L'homélie du dimanche (prochain)

20 février 2017

Se reposer en Dieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Se reposer en Dieu


Homélie du 8° dimanche du temps ordinaire / Année A
26/02/2017

Cf. également :

Pour quoi m’as-tu abandonné ?

L’insouciance de Jésus : du fatalisme à la recherche de l’essentiel

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Décevante est la grâce et vaine la beauté

« Laisse faire » : éloge du non-agir

« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus


Il est un refrain obsédant, que l’on chante durant des heures de la nuit à Taizé. C’est un de ces leitmotivs si obsédant qu’il vous met en transe consciente à force de le répéter. Un de ces mantras bibliques qui ne vous quitte plus. Vous le chantez, le murmurez, le fredonnez bouche fermée, vous le criez, vous vous taisez pour laisser les instruments continuer seuls… et voilà : il est niché au creux de votre mémoire spirituelle plus sûrement que la madeleine de Proust, le chapelet musulman ou la rotation des derviches soufis.

Cet air de rien qui envahit tout est tiré de notre Psaume 61 d’aujourd’hui :

« Mon âme se repose en paix sur Dieu seul,
de lui vient mon salut,
oui sur Dieu seul mon âme se repose,
se repose en paix. »

Ces paroles consonent fortement avec celles de Paul (1Co 4,1-5) dans notre deuxième lecture, refusant de se laisser déstabiliser par les jugements de ses opposants :

« Pour ma part, je me soucie fort peu d’être soumis à votre jugement, ou à celui d’une autorité humaine ; d’ailleurs, je ne me juge même pas moi-même. »

Elles annoncent celles de Jésus dans notre évangile de la providence, où il invite à ne pas se soucier du boire ou du manger ou de l’avenir plus que raisonnable (Mt 6,24-34). Puisque demain aura souci de lui-même et que à chaque jour suffit sa peine, la confiance en Dieu sera plus forte que les inévitables contrariétés de la vie.

« Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : ‘Qu’allons-nous manger ?’ ou bien : ‘Qu’allons-nous boire ?’ ou encore : ‘Avec quoi nous habiller ?’ Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. »

En fait, le psaume 61 est un soupir de plénitude : l’auteur se parle à lui-même après un long combat intérieur :

« Ah ! en Elohîms, silence, mon être, mon salut vient de lui !
Ah ! il est mon roc, mon salut, ma culmination ! » (Traduction de Chouraqui)

Il consent enfin à ne plus se battre pour rien. Il se dit que le repos en Dieu vaut mieux que la tension permanente et volontariste. Après avoir été accusé, humilié, le psalmiste découvre par contraste l’altérité d’un Dieu plus grand que l’homme, que tout homme, même puissant ou riche.

La déception lui permet de ne pas idolâtrer ses proches ou ses soutiens. L’épreuve lui fait découvrir la vanité de toute chose. Il utilise d’ailleurs le même terme que Qohélet : la buée, l’inconsistance et la volatile fumée, pour désigner ses adversaires et ses tracas.

Prendre conscience de l’impermanence des choses et des êtres, de leur insoutenable légèreté, de leur inconsistance radicale fait partie du cheminement spirituel biblique. En cela, il est très proche de l’hindouisme, qui ne veut plus se laisser bercer par l’illusion de ce monde.
L’ascète hindou parvient à ce détachement intérieur par la méditation.
Le juste des psaumes relit dans sa prière combien l’épreuve l’a aidé à se détacher de la vaine gloire des hommes.
L’un va chercher un au-delà de la conscience dans un détachement impersonnel, l’autre dans le dialogue avec un dieu aimant.
Tous deux n’auront plus aucun goût à courir après des idoles. Tous deux accueilleront bonheur au malheur apparent avec une égale reconnaissance.

Qu’est-ce donc que se reposer en Dieu ? Serait-ce la douce quiétude du chat près du feu de cheminée ?

Le psaume 61 porte la trace des combats menés auparavant :

« Combien de temps tomberez-vous sur un homme pour l’abattre, vous tous, comme un mur qui penche, une clôture qui croule ?
Détruire mon honneur est leur seule pensée : ils se plaisent à mentir.
Des lèvres, ils bénissent ; au fond d’eux-mêmes, ils maudissent. »

Des blessures reçues naît le constat – amer au début, puis libérateur – que la toute-puissance est une illusion. Même les échecs révèlent une autre façon d’exister : en consentant à ce qui est, en laissant faire activement ce qui advient.

S’appuyer sur sa réussite du moment ? Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir tomber ceux qui hier étaient au sommet…

Compter sur sa force, sa santé, ses diplômes, son carnet de relations ? Tant que tout va bien pour vous, vos amis sont attentifs, vous soutiens ne manquent pas. Beaucoup détourneront la tête et vous retireront de leurs carnets Gmail si vous n’êtes plus fréquentable.

Quant à l’insouciance du fort qui croit triompher de tout, il suffira d’attendre pour la voir piteusement se défaire tôt ou tard devant la résistance du réel, devant la mort qui de toute façon aura raison de tout.

Le prophète Isaïe, dans cette ligne de remise en cause généralisée, ose même questionner l’amour maternel. S’il est une affection humainement fondatrice, solide et permanente, c’est bien celle d’une mère pour ses enfants. Et pourtant des enfants sont abandonnés, des fils oubliés ; des époux séparés renoncent à être parents etc. Isaïe a fait cette expérience bouleversante d’un amour plus fidèle que celui d’une mère, d’une femme, d’un enfant :

« Jérusalem disait : « Le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur m’a oubliée. »
Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas, – dit le Seigneur. » (Is 49, 14-15)

Le psalmiste est donc passé par ces étapes déceptives où les liens les plus forts se révèlent aussi inconsistants que la fumée dans l’air, la buée se dégageant de la rosée du matin :

« Ah ! fumée, les fils de l’humain; tromperie, les fils de l’homme !
Aux balances, pour monter, ils sont ensemble moins qu’une fumée ! »

Une fois dissipés ces mirages de solidité dans l’être, reste la formidable source d’existence de Dieu en lui-même, gratuite, inconditionnelle, sans calcul ni manipulation.


Oui sur Dieu seul mon âme se repose.

Sur Dieu seul : pas de compromission avec des héros trop humains, avec des stratégies d’alliances intéressées. Pas de colosses aux pieds d’argile pour me faire illusion. Pas de sauveur providentiel à qui s’en remettre aveuglement, ni de leader charismatique à qui il faudrait tout jurer. Pas de conjoint adoré au point de trop lui demander, ni d’enfants instrumentalisés pour essayer de survivre à travers eux.

Le monde aurait beau s’écrouler, Dieu lui ne chancelle pas :

Car les montagnes peuvent s’écarter
et les collines chanceler,
mon amour ne s’écartera pas de toi,
mon alliance de paix ne chancellera pas,
dit Yahvé qui te console. (Is 54,10)


Le repos en Dieu au cœur de la Shoah

Une jeune femme juive a vécu cet enracinement en Dieu au milieu d’un chaos nazi envahissant le ghetto de Varsovie et les camps d’extermination polonais. Etty Hillesum est lucide sur le sort qui attend les juifs. Entre 1941 et 1943, à 27 ans, elle tient son journal qui va la faire parcourir un chemin d’approfondissement intérieur éblouissant. Sans le savoir, elle se met à fredonner et faire couler sur ses lèvres le psaume 61 :

Résultat de recherche d'images pour "hillesum etty une vie bouleversée"« Je me suis coupé les ongles des orteils, j’ai bu une tasse de vrai cacao Van Houten et mangé  une tartine de miel, le tout avec une vraie passion. J’ai ouvert la Bible au hasard, mais le passage n’apportait aucune réponse à ce début de matinée. Cela ne fait rien, du reste, Car il n’y avait pas de questions, seulement une grande confiance et une profonde reconnaissance pour la beauté de la vie, et c’est pourquoi ce jour est historique : non pas parce que je dois me rendre tout à l’heure à la Gestapo avec S., mais parce que malgré cela, je trouve la vie si belle.

Dieu n’a pas à nous rendre de comptes pour les folies que nous commettons. C’est à nous de rendre des comptes ! J’ai déjà subi mille morts dans mille camps de concentration. Tout m’est connu. Aucune information nouvelle ne m’angoisse plus. D’une façon ou d’une autre, je sais déjà tout. Et pourtant je trouve cette vie belle et riche de sens. À chaque instant. […]

Je sais tout, je suis capable de tout supporter, je deviens de plus en plus forte, et en même temps j’ai une certitude : je trouve la vie belle, digne d’être vécue et riche de sens. En dépit de tout. Cela ne veut pas dire qu’on se maintienne toujours sur le sommet et dans de pieuses pensées. On peut être brisée de fatigue d’avoir longtemps marché, d’avoir passé des heures à faire la queue, mais cela aussi c’est la vie, et quelque part en vous il y a quelque chose qui ne vous quittera plus jamais. » [1]

Le secret de ce repos en Dieu est dans l’intensité de chaque moment avec lui et en lui.

Combien d’heures n’ai-je pas vécu dont je disais : cette heure a été toute une vie, et si je devais mourir bientôt, ne vaudrait-elle pas tout le reste de ma vie ? J’en ai tant vécu de ces heures-là. Qu’est ce qui m’empêche de vivre aussi dans le ciel ? Le ciel existe, pourquoi n’y vivrait-on pas ? Mais en fait c’est plutôt l’inverse, c’est le ciel qui vit en moi. Cela me fait penser à une expression d’un poème de Rilke : univers intérieur (Weltinnenraum).  (page 201)

On croirait entendre Paul : « ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

Le repos en Dieu est donc le repos de Dieu en moi, au sens où l’on laisse des feuilles  de thé reposer au fond de la tasse, l’imprégnant par osmose de leur essence jusqu’à en changer la couleur, le goût et l’odeur, jusqu’à se déposer au fond, tout au fond, matière noire, dans un secret échange poursuivant secrètement son alchimie avec ténacité, quoi qu’il arrive…

 

Mon âme se repose…

Si la vanité de vos soutiens humains vous apparaît soudain – heureuse exception -
Si la beauté de la vie vous bouleverse et vous invite à regarder plus haut – heureux éblouissement -
Si vous sentez approcher le moment du consentement à ce qui vous arrive, à vous-même – heureuse sagesse -
Si vous expérimentez dans le silence une confiance inexplicable que Dieu dépose en vous, et qu’ainsi vous reposez en Dieu,

alors ne cessez pas de cantiller, de laisser tournoyer en vous ce refrain intérieur. Ces paroles d’abandon vous établiront dans une paix sans fond :

Mon âme se repose en paix sur Dieu seul,
de lui vient mon salut,
oui sur Dieu seul mon âme se repose,
se repose en paix.

 ____________________________________________________________

 1. Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Seuil, coll. Points, 1995, pp. 105 / 140 / 143.

 

 

PREMIÈRE LECTURE
« Moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49, 14-15)
Lecture du livre du prophète Isaïe

Jérusalem disait : « Le Seigneur m’a abandonnée, mon Seigneur m’a oubliée. »
Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ?
Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas, – dit le Seigneur.

PSAUME

(Ps 61 (62), 2-3, 8, 9)
R/ En Dieu seul, le repos de mon âme. (cf. Ps 61, 2a)

Je n’ai de repos qu’en Dieu seul,
mon salut vient de lui.
Lui seul est mon rocher, mon salut,
ma citadelle : je suis inébranlable.

Mon salut et ma gloire
se trouvent près de Dieu.
Chez Dieu, mon refuge,
mon rocher imprenable !

Comptez sur lui en tous temps,
vous, le peuple.
Devant lui épanchez votre cœur :
Dieu est pour nous un refuge.

DEUXIÈME LECTURE

« Le Seigneur rendra manifestes les intentions des cœurs » (1 Co 4, 1-5)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, que l’on nous regarde comme des auxiliaires du Christ et des intendants des mystères de Dieu. Or, tout ce que l’on demande aux intendants, c’est d’être trouvés dignes de confiance. Pour ma part, je me soucie fort peu d’être soumis à votre jugement, ou à celui d’une autorité humaine ; d’ailleurs, je ne me juge même pas moi-même. Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas pour cela que je suis juste : celui qui me soumet au jugement, c’est le Seigneur. Ainsi, ne portez pas de jugement prématuré, mais attendez la venue du Seigneur, car il mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et il rendra manifestes les intentions des cœurs. Alors, la louange qui revient à chacun lui sera donnée par Dieu.

ÉVANGILE

« Ne vous faites pas de souci pour demain » (Mt 6, 24-34) Alléluia. Alléluia.
Elle est vivante, énergique, la parole de Dieu ; elle juge des intentions et des pensées du cœur.
Alléluia. (cf. He 4, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.
 C’est pourquoi je vous dis : Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Vous-mêmes, ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? Qui d’entre vous, en se faisant du souci, peut ajouter une coudée à la longueur de sa vie ? Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un d’entre eux. Si Dieu donne un tel vêtement à l’herbe des champs, qui est là aujourd’hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien davantage pour vous, hommes de peu de foi ? Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : ‘Qu’allons-nous manger ?’ ou bien : ‘Qu’allons-nous boire ?’ ou encore : ‘Avec quoi nous habiller ?’ Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,

8 juillet 2015

Le polythéisme des valeurs

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le polythéisme des valeurs


Homélie du 15° dimanche du temps ordinaire / Année B
12 juillet 2015

Cf. également :

Plus on possède, moins on est libre

Les 4 vertus du Psaume 84

Le polythéisme des valeurs dans Communauté spirituelle accommodementsUne fois n’est pas coutume, attardons-nous sur le psaume 84 de ce dimanche. Notamment sur ce verset célèbre : « amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ».

Pourquoi tenir autant à réconcilier ces quatre vertus ? Pourquoi ne pas les aligner une par une comme des caractéristiques du règne de Dieu sur son peuple ?

C’est que justement, dans l’histoire ordinaire, ces quatre principes sont en tension permanente. Prenez l’amour et la vérité. Au nom de la vérité, chaque camp politique ou religieux a connu des périodes de massacres, d’élimination de ceux qui étaient ‘dans l’erreur’. Au nom de leur orthodoxie, des chrétiens ont brûlé des hérétiques, des musulmans ont persécuté des païens et des chrétiens, des pays occidentaux ont colonisé des peuples ‘sauvages’ au nom des Lumières etc. La tension traverse l’Église elle-même : être vrai sur les questions de divorce et de remariage peut sembler à beaucoup très éloigné de l’amour et de la compassion qu’on attend de l’Église. Idem pour la juste attitude envers toutes les formes d’homosexualité. Si la vérité veut être aimable et aimée, elle devra souvent être réinterprétée de fond en comble. Et on sait bien qu’il faut parfois mentir par amour pour préserver une relation…

L’autre tandem justice-et-paix n’est pas moins sensible.

Que serait une paix sans justice, sinon le silence des lâches ? Pourtant c’est bien ce qui arrive le plus souvent : pour ne pas avoir de problème, chacun est tenté de mettre le mouchoir dans sa poche au lieu d’aborder le sujet qui fâche. Les puissants maintiennent le calme parmi ceux qu’ils dominent en distribuant quelques faveurs et en faisant croire qu’il n’y a pas d’autre solution que de continuer comme maintenant…

Et que serait une justice qui ne voudrait pas rétablir la paix ? Les commissions  nationales de réconciliation qui ont été mises en place en Afrique du Sud après l’apartheid et au Rwanda après le génocide relèvent de cette volonté : exercer une justice qui pacifie, et non une justice de revanche ou de représailles. Le traité de Versailles en 1918 en Europe a largement démontré qu’une paix sans justice engendre les pires démons de violence en retour.

Un conflit permanent

C’est donc il y a un antagonisme permanent de ces quatre valeurs prises deux à deux. À tel point que Saint Bernard par exemple imaginait que leur conciliation serait un signe proprement messianique :

Saint Bernard a reconstitué une petite pièce de théâtre à partir de ce psaume. Il s’agit de discussions dramatiques des quatre Vertus avec le Père des lumières, en vue de résoudre le cas d’Adam après sa chute. Vérité et Justice réclament la mort d’Adam au nom des engagements pris par le Seigneur. Amour s’écrie alors : « Pourquoi, Père, m’as-tu donné le jour, si je dois vivre si peu de temps? » Paix intervient : « Il ne convient pas aux Vertus de se disputer entre elles! » et suggère de s’en remettre au Fils. Celui-ci en vrai Salomon prononce : « L’Une dit : C’en est fait de moi, si Adam ne meurt ! - L’Autre reprend : Je suis perdue s’il ne lui est pas fait miséricorde! - Donc que la mort devienne bonne, et chacune aura gagné son procès! »

Étonnement général devant tant de sagesse : mais comment faire ? Le Fils, souverain Juge, reprend : « Il en sera ainsi, s’il se trouve quelqu’un qui, ne devant rien à la mort,veuille bien souffrir la mort par amour pour l’homme… Car l’amour est plus fort que la mort ! » On devine le reste : le Fils trace son propre destin car il sera celui-là. Il assume par amour une condition mortelle.  [1]

Le polythéisme des valeurs

Le sociologue allemand Max Weber avait repéré dès 1917 cet antagonisme des valeurs :

essais_theorie_L20 antagonisme dans Communauté spirituelleToute méditation empirique sur ces situations nous conduirait, selon la juste remarque du vieux Mill, à reconnaître que le polythéisme absolu est la seule métaphysique qui leur convienne. Une analyse non empirique mais orientée vers l’interprétation de significations, bref une authentique philosophie des valeurs qui dépasserait ce point de vue devrait reconnaître qu’aucun système conceptuel des « valeurs », si ordonné fût-il, n’est de taille à prendre la mesure du point décisif de cet état de choses. Il s’agit en fin de compte, partout et toujours, à propos de l’opposition entre valeurs, non seulement d’alternatives, mais encore d’une lutte mortelle et insurmontable, comparable à celle qui oppose « Dieu » et le « diable ».  [2]

S’il est une chose que de nos jours nous n’ignorons plus, c’est qu’une chose peut être sainte non seulement bien qu’elle ne soit pas belle mais encore parce que et dans la mesure où elle n’est pas belle – vous en trouverez les références au chapitre LIII du livre d’Isaïe et dans le psaume 21. De même une chose peut être belle non seulement bien qu’elle ne soit pas bonne, mais précisément par ce en quoi elle n’est pas bonne. Nietzsche nous l’a réappris, mais avant lui Baudelaire l’avait déjà dit dans les Fleurs du Mal, c’est là le titre qu’il a choisi pour son oeuvre poétique. Enfin la sagesse populaire nous enseigne qu’une chose peut être vraie bien qu’elle ne soit et alors qu’elle n’est ni belle ni sainte ni bonne. Mais ce ne sont là que les cas les plus élémentaires de la lutte qui oppose les dieux des différents ordres et des différentes valeurs. J’ignore comment on pourrait s’y prendre pour trancher « scientifiquement » la question de la valeur de la culture française comparée à la culture allemande; car là aussi différents dieux se combattent, et sans doute pour toujours. Les choses ne se passent donc pas autrement que dans le monde antique, encore sous le charme des dieux et des démons, mais prennent un sens différent. [3]

La conclusion de Weber est forte :

Pour autant que la vie a en elle-même un sens et qu’elle se comprend d’elle-même, elle ne connaît que le combat éternel que les dieux se font entre eux ou, en évitant la métaphore, elle ne connaît que l’incompatibilité des points de vue ultimes possibles, l’impossibilité de régler leurs conflits et par conséquent la nécessité de se décider en faveur de l’un ou de l’autre.  [4]

 coïncidentiaDans la devise française par exemple, ces tensions entre valeurs sont patentes : plus de liberté diminue l’égalité entre les hommes, et fait reculer la fraternité. Chacune des trois valeurs compromet les deux autres en se développant seule. Pour autant, il n’y a aucune raison a priori de choisir telle ou telle valeur plutôt que telle autre. Aucune valeur ne s’impose comme transcendante ou évidemment supérieure aux autres, alors qu’elle entre en conflit avec elles.

Ainsi chacun est obligé de faire des compromis pour ne pas trop maltraiter la vérité lorsqu’il essaie d’aimer, pour ne pas oublier la justice lorsqu’il construit la paix, etc.

 

Notre Psaume 84 nous annonce que c’est l’action de Dieu lui-même que de réconcilier ces quatre valeurs aujourd’hui antagonistes. En Jésus, l’amour et la vérité se rencontre réellement, « en personne ». C’est donc qu’en participant à l’être de Dieu, il nous sera donné de discerner quels compromis permettront de faire marcher une vertu avec l’autre, jamais sans elle.

Prenez le cas de la Grèce et de sa dette faramineuse : la justice exigerait que la Grèce rembourse, même sur des décennies, tous ses emprunts. L’amour commande qu’on réduise sa dette avant qu’elle soit insupportable et qu’elle ne menace la paix sociale. La vérité oblige à se souvenir de la responsabilité des créanciers des banques européennes ou américaines,et pas simplement du débiteur etc.

Plutôt qu’une position européenne rigide et dogmatique, la conciliation des vertus appelle à un cheminement, un discernement patient, où la justice économique ne pourra se faire au détriment de la paix sociale.

L’union des contraires

51fezBncXwL GounelleLa théologie médiévale avait médité sur l’antagonisme des valeurs. Sans utiliser ce mot de Max Weber, elle avait déjà pointé que, pour l’homme, réconcilier les extrêmes semble impossible. Mais pas pour Dieu. En Dieu, les opposés coïncident  (c’est la célèbre thèse de la coïncidentia oppositorum). Ce qui est folie pour l’homme est sagesse en Dieu, force et faiblesse se rejoignent en lui, amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent.

Dieu transcende toute affirmation et toute négation. Ainsi la considération de l’infini abolit les règles de la logique traditionnelle aristotélicienne fondée sur le principe de non contradiction qui fonctionne dans nos raisonnements habituels.

« Or, cela dépasse toute notre intelligence, car elle ne peut pas, dans son principe, combiner les contradictoires par la voie de la raison, parce que nous cheminons parmi les objets que nous manifeste la nature elle-même ; et notre intelligence, trébuchant parce qu’elle est loin de cette force infinie, ne peut pas lier des contradictoires, séparés par un infini. Donc, au-dessus de toute démarche de la raison, nous voyons, d’une façon incompréhensible, que la maximité absolue est infinie, que rien ne lui est opposé, et qu’avec elle coïncide le minimum. »  [5]

Un théologien protestant comme André Gounelle reprend ce concept à travers la notion de paradoxe évangélique :

Le paradoxe serait une structure de l’être lui-même. En ce sens, il n’est pas insolite, mais constitutif et habituel, il se rencontre à chaque moment. La théologie existentielle, influencée par Luther et Kierkegaard le caractérise par la coïncidentia oppositorum, la coïncidence incompréhensible des opposés : ainsi la sagesse humaine est folie devant Dieu et la sagesse divine scandale pour la rationalité humaine; ou encore la gloire de Dieu se manifeste dans l’ignominie de la croix, sa puissance dans la faiblesse de l’homme Jésus. Le paradoxe signifie que la logique divine contredit, inverse la logique humaine, qu’elle opère sans cesse des retournements. Barth et Brunner, dans cette ligne, définissent le paradoxe comme une « impossible possibilité ». Le paradoxe, c’est que Dieu se fasse homme, que le Christ ressuscite, que le pécheur soit pardonné. Ce sont des choses que la raison humaine ne peut pas comprendre, et qu’elle doit accepter par une sorte de sacrifice de l’intelligence. Le paradoxe signifie l’insuffisance radicale de la raison humaine qui doit renoncer à sa logique et à son savoir pour se soumettre au « fait » de la révélation qui contredit ses catégories. Dans cette perspective, on ne pense pas le paradoxe, il est aussi impensable que les postulats mathématiques sont indémontrables ; mais on pense à partir du paradoxe, comme on développe des théorèmes à partir des postulats.  [6]

 

Ne restons pas prisonniers des oppositions que notre paganisme naturel nous fait dresser entre liberté et sécurité, entre droit et miséricorde, entre développement et sobriété, entre égalité et fraternité etc.

Si en Dieu les contraires s’unissent, alors le polythéisme des valeurs diagnostiqué par Weber n’aura pas le dernier mot. Et cela peut orienter notre discernement, nos choix de vie, personnels et collectifs.

 

 _____________________________________________

[1]Cf. http://www.interbible.org/interBible/cithare/psaumes/2004/psa_041210.htm

[2]. Max Weber, Essais sur la théorie de la science, Quatrième essai : « Essai sur le sens de la « neutralité axiologique » dans les sciences sociologiques et économiques” (1917), p. 21.

[3]. Max Weber, Le savant et le politique, Paris, coll. 10 / 18, pp. 22-23.

[4]ibid., p. 26.

[5]. Nicolas de Cues (1401-1464), Docte ignorance I,4

 

 

1ère lecture : « Va, tu seras prophète pour mon peuple » (Am 7, 12-15)

Lecture du livre du prophète Amos

En ces jours-là, Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos :« Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda ; c’est là-basque tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète.     Mais ici, à Béthel,arrête de prophétiser ; car c’est unsanctuaire royal, un temple du royaume. » Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores.     Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va,tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ »

 Psaume: Ps 84 (85), 9ab.10, 11-12, 13-14
R/Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps84, 8)

J’écoute: que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pastraceront le chemin.

2ème lecture : « Il nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde » (Ep 1,3-14)
Lecturede la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

   Béni soit Dieu, le Père
de notre Seigneur Jésus Christ !
Il nous a bénis et comblés
des bénédictions de l’Esprit,
au ciel, dans le Christ.

   Il nous a choisis, dans le Christ,
avant la fondation du monde,
pour que nous soyons saints, immaculés
devant lui, dans l’amour.

   Il nous a prédestinés
à être, pour lui, des fils adoptifs
par Jésus, le Christ.

Ainsi l’a voulu sa bonté,
à  la louange de gloire de sa grâce,
la grâce qu’il nous donne
dans le Fils bien-aimé.

   En lui, par son sang,
nous avons la rédemption,
le pardon de nos fautes.

C’est la richesse de la grâce
que Dieu a fait déborder jusqu’à nous
en toute sagesse et intelligence. 

   Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté,
selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ :
pour mener les temps à leur plénitude,
récapituler toutes choses dans le Christ,
celles du ciel et celles de la terre.

   En lui, nous sommes devenus
le domaine particulier de Dieu,
nous y avons été prédestinés
selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé:
il a voulu  que nous vivions
à la louange de sa gloire,
nous qui avons d’avance espéré dans le Christ.

   En lui, vous aussi,
après avoir écouté la parole de vérité,
l’Évangile de votre salut,
et après y avoir cru,
vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint.
Et l’Esprit promis par Dieu
est une première avance sur notre héritage,
en vue de la rédemption que nous obtiendrons,
à la louange de sa gloire.

Evangile: « Il commença à les envoyer » (Mc6,7-13)
Acclamation: Alléluia. Alléluia.
Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur,
pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia.(cf. Ep 1, 17-18)

Evangilede Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture.     « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. »  Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage.» Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , , , , , ,
123