Ouvrir à tous la porte de la foi
Ouvrir à tous la porte de la foi
Homélie du 5° Dimanche de Pâques / Année C
15/05/2022
Cf. également :
Conjuguer le « oui » et le « non » de Dieu à notre monde
Dieu nous donne une ville
À partir de la fin !
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Persévérer dans l’épreuve
Comme des manchots ?
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
J’ai trois amours
Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses dures
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif
Dieu est un trou noir
Briefer et débriefer à la manière du Christ
Matteo Ricci et la querelle des rites chinois
Avez-vous déjà entendu parler de cette controverse célèbre ? Elle opposa les jésuites et les Missions Étrangères de Paris (MEP) autour d’une question stratégique pour l’évangélisation de la Chine au XVII° siècle : faut-il occidentaliser l’Église chinoise naissante ou siniser la foi chrétienne ?
En effet, trente années après la mort de François Xavier aux portes de la Chine (1552), des jésuites italiens, Michel Ruggieri et Matteo Ricci, pénètrent dans ce territoire. Ils se font admettre dans la société des lettrés chinois. Leur souci est de respecter les coutumes et la culture chinoise. Ils vont jusqu’à adapter la célébration de la messe, et en 1615 le pape Paul V autorise la liturgie en chinois. Il fut accordé en particulier l’autorisation de célébrer la tête couverte, car tel était le signe du respect en Extrême-Orient. Ce point peut paraître mineur, mais c’était l’indice d’une adaptation possible des rites sacrés, dès lors que leur signification profonde n’en était pas altérée. La Congrégation de la Propagande, créée en 1622 par Grégoire XV, va dans le même sens.
Mais l’arrivée des ordres mendiants en Chine provoque la ‘querelle des rites chinois’. Ils dénoncent « avec horreur les pratiques des jésuites qui permettaient aux chrétiens chinois de rendre à Confucius et aux morts les honneurs traditionnels habituels aux idolâtres de ce pays ». La querelle opposera surtout les jésuites, défenseurs des rites chinois, et les missionnaires des MEP, adversaires.
Dans cette controverse il y avait trois points importants :
- la question de savoir si la commémoration des ancêtres était en pratique un rite civil ou si elle avait une signification religieuse,
- la question de savoir si les cérémonies exécutées en l’honneur de Confucius par des savants chinois étaient séculières ou religieuses,
- la question de savoir si on pouvait trouver un accord concernant le mot chinois le plus approprié pour exprimer le concept « Dieu ».
Après bien des interdictions et autorisations successives, Benoît XIV finit par condamner définitivement dans un décret l’usage des rites chinois en 1742. L’incompréhension dont la papauté fait preuve à l’occasion de la querelle des rites détourne alors nombre de Chinois : en 1717, l’empereur chinois Kangxi, qui avait publié un édit de tolérance en faveur de la foi catholique en Chine, est tellement mécontent de la décision de Rome qu’il retire l’édit en question. Dès 1723, les missionnaires sont expulsés et les chrétiens persécutés, fragilisant une Église qui ne comptait guère plus de 200 000 chrétiens en Chine dès la fin du XVII° siècle. L’Église venait de perdre une occasion de se développer à l’intérieur de la culture chinoise.
Pie XII allait mettre fin en 1939 à l’interdiction de pratiquer les « rites chinois ». Et en 1946 l’Église catholique en Chine sera autorisée et encouragée par le pontife romain à établir une hiérarchie autochtone de plein droit, acceptée par le gouvernement chinois.
Trop tard, pourrait-on dire ! La querelle des rites chinois était une occasion historique dont l’Église n’a pas su tirer parti pour se préparer aux mutations ultérieures.
Dans un premier temps cependant, les autorités romaines avaient pris le parti des jésuites, avec notamment en 1659 une lettre admirable de la Congrégation De Propaganda Fide aux vicaires apostoliques du Tonkin et de Chine. Cette lettre est devenue ensuite une charte de l’évangélisation en pays inconnu, inspirant des missionnaires envoyés en Amérique latine, en Asie, en Afrique, dans les îles et ailleurs les siècles suivants. La lettre énonce les principes de ce qu’on appellerait aujourd’hui l’inculturation de l’Évangile dans des pays non occidentaux :
« Ne mettez aucun zèle, n’avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs à moins qu’elles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, l’Espagne, l’Italie ou quelque autre pays d’Europe ? N’introduisez pas chez eux nos pays, mais la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages d’aucun peuple, pourvu qu’ils ne soient pas détestables, mais bien au contraire veut qu’on les protège.
Il est pour ainsi dire inscrit dans la nature de tous les hommes d’estimer, d’aimer, de mettre au-dessus de tout au monde les traditions de leur pays et ce pays lui-même. Aussi n’y a-t-il pas de plus puissante cause d’éloignement et de haine que d’apporter des changements aux coutumes propres à une nation, principalement à celles qui y ont été pratiquées aussi loin que remontent les souvenirs des anciens. Que sera-ce si, les ayant abrogées, vous cherchez à mettre à la place les mœurs de votre pays, introduites du dehors ? Ne mettez donc jamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de l’Europe ; bien au contraire, empressez-vous de vous y habituer.
Admirez et louez ce qui mérite la louange. Pour ce qui ne le mérite pas, s’il convient de ne pas le vanter à son de trompe comme font les flatteurs, vous aurez la prudence de ne pas porter de jugement, ou en tout cas de ne rien condamner étourdiment et avec excès.
Quant aux usages qui sont franchement mauvais, il faut les ébranler plutôt par des hochements de tête et des silences que par des paroles, non sans saisir les occasions grâce auxquelles, les âmes une fois disposées à embrasser la vérité, ces usages se laisseront déraciner insensiblement ».
Il s’agissait donc de ne pas confondre la substance de la foi et son expression culturelle, le fond et la forme, le fruit et sa gangue. Que ce soit en matière de foi, de morale ou de liturgie, il est injuste d’imposer à un peuple des coutumes et des normes occidentales s’il a déjà dans son génie propre de quoi exprimer le cœur de l’Évangile.
La lettre indiquait également qu’il serait sage pour les missionnaires de se tenir à l’écart de toute affaire politique au sein des royaumes chinois, et de renoncer absolument à toute forme d’exercice du pouvoir, en lien avec le pouvoir colonisateur français notamment, pour éviter que l’annonce de l’Évangile soit polluée par des intérêts politiques :
« Aux peuples prêchez l’obéissance à leurs princes (…) ne critiquez pas leurs actions, même celles des princes qui vous persécuteraient. N’accusez pas leur dureté, ne reprenez rien dans leur conduite, mais dans la patience et le silence attendez de Dieu le temps de la consolation. Refusez-vous absolument à semer dans leurs territoires les germes d’aucun parti, espagnol, français, turc, persan ou autre. Bien au contraire, extirpez à la racine autant qu’il est en votre pouvoir toutes les rivalités de ce genre. Et si l’un de vos missionnaires, dûment averti, continue à alimenter de telles dissensions, renvoyez-le immédiatement en Europe, de peur que son imprudence ne mette les affaires de la religion en grand péril ».
Les objectifs sont clairs : créer un clergé autochtone, s’adapter aux mœurs et aux coutumes du pays tout en évitant de s’ingérer dans les affaires politiques, et enfin, ne prendre aucune décision importante sans en référer à Rome. Ajoutons que la condition de vie des missionnaires devrait s’inspirer de la pauvreté évangélique pour ne pas peser sur les communautés locales, et pour ne pas dépendre de l’argent étranger :
« Vous ne voudrez pas vous rendre odieux pour des questions matérielles. Souvenez-vous de la pauvreté des Apôtres qui gagnaient de leurs mains ce qui leur était nécessaire ».
‘Prêtres au travail’ aurait dû être la condition ordinaire des missionnaires, voire du clergé autochtone…
Benoît XV en rétablissant la légitimité d’une liturgie chinoise rappellera ce critère :
« Si le missionnaire se laisse en partie guider par des vues humaines et se préoccupe, fût-ce partiellement, de servir les intérêts de sa patrie, au lieu de se conduire en tout point en véritable apôtre, toutes ses démarches seront aussitôt discréditées aux yeux de la population ; celles-ci en viendront facilement à s’imaginer que le christianisme n’est que la religion de telle nation étrangère, que se faire chrétien est accepter la tutelle et la domination d’une puissance étrangère et renier sa propre patrie ».
Benoît XV, Maximum illud, 1919
Ouvrir aux nations la porte de la foi
Paul et Barnabé de retour à Antioche racontent leur voyage autour de la Méditerranée : Lystre, Iconium, Antioche de Pisidie, la Pamphylie, Pergé, Attalia, et finalement retour à Antioche de Syrie d’où ils étaient partis, envoyés par l’Église qui leur avait imposé les mains pour cela. Notre première lecture (Ac 14,21-27) montre ces deux envoyés faire leur débrief : ils racontent comment l’Esprit « a ouvert aux nations païennes la porte de la foi ». Superbe expression ! Pour en mesurer toute la portée, il faut se souvenir qu’aujourd’hui encore devenir juif implique d’accepter toutes les obligations et coutumes juives, de la circoncision au shabbat en passant par le châle de prière, les tsitsits etc. Les premiers chrétiens n’étaient jamais que des juifs messianiques, ils auraient pu vouloir obliger les païens à adopter toutes ces règles pour se convertir au Christ. D’ailleurs, c’est ce qui a failli arriver, sous la pression des juifs un peu traditionalistes de Jérusalem. Il aura fallu une assemblée plénière (« le premier concile ! ») et une vigoureuse intervention de Pierre racontant le baptême du centurion Corneille pour adopter une philosophie missionnaire dont la lettre de 1659 est très proche : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent : vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles, du sang, des viandes non saignées et des unions illégitimes. Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela. Courage ! » (Ac 15,28-29).
Du coup, on comprend qu’ouvrir aux nations la porte de la foi implique de ne rien leur imposer qui serait étranger au cœur du message. Et surtout ne pas confondre l’expression sémitique de la foi naissante avec son substrat essentiel. Sinon, comme il faut être de mère juive pour être juif, le christianisme des premiers siècles serait resté une petite secte confidentielle…
Il y avait tant d’interdits et d’obligations qui auraient rebuté les païens et les auraient empêché d’entrer dans l’Église : la circoncision pour les hommes, les bains rituels pour les femmes, la cacherout, les strictes obligations du shabbat, l’hébreu, les vêtements, l’interdiction de manger avec des impurs etc. Le passage aux païens a décanté la foi juive de son habillage, certes légitime en Israël, mais superflu et même contre-productif ailleurs.
Malheureusement, la querelle des rites chinois montre que, à partir de l’Édit de Milan environ (313), l’Église de Rome imposera souvent ses coutumes romaines, sa liturgie, sa langue, ses fêtes aux peuples colonisés. Byzance, la seconde Rome, fera de même à l’exception notable de Cyrille et Méthode au IX° siècle : ils créeront l’alphabet slave pour traduire le génie des peuples de l’Est, leur inventer une liturgie propre, et leur évangélisation intégrera le meilleur des cultures slaves.
Laisser Dieu ouvrir aux nations la porte de la foi demande donc de ne pas faire de copier-coller dans l’évangélisation, et de discerner les pierres d’attente qui dans chaque culture permette d’enraciner l’Évangile, au lieu de badigeonner une société d’un vernis de foi occidentale qui se lézarderait et disparaîtrait aussi vite que les Églises chrétiennes du nord de l’Afrique sous les coups de boutoir de l’islam dès le VII° siècle…
L’inculturation
Mais que signifie inculturer l’Évangile ? À vrai dire, les juifs avaient déjà commencé à tenir compte des cultures non sémitiques, notamment pour les juifs exilés qui devaient y vivre leur foi. On pense évidemment à la LXX (Septante), la traduction grecque de la Torah hébreu. C’est tellement difficile à avaler pour les traditionalistes de l’époque – on ne touche pas à la langue sacrée ! – qu’il a fallu inventer la légende des 70 vieillards pour légitimer la traduction grecque de la Torah. On aurait confié cette difficile tâche de traduction à 70 savants chevronnés qui travaillaient chacun de leur côté, sans communiquer, mais arrivèrent au final à la même version grecque, mot pour mot ! Belle légende que ce miracle qui fonde l’inculturation de la Bible, et toute l’exégèse. Oui, il est légitime de traduire la Bible dans une autre langue que l’original ! Les musulmans ne franchiront jamais le pas, et continuent d’apprendre le Coran par cœur en arabe. Juifs et chrétiens ont découvert que chaque langue peut porter la révélation du Dieu unique.
Il n’y a pas que la LXX qui témoigne de l’effort incessant d’inculturation du peuple choisi. La Commission Théologique Internationale rappelle qu’Israël a emprunté aux peuples voisins la plupart de ses rites et de ses fêtes :
« Les plus anciennes institutions d’Israël (par exemple la circoncision, le sacrifice du printemps, le repos du sabbat) ne lui sont pas spécifiques. Il les a empruntées aux peuples voisins. Une grande partie de la culture d’Israël a une origine semblable. Cependant, le peuple de la Bible a fait subir à ces emprunts de profonds changements quand il les a incorporés à sa foi et à sa pratique religieuse. Il les a passés au crible de la foi au Dieu personnel d’Abraham, libre créateur et sage ordonnateur de l’univers, en qui le péché et la mort ne sauraient trouver leur source. C’est la rencontre de ce Dieu, vécue dans l’Alliance, qui permit de comprendre l’homme et la femme comme des êtres personnels et de rejeter en conséquence les comportements inhumains inhérents aux autres cultures ».
Commission Théologique Internationale, Foi et inculturation, 1988, n° 2,3
Le génie d’Israël a été d’historiciser ces fêtes et coutumes, c’est-à-dire de les rattacher à des moments-clés de l’histoire du peuple (l’Exode, l’Exil, la Création etc.), superposant ainsi une signification monothéiste aux significations naturelles, rurales, intégrées dans la fête nouvelle. Saint Martin évangélisait la Gaule en pratiquant ce type d’inculturation, reprenant des lieux sacrés païens pour y construire des églises, baptisant des sources et des bois pour en faire des lieux de pèlerinage, s’inspirant des personnages des contes et légendes pour en faire des héros chrétiens etc.
La Commission Théologique Internationale précise que l’inculturation est un processus, c’est-à-dire un échange permanent entre Églises :
« Le processus d’inculturation peut être défini comme l’effort de l’Église pour faire pénétrer le message du Christ dans un milieu socioculturel donné, appelant celui-ci à croître selon toutes ses valeurs propres, dès lors que celles-ci sont conciliables avec l’Évangile. Le terme inculturation inclut l’idée de croissance, d’enrichissement mutuel des personnes et des groupes, du fait de la rencontre de l’Évangile avec un milieu social ».
Commission Théologique Internationale, Foi et inculturation, 1988, n° 1,11
Le Synode des évêques de 1985, qui célébrait le vingtième anniversaire de la clôture du concile Vatican II, a parlé de l’inculturation comme de « l’intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines ».
La même année, Jean-Paul II fêtant Cyrille et Méthode la définissait simplement :
« L’inculturation est l’incarnation de l’Évangile dans les cultures autochtones et, en même temps, l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Église ».
Jean-Paul II, Lettre encyclique Slavorum Apostoli à l’occasion du 11° centenaire de l’œuvre d’évangélisation des saints Cyrille et Méthode, 1985, n°21.
On le voit : il ne s’agit pas de canoniser trop vite tous les éléments d’une culture, car certains seront contraires à l’Évangile. Par exemple : l’excision des fillettes, la culture de la mafia, les discriminations hommes-femmes, la peur animiste devant l’invisible, l’individualisme moderne etc. De même, il serait injuste d’occidentaliser une Église naissante sous prétexte de lui annoncer la foi. Il s’agit en somme de « conjuguer le oui et le non de Dieu à notre monde » : en chaque culture, des éléments magnifiques témoignent du travail de l’Esprit bien avant l’arrivée de missionnaires chrétiens. Et d’autres éléments sont au contraire foncièrement opposés à l’Évangile. Entre ces deux extrêmes, beaucoup de valeurs locales demandent à être travaillées, transformées, baptisées pour porter le plus fidèlement possible le cœur de la foi.
C’est sur le plan liturgique que l’inculturation est la plus spectaculaire. Par exemple, le passage du latin aux langues locales dans la liturgie grâce à Vatican II a fait grincer bien des dents, mais sans cette inculturation de la liturgie, où en serions-nous ? Le passage au latin à Rome au IV° siècle, alors que seul le grec était la langue noble, avait déjà choqué les tenants d’une Tradition figée, immobile. En Afrique, on est allé plus loin en africanisant les rites des funérailles chrétiennes, en parlant de l’Église comme d’une famille africaine, ou même au Zaïre en célébrant la messe selon un rite propre, le rite zaïrois approuvé par Rome depuis 1988. Tous ceux qui ont vécu des messes en Afrique noire savent que les danses, les costumes traditionnels, les youyous des femmes, l’omniprésence des ancêtres etc…, tout cela est repris et assumé dans la liturgie eucharistique où l’assemblée se reconnaît, adhère, participe avec joie, corporellement et affectivement, sans rien perdre du contenu essentiel de la foi.
Inculturer l’Évangile, c’est encore pour chaque Église locale traduire la Bible dans sa langue, ses langues, instaurer des catéchistes laïcs ici ou des diacres permanents là, publier un catéchisme national actualisant le catéchisme de l’Église catholique, discerner ce qui est bon ou dangereux dans les lois votées dans le pays, susciter et accompagner les spiritualités intégrant le génie de chaque peuple etc.
L’inculturation est une œuvre ecclésiale, où chacun de nous a sa part. Car il est de notre devoir de baptisés d’écouter ce que l’Esprit dit à notre Église pour faire évoluer notre culture et mieux y adapter l’expression de notre foi.
Ouvrir à mon prochain la porte de la foi
Terminons sur une note plus personnelle, qui impliquera chacun. Car l’inculturation n’est pas qu’une œuvre collective. C’est également une attitude personnelle, qui concerne notre relation à nos collègues, amis, familles qui sont loin du Christ. À nous de trouver les mots qui sauront toucher le cœur de l’autre. Au lieu de réciter un discours appris, à nous de partir de la culture de l’autre pour y greffer notre témoignage, notre annonce. Ouvrir à mon prochain la porte de la foi relève d’une pédagogie pleine de respect et d’attention, pratiquant par questionnements plus que par affirmations, par témoignage plus que par contrainte, afin de mettre l’autre en contact avec le Christ, tel Jean-Baptiste au bord du Jourdain.
Cela nous demande encore de lever les obstacles qui empêchent l’autre de croire, comme un verrou tourné sur la porte de sa foi. C’est par exemple un malheur innocent qui l’éloigne de la possibilité de croire (un deuil, un accident, un handicap…), ou bien une vision déformée de l’Église, ou bien une ignorance de la profondeur humaine de la Bible, ou bien des arguments intellectuels qui demandent à débattre (l’Inquisition, les croisades, l’origine de l’univers, la science etc.). Ouvrir à l’autre la porte de la foi, c’est lever un à un ces verrous, ces obstacles qui l’empêchent, et patiemment lui permettre d’entendre le Christ lui murmurer : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3,20).
Ouvrir la porte de la foi, c’est également fermer celle du malheur. Au sens où Albert Camus décrivait cette porte dans l’Étranger (1942), lorsque Meursault tire sur un arabe qui le menace de son couteau sur la plage :
C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le révolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût.
Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur »…
Nos meurtres, nos enfermements, nos dénis font claquer sur nous la porte du malheur. Seule une pédagogie du pardon, un cheminement de vérité et de réconciliation pourront déverrouiller cette porte pour ouvrir celle de la foi, de la confiance dans la puissance de l’amour sur le mal. Que serait la mission chrétienne sans cette dimension proprement thérapeutique ?
« L’Esprit à ouvert aux nations païennes la porte de la foi ».
Inculturons donc l’Évangile, en général dans la vie de chaque Église, et en particulier dans nos relations avec nos proches, avec nous-même !
Lectures de la messe
Première lecture
« Ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux » (Ac 14, 21b-27)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé, retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ; ils affermissaient le courage des disciples ; ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui. Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie. Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé, ils descendirent au port d’Attalia, et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie. Une fois arrivés, ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi.
Psaume
(Ps 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13ab)
R/ Mon Dieu, mon Roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais ! ou : Alléluia. (Ps 144, 1)
Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.
Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.
Ils annonceront aux hommes tes exploits,
la gloire et l’éclat de ton règne :
ton règne, un règne éternel,
ton empire, pour les âges des âges.
Deuxième lecture
« Il essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 21, 1-5a)
Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »
Évangile
« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 31-33a.34-35)
Alléluia. Alléluia. Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Patrick BRAUD