; incapable de l’épuiser, qu’il rende grâce pour sa richesse. Réjouis-toi parce que tu es rassasié, mais ne t’attriste pas de ce qui te dépasse. Celui qui a soif se réjouit de boire, mais il ne s’attriste pas de ne pouvoir épuiser la source.

Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source.
Si ta soif est étanchée sans que la source soit tarie, tu pourras y boire à nouveau, chaque fois que tu auras soif. Si au contraire, en te rassasiant, tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur.

Rends grâce pour ce que tu as reçu et ne regrette pas ce qui demeure inutilisé. Ce que tu as pris et emporté est ta part ; mais ce qui reste est aussi ton héritage. Ce que tu n’as pas pu recevoir aussitôt, à cause de ta faiblesse, tu le recevras une autre fois, si tu persévères. N’aie donc pas la mauvaise pensée de vouloir prendre d’un seul trait ce qui ne peut être pris en une seule fois ; et ne renonce pas, par négligence, à ce que tu es capable d’absorber peu à peu ».

 


Lectures de la messe

Première lecture
« Elle est tout près de toi, cette Parole, afin que tu la mettes en pratique » (Dt 30, 10-14)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple : « Écoute la voix du Seigneur ton Dieu, en observant ses commandements et ses décrets inscrits dans ce livre de la Loi, et reviens au Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme. Car cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. Elle n’est pas dans les cieux, pour que tu dises : ‘Qui montera aux cieux nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ Elle n’est pas au-delà des mers, pour que tu dises : ‘Qui se rendra au-delà des mers nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. »

Psaume
(Ps 68, 14, 17, 30-31, 33-34, 36ab.37)
R/ Cherchez Dieu, vous les humbles et votre cœur vivra.

Moi, je te prie, Seigneur :
c’est l’heure de ta grâce ;
dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi,
par ta vérité sauve-moi.

Réponds-moi, Seigneur,
car il est bon, ton amour ;
dans ta grande tendresse,
regarde-moi.

Et moi, humilié, meurtri,
que ton salut, Dieu, me redresse.
Et je louerai le nom de Dieu par un cantique,
je vais le magnifier, lui rendre grâce.

Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête :
« Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! »
Car le Seigneur écoute les humbles,
il n’oublie pas les siens emprisonnés.

Car Dieu viendra sauver Sion
et rebâtir les villes de Juda.
patrimoine pour les descendants de ses serviteurs,
demeure pour ceux qui aiment son nom.

Deuxième lecture
« Tout est créé par lui et pour lui » (Col 1, 15-20)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens
Le Christ Jésus est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui.
Il est aussi la tête du corps, la tête de l’Église : c’est lui le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin qu’il ait en tout la primauté. Car Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel.

Évangile
« Qui est mon prochain ? » (Lc 10, 25-37)
Alléluia. Alléluia. 
Tes paroles, Seigneur, sont esprit et elles sont vie ; tu as les paroles de la vie éternelle. Alléluia. (cf. Jn 6, 63c.68c)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. » Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. » Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté. De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté. Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion. Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : ‘Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.’ Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »
Patrick BRAUD

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16 avril 2014

Vendredi Saint : les morts oubliés

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Vendredi Saint : les morts oubliés

 

Homélie pour le Vendredi Saint / Année A
18/04/2014 

Les noms s’égrènent lentement un par un :

- « René, 43 ans, mort dans l’indigence. »
Un lumignon est allumé, une rose est déposée.

- « Germaine, 64 ans, morte seule dans la rue. »
Un autre lumignon, une autre rose…

- Une soixantaine de noms sont ainsi évoqués : les 60 personnes SDF ou « indigentes » - comme on dit en mairie - qui sont mortes sur l’agglomération de Lyon cette année sans que personne de leur famille ou amis ait voulu prendre en charge leurs obsèques.

Pour lutter contre cette ultime humiliation faite aux pauvres, une religieuse, Sr Irène Davos, a créé en 1986 une association qui accompagne dans la mort comme dans la vie ceux qui se sentent abandonnés de tous.

Vendredi Saint : les morts oubliés dans Communauté spirituelle 41NFV2Y84ML._« Magdala est né… lors d’un enterrement.

Mêlée depuis six années à la vie des familles démunies du quartier de Lille Sud avec la bibliothèque de rue et l’université populaire en quart-monde, je partageais leurs soucis quotidiens. Et je décou­vrais aussi l’un des drames profonds des familles pauvres : même leurs morts n’ont pas droit à un minimum de respect et de dignité. « On a une vie de chien, et on est enterré au petit matin, en quelques minutes, comme des chiens ! », me racontaient, écoeurées, ces femmes tellement tristes et impuissantes face à la réalité de leur vie.

C’est en assistant à l’enterrement bâclé d’une jeune femme de vingt-sept ans que j’ai pris en effet toute la mesure de cette blessure inhu­maine.

Marie-Josée était malade. Elle vivait seule avec son chien, rongée par l’alcool, détruite par la prostitution. Elle survivait tant bien que mal dans son quartier, grâce, notamment, à l’amitié d’une voisine. Gisèle vit comme elle peut, elle aussi, sans gaz, sans électricité. Et moi, entre deux cours, je venais discuter avec les femmes de l’immeuble, constatant de jour en jour combien la santé de Marie-Josée se délabrait. Un jour survint où le mal a pris le dessus : la jeune femme fut plongée dans un coma profond, avant de mourir.

Personne ne se manifesta parmi les membres de sa famille qui, déjà de son vivant, ne voulaient plus entendre parler d’elle. Abandonnée de tous, la jeune femme prostituée – qui nous précédera dans le royaume des cieux ! – devait donc être enterrée sans cérémonie ni couronnes. Un enter­rement « indigent », selon la terminologie de l’administration municipale.

«  Ce n’est pas parce que c’était une putain qu’on va pas lui acheter un bouquet de fleurs. C’est une personne comme nous », se disent entre elles les femmes du quartier. Dans le petit matin blafard, elles ne sont que quelques-unes à assister à l’enterrement. Elles m’avaient invi­tée.

Tout est effectivement terminé en quelques minutes. Même le temps de deuil est volé aux pauvres, si vite ignorés, si rapidement oubliés : « On ne vaut rien, jusque dans notre mort, on compte pour moins que rien », constatent les femmes, de retour du cimetière…

Quelle blessure bouleversante. Dans les quelques lignes d’un poème de douleur, j’ai jeté les mots de ma révolte : le cri des sans-voix et des sans-vie, le cri des rejetés à qui il fallait redonner leur dignité d’homme et de femme. « Fleur fanée tombant sous le poids de ceux, de celles qui t’ont laissé tomber (…) Nous t’achète­rons un bouquet, fleur refleurie, nouvellement éclose. Tu vis enfin, tu danses, tu ris, tu chantes, tu aimes, tu es aimée, fleur désirée, créée par amour, appelée par ton nom. »

Il faudra encore des mois pour faire changer les habitudes. De terribles événements nous y ont aidés, quand Gigi a été assassinée par son compa­gnon de vie. Les nécessités de l’instruction et l’autopsie allaient retarder l’enterrement : avec ceux du quartier, les deux semaines ont été mises à profit pour lui offrir un enterrement digne.

À la mairie, l’employée a bien tenté de me faire comprendre que l’enterrement des personnes indigentes ne prévoit pas un détour par l’église. J’ai dû m’adresser à l’élue. J’ai d’ailleurs trouvé auprès de l’adjointe qui avait en charge l’état civil un accueil compréhensif : « Si des personnes, baptisées ou non, ont manifesté durant leur vie qu’elles étaient croyantes, il est normal qu’elles puissent être enterrées à l’église », confirme-t-elle.

L’Église elle-même, à son tour, découvre combien la dignité des personnes indigentes était bafouée : les responsables paroissiaux avouent qu’ils n’avaient pas réalisé dans quelles conditions les pauvres étaient portés en terre. Et les familles démunies ne demandent jamais rien ! Puisqu’elles n’ont pas de quoi payer, elles n’ont droit à rien : l’enterrement, comme le reste, ce n’est pas pour elles. L’église, « c’est pour les riches ! »…

Il faudra encore négocier patiemment avec les entreprises de pompes funèbres, pour que l’en­terrement des pauvres ne soit pas réglé en cati­mini, au petit matin, avant les heures ouvrables. Et que les cercueils de pauvres puissent être fleu­ris comme les autres, avec le même respect.

La communauté Magdala est née de cet évé­nement : qui que nous soyons, nous avons droit au respect. C’est une des intuitions de départ de Magdala qui, encore après le dernier souffle de vie, veut affirmer la dignité d’homme et de femme, de fils et de fille de Dieu. C’est important pour celui qui n’est plus. C’est capital pour ceux qui restent : la présence de témoins lors des funé­railles vient rappeler aux plus exclus, aux laissés-pour-compte de la société, à tous les pauvres de la terre, qu’ils ont tous une égale dignité d’être humain, jusque dans la mort. »

Irène DEVOS et Christophe HENNING , Risquer de vivre, Ed. de l’Atelier, Collection Mieux vivre, 2001, pp 57-60.

 

Ce vendredi saint, Jésus lui aussi partage l’abandon et la solitude des indigents de nos villes, jusque dans la mort.

S’il n’y avait pas eu Joseph pour oser réclamer le corps, s’il n’y avait pas eu le riche Nicodème pour lui prêter sa concession au cimetière, Jésus lui aussi aurait été jeté à la hâte dans la fosse commune des miséreux, avec juste sa mère et Jean comme cortège.

Jésus aurait dû normalement sombrer dans les oubliettes de l’histoire : obscur petit prophète juif ayant échoué comme tant d’autres à renverser le pouvoir romain, sa fin sur la croix n’est qu’un lamentable échec supplémentaire sur la longue liste des loosers de tous bords.

 

Cette mort abandonnée fait corps avec toutes celles qui hantent nos trottoirs dans nos villes, les logements sociaux pour célibataires, les hospices pour vieux isolés.

Ceux à qui personne n’adresse vraiment la parole pendant des jours entiers reconnaissent en Jésus un compagnon de solitude.

Ceux dont personne ne vient réclamer le corps une fois décédé verront le Christ leur servir de Joseph d’Arimathie.

Ceux pour qui personne n’est prêt à payer d’obsèques s’étonneront de voir le Christ leur servir de Nicodème.

Ceux qui font seuls le grand passage dans l’indifférence générale ou dans l’humiliation de la misère découvriront en Jésus un compagnon de galère, un frère en humanité qui les conduit jusqu’au coeur de la divinité.

La résurrection pascale est alors la promesse faite à chacun des humiliés que Dieu lui ne les laissera pas isolés dans la mort, mais en communion avec tous les saints  dans la vie.

 

Consolation facile, illusion analgésique direz-vous ? Les SDF vous répondront que le désespoir est plus fascinant que l’espérance, que la dépression est plus naturelle que la reconstruction, que l’alcool, la cigarette ou la drogue sont plus faciles à choisir que le combat pour vivre enfin.

 

Ce vendredi est saint parce qu’il ouvre aux damnés de la terre un itinéraire de libération, dès maintenant, et à travers la mort, fut-elle solitaire, abandonnée et oubliée de tous.

 

 

Vendredi Saint : Célébration de la Passion du Seigneur

1ère lecture : La grande prophétie du Serviteur souffrant (Is 52, 13-15; 53, 1-12)

Lecture du livre d’Isaïe

Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté !
La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’aspect d’un fils d’Adam.
Et voici qu’il consacrera une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce qu’on ne leur avait jamais dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler.

Qui aurait cru ce que nous avons entendu ? À qui la puissance du Seigneur a-t-elle été ainsi révélée ?
Devant Dieu, le serviteur a poussé comme une plante chétive, enracinée dans une terre aride. Il n’était ni beau ni brillant pour attirer nos regards, son extérieur n’avait rien pour nous plaire.
Il était méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien.
Pourtant, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était châtié, frappé par Dieu, humilié.
Or, c’est à cause de nos fautes qu’il a été transpercé, c’est par nos péchés qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous obtient la paix est tombé sur lui, et c’est par ses blessures que nous sommes guéris.
Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous.

Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche.
Arrêté, puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est soucié de son destin ? Il a été retranché de la terre des vivants, frappé à cause des péchés de son peuple.
On l’a enterré avec les mécréants, son tombeau est avec ceux des enrichis ; et pourtant il n’a jamais commis l’injustice, ni proféré le mensonge.
Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. Mais, s’il fait de sa vie un sacrifice d’expiation, il verra sa descendance, il prolongera ses jours : par lui s’accomplira la volonté du Seigneur.

À cause de ses souffrances, il verra la lumière, il sera comblé. Parce qu’il a connu la souffrance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs péchés.
C’est pourquoi je lui donnerai la multitude en partage, les puissants seront la part qu’il recevra, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs.

 

Psaume : Ps 30, 2ab.6, 12, 13-14ad, 15-16, 17.25

R/ O Père, dans tes mains je remets ton esprit

En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ;
garde-moi d’être humilié pour toujours.
En tes mains je remets mon esprit ;
tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité.

Je suis la risée de mes adversaires 
et même de mes voisins, 
je fais peur à mes amis 
s’ils me voient dans la rue, ils me fuient. 

On m’ignore comme un mort oublié, 
comme une chose qu’on jette. 
J’entends les calomnies de la foule ; 
ils s’accordent pour m’ôter la vie. 

Moi, je suis sûr de toi, Seigneur, 
je dis : « Tu es mon Dieu ! » 
Mes jours sont dans ta main : délivre-moi 
des mains hostiles qui s’acharnent. 

Sur ton serviteur, que s’illumine ta face ;
sauve-moi par ton amour.
Soyez forts, prenez courage, 
vous tous qui espérez le Seigneur !

 

2ème lecture : Jésus, le grand prêtre, cause de notre salut (He 4,14-16; 5,7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, 
en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a pénétré au-delà des cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi.
En effet, le grand prêtre que nous avons n’est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses ; en toutes choses, il a connu l’épreuve comme nous, et il n’a pas péché.
Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le Dieu tout-puissant qui fait grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.

Le Christ,
pendant les jours de sa vie mortelle, a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu’il s’est soumis en tout, il a été exaucé.
Bien qu’il soit le Fils, il a pourtant appris l’obéissance par les souffrances de sa Passion ; et, ainsi conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

 

Evangile : La Passion (Jn 18, 1-40; 19, 1-42)

Acclamation :

Christ, mort pour nos péchés,
Christ, ressuscité pour notre vie !
Pour nous,

le Christ s’est fait obéissant,
jusqu’à la mort, 
et la mort sur une croix.
Voilà pourquoi
Dieu l’a élevé souverainement
et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom.
Christ, mort pour nos péchés,
Christ, ressuscité pour notre vie !

(cf. Ph 2, 8-9)

 

La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Jean

Après le repas, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples.
Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus y avait souvent réuni ses disciples.
Judas prit donc avec lui un détachement de soldats, et des gardes envoyés par les chefs des prêtres et les pharisiens. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes.
Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : « Qui cherchez-vous ? »
Ils lui répondirent : « Jésus le Nazaréen. » Il leur dit : « C’est moi. » Judas, qui le livrait, était au milieu d’eux.
Quand Jésus leur répondit : « C’est moi », ils reculèrent, et ils tombèrent par terre.
Il leur demanda de nouveau : « Qui cherchez-vous ? » Ils dirent : « Jésus le Nazaréen. »
Jésus répondit : « Je vous l’ai dit : c’est moi. Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. »
(Ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés ».)
Alors Simon-Pierre, qui avait une épée, la tira du fourreau ; il frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus.
Jésus dit à Pierre : « Remets ton épée au fourreau. Est-ce que je vais refuser la coupe que le Père m’a donnée à boire ? »
Alors les soldats, le commandant et les gardes juifs se saisissent de Jésus et l’enchaînent.
Ils l’emmenèrent d’abord chez Anne, beau-père de Caïphe, le grand prêtre de cette année-là.
(C’est Caïphe qui avait donné aux Juifs cet avis : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour tout le peuple. ») 

Simon-Pierre et un autre disciple suivaient Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans la cour de la maison du grand prêtre, mais Pierre était resté dehors, près de la porte. Alors l’autre disciple ? celui qui était connu du grand prêtre ? sortit, dit un mot à la jeune servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre.
La servante dit alors à Pierre : « N’es-tu pas, toi aussi, un des disciples de cet homme-là ? » Il répondit : « Non, je n’en suis pas ! »
Les serviteurs et les gardes étaient là ; comme il faisait froid, ils avaient allumé un feu pour se réchauffer. Pierre était avec eux, et se chauffait lui aussi.

Or, le grand prêtre questionnait Jésus sur ses disciples et sur sa doctrine.
Jésus lui répondit : « J’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné dans les synagogues et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi me questionnes-tu ? Ce que j’ai dit, demande-le à ceux qui sont venus m’entendre. Eux savent ce que j’ai dit. »
À cette réponse, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! »
Jésus lui répliqua : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »
Anne l’envoya, toujours enchaîné, au grand prêtre Caïphe.

Simon-Pierre était donc en train de se chauffer ; on lui dit : « N’es-tu pas un de ses disciples, toi aussi ? » Il répondit : « Non, je n’en suis pas ! »
Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, insista : « Est-ce que je ne t’ai pas vu moi-même dans le jardin avec lui ? »
Encore une fois, Pierre nia. À l’instant le coq chanta .

Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au palais du gouverneur. C’était le matin. Les Juifs n’entrèrent pas eux-mêmes dans le palais, car ils voulaient éviter une souillure qui les aurait empêchés de manger l’agneau pascal. 
Pilate vint au dehors pour leur parler : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » 
Ils lui répondirent : « S’il ne s’agissait pas d’un malfaiteur, nous ne te l’aurions pas livré. »
Pilate leur dit : « Reprenez-le, et vous le jugerez vous-mêmes suivant votre loi. » Les Juifs lui dirent : « Nous n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort. »
Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir.
Alors Pilate rentra dans son palais, appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? »
Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d’autres te l’ont dit ? »
Pilate répondit : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta nation et les chefs des prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? »
Jésus déclara : « Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d’ici. »
Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »
Pilate lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? » 
Après cela, il sortit de nouveau pour aller vers les Juifs, et il leur dit : « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais c’est la coutume chez vous que je relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? »
Mais ils se mirent à crier : « Pas lui ! Barabbas ! » (Ce Barabbas était un bandit.)

Alors Pilate ordonna d’emmener Jésus pour le flageller.

Les soldats tressèrent une couronne avec des épines, et la lui mirent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau de pourpre.

Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : « Honneur à toi, roi des Juifs ! » Et ils le giflaient. 

Pilate sortit de nouveau pour dire aux Juifs : « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » 
Alors Jésus sortit, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : « Voici l’homme. »

Quand ils le virent, les chefs des prêtres et les gardes se mirent à crier : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Reprenez-le, et crucifiez-le vous-mêmes ; moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. »

Les Juifs lui répondirent : « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est prétendu Fils de Dieu. »

Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte.

Il rentra dans son palais, et dit à Jésus : « D’où es-tu ? » Jésus ne lui fit aucune réponse.

Pilate lui dit alors : « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher, et le pouvoir de te crucifier ? »

Jésus répondit : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; ainsi, celui qui m’a livré à toi est chargé d’un péché plus grave. »

Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher ; mais les Juifs se mirent à crier : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. »

En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors ; il le fit asseoir sur une estrade à l’endroit qu’on appelle le Dallage (en hébreu : Gabbatha).

C’était un vendredi, la veille de la Pâque, vers midi. Pilate dit aux Juifs : « Voici votre roi. »

Alors ils crièrent : « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Vais-je crucifier votre roi ? » Les chefs des prêtres répondirent : « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. »

Alors, il leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié, et ils se saisirent de lui. 

Jésus, portant lui-même sa croix, sortit en direction du lieu dit : Le Crâne, ou Calvaire, en hébreu : Golgotha.

Là, ils le crucifièrent, et avec lui deux autres, un de chaque côté, et Jésus au milieu.

Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix, avec cette inscription : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. »

Comme on avait crucifié Jésus dans un endroit proche de la ville, beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, qui était libellé en hébreu, en latin et en grec.

Alors les prêtres des Juifs dirent à Pilate : « Il ne fallait pas écrire : ‘Roi des Juifs’ ; il fallait écrire : ‘Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs’. »

Pilate répondit : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. »

Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chacun. Restait la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas.

Alors ils se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, tirons au sort celui qui l’aura. » Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats.

Or, près de la croix de Jésus se tenait sa mère, avec la s?ur de sa mère, Marie femme de Cléophas, et Marie Madeleine.

Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. »

Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.

Après cela, sachant que désormais toutes choses étaient accomplies, et pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif. »

Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche.

Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. 

Comme c’était le vendredi, il ne fallait pas laisser des corps en croix durant le sabbat (d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque). Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes.

Des soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis du deuxième des condamnés que l’on avait crucifiés avec Jésus.

Quand ils arrivèrent à celui-ci, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau.

Celui qui a vu rend témoignage, afin que vous croyiez vous aussi. (Son témoignage est véridique et le Seigneur sait qu’il dit vrai.)

Tout cela est arrivé afin que cette parole de l’Écriture s’accomplisse : Aucun de ses os ne sera brisé.

Et un autre passage dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. 

Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus.

Nicodème (celui qui la première fois était venu trouver Jésus pendant la nuit) vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres.

Ils prirent le corps de Jésus, et ils l’enveloppèrent d’un linceul, en employant les aromates selon la manière juive d’ensevelir les morts.

Près du lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore mis personne.

Comme le sabbat des Juifs allait commencer, et que ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
Patrick Braud

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11 décembre 2010

Du goudron et des carottes râpées

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Du goudron et des carottes râpées

 

Homélie du 3° dimanche de l’Avent / Année A

Dimanche 12 Décembre 2010

 

 

Du goudron et des carottes râpées

Il est 23 heures.

Je vois un homme s’approcher de la forme humaine dont on ne sait pas si elle est Du goudron et des carottes râpées dans Communauté spirituelle sdfaccroupie, assise ou allongée sur le goudron du trottoir. Devant l’entrée du supermarché spécialisé dans le hard discount en plein quartier populaire de la ville, l’homme distingue ce SDF, un de plus, qui pioche avec une fourchette dans une barquette en plastique de carottes râpées à 1 € (0,99 € exactement, ‘marque repère’…). À côté de la forme, l’inévitable bouteille de vin, elle aussi en plastique, déjà à moitié vidée.

L’homme hésite visiblement, dépasse la silhouette aux carottes râpées, convaincu sans doute (et peut-être avec raison) que l’aide à la mendicité est contre-productive. Mais il fait froid. De plus en plus avec le brouillard qui tombe. Mais la solitude dans le noir de la ville est encore plus glaciale lorsqu’on est dans la galère : même un habitant des beaux quartiers, bien éclairé et bien chauffé, peut deviner cela… Il revient sur ses pas, s’accroupit au côté de la forme noire et rouge. Surprise : c’est une femme. En relevant la tête, elle s’étonne, et bredouille quelques mots : « plus de place. Demain j’irai ». L’homme sort un billet de 20 € de son porte-monnaie et lui met dans la main : « faites attention à ne pas vous le faire voler ». Elle ne dit rien. Elle ne peut rien dire ; l’alcool a déjà embrouillé sa langue. Mais elle le regarde avec une tendresse inattendue sur ce trottoir, et lui caresse doucement la joue…

- « Voulez-vous que j’appelle le 115 ? »

- « Ils sont venus. Pas de place. »

- « Où allez-vous dormir ? »

- « Ailleurs. »

L’homme se relève. Obligé de continuer sa route…

 

Répondre par des actes concrets

Pourquoi raconter longuement cette scène si fréquente dans nos cités ? Parce qu’elle rejoint notre évangile d’Avent. Jean-Baptiste exprime en effet son interrogation au sujet de Jésus : qui est-il vraiment ?

« Il veut que les faits parlent et disent la différence qui existe entre lui et Jésus. Il envoie donc les deux disciples qu’il croit les plus aptes à comprendre (saint Jean Chrysostome : XXXVI° homélie sur l’évangile selon saint Matthieu, I&2).

Ses disciples demandent à Jésus de répondre : « es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Or Jésus ne répond pas par des discours ou par des paroles. Il renvoie à ses actes : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres… »

 

Autrement dit : la venue du Fils de l’Homme se joue dans les actes concrets qui aujourd’hui encore donnent de la dignité aux méprisés, font confiance aux humiliés, donnent un toit aux sans-abri, de la nourriture et du travail à celui qui est méprisé, et ainsi privé de la fraternité des hommes…

 

Jésus n’a pas fait un long discours sur la Trinité aux envoyés de Jean-Baptiste. Il a simplement renvoyé à ses actes. « Mes oeuvres parlent pour moi » dira-t-il dans l’Évangile de Jean. Ici, il demande seulement aux envoyés de Jean de constater : « allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez ».

 

Jean-Baptiste était la Voix. Jésus est le Verbe fait chair, la parole faite actes.

N’est-ce pas ce que les hommes d’aujourd’hui attendent des chrétiens : qu’ils agissent, que leurs actes traduisent leur conception de l’homme, du respect des plus faibles, de la défense de la vie sous toutes ses formes et à toutes ses étapes ?

 

Le psaume 145 de notre liturgie décline d’ailleurs cette identité divine en une série d’actions de salut et de libération. Dieu se révèle tel qu’il est lorsqu’il agit pour ceux qu’il aime, nous les hommes : il fait justice / donne le pain / délie / ouvre les yeux / redresse / aime / protège / soutient

 

Isaïe était tout aussi concret : « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. Ils reviendront, les captifs rachetés par le Seigneur? »

 

La feuille de route de l’Église

C’est toujours notre feuille de route pour être à son image, pour le laisser agir à travers nous, pour être « le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain » (Concile Vatican II, Lumen Gentium n° 1). La vocation sacramentelle de l’Église, c’est aussi cela : faire en sorte que : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres… »

 

Paul VI le disait avec courage en 1975 :

« Pour l’Église, le témoignage d’une vie authentiquement chrétienne, livrée à Dieu dans une communion que rien ne doit interrompre mais également donnée au prochain avec un zèle sans limite, est le premier moyen d’évangélisation. « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maître » disions-Nous récemment à un groupe de laïcs, « ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins ». Saint Pierre l’exprimait bien lorsqu’il évoquait le spectacle d’une vie pure et respectueuse, « gagnant sans paroles même ceux qui refusent de croire à la Parole » (1P 3,1). C’est donc par sa conduite, par sa vie, que l’Église évangélisera tout d’abord le monde, c’est-à-dire par son témoignage vécu de fidélité au Seigneur Jésus, de pauvreté et détachement, de liberté face aux pouvoirs de ce monde, en un mot, de sainteté. »

Evangelii Nuntiandi n° 41, Paul VI (8/12/1975)

  

Puissions-nous traduire en actes concrets, au coeur du froid et des nuits hivernales tout particulièrement, cette feuille de route que le Messie a laissée à son Église ! Il y a tant d’associations, chrétiennes ou non, que nous pouvons soutenir, aider et encourager, et auxquelles participer, pour que des actes soient posés avec les plus petits, les laissés-pour-compte… Il y a tant de gestes efficaces que nous pouvons (devons) faire en ce sens…

 

1ère lecture : Les merveilles du salut à venir (Is 35, 1-6a.10) 

Lecture du livre d’Isaïe

Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse,

qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et de Sarône. On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu.

Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent,

dites aux gens qui s’affolent : « Prenez courage, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. »

Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds.

Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. Ils reviendront, les captifs rachetés par le Seigneur, ils arriveront à Jérusalem dans une clameur de joie, un bonheur sans fin illuminera leur visage ; allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuiront.

 

Psaume : Ps 145, 7, 8, 9ab.10a

 

R/ Viens, Seigneur, et sauve-nous !

Le Seigneur fait justice aux opprimés ;

aux affamés, il donne le pain,

le Seigneur délie les enchaînés.

 

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,

le Seigneur redresse les accablés,

le Seigneur aime les justes.

 

Le Seigneur protège l’étranger.

Il soutient la veuve et l’orphelin.

D’âge en âge, le Seigneur régnera.

 

2ème lecture : Ayez de la patience : la venue du Seigneur est proche (Jc 5, 7-10)

Lecture de la lettre de saint Jacques

Frères, en attendant la venue du Seigneur, ayez de la patience. Voyez le cultivateur : il attend les produits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la première et la dernière récoltes.

Ayez de la patience vous aussi, et soyez fermes, car la venue du Seigneur est proche.

Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. Voyez : le Juge est à notre porte.

Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

 

Evangile : Jean Baptiste et Jésus (Mt 11, 2-11)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jean le Baptiste, dans sa prison, avait appris ce que faisait le Christ. Il lui envoya demander par ses disciples :

« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

Jésus leur répondit : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez :

Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres.

Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! »

Tandis que les envoyés de Jean se retiraient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu’êtes-vous allés voir au désert ? un roseau agité par le vent ?…

Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme aux vêtements luxueux ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois.

Qu’êtes-vous donc allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète.

C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour qu’il prépare le chemin devant toi.

Amen, je vous le dis : Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. »
Patrick Brau

Carton Rouge au logement en France / Fondation Abbé Pierre

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