L'homélie du dimanche (prochain)

10 février 2019

Les malheuritudes de Jésus

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Les malheuritudes de Jésus

Homélie pour le 6° dimanche du temps ordinaire / Année C
17/02/2019

 Cf. également :
Le bonheur illucide
Aimer Dieu comme on aime une vache ?
La « réserve eschatologique »

Comment peut-on dire à quelqu’un : « malheur à toi ? » Ou pire encore : « maudit sois-tu ! » Nous sommes (relativement) à l’aise avec les quatre béatitudes de Luc dans l’Évangile aujourd’hui (Lc 6, 17.20-26). Mais on passe souvent sous silence les quatre « malheuritudes » (néologisme pour désigner le contraire des béatitudes) qui suivent : « malheur à vous les riches ! à vous riez ! à vous qui êtes repus ! à vous dont tout le monde dit du bien ! » Or la conception du texte montre que ces quatre déclarations de malheur, exactement symétrique des quatre béatitudes, sont nécessaires à l’ensemble pour qu’il y ait une alternative, un choix possible. C’est parce que cette version de Luc est plus dure, plus difficile à porter qu’elle est moins populaire que celle de Matthieu, avec ses huit belles et amples béatitudes sans contrepartie (Mt 5, 1-11). Or l’Évangile de Luc est à juste titre surnommé « l’Évangile de la miséricorde » : y aurait-il contradiction ?

Si on ne peut enlever ces lignes de Luc, c’est donc que déclarer « malheur ! » à quelqu’un fait partie intégrante de notre fonction prophétique d’aujourd’hui, et de la miséricorde que nous devons à notre époque. Sans tomber dans l’excès où nous ne deviendrions plus que des prophètes de malheur, il nous appartient de prendre au sérieux le tragique de l’existence, d’avertir quelqu’un/un groupe/un peuple du malheur qui va fondre sur lui s’il ne change rien. Car béatitudes et malheuritudes ne sont pas des récompenses ni des sanctions : ce sont des constats. Si vous êtes riches, vous avez déjà votre consolation : l’avenir ne vous apportera rien, votre malheur en sera immense. Si vous êtes repus alors que les autres ont faim, vous vous excluez vous-même de la table commune à laquelle tous seront invités. Si vous riez – et c’est souvent aux dépens des autres – vous endurcissez votre cœur en ne ressentant plus de compassion, et vous vous préparez un avenir glacé, amputé de la joie de communier aux autres. Si vous recherchez la renommée, la gloire, l’adulation, vous n’aurez plus la force de contrarier les puissants, de dénoncer les tyrans, de contester les injustices ; vous serez comme les faux prophètes n’annonçant aux princes que ce que les princes ont envie d’entendre…

François Clavairoly, Président de la Fédération protestante de France, fait ainsi le diagnostic du malheur qui s’abat sur Judas après la Cène :

Les malheuritudes de Jésus dans Communauté spirituelle autun-cap017-t« De même, Judas, dans le récit de l’évangile, n’est condamné par quiconque. À l’inverse de Pierre qui n’est pas pris de remord alors qu’il vient sans vergogne de renier son maitre, Judas veut revenir sur sa décision et rendre l’argent de la trahison, il veut faire marche arrière, mais il ne se pardonnera pas son geste ni n’attendra aucun pardon et il se perdra lui-même. Judas est plongé, piégé lui-aussi  dans son malheur, et il s’y noiera, comme Jésus l’avait pressenti  au moment du dernier repas en disant, sans le nommer, d’ailleurs : « Malheur à cet homme par qui le Fils de l’homme est livré ! Mieux eût-il  valu pour lui qu’il ne fût pas né, cet homme-là »

Le suicide est un geste, comme je le disais, placé sous le signe du malheur. Non pas de la malédiction, car alors Dieu prononcerait un verdict de jugement,  mais, pour employer un mot qui n’existe pas et qui dit exactement l’inverse de la béatitude, Judas est sous l’emprise d’une « malheuritude » qui l’enferme et il se perd lui-même, seul, dans sa propre nuit d’une responsabilité trop lourde à porter et que personne ne veut partager autour de lui. » [1]

Dire « malheur à vous ! » est dans la bouche de Jésus un acte d’amour : c’est l’avertissement – porteur de salut – que la voie choisie par certains est une forme de suicide, une impasse, et ne peut que les mener au malheur.

vanner%2B2 béatitude dans Communauté spirituelleJérémie pratiquait cette arme prophétique (première lecture : Jr 17,5-8) : « maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel tandis que son cœur se détourne du Seigneur : il ne verra pas venir le bonheur ». Transposez cette remarque à la construction européenne par exemple, et vous aurez une idée des ennuis qui vont vous tomber dessus comme ils ont plu sur Jérémie…

Le psaume 1 reprend cette même pédagogie de l’avertissement : « les méchants sont comme de la paille balayée par le vent ; leur chemin se perdra ». C’est là encore un constat désolé et non une condamnation. C’est l’adolescent délinquant qu’on secoue par les épaules avec amour pour lui dire : « réveille-toi, tu es en train de te perdre toi-même ». C’est l’ami confident qui ose reprocher à son ami ses infidélités conjugales, faute de quoi sa famille va dans le mur. C’est plus trivialement le panneau : « attention danger ! » avec une tête de mort qui avertit le promeneur trop curieux qu’il entre dans une zone militaire, un générateur haute tension ou une route effondrée, avec beaucoup de risques et de périls. Ce sont les phrases et photos terribles sur les paquets neutres de cigarettes : « fumer tue ». Et Paul dans la deuxième lecture  (1 Co 15, 12-20) avertit les Corinthiens baptisés : « si nous avons mis cet espoir dans le Christ pour cette vie-ci seulement, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes ». Rétrécir l’espérance chrétienne au bien-être dans cette vie-ci nous empêche finalement d’accueillir la vie éternelle promise en Christ au-delà de la mort.

« Malheur à vous… » : Luc et Matthieu sont d’ailleurs spécialistes de cette formule-choc destinée à sortir l’aider de sa torpeur spirituelle, de sa complicité avec le mal.

Mais malheureux êtes-vous, Pharisiens, vous qui versez la dîme de la menthe, de la rue et de tout ce qui pousse dans le jardin, et qui laissez de côté la justice et l’amour de Dieu. C’est ceci qu’il fallait faire, sans négliger cela.
Malheureux êtes-vous, Pharisiens, vous qui aimez le premier siège dans les synagogues et les salutations sur les places publiques.
Malheureux, vous qui êtes comme ces tombes que rien ne signale et sur lesquelles on marche sans le savoir.
Vous aussi, légistes, vous êtes malheureux, vous qui chargez les hommes de fardeaux accablants, et qui ne touchez pas vous-mêmes d’un seul de vos doigts à ces fardeaux.
Malheureux êtes-vous, légistes, vous qui avez pris la clé de la connaissance: vous n’êtes pas entrés vous-mêmes, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez empêchés. (Lc 11, 42-44.46.52)

Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui versez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, alors que vous négligez ce qu’il y a de plus grave dans la Loi: la justice, la miséricorde et la fidélité; c’est ceci qu’il fallait faire, sans négliger cela.
Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui purifiez l’extérieur de la coupe et du plat, alors que l’intérieur est rempli des produits de la rapine et de l’intempérance.
Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui ressemblez à des sépulcres blanchis: au-dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et d’impuretés de toutes sortes (Mt 23,22.25.27).

L’être humain est ainsi fait : si personne ne l’avertit à temps de ses dérives dangereuses, il est capable de s’enfermer lui-même dans un malheur sans fin. Il aurait fallu plus de ces prophètes de malheur pour empêcher la cupidité bancaire de déclencher la crise de 2008, pour détourner les musulmans de l’islamisme, pour éviter les explosions de colère des oubliés un peu partout en Europe…

crise-cac40-subprimes-2008 malheur

Au nom de notre vocation prophétique, nous ne pouvons pas renoncer à diagnostiquer et rendre public le malheur en train de préparer sa venue et sa domination.

Ce faisant, nous perdrons sans aucun doute l’estime de beaucoup. Nous serons peut-être haïs, insultés, méprisés – selon les mots des Jésus – car nous heurterons de front des intérêts et des idéologies extrêmement puissantes et répandues.

Ce faisant, nous découvrirons que les quatre béatitudes font système, comme hélas les quatre malheuritudes symétriques. Impossible en effet de résister aux attaques sans avoir un cœur de pauvre qui met son espérance en Dieu et non dans les mortels. Impossible de dénoncer l’injustice sans en payer le prix d’une manière ou d’une autre, sans éprouver la faim, sans pleurer devant le mal progressant sous nos yeux.

Le malheur déclaré à l’autre (« malheur à vous ! ») n’est jamais que l’heure du mal (mal-heur), la conséquence implacable de sa liberté humaine. Pourtant, par essence, cette déclaration est réversible : « si tu changes de voie, alors le malheur s’éloignera de toi ». Et par essence, cette déclaration témoigne de l’attachement à l’autre, sinon on laisserait se perdre en pensant : « bien fait pour lui, je m’en fiche ». Eh bien non ! Comme la correction fraternelle obligeant à révéler un péché à son frère, la malheuritude est le fruit d’un amour inquiet de la perdition de l’autre.

Comment retrouver aujourd’hui cette force de contestation prophétique ?

Peut-être en commençant par se l’appliquer à soi-même, à l’image de Paul : « malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! » (1Co 9,16). Chacun de nous peut décliner cette malheuritude pour lui-même : « malheur à moi si j’oublie ceci, si je m’éloigne de cela, si je deviens complice de…. »

Ensuite, nous aurons besoin de nous enraciner longuement en Dieu avant de constater telle ou telle menace sur le bonheur humain. C’est après avoir descendu de la montagne que Jésus enseigne les foules : c’est donc que l’intimité avec Dieu (lors de sa solitude en montagne auparavant) nourrit sa parole démasquant les impasses malheureuses. À parler trop vite, nous risquerions de n’être le porte-voix que de notre ego ou de nos idéologies trop humaines. Sans cette intense fréquentation de l’Esprit de discernement, à travers la prière, l’étude biblique, le silence, l’écoute des événements, nous resterons prisonniers de ce que nous prétendons dénoncer.

Reste que le devoir d’annoncer l’Évangile, à temps et à contretemps, nous fera nous aussi comme le Christ proclamer : « malheur à vous si… », avec les conséquences que cela entraîne.

N’ayons pas peur d’assumer ce rôle prophétique, en politique ou en entreprise, entre voisins ou entre membres d’une association. Car notre bonheur est de voir l’autre (et nous-mêmes !) se détourner du malheur annoncé…

 


[1]. Cf. Le suicide : éléments de réflexion dans une perspective protestante (27 janvier 2016) :  http://www.protestants.org/index.php?id=34057#_msocom_1

 

 

Lectures de la messe

 Première lecture
« Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel. Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur » (Jr 17, 5-8)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Ainsi parle le Seigneur :
Maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel, qui s’appuie sur un être de chair, tandis que son cœur se détourne du Seigneur. Il sera comme un buisson sur une terre désolée, il ne verra pas venir le bonheur. Il aura pour demeure les lieux arides du désert, une terre salée, inhabitable.
Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance. Il sera comme un arbre, planté près des eaux, qui pousse, vers le courant, ses racines. Il ne craint pas quand vient la chaleur : son feuillage reste vert. L’année de la sécheresse, il est sans inquiétude : il ne manque pas de porter du fruit.

Psaume
(Ps 1, 1-2, 3, 4.6)
R/ Heureux est l’homme qui met sa foi dans le Seigneur.
(Ps 39, 5a)

Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants,
qui ne suit pas le chemin des pécheurs,
ne siège pas avec ceux qui ricanent,
mais se plaît dans la loi du Seigneur
et murmure sa loi jour et nuit !

Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau,
qui donne du fruit en son temps,
et jamais son feuillage ne meurt ;
tout ce qu’il entreprend réussira.

Tel n’est pas le sort des méchants.
Mais ils sont comme la paille balayée par le vent.

Le Seigneur connaît le chemin des justes,
mais le chemin des méchants se perdra.

Deuxième lecture
« Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans valeur » (1 Co 15, 12.16-20)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, nous proclamons que le Christ est ressuscité d’entre les morts ; alors, comment certains d’entre vous peuvent-ils affirmer qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans valeur, vous êtes encore sous l’emprise de vos péchés ; et donc, ceux qui se sont endormis dans le Christ sont perdus. Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. Mais non ! le Christ est ressuscité d’entre les morts, lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis.

Évangile
« Heureux les pauvres ! Quel malheur pour vous les riches ! » (Lc 6, 17.20-26)
Alléluia. Alléluia.
Réjouissez-vous, tressaillez de joie, dit le Seigneur, car votre récompense est grande dans le ciel.
Alléluia. (Lc 6, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus descendit de la montagne avec les Douze et s’arrêta sur un terrain plat. Il y avait là un grand nombre de ses disciples, et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon.
Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.
Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »
Patrick BRAUD

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2 juillet 2018

Nul n’est prophète en son pays

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Nul n’est prophète en son pays

Homélie pour le 14° dimanche du temps ordinaire / Année B
08/07/2018

Cf. également :
Quelle est votre écharde dans la chair ?
Le Capaharnaüm de la mémoire : droit à l’oubli, devoir d’oubli
La grâce étonne ; c’est détonant !
Un nuage d’inconnaissance
La parresia, ou l’audace de la foi
Secouez la poussière de vos pieds

L’expression est devenue proverbiale en français, à partir de l’Évangile ce dimanche (Mc 6, 1-6) :

« - N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ?
Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur disait :
- Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. »

On en déduit un peu trop facilement et trop vite qu’il est fréquent de ne pas être reconnu par les siens. Or Jésus précise bien que c’est en tant que prophète que cette  reconnaissance est rarement accordée. On ne peut donc invoquer ce verset de l’Évangile pour légitimer d’être rejeté par sa famille ou son village. On ne peut pas non plus déduire de ce même rejet que nous serions prophètes ! Cela ne suffit pas : c’est parce qu’il est prophète que Jésus est incompris à Capharnaüm, sa ville. Être déconsidéré par ses proches ne suffit pas à faire quelqu’un prophète, et à lui donner raison.

C'est une expression qui peut laisser perplexe !

Prenez l’exemple de Daesh : les recruteurs islamistes pratiquent des méthodes qui ressemblent à celles des sectes, dont notamment la coupure d’avec la famille. Ils utilisent un discours du style : ‘plus tu te rapprocheras de Dieu, plus ta famille t’en voudra et te reprochera ta conduite religieuse. C’est normal, ne t’inquiète pas : il faudra accepter de t’éloigner de ta famille pour devenir soldat de Dieu’. Ce sont là des faux prophètes qui croient devenir des justes en reniant leurs proches sous prétexte qu’ils n’approuvent pas leur conversion ! Jésus n’a jamais prêché le mépris de la famille : il a voulu élargir les liens du sang et être lui-même le frère universel. Il est heureux que sa mère, avec des cousins et cousines (ses frères et sœurs comme l’écrit Marc dans la culture orientale de l’époque) le suivent dans son itinérance. Il est touché par la présence de Marie sa mère au pied de la croix, et fait en sorte qu’elle ne reste pas seule après sa mort. Il traite ses disciples comme sa famille sans pour autant disqualifier sa famille.

C’est donc la prophétie qui est mal reçue par les proches.

Mais qu’est-ce que être prophète ?
Ce n’est certes pas prédire l’avenir, contrairement aux idées reçues. Dans la Bible, être prophète, c’est selon l’étymologie porter la parole de Dieu devant le peuple, parler au peuple au nom de Dieu. Si le prophète révèle quelque chose, c’est bien plutôt le présent que le futur. À Capharnaüm par exemple, Jésus dans la synagogue annonce que la parole d’Isaïe s’accomplit au moment même où il parle : « aujourd’hui s’accomplit pour vous cette parole ». Car il est en personne le Messie promis depuis Moïse. En dévoilant le présent (le Messie est au milieu de vous) Jésus prophétise et c’est cette lecture du présent que ses voisins de Capharnaüm réfutent violemment, au nom de leur connaissance de sa famille :

D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet.

Nul n'est prophète en son pays dans Communauté spirituelle synagogue4

De même, Jérémie devient prophète lorsqu’il révèle à ses concitoyens qu’ils s’éloignent de l’Alliance, et que cela aura des conséquences militaires désastreuses s’ils continuent. Du coup, Jérémie est arrêté, jeté dans une citerne vide, puis déporté. Daniel devient prophète lorsqu’il avertit le roi que son infidélité à l’Alliance le perdra. Le roi le prend très mal évidemment et le jette dans une fosse aux lions, d’où Daniel ressortira miraculeusement indemne. Dans notre première lecture (Ez 2, 2-5), Ézéchiel est envoyé vers Israël par l’Esprit de Dieu qui l’avertit :

« Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi. Les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné ; c’est à eux que je t’envoie. Tu leur diras : ‘Ainsi parle le Seigneur Dieu…’ Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas – c’est une engeance de rebelles ! – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »

Jésus sait d’expérience que la vérité fait mal et est souvent rejetée. Comme chantait Guy Béart : « le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté… »

Jésus pleure sur Jérusalem « qui lapide les prophètes ». Il constate que ceux qui croient le connaître parce qu’ils l’ont vu tout petit dans les ruelles de Capharnaüm et discuté avec son père à la sortie de la synagogue sont les premiers à douter de ses qualités de prophète. Ils doutent tellement qu’il ne peut pas faire de miracles en eux, car cela demande de faire confiance et d’adhérer à sa parole.

Heureusement, la parole du prophète est parfois acceptée. Ainsi David, lorsqu’il comprend que Nathan en lui parlant d’une vigne volée au pauvre Naboth parle en fait de la belle Bethsabée qu’il a volée à son général Uri, se repend, fait pénitence, et implore le pardon de Dieu. Nathan était prophète en révélant le vol, l’adultère et le meurtre commis par David. Cette fois-ci, le prophète sera reconnu dans son pays…

Heureusement, le prophète n’est pas qu’un prophète de malheur annonçant catastrophes et fins du monde ! Les prophètes portent la parole de Dieu qui est salut, paix, et réconciliation et promesse d’avenir. Ceux qui ne veulent pas entendre cette parole sont souvent ceux qui sont installés dans un confort qui leur va bien, dans une prospérité telle qu’ils n’espèrent rien d’autre. Ils n’aspirent à rien d’autre que de continuer ainsi. S’ils  entendaient réellement la promesse du prophète, ils accepteraient de prendre des risques pour le suivre, ils trouveraient le courage de quitter leur petit bonheur pour un bien plus grand…

Dire la vérité à ses proches est donc dangereux.
En entreprise, ce n’est pas ainsi qu’on franchit facilement les échelons hiérarchiques !
En famille, il faut choisir le bon moment et la bonne manière d’aborder certains sujets.
Entre relations sociales, il faut du courage pour ne pas rester superficiel.
Les avant-gardistes en musique, peinture ou toute forme d’art sont rarement appréciés par leurs contemporains.
Et en politique, les précurseurs ont souvent été obligés de s’exiler avant de pouvoir être reconnus par leur peuple.

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Notons d’ailleurs que dans l’Évangile de Marc, Jésus réagit au rejet de Capharnaüm en sortant de la ville pour annoncer l’Évangile dans les villages aux alentours, ailleurs : « Alors, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant. »
Il secoue la poussière de ses pieds, en quelque sorte. La non-acceptation par nos proches nous pousse souvent à sortir de notre univers d’origine pour aller explorer d’autres univers [1]. Ainsi la grande persécution de la Terreur après la Révolution française a obligé bon nombre de congrégations religieuses à devenir missionnaires dans des pays lointains et inconnus. De même après la loi de séparation de l’Église de l’État, bon nombre de congrégations religieuses n’ayant plus les moyens de vivre en France ont découvert que d’autres peuples et d’autres cultures les attendaient ailleurs. On pourrait finalement parodier l’Exultet de la nuit de Pâques qui chante : « heureuse faute qui nous valut un tel Rédempteur », en chantant : « heureux rejet qui nous valut une telle ouverture ailleurs ! »

Notons encore que dans l’Évangile de Luc, Jésus réagit à ce rejet par une sérénité extraordinaire : « il allait son chemin au milieu d’eux ». C’est l’autre conclusion que peuvent en tirer les prophètes, quelque soit leur époque : continuer à annoncer la parole, avec sérénité, sans se troubler ni céder aux menaces, quel qu’en soit le prix. Nul doute que les grévistes de Solidarność à Gdansk dans les années soviétiques ont su puiser dans l’Évangile de quoi continuer leur combat sereinement. Qu’il en soit de même pour nos combats d’aujourd’hui !

La parresia, ou l'audace de la foi dans Communauté spirituelle

Le baptême fait de nous des prêtres, des prophètes et des rois. Cette dignité prophétique des baptisés nous charge d’annoncer la parole de Dieu à temps et à contretemps, pour aujourd’hui. Ne nous étonnons pas que cette annonce provoque rejets et résistances, et d’abord chez ceux qui nous entourent. Sans claquer la porte à notre tour, sans répondre au rejet par le rejet, continuons de porter la parole de Dieu, avec force et persuasion, avec l’assurance que le salut de Dieu est pour tous.

 


[1]. Avec un autre risque, celui d’être rejeté comme étranger. « Nul n’est prophète en son pays, mais qu’on veuille l’être à l’étranger on se fait appeler métèque. » (Mathias Lübeck)

 

Lectures de la messe
Première lecture
« C’est une engeance de rebelles ! Qu’ils sachent qu’il y a un prophète au milieu d’eux ! » (Ez 2, 2-5)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

En ces jours-là, l’Esprit vint en moi et me fit tenir debout. J’écoutai celui qui me parlait. Il me dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi. Les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné ; c’est à eux que je t’envoie. Tu leur diras : ‘Ainsi parle le Seigneur Dieu…’ Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas – c’est une engeance de rebelles ! – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »

Psaume
(Ps 122 (123), 1-2ab, 2cdef, 3-4)
R/ Nos yeux, levés vers le Seigneur, attendent sa pitié. (cf. Ps 122, 2)

Vers toi j’ai les yeux levés,
vers toi qui es au ciel,
comme les yeux de l’esclave
vers la main de son maître.

Comme les yeux de la servante
vers la main de sa maîtresse, 
nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu,
attendent sa pitié.

Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous :
notre âme est rassasiée de mépris.
C’en est trop, nous sommes rassasiés du rire des satisfaits,
du mépris des orgueilleux !

Deuxième lecture
« Je mettrai ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure » (2 Co 12,7-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, les révélations que j’ai reçues sont tellement extraordinaires que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.

Évangile
« Un prophète n’est méprisé que dans son pays » (Mc 6, 1-6) Alléluia. Alléluia. L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (Lc 4, 18ac)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi. Alors, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.
Patrick BRAUD

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19 juin 2017

Terreur de tous côtés !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Terreur de tous côtés !


Homélie pour le 12° dimanche du temps ordinaire / Année A
25/06/2017

Cf. également :

N’arrêtez pas vos jérémiades !

L’effet saumon

Sous le signe de la promesse 


Couverture de Vivants témoins -16a- Jérémie le prophèteLa première lecture  (Jr 20, 10-13) rapporte une expression étonnante, qui n’est utilisé que huit fois dans la Bible 
[1], dont cinq dans le seul livre de Jérémie : « Terreur-de-tous-côtés ! »

Moi Jérémie, j’entends les calomnies de la foule : « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. » Tous mes amis guettent mes faux pas, ils disent : « Peut-être se laissera-t-il séduire… Nous réussirons, et nous prendrons sur lui notre revanche ! » Mais le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas…

D’autres traductions (liturgie, Segond, TOB) remplacent terreur par épouvante. Le résultat est tout aussi… terrifiant : le rôle du prophète est ici d’annoncer la terreur qui vient, de prévenir le peuple des épouvantables événements qui vont bientôt arriver. En 597 avant Jésus-Christ, la terreur a pour les juifs le visage de Nabuchodonosor, empereur de Babylone, faisant le siège de Jérusalem, puis incendiant la ville, détruisant le Temple, et déportant le roi et les notables à Babylone. L’épouvante, c’est découvrir qu’il n’y a pas de limites aux crimes, à la cruauté des vainqueurs. L’épouvantable terreur que vont bientôt vivre les contemporains de Jérémie leur fera constater l’impensable, l’inenvisageable : la disparition de la royauté, du Temple, des prophètes, pendant les 60 années de l’Exil à Babylone.

Avouons que ces scènes de terreur résonnent en nous de façon dramatique. Les images des guerres du XX° siècle nous les ont remis en mémoire : boucheries inutiles des tranchées de 1418, horreur de la Shoah en 39-45, million de morts dans les camps, goulags ou autres exactions nazies ou communistes…

Et voilà qu’au 21° siècle, le djihadisme sème joue à nouveau sur la terreur pour essayer de gagner sa guerre idéologique. L’épouvante qui a frappé de stupeur les témoins du massacre du Bataclan en 2015 à Paris, ou récemment de l’explosion dans la salle de concert de Manchester ne quitte pas l’actualité de nos médias. Cette terreur-là n’est pas biblique. Au contraire, celle dont témoigne Jérémie agit à la manière d’un tocsin avertissant la population : si vous ne changez pas de comportement, les conséquences de votre iniquité, de vos idolâtries, de votre corruption seront inévitables. Vous perdrez tout, de manière horrible, si vous ne revenez pas à YHWH de tout votre cœur.

Pour Jérémie, l’annonce de la terreur se veut salutaire. Si ce n’est pas pour cette génération hélas inflexible, peut-être la génération suivante, réfléchissant sur les malheurs survenus entre-temps, pourra y puiser de quoi réfléchir sur les conditions de sa survie.

Avouez que cet avertissement prophétique de Jérémie a des accents très contemporains ! Regardez par exemple l’ex vice-président américain Al Gore. Pendant le G7 de Mai dernier, il présentait son deuxième film, qui va sortir en novembre, sur les dangers écologiques nous menaçant à très court terme. Après son premier film : « une vérité qui dérange » en 2006, il évoque dans « une suite qui dérange : le temps de l’action » le danger que représente un Donald Trump remettant en cause le réchauffement climatique et les accords de la COP 21. En même temps qu’il expose avec enthousiasme les actions qui ont commencé à transformer nos modes de vie pour plus de respect de la planète, Al Gore avertit des risques qu’un retour en arrière « trumpiste » nous ferait vivre.

Le pape Francis (R) se tient aux côtés au président américain Donald Trump lors d'une audience privée au Vatican le 24 mai 2017.

Le pape François, à sa manière, prolonge également l’action prophétique de Jérémie sur ce plan de l’écologie. En liant combat écologique et option préférentielle pour les pauvres, en rappelant que tout est lié, le social et l’écologique, le spirituel et l’économique, François dans son encyclique Laudato si n’hésite pas à rappeler les malheurs frappant les paysans, les habitants des bidonvilles ou des mégapoles contaminées par la pollution, la rareté des ressources naturelles, des modes de vie inhumains… En offrant un exemplaire de Laudato si à Donald Trump lors de sa visite au Vatican en Mai dernier, le pape François faisait comme Jérémie cherchant à épouvanter les puissants de Jérusalem avant que la terreur réelle ne s’abatte sur le peuple.

Une autre forme de prophétisme d’épouvante en France porte le visage d’un philosophe aussi populaire que décrié : Michel Onfray. Dans son dernier ouvrage monumental : Décadence, Onfray prophétise l’effondrement inéluctable d’une civilisation occidentale incapable de retrouver ses vrais moteurs spirituels, face au terrorisme musulman notamment.

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Quand on lui demande si cette décadence est évitable, Onfray répond que le Titanic coule, que rien ne peut l’empêcher de couler, et qu’on peut tout juste chanter et jouer de la musique avec élégance pendant le naufrage… Il est facile d’avoir de nombreux points de désaccord avec Michel Onfray : sa thèse invraisemblable de la non-existence historique de Jésus, sa confusion christianisme Occident, son exégèse biblique très superficielle et très datée etc. Mais on peut retenir de Décadence son côté « jérémiaque » : l’épouvante nous frappe de tous côtés à la vue de ce que les terroristes islamiques nous infligent, et cela doit résonner comme un avertissement dramatique. Onfray pense que l’Occident n’a plus de ressources pour se battre idéologiquement : qui accepterait de mourir pour une Rolex ou le CAC 40 ? Il pense que le christianisme va décliner avec l’Occident (en oubliant au passage le formidable essor chrétien en Afrique, en Asie, Amérique latine….). Il annonce l’épouvante de tous côtés qui ne fait que monter au sein des pays riches. Il prédit l’agonie d’une civilisation matérialiste qui a durement imposé sa loi d’airain aux autres cultures pendant des siècles, et c’est maintenant l’heure de leur revanche…

Sans partager cette vision déterministe, et cette désespérance des ressources du christianisme occidental, nous pouvons par contre relayer sa prophétie angoissée de  l’épouvante à venir si nous ne changeons pas nos modes de vie, notre logiciel culturel, économique et spirituel. Les racines du terrorisme djihadiste sont théologiques plus qu’économiques : tant que l’Occident ne revisitera ses raisons religieuses d’être lui-même, tant qu’il n’entrera pas en débat critique avec la vision du monde provenant de l’islam, son anthropologie, ses mythes fondateurs etc, il ne pourra pas se défendre vraiment…

Jérémie sait d’expérience qu’annoncer le malheur qui vient ne rend pas très populaire ! On l’a humilié, persécuté, poursuivi, jeté dans une prison-citerne, parce que justement il  vociférait tous haut ce que les puissants ne voulaient pas entendre. Lui-même est sans doute mort en route avec les exilés de 597 ou à Babylone.

Les Jérémie d’aujourd’hui, d’Al Gore au pape François, en passant plus ou moins par Onfray, Mélenchon ou autres ‘prophètes de malheur’, continueront à déranger les puissants, à  choquer les masses soumises aux idées dominantes. Ils n’en sont pas moins ceux à partir de qui penser à frais nouveaux la reconstruction d’un monde plus humain, comme Israël a repensé la nouvelle Jérusalem en relisant Jérémie après le retour d’Exil, à partir de 537 avant Jésus-Christ…

Relayons les paroles fortes de nos Jérémies d’aujourd’hui.

La « terreur-de-tous-côtés » peut finalement s’avérer salutaire, si elle nous ouvre les yeux sur nos idolâtries meurtrières.

 


[1] . Jr 6,5 : Ne sortez pas dans la campagne, ne vous risquez pas sur les routes, car l’ennemi porte l’épée : terreur de tous côtés!
Jr 20,4 : Ce n’est plus Pashehur que Yahvé t’appelle, mais Terreur-de-tous-côtés. Car ainsi parle Yahvé : Voici que je vais te livrer à la terreur, toi et tous tes amis;
Jr 20,10 : J’entendais les calomnies de beaucoup : « Terreur de tous côtés! »
Jr 46,5 : Leurs braves, battus, s’enfuient éperdument sans se retourner. C’est la terreur de tous côtés, oracle de Yahvé.
Jr 49,29 : Leurs tentes et leurs moutons, qu’on les prenne, leurs étoffes et tous leurs ustensiles; qu’on s’empare de leurs chameaux et qu’on crie sur eux : « Terreur de tous côtés! »
Lm 2,22 : Tu as convoqué comme pour un jour de fête les terreurs de tous côtés; au jour de la colère de Yahvé, il n’y eut rescapé ni survivant. Ceux que j’avais bercés et élevés, mon ennemi les a exterminés.
Ps 31,14 : J’entends les calomnies des gens : terreur de tous côtés ! ils se groupent à l’envie contre moi, complotant de m’ôter la vie.
Is 31,9 :  Dans sa terreur Assur abandonnera son rocher, et ses chefs apeurés déserteront l’étendard.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Il a délivré le malheureux de la main des méchants » (Jr 20, 10-13)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Moi Jérémie, j’entends les calomnies de la foule : « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. » Tous mes amis guettent mes faux pas, ils disent : « Peut-être se laissera-t-il séduire… Nous réussirons, et nous prendrons sur lui notre revanche ! » Mais le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas. Leur défaite les couvrira de honte, d’une confusion éternelle, inoubliable. Seigneur de l’univers, toi qui scrutes l’homme juste, toi qui vois les reins et les cœurs, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras, car c’est à toi que j’ai remis ma cause. Chantez le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré le malheureux de la main des méchants. – Parole du Seigneur.

PSAUME
(Ps 68 (69), 8- 10, 14.17, 33-35)
R/ Dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi. (Ps 68, 14c)

C’est pour toi que j’endure l’insulte,
que la honte me couvre le visage :
je suis un étranger pour mes frères,
un inconnu pour les fils de ma mère.
L’amour de ta maison m’a perdu ;
on t’insulte, et l’insulte retombe sur moi.

Et moi, je te prie, Seigneur :
c’est l’heure de ta grâce ;
dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi,
par ta vérité sauve-moi.
Réponds-moi, Seigneur,
car il est bon, ton amour ;
dans ta grande tendresse, regarde-moi.

Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête :
« Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! »
Car le Seigneur écoute les humbles,
il n’oublie pas les siens emprisonnés.
Que le ciel et la terre le célèbrent,
les mers et tout leur peuplement !

DEUXIÈME LECTURE
« Le don gratuit de Dieu et la faute n’ont pas la même mesure » (Rm 5, 12-15)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères,
nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché. Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne
tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.

ÉVANGILE

« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps » (Mt 10, 26-33) Alléluia. Alléluia. 
L’Esprit de vérité rendra témoignage en ma faveur, dit le Seigneur.
Et vous aussi, vous allez rendre témoignage.
Alléluia. (cf. Jn 15, 26b-27a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 En ce temps-là, Jésus disait à ses Apôtres : « Ne craignez pas les hommes ; rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux.
Patrick BRAUD

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8 août 2016

N’arrêtez pas vos jérémiades !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

N’arrêtez pas vos jérémiades !

 

Homélie du 20° Dimanche du temps ordinaire / Année C
14/08/2016

Cf. également :

De l’art du renoncement

Sous le signe de la promesse 

L’effet saumon

 

L’expression est moins populaire qu’autrefois, mais tout le monde se souvient vaguement que les jérémiades, ce sont des plaintes interminables et exagérées qui finissent par devenir insupportables. Les synonymes du terme vous donnent une idée de sa connotation négative : doléance, gémissement, geignement, geignerie, girie, glapissement, grogne, lamentation, murmure, plainte, pleurnicherie, récrimination, bêlement, bramement, chevrotement, criaillerie…

Or dans la Bible, les jérémiades sont beaucoup plus légitimes. Rien à voir avec les pleureuses de l’Orient ou de l’Afrique !

Le mot vient du nom du prophète Jérémie bien sûr, et notre première lecture (Jr 38, 4-10) nous aide à comprendre pourquoi il a tant de raisons de se plaindre. Il annonce à Jérusalem que, si tout le monde continue à se détourner de l’Alliance en pratiquant l’injustice et l’idolâtrie, l’histoire d’Israël va mal se terminer. Comme le peuple n’aime pas les prophètes de malheur, on cherche à faire taire ce Jérémie empêcheur de tourner en rond. Et le voici dans la boue, au fond d’une citerne, emprisonné pour avoir annoncé la Parole de Dieu. Il est littéralement jeté aux oubliettes de l’Histoire.

Or lui n’avait rien demandé ! C’est Dieu qui est venu le chercher, de force, pour porter son message. Jérémie a donc bien raison de râler, de protester, de trouver injuste ce qui lui arrive. Ces jérémiades sont légitimes : annoncer la parole de Dieu ne lui rapporte que des ennuis. Il a perdu sa vie d’avant (cohen = prêtre juif dans la ville d’Anatot) et ne la récupérera jamais. Il est resté célibataire – inconcevable pour un juif – à cause de l’urgence de sa mission prophétique. Et en retour, le voilà devenu objet de la vindicte populaire, écarté par les puissants, tombé au plus bas dans sa citerne-prison glauque, humide et repoussante.

Malheureusement pour Jérusalem, Jérémie avait raison. La prise de la ville en 587 av. J.C, les massacres, les pillages, l’exil et la déportation à Babylone attendent les chefs religieux et les bien-pensants qui croyaient s’être débarrassés de leurs iniquités en jetant Jérémie au fond du trou…

La transposition à notre époque contemporaine n’est pas difficile. La mission prophétique des baptisés est d’annoncer l’Évangile, à temps et à contretemps. Inévitablement, s’ils sont fidèles à leur baptême, les chrétiens rencontrent tôt ou tard l’hostilité des puissants qu’ils dérangent. Et le prix à payer est hélas toujours le même, comme au temps de Jérémie : tracasseries administratives, persécutions, mises à l’écart, emprisonnements, exécutions… Dans les pays communistes ou musulmans, faire circuler la Bible, proposer le baptême ou critiquer le pouvoir en place au nom de l’Évangile est source de nombreux problèmes. Et en France, au sein des entreprises, des familles, des quartiers, de la vie politique, oser annoncer un message de conversion et de justice peut vous attirer de graves ennuis ! Nous connaissons tous des leaders syndicaux ostracisés, des cadres humanistes mis sur la touche, des médiateurs sociaux violemment agressés etc.

Alors, pourquoi ne pas faire monter vers Dieu nos reproches et notre amertume ? Pourquoi retenir nos jérémiades tout aussi légitimes que celles du prophète ?

Comment ? Nous aurions pu avoir une vie tranquille, sans problèmes, et voilà que l’exigence de l’Évangile nous oblige à prendre des risques ? Nous aurions pu suivre une carrière ambitieuse grâce aux réseaux d’influence et aux compromissions habituelles, et nous voilà exposer à dénoncer telle corruption, tel copinage, telle âpreté au gain inhumaine ? Mais Dieu aurait mieux fait de nous ignorer ! S’il veut des porte-parole, au moins qu’il aplanisse ce chemin devant nous et nous évite toute cette hostilité qui entoure celui qui dit la vérité !

À y regarder de près, nous avons donc raison de nous plaindre auprès de Dieu, de lui exposer l’infortune où nous met notre fidélité à notre baptême. C’est peut-être même une de nos plus belles prières. Elle ressemble à celle de Job qui convoque Dieu au tribunal pour qu’il s’explique sur le malheur innocent. Elle rejoint le cri de détresse des psaumes où le juste s’éprouve pauvre et malheureux à cause de sa fidélité. Elle prolonge celle de Jérémie regrettant le jour où il est né : « Ma mère, tu m’as enfanté homme de querelle pour tout le pays » (Jr 15,10).

Se battre avec Dieu dans la prière pour lui demander des comptes est en effet l’attitude de l’homme libre qui ne veut pas se soumettre, mais comprendre et agir. Rappelez-vous : Jacob est devenu Israël justement parce qu’il a lutté avec Dieu toute la nuit, seul, dans la poussière (Gn 32). Il en a été blessé à jamais (nerf sciatique déboîté !). Mais il a obtenu ce pourquoi il combattait : « je ne te lâcherai pas avant que tu ne m’aies béni ».

Nous aussi, nous nous roulons avec Dieu dans la poussière de nos moments de doute, d’amertume, de solitude. Nous aussi nous accusons Dieu de ne jamais être là quand nous aurions besoin de lui. Nous aussi, nous aurions parfois préféré ne jamais connaître son appel si exigeant.

Et pourtant, Jérémie finit par accepter sans tout comprendre.
Et pourtant les psaumes se terminent sur la louange du malheureux mettant tout son espoir en Dieu.
Et pourtant Jérémie dans sa citerne restera fidèle et continuera d’être prophète.

N’arrêtons pas nos jérémiades : elles nous mettent à vif et nous prépare à être vrais devant Dieu.

Continuons à dialoguer avec Dieu, même lorsque la déception et l’aigreur nous font l’accuser et l’accuser encore.

Après Auschwitz, les juifs qui n’ont plus pris Dieu au collet pour le sommer de s’expliquer sur la Shoah sont devenus athées. Ceux qui comme Élie Wiesel ont inlassablement exploré la question du pourquoi, du pour-quoi de la Shoah, en scrutant les Écritures, en se battant avec Dieu sur cette énorme faille de la providence, ceux-là sont devenus des croyants plus profonds, plus authentiques. Car Dieu n’aime pas la soumission d’esclaves et n’a que faire des béni-oui-oui.

N’arrêtons pas nos jérémiades !

N’arrêtons pas non plus de prendre des risques pour l’Évangile, de dénoncer les injustices, d’avertir des impasses dangereuses, quitte à susciter l’hostilité de nos contemporains…

Mieux vaut être au fond de la citerne à nous plaindre que dans le palais du roi de Jérusalem à être bientôt dispersé, les yeux crevés, vers une terre d’infamie et d’esclavage !

 

 

1ère lecture : « Ma mère, tu m’as enfanté homme de querelle pour tout le pays » (cf. Jr 15, 10) (Jr 38, 4-6.8-10)
Lecture du livre du prophète Jérémie

En ces jours-là, pendant le siège de Jérusalem, les princes qui tenaient Jérémie en prison dirent au roi Sédécias : « Que cet homme soit mis à mort : en parlant comme il le fait, il démoralise tout ce qui reste de combattant dans la ville, et toute la population. Ce n’est pas le bonheur du peuple qu’il cherche, mais son malheur. » Le roi Sédécias répondit : « Il est entre vos mains, et le roi ne peut rien contre vous ! » Alors ils se saisirent de Jérémie et le jetèrent dans la citerne de Melkias, fils du roi, dans la cour de garde. On le descendit avec des cordes. Dans cette citerne il n’y avait pas d’eau, mais de la boue, et Jérémie enfonça dans la boue. Ébed-Mélek sortit de la maison du roi et vint lui dire : « Monseigneur le roi, ce que ces gens-là ont fait au prophète Jérémie, c’est mal ! Ils l’ont jeté dans la citerne, il va y mourir de faim car on n’a plus de pain dans la ville ! » Alors le roi donna cet ordre à Ébed-Mélek l’Éthiopien : « Prends trente hommes avec toi, et fais remonter de la citerne le prophète Jérémie avant qu’il ne meure. »

Psaume : Ps 39 (40), 2, 3, 4, 18
R/ Seigneur, viens vite à mon secours ! (Ps 39, 14b)

D’un grand espoir,
j’espérais le Seigneur :
il s’est penché vers moi
pour entendre mon cri.

Il m’a tiré de l’horreur du gouffre,
de la vase et de la boue ;
il m’a fait reprendre pied sur le roc,
il a raffermi mes pas.

Dans ma bouche il a mis un chant nouveau,
une louange à notre Dieu.
Beaucoup d’hommes verront, ils craindront,
ils auront foi dans le Seigneur.

Je suis pauvre et malheureux,
mais le Seigneur pense à moi.
Tu es mon secours, mon libérateur :
mon Dieu, ne tarde pas !

2ème lecture : « Courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée » (He 12, 1-4)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, nous qui sommes entourés d’une immense nuée de témoins, et débarrassés de tout ce qui nous alourdit – en particulier du péché qui nous entrave si bien –, courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi. Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice, et il siège à la droite du trône de Dieu. Méditez l’exemple de celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle hostilité, et vous ne serez pas accablés par le découragement. Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché.

Evangile : « Je ne suis pas venu mettre la paix sur terre, mais bien plutôt la division » (Lc 12, 49-53)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ; moi, je les connais, et elles me suivent.
Alléluia. (Jn 10, 27)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »
Patrick BRAUD

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