L'homélie du dimanche (prochain)

18 mai 2025

Si vous m’aimiez…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Si vous m’aimiez…


Homélie du 6° Dimanche de Pâques / Année C
25/05/25


Cf. également :
Se réjouir d’un départ 

L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé que…
L’agneau mystique de Van Eyck

Le Paraclet, l’Église, Mohammed et nous
La gestion des conflits
L’Esprit et la mémoire
Dieu nous donne une ville
L’Esprit nous précède
Lier Pâques et paix
La Trinité en actes : le geste de paix
La paix soit avec vous
Les chrétiens sont tous des demeurés
Ton absence…
Ascension : la joyeuse absence

 

1. Ne pleure pas si tu m’aimes

La mort n’est rien, je suis seulement passé de l’autre côté,
Je suis Moi, tu es Toi.
Ce que nous étions l’un pour l’autre, je le suis toujours.
Donne-moi le nom que tu m’as toujours donné,
Parle-moi comme tu l’as toujours fait,
N’emploie pas un ton différent,
Ne prends pas un air solennel ou triste,
Continue à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.
Prie. Souris. Pense à moi. Prie pour moi.
Que mon nom soit prononcé à la maison comme il l’a toujours été :
sans emphase d’aucune sorte , sans une trace d’ombre.

La vie signifie toujours ce qu’elle a toujours signifiée,
Elle reste ce qu’elle a toujours été : le fil n’est pas coupé.

Pourquoi serai-je hors de ta pensée ? Simplement parce que je suis hors de ta vue ? 
Je t’attends, je ne suis pas loin, juste de l’autre côté du chemin…

Tu vois, tout est bien…
Ne pleure pas si tu m’aimes !
Si tu savais le don de Dieu et ce qu’est le ciel !
Si tu pouvais d’ici entendre le chant des anges et me voir au milieu d’eux !
Si tu pouvais voir se dérouler sous tes yeux les horizons et les nouveaux sentiers où je marche !

Si un instant, tu pouvais contempler comme moi la Beauté devant laquelle toutes les beautés pâlissent !
Crois-moi, quand la mort viendra briser tes liens comme elle a brisé ceux qui m’enchaînaient, et quand, un jour que Dieu seul connaît, ton âme viendra dans ce ciel où l’a précédée la mienne… ce jour-là, tu me reverras et tu retrouveras mon affection purifiée.
À Dieu ne plaise qu’entrant dans une vie plus heureuse, je sois fidèle aux souvenirs et aux vraies joies de mon autre vie et sois devenu moins aimant.
Tu me reverras donc, transfiguré dans l’extase et le bonheur, non plus attendant la mort, mais avançant, d’instant en instant avec toi, dans les sentiers nouveaux de la Lumière et de la Vie !

Alors… essuie tes larmes, et ne pleure plus…
Si tu m’aimes !…
St Augustin

Ce texte est souvent choisi par les familles en deuil pour accompagner la célébration des obsèques d’un proche. En le lisant, je me rappelle immanquablement les funérailles traditionnelles que j’ai vécues autrefois (il y a 45 ans !) en Afrique Noire. Quand c’est un ‘vieux’ – rassasié de jours – ou un notable qui meurt, le village organise trois jours de fête avec repas et bière de mil à volonté pour tous. Parfois, on sort les masques qui dansent pour accueillir le défunt dans la compagnie des ancêtres. Et puis une longue procession avec tambours, chants, youyous des femmes et pas de danse de la foule transporte le cercueil du défunt jusqu’au cimetière. J’ai vu des cercueils voler en l’air portés par des explosions de vieux fusils et l’allégresse de la multitude se passant le cercueil à bout de bras pour se réjouir du sort du défunt ! Les fanfares de jazz entourant le corbillard dans sa marche funèbre à la Nouvelle-Orléans en Louisiane sont un héritage direct de ce rapport joyeux à la mort, qui en étonne plus d’un…

Et si c’était eux qui avaient raison ? Un certain christianisme européen avait transformé le deuil en tristesse obligée, en chagrin démonstratif, avec catafalques, crêpes noirs et pleureuses de circonstance. La modernité a inversé ce rapport dramatique à la mort en l’évacuant de notre horizon : on meurt à l’hôpital, seul le plus souvent. On incinère discrètement, sans flonflons ni fanfares. On revient au bureau ou à l’usine deux jours après, comme si rien ne s’était passé, comme s’il ne fallait pas en parler.

Entre ces deux extrêmes, l’Évangile de ce dimanche (Jn 14,23-29) nous invite à concevoir l’absence autrement : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je pars vers le Père ».

Comment se comprendre ce lien absence–joie établie par le Christ ?

 

2. Vous ne m’aimez pas

Saint Augustin – toujours lui ! – relève d’abord que Jésus gifle ses amis par cette remarque cinglante :

Si vous m’aimiez… dans Communauté spirituelle« Si vous m’aimiez » ; que veulent dire ces mots ? « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père. – Si vous m’aimiez », ne signifie-t-il donc pas : « Vous ne m’aimez pas ?  » Mais alors qu’aimez-vous ? La chair que vous voyez et que, pour ce motif, vous, ne voulez pas perdre de vue. Mais « si vous m’aimiez », moi, moi-même qui suis le Verbe existant dès le principe, existant en Dieu et Dieu même, comme le dit encore saint Jean ; « si donc vous m’aimiez » en tant que je suis le Créateur de toutes choses, « vous vous réjouiriez de ce que je vais à mon Père ». […]

Défaites-vous donc de vos désirs trop humains. Il semble que le Seigneur ait dit à ses Apôtres : « Vous ne voulez pas me quitter : tous vous êtes comme celui qui ne veut pas se séparer de son ami et qui lui dit en quelque sorte : Reste avec nous encore un peu de temps, car notre âme se ravive en te voyant ; mais il vous sera plus avantageux de ne plus voir ce corps et de songer davantage à ma divinité ».

(Sermon 264)

 

‘Tu ne m’aimes pas’ : oseriez-vous dire cela à votre ami intime ? à votre conjoint ? à votre collègue ou responsable hiérarchique ?

‘Si vous m’aimiez’ => ‘Vous ne m’aimez pas’ : par cette implication logique, saint Augustin souligne le double courage de Jésus, qui peut devenir le nôtre :

– le courage du constat

– le courage du reproche

 

Constater courageusement

On peut se faire illusion, de bien des manières, et longtemps, afin de sauvegarder l’apparence d’une relation de qualité avec des proches, des amis, des collègues, un conjoint.

Le déni est la stratégie inconsciente la plus répandue pour éviter une difficulté, un conflit, une rupture.

En ce moment par exemple, le déni du risque de guerre en Europe tente à nouveau les pacifistes de tous bords – catholiques, LFI ou RN – au nom de beaux idéaux. Ce même déni a déjà paralysé Chamberlain et Daladier devant Hitler, les communistes français devant les goulags russes, les belles âmes maoïstes devant la Révolution culturelle chinoise ou les camps de rééducation de Pol Pot etc. …

 

Constater un désamour demande du courage. Accepter que le réel soit ce qu’il est demande de quitter sa grille de lecture habituelle.

Un écrivain racontait un jour cette anecdote : lors d’une randonnée en montagne avec un ami, tous deux se perdent au milieu des massifs et des sentiers. Son ami déploie alors une carte, observe attentivement les lignes du relief autour de lui et déclare solennellement : « Ce paysage est faux ! ». Plutôt que de remettre en cause sa lecture des cartes, il préférait s’enfermer dans sa vision idéologique du monde qui l’entoure, quitte à affirmer que ce monde n’existe pas s’il ne correspond pas à ce qu’il veut y lire !

Cette anecdote rappelle le lapsus d’Éric Zemmour pendant la campagne présidentielle de 2022 (03/02/22), qui mérite également une palme : « Je ne vois que ce que je crois ». On ne saurait mieux décrire l’aveuglement idéologique qui empêche de voir le réel (ce qui nous guette tous) !

Ainsi en est-il de nos désamours : ils devraient nous crever les yeux, et nous préférons détourner le regard pour continuer à y croire.

Combien se sont laissé détruire par ce refus de voir ce qui est ?

 

Jésus, lui, ne laisse pas s’installer de fausses amitiés, de dangereux sous-entendus.

Non, Pierre, tu n’es pas mon ami si tu veux éviter la Croix.

Non, Judas, tu ne sers pas la cause des pauvres en rêvant de violence et de domination inversée.

Non, Marie, tu n’es pas ma mère si tu mets les liens du sang au-dessus des liens de la Parole.

Il faut prendre conscience de la violence véhiculée par le courage du constat.

Dire : ‘Tu ne m’aimes pas’, c’est violent, c’est risqué. Dans la bouche de Jésus, c’est salvateur, car il appelle ainsi ses amis à une opération-vérité : pouvez-vous m’aimer pour moi-même, et non pour le réconfort que je vous apporte ?

 

Le courage du reproche

coeur-amour-geste-mains-t157h0 amour dans Communauté spirituelleJésus ne s’arrête pas au triste constat : « Vous ne m’aimez pas ». Il formule le grief qu’il ressent à l’encontre de ses amis : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez ». Il leur reproche de ne pas se réjouir pour lui, car ils s’attristent pour eux. Ce reproche n’a pas pour but de rompre le lien avec eux : au contraire, il leur indique la voie pour une autre communion d’amour avec lui. Autrement dit, il ne nous reproche pas pour s’éloigner, mais pour nous rendre proches à nouveau.

Il reproche pour rapprocher.

Trouver le ton juste, le bon moment, les paroles qui conviennent à ce type de reproche est l’œuvre de l’Esprit de Dieu en nous.

Proféré avec menace, il peut tout casser.

Dis au mauvais moment, il est inaudible.

Rempli de paroles destructrices, il peut désespérer.

Le reproche dans l’Esprit est une main tendue ; il propose à l’autre une alternative pour contourner l’obstacle ; il désire qu’il change et non qu’il disparaisse.

 

« Celui qui fait la vérité vient à la lumière », et « cette vérité vous rendra libres ». Le reproche ‘façon Jésus’ est l’opération-vérité qui, avec nos collègues, notre famille, nos amis, nous permettra de ne pas mettre sous le tapis les blessures subies, et nous rendra mutuellement libres pour franchir une nouvelle étape dans notre relation.

 

3. Si vous m’aimiez…

depositphotos_63587897-stock-illustration-i-love-jesus-heart-sign JésusQue propose Jésus à ses amis pour surmonter leur égoïsme ? De se réjouir de ce qu’il devient, et non de s’attrister de ce qu’il n’est plus. Reprenez l’image du deuil évoqué par saint Augustin. La plupart des gens pleurent sur eux-mêmes plus que sur leur défunt ! Ils sont tristes de ne plus recevoir de lui affection, chaleur humaine, présence, amour, amitié. Mais ils ne pensent pas un seul instant à ce que le défunt devient en Dieu à travers la mort ! Or, si c’est vraiment la communion avec Dieu et en Dieu qui nous attend, comment pourrait-on être triste pour l’être aimé qui va rejoindre cette plénitude ? Demandez aux mères : la douleur de l’accouchement s’efface devant la joie de voir une autre vie apparaître. Demandez aux parents qui ont appris à se réjouir du départ de leurs enfants, car ils doivent aller vers eux-mêmes.

Il est possible – et même salutaire – de se réjouir de l’absence d’un être aimé…

Sans cette espérance de le savoir en Dieu, il ne reste plus que le chagrin et la blessure.

VentsLeman reproche

Le vent souffle où il veut…

 

Garder sa Parole, c’est vivre dans la liberté de l’Esprit, qui sait tirer du neuf de l’ancien.

C’est ne jamais s’arrêter à ce qu’on a cru comprendre de la foi.

C’est privilégier l’inspiration à la copie, le pont à la barrière, l’Exode à la servitude.

« Le vent souffle où il veut » : si nous aimons le Christ, nous garderons sa Parole dans le souffle de l’Esprit, qui nous conduit vers la vérité tout entière en renouvelant toute chose.

 

Oser reprocher, avec le désir de bâtir une communion plus vraie, plus forte : que la parole du Christ nous apprenne cette patience envers les autres et envers nous-mêmes!
Si toutefois nous aimons le Christ plus que ce qu’il nous apporte…

 


Lectures de la messe


Première lecture
« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci qui s’imposent » (Ac 15, 1-2.22-29)


Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, des gens, venus de Judée à Antioche, enseignaient les frères en disant : « Si vous n’acceptez pas la circoncision selon la coutume qui vient de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. » Cela provoqua un affrontement ainsi qu’une vive discussion engagée par Paul et Barnabé contre ces gens-là. Alors on décida que Paul et Barnabé, avec quelques autres frères, monteraient à Jérusalem auprès des Apôtres et des Anciens pour discuter de cette question. Les Apôtres et les Anciens décidèrent avec toute l’Église de choisir parmi eux des hommes qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabé. C’étaient des hommes qui avaient de l’autorité parmi les frères : Jude, appelé aussi Barsabbas, et Silas. Voici ce qu’ils écrivirent de leur main : « Les Apôtres et les Anciens, vos frères, aux frères issus des nations, qui résident à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut ! Attendu que certains des nôtres, comme nous l’avons appris, sont allés, sans aucun mandat de notre part, tenir des propos qui ont jeté chez vous le trouble et le désarroi, nous avons pris la décision, à l’unanimité, de choisir des hommes que nous envoyons chez vous, avec nos frères bien-aimés Barnabé et Paul, eux qui ont fait don de leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ. Nous vous envoyons donc Jude et Silas, qui vous confirmeront de vive voix ce qui suit : L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent : vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles, du sang, des viandes non saignées et des unions illégitimes. Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela. Bon courage ! »


Psaume
(Ps 66 (67), 2-3, 5, 7-8)
R/ Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble !
ou : Alléluia.
 (Ps 66, 4)


Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
que son visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.


Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
tu gouvernes les peuples avec droiture,
sur la terre, tu conduis les nations.


La terre a donné son fruit ;
Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !


Deuxième lecture
« Il me montra la Ville sainte qui descendait du ciel » (Ap 21, 10-14.22-23)


Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ange. En esprit, il m’emporta sur une grande et haute montagne ; il me montra la Ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu : elle avait en elle la gloire de Dieu ; son éclat était celui d’une pierre très précieuse, comme le jaspe cristallin. Elle avait une grande et haute muraille, avec douze portes et, sur ces portes, douze anges ; des noms y étaient inscrits : ceux des douze tribus des fils d’Israël. Il y avait trois portes à l’orient, trois au nord, trois au midi, et trois à l’occident. La muraille de la ville reposait sur douze fondations portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau. Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau. La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau.


Évangile
« L’Esprit Saint vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 23-29)
Alléluia. Alléluia.
Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. »
Patrick BRAUD

 

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27 mars 2017

Reprocher pour se rapprocher

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Reprocher pour se rapprocher


Homélie du 5° Dimanche de Carême / Année A
02/04/2017

Cf. également :

Et Jésus pleura

Une puanteur de 4 jours

Le je de l’ouïe

La corde à nœuds…

 

Dieu est-il sans reproches ?

ob_604d34_parler-tout-seul-c-est-parfois-un-signTant d’injustices, tant de malheurs innocents, jusqu’à la mort elle-même, point final en forme d’immense interrogation adressée à l’amour supposé infini de Dieu… : chacun de nous peut faire la liste de ses reproches, qu’il peut argumenter dès aujourd’hui contre Dieu. ‘Seigneur, si tu es vraiment amour, pourquoi ce handicap à la naissance, cet accident de la route à 14 ans, pourquoi l’autisme défigure-t-il ma fille/mon fils ? Si tu étais vraiment à mes côtés, je n’aurais pas sombré dans l’alcool ou la dépression, je n’aurais pas enchaîné les séries noires, mes proches n’auraient pas cumulé les échecs personnels ou professionnels…’

Or la Bible entière est traversée des reproches bien plus violents encore de nos ancêtres.

Dans l’évangile de ce dimanche du retour à la vie de Lazare, par deux fois un même reproche vient remettre Jésus en cause : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Marthe, puis Marie expriment avec douleur dans les mêmes termes leur grief envers Jésus : c’est donc qu’il est légitime de le faire nous aussi. Jacob a résisté à Dieu au gué du Yabboq et s’est roulé avec lui dans la poussière (Gn 32). C’est donc qu’être « fort contre Dieu » (c’est le nom Israël attribué à Jacob après cette lutte) est une porte d’entrée dans son cercle intime.

 

L’avant-reproche

Résultat de recherche d'images pour "« celui que tu aimes est malade »"Les deux sœurs commencent d’abord par envoyer un SMS d’urgence à Jésus : « celui que tu aimes est malade ». C’est plus qu’une information sur l’état de santé de Lazare. Avec le rappel de l’amitié le liant à leur frère, Marthe et Marie jouent habilement sur la corde de l’affection de Jésus. C’est déjà une supplication : ‘au nom de votre amitié, fais  quelque chose pour Lazare’.

Avant de pouvoir reprocher en toute légitimité, il nous faut d’abord savoir supplier, ou du moins informer Dieu en lui rappelant son affection pour nous, le lien amical qui nous relie à lui. Celui qui ne demande jamais rien aux autres / à Dieu ne peut ensuite leur reprocher de ne pas être intervenus. Or savoir demander est un chemin d’humilité auquel peu d’entre nous consentent vraiment. Appeler au secours peut se révéler parfois très humiliant. Bon nombre préféreront se taire, serrer les dents, et essayer d’y arriver tout seul, à la force du poignet.

Le reproche est illégitime s’il n’est précédé de cette humble quête d’assistance où je reconnais ne pas pouvoir compter sur moi seulement.

 

Le reproche rapproche

Reprocher pour se rapprocher dans Communauté spirituelle lazare17La supplication de Marthe et Marie est restée sans effet sur Jésus. Bizarrement, il ne bouge pas. Il reste sur place, attendant visiblement que Lazare soit mort pour réagir. Elles sont alors en droit d’exploser, chacune à son tour, avec le même reproche : « Seigneur si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Si elle n’avait pas crié leur amertume [1], leur déception, alors la rancune, le ressentiment auraient pris le dessus. Elles en auraient voulu à mort à Jésus d’avoir délaissé Lazare. Leur mutisme les aurait enfermées dans cette haine sans mots qui fait tant de ravages au sein des familles. Le fait d’exprimer leur reproche les maintient en lien étroit avec Jésus qui va finir par leur donner raison. Le nom de Lazare signifie justement : Dieu a secouru (El-azar), car en réponse au reproche des deux sœurs Jésus intervient avec puissance.

La vraie proximité s’établit souvent au prix du reproche, et non sans lui.

Le drame de Judas est de garder ses reproches pour lui, au lieu de les adresser au Christ. En bon zélote, il aurait dû demander à Jésus pourquoi il ne voulait pas de l’insurrection armée, du calcul politique pour faire des alliances, d’une stratégie de pouvoir qui permettrait de changer l’ordre des choses en chassant l’occupation romaine. Plus tard, après sa tragique méprise sur la rencontre entre Jésus et les chefs juifs (qu’il avait organisée pour créer un Front de la Résistance), il s’en veut tellement qu’il retourne contre lui la violence qu’il n’avait pas exprimée à Jésus. Ces reproches rentrés deviennent alors des remords, qui finiront par le détruire : le suicide de Judas est l’impasse où nous mène le non-reproche.
Pierre, lui, n’a cessé de formuler ses objections, et après la Résurrection il transforme ses reproches envers lui-même en demande de pardon adressée au Christ.

La vraie proximité s’établit souvent au prix du reproche, et non sans lui.
Ne pas se dire ce qui reste en travers de la gorge provoque des éloignements irréversibles : entre conjoints, des disputes à répétition au sujet de griefs non formulés, ou formulés trop tard, sont à l’origine de bien des séparations. En entreprise, ne pas savoir reprocher à son chef hiérarchique n’engendre que soumission et inefficacité du travail en équipe. Et réciproquement, c’est tout l’art du management que de pratiquer le reproche avec discernement, au moment favorable, dans des conditions acceptables, sur fond de bienveillance positive.

Pas d’éducation sans reproche !

 

Dieu n’est pas sans reproches

L'Amour, on 1) se RAPPROCHE 2) s'ACCROCHE 3) se REPROCHE 4) s'ÉCORCHE - Jeux de Mots Francois Ville - T-shirt Premium HommeAu double sens de la formule : il verbalise par amour ce qu’il a contre nous, afin de nous renouveler son alliance, et son action suscite légitimement en nous des questionnements que nous lui adressons avec tristesse.

Par le biais des prophètes dans l’Ancien Testament, Dieu reprend sans cesse Israël pour l’inviter à progresser. Dans les Évangiles, Jésus n’est pas avare de reproches non plus ! Il pleure sur Jérusalem qui refuse de l’accueillir. Il réprimande Pierre qui ne veut pas entendre parler de crucifixion (ce même Pierre qui lui faisait de vifs reproches sur cette annonce impensable d’un messie humilié). Et les diatribes de Jésus contre l’hypocrisie et le légalisme des pharisiens, pharisiens et autres docteurs de la Loi sont restées célèbres. D’ailleurs, les pharisiens confondront reproche (par amour) et insulte (par mépris).

Dans le livre de l’Apocalypse, le Vivant reproche à l’Église de Laodicée d’être si tiède qu’elle risque d’être vomie de sa bouche : « puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3,14). À chacune des 7 Églises, le Christ formule un grief pour l’appeler à redevenir fidèle : « J’ai contre toi que tu as perdu ton amour d’antan… » (Ap 2,7).

Dieu et l’homme ont tant de reproches mutuels se faire !

Mais tant que la parole convoque l’autre au nom de l’affection, de l’amitié, du lien d’alliance, chaque reproche peut réellement rapprocher les deux parties.
Parce qu’il fait réagir (Jésus ressuscitant Lazare [2]).
Parce qu’il oblige à lever les ambiguïtés (c’est pour soutenir la foi des disciples que Jésus a attendu trois jours).
Parce qu’il conduit de lui-même à la confiance malgré tout : « je sais que Dieu t’accordera tout ce que tu lui demanderas », dit Marthe après son reproche.

Entraînons-nous donc aux reproches fraternels, sur fond d’amitié et d’affection. Entraînons-nous dans la prière aux reproches spirituels, sur fond d’alliance et d’humilité  réciproque.

Celui qui ne reproche jamais montre peu de reconnaissance.
Celui-ci reproche mal devient tyrannique.
Qui reproche comme Marthe et Marie découvre qu’il n’y a pas de tombeau scellé si hermétique qu’il puisse empêcher la vie de jaillir, malgré la blessure, malgré toutes les formes de mort qui nous tiennent prisonniers.

Et vous, qu’avez-vous à reprocher à Dieu ? Prenez-vous le temps de lui dire, avec passion ?

Osons reprocher pour nous rapprocher !

 


[1] . Marie est un dérivé du prénom hébraïque Miryam qui signifie « goutte de mer ». Selon d’autres sources, il viendrait de l’hébreu marah se traduisant par « amertume » ou de l’égyptien ancien mrit ou merit signifiant « aimée ». La limite entre l’amertume et l’amour est donc ténue, et Marie de Béthanie personnalise cette ligne de crête.

[2] . Ce qui fait réagir également les opposants à Jésus : « Les grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare,  parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s’en allaient et croyaient en Jésus » (Jn 12,10).

 

 

Première lecture (Ez 37, 12-14
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. Vous saurez que Je suis le Seigneur, quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple ! Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez ; je vous donnerai le repos sur votre terre. Alors vous saurez que Je suis le Seigneur : j’ai parlé et je le ferai – oracle du Seigneur.

Psaume (Ps 129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8)

Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur, Seigneur, écoute mon appel ! Que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière ! Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur, qui subsistera ? Mais près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne. J’espère le Seigneur de toute mon âme ; je l’espère, et j’attends sa parole. Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore. Oui, près du Seigneur, est l’amour ; près de lui, abonde le rachat. C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes. 

Deuxième lecture (Rm 8, 8-11)

Frères, ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

Évangile (Jn 11, 1-45)

En ce temps-là, il y avait quelqu’un de malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, sa sœur. Or Marie était celle qui répandit du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. C’était son frère Lazare qui était malade. Donc, les deux sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait. Puis, après cela, il dit aux disciples : « Revenons en Judée. » Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? » Jésus répondit : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui. » Après ces paroles, il ajouta : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Les disciples lui dirent alors : « Seigneur, s’il s’est endormi, il sera sauvé. » Jésus avait parlé de la mort ; eux pensaient qu’il parlait du repos du sommeil. Alors il leur dit ouvertement : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! » Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! » À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà. Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –, beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère. Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. » Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. » Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle. » Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus. Il n’était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré. Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer. Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. » Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? » Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. » Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. » Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.
Patrick BRAUD

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