L'homélie du dimanche (prochain)

4 mars 2024

Défaire le mensonge

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Défaire le mensonge

 

Homélie pour le 4° Dimanche de Carême / Année B 

10/03/2024

 

Cf. également :
 
Quels sont ces serpents de bronze ?

À chacun son Cyrus !
Démêler le fil du pêcheur
L’identité narrative : relire son histoire
Le chien retourne toujours à son vomi
La soumission consentie

Ne vous habituez pas à vivre dans le mensonge

La violence a besoin du mensonge


Info ou intox ?

Zelensky en danseur d’opérette, Macron exfiltré d’une manifestation, le pape en doudoune… : le Net n’en finit plus de déverser de fausses images, des deepfakes plus vraisemblables que la réalité. À tel point que chaque jour, des chaînes comme TF1, France 2, France 24  ou France Info concoctent une chronique quotidienne : ‘Info ou intox ?’, ‘Le vrai du faux’ etc., pour démasquer les tromperies, les ruses, les fausses rumeurs, qui enflent par millions de vues avant d’être vérifiées [1].

L’évangile de ce dimanche nous demande de « faire la vérité pour venir à la lumière ». Mais voilà : les menteurs de ce siècle aiment parader en pleine lumière, alors que les menteurs du temps de Jésus préféraient les ténèbres à la lumière de peur que leurs œuvres ne soient démasquées ! Les influenceurs russes par exemple montrent allègrement dans leurs posts leurs vidéos falsifiées, leurs témoignages fabriqués, et s’exposent sur les réseaux sociaux pour collecter le plus de vues et de likes possible !

Si bien que faire la vérité commence pour nous par défaire le mensonge qui circule en pleine lumière, sans honte ni remords, avec un cynisme effroyable, au service d’idéologies meurtrières.

 

Préalable nécessaire à l’opération-vérité, ce déminage de l’information et de la pensée n’en est pas pour autant suffisant. Sans s’épuiser comme Don Quichotte contre les moulins à vent des mensonges, nous devons également nous mettre en quête de la vérité dont parle le Christ. Ce qui suppose d’avoir le goût du vrai. Dans un petit ouvrage remarquable, Étienne Klein, philosophe des sciences, vulgarisateur (et centralien) de haute volée, constatait amèrement que l’appétence pour la vérité devenait plus rare. Les « post-vérités » ou « vérités alternatives » à la Trump, les faux airs doctes des antivax, la réécriture russe de l’histoire… : la poursuite des intérêts individuels et collectifs enfouit peu à peu la quête du vrai. Et les tonnes d’émotions produites à chaque fait divers n’arrangent rien !

« La philosophie des Lumières défendait l’idée que la souveraineté d’un peuple libre se heurte à une limite, celle de la vérité, sur laquelle elle ne saurait avoir de prise : les « vérités scientifiques », en particulier, ne relèvent pas d’un vote. La crise sanitaire a toutefois montré avec éclat que nous n’avons guère retenu la leçon, révélant l’ambivalence de notre rapport à la science et le peu de crédit que nous accordons à la rationalité qu’il lui revient d’établir. Lorsque, d’un côté, l’inculture prend le pouvoir, que, de l’autre, l’argument d’autorité écrase tout sur son passage, lorsque la crédibilité de la recherche ploie sous la force de l’évènement et de l’opinion, comment garder le goût du vrai – celui de découvrir, d’apprendre, de comprendre ? Quand prendrons-nous enfin sereinement acte de nos connaissances, ne serait-ce que pour mieux vivre dans cette nature dont rien d’absolu ne nous sépare ? » [2]. 

Nous préférons vanter des idées qui nous plaisent, plutôt que d’aimer celles qui sont justes. Le goût du vrai est peu à peu remplacé par la recherche de l’adhésion du plus grand nombre. Dans le domaine de la santé, cela engendre le complotisme antivax ; dans le domaine de l’information : des fake news ou de la propagande comme celle des Russes sur la guerre en Ukraine. Dans le domaine religieux, c’est l’affolement des croyances. Les gens sont prêts à croire à peu près n’importe quoi, du moment que cela leur fait du bien (croient-ils !). Les gourous se réclamant de Dieu pullulent, même au sein des congrégations religieuses respectées, comme l’ont tristement montré les affaires sur les frères Marie-Dominique et Thomas Philippe, ou sur Jean Vanier etc. Les théories les plus fumeuses se répandent, mélangeant allègrement le soi-disant surnaturel avec des médecines alternatives, des sagesses orientales détournées, ou même les ovnis et autres extra-terrestres… Sur Internet, n’importe qui se prétend expert de n’importe quoi, et les gogos re-twittent aussitôt sans réfléchir ni analyser, propageant ainsi les rumeurs les plus folles.

L’’irrationnel bat son plein dans le domaine religieux !

On voit par exemple de plus en plus de gens courir de sanctuaire en sanctuaire, pour chercher dans les apparitions mariales une réponse à leur inquiétude. Lourdes, Fatima, La Salette, Međugorje, Garabandal, Dozulé… : certains organisent des circuits comme des Tour operators, d’autres sont persuadés que les messages cachés, les secrets réservés aux voyants vont pouvoir sauver le monde, ou au moins leur petite existence.

 

Retrouver le goût de la vérité et le partager autour de soi est notre première réponse à l’appel du Christ ce dimanche.

Mais quelle vérité ?

 

Vérité grecque ou vérité hébraïque ?

Le dernier usage du mot vérité chez Jean nous laisse perplexes, sur un véritable point d’orgue : « qu’est-ce que la vérité ? », demande Pilate à Jésus (Jn 13,38) lié devant lui, se proclamant témoin de la vérité.

Qu’est-ce que la vérité ? Le Petit Larousse donne cette définition qui nous apparaît assez intuitive : « […] Adéquation entre la réalité et l’homme qui la pense. […] Connaissance ou expression d’une connaissance conforme à la réalité, aux faits tels qu’ils se sont déroulés ».

Défaire le mensonge dans Communauté spirituelle verite02En grec, le mot λθεια (aletheia) employé par Jean renvoie à tout une tradition philosophique, où la réalité est une manifestation physique très concrète, observable, objective (selon Aristote). Cette vérité-là préexiste à l’homme, et c’est à nous de la chercher, de la découvrir comme le trésor caché dans un champ. Faire la vérité, selon ce concept aristotélicien, c’est coller au réel. Mais, si l’on suit Platon, et Plotin plus encore, la vérité serait plutôt une construction intellectuelle, une théorie dans le monde des Idées, une vision de l’esprit permettant de comprendre le monde et au-delà. Faire la vérité serait alors bâtir une pensée qui reflète le plus fidèlement possible les phénomènes observés.

 

Emet - TruthMême si Jean emploie le nom grec λθεια, il lui donne un autre sens. Il est sans doute influencé par la pensée biblique, celle des prophètes et des sages parlant d’un Dieu de grâce et de vérité (Tobie 4,6;13,6). Les psaumes lient la Parole de Dieu et la vérité (ce que le Christ, Verbe de Dieu, accomplira pleinement) : « le fondement de ta parole est vérité (אֱמֶת = ‘emeth) » (Ps 119,160).

אֱמֶת : la vérité de l’Ancien Testament se situe d’emblée dans notre relation à Dieu. Elle comprend tout ce que prescrivent la Loi et la justice. Elle se traduit dans l’agir et en est l’exigence. Autrement dit, la vérité de l’Ancien Testament est relationnelle, quand la vérité grecque était plutôt objective : c’est dans le don de la communion avec lui-même que Dieu se révèle vrai et nous ajuste à sa vérité.

 

La vérité grecque est le dévoilement d’un réel extérieur, grâce au travail de l’intelligence humaine.
La vérité biblique est la réception par l’homme de la grâce d’une relation de communion avec YHWH, qui implique l’éthique, le droit et la justice.

La première relève plus de l’orthodoxie : ce qu’il faut penser pour être dans le vrai. 

La seconde relève de l’orthopraxie : comment il faut se conduire avec Dieu et les autres pour être dans le vrai.

Alors : λθεια ou אֱמֶת ?

 

Faire la vérité

Celui qui fait la vérité vient à la lumièreIl semble que Jean ait hésité souvent entre ces deux conceptions du mot, tout au long des 45 usages qu’il en fait dans ses écrits. Tantôt la vérité est simplement l’adéquation au monde tel qu’il est. Tantôt elle est une révélation divine qui se communique aux croyants pour l’ajuster aux mœurs de Dieu.

Penser vrai et agir vrai sont présents, entremêlés dans les textes du Nouveau Testament.

Pourtant, le passage de ce dimanche nous oriente vers une signification nouvelle, compatible avec les deux précédentes, mais ‘plus haute’ en quelque sorte.

« Celui qui fait la vérité vient à la lumière » : faire la vérité suppose qu’elle ne préexiste pas ; elle advient dans le moment même où on la fait. Voilà qui penche du côté de la vérité relationnelle chère à l’Ancien Testament. Jean précise d’ailleurs que la vérité est bien une action, une marche qui nous engage d’un point de vue éthique : « J’ai eu beaucoup de joie à trouver plusieurs de tes enfants qui marchent dans la vérité selon le commandement que nous avons reçu du Père » (2Jn 1,4) ; « J’ai eu beaucoup de joie quand des frères sont venus et qu’ils ont rendu témoignage à la vérité qui est en toi : ils ont dit comment tu marches dans la vérité. Rien ne me donne plus de joie que d’apprendre que mes enfants marchent dans la vérité » (3Jn 1,3-4). Cette marche est le processus qui fait advenir la vérité portée par le croyant. C’est une action, une manière de se comporter qui répond à l’Alliance. Par notre façon de vivre et d’agir, nous sommes alors « dans le vrai ». « Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité » (1Jn 3,18). 

Ne pas faire la vérité, ce n’est pas se tromper dans une théorie, une idée, un raisonnement, c’est agir en contradiction avec l’Alliance proposée par Dieu.

C’est pourquoi le mensonge est bien le contraire de la vérité, et non l’erreur : « Je ne vous ai pas écrit que vous ignorez la vérité, mais que vous la connaissez, et que de la vérité ne vient aucun mensonge » (1Jn 2,21). Mentir est un acte délibéré pour (se) détourner de l’Alliance. Et le diable est « le père du mensonge » (Jn 8,44)…

 

La vérité grecque n’est pas éliminée pour autant. Car en régime chrétien, la grâce prévaut sur l’effort éthique. Jean ne parle jamais de rechercher la vérité à la force du poignet, car elle nous est donnée par le Christ, en Christ, et ne résulte pas de l’œuvre de nos mains. Dieu se communique lui-même, et nous donne d’avoir part à la vérité qu’il est en lui-même. Quand Jésus ose dire : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6), il se situe bien comme la source de la communion à la vérité divine qui l’habite en plénitude. Faire la vérité demande donc d’accueillir une révélation ‘venue d’en haut’ ; elle n’est pas une construction humaine. Plus encore : elle est relation de communion avec une personne bien vivante, et non pas adhésion à un corpus doctrinal.

 

λθεια ou אֱמֶת : ces deux aspects de la vérité sont bien présents chez Jean. La vérité est un chemin à pratiquer, avec une forte dimension éthique. Elle n’en est pas moins donnée, non fabriquée, et se révèle à ceux qui sont en communion avec le Christ, explicitement ou non. Cette communion transforme l’agir du chrétien (et – par l’Esprit – l’agir de tout homme de bonne volonté) pour l’ajuster à l’amour trinitaire, et le faire ainsi venir à la lumière, c’est-à-dire se laisser illuminer par la source du discernement et de la sagesse.

 

Une vérité négative et provisoire

La Quête inachevée: Autobiographie intellectuelleNe sautons pas trop vite à cette étape ultime de l’union personnelle avec Dieu. Il faut d’abord déminer le terrain, déblayer la route. Faire la vérité demande au préalable de défaire les mensonges. On l’a évoqué en parlant des fake news qui fleurissent sur les réseaux sociaux. On peut le fonder en raison en s’appuyant sur Karl Popper (1902-1994), philosophe des sciences qui a étudié toute sa vie la question de la vérité scientifique. Il a remarqué que la plupart du temps, nous raisonnons par induction, en généralisant des observations qui semblent se répéter. Par exemple : « je n’ai vu dans ma vie que des cygnes blancs ». Le raisonnement inductiviste conclura : « tous les cygnes sont blancs ». Or cette assertion est indémontrable, car il faudrait examiner tous les cygnes : passés, présents et futurs ! Impossible ! Par contre, il suffit de trouver un seul cygne noir (qui existe bel et bien !) pour que l’assertion devienne fausse. C’est ce que Popper appelle la réfutabilité, la possibilité de tester ou non un énoncé pour éprouver sa validité.

Popper a donc remplacé une vision naïve et rassurante de la science – ça se vérifie à tous les coups, donc c’est vrai – par une conception infiniment plus inquiétante que l’on peut résumer comme suit : ça n’est pas infirmé, donc c’est non-faux, ou bien encore provisoirement vrai.

Si on ne peut tester une hypothèse pour l’infirmer, c’est donc qu’elle n’est pas scientifique. Elle relève alors de la magie, de la croyance, du mythe. Ainsi la psychanalyse n’est pas réfutable : l’interprétation des rêves ne peut être contredite par l’expérience ; les concepts freudiens sont des mythes – peut-être utiles – mais ne pouvant être scientifiquement réfutés.

 

«Si ce sont des confirmations que l’on recherche, il n’est pas difficile de trouver, pour la grande majorité des théories, des confirmations ou des vérifications » et donc « une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique ». Mettre à l’épreuve une théorie est « une tentative pour en démontrer la fausseté (to falsify) ou pour la réfuter ». On doit constater que « certaines théories se prêtent plus aux tests, s’exposent davantage à la réfutation que les autres, elles prennent, en quelque sorte, de plus grands risques ». Au total, le critère de la scientificité d’une théorie « réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester » [3].

 

La vérité scientifique selon Popper est négative, et provisoire.

– négative : je ne peux pas dire ce qui est vrai, mais seulement ce qui est faux (grâce à un test de réfutabilité).

– provisoire : les théories qui résistent à la réfutation par l’expérience seront peut-être un jour infirmées par d’autres, comme l’ont été les théories sur la terre plate, l’immobilité des étoiles, la gravitation de Newton, et même actuellement la physique relativiste ou la mécanique quantique. En attendant leur réfutation, elles sont admises comme les plus résistantes, donc avec un degré de vérité ‘supérieur’.

Rien n’est vrai absolument pour toujours : c’est provisoirement la meilleure approximation dont on dispose, jusqu’à ce qu’on mette en évidence des imperfections, des contradictions, des lacunes que d’autres théories viendront prendre en charge. C’est pourquoi la quête de la vérité scientifique est par essence une quête inachevée [4], asymptotique, s’approchant sans cesse davantage de la vérité sans jamais coïncider totalement avec elle.

 

71eUOXS3XBL._SL1500_ Jean dans Communauté spirituelleNégative et provisoire : n’est-ce pas également le lot de toute vérité que nous pourrions énoncer sur Dieu ? Le tétragramme YHWH, imprononçable, nous mettait sur cette voie d’un ineffable, au-delà de tout. Dieu est plus grand que tout, plus grand même que le mot Dieu… Car la relation avec une personne est inépuisable, et ne se réduit jamais à une liste de concepts ou de prescriptions ! Et la quête de Dieu n’est-elle pas elle aussi par essence une quête inachevée ?

 

Cette conception de la vérité nous appelle à réfuter les fausses images de Dieu qui prolifèrent en tout domaine, du politique au développement personnel en passant par les religions, et à ne jamais sacraliser pour toujours l’infiniment peu que nous avons commencé à saisir de l’infiniment grand. Ce qui désacralise également les systèmes figés statufiant Dieu sous les habits d’une époque…

 

Faisons la vérité, en commençant par défaire le mensonge, en nous et autour de nous, et nous viendrons à la lumière. 

 

__________________________________

[1]. Cf. par exemple le site de France 24 : https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/info-intox/

[2]. Étienne Klein, Le Goût du vrai, Tract n° 17, Gallimard, 2020.

[3]. Karl Popper, Conjectures et réfutations, La croissance du savoir scientifique, Payot, 2006, pp. 64-65

[4]. Cf. Karl Popper, La quête inachevée (Unended Quest; An Intellectual Autobiography, 1976), Calmann-Lévy, 1981.

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
La colère et la miséricorde du Seigneur manifestées par l’exil et la délivrance du peuple (2 Ch 36, 14-16.19-23)

 

Lecture du deuxième livre des Chroniques

En ces jours-là, tous les chefs des prêtres et du peuple multipliaient les infidélités, en imitant toutes les abominations des nations païennes, et ils profanaient la Maison que le Seigneur avait consacrée à Jérusalem. Le Seigneur, le Dieu de leurs pères, sans attendre et sans se lasser, leur envoyait des messagers, car il avait pitié de son peuple et de sa Demeure. Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu, méprisaient ses paroles, et se moquaient de ses prophètes ; finalement, il n’y eut plus de remède à la fureur grandissante du Seigneur contre son peuple. Les Babyloniens brûlèrent la Maison de Dieu, détruisirent le rempart de Jérusalem, incendièrent tous ses palais, et réduisirent à rien tous leurs objets précieux. Nabuchodonosor déporta à Babylone ceux qui avaient échappé au massacre ; ils devinrent les esclaves du roi et de ses fils jusqu’au temps de la domination des Perses. Ainsi s’accomplit la parole du Seigneur proclamée par Jérémie : La terre sera dévastée et elle se reposera durant 70 ans, jusqu’à ce qu’elle ait compensé par ce repos tous les sabbats profanés.
Or, la première année du règne de Cyrus, roi de Perse, pour que soit accomplie la parole du Seigneur proclamée par Jérémie, le Seigneur inspira Cyrus, roi de Perse. Et celui-ci fit publier dans tout son royaume – et même consigner par écrit – : « Ainsi parle Cyrus, roi de Perse : Le Seigneur, le Dieu du ciel, m’a donné tous les royaumes de la terre ; et il m’a chargé de lui bâtir une maison à Jérusalem, en Juda. Quiconque parmi vous fait partie de son peuple, que le Seigneur son Dieu soit avec lui, et qu’il monte à Jérusalem ! »

 

PSAUME
(136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6)
R/ Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir ! (cf. 136, 6a)

 

Au bord des fleuves de Babylone
nous étions assis et nous pleurions,
nous souvenant de Sion ;
aux saules des alentours nous avions pendu nos harpes.

 

C’est là que nos vainqueurs
nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils, quelque chant de Sion. »

 

Comment chanterions-nous un chant du Seigneur
sur une terre étrangère ?
Si je t’oublie, Jérusalem,
que ma main droite m’oublie !

 

Je veux que ma langue s’attache à mon palais
si je perds ton souvenir,
si je n’élève Jérusalem
au sommet de ma joie.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Morts par suite des fautes, c’est bien par grâce que vous êtes sauvés » (Ep 2, 4-10)

 

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ : c’est bien par grâce que vous êtes sauvés. Avec lui, il nous a ressuscités et il nous a fait siéger aux cieux, dans le Christ Jésus. Il a voulu ainsi montrer, au long des âges futurs, la richesse surabondante de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus. C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil. C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés dans le Christ Jésus, en vue de la réalisation d’œuvres bonnes qu’il a préparées d’avance pour que nous les pratiquions.

 

ÉVANGILE
« Dieu a envoyé son Fils pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 14-21)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que ceux qui croient en lui aient la vie éternelle. Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (Jn 3, 16)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »
 Patrick BRAUD

 

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13 septembre 2020

Dieu trop-compréhensible

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu trop-compréhensible

Homélie pour le 25° Dimanche du temps ordinaire / Année A
20/09/2020

Cf. également :
Le contrat ou la grâce ?
Personne ne nous a embauchés
Les ouvriers de la 11° heure
Premiers de cordée façon Jésus
Un festin par-dessus le marché

« Ne cherche pas à comprendre… »
- « Tu ne peux pas comprendre. C’est un mystère ».
Cette réponse assénée avec autorité par ma prof de caté autrefois me laissait à chaque fois insatisfait. Comment ! ? Il n’y aurait rien à comprendre dans le mystère de la Trinité ? dans le mystère eucharistique ? Dieu serait-il incompréhensible ? L’intelligence humaine devrait-elle abdiquer pour être capable d’adorer le Créateur ?

Une lecture trop rapide des textes de ce dimanche pourrait conforter ceux qui veulent ainsi mettre Dieu hors d’atteinte de l’homme.
Isaïe ne fait-il pas dire à Dieu : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées » ? C’est donc qu’il faudrait s’incliner sans comprendre, se soumettre sans protester ?
Et Matthieu ne décrit-il pas un patron incompréhensible qui paye les ouvriers de la onzième heure autant que ceux de la première ? Une telle injustice serait à mettre uniquement sur le compte du bon vouloir patronal qui fait ce qu’il veut sans avoir de comptes à rendre à personne : « n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens » ?

 

La dérive du Mektoub
Le durcissement de ce genre d’argumentation a déjà fait tant de dégâts par le passé ! Au nom de la transcendance divine, on a casé Dieu dans les failles de la raison, en se disant que là au moins il serait à l’abri. Jusqu’à justifier l’injustifiable : ‘si Dieu permet le malheur innocent, c’est qu’il a ses raisons ; si nous ne comprenons pas son action, c’est normal et il n’y a qu’à accepter, car Dieu est plus grand que nous’. On n’est pas loin du Mektoub musulman, c’est-à-dire de l’idée que la soumission au destin décidé par Dieu est la seule voie possible, sans pouvoir ni le comprendre ni le maîtriser. Dire que Dieu est incompréhensible conduit la plupart du temps à la résignation et au fatalisme. Et cela fournit à l’homme de beaux motifs de révolte. La controverse sur le tremblement de terre de Lisbonne au XVIII° siècle en est un bon exemple. Voltaire fournira dans son pamphlet une base solide à l’athéisme européen des siècles suivants. Le premier novembre 1755 en effet, le tremblement de terre de Lisbonne avec ses 30 000 morts provoque un choc considérable sur la sensibilité philosophique du XVIII° siècle et Voltaire, en particulier, restera obsédé par cette catastrophe. À ce moment-là, Voltaire s’éloigne définitivement des théories optimistes (Leibniz : « tout est bien » car Dieu organise « le meilleur des mondes possibles » même si nous ne comprenons rien à sa sagesse). Il ne supporte plus que l’on cherche à nier le mal ou à la justifier par l’incompréhensibilité divine.

Poème sur le désastre de LisbonnePOÈME sur le DÉSASTRE DE LISBONNE ou EXAMEN DE CET AXIOME : ‘TOUT EST BIEN’.

Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous : « C’est l’effet des éternelles lois
Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ? »
[…]
« Tout est bien, dites-vous, et tout est nécessaire. »
[…]
Ou l’homme est né coupable, et Dieu punit sa race,
Ou ce maître absolu de l’être et de l’espace,
Sans courroux, sans pitié, tranquille, indifférent,
De ses premiers décrets suit l’éternel torrent.

Loger Dieu dans les trous de notre connaissance, c’est le condamner à reculer à chaque fois que celle-ci avance. Autrefois, on organisait des rogations grandioses pour demander la pluie à Dieu lors d’une sécheresse : qui oserait le faire en France aujourd’hui (à part une poignée de catholiques traditionnels) ? Autrefois on croyait que les médailles miraculeuses épargnaient du choléra et de la peste : qui serait assez fou pour remplacer le masque par une médaille en période de Covid ? Récemment, certains essayaient de sauver Dieu-créateur en le mettant dans le big-bang, ou bien juste avant : mais si le big-bang s’avère n’être lui-même que la suite logique d’un big Crunch antérieur (Stephen Hawking), va-t-on déplacer encore l’acte créateur de quelques milliards d’années en arrière ? Et puis, comment pourrait-on renoncer à comprendre la Shoah et l’horreur des milliers de morts du XX° siècle sous prétexte que « les voies de Dieu sont impénétrables » ?

Si l’on en revient à nos lectures de ce dimanche, elles n’appellent pas à la grandeur de Dieu pour justifier l’injustifiable, mais au contraire pour justifier l’infinie miséricorde divine qui n’a rien à voir avec la vengeance ou même la justice humaines. Le chapitre 55 du livre d’Isaïe est situé entre la déclaration d’amour du Seigneur à Jérusalem pour la restaurer après l’Exil (chapitre 54) et la promesse d’y accueillir même les étrangers non juifs lorsqu’elle sera restaurée (chapitre 56) : les chemins de Dieu « qui ne sont pas comme ceux des hommes » sont donc des chemins de retour d’Exil et d’ouverture à l’universel, alors que les juifs désespéraient de revenir à Jérusalem, et qu’ils restaient encore fascinés par une identité fermée, excluant les étrangers de l’Alliance.

Quant à Mathieu et sa parabole des ouvriers de la 11° heure, il annonce une générosité divine certes surprenante – voire injuste – aux yeux des premiers, mais si bouleversante pour les derniers embauchés.

Dieu ne se révèle pas incompréhensible dans ces textes : il agit sans commune mesure avec nos raisonnements humains étriqués. Il est incommensurable plus qu’incompréhensible.

Au lieu d’opposer Dieu et raison, on devrait plutôt dire que Dieu est trop-compréhensible : plus je m’aventure en lui, plus je découvre qu’il y a bien plus encore à explorer. Dès que j’ai compris quelque chose de lui, je dois aussitôt le barrer ou le mettre de côté pour comprendre le contraire ou le tout autre. Les mystiques médiévaux ne témoignent-t-ils pas que Dieu est la coïncidence des contraires ? [1]

L’infinie distance entre Dieu et l’homme ne réside pas dans une impossibilité d’aller de l’un à l’autre (cf. l’échelle de Jacob), mais dans celle d’épuiser la richesse de l’un ou de l’autre. Ce n’est pas l’absurde ni l’incompréhensible qui caractérise Dieu, mais l’excès de signification, la plénitude de sens qui déborde toute théorie humaine sans pour autant la condamner.

 

La polysémie de l’Écriture
Prenons un exemple de cet excès de sens : la polysémie (pluralité de sens) de l’Écriture.
La parabole des ouvriers de la 11° heure peut donner lieu à une multitude d’interprétations. Si vous la lisez avec les lunettes de l’historien, vous y devinerez entre les lignes la situation au I° siècle des païens fraîchement convertis au Christ par rapport aux juifs devenus chrétiens : Mathieu demande qu’on les traite à égalité, alors que les juifs pourraient se targuer d’observer l’Alliance bien avant eux. Si vous chaussez les lunettes du psychologue, vous y lirez la chance de se convertir à tout âge de la vie. Qu’on soit baptisé à 20 ans ou à 70 ans ne confère aucun privilège ! On n’est jamais trop vieux pour rejoindre les ouvriers envoyés à la vigne. Si vous êtes moralistes, vous entendrez l’appel à résister à la jalousie, à la concupiscence qui est le vice faisant chuter les premiers en derniers. Au lieu de se réjouir du salaire des derniers, ils se comparent, ils veulent avoir plus, et cela les ferme à l’accueil du don qui leur est fait à eux aussi (la pièce d’argent). Si vous êtes économistes, vous serez sensibles à l’importance qu’a le travail ici pour humaniser le monde : le chômage est dégradant, et le maître de la vigne ne cesse de sortir de lui-même pour embaucher, ce qui est bien la responsabilité économique première. D’ailleurs, si vous êtes bibliste, ce verbe sortir résonnera en vous comme l’indice d’un Exode divin, d’un Exil où Dieu visite l’homme pour son salut, comme Moïse est sorti de son palais pour voir la misère de son peuple. Si vous êtes juriste, vous vous passionnez pour la dialectique du contrat et du don qui est à l’œuvre dans la parabole. Si vous êtes théologien, c’est la primauté de la grâce sur le droit qui nourrira votre méditation. Si vous êtes un peu tout cela et plus encore, alors vous n’en finirez pas d’explorer les harmoniques de ces quelques lignes vous ouvrant des perspectives de plus en plus vertigineuses.

Lire aux éclats par OuakninLes rabbins parlent d’une lecture infinie de la Torah parce qu’aucune interprétation ne peut prétendre enclore l’intégralité de sa richesse, et parce que plusieurs interprétations apparemment contradictoires peuvent coexister. L’évêque Grégoire de Nysse (IV° siècle) prolongeait cette intuition de la nécessaire polysémie de l’Écriture en la comparant à une source inépuisable :

Celui qui obtient en partage une de ces richesses ne doit pas croire qu’il y a seulement, dans la parole de Dieu, ce qu’il y trouve. Il doit comprendre au contraire qu’il a été capable d’y découvrir une seule chose parmi bien d’autres. Enrichi par la parole, il ne doit pas croire que celle-ci est appauvrie ; incapable de l’épuiser, qu’il rende grâce pour sa richesse. Réjouis-toi parce que tu es rassasié, mais ne t’attriste pas de ce qui te dépasse. Celui qui a soif se réjouit de boire, mais il ne s’attriste pas de ne pouvoir épuiser la source. Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source. Si ta soif est étanchée sans que la source soit tarie, tu pourras y boire à nouveau, chaque fois que tu auras soif. Si au contraire, en te rassasiant, tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur.

Rends grâce pour ce que tu as reçu et ne regrette pas ce qui demeure inutilisé. Ce que tu as pris et emporté est ta part ; mais ce qui reste est aussi ton héritage. Ce que tu n’as pas pu recevoir aussitôt, à cause de ta faiblesse, tu le recevras une autre fois, si tu persévères. N’aie donc pas la mauvaise pensée de vouloir prendre d’un seul trait ce qui ne peut être pris en une seule fois ; et ne renonce pas, par négligence, à ce que tu es capable d’absorber peu à peu. » Grégoire de Nysse (Homélie sur le Cantique des Cantiques)

Dieu trop-compréhensible est à l’image de cette source : plus on vient y boire, plus elle étanche notre soif, et plus elle suscite en nous d’autres soifs, d’autres désirs, et ceci à l’infini… Ainsi, « de commencements en commencements, par d’éternels commencements qui n’auront jamais de fin » (Grégoire de Nysse), nous pourrons sans cesse entrer dans le mystère de Dieu qui se révèle toujours plus grand que ce que nous aurons commencé à comprendre de lui.

 

Les noms divins
Un autre indice de l’excès du compréhensible en Dieu est la multitude des noms divins dans la Bible : « Adonaï » ; « Elohim » ; El Shaddai ; ‘El ‘Elyôn. Il est également « Sabaoth », « le Saint », « le Rocher », « l’Éternel », Berger, Justice, Amour, Père…

Pourtant, Moïse nous a appris à ne pas prononcer le Nom de Dieu, le Tétragramme : YHWH. Pour justement préserver sa transcendance, son altérité radicale. C’est donc qu’il nous faut à la fois accueillir Dieu comme le Tout-Autre et décliner son infinie différence en des termes familiers. Le Coran a précieusement recueilli cette tradition juive en égrenant le chapelet des 99 noms d’Allah tout en proclamant qu’il est l’Unique, au-dessus de tout. Quant aux chrétiens, ils reconnaissent en Jésus ce Dieu caché ; ils contemplent dans le crucifié le Père invisible ; ils croient que cet homme est le médiateur par qui nous pouvons communier avec Dieu en plénitude.

Dire que Dieu est trop-compréhensible n’est pas le rabaisser à ce que l’homme pourrait connaître de lui, ni lui enlever son caractère caché et ineffable. Car son incompréhensibilité réside justement dans le fait qu’il suscite une infinité de compréhensions possibles tout en les excédant toutes. Il est bien « l’Au-delà de tout » (Grégoire de Naziance), mais tout nous parle de lui.

Dieu est dans l’excès, toujours offert, jamais atteint ; toujours désiré, jamais possédé ; incompréhensible et compréhensible à la fois.

St Anselme plaidait pour que l’intelligence puisse rendre raison de la foi : « fides quaerens intellectum », et St Augustin pour que les deux quêtes humaines fassent système : « croire pour comprendre et comprendre pour croire ».

Loin d’éteindre l’intelligence humaine, le mystère qu’est Dieu la stimule et lui ouvre des horizons reculant sans cesse.

 

La quête inachevée de la science (et de l’amour)
Karl Popper: La quete inacheveeUne autre piste pour évoquer l’excès du compréhensible en Dieu est le mouvement même de la science moderne. Karl Popper (1902-1994) a bien montré que la recherche scientifique est par nature inachevée, car le réel excède toujours les représentations scientifiques. Les plus belles théories seront tôt ou tard contestées et remplacées par d’autres, plus puissantes. Une fois un problème résolu, éventuellement par une théorie, « nous nous efforçons aussi de prévoir les nouveaux problèmes que soulève notre théorie ». Et, ajoute-t-il, « la tâche est infinie et ne peut jamais être achevée ». Les théories progressent grâce à un jeu de tests sévères qui éliminent les fausses théories. La nouvelle théorie est celle qui résiste le mieux, provisoirement, à ces tests expérimentaux. Elle a un pouvoir explicatif plus grand que l’ancienne, qu’elle inclut d’ailleurs en temps qu’approximation (ex : Einstein incluant Newton). La science ne peut atteindre la vérité. Toute théorie est provisoire : c’est une quête inachevée de la vérité. La science vise certes la réalité des choses, mais elle ne peut donner qu’une approximation de la réalité. Elle indique avec certitude ce qui est faux, mais non ce qui est vrai.
Thomas Kühn (1922-1996) a mis en évidence les changements de paradigmes qui permettent d’élargir ou de changer radicalement notre vision du monde, de Newton à Einstein, de Maxwell à Planck…
Nul scientifique n’oserait plus affirmer aujourd’hui ce que le chimiste Berthelot fanfaronnait au XIX° siècle :« le monde est désormais sans mystère ». Au contraire, la science se fait humble, sachant qu’elle ne sait pas grand-chose, et que toute découverte soulève cent questions encore plus passionnantes !

La quête inachevée qu’est la science par nature nous donne alors une idée de ce qu’est la vie en Dieu : de trouvailles en découvertes, d’inventions géniales en progrès fulgurants, le mouvement de la quête scientifique vers le réel ressemble étrangement au mouvement de ceux qui cherchent Dieu de l’intérieur, le comprenant toujours plus tout en voyant leur ignorance s’accroître sans cesse…

C’est également le mouvement de la bien-aimée en quête de son bien-aimé dans le Cantique des cantiques… 

« Mes pensées ne sont pas vos pensées, mes chemins ne sont pas vos chemins » : que l’Esprit du Christ mette nos pas sur les chemins de Dieu, et nous deviendrons des pèlerins du trop-compréhensible

 


[1]coincidentia oppositorum (Nicolas de Cues ; 1401 – 1464). Selon lui, en passant à la limite, la raison est obligée de changer de régime, en passant du principe de non-contradiction à celui de la « coïncidence des opposés ». Un polygone inscrit dans un cercle finit par exemple par devenir le cercle lui-même, et donc une figure sans côté (un non-polygone), à mesure que le nombre de côtés augmente (quadrature du cercle). Dieu se conçoit comme fin infinie, limite illimitée, distinction indistincte, la coincidentia oppositorum ouvrant, seule, la voie d’accès à l’infini.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55, 6-9)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ;invoquez-le tant qu’il est proche.Que le méchant abandonne son chemin,et l’homme perfide, ses pensées !Qu’il revienne vers le Seigneurqui lui montrera sa miséricorde,vers notre Dieuqui est riche en pardon.Car mes pensées ne sont pas vos pensées,et vos chemins ne sont pas mes chemins,oracle du Seigneur.Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins,et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

 

PSAUME
(Ps 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18)
R/ Proche est le Seigneur de ceux qui l’invoquent. (cf. Ps 144, 18a)

Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
Il est grand, le Seigneur, hautement loué ;
à sa grandeur, il n’est pas de limite.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de tous ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

DEUXIÈME LECTURE
« Pour moi, vivre c’est le Christ » (Ph 1, 20c-24.27a)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens

Frères,soit que je vive, soit que je meure,le Christ sera glorifié dans mon corps.En effet, pour moi, vivre c’est le Christ,et mourir est un avantage.Mais si, en vivant en ce monde,j’arrive à faire un travail utile,je ne sais plus comment choisir.Je me sens pris entre les deux :je désire partirpour être avec le Christ,car c’est bien préférable ;mais, à cause de vous, demeurer en ce mondeest encore plus nécessaire.
Quant à vous,ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ.

ÉVANGILE
« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20, 1-16)
Alléluia. Alléluia.La bonté du Seigneur est pour tous,sa tendresse, pour toutes ses œuvres :tous acclameront sa justice.Alléluia. (cf. Ps 144, 9.7b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là,Jésus disait cette parabole à ses disciples :« Le royaume des Cieux est comparableau maître d’un domaine qui sortit dès le matinafin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée :un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent,et il les envoya à sa vigne.Sorti vers neuf heures,il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire.Et à ceux-là, il dit :Allez à ma vigne, vous aussi,et je vous donnerai ce qui est juste.’Ils y allèrent.Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures,et fit de même.Vers cinq heures, il sortit encore,en trouva d’autres qui étaient là et leur dit :Pourquoi êtes-vous restés là,toute la journée, sans rien faire ?’Ils lui répondirent :Parce que personne ne nous a embauchés.’Il leur dit :Allez à ma vigne, vous aussi.’
Le soir venu,le maître de la vigne dit à son intendant :Appelle les ouvriers et distribue le salaire,en commençant par les dernierspour finir par les premiers.’Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrentet reçurent chacun une pièce d’un denier.Quand vint le tour des premiers,ils pensaient recevoir davantage,mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier.En la recevant,ils récriminaient contre le maître du domaine :Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure,et tu les traites à l’égal de nous,qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !’Mais le maître répondit à l’un d’entre eux :Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi.N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?Prends ce qui te revient, et va-t’en.Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi :n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ?Ou alors ton regard est-il mauvaisparce que moi, je suis bon ?’
C’est ainsi que les derniers seront premiers,et les premiers seront derniers. »
 Patrick BRAUD

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1 septembre 2019

La docte ignorance

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La docte ignorance

Homélie du 23° Dimanche du Temps Ordinaire / Année C
08/09/2019

Cf. également :
Pourquoi Paul n’a-t-il pas voulu abolir l’esclavage ?
S’asseoir, calculer, aller jusqu’au bout
Toussaint : le bonheur illucide
Cendres : soyons des justes illucides

La docte ignorance dans Communauté spirituelle 9782020251556-475x500-1« Voyez ce qui arrive quand le feu a pénétré le bois: il le transforme en lui-même et se l’unit ; puis, si ce feu devient plus intense et qu’il continue, il rend ce bois plus incandescent et plus enflammé, jusqu’à ce qu’enfin ce bois, devenu feu à son tour, lance des étincelles et des flammes. Telle est l’image de ce qui se passe ici. L’âme donne à entendre qu’elle est déjà, dans ce degré de transformation, tout embrasée; elle est déjà si transformée et si ennoblie intérieurement dans le feu d’amour que non seulement elle est unie à ce feu, mais que de plus elle lance elle-même de vives flammes. »

Cette image de saint Jean de la Croix dans « la vive flamme d’amour » (1585) évoque une expérience spirituelle accessible à tous. Il nous arrive en effet de communier si intensément à une musique, un paysage, une lecture, un visage que nous ne le savourons plus de l’extérieur : nous devenons alors cette musique, ce paysage, cette lecture, ce visage jusqu’à ne faire plus qu’un. Si bien que nous ne savons même plus ce que nous sommes en train de faire, oubliant tout pour le bonheur unique de faire corps. Celui qui vibre ainsi à l’unisson se perd lui-même. Il ne sait plus qui il est, s’il est heureux ou non, et cela lui importe peu. Son bonheur est illucide. Il ne peut en avoir conscience, car ce serait l’obliger à sortir de cette expérience de communion pour la regarder de l’extérieur. La vive flamme d’amour est ainsi : ceux  qu’elle éclaire et réchauffe sont à l’extérieur d’elle ; ceux qui demeurent en son sein brûlent d’eux-mêmes sans le vouloir ni s’en rendre compte. Ils sont paradoxalement d’autant plus dans l’obscurité qu’ils sont cachés au cœur de la flamme. D’où l’autre métaphore de saint Jean de la Croix, celle de la nuit obscure (poème de 1585) :

 « O nuit, toi qui m’as guidée! O nuit plus aimable que l’aurore ! O nuit qui a uni l’aimé avec sa bien-aimée qui a été transformée en lui ! »

C’est de nuit que se produit la transformation de aimant en l’être aimé : la nuit des sens (ne rien ressentir, ce qui me dissocierait de l’autre), la nuit de l’intelligence (ne pas savoir ni comprendre, ce qui réduirait l’autre à un objet de connaissance ou de compréhension), la nuit de l’âme elle-même (« ce n’est plus moi qui vis, mais Christ qui vit en moi », s’écrie Paul en 2Co).

« Ce que je me suis proposé dans cet écrit, c’est d’expliquer cette nuit de la contemplation à beaucoup d’âmes qui s’y trouvaient et qui n’en avaient pas connaissance. »

La première lecture de ce dimanche (Sg 9, 13-18) rejoint cette expérience spirituelle d’union et de transformation :

Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? Les réflexions des mortels sont incertaines, et nos pensées, instables ; car un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées. Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ; ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ? Et qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? C’est ainsi que les sentiers des habitants de la terre sont devenus droits ; c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés.

158e7219f0a5ff87d0651e9334cdf817 docte ignorance dans Communauté spirituelleLa sagesse commence par une confession de non-savoir : nous sommes trop limités pour saisir l’infini, trop assujettis aux lois de la nature pour imaginer ce qui échappe à ces lois, et leur auteur encore moins. Il y a une telle disproportion entre Dieu et l’homme que bien fous seraient ceux qui prétendraient pouvoir le connaître et l’approcher par eux-mêmes. Le Tétragramme hébreu YHWH exprime cette impossibilité par le fait même qu’il est imprononçable.

La tradition mystique du Moyen Âge a exploré cette voie de notre radicale inconnaissance de Dieu, dont Nicolas de Cues est un digne représentant, avec son traité « La docte ignorance » de 1440. Son raisonnement est solide : nous ne connaissons que par proportionnalité avec ce que nous pouvons saisir, par le corps, l’esprit où la pensée. Or Dieu échappe par nature absolument à toutes ces tentatives de conquête par la raison, le sentiment ou la volonté. Le fou croit qu’il peut monter à l’assaut du ciel. Le sage commence par reconnaître son ignorance radicale, et par là même devient capable d’accueillir le don de Dieu, c’est-à-dire Dieu se communiquant lui-même. D’où l’oxymore : docte ignorance. Cette ignorance devient source d’un autre savoir, celui qui est donné et non celui qui est conquis, ce qui suppose de reconnaître notre ignorance fondamentale. « Qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? ». Sans l’Esprit qui vient  nous transformer, comment connaître qui est Dieu ? Du coup, Nicolas souligne le rôle majeur de la théologie négative en christianisme : nous ne pouvons savoir ni dire qui est Dieu, mais nous pouvons discerner ce qu’il n’est pas, ouvrant ainsi la voie à une quête infinie…

La Docte Ignorance

Toute recherche, par conséquent, procède par des comparaisons proportionnelles faciles ou difficiles. C’est pourquoi l’infini qui échappe en tant qu’infini à toute proportion demeure inconnu. [...]
Or la précision des combinaisons dans les réalités corporelles et l’adaptation exacte du connu à l’inconnu dépassent tellement la raison humaine que Socrate disait que savoir pour lui était ignorer. Le très profond Aristote affirme dans sa Philosophie première que, concernant les choses les plus manifestes dans la nature, nous rencontrons autant de difficulté que la chouette voulant voir le soleil en face, assurément alors, puisque le désir en nous n’est pas vain, nous désirerons savoir que nous ignorons. Si nous saisissons ceci pleinement, nous saisirons la docte ignorance. En effet, même l’homme le plus savant n’arrivera à la plus parfaite connaissance que s’il est trouvé très docte dans l’ignorance même, qui lui est propre, et il sera d’autant plus docte qu’il saura que son ignorance est plus grande. […]

La sainte ignorance nous a enseigné que Dieu est ineffable, parce qu’il est infiniment plus grand que tout ce qui peut être nommé. Comme il est ce qu’il y a de plus vrai, nous parlerons de lui avec plus de vérité par soustraction et par négation.
Nicolas de Cues, La docte ignorance, 1440

Dieu est au-delà de toutes nos représentations. Si bien que dès que nous affirmons quelque chose sur Dieu (exemple : il est lumière), nous devons aussitôt le barrer pour ne pas l’enfermer dans une réalité trop partielle (exemple : il est aussi ténèbres).

Le Moyen Âge s’est ainsi nourri d’une longue lignée spirituelle, des Pères de l’Église comme Denys l’Aréopagite jusqu’à la mystique rhénane (Maître Eckhart, Suso, Tauler) en passant par l’école carmélitaine (Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix). Ensuite, l’avènement des sciences dites positives et des Lumières ont discrédité pour un temps en Occident cette voie spirituelle. Aujourd’hui, l’humidité relative des sciences plaiderait plutôt pour un retour à cette tradition du non-savoir, où la confession d’ignorance est source de progrès. Un représentant majeur de la philosophie des sciences – Karl Popper - parle par exemple de la quête inachevée de la recherche scientifique, et du caractère très provisoire de toute théorie. Car une théorie scientifique n’est jamais absolument vraie : elle résiste plus ou moins bien aux tests de falsification auxquels les chercheurs la soumettent pour en déceler les failles. Ils sont tout heureux lorsqu’ils la mettent en échec, car cela signifie qu’un pan entier encore inexploré de la connaissance s’ouvre devant eux. La gravité de Newton s’efface devant la relativité d’Einstein, qui elle-même est contestée par la mécanique quantique etc. : nul scientifique ne peut dire que quelque chose est vrai. Par contre, il démontrera que dans telles conditions, avec tels paramètres, une théorie est inexacte, ce qui ouvre la voie à d’autres recherches. Cette philosophie négative du progrès scientifique consonne de manière remarquable avec la théologie négative des Pères de l’Église, et avec la docte ignorance de Nicolas de Cues. Comme le chante une hymne attribuée à Saint Grégoire de Naziance souvent repris dans le bréviaire, Dieu est l’incommensurable que nous ne pouvons pas saisir, mais seulement accueillir :

O Toi l’au-delà de tout, comment t’appeler d’un autre nom ?
Quelle hymne peut te chanter ? aucun mot ne t’exprime.
Quel esprit te saisir ? nulle intelligence ne te conçoit.
Seul, tu es ineffable ; tout ce qui se dit est sorti de toi.
Seul, tu es inconnaissable ; tout ce qui se pense est sorti de toi.
Tous les êtres te célèbrent, ceux qui parlent et ceux qui sont muets.
Tous les êtres te rendent hommage, ceux qui pensent comme ceux qui ne pensent pas. L’universel désir, le gémissement de tous aspire vers toi Tout ce qui existe te prie et vers toi tout être qui sait lire ton univers fait monter un hymne de silence.
Tout ce qui demeure, demeure en toi seul.
Le mouvement de l’univers déferle en toi. De tous les êtres tu es la fin, tu es unique.
Tu es chacun et tu n’es aucun.
Tu n’es pas un être seul, tu n’es pas l’ensemble : Tu as tous les noms, comment t’appellerai-je ?
Toi le seul qu’on ne peut nommer ; quel esprit céleste pourra pénétrer les nuées qui voilent le ciel lui-même ?
Aie pitié, ô Toi, l’au-delà de tout ; comment t’appeler d’un autre nom ?

Transposez aux responsabilités les plus ordinaires cette théorie de la docte ignorance.

Et si le matin, devant le visage de votre conjoint ou de vos collègues, vous commenciez par une humble confession de non-savoir ? Vous pourriez avoir l’esprit  libre pour découvrir du neuf, de l’inattendu chez ceux que vous croyez connaître si bien…

Et si, devant un projet ou une mission complexe, devant un défi professionnel délicat à relever, vous commenciez par accepter de ne pas savoir ? Vous vous entoureriez alors de bons conseils, d’une équipe ad hoc pour l’écouter et construire la marche à suivre avec elle. Tant de petits chefs arrivent en croyant qu’ils vont résoudre les problèmes par leur seule autorité et compétence !

Et si, dans une association humanitaire ou solidaire, vous commenciez par donner la parole à ceux que vous voulez aider, au lieu de vous précipiter dans l’action qui vous semble la plus adaptée ? Ceux qui prétendent connaître les besoins des pauvres avant eux et à leur place font toujours d’immenses dégâts !

 

Vous voyez, c’est l’expérience la plus simple du monde : reconnaître que ce que j’ignore est infiniment plus grand que ce que j’ai commencé à connaître. Cette  ignorance devient docte lorsqu’elle me rend disponible pour accueillir ce que l’autre peut me communiquer (jusqu’à accueillir Dieu se communiquant lui-même !). Confesser son ignorance rend libre pour laisser l’autre m’unir à lui, et découvrir ainsi de l’intérieur ce qui est sage de penser et de faire.

Ces innombrables confessions de non-savoir sont comme un mode dégradé, mais utile, de la radicale inconnaissance qui peut devenir le lieu de notre union à Dieu. Loin de tout fanatisme nourri de peur, loin des dogmatismes nourris d’orgueil, la démaîtrise constitutive de cette expérience spirituelle n’est pas réservée à des virtuoses de la sainteté dans les monastères ou les ermitages. C’est un chemin finalement simple et offert à tous, qui demande seulement de brûler du désir de communier à l’autre (musique, paysage, lecture, visage, Dieu…).

Et si vous vous entraîniez très concrètement cette semaine à regarder autrement ceux/ce que vous croyez connaître, en confessant que ce que vous ignorez est beaucoup plus grand que ce que vous croyez en connaître ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? » (Sg 9, 13-18)

Lecture du livre de la Sagesse

Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? Les réflexions des mortels sont incertaines, et nos pensées, instables ; car un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées. Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ; ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ? Et qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? C’est ainsi que les sentiers des habitants de la terre sont devenus droits ; c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés.

PSAUME
(Ps 89 (90), 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc)
R/ D’âge en âge, Seigneur, tu as été notre refuge. (Ps 89, 1)

Tu fais retourner l’homme à la poussière ;
tu as dit : « Retournez, fils d’Adam ! »
À tes yeux, mille ans sont comme hier,
c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit.

Tu les as balayés : ce n’est qu’un songe ;
dès le matin, c’est une herbe changeante :
elle fleurit le matin, elle change ;
le soir, elle est fanée, desséchée.

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nos cœurs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ?
Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin,
que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains.

DEUXIÈME LECTURE
« Accueille-le, non plus comme un esclave, mais comme un frère bien-aimé » (Phm 9b-10.12-17)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre à Philémon

Bien-aimé, moi, Paul, tel que je suis, un vieil homme et, qui plus est, prisonnier maintenant à cause du Christ Jésus, j’ai quelque chose à te demander pour Onésime, mon enfant à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ. Je te le renvoie, lui qui est comme mon cœur. Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu’il me rende des services en ton nom, à moi qui suis en prison à cause de l’Évangile. Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses ce qui est bien, non par contrainte mais volontiers. S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : il l’est vraiment pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur. Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi, accueille-le comme si c’était moi.

ÉVANGILE
« Celui qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple » (Lc 14, 25-33)
Alléluia. Alléluia. Pour ton serviteur, que ton visage s’illumine : apprends-moi tes commandements.
Alléluia. (Ps 118, 135)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, de grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.
Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, si jamais il pose les fondations et n’est pas capable d’achever, tous ceux qui le verront vont se moquer de lui : ‘Voilà un homme qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !’ Et quel est le roi qui, partant en guerre contre un autre roi, ne commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec dix mille hommes, affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ? S’il ne le peut pas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix. Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »
Patrick BRAUD

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7 décembre 2016

Dieu est un chauffeur de taxi brousse

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Dieu est un chauffeur de taxi brousse


Homélie du 3° dimanche de l’Avent / Année A
11/12/2016

L’Église est comme un hôpital de campagne !

La joie parfaite, et pérenne

Du goudron et des carottes râpées

La revanche de Dieu et la nôtre

 

« Bientôt »

Une gare routière – ou équivalent – au Niger. Voyageant jusqu’à Alger à travers le désert, je me renseigne devant un taxi brousse qui affiche partir vers la frontière :

- Quand partez-vous ?
- Bientôt.
- Bientôt ? Mais c’est quand bientôt ?
- C’est bientôt ! Tu peux attendre là.
- … ?

Et me voilà à cheval sur une branche près du taxi brousse, guettant le moindre signe d’activité préparant un départ éventuel. La même scène se répète une fois, deux fois, dix fois… D’autres voyageurs me rejoignent et me font signe d’arrêter de m’agiter inutilement. Finalement, nous ne partirons que le lendemain après-midi, lorsque le nombre de voyageurs sera tel qu’il sera impossible à la pauvre 404 bâchée de loger plus que la trentaine de passagers, avec leurs bagages empilés sur la galerie au-dessus et sur les côtés.

Le bientôt du chauffeur n’était pas celui d’un occidental, mais d’un africain qui attend que son taxi brousse soit plein à ras bord avant que de donner le signal du départ.
Un autre rapport au temps…

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Et si Dieu se comportait avec nous comme le chauffeur de ce taxi brousse ? Et si son retard apparent était en réalité l’expression de son désir de rassembler le plus de monde possible ? Et s’il avait un autre rapport au temps que le nôtre ?

C’est ce que semble suggérer l’apôtre Jacques dans sa lettre. Il fait la comparaison avec le cultivateur, qui est obligé d’attendre que la terre porte son fruit, sans pouvoir rien faire d’autre que de patienter avec confiance :

« Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience. Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive. Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche. » (Jc 5, 7-10)

Le temps de l’Avent a pour but de le réveiller en nous l’attente de la venue du Christ à la fin des temps, et ainsi de nous éduquer à la patience, pour ne pas nous décourager ni renoncer à attendre…

 

La tentation de s’installer à son compte

Les premiers chrétiens auxquels Jacques s’adresse supposaient que ce retour du Christ en gloire allait être imminent : demain, la semaine prochaine, au plus tard dans quelques mois. Aussi, plus les années passaient, plus ils étaient déçus et s’éloignaient de cette perspective.

Afficher l'image d'origineAlors nous, deux mille ans après, nous avons 2000 raisons de plus d’être impatients  (qu’est-ce qu’il attend pour rétablir enfin la justice dans ce monde ?) ou désabusés (il ne viendra pas ; à nous de nous organiser sans lui).

Dans un pays pourtant ultrareligieux comme les États-Unis, un sondage de 2010  indiquait que 40 % des Américains seulement croyaient et espéraient en le retour du Christ. En France, il y a fort à parier que moins de 10 % de réponses seraient positives…

Notre tentation actuelle n’est plus l’impatience eschatologique, mais plutôt l’installation dans le seul horizon de ce monde-ci, sans autre perspective. Même les chrétiens les plus fervents seront tentés de s’investir dans une espérance à court terme, sans rien attendre d’autre finalement que le résultat du travail de leurs mains. Il chante l’anamnèse avec cœur à chaque eucharistie (« nous attendons ta venue dans la gloire ») mais reviennent à leurs activités de la semaine comme si la venue du Christ n’allait jamais se produire, et surtout comme si de toute façon cela ne changerait rien, car cela arrivera bien trop tard pour moi…

Tout au plus transférons-nous l’événement de la rencontre du Christ glorieux à l’heure de notre mort personnelle : là, oui, ce monde finira, au moins pour le mourant. Mais l’autre fin du monde, pour tous… : on a le temps ! Les générations futures verront ça après nous, peut-être.

À force de trop attendre, nous avons largement renoncé à espérer.
Espérer que l’histoire humaine ne débouche pas sur elle-même, mais sur la rencontre d’un autre.
Espérer que la justice soit pleinement manifestée (le juge est à notre porte).
Espérer que l’homme ne soit pas seul à transformer cette planète et cet univers.
Espérer un avenir collectif, communautaire, communionnel, et non pas une vague survie individuelle après la mort.

 

La société ouverte de Karl Popper

En mathématiques – plus précisément en topologie – on dit d’un espace qu’il est ouvert s’il existe une suite convergente d’éléments de cet espace dont la limite n’appartient pas à cet espace.

Afficher l'image d'origineKarl Popper, philosophe des sciences, s’est basé sur son concept de réfutabilité pour définir ce qu’il appelle une société ouverte [1]. Toute assertion scientifique n’est vraie que provisoirement, en attendant qu’une autre proposition vienne la réfuter, ce qui arrive inéluctablement dans le développement de la pensée scientifique. C’est donc que la vérité scientifique n’est pas immuable, ni absolue. La science est une quête, indéfinie, inachevée par essence, car ne bouclant jamais sur un résultat définitif. En transposant cela à la sociologie politique, Karl Popper définit une société ouverte comme une société où le pluralisme (démocratique) fait en sorte qu’aucun pouvoir ne soit absolu, immuable, définitif. Une société ouverte est caractérisée par l’alternance pacifique des gouvernances, par le côté relatif et contestable de tout pouvoir. Une société ouverte laisse de la place à autre chose qu’elle-même, alors qu’une société fermée est totalitaire, et empêche toute altérité de contester le pouvoir en place.

On pourrait dire que l’Avent nous oblige à maintenir ce monde ouvert, au sens topologique, comme au sens de Popper : la résultante de tous nos efforts humains n’appartient pas à ce monde-ci, mais au monde autre que le Dieu tout autre viendra inaugurer dans la venue du Christ et la résurrection finale. Le progrès humain reste contestable, « réfutable », et n’ouvre pas de lui-même sur l’avenir de l’humanité.

Le taxi brousse divin est encore bien loin d’être plein ! Nous attendons à côté, avec une foule de passagers qui grossit, de toutes langues, couleurs, nations. Il nous semble que cela dure depuis trop longtemps. Certains dorment sur leurs valises. D’autres sont déjà repartis à pied ailleurs. D’autres se lamentent et gémissent.

Soyons de ceux qui, comme Jacques, invitent à la persévérance et à la patience.
Oui, tout cela va bien quelque part.
Non, je ne sais pas quand ni comment.
Mais je suis sûr que le chauffeur du taxi brousse va nous appeler bientôt.
Un bientôt divin, qui ne s’inscrit pas dans notre temps humain.
Un bientôt qui vise le salut du plus grand nombre.

 


[1] . Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis, 2 tomes, 1945.

 

 

1ère lecture : « Dieu vient lui-même et va vous sauver » (Is 35, 1-6a.10)
Lecture du livre du prophète Isaïe

Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose, qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sarone. On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu. Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient.

Psaume : Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10a

R/ Viens, Seigneur, et sauve-nous !
ou : Alléluia !  
(cf. Is 35, 4)

Le Seigneur fait justice aux opprimés,
aux affamés, il donne le pain,
le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.

Le Seigneur protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin.
D’âge en âge, le Seigneur régnera.

2ème lecture : « Tenez ferme vos cœurs car la venue du Seigneur est proche » (Jc 5, 7-10)
Lecture de la lettre de saint Jacques

Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience. Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive. Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche. Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. Voyez : le Juge est à notre porte. Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

Evangile : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 2-11)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Alléluia. (cf. Is 61, 1)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ. Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »

 Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? un roseau agité par le vent ? Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme habillé de façon raffinée ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois. Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer le chemin devant toi. Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. »
Patrick BRAUD

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