À temps à contretemps
À temps et à contretemps
Homélie du 29° Dimanche du temps ordinaire / Année C
16/10/2016
Cf. également :
La grenouille qui ne se décourageait jamais
Quand faut-il parler, et quand faut-il se taire ?
Vaut-il mieux compatir ou réagir ?
Devant un ami qui vient de perdre un proche, devant un collègue en souffrance ou un jeune à la dérive, vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions.
Discerner quel est le moment favorable pour une parole forte est un art difficile. Qui n’a jamais regretté d’avoir risqué un encouragement ou un reproche alors qu’il aurait mieux valu attendre ? À l’inverse, ne rien dire ou ne rien faire risque de passer pour de la complicité ou de la lâcheté…
Paul tranche la question avec autorité : « annonce la Parole à temps et à contretemps ». Essayons de voir ce que ce que cela peut vouloir dire pour nous aujourd’hui.
À temps
Il est des événements, des cultures, des peuples où la Parole de Dieu est attendue, plus ou moins consciemment. La Bible apparaît alors comme un achèvement, une plénitude, un accomplissement. Dans beaucoup d’ethnies africaines par exemple, il y a depuis des siècles une sagesse qui trouve dans les Psaumes, les Proverbes, Qohélet et tous les écrits sapientiaux de l’Ancien Testament une résonance quasi naturelle. Leur conception du monde contient déjà l’intuition d’un dieu créateur. Pour ces cultures, la mort permet de rejoindre les ancêtres. Annoncer la résurrection du Christ et la nôtre dans cet univers est ‘simple’, au sens où la Parole de Dieu s’inscrit dans la continuité et le parachèvement des valeurs traditionnelles.
Pierres d’attente
Dans notre culture occidentale, et particulièrement française, il y a également des « pierres d’attente » sur lesquels greffer l’annonce de l’espérance chrétienne. Les questions sociales notamment : défendre la dignité des exclus, lier le combat pour la justice et la fraternité à l’Évangile, révéler la beauté de la Création et l’écologie chrétienne qui en découle…
La Doctrine sociale de l’Église est toujours une idée neuve en Europe, qui vient rencontrer et magnifier les attentes de tant d’acteurs économiques et sociaux !
Semences du Verbe
Annoncer la Parole à temps demande donc de s’appuyer sur ce que les Pères de l’Église appelaient les « semences du Verbe » :
St Justin par exemple dès le II° siècle voyait dans les philosophes une pré-annonce évangélique : « les Stoïciens ont établi en morale des principes justes : les poètes en ont exposé aussi, car la semence du Verbe est innée dans tout le genre humain ». « De fait, tous les écrivains pouvaient, grâce à la semence du Logos implantée en eux, voir la réalité, d’une manière indistincte (…) ». « Tout ce que philosophes et poètes ont dit de l’immortalité de l’âme, des châtiments après la mort, de la contemplation des choses célestes et des doctrines semblables, c’est pour en avoir repris les principes chez les prophètes qu’ils ont pu le concevoir et l’exposer. De là vient que chez tous, apparemment, il y a des semences de vérité… » (Apologie II).
Le Verbe de Dieu, avant même d’avoir pris chair en Jésus, était mystérieusement à l’œuvre dans les siècles antérieurs, et jusque dans le monde des nations.
Paul VI, puis Jean-Paul II, insisteront sur les conséquences missionnaires de cette action de Dieu dans le monde :
« Les religions non chrétiennes possèdent un patrimoine impressionnant de textes profondément religieux. Elles ont appris à des générations de personnes à prier. Elles sont toutes parsemées d’innombrables « semences du Verbe« (S. Justin I Apologia 46,1-4 ; II Apologia 7,1-4 ; 10,1-3 ; 13,3-4 ; Clément d’Alexandrie Stromata I, 19,91-94) AGD 11; LG 17 et peuvent constituer une authentique « préparation évangélique« LG 16 pour reprendre un mot heureux du Concile Vatican II emprunté à Eusèbe de Césarée (Préparation Evangelica, I,1) (Evangelii Nuntiandi n° 53, 1975). »
« À juste titre, les Pères de l’Église voyaient dans les diverses religions comme autant de reflets d’une unique vérité, comme des « semences du Verbe » témoignant que l’aspiration la plus profonde de l’esprit humain est tournée, malgré la diversité des chemins, vers une direction unique, en s’exprimant dans la recherche de Dieu et, en même temps, par l’intermédiaire de la tension vers Dieu, dans la recherche de la dimension totale de l’humanité, c’est-à-dire du sens plénier de la vie humaine (Redemptor Hominis n° 11, 1979). »
Préparation évangélique
Le concile Vatican II a repris cette idée patristique pour inviter les missionnaires à s’appuyer sur ce qu’il y a de beau, de vrai, de bon et de grand chez les peuples vers qui ils sont envoyés. C’est ce qu’on appelle la préparation évangélique. Les mentalités, les coutumes déjà présentes dans une culture ou un peuple avant que l’Évangile soit annoncé, et qui pourtant sont en parfaite résonance avec lui : « le goût des sciences et la fidélité sans défaillance à la vérité dans les recherches scientifiques, la nécessité de travailler en équipe dans des groupes spécialisés, le sens de la solidarité internationale, la conscience de plus en plus nette de la responsabilité que les savants ont d’aider et même de protéger les hommes, la volonté de procurer à tous les conditions de vie plus favorables, à ceux-là surtout qui sont privés de responsabilité ou qui souffrent d’indigence culturelle. Dans toutes ces valeurs, l’accueil du message évangélique pourra trouver une sorte de préparation, et la charité divine de celui qui est venu pour sauver le monde la fera aboutir » (GS 57).
« En effet, tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l’Église le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie » (LG 16).
Dieu « prépare ainsi au cours des siècles la voie à l’évangile » (DV 3).
Pour annoncer la parole à temps, commençons donc par nous passionner pour tout ce que la société autour de nous produit d’aspirations légitimes, de justes combats, d’intuitions sur l’homme et sa vocation.
Valorisons ce que le monde professionnel sait produire en termes d’humanisme et d’intelligence.
Relayons les aspirations à plus de gratuité, de beauté et de simplicité qui se font jour actuellement etc. etc.
À contretemps
Paul sait d’expérience que l’annonce de l’Évangile peut susciter autant de résistance que d’enthousiasme, autant de rejet que d’adhésion. Il a pris des risques pour annoncer l’Évangile en osant contredire les dogmes de l’époque, en sachant que cela lui coûterait cher (fouet, prison, décapitation) parce que ses auditeurs n’accepteront pas facilement la révélation évangélique. Il y a en effet en Christ une force de contestation de toute culture, de toute société : contestation de nos aveuglements, de nos habitudes, de nos modes de vie.
Annoncer la parole à contretemps est alors à un témoignage courageux, qui peut aller jusqu’au martyre.
À contretemps, les chrétiens romains des premiers siècles refuseront d’adorer l’empereur, de pratiquer l’avortement.
À contretemps, les martyrs africains ont dénoncé la corruption de certains royaumes.
À contretemps, alors que l’intelligentsia se laissait fasciner, les papes des XVIII° et XIX° siècles ont dénoncé le nazisme et le communisme comme des idéologies inhumaines, « intrinsèquement perverses ».
C’est « l’effet saumon » de l’annonce de l’Évangile : oser aller à contre-courant, ne pas se modeler sur le monde présent, contester ce qu’une culture génère d’inhumanité, résister au conformisme ambiant.
Demandons à l’Esprit Saint dans la prière la grâce de ce discernement : quand devrai-je parler ? à temps ? à contretemps ?
1ère lecture : « Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort » (Ex 17, 8-13)
Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, le peuple d’Israël marchait à travers le désert. Les Amalécites survinrent et attaquèrent Israël à Rephidim. Moïse dit alors à Josué : « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites. Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main. » Josué fit ce que Moïse avait dit : il mena le combat contre les Amalécites. Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline. Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort. Quand il la laissait retomber, Amalec était le plus fort. Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ; on prit une pierre, on la plaça derrière lui, et il s’assit dessus. Aaron et Hour lui soutenaient les mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre. Ainsi les mains de Moïse restèrent fermes jusqu’au coucher du soleil. Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée.
Psaume : Ps 120 (121), 1-2, 3-4, 5-6, 7-8
R/ Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. (Ps 120, 2)
Je lève les yeux vers les montagnes :
d’où le secours me viendra-t-il ?
Le secours me viendra du Seigneur
qui a fait le ciel et la terre.
Qu’il empêche ton pied de glisser,
qu’il ne dorme pas, ton gardien.
Non, il ne dort pas, ne sommeille pas,
le gardien d’Israël.
Le Seigneur, ton gardien, le Seigneur, ton ombrage,
se tient près de toi.
Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper,
ni la lune, durant la nuit.
Le Seigneur te gardera de tout mal,
il gardera ta vie.
Le Seigneur te gardera, au départ et au retour,
maintenant, à jamais.
2ème lecture : « Grâce à l’Écriture, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien » (2 Tm 3, 14 – 4, 2)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, demeure ferme dans ce que tu as appris : de cela tu as acquis la certitude, sachant bien de qui tu l’as appris. Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes Écritures : elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus Christ. Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice ; grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien.
Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire.
Evangile : « Dieu fera justice à ses élus qui crient vers lui » (Lc 18, 1-8)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Elle est vivante, énergique, la parole de Dieu ; elle juge des intentions et des pensées du cœur.
Alléluia. (cf. He 4, 12)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager : « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : ‘Rends-moi justice contre mon adversaire.’ Longtemps il refusa ; puis il se dit : ‘Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne, comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.’ » Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice ! Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Patrick BRAUD