L'homélie du dimanche (prochain)

10 décembre 2023

Le messianisme du trône vide

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le messianisme du trône vide

Homélie pour le 3° Dimanche de l’Avent / Année B
17/12/2023

Cf. également :
Gaudete : je vois la vie en rose
Que dis-tu de toi-même ?
Tauler, le métro et « Non sum »

Réinterpréter Jean-Baptiste
Que dis-tu de toi-même ?
Un présent caché
Le Magnificat de l’Assomption : exalter / exulter
La croissance illucide

Marie aurait-elle une conscience politique relativement nulle ?
Le messianisme du trône vide dans Communauté spirituelle Visitation%2BMagnificat
J’adore le Magnificat (Lc 1,47-55) que ce troisième dimanche de l’Avent nous sert en guise de psaume. Le chanter, l’étudier, le méditer, le réciter… : c’est une source extraordinaire d’élan pour la louange, de courage pour le combat spirituel, d’espérance pour tenir bon. Pourtant, un verset m’irrite à chaque fois : dans la version complète du Magnificat (pourquoi la liturgie n’en donne-t-elle que quelques morceaux ce dimanche ?), Marie proclame : « il renverse les puissants de leurs trônes ». Ce qui me choque, ce n’est pas la chute des puissants – au contraire, quelle joie ! –, c’est bien plutôt la persistance de leurs trônes. On m’a appris à distinguer le pécheur du péché : c’est celui-là qu’il faut renverser pour sauver celui-ci. On m’a appris que le tout est plus que la somme de ses parties : c’est le système qu’il faut changer et pas celui qui en profite. À quoi sert de renverser le tyran si le régime tyrannique demeure ? Un autre tyran montera sur le trône, et tout sera à refaire !

Certes, Marie n’est qu’une jeune fille de 16-18 ans lorsqu’elle est censée proclamer le Magnificat, peu instruite donc de la géopolitique du Moyen-Orient et au-delà. Mais quand même ! C’est un peu court de viser un ‘méchant’ seulement, et de croire que sa disparition va tout arranger. On l’a bien vu avec Saddam Hussein en Irak ou avec le Shah d’Iran, ou avec Kadhafi en Libye etc. : faire chuter le tyran n’est jamais que changer de maître, et obtient rarement la liberté. Nelson Mandela l’avait bien compris : il n’a pas voulu renverser le président De Klerk, mais au contraire œuvrer avec lui pour changer le régime et la constitution d’Afrique du Sud, et c’est ensemble qu’ils ont obtenu le prix Nobel de la paix. C’est l’apartheid qu’il faut renverser et non celui qui le met en œuvre, quel qu’il soit !
Jean Paul II parlait de « structures de péché » à détruire, car elles manipulent les individus pris à leur piège : « elles se renforcent, se répandent et deviennent sources d’autres péchés, et elles conditionnent la conduite des hommes » (Sollicitudo Rei Socialis, n° 36). C’est la corruption qu’il faut éliminer et non les corrompus, le trafic d’êtres humains et non les passeurs, les cartels de la drogue et non leurs chefs, la Mafia et non les mafieux etc.

Renverser les puissants de leurs trônes sans renverser leurs trônes apparaît alors comme une naïveté politique, presque touchante si elle n’était coupable de perpétrer le malheur des petits en ne touchant pas aux structures de leur oppression.
Comment sortir Marie de ce piège ? Comment l’innocenter de cette accusation d’immaturité politique qui fait le lit de l’exploitation des petits et des pauvres ?

 

Le pouvoir biblique et son auto-effacement
Il faut d’abord remarquer que le Magnificat est une savante et complexe construction théologique à partir d’une multitude de textes bibliques. J’ai compté pas moins de 39 références en marge du texte dans la colonne de droite de ma TOB ! Il est peu probable que Marie de Nazareth ait pu improviser cette composition remarquable d’un seul jet. On y voit plutôt l’œuvre des premières communautés judéo-chrétiennes, qui ont pendant des décennies relu les Écritures – il n’y avait que le premier Testament à l’époque – en les faisant converger vers la figure du Messie Jésus. En resituant ce texte dans l’expérience politique et militaire d’Israël, la naïveté politique de Marie prend une autre couleur : puisque les puissants seront renversés de leur trône, si d’autres prennent leur place, ils seront renversés à leur tour. Autrement dit : les trônes doivent rester vides. Nul puissant n’a le droit de s’asseoir à la place qui est celle de Dieu, décrétant ce qui est bien ou mal, usant de la force pour imposer ses intérêts.

Tout pouvoir vient de Dieu - Un paradoxe chrétien de Emilie Tardivel -  Livre - DecitreVoilà pourquoi Paul fait écho à Marie lorsqu’il avertit : « tout pouvoir vient de Dieu » (Rm 13,1). Il semble prêcher la soumission du citoyen aux autorités civiles, mais en fait il rappelle aux autorités qu’elles doivent être soumises à Dieu [1]. Paul ne prône pas la soumission à l’Empire romain qui persécute les chrétiens. Il relativise le pouvoir de César en rappelant que le pouvoir ne vient pas de celui qui l’exerce. Le pouvoir impérial n’a pas sa source en lui-même. Donc il agit arbitrairement s’il se coupe de sa source qui n’est pas en lui, mais en Dieu. Dire que tout pouvoir vient de Dieu, c’est prêcher un autre rapport au pouvoir, un rapport qui le maintient dans une distance critique vis-à-vis de lui-même, puisqu’il n’a pas en lui-même son origine. C’est empêcher l’idolâtrie qui guette la politique. La politique a tendance à se regarder elle-même, à contempler sa propre puissance, en ne cherchant rien d’autre que son accroissement. Dire que tout pouvoir vient de Dieu, c’est situer le pouvoir par rapport à quelque chose de plus grand que lui. C’est dire que la puissance n’est pas la norme ultime d’une bonne politique.

Plus encore, c’est situer le pouvoir dans l’horizon de sa suppression. Si tout vient de Dieu, tout revient également à Dieu. Le pouvoir est appelé à être supprimé : pas seulement à la fin des temps, mais en tant qu’il est conçu comme légitime seulement s’il fait advenir un lien politique qui se passe de pouvoir – lien que Saint Paul appelle d’un nom aujourd’hui galvaudé : l’amour. En ce sens dire que tout pouvoir vient de Dieu n’est pas une maxime théocratique, mais « anarchiste » – si l’on peut employer ce mot ambigu. Pour éclairer ce qu’elle appelle le « paradoxe eschatologique du pouvoir », Émilie Tardivel cite une phrase très intéressante de Gaston Fessard, selon laquelle si le pouvoir « poursuivait une autre croissance que celle qui le mène à disparaître, il deviendrait illégitime, et le droit par lui créé ne serait plus du droit ». Autrement dit : si le pouvoir ne cherche pas à s’abolir lui-même en instituant une société où règne l’Amour, il est condamné à disparaître [2].

Le pouvoir exercé selon la Bible  a tendance à s’effacer dans l’amour (agapê) ; il s’auto-limite pour laisser apparaître d’autres liens entre les humains. Il s’auto-détruit en quelque sorte – comme le message d’un épisode de ‘Mission impossible’ !– parce qu’il crée les conditions d’une vie sociale ne requérant plus l’exercice de la puissance. La puissance biblique est une puissance illimitée d’effacement de soi. C’est un concept destructeur de lui-même en quelque sorte. C’est pourquoi, si les puissants ne renversent pas eux-mêmes l’exercice de leur pouvoir en ce sens, ils seront renversés de leur trône. Le Magnificat de Marie est alors bien plus que la naïve espérance des pauvres voulant déboulonner la statue du tyran, bien plus que la volonté de revanche des révolutionnaires qui convoitent la place de celui qu’ils cherchent à destituer. C’est le rappel radical que les trônes doivent rester vides. Les puissants qui seraient tentés de s’y asseoir, de quelque bord qu’ils soient, seront vite renversés par l’action de Dieu dans l’histoire, passant par des Mandela, Martin Luther King et autres Gandhi.

 

L’hétimasie : garder le trône vide
Chanter le Magnificat en période d’Avent, c’est faire le lien entre l’attente de la seconde venue du Christ et la contestation du politique. Le Christ s’est absenté de l’Histoire : sa place doit rester vide, jusqu’au Jugement dernier. Les trônes politiques doivent être vidés de leurs occupants, qui usurpent la place du Christ. Les trônes religieux doivent eux aussi être laissés vides, si l’on veut que le Christ soit vraiment la tête de son Église, et pas un pape, ni un évêque, ni un prêtre, ni même une sainte, un prophète ou un gourou.

L'hétimasie représentée dans les fresques de Giotto à Assise

L’hétimasie représentée dans les fresques de Giotto à Assise

Dans la tradition byzantine, qu’elle soit de liturgie catholique ou orthodoxe, il y a dans les cathédrales, derrière l’iconostase et derrière le maître-autel, un trône sacré toujours vide, celui du Christ, avec, au-dessus, l’icône de Jésus-Christ. L’évêque (ou même le patriarche) qui siège dans cette cathédrale a son trône toujours placé en dessous du trône vide du Christ, le Chef invisible de l’Église. On appelle cette coutume l’hétimasie.

Le lien avec l’Avent est manifeste dans l’étymologie : hétimasie vient du grec ἑτοιμασία qui signifie préparation [3]. Il s’agit donc en laissant le trône vide de préparer la venue ultime du Messie, l’accomplissement de l’histoire

Le messianisme de Jésus est tout à fait paradoxal : il est le Messie en renonçant à « son droit d’être traité comme l’égal de Dieu » (Ph 2,6), il est le Messie en destituant toute figure de pouvoir, même la sienne. Il ne prend pas le trône des puissants, il laisse le trône vide pour lui substituer une communauté messianique. Messie sauveur veut donc dire pour nous : communion de frères et de sœurs unis dans l’Esprit.

Voilà pourquoi Dieu renverse les puissants, pas leurs trônes. Car laisser vide le trône permet de relativiser l’exercice du pouvoir, de le rapporter à Dieu comme à sa source, de préparer en cela la venue du seul roi de l’univers.
Vivre l’Avent, c’est vider nos trônes intérieurs de leurs occupants illégitimes.
C’est renverser tous les puissants - de l’Église, de la société, des entreprises etc. - pour attendre le Christ sans nous mettre à sa place.
Le messianisme du trône vide a des conséquences immenses sur notre exercice du pouvoir, de l’autorité, des distinctions honorifiques, des hiérarchies sociales, des décisions à prendre…
Laissez donc du vide dans vos agendas, vos projets, vos constructions. Alors grandira le Royaume au-dedans de vous et autour de vous, et vous ne saurez pas comment…

 

La part du pauvre
Évoquons pour terminer une forme dégradée – mais puissamment symbolique, et très populaire – de ce messianisme du trône vide.
Quand j’étais enfant, j’ai souvent vu la table de mes grands-parents comporter une assiette de plus que le nombre de membres de la famille réunis autour du repas. Ma grand-mère disait : « il faut toujours garder la part du pauvre. Si quelqu’un arrive à l’improviste, un mendiant ou un employé qui n’a rien prévu, l’assiette en plus est pour lui ». Laisser une place vide au repas familial empêche la famille de croire qu’elle est au complet : il lui manque toujours quelqu’un. Le pauvre qui a là sa part figure le Christ qui arrivera à la fin des temps à l’improviste et s’invitera à notre table.

Cette belle coutume de la part du pauvre a disparu depuis l’individualisation à outrance de la prise de nos repas : sur le pouce, tout seul, sans conversation avec les autres, trop souvent vissé devant un écran.

Pourtant, de manière émouvante, la communauté juive de Tel-Aviv a célébré le shabbat du vendredi 20 octobre 2023 en dressant une immense table de shabbat devant le Musée d’Art avec 203 chaises vides. Ces vides garantissaient à chacun des otages enlevés par le Hamas le 7 octobre qu’ils ont toujours leur place au milieu des leurs.

203 chaises vides Octobre 2023

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Inventons d’autres « parts du pauvre » à laisser vides, comme doit rester vide le trône du Messie que les puissants n’ont pas le droit d’occuper.

Dans l’atelier, l’open-space, à l’hypermarché, au restaurant… : comment pourrions-nous continuer à garder la part du pauvre pour ne pas oublier ceux qui nous manquent ? Pour ne pas oublier le Christ qui nous manque encore davantage ?

 


[1]. Cf. Émilie Tardivel, Tout pouvoir vient de Dieu : un paradoxe chrétien, Ed. Ad Solem, 2015.

[3]. L’infinitif etoimasai, « préparer », est employé dans les évangiles de Luc (1,17;1,76;9,52) et de Jean (14,2).

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je tressaille de joie dans le Seigneur » (Is 61, 1-2a.10-11)

Lecture du livre du prophète Isaïe
L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur.
Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu. Car il m’a vêtue des vêtements du salut, il m’a couverte du manteau de la justice, comme le jeune marié orné du diadème, la jeune mariée que parent ses joyaux. Comme la terre fait éclore son germe, et le jardin, germer ses semences, le Seigneur Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations.

CANTIQUE
(Lc 1, 46b-48, 49-50, 53-54)
R/ Mon âme exulte en mon Dieu.   (Is 61, 10)

Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.

Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
Sa miséricorde s’étend d’âge en âge
sur ceux qui le craignent.

Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël son serviteur,
il se souvient de son amour

DEUXIÈME LECTURE
« Que votre esprit, votre âme et votre corps soient gardés pour la venue du Seigneur » (1 Th 5, 16-24)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens
Frères, soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal. Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ; que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ. Il est fidèle, Celui qui vous appelle : tout cela, il le fera.
 
ÉVANGILE
« Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas » (Jn 1, 6-8.19-28)
Alléluia. Alléluia. L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (cf. Is 61, 1)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Il y eut un homme envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
Voici le témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : « Qui es-tu ? » Il ne refusa pas de répondre, il déclara ouvertement : « Je ne suis pas le Christ. » Ils lui demandèrent : « Alors qu’en est-il ? Es-tu le prophète Élie ? » Il répondit : « Je ne le suis pas. – Es-tu le Prophète annoncé ? » Il répondit : « Non. » Alors ils lui dirent : « Qui es-tu ? Il faut que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu sur toi-même ? » Il répondit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Redressez le chemin du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. » Or, ils avaient été envoyés de la part des pharisiens. Ils lui posèrent encore cette question : « Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? » Jean leur répondit : « Moi, je baptise dans l’eau. Mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ; c’est lui qui vient derrière moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. »
Cela s’est passé à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain, à l’endroit où Jean baptisait.
Patrick BRAUD

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17 mai 2020

Ascension : les pleins pouvoirs

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ascension : les pleins pouvoirs

Homélie de l’Ascension / Année A
Jeudi 21/05/2020

Cf. également :

Désormais notre chair se trouve au ciel !
Jésus : l’homme qui monte
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : l’ascenseur christique
Une Ascension un peu taquine : le temps de l’autonomie
Les vases communicants de l’Ascension

Faut-il avoir peur du pouvoir ?

Affiche Les Pleins PouvoirsQuelquefois on a l’impression que les chrétiens sont mal à l’aise avec ce mot et ce qu’il représente. Pour rester gentil avec tout le monde, il vaudrait mieux – dit-on – renoncer au pouvoir, ne se consacrer qu’au service, et se méfier de toutes les sphères du pouvoir actuel. D’ailleurs, Dieu ne renverse-t-il pas les puissants de leur trône, comme le chante Marie dans son Magnificat ?

Alors, plutôt que d’avoir les mains sales, les chrétiens seraient invités à se replier sur l’humanitaire ou le social, laissant la politique, le médiatique et l’économique aux Machiavels de leur époque.

Pourtant, quand on relit les Évangiles, on s’aperçoit que ni Jésus ni ses disciples n’ont peur de ce mot : le pouvoir (en grec exousia). Notre fête de l’Ascension lui accorde une grande importance : « Tout pouvoir m’a été donné, au ciel et sur la terre ». (Mt 28, 19). On dirait bien qu’un des buts de l’Ascension, c’est que le Christ reçoive enfin les « pleins pouvoirs », au ciel et sur la terre !

La 2ème lecture insiste : Dieu a fait asseoir le Christ à sa droite pour qu’il soit au-dessus de ceux qui nous dominent, pour que tout lui soit soumis. « C’est la force même, le pouvoir, la vigueur, qu’il a mis en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. Il l’a établi au-dessus de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit leur nom, aussi bien dans le monde présent que dans le monde à venir. Il lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout… »  (Ep 1, 17-23).

On pense aux mosaïques des coupoles byzantines, qui étalent le visage du Christ ‘Pantocrator’ = ‘Tout-Puissant’ au-dessus de la tête de la foule rassemblée dans l’église.

Pourquoi faudrait-il alors avoir peur du pouvoir ? Surtout si c’est celui du Christ ressuscité, assis à la droite de Dieu. Car c’est essentiellement un pouvoir sur le mal, sur la mort, un pouvoir pour la vie. C’est ce pouvoir et cette autorité (c’est le même mot en grec) que Jésus a manifesté tout au long de sa mission historique.

Christ Pantocrator mosaïque à l'intérieur de la cathédrale de Monreale près de Palerme, Sicile, Italie Banque d'images - 87618564

C’est le pouvoir de pardonner les péchés (cf. le paralytique Mt 9,6), le pouvoir de discerner et de juger (Jn 5, 27), le pouvoir de guérir (cf. les miracles), le pouvoir de donner sa vie par amour (et c’est sans doute là le pouvoir le plus évangélique cf. Jn 10,18)…

Ce pouvoir s’oppose à celui qui veut détruire l’homme : la puissance de Satan, qui peut jeter dans la géhenne (Lc 12,5), faire régner les ténèbres (Lc 22,53) et finalement ôter la vie… Satan offre son pouvoir à Jésus lors des tentations au désert, mais déjà Jésus se montre victorieux du mal en refusant cette puissance-là, et en choisissant l’autre, celle de son Père, la puissance de la Parole de Dieu.

La victoire du Christ est aujourd’hui totale dans son Ascension auprès du Père : il est « Seigneur », « Pantocrator », « élevé au-dessus de tout » (Ph 2, 6-11), Seigneur de ma vie (Rm 10, 9-10), Seigneur de l’Église et finalement de l’univers entier.

Élevé au plus haut des cieux, le Christ ressuscité donne à son Église de participer à « ses » pleins pouvoirs. Il nous confie son pouvoir de pardonner, de libérer, de chasser les démons, de guérir, de donner la vie, jusqu’au pouvoir de lier et de lier (confié à l’Église collectivement Mt 18,18 et à Pierre personnellement Mt 16,19).

Si l’Église était impuissante à lutter contre le mal, à quoi servirait-elle ? Être sans pouvoir est le malheur des esclaves, être impuissant est le drame des stériles. Or notre Église est libre et elle est féconde, grâce au pouvoir reçu du Christ.

Voilà donc de quoi ne plus avoir peur du pouvoir humain. Voilà de quoi évangéliser l’exercice du pouvoir qui est le nôtre. Comment ?

Voici quelques pistes pour réfléchir à l’évangélisation du pouvoir en nous et autour de nous.

 

1/ D’abord reconnaître humblement la part de pouvoir qui est la mienne.

Personne n’est si pauvre qu’il n’ait aucun pouvoir. Contempler le Christ assis à la droite du Père peut nous aider à ne pas avoir peur du pouvoir que l’on exerce. Il s’agit de prendre conscience des pouvoirs qui sont les miens : famille, quartier, immeuble, travail, vie associative, Église… et d’y faire jouer des degrés de liberté, des marges de manœuvre, des alternatives possibles. L’Évangile demande de ne pas enfouir nos talents, mais au contraire de les exploiter au service des autres.

Quelle est ma part de pouvoir à exercer ?

 

2/ Ensuite, il s’agit de ne pas idolâtrer le pouvoir.

Achille Talon - Tome 6 - Achille Talon au pouvoir par [Greg]Le pouvoir est bon s’il n’est pas une fin en soi, un petit dieu à la place du seul vrai Dieu. Résister à la tentation de l’idolâtrie du pouvoir, comme Jésus au désert (Lc 4, 5-9) est la condition de notre liberté. Cela ne veut pas dire renoncer au pouvoir, mais l’orienter vers autre chose.

Quand le pouvoir risque-t-il de devenir une idole pour moi ?

 

3/ D’où la 3ème piste : orienter le pouvoir vers le service le plus désintéressé possible de nos frères et particulièrement des plus petits.

L’exercice païen du pouvoir conduit à dominer en maître ; l’exercice évangélique de ce même pouvoir conduit servir la croissance de nos frères, à l’image du Christ lavant les pieds de ses amis (Mt 20, 27-28).

Quelle sont mes occasions d’exercer du pouvoir au service des autres ?

 

4/ Du coup, on s’apercevra très vite qu’il y a un prix à payer pour convertir l’exercice du pouvoir dans l’Esprit du Christ. Le prix à payer, c’est d’abord (paradoxalement !) la gratuité, le désintéressement et donc une carrière personnelle souvent inattendue. Plus encore, le prix du pouvoir évangélique, c’est la mort à soi-même.

À la mère des fils de Zébédée qui demande des postes de ministres pour ses enfants, Jésus répond qu’un tel poste a un prix : la coupe de la Passion, le baptême de la mort – résurrection (Mt 20, 20-29). Au prix de ce détachement intérieur, qui va jusqu’à livrer sa vie, le pouvoir évangélique cherche donc à allier la compétence la plus grande possible au service le plus désintéressé.

Quels risques devrais-je assumer pour que mes décisions soient plus courageuses ?

 

Prendre conscience du pouvoir qui est nôtre, ne pas l’idolâtrer, l’orienter vers le service, le passer au filtre de la mort à soi-même… L’Ascension du Christ ordonne notre légitime quête de pouvoir vers son pouvoir à lui : dominer le mal, vaincre la mort, faire triompher l’amour de Dieu.

Qu’à cela l’Esprit du Christ nous aide en cette eucharistie !

 

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Tandis que les Apotres le regardaient, il s’éleva » (Ac 1, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis. C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu.
 Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

 

PSAUME

(Ps 46 (47), 2-3, 6-7, 8-9)
R/ Dieu s’élève parmi les ovations, le Seigneur, aux éclats du cor.
ou : Alléluia ! (Ps 46, 6)

Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.

Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !

Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Dieu l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux » (Ep 1, 17-23)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, et quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants : c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. Il l’a établi au-dessus de tout être céleste : Principauté, Souveraineté, Puissance et Domination, au-dessus de tout nom que l’on puisse nommer, non seulement dans le monde présent mais aussi dans le monde à venir. Il a tout mis sous ses pieds et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps, et l’Église, c’est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.

 

ÉVANGILE

« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28, 16-20)
Alléluia. Alléluia.Allez ! De toutes les nations faites des disciples, dit le Seigneur. Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Alléluia. (Mt 28, 19a.20b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 En ce temps-là,  les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.  Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes.  Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.  Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,  apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Patrick BRAUD

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