L'homélie du dimanche (prochain)

12 février 2023

Soyez parfaits !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Soyez parfaits !

Homélie pour le 7° Dimanche du temps ordinaire / Année A
19/02/2023

Cf. également :

Talion or not talion ?
Le vrai sanctuaire, c’est vous
Boali, ou l’amour des ennemis
También la lluvia : même la pluie !
Simplifier, Aimer, Unir
La bourse et la vie
Incendie de Notre Dame de Paris : « Le sanctuaire, c’est vous »
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
Ecclésia permixta

Soyez parfaits ! dans Communauté spirituelle phases-lune

Lunatique sainteté
Les soirs de pleine lune, nous pouvons marcher dehors comme en plein jour. Ce n’est pas la lune qui brille, c’est bien sûr la lumière du soleil qui se reflète sur elle, et nous permet ainsi - suffisamment atténuée pour ne pas nous éblouir et suffisamment forte pour éclairer nos pas dans la nuit - de ne pas nous perdre dans l’obscurité.

Imaginons maintenant que le soleil c’est le Christ, l’unique lumière venue éclairer l’humanité. Imaginez que la lune est l’Église, pauvre amas de rochers stériles, renvoyant pourtant à la Terre la lumière du Christ. Depuis l’Ascension, le Christ n’est plus visible dans l’histoire humaine, mais en l’absence du soleil l’Église-lune nous renvoie quelque chose de sa clarté pour baliser notre route dans la nuit.

Vous avez dans cette métaphore Christ-soleil / Église-lune une des plus belles sources d’inspiration pour penser l’Église ! Comme l’écrit le concile Vatican II dans son document sur l’Église : « le Christ est l’unique lumière des peuples… » (Lumen gentium), et la mission de l’Église est de la transmettre à tout homme.
Dans la lunette d’un télescope, la lune semble froide et stérile. Ainsi paraît l’Église, composée d’hommes et de femmes pécheurs, loin d’être parfaits ! Pourtant, elle nous transmet l’Évangile ; pourtant malgré ses contradictions, elle nous transmet la vie du Christ par les sacrements. Saint Ambroise de Milan (IV° siècle) disait : « la lune nous montre le mystère de l’Église », il ajoutait : « elle ne resplendit pas de sa propre lumière, mais de celle du Christ ». « La lune, qui présente l’image de cette Église bien-aimée n’est certes pas chose négligeable ». Cyrille d’Alexandrie reprenait cette image que les autres Pères de l’Église ont développée amplement pendant des siècles : « L’Église est auréolée par la lumière divine du Christ, qui est la seule lumière dans le royaume des âmes. Il y a donc une seule lumière: mais dans cette unique lumière, l’Église resplendit aussi, sans pour autant être le Christ lui-même ».

L’autre caractéristique de la lune est d’être changeante aux yeux humains : tantôt croissante, tantôt dans sa plénitude, puis décroissante… Comment ne pas y voir la succession des étapes historiques de l’Église, avec ses déclins, ses phases d’expansion et de rayonnement universel, ses âges d’or, puis à nouveau son affaiblissement, sa quasi-disparition etc. ? Le destin historique de l’Église est comparable aux phases lunaires.
Le futur pape Paul VI, Jean-Baptiste Montini alors évêque de Milan, développait la métaphore de son prédécesseur Ambroise :
« Saint Ambroise arrive même à comparer l’Église à la lune, dans les phases de croissance et de décroissance de laquelle se reflètent les vicissitudes de l’Église qui plonge et se redresse sans jamais sombrer, parce que “fulget Ecclesia non suo sed Christi lumine”, elle ne resplendit pas de sa propre lumière, mais de celle du Christ ». L’Église a ses phases, des phases de persécution et de paix. Elle semble disparaître, comme la lune, mais il n’en est pas ainsi. En effet, son effacement n’est en réalité que la diminution de son intensité lumineuse. La lune connaît une diminution de sa lumière, et non de son corps […]. Le disque lunaire reste entier. Dans le phénomène des phases lunaires, c’est le mystère de l’Église lumineuse et mourante qui est symboliquement représenté ». 

C’est donc une sainteté reflétée en quelque sorte. « Dieu seul est saint » chantons-nous dans le Gloria et le Sanctus, à raison. Lorsque le Credo nous fait dire notre confiance « en l’Église une, sainte, catholique et apostolique », c’est l’Église reflétant l’unité, la sainteté et la plénitude divines, tel que les apôtres nous l’ont transmis. La sainteté de l’Église est le reflet de l’unique sainteté divine.

 

Une perfection participée
La métaphore soleil-lune nous fournit une piste d’interprétation solide pour comprendre l’étrange injonction de Jésus dans l’Évangile de ce dimanche (Mt 5,38-48) : « soyez parfaits comme votre Père est parfait ».

Si l’on interprète la perfection comme l’absence de défaut moral, alors elle est impossible à l’homme. Si l’on pense à la perfection de la lune reflétant la lumière du soleil, alors elle devient possible. Comme le disait Jésus à ses disciples effrayés de ne pas pouvoir être à la hauteur de ce qu’il demande : « pour les hommes, c’est impossible, mais à Dieu tout est possible » (Mt 19,26). La perfection est donc à la fois impossible à l’homme seul, et pourtant à rechercher.

La perfection dont parle Jésus est bien celle du Père : nous ne pouvons l’atteindre à la seule force de nos poignets, par contre nous pouvons l’accueillir en nous puisqu’il nous la partage, gratuitement. C’est une perfection participée, non acquise, comme la sainteté de l’Église est reflétée et ne vient pas d’elle-même.

 cathare dans Communauté spirituellePour mieux saisir quelle est la perfection à laquelle nous invite le Christ, reportons-nous quelques siècles en arrière au temps des Albigeois. Aux XII°-XIII° siècles se développe dans le sud de la France un mouvement très religieux prônant un christianisme radical. Les fidèles de cette mouvance formaient deux groupes : l’élite dite cathare (mot dérivé d’une racine grecque qui signifie pur), appelée aussi les parfaits ou les bonshommes, et la foule des croyants. On passe de l’un à l’autre statut par le consolament (mot occitan), seul sacrement cathare. Par ce sacrement, l’homme quitte moralement la terre avant que la mort ne précipite son corps à la dissolution du tombeau. Si l’homme n’est pas “consolé” il revient sans cesse en se réincarnant sous d’autres enveloppes charnelles. Pour ce faire, le croyant devait se soumettre à un long noviciat, et une fois parvenu, dans le cercle des parfaits, la chasteté devenait pour lui une obligation absolue, tout comme la pratique d’un ascétisme alimentaire rigoureux (pas de viande, de lait ni d’œuf). Étaient seuls autorisés le vin, le pain, l’huile, les légumes et les fruits.

Les cathares prenaient donc au sérieux le commandement du Christ : « soyez parfaits ». Mais ils oubliaient la seconde partie de la phrase, et pensaient qu’ils devaient acquérir cette perfection à force d’ascèse, de mortification, de renoncement, d’efforts moraux. Du coup, ils commettaient deux erreurs mortelles : vouloir se sauver eux-mêmes au lieu d’être sauvés, et constituer une Église de parfaits alors que l’Église est mélangée de bon grain et d’ivraie, afin que l’on sache que la perfection resplendissant à travers elle vient de Dieu et non des hommes [1].

Former une Église de purs est une tentation toujours présente, une illusion toujours trompeuse. Même en politique, de nombreux mouvements révolutionnaires ont sombré dans une forme de catharisme sécularisé où seuls l’avant-garde du parti, les leaders de la Révolution ou les mollahs gardiens de la charia peuvent incarner le salut des masses…

L’origine du terme cathares remonte au grec « καθαροί » (katharoi, qui signifie « purs »). Il est utilisé pour la première fois par Eusèbe de Césarée dans son Histoire Ecclésiastique pour désigner les sectateurs de Novatien, groupe chrétien rigoriste schismatique apparu au III° siècle qui refusait la réintégration des lapsi au sein de l’Église. Basile de Césarée qualifie pour sa part les Montanistes de katharoi (partisans d’un ascétisme rigoureux : jeûnes nombreux et prolongés, pas de viande ni de vin, continence parfaite, pardon de l’Église refusé aux péchés graves). Celui-ci est latinisé en cathari par les auteurs latins traitant des hérésies, au nombre desquels Augustin d’Hippone.

L’épisode cathare nous avertit : l’appel à la perfection n’est ni à ignorer, ni à radicaliser.
« Soyez parfaits », non par votre rigueur morale, mais en laissant la perfection divine ricocher sur vous pour transformer vous-même et votre entourage.

 

« Pourquoi je suis encore dans l’Église »
L’immense intérêt de cette perfection participée est de sauvegarder l’amour de l’Église alors qu’elle est terne, diminuée et blafarde à nos yeux comme un quartier de lune lors d’une nuit de brouillard. Déjà en 1970, bien avant les scandales sexuels qui affaiblissent l’Église aujourd’hui, le jeune et brillant théologien Joseph Ratzinger expliquait pourquoi il restait dans l’Église malgré les dérives et les folies de l’immédiat après-concile, sur le plan tant liturgique (dérives intégristes ou progressistes), que politique (chrétiens impliqués dans des dictatures militaires ou marxistes) ou moral (débat sur la libération sexuelle, la contraception, IVG etc.) [2].

« L’Église reflète la lumière du Christ ! Pour les Pères, l’application à l’Église de la symbolique de la lune découlait de deux idées principales : d’une part de la correspondance entre la lune et la femme (la mère), d’autre part de l’idée que la lune n’est pas source de lumière, puisqu’elle la reçoit d’Hélios. Sans lui, elle ne serait qu’obscurité ; elle brille, mais sa lumière n’est pas sa lumière, c’est la lumière d’un autre. Elle est lumière et obscurité à la fois. Elle-même n’est qu’obscurité, mais elle dispense une clarté, qui lui vient d’un autre, dont la lumière se propage par son intermédiaire. C’est exactement en cela qu’elle représente l’Église, qui illumine bien qu’elle ne soit elle-même qu’obscurité : elle ne puise pas la lumière en elle-même, mais elle la reçoit du véritable Hélios, le Christ, si bien qu’elle peut, bien qu’elle ne soit elle-même qu’un amas de pierre [...], éclairer les ténèbres dans lesquelles nous vivons de par notre éloignement de Dieu ».

En relisant aujourd’hui cette conférence donnée il y a plus de 50 ans, il est vraiment difficile de ne pas en constater la brûlante actualité… Des hommes ont défiguré le visage de l’Église, la mortifiant et l’immergeant dans de nombreux scandales. Comment pouvons-nous continuer à croire face à ces incohérences ?

Ne rêvons pas d’une Église parfaite selon nos critères ! N’idéalisons ni les prêtres, ni les religieuses, ni l’assemblée du dimanche ! Si l’Église n’est pas parfaite – ce qui est trop évident à nos yeux – ce n’est pas pour autant qu’elle ne témoigne pas de l’unique perfection en Dieu. Bien plus, elle y conduit. Imparfaite, elle transmet l’invitation d’un Autre et s’y  expose elle-même.

 

Si tu veux être parfait…
Le discours sur la montagne (Mt 5) d’où est tiré notre évangile est en fait d’abord un portrait du Christ lui-même : aimer ses ennemis, ne pas riposter aux méchants par la méchanceté, être pauvre en esprit, doux et humble de cœur, assoiffé de justice etc.

Et Jésus nous dit que c’est en laissant l’Esprit de son Père le conduire qui peut agir ainsi : il ne fait rien de lui-même, il se reçoit entièrement de son Père.

Alors, puisque « le Père fait lever son soleil sur les bons comme sur les méchants », si nous sommes unis à Lui, nous ferons de même, sans effort moral : par communion avec lui. L’amour des ennemis sera alors non pas un préalable pour être unis au Christ, mais une conséquence : c’est en étant unis au Christ que nous pourrons aimer nos ennemis.

L’histoire cathare nous a rappelé l’étymologie latine de la perfection. Le mot « perfection » vient du verbe latin per-ficio, dans lequel -ficio est la forme du verbe facio, facere : faire. Le préfixe per traduit l’idée d’une action menée « jusqu’au bout ». Parfait signifie donc « ce qui est fait jusqu’au bout, totalement ». D’où l’assimilation avec les purs : les parfaits n’ont rien à ajouter ni à enlever à ce qu’ils sont.

En grec, le terme perfection contient une idée supplémentaire, celle de la fin, de la finalité (τλειος = teleios) pour laquelle nous sommes créés. Le mot grec parfait (teleios) contient le mot τλος (telos = finalité, but), qui en français a donné téléologique c’est-à-dire qui est orienté vers un but ultime, une finalité, une plénitude.

Être parfait (teleios) c’est donc être ajusté à sa propre finalité. Or la finalité de l’être humain dans la Bible est de se laisser unir à Dieu jusqu’à être en pleine communion avec lui, jusqu’à être divinisé, « rendu participant de la nature divine » (2P 1,4). C’est en communiant à l’amour trinitaire que nous devenons parfaits (par grâce) et non l’inverse (par mérite) !

Palavra-Viva_15_7_14 EgliseDans l’Évangile de Matthieu, le seul autre passage qui utilise le terme grec τλειος (parfait) est l’épisode du jeune homme riche (Mt 19,16-22). « Si tu veux être parfait », lui dit le Christ, « vends tous tes biens, puis viens et suis moi ». Une lecture trop rapide ferait croire que la perfection réside dans la pauvreté volontaire : vendre tous ses biens. Or ce n’est là qu’un préalable, une condition pour la perfection véritable : suivre le Christ. C’est la suite du Christ qui nous rend parfait, jusqu’à vivre la vraie pauvreté avec lui. Être parfait n’est pas être pauvre mais être uni au Christ, le suivre, communier à tout son être. Alors, « naturellement » (de la nature divine), nous mettrons à penser, agir et parler en lui.

L’Église resplendit non pas de sa propre lumière, mais de celle du Christ, et elle tire sa propre splendeur du Soleil de justice, de sorte qu’elle peut dire avec Paul : « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2,20) …

Foin de tous les puritanismes comme de tous les laxismes !
Renonçons donc à une conception trop humaine de la perfection idéaliste !
Christ nous invite non pas à devenir moralement irréprochables pour être unis à lui, mais être unis à lui pour alors agir en lui et lui en nous…

 


[1]. Bien sûr ; cela ne légitime en rien les répressions sanglantes de l’Inquisition contre les cathares…

[2]. Joseph Ratzinger, « Pourquoi je suis encore dans l’Église », Conférence, Munich, 4 juin 1970.
Cf. https://www.cathedrale-montpellier.fr/pourquoi-je-suis-encore-dans-leglise-joseph-ratzinger-extraits-de-la-conference-munich-4-juin-1970/

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 1-2.17-18)

Lecture du livre des Lévites

Le Seigneur parla à Moïse et dit : « Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël. Tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint.
Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur. Mais tu devras réprimander ton compatriote, et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui. Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur. »

PSAUME
(Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13)
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié. (Ps 102, 8a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.

Aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés ;
comme la tendresse du père pour ses fils,
la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

DEUXIÈME LECTURE
« Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 16-23)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. Que personne ne s’y trompe : si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour devenir sage. Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Il est écrit en effet : C’est lui qui prend les sagesau piège de leur propre habileté. Il est écrit encore : Le Seigneur le sait :les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! Ainsi, il ne faut pas mettre sa fierté en tel ou tel homme. Car tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.

ÉVANGILE

« Aimez vos ennemis » (Mt 5, 38-48)
Alléluia. Alléluia. En celui qui garde la parole du Christ l’amour de Dieu atteint vraiment sa  perfection. Alléluia. (1Jn 2, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !
Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Patrick Braud

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2 février 2020

Sainteté éthique, sainteté confessante

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Sainteté éthique, sainteté  confessante

Homélie du 5° dimanche du Temps Ordinaire / Année A
09/02/2020

Cf. également :

Mesdames-Messieurs les candidats, avez-vous lu Isaïe ?
On n’est pas dans le monde des Bisounours !
L’Église et la modernité: sel de la terre ou lumière du monde ?

Cinquième dimanche ordinaire 2017 10.jpgIl y a plusieurs manières d’être saint. On voit tout de suite la différence entre Mère Teresa au chevet des mourants de Calcutta et Jean-Paul II parcourant le monde entier en dénonçant le mensonge communiste. Pourtant, les deux étaient amis, et une complicité forte unissait la femme d’action et la grande voix spirituelle du XX° siècle.

Les textes de ce dimanche nous brossent les portraits de ces deux types de sainteté que l’Évangile articule l’un à l’autre dans l’image du « sel de la terre » et de la « lumière du monde ».

Dans la première lecture (Is 58, 7-10) Isaïe invite chacun de nous à pratiquer le partage des biens, la protection des pauvres, la compassion, en des termes étonnamment contemporains que beaucoup de programmes électoraux pourraient reprendre : « Partage ton pain avec celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable ». C’est la pratique de cette solidarité, de cette redistribution des richesses qui est pour Isaïe la source de la sainteté véritable. Une sainteté éthique – pourrait-on dire aujourd’hui – c’est-à-dire une grandeur d’âme manifestée par un ensemble de comportements éminemment humanistes. Pour être rigoureux, Isaïe n’emploierait pas le mot de sainteté qui est réservé à Dieu seul mais de justice. L’homme juste, le sage (tsadik en hébreu) est celui qui prend soin des plus faibles et fait passer leurs besoins avant ses besoins personnels : « devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche ».

Le psaume 111 synthétise ce portrait de cet homme de justice, de cet homme de bien :
« Lumière des cœurs droits, il s’est levé dans les ténèbres,
homme de justice, de tendresse et de pitié.
L’homme de bien a pitié, il partage ;
il mène ses affaires avec droiture. »
Notons que la redistribution en question va bien au-delà de l’aumône légale, ou même de l’aide ponctuelle. « À pleines mains il donne aux pauvres » : c’est donc bien plus que l’avantage fiscal obtenu jusqu’à un certain plafond… « Tu donnes à celui qui a faim ce que toi tu désires » : c’est bien plus que le don à une association d’entraide ! C’est carrément accorder à l’autre autant de poids qu’à soi-même : si j’ai envie d’un bon restaurant étoilé à 300 € par personne, c’est cela que je vais offrir ou SDF éberlué de tant de disproportion ! Bien sûr, il s’agit de partir du vrai besoin et du vrai désir de l’autre, sans rien lui imposer. Mais Isaïe met exprès la barre si haut que nul ne pourra se croire en règle avec cet impératif si exigeant ; nul ne sera quitte de l’impérieuse dette contractée auprès des malheureux de sa société. Cette exigence infinie (le terme est de Levinas) fait de la sainteté éthique une quête par essence inachevée, une insatisfaction radicale ; car qui peut combler les désirs du malheureux partout autour de lui ?
Bienheureuse détresse du saint qui pleurera comme Schindler [1] à la fin de la guerre : « j’aurais voulu en sauver beaucoup plus… ».

Dans la deuxième lecture (1 Co 2, 1-5), Paul parle de lui comme d’habitude avec une assurance qui friserait l’orgueil s’il ne désignait pas l’Esprit comme la source de son action. Sa sainteté d’apôtre ne vient pas de son comportement éthique, mais de sa prédication de la foi chrétienne. Il voyage tout autour de la Méditerranée pour « annoncer le mystère de Dieu »  et « proclamer l’Évangile ». Par sa prédication, il fonde des Églises locales partout où il passe, les structurant et les organisant pour qu’elles restent en communion les unes avec les autres. Il est ainsi le vibrant exemple de ce qu’on pourrait appeler une sainteté confessante, pour la distinguer de la sainteté éthique évoquée ci-dessus. Confessante, car c’est en confessant la résurrection du Christ qu’il est conduit sur les routes à apporter la lumière du salut à ceux qui ne connaissent pas Jésus-Christ. La sainteté de Paul, c’est la force de ses écrits plaidant pour le Ressuscité, la plantation d’Églises dans le Moyen-Orient et jusqu’en Europe, sa prise de risques jusqu’au martyre pour que rien n’arrête cette annonce du crucifié–ressuscité au monde entier. Par sa parole, il aidera Pierre et les judéo-chrétiens à « passer aux barbares », il mettra l’esprit de la Loi au-dessus de la lettre de la Loi, il affirmera la primauté de la grâce sur les œuvres, il établira la foi, l’espérance et la charité comme le trépied de la vie chrétienne, avec l’amour (agapê) au sommet de tout.

Sainteté éthique, sainteté confessante : quand on y réfléchit, ces deux types de sainteté sont en tension perpétuelle. L’éthique déborde largement les frontières des Églises et des croyances, vraies ou fausses. La sainteté éthique peut donc être vécue par un bouddhiste, un musulman, un shintoïste, ou même un communiste sincère comme il en reste quelques-uns ! Elle est indépendante de la foi, proclamée ou non. À ce titre, elle conteste fortement la prétention de la sainteté confessante à représenter l’idéal de l’homme de bien à elle  seule. Et inversement, le débat théorique que tranche la confession de foi chrétienne questionne la soi-disant bonté éthique si elle ne s’appuie sur aucune vérité profonde au sujet de l’homme et de son avenir. Que veut dire être éthique si on cautionne ou s’accommode d’un système foncièrement inhumain comme l’étaient les idéologies du XX° siècle ? À la marge quelqu’un peut être généreux ou solidaire, mais s’il cautionne ou participe au règne du mensonge généralisé sur une société, en quoi serait-il saint ?

La vieille querelle historique entre judaïsme et christianisme vient en partie de là. Le premier est essentiellement éthique et se définit comme une orthopraxie (agir droitement). L’essentiel pour un juif n’est pas ce qu’il faut croire, mais ce qu’il faut pratiquer (la cacherout, les prières, l’aumône etc.). Le second est essentiellement confessant et se définit avant tout comme une orthodoxie (penser droitement). L’essentiel pour un chrétien n’est pas de faire un tas de choses remarquables, mais de faire confiance (fides) à l’amour gratuit de Dieu. Pour le judaïsme, la pratique droite conduit à Dieu. Pour le christianisme, la foi en Dieu conduit à l’éthique.

Ce débat sur ces deux formes de sainteté rebondit de manière sanglante et tragique au XVI° siècle avec l’affrontement entre la grâce et les œuvres qui a déchiré l’Europe. Les protestants revenaient à la revendication absolue de Paul de la primauté de la grâce et de la foi. Les catholiques maintenaient le fil juif en affirmant l’importance des œuvres, selon l’argumentation de saint Jacques : « À quoi bon, mes frères, dire qu’on a de la foi, si l’on n’a pas d’œuvres ? La foi peut-elle sauver, dans ce cas ? »  (Jc 2,14).
On le voit : la tension qui oppose ces deux formes de sainteté n’est pas une question purement théorique ; elle est éminemment politique, sociale, avec des implications économiques dont Max Weber par exemple a montré la puissance.

Sainteté éthique, sainteté confessante / orthopraxie, orthodoxie : faut-il trancher ?

L’époque actuelle est plus sensible à l’éthique, et se méfie (à juste titre) des combats religieux sur les grandes affirmations de foi. Dans les premiers siècles du christianisme, la sainteté était à l’inverse essentiellement confessante : la liste des martyrs est si longue que ces victimes de l’intolérance religieuse sont plus nombreuses dans la liste des saints que les saint Vincent-de-Paul ou autres Mère Teresa. Et d’ailleurs ce martyrologe continue hélas à s’écrire aujourd’hui en ajoutant des milliers de noms chaque année dans des pays où confesser le Christ est un risque majeur…

Jésus dans notre évangile (Mt 5, 13-16) semble ne pas prendre parti pour l’une ou l’autre sainteté. D’ailleurs, sa vie est à la fois guérison des malades et proclamation du règne de Dieu, réintégration sociale des pauvres et revendication de son identité de Fils de Dieu etc. Ici, il articule la sainteté et la confession de foi en une image étrange : « sel de la terre et lumière du monde ». Le sel est ce qui donne du goût à la nourriture en se mélangeant à elle : il figure bien l’action en faveur des pauvres, de la justice, du partage des richesses. La lumière est ce qui donne sens en éclairant la vie d’une compréhension nouvelle : elle convient bien à la prédication de la foi qui annonce une autre manière de voir l’existence à travers la résurrection de Jésus.

Pour lui, il faut les deux ! Pas sûr que chacun puisse assumer les deux en lui-même : c’est à l’Église qu’il revient collectivement de maintenir ces deux saintetés en tension. Car trop de foi risque de rendre le christianisme désincarné et hors sol des problèmes de son temps. Et absolutiser l’éthique en la privant de ses fondements revient à la fragiliser et à la rendre inopérante.

À vrai dire, une troisième forme de sainteté est apparue avec le temps : la sainteté spirituelle ou mystique. Ce sont d’abord les Pères du désert qui l’ont incarné. Après Constantin (IV° siècle) la tiédeur de la foi devint telle qu’en fuyant au désert ils maintinrent un haut niveau de profondeur spirituelle. Les mystiques du Moyen Âge ou du XIX° siècle qui en comptent tant prirent le relais, avec des figures admirables, de Maître  Eckhart à Sainte Thérèse d’Avila, d’Hildegarde von Bingen à saint Jean de la Croix etc. Peut-être est-ce la médiation qui permet de retrouver un trépied stable : éthique/confession de foi/mystique pour une sainteté intégrale ? Comme une déclinaison de la triade foi/espérance/charité dans le domaine de la sainteté en quelque sorte.

Nous sommes chacun(e) de nous instinctivement plus sensible à l’une de ces trois saintetés qu’aux deux autres : laquelle ? En en prenant conscience, décidons comment écouter ce que les deux autres ont à nous dire. Avançons résolument sur l’une de ces voies tout en nous laissant régulièrement enrichir, voire contester, par les deux autres.

 


[1]. Schindler était un industriel allemand qui a caché des centaines de juifs en 39-45 en les embauchant comme ouvriers dans ses usines, les arrachant ainsi à la déportation. Le film « La liste de Schindler » décrit son parcours, où il s’engage sur cette voie presque malgré lui au départ.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Ta lumière jaillira comme l’aurore » (Is 58, 7-10)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Ainsi parle le Seigneur : Partage ton pain avec celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi.

PSAUME

(Ps 111 (112),.4-5, 6-7, 8a.9)
R/ Lumière des cœurs droits,le juste s’est levé dans les ténèbres.ou :Alléluia ! (cf. Ps 111, 4)

Lumière des cœurs droits, il s’est levé dans les ténèbres,
homme de justice, de tendresse et de pitié.
L’homme de bien a pitié, il partage ;
il mène ses affaires avec droiture.

Cet homme jamais ne tombera ;
toujours on fera mémoire du juste.
Il ne craint pas l’annonce d’un malheur :
le cœur ferme, il s’appuie sur le Seigneur.

Son cœur est confiant, il ne craint pas.
À pleines mains, il donne au pauvre ;
à jamais se maintiendra sa justice,
sa puissance grandira, et sa gloire !

DEUXIÈME LECTURE
« Je suis venu vous annoncer le mystère du Christ crucifié » (1 Co 2, 1-5)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

 Frères, quand je suis venu chez vous, je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage ou de la sagesse. Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, ce Messie crucifié. Et c’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant, que je me suis présenté à vous. Mon langage, ma proclamation de l’Évangile, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

ÉVANGILE

« Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 13-16)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis la lumière du monde, dit le Seigneur. Celui qui me suit aura la lumière de la vie. Alléluia. (cf. Jn 8, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »
Patrick Braud

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27 octobre 2019

Toussaint : de quelle sainteté parlons-nous ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Toussaint : de quelle sainteté parlons-nous ?

Homélie pour la fête de Toussaint /  Année C
01/11/2019

Cf. :
Toussaint : un avenir urbain et unitaire
Toussaint : la mort comme un poème
Toussaint alluvionnaire
Les cimetières de la Toussaint
Tous un : la Toussaint, le cimetière, et l’Église…
Toussaint d’en-haut, Toussaint d’en-bas
Toussaint : le bonheur illucide
Ton absence…
La mort, et après ?
J’irai prier sur vos tombes (Toussaint)
Le train de la vie

« Ce sont des ânes ! »

En cette fête de Toussaint, chacun de nous est invité à se rappeler quel est son avenir en Dieu : devenir saint comme Dieu est saint.

Mais qu’est-ce qu’être saint ? Intuitivement, beaucoup s’imaginent qu’un(e) saint(e) accumule les exercices de piété, est quelqu’un de très religieux et une sorte de virtuose du spirituel. Les médias mettent en avant de grandes figures comme le Dalaï-lama et son vêtement orange, autrefois Jean-Paul II et sa soutane blanche ou Mère Teresa avec son sari bleu et blanc.

Toussaint : de quelle sainteté parlons-nous ? dans Communauté spirituelle 513HlsLyFRL._SX301_BO1,204,203,200_Croire que la sainteté s’acquiert est une folie. Même à force de sagesse, de conscience et d’amour, croire qu’il nous est possible de devenir saint par nous-mêmes est une folie. Beaucoup, dans toutes les religions, veulent accumuler des mérites, faire des efforts pour progresser, entasser des bonnes œuvres et des pratiques religieuses afin de se rapprocher de Dieu. Maître Eckhart au XIII°-XIV° siècle n’hésite pas à les traiter d’« ânes » :

« Certaines gens ne comprennent pas bien ce sens ; ce sont les gens qui s’attachent à la pénitence et aux exercices extérieurs que ces gens tiennent pour importants parce qu’ils s’y cherchent eux-mêmes. Que Dieu les prenne en pitié d’avoir une si pauvre connaissance de la divine vérité. Ces gens sont nommés saints sur leurs apparences extérieures, mais intérieurement ce sont des ânes, car ils ne savent pas discerner la divine vérité. » (Sermon 52)

Le cheminement de Maître Eckhart, au-delà de sa formulation assez difficile à déchiffrer, est très cohérent : Dieu seul est saint (nous le chantons dans le Gloria et le Sanctus à chaque messe). Vouloir acquérir sa sainteté est impossible pour toute créature. L’ascèse et le perfectionnisme ne sont que des illusions, car ils maintiennent une distinction entre Dieu et la créature. Par contre, le mouvement inverse est possible, et Dieu le fait volontiers : il se communique lui-même à qui veut l’accueillir, jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui. Cette divinisation progressive de l’homme, que les Pères grecs avaient longuement exploré pendant les six premiers siècles, est la vraie voie de sanctification :

En effet, le don que je reçois dans cette percée, c’est que moi et Dieu, nous sommes un. Alors je suis ce que j‘étais et là je ne grandis ni ne diminue, car je suis là un moteur immobile qui meut toutes choses. Alors Dieu ne trouve pas de lieu dans l’homme, car par cette pauvreté, l’homme acquiert ce qu’il a été éternellement et ce qu’il demeurera à jamais. Alors Dieu est un avec l’esprit, et c’est la suprême pauvreté que l’on puisse trouver.

Notre sainteté découle donc de notre communion avec Dieu, jusqu’à le laisser agir, désirer et penser en nous. Elle ne vient pas de nos renoncements, de nos actes d’amour, de notre sagesse, car tout cela maintient encore la distinction entre nous et Dieu. Alors que la divinisation offerte en Christ nous fait participer à l’unique sainteté de Dieu. Sainteté de participation en somme, et non d’amélioration :

Chacun est tel qu’est son amour ;
tu aimes la terre ? tu seras terre.
Tu aimes Dieu ? que dirais-je ? tu seras Dieu. Je n’ose pas le dire de moi-même, mais écoutons les Écritures : “vous êtes des dieux, et les fils du Très-Haut” (Psaume 81,6) »
(St Augustin, Sur la Première Épître de saint Jean 2,14 ; PL 35, 1997).

L’enjeu n’est plus de devenir saint en Dieu, mais de laisser Dieu être saint en nous. La condition pour que s’opère en nous cette transformation est la pauvreté du cœur, celle des Béatitudes de l’Évangile de cette fête de Toussaint. Maître Eckhart interprète ces huit béatitudes comme le portrait du Christ lui-même, le véritable bienheureux. Et la première des béatitudes est la pauvreté, car celui qui est riche de lui-même ne peut accueillir la sainteté de Dieu :

La béatitude ouvrit sa bouche de sagesse et dit : « Heureux sont les pauvres en esprit car le royaume des cieux est à eux. »

Être riche signifie : vouloir être admiré, s’attacher à ses œuvres, accumuler des biens et des connaissances pour en jouir, compter sur soi, multiplier les pratiques extérieures de religiosité ou de charité etc.

Être pauvre, selon Maître Eckhart, c’est se vider de soi-même pour laisser Dieu s’unir à soi, jusqu’à ce qu’il opère en soi sans même que je le sache. Maître Eckhart met en avant trois domaines de cette pauvreté intérieure :

« Est un homme pauvre celui qui ne veut rien, et qui ne sait rien, et qui n’a rien. »

 

1. Ne rien vouloir

lâcher priseMaître Eckhart ne plaide pas pour l’extinction du désir (bouddhisme), ni pour l’inaction (quiétisme). Il tire les conséquences de la divinisation promise qui est déjà à l’œuvre en nous : « ce n’est plus moi qui vis, mais Christ qui vit en moi » (Ga 2,20), comme s’écrie Paul. Maître Eckhart prolonge : ce n’est pas moi qui veux, mais Dieu qui veut en moi, son Esprit uni à mon esprit. Tant que je désire accomplir quelque chose pour Dieu, même quelque chose de Dieu, je maintiens l’écart, la distance entre lui et moi. Lorsque Dieu désire en moi, sa volonté et ma volonté ne font plus qu’un, de sorte que ne rien vouloir revient à accomplir pleinement la volonté de Dieu de l’intérieur d’elle-même :

Si on me demandait ce qu’est un homme pauvre, qui ne veut rien, je répondrais : tout le temps que l’homme est tel que c’est sa volonté de vouloir accomplir la toute chère volonté de Dieu – cet homme n’a pas la pauvreté dont nous voulons parler, car cet homme à une volonté par laquelle il veut satisfaire à la volonté de Dieu et ce n’est pas la vraie pauvreté. Car si l’homme doit être véritablement pauvre, il doit être aussi dépris de sa volonté créée qu’il l‘était quand il n‘était pas. Car je dis par l‘éternelle vérité : tout le temps que vous avez la volonté d’accomplir la vérité de Dieu, vous n‘êtes pas pauvres, car seul est un homme pauvre celui qui ne veut rien et qui ne désire rien.

 

2. Ne rien savoir

14qjn5me-front-shortedge-384 Eckhart dans Communauté spirituelleLà encore il ne s’agit pas de disqualifier les connaissances humaines, mais de les inclure en Dieu. Lorsque l’homme laisse Dieu opérer en lui, il est dépris de son savoir propre pour ne savoir que ce que Dieu veut, comme Dieu le sait. L’homme peut être pauvre de son propre savoir lorsqu’il laisse Dieu être Dieu en lui. La sainteté ainsi vécue ignore elle-même que Dieu agit en elle :

Nous avons dit parfois que l’homme devrait vivre comme s’il ne vivait ni pour lui-même, ni pour la vérité, ni pour Dieu. Mais maintenant nous parlons autrement et nous irons plus loin en disant : Pour arriver à cette pauvreté, l’homme doit vivre de telle manière qu’il ne sache pas même qu’il ne vit ni pour lui-même, ni pour la Vérité, ni pour Dieu. Bien plus : Il faut qu’il soit à tel point vide de tout son propre savoir qu’il ne sache, ni ne connaisse, ni ne sente que Dieu vit en lui. Plus encore : Il faut qu’il soit vide de toute connaissance qui pourrait vivre en lui.

On rejoint ainsi la notion d’illucidité : la sainteté est illucide en ce sens qu’elle ne se possède pas elle-même. Celui qui est saint ne sait pas qu’il l’est, sinon il perdrait cette sainteté au moment où il la connaîtrait. C’est de l’intérieur de Dieu, uni à lui, que la connaissance peut être libre de toute convoitise, de la possession, de tout retour égoïste sur elle-même :

L’homme qui doit avoir cette pauvreté doit vivre de telle sorte qu’il ignore même qu’il ne vit ni pour lui-même ni pour la vérité ni pour Dieu ; bien plus, il doit être tellement dépris de tout savoir qu’il ne sait ni ne reconnaît ni ne ressent que Dieu vit en lui ; plus encore, il doit être dépris de toute connaissance vivant en lui, car lorsque l’homme se tenait dans l‘être éternel de Dieu, rien d’autre ne vivait en lui et ce qui vivait là, c‘était lui-même. Nous disons donc que l’homme doit être aussi dépris de son propre savoir qu’il l‘était lorsqu’il n‘était pas ; qu’il laisse Dieu opérer ce qu’il veut et que l’homme soit dépris. […]

Il existe dans l‘âme quelque chose d’où fluent la connaissance et l’amour ; cela ne connaît ni n’aime comme les autres puissances de l‘âme. Celui qui sait cela sait en quoi réside la béatitude. Cela n’a ni avant ni après, n’attend rien qui lui advienne car cela ne peut ni gagner ni perdre. C’est pourquoi ce « quelque chose » est aussi privé du savoir que Dieu agit en lui, bien plutôt : ce « quelque chose » jouit lui-même de lui-même selon le mode de Dieu. Nous disons donc que l’homme doit être quitte et dépris de Dieu, en sorte qu’il ne connaisse l’action de Dieu en lui ; c’est ainsi que l’homme peut posséder la pauvreté. […]
Il est donc nécessaire que l’homme désire ne rien pouvoir savoir ni connaître des œuvres de Dieu. De cette manière l’homme peut être pauvre de son propre savoir.  […]
Celui-là est un homme pauvre qui ne sait rien des œuvres que Dieu opère en lui.

 

3. Ne rien posséder

Afficher l'image d'origineMaître Eckhart valide d’abord la pauvreté matérielle comme signe de l’union à Dieu.
Mais il faut aller plus loin : l’homme libre ne possède pas de savoir sur ce qu’il fait de bien ou de mal, il fait confiance et s’abandonne sans comptabiliser ni accumuler :

Nous disons donc que l’homme doit être si pauvre qu’il ne soit ni n’ait en lui aucun lieu où Dieu puisse opérer. Tant qu’il réserve un lieu, il garde une distinction. C’est pourquoi je prie Dieu qu’il me libère de « Dieu », car mon être essentiel est au-dessus de « Dieu » en tant que nous saisissons Dieu comme principe des créatures.

La clé de cette triple divinisation : ne rien vouloir/savoir/posséder réside dans l’inhabitation de Dieu en nous :
      En effet, le don que je reçois dans cette percée [1], c’est que moi et Dieu, nous sommes un.

Lorsqu’il trouve l’homme aussi pauvre, Dieu opère sa propre œuvre et l’homme subit ainsi Dieu en lui et Dieu est le lieu propre de ses opérations, du fait que Dieu opère en lui-même. Ici, dans cette pauvreté, l’homme retrouve l‘être éternel qu’il a été, qu’il est maintenant et qu’il demeurera à jamais. 

Lorsque nous fêtons la Toussaint, de quelle sainteté parlons-nous ?
De celle qui se voit, grâce aux signes extérieurs de spiritualité, de charité ? Elle est encore trop humaine.
La pauvreté de cœur des Béatitudes nous oriente vers une autre sainteté, illucide, jaillissant de la communion avec Dieu au point de laisser son Esprit devenir notre inspiration la plus intime.

Que l’Esprit de Dieu nous apprenne la pauvreté de cœur qui jaillit du cœur de Dieu lui-même !

 


[1]Ursprung en allemand : ce terme technique désigne chez Maître Eckhart le jaillissement de la divinité en nous et de nous en elle.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Voici une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues » (Ap 7, 2-4.9-14)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève, avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ; d’une voix forte, il cria aux quatre anges qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer : « Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu. » Et j’entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau : ils étaient cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des fils d’Israël.
 Après cela, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. Et ils s’écriaient d’une voix forte : « Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau ! » Tous les anges se tenaient debout autour du Trône, autour des Anciens et des quatre Vivants ; se jetant devant le Trône, face contre terre, ils se prosternèrent devant Dieu. Et ils disaient : « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! » L’un des Anciens prit alors la parole et me dit : « Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? » Je lui répondis : « Mon seigneur, toi, tu le sais. » Il me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau.

PSAUME
(Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6)
R/ Voici le peuple de ceux qui cherchent ta face, Seigneur. (cf. Ps 23, 6)

Au Seigneur, le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants !
C’est lui qui l’a fondée sur les mers et la garde inébranlable sur les flots.

Qui peut gravir la montagne du Seigneur et se tenir dans le lieu saint ?
L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles.

Il obtient, du Seigneur, la bénédiction, et de Dieu son Sauveur, la justice.
Voici le peuple de ceux qui le cherchent ! Voici Jacob qui recherche ta face !

DEUXIÈME LECTURE
« Nous verrons Dieu tel qu’il est » (1 Jn 3, 1-3)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. Et quiconque met en lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur.

ÉVANGILE
« Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5, 1-12a)
Alléluia. Alléluia.Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, dit le Seigneur, et moi, je vous procurerai le repos. Alléluia. (Mt 11, 28)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »
Patrick BRAUD

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26 décembre 2017

Aimer nos familles « à partir de la fin »

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Aimer nos familles « à partir de la fin »


Homélie pour la fête de la Sainte Famille / Année B
31/12/2017

Cf. également :

Une sainte famille « ruminante »
Fêter la famille, multiforme et changeante
La vieillesse est un naufrage ? Honore la !
La Sainte Famille : le mariage homosexuel en débat
Une famille réfugiée politique
Familles, je vous aime ?
Trinité : ne faire qu’un à plusieurs
Personne dans la famille ne porte ce nom-là
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
À partir de la fin !
 

Une table pour deux dans une brasserie. L’homme a la cinquantaine poivre et sel. Christophe repose sa bière sur la table du restaurant et laisse échapper, les yeux ailleurs :
- « Tu sais, c’est dur à admettre, mais la mort de ma mère m’a libéré ».
Un silence intense s’installe, et je résiste à l’interrompre.
- « Elle ne m’a jamais aimé, et toute mon enfance j’ai souffert de sa volonté de me faire du mal, consciemment. J’en avais des crampes à l’estomac tous les jours. Elle ne manquait jamais une occasion de me faire savoir que je n’étais pas le bienvenu ».
Nous avons ainsi longuement évoqué les conséquences pour lui de sa vie familiale infirme et douloureuse. La mort de sa mère a été la fin d’une longue domination froide et cruelle.

Je repense à lui au moment de fêter la Sainte-Famille. Comment glorifier maintenant nos familles humaines telles qu’elles sont, alors qu’elles engendrent tant de souffrances et de blessures ? Or c’est bien la Sainte-Famille que nous fêtons et non la nôtre au présent.
Autrement dit : c’est à la famille de Jésus que sont appelées nos familles humaines. Pas besoin de sacraliser nos liens du sang actuels alors qu’ils ne sont pas encore transformés en liens d’amour tel qu’ils seront en Dieu.

Aimer nos familles « à partir de la fin » dans Communauté spirituelle

Dieu n’est pas la projection imaginaire de nos manques. La famille du Christ n’est pas une idéalisation des nôtres. C’est d’ailleurs improbable et impossible avec une vierge-mère, un père adoptif et un enfant unique en son genre !

C’est l’homme qui est à l’image de Dieu et non l’inverse. Nos familles sont appelées à se transformer profondément pour correspondre mieux/moins mal à la famille de Nazareth.

« Souviens-toi de ton futur » : cette maxime des rabbins vaut également pour notre vie familiale. C’est du futur que nous viennent les repères pour aimer nos proches autrement, à la manière de Dieu et non à la manière des hommes.

Le passé importe bien moins que notre avenir en Dieu : de lui peut refluer sur notre présent de quoi métamorphoser nos façons d’être mari/femme, père/mère, conjoint, beaux-parents, frères/sœurs etc.

Christophe me racontait comment il s’est battu pour que son passé familial ne l’handicape pas trop. Il a découvert comment en faire une opportunité pour mieux écouter, mieux comprendre les failles des autres. Et dans son métier de consultant où il accompagne des personnes et des groupes, c’est finalement fort utile… La mort de sa femme, la galère de son fils et les défis ordinaires de la vie lui ont donné l’énergie pour construire son avenir sans rester rivé à son passé.

Image21.png-gu%C3%A9rison-de-lh%C3%A9morro%C3%AFse1 famille dans Communauté spirituelleVous pouvez vous épuiser - et épuiser votre argent ! - à fouiller les poubelles votre histoire pour faire l’inventaire interminable de ce qui vous a marqué et conditionné. Les psys et méthodes de développement personnel en tout genre prospèrent sur cette anamnèse du passé censée vous libérer par la seule magie de la nomination du mal subi ou commis autrefois. Si cela peut parfois aider, cela suffit rarement. Alors certains complètent à coups d’antidépresseurs et autres drogues chimiques dont la France est la championne de consommation. L’évangéliste Luc, également médecin, notait avec malice qu’une femme souffrant de pertes intimes avait dépensé tout son argent à courir de médecins en charlatans sans voir son état s’améliorer, avant qu’elle n’ose se tourner radicalement vers autre chose, vers un avenir impossible à prédire, en touchant la frange du manteau de Jésus passant sur la route. Et cette audace la guérit ! (Lc 8, 43-48) Se tourner vers son avenir est une guérison plus radicale que de se perdre dans l’archéologie de son passé…

Fêter la Sainte-Famille nous donne la même audace d’aimer nos proches à partir du Christ et non à partir de nos affections naturelles. Aimer « à partir de la fin » et non en extrapolant le présent. Aimer son fils à partir de ce qu’il est appelé à devenir en Dieu et non à partir de mes souvenirs de son enfance. Aimer son compagnon à partir de tous les possibles qu’il recèle en lui et non en le réduisant ‘aux acquêts’, à ce que j’ai compris et aimé  de lui jusqu’à présent.

Marie et Joseph ne pouvaient que s’interroger devant leur bébé dans l’étable : que deviendra cet enfant ? Ils n’en avaient aucune idée. Les événements ultérieurs ont suscité leur désarroi, leur surprise, et même leurs reproches, comme devant la fugue de Jésus au Temple de Jérusalem à treize ans : « mon enfant, pourquoi nous as-tu fais cette peine ? Ne sais-tu pas que nous t’avons cherché pendant trois jours, morts d’inquiétude ? » (Lc 2, 41-50)

 MarieMarie avait confiance en son fils, mais sa fréquentation des prostituées, des collabos, des lépreux et autres gens infréquentables l’a évidemment troublée. Et que dire alors de cette mort infâme sur le gibet de la croix, qui a transpercé son cœur comme l’annonçait Syméon dans notre évangile aujourd’hui (Lc 2, 22-40) plus qu’aucune autre mère ? Car la déréliction de Marie n’était pas seulement la mort physique de son enfant (et c’est déjà l’épreuve la plus terrible pour les parents), mais également son anéantissement spirituel (sur la croix, il devenait un maudit de Dieu) et son échec le plus lamentable. Pourtant, c’est sur le Golgotha que la nouvelle famille de Marie lui est donnée : « femme, voici ton fils » et à Jean : « voici ta mère ». (Jn 19, 26-27) Les véritables liens de famille se tissent là, au pied de la croix, quand la mère accepte que son fils lui échappe, d’une manière aussi inexplicable que scandaleuse.

Si les familles veulent devenir saintes, elles ont à faire un parcours semblable, chacune selon son histoire.

Un cousin me confiait combien cela avait été long et difficile pour lui d’admettre que sa fille était homosexuelle. Il n’avait pas voulu aller à son mariage civil. Mais la venue de deux petits-enfants successivement l’a empêché de se durcir sans retour. Peu à peu, en accueillant ses petits-enfants, il a vu les choses autrement. Et pour ses 50 ans de mariage, il a invité la conjointe de sa fille qu’il ne voulait pas voir à la maison jusqu’à présent…

Devenir une Sainte-Famille est un cheminement, une succession d’étapes où les plus radicaux acceptent de s’ouvrir, où les intransigeants apprennent à discerner, où les caractères possessifs découvrent comment lâcher prise, où les indifférents se laissent toucher par le malheur de l’autre, où les forts se découvrent faibles et les faibles reprennent confiance en eux…

Lors du prochain repas de famille, dimanche autour du poulet rôti ou de la galette des rois, égrenez un à un les visages de ceux qui sont là autour de la table, et exercez-vous à les  aimer « à partir de la fin »… N’oubliez pas de faire de même avec ce qui ne sont pas là, et ceux qui ne sont plus là…

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ton héritier sera quelqu’un de ton sang » (Gn 15, 1-6 ; 21, 1-3)
Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là,  la parole du Seigneur fut adressée à Abram dans une vision :  « Ne crains pas, Abram !  Je suis un bouclier pour toi.  Ta récompense sera très grande. » Abram répondit :  « Mon Seigneur Dieu, que pourrais-tu donc me donner ?  Je m’en vais sans enfant,  et l’héritier de ma maison, c’est Élièzer de Damas. »  Abram dit encore : « Tu ne m’as pas donné de descendance,  et c’est un de mes serviteurs qui sera mon héritier. » Alors cette parole du Seigneur fut adressée à Abram : « Ce n’est pas lui qui sera ton héritier,  mais quelqu’un de ton sang. » Puis il le fit sortir et lui dit :  « Regarde le ciel,  et compte les étoiles, si tu le peux… »  Et il déclara :  « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur  et le Seigneur estima qu’il était juste. Le Seigneur visita Sara  comme il l’avait annoncé ;  il agit pour elle comme il l’avait dit.  Elle devint enceinte,  et elle enfanta un fils pour Abraham dans sa vieillesse,  à la date que Dieu avait fixée.  Et Abraham donna un nom  au fils que Sara lui avait enfanté :  il l’appela Isaac.

Psaume
(104 (105), 1-2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Le Seigneur, c’est lui notre Dieu ; il s’est toujours souvenu de son alliance. 104, 7a.8a

Rendez grâce au Seigneur, proclamez son nom,
annoncez parmi les peuples ses hauts faits ;
chantez et jouez pour lui,
redites sans fin ses merveilles.

Glorifiez-vous de son nom très saint :
joie pour les cœurs qui cherchent Dieu !
Cherchez le Seigneur et sa puissance,
recherchez sans trêve sa face.

Souvenez-vous des merveilles qu’il a faites,
de ses prodiges, des jugements qu’il prononça,
vous, la race d’Abraham son serviteur,
les fils de Jacob, qu’il a choisis.

Il s’est toujours souvenu de son alliance,
parole édictée pour mille générations :
promesse faite à Abraham,
garantie par serment à Isaac.

Deuxième lecture
La foi d’Abraham, de Sara et d’Isaac (He 11, 8.11-12.17-19)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait.  Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable.  Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration.

Évangile
« L’enfant grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse » (Lc 2, 22-40)
Alléluia. Alléluia. À bien des reprises, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils. Alléluia. (He 1, 1-2)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.  Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. » Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »  Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.  Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth. L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Patrick BRAUD

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