L'homélie du dimanche (prochain)

3 septembre 2023

Avertir le méchant

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Avertir le méchant

Homélie pour le 23° Dimanche du temps ordinaire / Année A
10/09/2023

Cf. également :
Allez venez, Milord
Lier et délier : notre pouvoir des clés

La correction fraternelle
L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé que…
L’Aujourd’hui de Dieu dans nos vies

« Nous sommes en 1938 ! »
Avertir le méchant dans Communauté spirituelle
C’est le titre d’une tribune de l’essayiste Nicolas Baverez dans le Figaro du 28 février 2022, quelques jours après la tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine. Il y traçait un parallèle convaincant entre les erreurs des diplomaties européennes dans les années 30 envers Hitler et les erreurs actuelles de l’Europe et de ses alliés envers Poutine. Hitler n’est pas apparu du jour au lendemain sur la scène internationale. Il est monté progressivement en puissance sans que personne n’ose mettre un coup d’arrêt à son ascension tant que cela était possible. Rappelez-vous : les lois antijuives ne suscitèrent que des protestations verbales sans conséquences, la remilitarisation de la Rhénanie ne rencontra aucune opposition réelle, l’annexion de l’Autriche sous prétexte qu’ils parlaient allemand et que les Sudètes étaient des Allemands à protéger (argument repris par Poutine pour la Crimée et le Donbass !), l’annexion de la Tchécoslovaquie et finalement de la Pologne : toutes ces étapes d’un projet délirant se sont accomplies sans réelle intervention des démocraties européennes. On raconte qu’Hitler lui-même aurait reconnu être surpris par la lâcheté française : si on l’avait stoppé manu militari dès le début, il se serait retiré. Ces coups de bluff ont été payants, grâce à la lâcheté des démocraties européennes.

La conférence de Munich en 1938 consacra cette diplomatie de l’impuissance, acceptant toutes les concessions diplomatiques pour éviter une guerre que la couardise des Français et des Anglais avaient rendue inévitable. D’où le célèbre reproche cinglant de Churchill à Chamberlain en mai 1940 : “Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre”.

Le parallèle entre l’impuissance de 1938 et celle de 2022 est saisissant. Poutine devient premier ministre de la Russie en 1999. Il commence par intensifier la guerre contre les tchétchènes qualifiés de terroristes qu’il va « buter jusque dans leurs chiottes ». Il installe une marionnette pro-russe à la tête de la Tchétchénie : Kadirov jouera, avec Loukachenko l’autre marionnette biélorusse, le rôle de ‘bad cop’ dans la guerre contre l’Ukraine. Poutine  ne s’arrête pas là : en 2008, il prend prétexte des revendications pro-russes des régions séparatistes de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud pour déclencher une guerre contre la Géorgie. Avec déjà les mêmes méthodes : ‘protéger’ les russophiles en envahissant les territoires, délivrer un maximum de passeports russes, exiler les récalcitrants etc. Biélorussie, Tchétchénie, Géorgie… : pendant ce temps, il s’assurait de la neutralité bienveillante de son voisin chinois, qui lui laisse les mains libres à l‘Ouest. Si on ajoute à cela l’intervention militaire en Libye, en Syrie et maintenant en Afrique de l’Ouest (via Wagner), et la modernisation d’une armée de 900 000 hommes, on a le tableau d’une montée en puissance à laquelle personne n’a osé s’opposer vraiment avant l’invasion de l’Ukraine. Et encore ! La riposte défensive que soutiennent les alliés de l’Ukraine laisse  perplexe. Imagine-t-on soutenir un pays agressé en lui interdisant de vaincre son agresseur ? Pouvait-on défendre Paris sans bombarder Berlin ?

Une affiche montrant le visage de Poutine et d'Hitler, lors d'une manifestation pour l'Ukraine à Barcelone.Nicolas Baverez a hélas raison de comparer 1938 et 2022 :
« L’histoire ne se répète pas mais nous livre des enseignements précieux. Si notre monde diffère de celui de l’entre-deux-guerres, la configuration géopolitique présente des ressemblances troublantes. La stratégie de Vladimir Poutine pour remettre en question l’ordre international, assouvir sa soif de revanche et reconstruire l’empire soviétique épouse les étapes de la constitution par Hitler d’un espace vital pour le III° Reich… »

Pourquoi cette longue introduction historique ? Parce que la première lecture (Ez 33,7-9) de ce dimanche ne s’applique pas qu’aux relations interpersonnelles seulement : elle vaut également pour les nations. « Si je dis au méchant : ‘Tu vas mourir’, et que tu ne l’avertisses pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang ».

Ne pas avertir le méchant, Hitler ou Poutine ou tout autre tyran, c’est devenir complice du malheur à venir, c’est se condamner à subir le déshonneur et la guerre. L’avertissement doit être rigoureux, et d’ailleurs Jésus dans l’Évangile de ce dimanche (Mt 18,15-20) va jusqu’à envisager l’exclusion de la communauté si la correction fraternelle ne fait pas changer celui qui commet le mal. Paul appliquera cette pédagogie jusqu’au bout en demandant d’exclure de la communauté de Corinthe un incestueux qui ne voulait pas changer de conduite (1Co 5,1-13).

Étouffer le mal dans l’œuf, l’éradiquer avant qu’il ne soit trop fort : voilà une responsabilité spirituelle qui demande courage, discernement, et force d’intervention !

 

Socrate versus Augustin

Nul n’est méchant volontairement”
 Augustin dans Communauté spirituelle
Mais qui est le méchant qu’Ézéchiel et nous-mêmes devons avertir ?
On n’ose plus guère employer ce terme de méchant, peut-être par peur du jugement moral, ou pour éviter tout conflit. Socrate trouve même une excuse pour ne pas essentialiser le méchant, pour ne pas le réduire à sa méchanceté : “Nul n’est méchant volontairement”, affirme-t-il (dans le Protagoras de Platon).

Si la méchanceté peut être définie comme le fait de causer du tort à quelqu’un délibérément, alors pour Socrate, elle ne peut constituer un trait de caractère humain. Selon lui, en effet, les personnes méchantes agissent par aveuglement, sans savoir qu’elles font le mal : « Nul n’est méchant volontairement ». Comment comprendre cette formule étonnante ? Le philosophe précise que tout le monde désire le bien et que personne ne peut vouloir le mal pour le mal. Le bien est la source de toutes nos actions. Il arrive ainsi que certains commettent le mal malgré eux par ignorance, parce qu’ils ont pris le mal pour le bien ou parce que leur point de vue était mal renseigné : ils ne comprennent pas, par exemple, qu’en se comportant de manière injuste se rendent malheureux et se font du mal à eux-mêmes. Dans ces conditions, ce qu’on prend pour de la méchanceté ne repose finalement que sur un malentendu ou un défaut de connaissance. Être méchant pour Socrate, c’est tout au plus commettre une erreur d’appréciation sur la véritable nature du bien. Si Socrate continue de nous parler, c’est que nous savons que la liberté ne consiste pas (seulement) à vouloir, mais aussi à savoir ce que nous faisons.

C’est une piste que suit la traduction grecque d’Ézéchiel (la LXX) en employant le nom pécheur au lieu de méchant. Or le pécheur est celui qui commet un péché, mais ne s’y réduit pas. Alors que le méchant l’est par essence, et c’est sa nature de commettre le mal. D’ailleurs en grec le mot péché ἁμαρτία (hamartia) signifie : manquer sa cible. Le pécheur (méchant) se trompe lui-même en poursuivant une autre cible que celle qui lui permettrait de devenir lui-même. Il manque sa cible en se trompant de cible. Il confond la gloire et l’amour, la richesse et le bonheur, la domination et la reconnaissance, la soumission et la fidélité, la force et l’efficacité… Aucun homme ne fait le mal volontairement, car le mal est essentiellement nuisible à qui le commet. Or aucun homme ne saurait vouloir se nuire à lui-même. Celui qui fait le mal croit forcément faire le bien, mais se trompe sur la réalité du bien. Quant à celui qui fait le mal, tout en prétendant connaître le bien, il se leurre sur la réalité de sa connaissance.

ze-conseil-du-jeudi-20180621-1024x1024 HitlerC’est pourquoi Jésus cloué sur la croix prie pour les soldats qui sont alors les méchants du Calvaire : « Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Et Paul renchérit : « s’ils avaient su, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire » (1Co 2,8). Pour tout une tradition chrétienne, avertir le méchant c’est lui ouvrir les yeux sur la réalité de ses actes, afin qu’il s’en détourne et qu’il vive, selon la parole d’Isaïe que Jésus aime à répéter : « je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 18,23;33,11). Car le méchant est un aveugle qui s’ignore. Il ne sait pas ce qu’il fait. Par exemple, le roi David est dans le rôle du méchant lorsqu’il désire Bethsabée, puis la viole, et fait tuer son mari militaire en l’envoyant au front ! Aveuglé par son désir qu’il confondait avec l’amour, David se trompait de cible en poursuivant cette liaison adultère, assassine et violente. Il faudra le courage du prophète Nathan pour lui ouvrir les yeux, grâce à la parabole d’un riche qui dépouille un pauvre vigneron de sa vigne unique : « cet homme, c’est toi » (2S 12,7). Là enfin, David prend conscience de ce qu’il a fait, et change radicalement.

Avertir le méchant, si l’on suit cette ligne Socrate–Ézéchiel–Nathan–Jésus, c’est d’abord croire en sa dignité humaine, voilée par son péché, mais potentiellement réactivable. Puis c’est avoir le courage de lui dire ses quatre vérités en lui mettant sous les yeux la réalité du mal commis. Et enfin lui ouvrir une voie de changement radical (techouva = retour à Dieu) pour qu’il reprenne sa place dans la communion fraternelle (cf. Ez 18,21.27;33,14–15).

Attention cependant : les justes risquent de trouver cette miséricorde injuste ! Israël a très vite pensé que la miséricorde de YHWH envers les païens était exagérée : « si le méchant se détourne de sa méchanceté, pratique le droit et la justice, et en vit, alors vous dites : ‘La conduite du Seigneur est étrange’ » (Ez 33,19-20). Dans l’évangile de Luc, le fils aîné de la parabole s’indigne de la possibilité offerte à son frère prodigue de revenir à la table familiale, fêté en héros avec du veau gras à profusion. Jésus a dû souvent répéter ce passage d’Ézéchiel à ceux que scandalisait son bon accueil des pécheurs : « Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9,13).
Avertir le méchant, c’est paradoxalement s’exposer à la colère des « gentils » qui ne veulent pas que d’autres obtiennent par grâce ce que eux ont eu tant de mal à acquérir par le mérite…

 

Le simple plaisir de faire ce qui est défendu”
31r8zgt+xXL._SX296_BO1,204,203,200_ méchant
Saint Augustin quant à lui prend l’exact contre-pied de Socrate ! Il incarne une autre tradition chrétienne – tout aussi légitime – plus réaliste, voire pessimiste. Il observe : « Nul n’est méchant que par le fait de sa volonté propre. Qui le nie ? » Pour lui, le mal est toujours accompli par un coupable pécheur. Et il sait de quoi il parle, puisqu’il raconte dans les Confessions comment il a volé des poires dans un verger alors qu’il était adolescent, non par gourmandise puisqu’elles n’étaient ni belles ni bonnes et qu’il ne les a pas mangées, mais par volonté de transgression, c’est-à-dire par pure malice : « Ce n’est pas de l’objet convoité par mon larcin, mais du larcin même et du péché que je voulais jouir », écrit-il. Comme il se le reproche des années plus tard, une fois converti au Christ, Augustin dit alors avoir éprouvé une étrange volupté à accomplir ce qui était interdit et s’étonne d’avoir aimé sa propre « difformité ». Cette expérience lui a donc permis de découvrir sa propre méchanceté et de s’interroger sur l’origine de ce plaisir pris à commettre le mal.
Dans son Traité du libre arbitre, il écrit: «Dieu a conféré à sa créature, avec le libre arbitre, la capacité de mal agir, et par-là même, la responsabilité du péché.» Ou encore : «Ce qui ne serait pas fait volontairement ne serait ni péché, ni bonne action; et ainsi, le châtiment aussi bien que la récompense serait injuste, si lhomme navait pas une volonté libre.» Il ne peut y avoir de justice si l’on ne peut pas attribuer une volonté libre et donc une responsabilité à celui qui agit. Ce qui est devenu une évidence pour nous a nécessité une véritable révolution philosophique. Il aura fallu introduire l’idée du péché pour ouvrir la porte à celle de la responsabilité morale. Socrate pouvait concevoir que l’agir soit infléchi par les désirs les plus irrationnels. Il ne pouvait imaginer une âme qui se donnerait pour visée explicite le mal. Une fois l’idée de la nature pécheresse de l’homme établie, l’articulation du mal et de la liberté devenait pensable.

HannibalFinal1.0 PoutinePour autant, les humains sont-ils condamnés à faire le mal lorsque la situation semble l’imposer ? Pas nécessairement. Le mal n’est que la conséquence logique de notre faculté à être libres. Même si nous « voulons » le bien, nous restons toujours et irréductiblement libres d’agir autrement, de nous soustraire aux injonctions de la morale et donc de faire le mal. Être méchant, c’est donc plutôt être faible et faillible, céder à ce que Kant appelle « une fragilité de la nature humaine ».

Augustin n’en tire pas la conclusion que nous serions par nature totalement méchants. Il pose les bases de ce qu’on appellera après lui le péché originel. C’est d’abord le triste constat que tout être humain est traversé par l’inclination au mal, et qu’il peut prendre plaisir à y céder.
Ne soyons donc pas naïfs. Excuser le mal ne sert à rien. Il faut le combattre, et cela commence par appeler un chat un chat, à ne pas travestir le mal en bien, et à avertir le méchant que sa conduite le mène à sa perte. Le mal n’est pas commis involontairement, mais en toute conscience, lucidement. Il y en chacun de nous une inclination à aimer le mal pour lui-même, à y prendre du plaisir en sachant que c’est mal.
Étaler sous les yeux de Poutine les centaines de milliers de morts, de blessés, d’exilés de la guerre qu’il mène ne suffira pas à le détourner du mal. Il en faudra davantage.

Avertir le méchant demande alors de l’empêcher de nuire et non pas de se contenter de lui ouvrir les yeux. Et s’il a fallu pour cela bombarder Berlin, c’était un moindre mal par rapport aux millions de morts et de déportés qu’aurait engendré une non-intervention complice. En 1945, c’était déjà hélas trop tard…

 

Avertis, sinon tu mourras !
 Socrate
Quelle que soit la ligne choisie, Socrate ou Augustin, Ézéchiel prévient : si tu ne le fais pas, le méchant finira par mourir de sa méchanceté mais à toi « je demanderai compte de son sang ». Si par contre tu avertis le méchant, quelle que soit sa réponse, toi tu auras sauvé la vie. Voilà l’effet boomerang de l’avertissement : il revient à son expéditeur en cause de salut, alors que l’inaction condamne celui qui laisse le mal se propager.
Même sur la pelouse d’un stade, l’arbitre ne doit pas hésiter à sortir le carton jaune, voire rouge, pour avertir un joueur de son comportement hors-jeu.

Si nous avons peur du méchant – en entreprise, en famille, en Église, dans la vie associative etc. – qu’au moins la peur de mourir nous-même (moralement, spirituellement) nous pousse à l’interpeller !

Avertir le méchant est une question de vie ou de mort.
Prions pour trouver en nous le courage de dénoncer le mal sans trembler, sans oublier que nous sommes aussi capables d’être le méchant d’un autre…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Si tu n’avertis pas le méchant, c’est à toi que je demanderai compte de son sang » (Ez 33, 7-9)

Lecture du livre du prophète Ézékiel
La parole du Seigneur me fut adressée : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part. Si je dis au méchant : ‘Tu vas mourir’, et que tu ne l’avertisses pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang. Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite, et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie. »

PSAUME
(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur ! (cf. Ps 94, 8a.7d)

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

DEUXIÈME LECTURE
« Celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi » (Rm 13, 8-10)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, n’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. La Loi dit : Tu ne commettras pas d’adultère,tu ne commettras pas de meurtre,tu ne commettras pas de vol,tu ne convoiteras pas. Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait rien de mal au prochain. Donc, le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour.

ÉVANGILE
« S’il t’écoute, tu as gagné ton frère » (Mt 18, 15-20)
Alléluia. Alléluia. Dans le Christ, Dieu réconciliait le monde avec lui : il a mis dans notre bouche la parole de la réconciliation. Alléluia. (cf. 2 Co 5, 19)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. »
 Patrick BRAUD

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16 mars 2022

Ukraine : de quoi être rempli de larmes…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 17 h 43 min

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28 février 2022

Petite théologie de la guerre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 18 h 19 min

Petite théologie de la guerre

[UKRAINE] Bilan du jour 3 : Kiev tient toujours, progression russe au sud, nombreuses pertes dans les deux campsAlors que les chars russes roulent sur Kiev, quels repères la foi chrétienne peut-elle nous fournir pour penser et agir en temps de conflit armé ?

Dans un « Message aux fidèles et aux citoyens d’Ukraine », du 24 février 2022, le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine a dénoncé la guerre actuelle comme « fratricide ». « La guerre entre ces deux peuples est une répétition du péché de Caïn, qui a tué son propre frère par envie », a-t-il déclaré. « Une telle guerre ne mérite aucune excuse, ni de Dieu, ni des populations ». La position du patriarche ukrainien est avant tout biblique ; quelques soient les intérêts en jeu, rien ne justifie le meurtre du frère.

Par contre, le dimanche suivant 27 février, le patriarche de Moscou, Kirill, a déclaré lors de son sermon dominical : « Que Dieu nous préserve de ce que la situation politique actuelle en Ukraine, pays frère qui nous est proche, soit utilisée de manière à ce que les forces du mal l’emportent ». « Nous devons tout faire pour préserver la paix entre nos peuples et en même temps protéger notre patrie historique commune de toutes ces actions de l’extérieur qui peuvent détruire cette unité », a poursuivi le patriarche.

Coat of arms of Russia with two-headed eagle. Golden symbol of Russian Federation. 3D render Illustration isolated on a white background. - 99888459Il semble donc apporter son soutien à l’invasion russe de l’Ukraine. Selon lui, les « forces du mal » sont ceux qui « combattent l’unité » de l’Église orthodoxe russe avec les pays issus de la Rus’, un État médiéval qui est considéré comme l’ancêtre de la Russie, de l’Ukraine et du Bélarus. Or, l’Ukraine s’était dotée en 2019 d’une Église orthodoxe indépendante du patriarcat de Moscou, une décision historique qui a mis fin à plus de 300 ans de tutelle religieuse russe et avait provoqué la colère de la Russie et de Kirill.
En 2012, Kirill avait déjà exprimé sa fidélité au maître du Kremlin en proclamant que la présidence de M. Poutine est « un miracle de Dieu » (sic.).

C’est l’illustration flagrante du « péché originel » des Églises orientales : être trop liées au pouvoir en place, quel qu’il soit (tsariste, communiste, poutiniste…), au point d’en perdre toute liberté critique. L’aigle bicéphale russe (un pouvoir, deux têtes) est le symbole de cette « symphonie des pouvoirs » chère aux orthodoxes russes qui confondent ainsi nation et Église, culture nationale et patrimoine chrétien. Ils voudraient rester la religion d’État, à l’exclusive des autres Églises – même orthodoxes – ou religions, pour régner en maitres sur la société. On voit en Grèce ou ailleurs que cette confusion Église-nation est une tentation toujours présente… Bizarrement, ces Églises tombent ainsi dans le même piège que les États islamiques !

Soyons honnêtes : l’Église catholique d’Occident n’a pas toujours évité cette confusion ! La lutte entre les pouvoirs temporel et spirituel a donné lieu à des joutes célèbres entre Rome et les empires successifs. De Canossa à la suppression des États pontificaux, du sacre des rois ou empereurs par le pape au principe « Cujus regio, ejus religio » du XVI° siècle (« chacun doit adopter la religion de son souverain »), la foi chrétienne a été souvent confondue avec le pouvoir politique, et instrumentalisée pour faire la guerre au nom de Dieu : croisades, Inquisition, guerres européennes, prétentions royales d’incarner la volonté divine, guerres coloniales pour convertir les Indiens des Amériques etc. Pourtant, peu à peu, le principe évangélique de séparation des pouvoirs entre César et Dieu s’est mis en place, au point que la laïcité française – la plus rigoureuse au monde – n’est pas sans racines évangéliques… Distinguer foi et politique demande de ne pas instrumentaliser l’une au service de l’autre, surtout pour faire la guerre !

 

Une Église ne devrait pas faire çà…

On peut distinguer plusieurs périodes dans l’évolution de la doctrine catholique sur la guerre :

- du temps de Jésus

Le Christ ne traite pas des questions politiques de son temps, pressé qu’il est par l’imminence du Royaume de Dieu qui va tout renouveler. Ce qu’il dit sur la violence concerne les relations individuelles : tendre l’autre joue, aimer son ennemi, pardonner sans cesse. Envers les militaires, il se montre accueillant, en louant même leur foi, en leur demandant comme Jean-Baptiste de ne pas dépasser leur mission, et c’est un centurion romain qui confesse le premier au pied de la croix : « vraiment, cet homme était le fils de Dieu ! »

 

- pendant les persécutions

Les premiers chrétiens ont été pendant trois siècles en butte aux persécutions juives et romaines, et devaient donc faire « profil bas » pour ne pas s’attirer les foudres d’un pouvoir déjà méfiant à leur égard. D’où le célèbre : « tout pouvoir vient de Dieu » de Paul (Rm 13, 1-6), si mal interprété par la suite ! Paul voulait que les chrétiens soient civiquement exemplaires pour qu’on n’ait rien çà leur reprocher sur ce plan-là. Aucune soumission aveugle au pouvoir en place dans ses propos. D’ailleurs, il a lui-même désobéi à Rome en refusant d’adorer l’empereur, ce qui était un acte d’insoumission politique à l’époque.
Pendant 300 ans, les chrétiens auront le souci d’éviter de participer à toute violence d’État, au point que les militaires devaient changer de métier (comme les gladiateurs, les prostituées etc..) pour pouvoir demander le baptême.
Le pouvoir romain fait la guerre à ces chrétiens, jusqu’à l’empereur Constantin et l’Édit de Milan (313). On comprend que ces chrétiens dénoncent toute forme de guerre comme un péché contre Dieu et contre nos frères.

 

- du IV° siècle au XIX° siècle

Petite théologie de la guerre dans Communauté spirituelle e7

Avec Constantin, tout change. L’empereur et l’Église marchent main dans la main pour gouverner les peuples d’Occident et au-delà. Pour le meilleur (adoucissement des mœurs, protection des femmes, des esclaves, fécondité artistique etc.) et pour le pire (répression des non-chrétiens, mainmise religieuse sur la société, ‘le sabre et le goupillon’ etc.). Dans le pire, il y a la guerre au nom de Dieu. Mais il y a également le meilleur, avec une certaine humanisation de la guerre pourrait-on dire, grâce à la théorie de St Augustin qu’on a appelée la « théorie de la guerre juste ». Augustin voulait limiter la guerre. Il développa une argumentation légitimant, dans certains cas exceptionnels, le recours aux armes pour un chrétien : à titre individuel, un chrétien devrait se laisser tuer plutôt que de tuer son assaillant (amour des ennemis), mais la défense de l’autre – surtout les plus faibles (la veuve, l’orphelin, le vieillard) – oblige à repousser une agression qui les menacerait. D’autre part, c’est aussi aimer son ennemi (selon le précepte évangélique) que de l’empêcher de faire le mal, lorsqu’il est agresseur.
Cette doctrine a donné lieu à de vives controverses. Certes, elle tendait à limiter la guerre mais elle conduisait aussi à la légitimer dans certains cas.

Les siècles suivants verront « l’alliance du trône et de l’autel » connaître des heurts divers, avec l’apparition de la « théorie des deux glaives » (Bernard de Clairvaux) au XI° siècle, prônant la supériorité du pouvoir spirituel (le Pape) sur le pouvoir temporel. Dans ce contexte, la guerre a souvent eu droit à la bénédiction des papes et évêques, que ce soit entre princes européens ou contre l’islam. En même temps, l’Église intervint souvent pour protéger les plus petits, pour servir de médiation entre les belligérants et faciliter la négociation de trêves, de traités de paix.
La prétention temporelle du Pape et la volonté de mainmise de l’Église sur la société suscitèrent en réaction l’émancipation progressive des royaumes et empires, jusqu’au XVIII° siècle, où les Lumières pousseront cette émancipation jusqu’à la séparation. L’Orient – on l’a dit – n’a pas suivi cette évolution.

 

- Vatican II

B006JYFJNE.01._SCLZZZZZZZ_SX500_ bicéphale dans Communauté spirituelleComme toute institution, l’Église a profondément changé sa façon de voir (tout en prétendant le contraire). Son discours sur la guerre aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui qu’elle tenait au XVII° siècle. Les deux guerres mondiales et la guerre froide ont fait évoluer la doctrine catholique au XX° siècle. Le cri de Paul VI devant l’ONU en 1965 : « Plus jamais la guerre ! » est devenu célèbre.
Le concile Vatican II (1962-65) a parlé de la guerre dans le document Gaudium et Spes. La synthèse de l’enseignement de ce concile est résumée ainsi dans le catéchisme universel (1992) :

Pas de paix sans justice

N° 2304      Le respect et la croissance de la vie humaine demandent la paix. La paix n’est pas seulement absence de guerre et elle ne se borne pas à assurer l’équilibre des forces adverses. La paix ne peut s’obtenir sur terre sans la sauvegarde des biens des personnes, la libre communication entre les êtres humains, le respect de la dignité des personnes et des peuples, la pratique assidue de la fraternité. Elle est “ tranquillité de l’ordre ” (S. Augustin, civ. 10, 13). Elle est œuvre de la justice (cf. Is 32, 17) et effet de la charité (cf. GS 78, §§ 1-2).

Éviter la guerre autant que possible, mais se défendre si besoin

N° 2307      Le cinquième commandement interdit la destruction volontaire de la vie humaine. À cause des maux et des injustices qu’entraîne toute guerre, l’Église presse instamment chacun de prier et d’agir pour que la Bonté divine nous libère de l’antique servitude de la guerre (cf. GS 81, § 4).

N° 2308      Chacun des citoyens et des gouvernants est tenu d’œuvrer pour éviter les guerres. Aussi longtemps cependant “ que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifiques, le droit de légitime défense ” (GS 79, § 4).

B00TAVH0N0.01._SCLZZZZZZZ_SX500_ guerreN° 2309      Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d’une légitime défense par la force militaire. La gravité d’une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois :
– Que le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain.
– Que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces.
– Que soient réunies les conditions sérieuses de succès.
– Que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l’appréciation de cette condition.
Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la “ guerre juste ”.
L’appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun.

N° 2310      Les pouvoirs publics ont dans ce cas le droit et le devoir d’imposer aux citoyens les obligations nécessaires à la défense nationale.
Ceux qui se vouent au service de la patrie dans la vie militaire, sont des serviteurs de la sécurité et de la liberté des peuples. S’ils s’acquittent correctement de leur tâche, ils concourent vraiment au bien commun de la nation et au maintien de la paix (cf. GS 79, § 5).

Même en temps de guerre, tout n’est pas permis

N° 2312      L’Église et la raison humaine déclarent la validité permanente de la loi morale durant les conflits armés. “ Ce n’est pas parce que la guerre est malheureusement engagée que tout devient par le fait même licite entre les parties adverses ” (GS 79, § 4).

Les prisonniers notamment ont de droits

N° 2313      Il faut respecter et traiter avec humanité les non-combattants, les soldats blessés et les prisonniers. Les actions délibérément contraires au droit des gens et à ses principes universels, comme les ordres qui les commandent, sont des crimes. Une obéissance aveugle ne suffit pas à excuser ceux qui s’y soumettent. Ainsi l’extermination d’un peuple, d’une nation ou d’une minorité ethnique doit être condamnée comme un péché mortel. On est moralement tenu de résister aux ordres qui commandent un génocide.

Les guerres « totales » sont condamnables et injustes

N° 2314      “Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants, est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation” (GS 80, § 4). Un risque de la guerre moderne est de fournir l’occasion aux détenteurs des armes scientifiques, notamment atomiques, biologiques ou chimiques, de commettre de tels crimes.

Arrêter la guerre est un signe messianique

N° 2317      Les injustices, les inégalités excessives d’ordre économique ou social, l’envie, la méfiance et l’orgueil qui sévissent entre les hommes et les nations, menacent sans cesse la paix et causent les guerres. Tout ce qui est fait pour vaincre ces désordres contribue à édifier la paix et à éviter la guerre. Dans la mesure où les hommes sont pécheurs, le danger de guerre menace, et il en sera ainsi jusqu’au retour du Christ. Mais, dans la mesure où, unis dans l’amour, les hommes surmontent le péché, ils surmontent aussi la violence jusqu’à l’accomplissement de cette parole : Ils forgeront leurs glaives en socs et leurs lances en serpes. On ne lèvera pas le glaive nation contre nation et on n’apprendra plus la guerre” (Is 2,4) (GS 78,§6).

« I’m gonna study war no more… » chante le gospel « Down by the riverside »


La feuille de route des chrétiens en temps de guerre est ainsi clairement fixée : tout faire pour éviter la guerre, mais protéger les plus faibles, et empêcher un agresseur de semer la mort et la désolation autour de lui comme Hitler, Lénine, Staline, Mao, Pol-Pot et tant d’autres l’ont fait au XX° siècle…

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