L'homélie du dimanche (prochain)

17 novembre 2024

Est-ce que je suis juif, moi ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Est-ce que je suis juif, moi ?

 

Homélie pour la fête du Christ Roi / Année B
24/11/24

Cf. également :
Christ-Roi : idéologie ou spiritualité ?
Christ-Roi : Comme larrons en foire
Le jugement des nations
Un roi pour les pires
Église-Monde-Royaume
Le préfet le plus célèbre
Christ-Roi : Reconnaître l’innocent
La violence a besoin du mensonge
Non-violence : la voie royale
Le Christ-Roi, Barbara et les dinosaures
Roi, à plus d’un titre
Divine surprise
Le Christ-Roi fait de nous des huiles

D’Anubis à saint Michel
Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?
Roi, à plus d’un titre
Les trois tentations du Christ en croix
Le préfet le plus célèbre
Des « juifs perfides » à « nos frères aînés »

 

Des chiffres inquiétants

Le nombre d’actes antisémites recensés en France a bondi à 1676 lors de l’année 2023, contre 436 l’année précédente, alerte un rapport du CRIF de 2024. Cette quasi-multiplication par quatre en un an doit être mise en perspective : on avait quelques dizaines d’actes par an dans les années 1990, quelques centaines sur la période 2000-2022.

Entre le jour de l’attaque terroriste du Hamas en Israël et le 31 août, 1660 citoyens français de confession juive ont décidé de faire leur alya (‘montée’ ou retour à Jérusalem).

On constate une hausse de 300 % des actes antisémites au premier trimestre 2024 par rapport à la même période en 2023. Et, en 2023, les actes antisémites représentaient 60% des actes antireligieux [1], contre 26% en 2022, alors que les juifs ne sont que 0,6% de la population française (la communauté juive de France est la première communauté juive d’Europe, avec environ 500 000 personnes vivant sur le territoire national).

 

De manière inquiétante, les vieilles calomnies sur une influence juive supposée dans les médias ou les affaires gagnent en audience : plus de la moitié des Français y croient ! Pire encore, les doutes sur la manipulation du statut de victimes de la Shoah atteignent désormais un Français sur deux.

Antisémitisme 1

Source : https://www.fondapol.org/etude/radiographie-de-lantisemitisme-en-france-2/ 

 

Si 17 % des Français aux globales sont sensibles aux thèses antisémites, les moins de 35 ans sont 23 % : les jeunes générations semblent à nouveau sensibles aux thèses antijuives.

Antisémitisme 2 

Indice de pénétration (en %), de l’antisémitisme : par tranche d’âge

 

Comme on s’y attendait, les Français de confession musulmane sont 3 fois plus nombreux que les autres à penser que l’antisémitisme n’est pas leur problème.

Antisémitisme 3 

Une attitude « à la Pilate » en quelque sorte, comme le rapporte notre Évangile du Christ Roi (Jn 18,33-37) : « Est-ce que je suis juif, moi ? » clame Pilate pour se dédouaner des troubles survenus au sein de Jérusalem pendant la Pâque. Et bientôt, il se lavera les mains du sort de Jésus, ne voulant avoir rien en commun avec ce peuple qu’il gouverne militairement au nom de Rome.

 

Depuis les massacres terroristes du Hamas le 7 octobre 2023, nombre de nos concitoyens allument leur télévision en souhaitant regarder ailleurs : « Est-ce que je suis juif, moi ? »

Sous-entendu : cela ne me regarde pas. Pourquoi se mêler d’un conflit où il n’y a que des coups à prendre ? Cette indifférence se transforme en hostilité ouverte pour certaines générations plus jeunes, musulmanes ou LFI (ou les deux) : « ils n’ont que ce qu’ils méritent ! ». « Ce sont des colons, capitalistes, qui font subir aux Palestiniens un ‘génocide’ qu’ils légitiment par la Shoah, cherchant ainsi à faire oublier la Naqba = la catastrophe de la création de l’État d’Israël en 1948″.

 

Cette dégradation de l’opinion publique en France appelle de la part des chrétiens un sursaut courageux.

Revenons au face-à-face entre le roi des juifs et le préfet romain le plus célèbre de l’histoire : que peut nous apprendre Pilate sur la lâcheté politique ?

 

Pilate, où l’antisémitisme passif

 

- Qui était Ponce Pilate ?

Ponce PilateSon nom le désigne comme membre de l’ordre équestre du sud de l’Italie, les Pontii (d’où Ponce), du clan des Samni. C’est à ces chevaliers que Rome confiait les préfectures des territoires perdus de l’empire. Son nom est peut-être la trace de son origine marine : Pontius = de la mer / Pilatus = armé (d’une lance).

Quoi qu’il en soit, on ne sait rien de lui avant qu’il soit nommé en Judée par Tibère (de 26 à 37). Là, il réside à Césarée de Philippe pour éviter la populace de Jérusalem et ses violences récurrentes. Il restera 11 ans à ce poste : longévité assez rare pour un préfet à l’époque, grâce à ses soutiens auprès de Tibère. Il se fait remarquer par un cynisme et une violence extrêmes. Il brave la fierté juive en installant des boucliers d’or avec des images de l’empereur dans Jérusalem (or la foi juive proscrit le culte des images). Devant l’indignation du peuple, il recule cette fois-ci. Mais sa main ne tremblera pas pour donner l’ordre de massacrer à coups de gourdins des manifestants juifs protestant contre le détournement de l’argent du Temple de Jérusalem pour faire construire un aqueduc. Et sa répression sanglante d’un rassemblement de samaritains au monde Garizim fait tant de bruit que le légat voisin de Syrie, son hiérarchique, le déferrera à Rome pour être jugé. Mais Tibère meurt avant que Pilate n’arrive à Rome. Selon une tradition reprise par Eusèbe, il tomba en disgrâce sous le règne de Caligula et finit par se suicider, à Vienne (France) ou Lucerne (Suisse) selon des légendes peu crédibles (la tradition éthiopienne le fait mourir martyr à Rome, une fois converti au christianisme). On perd ensuite sa trace.

 

Tacite (Annales, XV, 44) fait mention de Pilate très brièvement en parlant des chrétiens : « Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus ».

Au total, les historiens comme Flavius Joseph ou Philon d’Alexandrie font de lui un portrait beaucoup moins flatteur que les Évangiles. Pour les premiers chrétiens, il fallait en effet atténuer la responsabilité des Romains dans l’assassinat de Jésus si on voulait vivre en bonne intelligence avec eux partout dans l’empire. Quitte à charger les autorités juives (ou le peuple entier pour Jean) d’une culpabilité beaucoup plus écrasante. Ce qui hélas sera à la source d’un antisémitisme ecclésial indigne de Jésus.

 

Bref, Pilate était un sale type, un fonctionnaire dur et inflexible, dont les chrétiens ont cherché à adoucir les traits pour ne pas compromettre leurs relations déjà précaires avec les autorités romaines (les persécutions commenceront très vite après la mort du Christ).

 

Tel qu’il est, cruel kapo à l’image retravaillée par la tradition orale chrétienne et la plume des évangélistes, Ponce Pilate nous intéresse cependant à plus d’un titre.

 

- Antisémitisme passif

Pilate a donc été capable des pires cruautés et exactions contre le peuple juif qu’il  gouvernait d’une main de fer. Ici, devant Jésus, il paraît plutôt hésitant. Ce ‘roi des juifs’  est si dérisoire, si entêté… Il voudrait bien ne pas être impliqué dans ces dissensions compliquées. Mais se proclamer roi – fût-ce de pacotille – est un acte politique qui conteste l’autorité de l’Empire : impossible de s’en désintéresser totalement. Se lavant les mains du problème, Pilate incarne une ligne de conduite qui n’en est pas une : laisser les juifs endosser la responsabilité des événements, quoi qu’il arrive. Et pouvoir ensuite les accuser si cela tourne mal. Bien sûr, Pilate rejette Jésus à cause de sa prétention royale plus que de sa judéité, mais finalement il englobe tous les protagonistes dans son mépris du peuple d’Israël.

 

L’antisémitisme passif aujourd’hui encore renvoie les juifs à leur responsabilité comme s’ils étaient les uniques acteurs et coupables de leurs malheurs. Les braves gens de la France occupée en 1939-45 fermaient les yeux sur ce qu’ils auraient pu voir ou entendre à propos des 200 camps de détention construits chez eux, des trains emmenant des familles juives qu’on ne revoyait plus, des théories raciales sur les Untermenschen (les sous-hommes) au nez crochu… « Est-ce que je suis juif, moi ? »

Est-ce que je suis juif, moi ? dans Communauté spirituelle 66e04a18599c2dbf618b4585

 

Aujourd’hui, les mêmes braves gens trouvent que, quand même, la guerre en Israël coûte trop cher, que Tsahal en fait trop, que tout cela va mal se terminer pour tout le monde si  Israël s’entête. Pourquoi se mobiliser pour un camp plutôt qu’un autre ? « Est-ce que je suis juif, moi ? »

 

Heureusement il y eut Pie XI, qui n’a pas détourné son regard de la tragédie en préparation dans les années 30 : « L’antisémitisme est inadmissible ». « Spirituellement, nous sommes des sémites » (1938). Il condamne l’Action Française dès 1926 pour son antisémitisme, et publie en 1937 l’encyclique Mit brenneder Sorge (avec une brûlante inquiétude) écrite en allemand, et lue en chaire dans toutes les églises d’Allemagne le dimanche des Rameaux pour contourner l’interdiction d’Hitler.

 

Heureusement il y eut le cardinal Saliège qui ne détourna pas les yeux du sort réservé aux juifs de Toulouse et de France, au milieu d’une fausse indifférence générale.

 

Heureusement, il y eut tous les justes qui cachèrent, protégèrent et exfiltrèrent leurs compatriotes juifs poursuivis par les nazis.

 

Heureusement, il y eut Vatican II qu’il a lavé les juifs de l’accusation de « peuple déicide » :

« Ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S’il est vrai que l’Église est le nouveau Peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. […]

En outre, l’Église, qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu’ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l’Évangile, déplore les haines, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs » (Nostra Aetate n°4).

 

Heureusement, il y eut Paul VI qui promulgua en 1970 une nouvelle version de la grande prière universelle du Vendredi Saint pour qu’il ne soit plus fait mention des « juifs perfides » (« Prions aussi pour les Juifs perfides afin que Dieu Notre Seigneur enlève le voile qui couvre leurs cœurs et qu’eux aussi reconnaissent Jésus, le Christ, Notre-Seigneur ») : « Prions pour les Juifs, à qui Dieu a parlé en premier : qu’ils progressent dans l’amour de son Nom et la fidélité de son Alliance. (Tous prient en silence. Puis le prêtre dit :) Dieu éternel et tout-puissant, toi qui as choisi Abraham et sa descendance pour en faire les fils de ta promesse, conduis à la plénitude de la rédemption le premier peuple de l’Alliance, comme ton Église t’en supplie. Par Jésus, le Christ, notre Seigneur ».

 

Heureusement, il y eut Jean-Paul II qui lors de sa visite à la synagogue de Rome en 1986 osa rappeler les liens de famille qui nous unissent : « Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés ». C’était la première fois qu’un pape se rendait dans une synagogue.

 

Au lieu de se laver les mains du sort des juifs à la Pilate, ces chrétiens et tant d’autres ont lavé le peuple juif des fausses accusations millénaires proférées de tous bords contre lui !

Allons-nous rester sur le côté, regardant le Moyen-Orient de loin, en nous excusant : « Est-ce que je suis juif, moi ? Est-ce que je suis palestinien ? »

Allons-nous  répéter la lâcheté de Caïn : « Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? »

 ___________________________________________

[1]. Voici les chiffres des actes anti-religieux à date recensés sur l’année 2023 par le Ministère de l’Intérieur :
- 1762 actes antisémites (pour 0,6% de la population !)
- 564 actes antichrétiens
- 131 actes antimusulmans

 

_________________________________________

 

Excursus sur les différents visages de l’antisémitisme

 

L’antisémitisme actuel prend de nombreuses formes, combinant parfois des éléments religieux, économiques, raciaux et politiques aux origines très anciennes. Il est alimenté par les tensions au Moyen-Orient, la montée des théories du complot, et les divisions sociales croissantes en Europe et aux États-Unis. L’antisémitisme a évolué à travers les siècles, passant d’une hostilité religieuse à des formes plus politiques, économiques et raciales. Chaque époque a vu l’émergence de figures clés qui ont attisé ces sentiments de haine, influençant la perception du peuple juif.

 

L’antijudaïsme chrétien

C’est une opposition religieuse où beaucoup de Pères de l’Église dénonçaient le rejet par les juifs du Christ comme Messie  d’Israël. Les croisades et l’Inquisition ont nourri une féroce haine populaire contre les juifs, engendrant pogroms et discriminations en tous genres.

Cela allait jusqu’à l’accusation de « peuple déicide » dont on a vu que Vatican II a lavé le peuple juif, mettant fin à plus d’un millénaire d’hostilité chrétienne. 

 

Le mythe du juif errant

Le roman-feuilleton d’Eugène Sue, « Le Juif errant », connaît l’un des plus grands succès publics du XIX° siècle (1844-45). Sue exploite l’idée de la malédiction qui accompagne le Juif errant en faisant coïncider son arrivée à Paris avec l’épidémie de choléra d’avril 1832 qui a fait plus de 12 000 victimes – on ignorait alors presque tout sur cette maladie et son mode de propagation. À ce mythe du Juif errant viennent s’ajouter les vieilles calomnies médiévales accusant les juifs de pratiques sataniques : sacrifices d’enfants vivants ou de chrétiens, profanation d’hosties, empoisonnement de sources, crachats sur des crucifix, etc.

 

L’antijudaïsme musulman

5-189x300 antisémitisme dans Communauté spirituelleLe Coran reproche aux juifs d’avoir falsifié le message des prophètes, et ne tolère les juifs que s’ils payent une taxe et reconnaissent l’Islam comme religion d’État. C’est la dhimmitude, statut censé protéger les minorités comme les juifs ou les chrétiens moyennant taxe financière et statut inférieur : « Combattez ceux qui ne croient ni en Dieu ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce que Dieu et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, après s’être humiliés » (Coran 29,9).

« À cause de leur violation de l’engagement, Nous avons maudits les Juifs et endurci leurs cœurs : ils détournent les paroles de leur sens et oublient une partie de ce qui leur a été rappelé. Tu ne cesseras de découvrir leur trahison, sauf d’un petit nombre d’entre eux. Pardonne-leur donc et oublie [leurs fautes]. Car Dieu aime, certes, les bienfaisants » (Coran 5,13).

Du côté du Hamas, du Hezbollah ou de l’Iran, l’objectif final est au mieux un pays où les trois religions abrahamiques cohabiteraient pacifiquement « à l’ombre de l’islam », donc dans la situation inégalitaire qui était celle des États islamiques anciens. Et leur référence aux « Protocoles des Sages de Sion » (un célèbre faux, inventé de toutes pièces par la Russie tsariste pour calomnier les Juifs) est récurrente, ce qui transforme l’histoire en un vaste complot juif.

 

L’antisémitisme de gauche

La critique de Marx sur le pouvoir financier international des grandes familles juives rejoint la position de nombre d’autres penseurs révolutionnaires socialistes voulant abolir la religion, et la religion juive tout particulièrement. 

« Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son Dieu profane ? L’argent. Eh bien, en s’émancipant du trafic et de l’argent, par conséquent du judaïsme réel et pratique, l’époque actuelle s’émanciperait elle-même » (Karl Marx, La question juive, 1843). Ayant des adversaires dans les milieux économiques, certains socialistes, sous une certaine forme radicale, cultivent l’idée que les Juifs sont surreprésentés à ce niveau-là. Ils ne se rendent peut-être pas compte, ou bien ce n’est pas leur problème, mais ces athées puisent leur imaginaire dans le Moyen Âge chrétien, où les Juifs étaient exclus des métiers liés à la terre et poussés à s’investir par exemple dans la finance, interdits aux chrétiens à cause du commandement biblique sur l’usure et le prêt à intérêt.
Voltaire n’a pas de sarcasmes assez cinglants envers le peuple juif, « le plus abominable de la terre », « peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine » (Dictionnaire philosophique, 1764).

La France a été la première nation à attribuer la pleine égalité de droits aux Juifs par le vote de l’Assemblée constituante en 1791. Le député Clermont-Tonnerre, lors des débats de l’Assemblée sur la citoyenneté active, avait cependant affirmé : « Aux Juifs, en tant que nation, il faut tout refuser ; mais aux Juifs, en tant qu’hommes, il faut tout accorder [...] il ne peut y avoir de nation dans la nation ». On voit qu’en poussant un peu loin ce précepte, en soi légitime, on pouvait s’acheminer vers l’alternative suivante : ou les Juifs perdent leurs particularités, autrement dit ou ils s’assimilent complètement (renonçant au sabbat, à l’alimentation casher, etc.), et dès lors ils sont pleinement Français car ils ont cessé d’être Juifs ; ou bien, ils gardent leurs coutumes et leurs lois, et dès lors ils doivent être « expulsés ». Tandis que la droite (l’abbé Maury notamment) disait : respectons les convictions religieuses des Juifs mais n’en faisons pas des citoyens, la gauche, elle, pouvait, en offrant la citoyenneté aux Juifs, leur interdire à terme ce qu’on n’appelait pas encore ‘le droit à la différence’.

Proudhon écrit dans ses Carnets :

« Juifs. Faire un article contre cette race qui envenime tout, en se fourrant partout, sans jamais se fondre avec aucun peuple. Demander son expulsion de France, à l’exception des individus mariés avec des Françaises ; abolir les synagogues, ne les admettre à aucun emploi, poursuivre enfin l’abolition de ce culte » Pour lui, le juif est « l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou l’exterminer ».

En mai 1895, Jaurès, en voyage en Algérie, décèle « sous la forme un peu étroite de l’antisémitisme… un véritable esprit révolutionnaire » (La Dépêche de Toulouse, 8 mai 1895), et il y stigmatise « l’usure juive ».

La gauche française prendra certes le parti de Dreyfus, mais certains extrêmes continueront de propager des thèses antijuives.

 

L’antisémitisme racial

Il n’est hélas que trop célèbre, depuis Hitler et les pseudos théories scientifiques aryennes voulant démontrer l’infériorité d’une prétendue race juive qui n’existe pas. On espère que cette haine n’est plus que résiduelle dans le monde…

 

L’antisionisme

Les États et courants politiques ou religieux (musulmans essentiellement) qui s’opposent à la création de l’État d’Israël ne parlent jamais du peuple juif ni d’Israël, mais des « sionistes » et de « l’entité sioniste » qu’ils veulent combattre jusqu’à son élimination pure et simple. C’est l’idéologie du Hamas qui veut libérer la Palestine « du fleuve à la mer », c’est-à-dire du Jourdain à la Méditerranée en expulsant tous les juifs. C’était l’idéologie du grand Mufti de Jérusalem dont les alliances et l’amitié avec Hitler ont discrédité l’autorité religieuse. C’est toujours l’idéologie du Hezbollah, et du régime chiite en Iran, combattant pour la destruction et l’anéantissement d’Israël.

 

L’islamo-gauchisme

L’alliance d’opportunité électorale entre des haines musulmanes antijuives et les critiques de gauche sur le capitalisme juif supposé fait que dans les sondages en France aujourd’hui, les électorats LFI des quartiers populaires plutôt musulmans sont 3 à 4 fois plus antisémites que la moyenne des Français…

 

L’antisémitisme d’extrême droite

Héritier de Drumont, de l’affaire Dreyfus et les théories du complot, certains courants d’extrême droite véhiculent encore des idées nauséabondes sur l’élimination du « pouvoir juif ».

 

L’histoire montre qu’il n’y a pas d’atavisme antisémite. Jaurès n’a-t-il pas finalement défendu Dreyfus ? L’écrivain Georges Bernanos, disciple de l’antisémite Drumont, n’a-t-il pas combattu courageusement le franquisme et le régime de Vichy ?

_________________________________________

 

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Sa domination est une domination éternelle » (Dn 7, 13-14)

Lecture du livre du prophète Daniel

Moi, Daniel, je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

Psaume
(Ps 92 (93), 1abc, 1d-2, 5)
R/ Le Seigneur est roi ; il s’est vêtu de magnificence.
 (Ps 92, 1ab)

Le Seigneur est roi ;
il s’est vêtu de magnificence,
le Seigneur a revêtu sa force.

Et la terre tient bon, inébranlable ;
dès l’origine ton trône tient bon,
depuis toujours, tu es.

Tes volontés sont vraiment immuables :
la sainteté emplit ta maison,
Seigneur, pour la suite des temps.

Deuxième lecture
« Le prince des rois de la terre a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu » (Ap 1, 5-8)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

À vous, la grâce et la paix, de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. Voici qu’il vient avec les nuées, tout œil le verra, ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ; et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. Oui ! Amen !
Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’univers.

Évangile
« C’est toi-même qui dis que je suis roi » (Jn 18, 33b-37) Alléluia. Alléluia. 
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Alléluia. (Mc 11, 9b-10a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , ,

18 novembre 2018

Le préfet le plus célèbre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 01 min

Le préfet le plus célèbre

Homélie pour la fête du Christ-Roi / Année B
25/11/2018

Cf. également :
Le Christ-Roi, Barbara et les dinosaures
Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?
Les trois tentations du Christ en croix
La violence a besoin du mensonge
Divine surprise
Le Christ Roi fait de nous des huiles
Non-violence : la voie royale
Roi, à plus d’un titre
Un roi pour les pires


Chaque dimanche, plus d’un milliard de personnes récitent son nom sans le connaître. Il n’était qu’un obscur fonctionnaire d’une lointaine province agitée de l’empire romain. On n’a retrouvé de lui qu’une inscription sur une pierre à Césarée en Palestine, avec le nom de son maître Tibère. Pourtant, Pilate sert de repère à la foi chrétienne, au point de l’insérer dans le Credo comme un ancrage historique essentiel.

La fête du Christ-Roi (Jn 18, 33b-37) nous rend témoins du dialogue étonnant entre le prophète de Galilée et le préfet romain le plus célèbre de l’histoire. Qu’avons-nous à apprendre de Pilate ? En quoi éclaire-t-il la royauté du Jésus devenu la nôtre par le baptême ?


Qui était Ponce Pilate ?

Son nom le désigne comme membre de l’ordre équestre du sud de l’Italie, les Pontii (d’où Ponce), du clan des Samni. C’est à ces chevaliers que Rome confiait les préfectures des territoires perdus de l’empire. Son nom est peut-être la trace de son origine marine : Pontius = de la mer / Pilatus = armé (d’une lance).

Quoi qu’il en soit, on ne sait rien de lui avant qu’il soit nommé en Judée par Tibère (de 26 à 37). Là, il réside à Césarée de Philippe pour éviter la populace de Jérusalem et ses violences récurrentes. Il restera 11 ans à ce poste : longévité assez rare pour un préfet à l’époque, grâce à ses soutiens auprès de Tibère. Il se fait remarquer par un cynisme et une violence extrêmes. Il brave la fierté juive en installant des boucliers d’or avec des images de l’empereur dans Jérusalem (or la foi juive proscrit le culte des images). Devant l’indignation du peuple, il recule cette fois-ci. Mais sa main ne tremblera pas pour donner l’ordre de massacrer à coups de gourdins des manifestants juifs protestant contre le détournement de l’argent du Temple de Jérusalem pour faire construire un aqueduc [1]. Et sa répression sanglante d’un rassemblement de samaritains au monde Garizim fait tant de bruit que le légat voisin de Syrie, son hiérarchique, le déferrera à Rome pour être jugé. Mais Tibère meurt avant que Pilate n’arrive à Rome. Selon une tradition reprise par Eusèbe, il tomba en disgrâce sous le règne de Caligula et finit par se suicider, à Vienne (France) ou Lucerne (Suisse) selon des légendes peu crédibles (la tradition éthiopienne le fait mourir martyr à Rome, une fois converti au christianisme). On perd ensuite sa trace.

Tacite (Annales, XV, 44) fait mention de Pilate très brièvement en parlant des chrétiens : « Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus ».

Au total, les historiens comme Flavius Joseph ou Philon d’Alexandrie [2] font de lui un portrait beaucoup moins flatteur que les Évangiles. Pour les premiers chrétiens, il fallait en effet atténuer la responsabilité des Romains dans l’assassinat de Jésus si on voulait vivre en bonne intelligence avec eux partout dans l’empire [3]. Quitte à charger les autorités juives (ou le peuple entier pour Jean) d’une culpabilité beaucoup plus écrasante. Ce qui hélas sera à la source d’un antisémitisme ecclésial indigne de Jésus.

Ainsi le célèbre geste de Pilate qui « s’en lave les mains » après la clameur de la foule réclamant Barabbas plutôt que Jésus n’est guère crédible. Cette ablution rituelle est typiquement juive (Dt 21, 6-8) [4]  et on voit mal Pilate - qui justement veut ne rien avoir en commun avec les juifs (« est-ce que je suis juif, moi ? ») - adopter cette coutume religieuse pour lui-même, qui plus est dans l’exercice public de son autorité impériale romaine.

Bref, Pilate était un sale type, un fonctionnaire dur et inflexible, dont les chrétiens ont cherché à adoucir les traits pour ne pas compromettre leurs relations déjà précaires avec les autorités romaines (les persécutions commenceront très vite après la mort du Christ).

Tel qu’il est, cruel kapo à l’image retravaillée par la tradition orale chrétienne et la plume des évangélistes, Ponce Pilate nous intéresse cependant à plus d’un titre.


Une foi historique

Les journalistes : des Ponce Pilate ! dans Interventions de l'auteur pilateD’abord   on l’a dit   Pilate enracine solidement la foi chrétienne dans l’histoire. Impossible de réduire le christianisme à une théorie, une doctrine ou une idée lorsqu’on prononce la phrase : « crucifié pour nous sous Ponce Pilate, il souffrit sa passion et fut mis au tombeau ». La foi chrétienne est d’abord constituée d’événements historiques. Viennent ensuite les interprétations, légitimement innombrables, qui feront la relecture de ces événements inépuisables pour y déceler la bonne nouvelle incarnée par ce juif de Palestine. Grâce à cette mention de Ponce Pilate, l’Église est sans cesse obligée de revenir à ces événements, de les mettre en relation avec les événements contemporains, empêchée ainsi de transformer sa foi en idéologie ou pure philosophie.

 

Questionner Jésus en direct

Le préfet le plus célèbre dans Communauté spirituelleInterroger Jésus est au départ de toute aventure spirituelle : qui es-tu ? Es-tu le roi des juifs ? La curiosité de Pilate est à mettre à son crédit. Il aurait pu se contenter de le faire exécuter comme tant d’autres, sans interrogatoire direct (ne parlons même pas de procès !). Mais non : il le fait appeler auprès de lui. C’est un détour qui commence comme le détour de Moïse pour observer le buisson en feu. Jésus est bien pour Pilate ce buisson insignifiant, mais capable d’enflammer Jérusalem avec sa prédication messianique. Prendre le temps d’interroger par soi-même ce qui trouble les autres est une attitude qui honore Pilate et qui devrait être la nôtre. Ne pas juger sur des buzz, des vidéos virales sur Youtube ou Facebook, fake news invérifiables, rumeurs, réputations sulfureuses, mais se faire une idée par soi-même.

 

 

Royauté ou vérité ?

Le dialogue qui s’ensuit dans l’entrevue Pilate/Jésus est quelque peu surréaliste. Tous deux ne parlent pas de la même chose. Pilate est obnubilé par la royauté, particulièrement intrigué par celle attribuée à Jésus. Il est pourtant le préfet de l’empereur, donc de celui qui était au-dessus de tous les rois. Un nouveau roi juif pourrait être une opportunité, ou peut-être une menace. Pilate souffre en quelque sorte du complexe Napoléon : établir à tout prix une autorité au-dessus des princes et rois aux alentours. Jésus quant à lui ne semble pas du tout intéressé par la royauté, mais par la vérité :

« C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ».

Étrange dialogue : le préfet de César fait face à l’Oint de Dieu, l’un avec ses gardes l’autre sans même un avocat (mais l’Esprit de Dieu est un merveilleux conseiller !), Pilate cherchant un roi et Jésus cherchant à manifester la vérité.

Arrivé à ce point du dialogue, Pilate semble décrocher : « qu’est-ce que la vérité ? », lance-t-il dubitatif, sans guère attendre de réponse. Sa longévité politique l’a rendu cynique : on peut tout justifier au nom de Rome, il faut être prêt à tout et son contraire pour demeurer au pouvoir.

La maladie dont souffrent nos sociétés démocratiques libérales pourrait bien trouver là  une de ses causes : le désintérêt de nos concitoyens vis-à-vis de la république, des élections, de notre personnel politique, repose sur une exaspération légitime. Les élus ne songent qu’à conserver le pouvoir et ne représentent plus ceux qui ont voté. Les faits divers et les sondages gouvernent davantage que la vision du bien commun. Ceux qui font les lois ne se préoccupent pas de vérité mais de « royauté », pour reprendre les termes du dialogue Pilate/Jésus, c’est-à-dire de se maintenir en place. Sans transcendance, le débat démocratique s’épuise en rapport de forces où les opinions publiques et les lobbys font oublier ce qui est au-dessus des intérêts particuliers. Et l’Europe fédérale de Bruxelles, qui voudrait incarner cette transcendance laïque, tombe elle-même dans le piège de la confiscation par quelques-uns du pouvoir appartenant à tous.

La royauté ou la vérité ?

Pilate ne s’aperçoit pas que sa question est mal posée. Il aurait dû demander : qui est la vérité ? Car la vérité n’est pas une chose. Ce faisant, ses yeux auraient contemplé devant lui la réponse vivante à sa quête intérieure. Car le prisonnier Jésus incarne paradoxalement la vérité sur l’homme dans sa dignité la plus profonde. C’est pourquoi Jean a – ironiquement - mis sur les lèvres de Pilate deux déclarations qui se révéleront prophétiques a posteriori :

- Ecce homo (« voici l’homme » Jn 19,5), car Jésus humilié non-violent et pardonnant est bien l’image de Dieu vivant en chacun de nous.

- La mention que Pilate a voulue sur le panneau attaché à la croix : « Jésus de Nazareth roi des juifs » (I. N. R. I.) est le titre royal, dérisoire vendredi, triomphal dimanche, qui convient à ce crucifié couronné d’épines (Jn 18,19).

Jésus ne revendique jamais pour lui-même ce titre royal. Il prêche bien un royaume, mais celui de son Père. Il cherchait à l’établir, mais dans les cœurs et pas dans l’administration  politique ; par la douceur et non par la violence. Ses armes sont l’esprit de service (le lavement des pieds), la guérison, la pauvreté volontaire, le combat contre le mal, toutes choses à l’opposé des moyens ordinaires par lesquels les royaumes se maintiennent, les républiques se défendent, les théocraties imposent leur loi. C’est pourquoi le royaume de Jésus (en réalité le royaume de Dieu qui lui est partagé comme à un fils) n’est pas de ce monde, et contestera toujours la prétention des politiques à établir le royaume de Dieu sur terre…

tableau montrant Ponce Pilate présentant Jésus de Nazareth aux habitants de Jérusalem


Ponce Pilate aurait dû écouter sa femme !

claudia1 Pilate dans Communauté spirituelleClaudia en effet a fait un songe, rapporte Jean (Mt 27,19), où elle a vu ce galiléen comme provenant d’auprès de Dieu. Elle le confie à son mari, qui en est peut-être troublé si réellement qu’il a cherché à sauver Jésus en recourant au subterfuge de cette coutume (non attestée historiquement) de la libération d’un prisonnier lors de la fête de Pâques.

Même les pires bourreaux ont auprès d’eux des conseillers, des messagers (des « anges ») – ici c’est une femme – qui les avertissent lorsqu’ils franchissent des seuils dans l’injustice et l’inhumanité. Tous ceux qui exercent le pouvoir – entreprise, collectivités locales, famille, association etc. – ont eux aussi ces voix à leurs côtés leur murmurant de faire attention à tel ou tel, car là cela va trop loin. S’ils n’écoutent pas ces messagers à leurs côtés, les tenants du pouvoir deviendront cyniques et cruels comme Pilate…


Les ambiguïtés de Pilate et les nôtres

Saint Joseph d'Arimathie vient demander à Pilate de lui donner le corps de Notre Seigneur après sa mort en CroixPour être complet, il faut saluer en finale la décision de Pilate de remettre le corps de Jésus à Joseph d’Arimathie, au lieu de le laisser exposé aux corbeaux pendant le sabbat. Mais en même temps, il accorde aux autorités juives le droit de placer des gardes autour du sépulcre de Jésus pour empêcher le vol de son cadavre.

Ambigu, Ponce Pilate l’aura été jusqu’au bout, préférant jouer sur tous les tableaux plutôt que de prendre parti pour la vérité, obnubilé par le pouvoir et sa conservation à tout prix. Machiavel n’a rien inventé…

S’il y a un peu de Ponce Pilate en nous, cela doit nous rendre vigilants sur ce qui nous guide : la royauté (le pouvoir) ou la vérité ?
Et Pilate peut également nous rendre vigilants sur nos ambiguïtés, provenant comme chez lui du désir de conserver à tout prix la maîtrise et le pouvoir, quitte à prendre « en même temps » les décisions les plus contradictoires.
Prenons garde à ce que, au nom du Christ-Roi, nous ne devenions pas les Pilate de nos proches…

 

 


[1]. « En ce même temps survinrent des gens qui lui rapportèrent ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs victimes.  Prenant la parole, il leur dit: « Pensez-vous que, pour avoir subi pareil sort, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens? » (Lc 13, 1-2)

[2]. Philon affirme que Pilate se caractérisait par « sa vénalité, sa violence, ses vols, ses assauts, sa conduite abusive, ses fréquentes exécutions des prisonniers qui n’avaient pas été jugés, et sa férocité sans bornes » (Légation à Caïus 302).

[3]. Pilate est même rangé parmi les saints de l’Église éthiopienne et de l’Église copte ! Selon cette tradition, il se serait converti en secret au christianisme, sous l’influence de sa femme Claudia Procula (ou Claudia Procla ou Abroqla). Ils sont tous les deux fêtés le 25 juin. Les Églises grecques orthodoxes honorent seulement cette dernière sous le nom de Claudia Procula.

[4]. « Tous les anciens de la ville la plus proche de l’homme tué se laveront les mains dans le cours d’eau, sur la génisse abattue.  Ils prononceront ces paroles: « Nos mains n’ont pas versé ce sang et nos yeux n’ont rien vu.  Pardonne à Israël ton peuple, toi Yahvé qui l’as racheté, et ne laisse pas verser un sang innocent au milieu d’Israël ton peuple. Et ce sang leur sera pardonné. »

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Sa domination est une domination éternelle » (Dn 7, 13-14)

Lecture du livre du prophète Daniel

Moi, Daniel, je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

Psaume
(Ps 92 (93), 1abc, 1d-2, 5)
R/ Le Seigneur est roi ; il s’est vêtu de magnificence.
(Ps 92, 1ab)

Le Seigneur est roi ;
il s’est vêtu de magnificence,
le Seigneur a revêtu sa force.

Et la terre tient bon, inébranlable ;
dès l’origine ton trône tient bon,
depuis toujours, tu es.

Tes volontés sont vraiment immuables :
la sainteté emplit ta maison,
Seigneur, pour la suite des temps.

Deuxième lecture
« Le prince des rois de la terre a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu » (Ap 1, 5-8)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

À vous, la grâce et la paix, de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. Voici qu’il vient avec les nuées, tout œil le verra, ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ; et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. Oui ! Amen !
Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’univers.

Évangile
« C’est toi-même qui dis que je suis roi » (Jn 18, 33b-37) Alléluia. Alléluia.

Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Alléluia. (Mc 11, 9b-10a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , ,

24 février 2016

Le malheur innocent

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le malheur innocent

Cf. également :

Les multiples interprétations symboliques du buisson ardent

Les résistances de Moïse… et les nôtres

Lire les signes des temps

Pour quoi m’as-tu abandonné ?

Homélie du 3° dimanche de carême / Année C
28/02/2016

 

De l’importance des faits divers

Afficher l'image d'origine

Les Évangiles font rarement place aux faits divers.  Le sensationnalisme et la flatterie du goût pour le morbide ne sont pas les clés du succès littéraire du Nouveau Testament…

Pourtant, notre passage de Luc 13, 1-9 contient de ces faits divers que la presse en tout genre adore et nous sert quotidiennement dans leur « une » de papier ou d’écran. Pourquoi Luc s’intéresse-t-il tout d’un coup aux exactions de Pilate ou aux accidents de chantiers de Siloé ? Serait-il comme Hegel, qui affirmait que « la lecture des journaux est la prière du matin moderne » ?

« Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » (Lc 13, 1-5)

Visiblement, il veut montrer comment lire « les signes des temps », c’est-à-dire déchiffrer  dans l’actualité les appels salutaires à nous convertir. Jésus ne méprise pas le bulletin des news quotidiennes de France Info ou BFM TV. Il est au courant des drames qui émeuvent « les gens » (comme dit Luc) ordinaires. Ils posent une vraie question : comment croire en Dieu alors que le malheur innocent frappe des pratiquants (galiléens massacrés par Pilate) et indistinctement des passants (les victimes de la chute de la tour de Siloé) ?

Redoutable question à l’origine de l’athéisme pratique de tant de nos contemporains. Si Dieu existe, pourquoi laisse-t-il arriver tant de souffrances injustes ? Qu’elles viennent des hommes (Pilate) ou des lois de la nature (la tour de Siloé), le mal s’impose contre la puissance d’un Dieu réputé être bon pour l’homme. Mais qu’est-ce que la bonté d’un Dieu s’il est impuissant à nous protéger ? À quoi sert l’amour d’un Dieu qui subit le mal et ne peut rien contre le malheur innocent ?

C’est la vieille question de la théodicée, terme théologique qui désigne le défi de concilier l’amour qu’est Dieu avec la réalité du mal, de la souffrance et du malheur innocent.

 

La non-réponse du Christ

Afficher l'image d'origineVisiblement, Jésus ne se lance pas dans de savantes explications sur l’origine de ce mal  politique ou technologique. Le plus important pour lui n’est pas tant de savoir pourquoi cela arrive que de discerner pour quoi cela nous touche. Le pour quoi est lié ici à une réflexion sur la finalité plus que sur les causes. La lecture qu’en fait Jésus est à la fois très simple et très profonde : ces faits divers vous montrent combien la vie de chacun est fragile et éphémère. Tirez donc parti du temps présent pour réorienter votre existence avant qu’il ne soit trop tard. N’attendez pas demain pour vous convertir, car demain vous pouvez fort bien ne plus être là.

Bien sûr, il faut des analystes politiques pour démonter les mécanismes du totalitarisme façon Pilate qui hier engendraient des massacres au nom de l’orthodoxie romaine, où des massacres de dissidents dans les goulags soviétiques.

Bien sûr, il faut des analyses scientifiques et techniques pour comprendre la chute d’une tour à Siloé ou d’un panneau d’affichage à Paris engendrant des morts absurdes.

Dans les deux cas, expliquer les causes pourra permettre d’éviter que cela se reproduise.

Mais soyons réalistes : malgré la formidable intelligence humaine, cela se reproduit toujours de siècle en siècle. Là comme ailleurs, « il n’y a rien de nouveau sous le soleil », comme l’écrivait l’Ecclésiaste (Si 1,9). Le totalitarisme resurgit, changeant d’habits ou d’idéologie, mais toujours aussi meurtrier. Les catastrophes naturelles ou technologiques font toujours la une des médias. Du tremblement de terre de Lisbonne (Voltaire) à l’Amoco-Cadiz sur les côtes bretonnes ou la fonte des glaces aux pôles, rêver d’une planète sans malheur (innocent ou non) est irréaliste, et largement démenti par l’histoire.
Sans dévaloriser ce combat permanent contre le mal, le Christ refuse d’en rester là : puisque ce mal existe, s’impose concrètement aujourd’hui, qu’allez-vous en faire ?

Allez-vous vous laisser submerger par le désespoir ? Le cynisme ? Où allez-vous y puiser une force pour orienter votre vie autrement, c’est-à-dire vous convertir, vous tourner vers la finalité ultime de vos actes ?

Réfléchissez sur le pour quoi de vos efforts, de vos aspirations les plus vraies, et vous verrez que même le malheur innocent ne pourra plus rien contre vous.

À la façon de St Ignace méditant sur lui-même suite à une fracture de la jambe, ou de Nelson Mandela se transformant dans sa prison en artisan de réconciliation nationale, tirez  profit même de la catastrophe la plus imprévue pour revenir à vous-même, pour redonner sens à ces quelques éclairs fugaces que sont nos parcours sur terre.

Même la Shoah, catastrophe des catastrophes, malheur innocent en quelque sorte personnifié, même la Shoah peut devenir pour le peuple juif un appel à la conversion de  l’intérieur. Qu’au moins ces 6 millions de morts injustes soient à l’origine d’un État d’Israël le plus juste possible, et d’une prise de conscience universelle !

« Des pauvres, vous en aurez toujours au milieu de vous » (Mc 14,7) : le réalisme de Jésus heurte  l’utopie révolutionnaire de Judas de plein fouet. Non pas pour le détourner de la transformation sociale, mais pour l’appeler à donner sens dès maintenant à la présence des pauvres parmi nous : ils ne demandent pas que du pain et du travail, mais également du beau, du vrai, de la relation à Dieu, ce qu’exprime le parfum précieux de l’onction de Béthanie, au grand dam de Judas scandalisé par ce gaspillage (Jn 12, 1-11).

 

Théodicée : les autres réponses

Afficher l'image d'origineLa non-réponse du Christ à la lancinante question de la théodicée est assez unique dans l’histoire.

Les sagesses antiques ont plutôt cherché des explications diverses d’où ont découlé leurs  attitudes spirituelles. Par exemple, l’hindouisme ou le bouddhisme ont localisé dans le désir la source de la souffrance humaine devant le malheur innocent. Et c’est dans l’extinction du désir qu’est alors la solution.

En Occident, Leibnitz penche lui pour l’ignorance humaine : seul Dieu a une vue globale de ce qui arrive, et ce qui est pour nous un mal apparent n’est peut-être que la condition indispensable pour un bien plus grand à l’échelle globale. Nous sommes dans « le meilleur des mondes possibles » et la sagesse consiste alors à vivre avec, humblement.

Les stoïciens ont vu dans la souffrance une école d’humanisation : changer ce qui dépend de nous et supporter le reste. C’est la grandeur stoïcienne.
Les épicuriens ont plutôt interprété le malheur innocent comme une invitation à jouir du présent sans attendre, car demain est incertain.

Les révolutionnaires marxistes ont érigé la révolte contre le mal en principe absolu. Mais en cherchant à éradiquer le mal ils ont engendré un mal plus monstrueux encore.

Les nouveaux révolutionnaires, scientifiques et technologiques, nous promettent un corps humain ‘augmenté’, une vie sociale totalement interconnectée, une maîtrise technologique stupéfiante : mais la question de la douleur ne pourra se résoudre à coups de promesses numériques ou de traitements chimiques.

 

Bref, l’énigme de la théodicée n’en finit pas de travailler l’aventure humaine, et resurgit à chaque époque, multiforme, vieille question en habits neufs.

 

L’originalité du christianisme réside sans doute dans la non-réponse du Christ (qui rejoint et accomplit celle de Job) : ne restez pas fascinés par le scandale du malheur innocent, mais interrogez-vous sur ce qu’il vous révèle du sens de votre existence. Sans négliger le combat contre le mal, investissez dans la recherche du sens. Essayez de trouver le pourquoi du malheur innocent afin de le réduire, et mettez encore plus d’énergie à discerner le pour quoi de ce qui arrive…

 

 

1ère lecture : « Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : Je-suis » (Ex 3, 1-8a.10.13-15)
Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb. L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! » Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! » Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. Le Seigneur dit : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau et vaste pays, vers un pays, ruisselant de lait et de miel. Maintenant donc, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël. » Moïse répondit à Dieu : « J’irai donc trouver les fils d’Israël, et je leur dirai : ‘Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous.’ Ils vont me demander quel est son nom ; que leur répondrai-je ? » Dieu dit à Moïse : « Je suis qui je suis. Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : ‘Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : Je-suis’. » Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : ‘Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est Le Seigneur, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob’. C’est là mon nom pour toujours, c’est par lui que vous ferez mémoire de moi, d’âge en d’âge. »

Psaume : Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 6-7, 8.11

R/ Le Seigneur est tendresse et pitié.  (Ps 102, 8a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Le Seigneur fait œuvre de justice,
il défend le droit des opprimés.
Il révèle ses desseins à Moïse,
aux enfants d’Israël ses hauts faits.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint.

2ème lecture : La vie de Moïse avec le peuple au désert, l’Écriture l’a racontée pour nous avertir (1 Co 10, 1-6.10-12)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer que, lors de la sortie d’Égypte, nos pères étaient tous sous la protection de la nuée, et que tous ont passé à travers la mer. Tous, ils ont été unis à Moïse par un baptême dans la nuée et dans la mer ; tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ; tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher, c’était le Christ. Cependant, la plupart n’ont pas su plaire à Dieu : leurs ossements, en effet, jonchèrent le désert. Ces événements devaient nous servir d’exemple, pour nous empêcher de désirer ce qui est mal comme l’ont fait ces gens-là. Cessez de récriminer comme l’ont fait certains d’entre eux : ils ont été exterminés. Ce qui leur est arrivé devait servir d’exemple, et l’Écriture l’a raconté pour nous avertir, nous qui nous trouvons à la fin des temps. Ainsi donc, celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber.

Evangile : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même » (Lc 13, 1-9)

Acclamation : Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
Convertissez-vous, dit le Seigneur, car le royaume des Cieux est tout proche.
Gloire au Christ, Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. 
(Mt 4, 17)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Un jour, des gens rapportèrent à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer, mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien, je vous dis : pas du tout ! Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Jésus disait encore cette parabole : « Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n’en trouva pas. Il dit alors à son vigneron : ‘Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?’ Mais le vigneron lui répondit : ‘Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.’ »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , , ,

18 novembre 2015

La violence a besoin du mensonge

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

La violence a besoin du mensonge

 

Homélie pour la fête du Christ Roi / Année B
22/11/2015

Cf. également :

Divine surprise

Le Christ Roi fait de nous des huiles

Non-violence : la voie royale

Un roi pour les pires

 

« La violence n’exige de nous que notre obéissance au mensonge »

Afficher l'image d'origine« Quand la violence fait irruption dans la vie paisible des hommes, son visage flamboie d’arrogance, elle porte effrontément inscrit sur son drapeau, elle crie : « JE SUIS LA VIOLENCE ! Place, écartez-vous, ou je vous écrase ! » Mais la violence vieillit vite. Encore quelques années et elle perd son assurance, et pour se maintenir, pour faire bonne figure, elle recherche obligatoirement l’alliance du mensonge. Car la violence ne peut s’abriter derrière rien d’autre que le mensonge, et le mensonge ne peut se maintenir que par la violence. Et ce n’est ni chaque jour, ni sur chaque épaule que la violence pose sa lourde patte : elle n’exige de nous que notre obéissance au mensonge, que notre participation quotidienne au mensonge et c’est tout ce qu’elle attend de ses loyaux sujets.

Et c’est là justement que se trouve, négligée par nous, mais si simple, si accessible, la clef de notre libération : LE REFUS DE PARTICIPER PERSONNELLEMENT AU MENSONGE ! Qu’importe si le mensonge recouvre tout, s’il devient maître de tout, mais soyons intraitables au moins sur ce point : qu’il ne le devienne pas PAR MOI !

Et cela, c’est une brèche dans le cercle imaginaire de notre inaction, pour nous : la plus facile à réaliser, pour le mensonge : la plus destructrice. Car lorsque les hommes tournent le dos au mensonge, le mensonge cesse purement et simplement d’exister. Telle une maladie contagieuse, il ne peut exister que dans un concours d’hommes. »

Alexandre Soljenitsyne, à Moscou le 12 février 1974 [1] 

L'opium des intellectuelsL’avertissement de Soljenitsyne valait pour le système communiste, bâti sur un mensonge.

Comment ne pas y voir un avertissement pour nous aujourd’hui face à la violence inhumaine des attentats de Paris ? Faute d’avoir analysé et compris la complicité de l’Occident avec le mensonge communiste, nous risquons fort de reproduire des aveuglements semblables, et lourds de conséquences.

Ce mensonge communiste concernait d’abord la personne humaine, réduite à n’être qu’un élément de la classe ouvrière seule digne d’intérêt et à qui on pouvait sacrifier bien des individus (les millions de morts des purges staliniennes et des goulags en témoignent).

Ce mensonge concernait également l’économie, réduite à une planification collective finalement inefficace et terriblement appauvrissante.

Ce double mensonge s’est écroulé en 1989. Pourtant, pendant des décennies, l’intelligentsia française et au-delà a été fascinée par la pensée marxiste, au point de l’ériger en clé ultime de l’histoire. On a oublié aujourd’hui les positions effarantes de Sartre (le marxisme est l’« indépassable philosophie de notre temps »), Althusser, Edgar Morin (jusqu’en 1951), Louis Aragon, Annie Kriegel et tant d’autres maîtres à penser des années 60 à 90. Raymond Aron était bien seul, dissident parmi ces intellectuels, à dénoncer le mensonge.

Se souvenir permettrait pourtant de mettre en pleine lumière les complicités actuelles de bien d’autres intellectuels français avec des idéologies pour potentiellement dangereuses, reposant elles aussi sur un mensonge.

 

Pilate le politique face à Jésus le roi dissident

L’avertissement de Soljenitsyne doit être renouvelé aujourd’hui.

Il fait écho au témoignage de Jésus devant Pilate (Jn 18, 33-37). Jésus pose la question de la vérité, et y répond en personne : « je suis venu pour rendre témoignage à la vérité ». Ailleurs il dit même : « je suis la vérité ». C’est donc que la vérité en christianisme est une personne vivante et non pas une idéologie.

Afficher l'image d'originePilate lui est un politique en même temps que militaire d’occupation. L’historien juif Flavius Josèphe le décrit comme « un gouverneur qui n’hésite pas à recourir à la manière forte pour rétablir l’ordre ». S’embarquer dans un dialogue philosophique à propos de la vérité avec ce prophète charismatique peut devenir dangereux. Pendant ce temps-là, les responsables juifs risquent de fomenter des troubles, des émeutes, car ils savent manipuler les foules. Peu importe finalement que Jésus soit ou non du côté de la vérité : l’important est que Jérusalem ne se soulève pas contre l’armée romaine. L’important est de maintenir un semblant de paix. Maintenir la pax romana, même au prix du mensonge, vaut mieux que de chercher où est le vrai.

D’ailleurs, lorsque ce peuple juif occupé et décidément rebelle recommencera à contester le pouvoir impérial, Pilate le soldat utilisera la violence armée pour mater la révolte (cf. Lc 13,1 et la mention des « Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices »), comme toute occupation militaire ou idéologique. En 36, il fait réprimer avec cruauté un rassemblement de Samaritains sur le mont Garizim. À l’instigation d’un homme qui selon Flavius Josèphe « considérait le mensonge comme sans importance et usait de toutes sortes de manœuvres pour plaire au peuple », les plus convaincus « prirent les armes » et s’installèrent dans le village de Tirathana pour accueillir la masse des samaritains et « faire en grand nombre l’ascension de la montagne ». Cet homme leur avait promis de leur montrer « des vases sacrés enfouis par Moïse ». À la suite de ce massacre des samaritains, Pilate fut contraint par l’empereur Tibère de quitter la Judée.

La violence a besoin du mensonge dans Communauté spirituelle 51XTilBAikL._SX301_BO1,204,203,200_Préférer le mensonge à la vérité [2] pour avoir la paix (mais quelle paix ? !) : la tentation politique de Pilate est encore celle de nos politiques. Que ce soit sur des questions sociales brûlantes comme le drame des migrants ou le mal-logement des français, ou sur des questions éthiques comme l’avortement et l’euthanasie, ou sur les guerres en Irak, en Iran, en Syrie, en Lybie et ailleurs, ou sur des enjeux complexes comme la laïcité, la place de l’islam etc., rares sont les politiques qui osent raisonner et argumenter en termes de vérité et de mensonge. Ils parleront consensus, opinion majoritaire, règlements internationaux. Beaucoup seraient aussi sceptiques que Pilate si on leur demandait quelle est leur conception de la vérité sur ces sujets. Souvenons-nous des mensonges américains sur de soi-disant armes de destruction massive qui ont été l’alibi pour intervenir militairement en Irak : ils ont finalement engendré la montée en puissance d’Al Qaïda, et maintenant de Daech. La violence que l’Etat Islamique tire du Coran provient d’ailleurs pour une large part d’un autre mensonge, qui présente le texte arabe du Coran comme « incréé », directement dicté par Dieu (donc s’imposant comme tel, sans aucune possibilité d’interprétation).

Hannah Arendt avait déjà étudié, dans les années 70, cette liaison dangereuse entre mensonge et violence, par exemple en analysant les « documents du Pentagone » révélant l’envers de la guerre du Vietnam [3].

Sans le mensonge, la violence n’a plus aucun fondement légitime.

 

« Qu’est-ce que la vérité ? »

Cette interrogation en forme de fuite permet à Pilate d’éviter de se prononcer pour ou contre Jésus.

Nos politiques renvoient cette question de la vérité à la sphère privée, et s’interdisent de déchiffrer les évolutions sociales à la lumière de cette interrogation. Et la violence se nourrit de ces mensonges. La violence a besoin du mensonge ; c’est pourquoi la vérité qui est Jésus en personne engendre la non-violence, jusqu’à préférer être tué que tuer.

Que chacun de nous, en entreprise, au travail comme en famille, n’élude pas la question du vrai, quitte à prendre des risques pour combattre le mensonge, quitte à devenir un dissident, comme l’était Soljenitsyne en 1974…

Afficher l'image d'origine


[1]. Soljenitsyne, interdit d’habiter Moscou, où demeure Natalia Svetlova, une mathématicienne engagée dans la dissidence avec laquelle il vit maritalement (et qu’il épousera après son divorce), trouve refuge chez le violoncelliste Rostropovitch. Le prix Nobel vient le récompenser en 1970. Mais il est hors de question de se rendre à Stockholm, de peur de ne pas être autorisé à revenir dans son pays.
L’étau du KGB se resserre autour de lui et en 1973, une de ses collaboratrices, Élisabeth Voronianskaïa, qui avait dactylographié L’Archipel (du Goulag), est retrouvée pendue chez elle : interrogée pendant trois jours par les guébistes, elle a craqué et avoué où elle avait caché un exemplaire du manuscrit qu’elle avait conservé à l’insu de Soljenitsyne. Ce dernier rend la nouvelle publique et demande que L’Archipel soit publié en Occident. Ce qui est fait en décembre. La presse soviétique se déchaîne, mais Soljenitsyne est décidé à répondre coup pour coup. Le 12 février 1974, il lance son appel de Moscou, exhortant ses compatriotes à « ne plus vivre dans le mensonge ». Le lendemain il est arrêté, déchu de sa nationalité soviétique et expulsé. Ce n’était plus arrivé depuis… Trotski en 1929.

[2]. Il est à noter que dans la Bible, le contraire de la vérité n’est pas l’erreur, mais le mensonge.

[3]. Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, Éditions Pocket – coll. Agora, Paris, 2002.

 

 

1ère lecture : « Sa domination est une domination éternelle »(Dn 7, 13-14)
Lecture du livre du prophète Daniel

Moi, Daniel, je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

Psaume : Ps 92 (93), 1abc, 1d-2, 5

R/ Le Seigneur est roi ; il s’est vêtu de magnificence. (Ps 92, 1ab)

Le Seigneur est roi ;
il s’est vêtu de magnificence,
le Seigneur a revêtu sa force.

Et la terre tient bon, inébranlable ;
dès l’origine ton trône tient bon,
depuis toujours, tu es.

Tes volontés sont vraiment immuables :
la sainteté emplit ta maison,
Seigneur, pour la suite des temps.

2ème lecture : « Le prince des rois de la terre a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu » (Ap 1, 5-8)
Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

À vous, la grâce et la paix, de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. Voici qu’il vient avec les nuées, tout œil le verra, ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ; et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. Oui ! Amen !
 Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’univers.

Evangile : « C’est toi-même qui dis que je suis roi » (Jn 18, 33b-37)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !
Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Alléluia.  (Mc 11, 9b-10a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , , , , ,