L'homélie du dimanche (prochain)

24 avril 2022

Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ?

Homélie du 3° Dimanche de Pâques / Année C
01/05/2022

Cf. également :
Les 153 gros poissons
Quand tu seras vieux…
Le devoir de désobéissance civile
Les 7 mercenaires
L’agneau mystique de Van Eyck

Mais pourquoi diable Pierre était-il tout nu ? dans Communauté spirituelle IMG_1032-e1414437391837-768x1024Tous ceux qui aiment la voile savent qu’il faut bien se capeler avant de prendre la mer. Les étourdis qui embarqueraient pieds nus le regretteraient vite : il y a tant d’aspérités, d’angles et d’objets contondants sur un bateau qu’on a vite fait de se cogner un orteil, de se prendre une écharde ou de se déchirer la plante des pieds sur un rail d’écoute ou une manille… Il n’y a guère que les nudistes invétérés qui osent rester nus sur un voilier, et encore : en Méditerranée, par mer très calme, sur un catamaran !
Alors, quand notre évangile du jour (Jn 21,1-19) nous dit que Pierre était nu dans sa barque de pêche, on ouvre de grands yeux ! « Quand Simon Pierre entendit que c’était le Seigneur, il mit son vêtement et sa ceinture, car il était nu (γυμνς = gymnos), et se jeta dans la mer » (Jn 21,7).
Le matériel de pêche – filets, hameçons, lignes, épuisettes – n’est certes pas le meilleur allié du nudisme. Un vrai pêcheur se capèle pour aller brasser son matériel en mer, et Pierre est un vrai pêcheur. Pourquoi diable Jean mentionne-t-il la nudité invraisemblable de son ami en pleine campagne de pêche ?

Écartons tout de suite une réponse trop facile, trop simpliste, du style : c’était l’habitude des pêcheurs de l’époque. Nous n’avons aucune trace de cette soi-disant habitude, et répétons-le elle est invraisemblable. Allez essayer de pêcher tout nu dans une barque en bois pleine d’hameçons et de filets, et vous ne rapporterez pas que des palourdes… C’est bigrement dangereux de ne pas être couvert sur un bateau !
Ce détail est d’autant plus troublant que Pierre se rhabille pour se jeter à l’eau. Normalement c’est l’inverse, car nager avec des vêtements n’est ni facile ni naturel.
Évidemment, ce détail est voulu. Essayons d’en décliner quelques interprétations possibles, en lien avec la résurrection de Jésus qui fait l’objet du chapitre 21 de Jean, avec les conséquences pour nous lecteurs.

 

1. Vêtir ceux qui sont nus et d’abord soi-même

martin-of-tours barque dans Communauté spirituelleJean connaît l’Évangile de Matthieu lorsqu’il écrit vers 90. Il a déjà lu la fresque grandiose du Jugement dernier de Mt 25 : « j’étais nu et vous m’avez habillé ». Vêtir ceux qui sont nus est un des critères du Jugement qui annonce la venue du Fils de l’homme à la fin des temps. La venue du Ressuscité sur le rivage du lac provoque Pierre à se vêtir pour paraître devant lui : charité bien ordonnée commence par soi-même… Un premier sens de ce détail du texte pourrait alors être - de manière inattendue – l’amour de soi, le self care. Un peu comme on dit à une personne âgée de ne pas se négliger, de ne pas se laisser aller, de se pomponner au lieu de rester toute la journée en robe de chambre et pantoufles. Pierre s’habille, et on peut penser que c’est le Christ qu’il revêt ainsi symboliquement avec ce pagne de lin serré autour de sa taille. Prendre soin de soi, c’est revêtir la dignité et les mœurs du Christ, au lieu de rester dans un état de nature ne conduisant qu’à des œuvres stériles, à l’image de la pêche infructueuse de Pierre lorsqu’il était nu. Les nouveaux baptisés savent qu’ils revêtent le Christ en rentrant dans l’eau baptismale où ils ont été plongés nus : en sortant du bain, on les enveloppait d’un ample vêtement blanc symbolisant la vie nouvelle en Christ.

Pierre réactualise en quelque sorte sa participation à la Passion du Christ dans laquelle il vient d’être plongé les semaines précédentes, il prend soin de lui-même en ne restant pas nu pour aller vers le Christ.

 

2. La nudité, signe du désarroi humain

jardindesdelicesgaucheg nuditéDans les cités grecques ou dans l’Empire romain, la nudité était pourtant bien vue. Songez aux thermes, aux sportifs, aux athlètes nus des Jeux Olympiques. D’ailleurs en grec, le mot nu(γυμνς = gymnos) qu’emploie notre évangile en Jn 21,7 a donné en français le mot gymnase, endroit où l’on pratique les sports en étant nu.
Dans la Bible, la nudité ne glorifie pas la force ou la beauté de l’être humain comme chez les Grecs. Elle est plutôt le signe d’une faiblesse radicale, et d’un désarroi existentiel. On pense immédiatement à Adam et Ève dans le jardin d’Éden après le premier péché où ils ont décidé par eux-mêmes ce qui est bien ou mal : « ils virent qu’ils étaient nus ». Cette nudité nourrit la peur de l’homme de paraître devant Dieu : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché » (Gn 3,10). Pierre comme Adam aurait peur de paraître devant le Ressuscité en restant nu.

Depuis la Genèse, la nudité a toujours été dans la Bible associée à la faiblesse et à la honte.
- Ainsi Noé maudit son fils Cham parce qu’il l’a vu nu sous sa tente après s’être saoulé. Les deux autres fils ont couvert la nudité de leur père sans la regarder, et cela leur fut compté comme justice. « Noé, homme de la terre, fut le premier à planter la vigne. Il en but le vin, s’enivra et se retrouva nu au milieu de sa tente. Cham, le père de Canaan, vit que son père était nu et il en informa ses deux frères qui étaient dehors. Sem et Japhet prirent le manteau, le placèrent sur leurs épaules à tous deux et, marchant à reculons, ils en couvrirent leur père qui était nu. Comme leurs visages étaient détournés, ils ne virent pas la nudité de leur père » (Gn 9,20-23).
Pierre couvre sa nudité comme pour dessaouler de son reniement…

joseph-tunique-450x450 pêche- Ainsi Joseph est dépouillé de sa tunique par ses frères pour l’humilier et le vendre comme esclave. « Dès que Joseph eut rejoint ses frères, Ils le dépouillèrent de sa tunique, la tunique de grand prix qu’il portait » (Gn 37,23). La tunique prise à Jacob fait penser à la tunique qu’on enlèvera à Jésus pour le crucifier.
Pierre revêtira la tunique dont l’avait dépouillé sa triple trahison.

- Ainsi le prophète Osée compare Israël à une prostituée qui se vend nue aux idoles de Canaan, et que Dieu va venir confondre en mettant son cœur à nu devant tous : « Accusez votre mère, accusez-la, car elle n’est plus ma femme, et moi, je ne suis plus son mari ! Qu’elle écarte de son visage ses prostitutions, et d’entre ses seins, ses adultères ; sinon, je la déshabille toute nue, je l’expose comme au jour de sa naissance, je la rends pareille au désert, je la réduis en terre aride et je la fais mourir de soif. […] C’est pourquoi je reviendrai […] ; j’arracherai ma laine et mon lin dont elle couvrait sa nudité. Alors je dévoilerai sa honte aux yeux de ses amants, et nul ne la délivrera de ma main » (Os 2,4–12).
La honte de Pierre devant sa faute va lui permettre de retrouver son alliance avec le Christ.

- Ainsi le prophète Isaïe choisit symboliquement de marcher nu sur les chemins de Palestine pendant trois ans, pour annoncer la défaite des puissants de l’époque, qui seraient bientôt mis à nu par YHWH : « Le Seigneur dit : De même que mon serviteur Isaïe est allé dévêtu, les pieds nus, pendant trois ans, signe et présage pour l’Égypte et l’Éthiopie, de même le roi d’Assour emmènera les prisonniers d’Égypte et les déportés d’Éthiopie, les jeunes et les vieux, dévêtus, les pieds nus, les fesses découvertes – telle sera la nudité de l’Égypte » (Is 20,3‑4).
Pierre pêchant nu pourrait actualiser ce geste d’Isaïe, en annonçant la défaite de la mort dans la Résurrection de Jésus…

- Ainsi on dépouille Jésus de sa tunique pour le crucifier, nu comme un ver (Jn 19,23‑24).
La nudité de Pierre dans la barque renvoie à la nudité du crucifié, en attente du vêtement de la Résurrection.

- Et Jean dans son Apocalypse fera lui aussi le lien entre la venue du Christ en gloire et le fait de ne pas être nu : « Voici que je viens comme un voleur. Heureux celui qui veille et garde sur lui ses vêtements pour ne pas aller nu en laissant voir sa honte » (Ap 16,15).
Pierre est le premier des Douze à ne pas aller nu vers le Fils de l’homme…

Il peut certes y avoir des nudistes chrétiens ! Mais difficile de faire l’éloge de cet état de nature sur le plan symbolique lorsque la foi demande justement de changer de nature pour être rendue « participant de la nature divine » (2P 1,4). Entre Pâques et Pentecôte, la nudité de Pierre dans la barque renvoie à un entre-deux de désarroi stérile (cf. la pêche infructueuse) qui ne doit pas durer. Se rhabiller est la courageuse décision de revêtir le Christ pour le rejoindre sur la rive.

 

3. Le lien résurrection-pardon

ReconciliationAprès avoir été habillés de blanc, les nouveaux baptisés étaient aussitôt admis à l’eucharistie, pour alimenter leur communion au Ressuscité. Dans notre Évangile, Pierre lui aussi après s’être rhabillé participe au repas préparé par Jésus sur le rivage, à la teneur eucharistique évidente. C’est ensuite seulement que le triple reniement de Pierre lui sera trois fois pardonné, avec ce célèbre dialogue : « M’aimes-tu ? sois le pasteur… »
Revêtir la tunique du Christ, communier à sa Passion-Résurrection, être pardonné et recevoir une mission nouvelle sont les quatre maillons de la chaîne pascale chez Jean. D’ailleurs, se préparer à partir, ceinture aux reins, est la disposition requise pour fêter la Pâque juive : « Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur » (Ex 12,11).
Le lien résurrection-pardon est si fort que les chrétiens inventeront au fil des siècles le sacrement de réconciliation, réactualisation du baptême, comme en écho à ce triple pardon que Pierre a reçu à Tabgha.
La nudité du premier péché cède ainsi la place à la tunique du pardon, tunique sans couture que les soldats n’ont pas osé déchirer, annonçant la grâce du pardon toujours disponible.
Bonne nouvelle : lorsque nous sommes pardonnés, nous retrouvons comme Pierre la mission qui est la nôtre (« sois le pasteur… ») ; lorsque nous pardonnons à notre tour, nous ressuscitons littéralement celui qui nous a fait du mal et à qui son offense avait enlevé sa dignité. Nous le chargeons d’une nouvelle mission, avec ou sans nous : continuer à vivre au-delà de l’offense.
Pardonner, c’est vêtir l’autre de la tendresse de Dieu pour mener une vie nouvelle, une vie éternelle.

 

4. Pierre est comme le jeune homme nu de Marc

Correggio%2C_giovane_che_fugge_dalla_cattura_di_Cristo PierreLa nudité de Pierre dans la barque fait immanquablement penser à une autre nudité célèbre, détail qu’on trouve chez Marc cette fois, pendant l’arrestation de Gethsémani : « un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter. Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu » (Mc 14,51 52). Détail curieux, car les autres évangiles n’en parlent pas. Jean devait l’avoir lu quand il rédige son texte. Une explication simpliste le réduit à un détail autobiographique où Marc parle de lui. Mais Marc n’est pas l’homme des détails superflus sans importance. On le voit mal mentionner cette scène sans avoir une visée théologique.
Marc emploie le mot « jeune homme » (neoniskos) qu’il réutilise quand les femmes entrent au tombeau après la résurrection : un « jeune homme » est assis à droite, et cette fois-ci il n’est plus tout nu, il a revêtu le vêtement blanc (Mc 16,5). De plus, ce drap qui habille le jeune homme est un linceul (sindona) dans lequel Joseph d’Arimathie va envelopper le corps crucifié (Mc 15,46). Le sens du détail apparaît alors : le jeune homme nu de Gethsémani a échappé à la mort en laissant son drap blanc, comme le supplicié du Golgotha échappera à la mort en laissant son linceul. Le disciple vit la Passion du Christ pour être associé à sa résurrection [1].
La nudité de Pierre dans la barque pourrait être la version johannique du jeune homme nu de Marc. Pierre a failli être détruit par son triple reniement, mais le pardon du Christ le rhabille en quelque sorte pour accomplir sa mission de pasteur.
Chaque fois que nos reniements nous mettent à nu, en plein désarroi, tournons-nous vers le pardon du Christ pour recevoir de lui la nouvelle mission qu’il nous confiera à partir de là.

 

5. Servir, c’est ressusciter
Une dernière interprétation enfin nous est fournie par le verbe utilisé par Jean pour décrire Pierre se ceignant d’un vêtement pour plonger vers le Christ : διεζώσατο (diezōsato), se nouer un vêtement autour de la taille. « Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement (διεζωσμένος), car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau » (Jn 21,7). Il n’y a que deux autres usages de ce verbe dans toute la Bible, et c’est Jean encore qui y a recours, dans la scène du lavement des pieds : « Jésus se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture (διέζωσεν) ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture (διεζωσμένος) » (Jn 13,4-5).
Pierre fait donc le même geste que Jésus serviteur de ses disciples lors de la Cène : il enlève son vêtement, nu dans la barque, et se noue ensuite un vêtement à la ceinture pour devenir le pasteur des brebis. De même que le « Maître et Seigneur » lave les pieds de ses soi-disant subordonnés, Pierre apprendra à exercer sa mission de pasteur comme un service et non comme une domination.
Comme on est loin de toute forme de cléricalisme ! Toute responsabilité dans l’Église – et dans la société finalement – s’accepte après avoir pris conscience de sa nudité, et après avoir revêtu la tenue de service du Christ.
Les conséquences de ce vêtement noué autour de la taille sur les ministères actuels devraient nous appeler à réformer l’exercice du pouvoir, de la prise de décision, du statut et même de l’appel des responsables. Pierre revêt la tenue de service (la tenue diaconale pourrait-on dire) pour plonger vers le Ressuscité et recevoir de lui son pardon et sa mission.

Servir, c’est donc être associé à la vie nouvelle en Christ.
Servir, c’est plonger vers le Christ, être pardonné, recevoir de lui des responsabilités nouvelles.
Servir, c’est ressusciter.
Si nos dirigeants – aussi bien dans la société que dans l’Église – pouvaient prendre conscience de leur nudité réelle… ! Ils revêtiraient alors leur tenue de service pour servir au lieu de se servir.
Et chacun de nous est dans la barque ; chacun de nous reçoit sa part de service à accomplir.

 

Résumons-nous :
La nudité de Pierre dans la barque nous appelle à prendre soin de nous-mêmes en revêtant le Christ,
à prendre conscience de notre désarroi fondamental,
à croire en la puissance du pardon qui nous rhabille pour communier au Ressuscité,
à croire en la puissance du baptême qui nous fait échapper à la mort,
et surtout à revêtir la tenue du service pour laver les pieds de nos frères.
Qu’à cela l’Esprit du Christ nous aide !

 


Lectures de la messe

Première lecture
« Nous sommes les témoins de tout cela avec l’Esprit Saint » (Ac 5, 27b-32.40b-41)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, les Apôtres comparaissaient devant le Conseil suprême. Le grand prêtre les interrogea : « Nous vous avions formellement interdit d’enseigner au nom de celui-là, et voilà que vous remplissez Jérusalem de votre enseignement. Vous voulez donc faire retomber sur nous le sang de cet homme ! » En réponse, Pierre et les Apôtres déclarèrent : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice. C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » Après avoir fait fouetter les Apôtres, ils leur interdirent de parler au nom de Jésus, puis ils les relâchèrent. Quant à eux, quittant le Conseil suprême, ils repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus.

Psaume
(Ps 29 (30), 3-4, 5-6ab, 6cd.12, 13)
R/ Je t’exalte, Seigneur, tu m’a relevé. ou : Alléluia.
 (Ps 29, 2a)

Quand j’ai crié vers toi, Seigneur,
mon Dieu, tu m’as guéri ;
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.

Avec le soir, viennent les larmes,
mais au matin, les cris de joie !
Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie !

Que mon cœur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi ;
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
je te rende grâce !

Deuxième lecture
« Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse » (Ap 5, 11-14)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu : et j’entendis la voix d’une multitude d’anges qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens ; ils étaient des myriades de myriades, par milliers de milliers. Ils disaient d’une voix forte : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » Toute créature dans le ciel et sur la terre, sous la terre et sur la mer, et tous les êtres qui s’y trouvent, je les entendis proclamer : « À celui qui siège sur le Trône, et à l’Agneau, la louange et l’honneur, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. » Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! » ; et les Anciens, se jetant devant le Trône, se prosternèrent.

Évangile
« Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson » (Jn 21, 1-19)
Alléluia. Alléluia. 
Le Christ est ressuscité, le Créateur de l’univers, le Sauveur des hommes. Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment. Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples. Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.
Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons. Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau. Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres. Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. » Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré. Jésus leur dit alors : « Venez manger. » Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » Ils savaient que c’était le Seigneur. Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson. C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.
Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »
Patrick BRAUD

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6 mars 2022

Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 9 h 15 min

Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor

Homélie du 2° Dimanche de Carême / Année C
13/03/2022

Cf. également :
Compagnons d’éblouissement
Abraham, comme un caillou dans l’eau
Transfiguration : le phare dans la nuit

Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
Leikh leikha : Va vers toi !
Le sacrifice interdit
Dressons trois tentes…
La vraie beauté d’un être humain
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Figurez-vous la figure des figures

Akirov Towers in North Tel Aviv Exclusive Neighbourhoods

Drôles de balcons !
Dans les quartiers modernes de Jérusalem, vous pourrez remarquer d’étranges immeubles : les balcons sont disposés de façon asymétrique pour que chaque appartement puisse avoir un balcon à ciel ouvert. Coquetterie d’architecte ? Non : nécessité religieuse ! Car la fête des Tentes, l’une des plus grandes fêtes juives – la plus populaire sans doute – demande que chaque famille construise une sorte de hutte, une cabane avec un toit de branchages qui doit laisser voir le ciel et les étoiles la nuit, pour y habiter pendant une semaine. Les balcons asymétriques de ces tours permettent ainsi aux résidents de bâtir leur cabane pour la semaine de la fête des Tentes selon les règles, en leur évitant de descendre dans la rue.

 

Soukkot au Thabor
Pierre au sommet du Mont Thabor semble se préoccuper lui aussi d’une fête des Tentes à organiser : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes… » Pourquoi diable parler tentes alors qu’il est témoin d’une scène extraordinaire qui devrait l’absorber tout entier ? C’est que Pierre se souvient que, lorsque les cabanes de la semaine des Tentes sont construites, les juifs doivent inviter symboliquement les grands personnages de leur histoire à y entrer pour se réjouir avec eux en famille. Or il y a là Moïse et Élie en plus de Jésus ! C’est donc qu’ils demandent à célébrer la fête des Tentes, selon l’Écriture : « Vous habiterez sept jours dans des huttes. Tous les israélites de souche habiteront dans des huttes » (Lv 23,42).
Le prophète Malachie avait annoncé que Moïse et Élie marqueraient la venue du Jour ultime : « Souvenez-vous de la loi de Moïse, mon serviteur, à qui j’ai prescrit, sur l’Horeb, décrets et ordonnances pour tout Israël. Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable » (Ml 3, 22-23).

Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor dans Communauté spirituelle souccot-measharimIl faut alors en toute hâte improviser ces tentes où les trois plus grandes figures du judaïsme (aux yeux de Pierre) vont pouvoir manifester à tous l’Alliance renouvelée en Jésus. D’ailleurs, Luc est le seul à mentionner au début de son Évangile de la Transfiguration le détail du 8° jour : « environ 8 jours après ces paroles… » (Lc 9,28). Le texte liturgique omet cette mention : dommage ! Car ces 8 jours ne sont pas là par hasard. Matthieu et Marc disent : « 6 jours après » (Mt 17,1 ; Mc 9,2), ce qui leur permettra de placer la Transfiguration au 7° jour de la fête, comme à la fin de la 1° Création. Le 8° jour pour Luc a peut-être une connotation eschatologique, 8 étant le chiffre messianique : « Sept jours durant, on célébra la fête. Le huitième jour eut lieu, selon la coutume, la clôture de la fête » (Ne 8,18).

Dans le monde nouveau inauguré par le Christ dans sa Passion, toutes les nations, tous les peuples seront invités à se réjouir avec Israël des fiançailles de YHWH avec l’humanité, comme au temps du désert. Le prophète Zacharie (l’un des derniers de la Bible) avait entrevu cet élargissement de la fête des Tentes à toutes les nations : « Alors tous les survivants des nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le Roi Seigneur de l’univers, et célébrer la fête des Tentes. Mais pour les familles de la terre qui ne monteront pas se prosterner à Jérusalem devant le Roi Seigneur de l’univers, la pluie ne tombera pas. Et si la famille d’Égypte ne veut pas monter, si elle ne vient pas, alors fondra sur elle le fléau dont le Seigneur frappera les nations qui ne monteront pas célébrer la fête des Tentes. Tel sera le châtiment de l’Égypte et le châtiment de toutes les nations qui ne monteront pas célébrer la fête des Tentes » (Za 14, 16-19).

Jean dans son Évangile y fera allusion, en liant la fête des Tentes à laquelle Jésus doit participer à Jérusalem à la manifestation de Jésus au monde entier : « Après cela, Jésus parcourait la Galilée, car il ne voulait pas séjourner en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir. Or, la fête des Juifs (Soukkot), la fête des Tabernacles (Tentes), était proche. Et ses frères lui dirent : Pars d’ici, et va en Judée, afin que tes disciples voient aussi les œuvres que tu fais. Personne n’agit en secret, lorsqu’il désire paraître : si tu fais ces choses, montre-toi toi-même au monde » (Jn 7, 1–4). La fête des Tentes va ainsi manifester Jésus au monde.

- Un dernier sens de la fête des Tentes s’est superposé à tous ceux-là lors du retour de l’Exil à Babylone, lorsque la fête des Tentes se conjugua avec la lecture de la Loi en continu dans la langue du peuple pendant 7 jours, le 8° jour étant la clôture de la fête.
« Dans la Loi que le Seigneur avait prescrite par l’intermédiaire de Moïse, ils trouvèrent écrit que les fils d’Israël devaient habiter dans des huttes durant la fête du septième mois, et qu’ils devaient l’annoncer et le faire publier dans toutes leurs villes et à Jérusalem, en ces termes : ‘Sortez dans la montagne et rapportez des rameaux d’olivier, d’olivier sauvage, de myrte, de palmier et d’autres arbres touffus, pour faire des huttes, comme il est écrit.’ Le peuple sortit donc : ils rapportèrent des rameaux et se firent des huttes, chacun sur son toit, dans leurs propres cours, dans les cours de la Maison de Dieu, ainsi que sur la place de la porte des Eaux et sur la place de la Porte d’Éphraïm. Toute l’assemblée – ceux qui étaient revenus de la captivité – fit donc des huttes et habita dans ces huttes. Les fils d’Israël n’avaient rien fait de tel depuis les jours de Josué, fils de Noun, jusqu’à ce jour. Ce fut une très grande joie. On lut dans le livre de la loi de Dieu chaque jour, depuis le premier jour jusqu’au dernier. Sept jours durant, on célébra la fête. Le huitième jour eut lieu, selon la coutume, la clôture de la fête » (Ne 8,14-18).
Dresser trois tentes, c’est donc pour Pierre se mettre à l’écoute de la Loi de Moïse et en reconnaître l’accomplissement en Jésus.

On comprend mieux le réflexe de Pierre d’associer la présence de Moïse et d’Élie à la construction des Tentes pour la fête ultime, la fête eschatologique où la gloire de Dieu qui émane du Christ sera partagée à tous, juifs et païens ! Contrairement à ce qu’a rajouté le rédacteur du texte (« il ne savait pas ce qu’il disait ») sans doute peu connaisseur des fêtes juives, Pierre savait très bien ce qu’il disait, et cela avait grand sens pour lui… D’ailleurs, remarquez que Jésus ne le contredit pas, et ne disqualifie pas sa demande comme il le fait ailleurs. Au contraire, il semblerait que la théophanie qui suit aille dans le sens de Pierre en faisant venir la nuée divine et sa voix mystérieuse au-dessus de Jésus comme lors de l’Exode au désert : « Moïse ne pouvait pas entrer dans la tente de la Rencontre, car la nuée y demeurait et la gloire du Seigneur remplissait la Demeure » Ex 40,35 ; cf. Nb 9–10). La vraie Tente, non faite de main d’homme, est la gloire de Dieu habitant corporellement en cet homme Jésus. Grégoire de Nysse, dans son homélie de la Nativité, écrivait : « nous fêtons aujourd’hui le mystère de la véritable construction des Tentes ».

Voilà la vraie demeure pour l’Alliance que la tente de l’Arche au désert préfigurait. La Transfiguration est l’accomplissement de Soukkot (la fête des Tentes) et désigne Jésus comme notre nouvelle demeure où Dieu nous fiance à lui dans l’amour et la justice.

 

La fête des Tentes transfigurée
À l’origine, la fête des Tentes était une fête agricole célébrant la fin des récoltes, et c’est de là sans doute que vient la tradition des cabanes : lors des vendanges, on dressait dans les vignes des petites cabanes, des huttes de branchages, dans lesquelles les vendangeurs résidaient le temps des récoltes (Jb 27,18 ; Is 1,8). Avec le temps, la fête a été historicisée, c’est-à-dire qu’elle a été rattachée à un épisode de l’histoire des Hébreux, en l’occurrence la sortie d’Égypte. Les cabanes érigées lors de la fête servirent alors à rappeler les tentes qu’avaient dressées les Hébreux dans le désert (Lv 23,42-43).

Selon l’historien juif Flavius Josèphe, qui vécut au I° siècle de notre ère, il s’agit de « la fête la plus sainte et la plus grande chez les Hébreux » (Antiquités juives 8,100).

– La joie de la fête est d’abord celle des récoltes, des moissons et des vendanges. « La fête des Tentes, tu la célébreras pendant sept jours, lorsque tu auras rentré le produit de ton aire à grain et de ton pressoir » (Dt 16,13). Le peuple rend grâce en fin de saison pour l’abondance de ses champs et de ses vignes. Après la fin du cycle agricole de l’année, il se prépare au nouveau cycle qui commence.
Au Thabor, Pierre se réjouit du Christ comme incarnant la vendange ultime de l’humanité pour la vie éternelle en Dieu.

– La joie de la fête des Tentes est ensuite la joie des fiançailles de Yahvé avec son peuple, comme l’écrit Jérémie : « Va proclamer aux oreilles de Jérusalem : Ainsi parle le Seigneur : Je me souviens de la tendresse de tes jeunes années, ton amour de jeune mariée, lorsque tu me suivais au désert, dans une terre inculte » (Jr 2,2).
C’est la nouvelle Alliance inaugurée par le don que fait Jésus de lui-même à travers sa Passion que Soukkot annonçait, et que la Transfiguration réalise. Demeurer sous la tente avec le Christ, en écoutant sa parole et en le suivant dans sa Passion, est la vraie vie en abondance que cherchait le peuple au désert.

un-vecteur-illustration-page-a-colorier-d-une-soukkah-decoree-avec-des-ornements-pour-la-fete-juive-de-souccot-f5yxgh Pierre dans Communauté spirituelle– La précarité des Tentes rappelle au peuple qu’il ne faut pas s’installer ‘dans le dur’. Contrairement aux commentaires habituels qui soupçonnent Pierre de vouloir s’installer au du Thabor, à l’écart, le désir de bâtir trois tentes est ici l’acceptation et l’annonce de la faiblesse à venir, celle de la Passion et de la croix. Pierre se rappelle qu’entrer dans l’Alliance demande à sortir de ses résidences habituelles, de ses esclavages, de son confort, pour suivre le Christ pauvre et désarmé.

– La fête des Tentes est destinée à tous, pas seulement aux juifs. Pierre croit à juste titre que la Transfiguration accomplit la prophétie de Zacharie. En fêtant la Transfiguration, nous sortons sur nos balcons intérieurs pour y construire la cabane provisoire qui laissera filtrer la gloire de Dieu irradiant du Christ à travers ses branchages (l’Église, nouvelle Tente de la Rencontre, imparfaite mais laissant entrevoir la beauté divine), même si c’est de nuit (la nuit de nos Passions).

– Paul personnalise cette attente eschatologique en promettant à chacun une résurrection sur le mode de la fête des Tentes célébrée au Thabor : « Nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes. En effet, actuellement nous gémissons dans l’ardent désir de revêtir notre demeure céleste par-dessus l’autre » (2Co 5,1–2).
Le corps humain est d’ores et déjà habité par cette beauté qui le transfigurera au dernier jour. C’est la grandeur du corps, Temple de l’Esprit, Tente de la rencontre avec Dieu et avec les autres. Chaque corps humain, qu’il corresponde ou non aux canons (très changeants !) de la mode de son époque, peut à certains moments irradier la beauté secrète qui l’habite.

– Luc emploie le même mot Tentes (σκηνς, skenas) qu’au Thabor pour désigner les demeures éternelles qui attendent des justes qui auront su remettre les dettes aux autres comme l’intendant licencié pour prodigalité (« Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les tabernacles (σκηνς) éternels » cf. Lc 16,1–9). Dresser la Tente du royaume de Dieu, c’est donc convertir nos mœurs à celles du royaume, notamment l’usage de l’argent, pour que nos demeures ici-bas reflètent quelque chose des « tentes éternelles » promises.

 

Tabernacle !
Cette curieuse traduction de la parabole de Luc nous met d’ailleurs sur une autre piste, que la traduction anglaise évoque également en employant le mot tabernacle pour traduire le grec σκηνς : « let us make three tabernacles… »
La Transfiguration serait donc une affaire de tabernacle ? !

Tabarnak !,’ s’exclameraient les Québécois avec un de leurs ‘sacres’ (jurons) préférés !
Le mot latin tabernaculum (diminutif de taberna = taverne) signifie en effet : hutte, tente, et a fini par désigner la petite boîte dans laquelle les catholiques conservent les hosties consacrées pour les distribuer aux absents, aux malades. Le tabernacle dans l’église renvoie donc à la fête des Tentes telle que Pierre l’a vécue au Mont Thabor ! Le pain consacré demeure dans cette petite taverne où à la lampe rouge signale sa présence (qu’on pense aux lampes non équivoques du « red light district » d’Amsterdam !)… Cette boîte reprend tout le symbolisme de Soukkot pour l’appliquer au Christ eucharistique, lui qui établit sa demeure parmi nous afin de nous faire demeurer en Dieu.
Lui qui nous fiance à nouveau dans la nouvelle Alliance de son sang en chaque eucharistie.
Lui qui se présente sous la forme du ‘pain de misère’ de la Pâque juive, fragile et dérisoire hostie comme est fragile et dérisoire la tente de Soukkot sur le balcon, nourrissant notre marche vers Dieu dans les déserts qui sont les nôtres.
Lui qui invite tous les peuples au banquet des noces comme l’annonçait Zacharie pour la fête des tentes.
Lui qui a vaincu la mort pour nous dresser une tente éternelle, non faite de main d’homme.

Habiter le Christ eucharistique sous cette tente nous met devant lui comme Pierre au Thabor, ébloui par sa beauté et sa gloire, adorant sa divinité, voyant en lui l’accomplissement de la Loi et des prophètes, Moïse et Élie lui rendant témoignage.

Dresser les tentes pour fêter le Christ transfiguré, c’est un peu abriter soigneusement le reste des hosties consacrées dans le tabernacle après la communion : le pain transfiguré nous parle de notre propre transfiguration à venir, déjà à l’œuvre…

Fêtons donc Soukkot au Mont Thabor ; rendons grâce pour les belles réussites de notre vie ; éprouvons à nouveau la joie des fiançailles et le rappel de notre précarité. Invitons tous les peuples à cette communion d’amour inaugurée en Christ. Prenons courage en contemplant le tabernacle, pour redescendre ensuite affronter nos Passions les plus terribles. Car, comme le disait Origène pour toute l’Écriture : « Ne crois pas que ces événements ont eu lieu il y a longtemps, mais qu’il ne se passera rien de semblable à vous qui écoutez aujourd’hui. Tout est fait en vous, spirituellement … »

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
Le Seigneur conclut une alliance avec Abraham, le croyant (Gn 15, 5-12.17-18)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, le Seigneur parlait à Abraham dans une vision. Il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage. » Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que je l’ai en héritage ? » Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. » Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les cadavres, Abram les chassa. Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »

Psaume
(Ps 26 (27), 1, 7-8, 9abcd, 13-14)
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut.
 (Ps 26, 1a)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N’écarte pas ton serviteur avec colère :
tu restes mon secours.

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

Deuxième lecture
« Le Christ transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Ph 3, 17 – 4, 1)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Frères, ensemble imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons. Car je vous l’ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant : beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Ils vont à leur perte. Leur dieu, c’est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne pensent qu’aux choses de la terre. Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection, vous, ma joie et ma couronne, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.

Évangile
« Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre » (Lc 9, 28b-36)
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
 De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.
Patrick BRAUD

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30 janvier 2022

Quand le Christ nous choisit

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quand le Christ nous choisit

Homélie du 5° Dimanche du temps ordinaire / Année C
06/02/2022

Cf. également :
La seconde pêche
La relation maître-disciple
Porte-voix embarqué
Du hérisson à la sainteté, puis au management
Dieu en XXL
Démêler le fil du pêcheur
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel

The Chosen
Une série télévisée fait grand bruit aux USA et a déjà débarqué en France sur C8 : The Chosen [1]. « Ceux qui ont été choisis », en anglais. Chaque épisode d’une heure environ nous montre non pas le parcours de Jésus, mais celui des protagonistes de son histoire. La série est plutôt érudite, en ce sens qu’elle fourmille de détails historiquement attestés ou vraisemblables sur la vie en Palestine au premier siècle. Financée entièrement par les dons des spectateurs (plus de 10 millions d’euros !) et distribuée en dehors des plateformes traditionnelles, la série traduite dans plus de 50 langues cumule déjà plus de 300 millions de vues dans le monde.

Le 4° épisode nous fait découvrir Simon et son frère André avec leurs associés Jean et Jacques. On voit bien qu’à eux tous, ils forment une PME déjà conséquente : 2 barques au moins, plusieurs marins-pêcheurs à leurs ordres, des commandes à honorer, des taxes romaines à payer (c’est Lévi qui s’en charge pour l’occupant !). Tout cela est fort bien rendu. Sauf peut-être la fiction romanesque où le scénariste montre Simon accablé par les dettes, ne pouvant payer l’impôt romain, et finalement bien content de la pêche miraculeuse pour apurer son bilan comptable… Sans aller jusqu’à ce degré de fiction, on peut néanmoins imaginer avec The Chosen que Simon, Jacques et Jean tels que décrits dans l’Évangile de Luc ce dimanche (Lc 5, 1-11) faisaient tourner effectivement une PME de pêche assez conséquente sur le lac de Tibériade. Une classe moyenne sans doute aisée pour l’époque. Mais un métier surprenant ! Car l’eau, la mer, la pêche ne font pas partie du génie d’Israël à cette époque, et depuis des siècles ! À tel point que les autres évangélistes juifs comme Mathieu et Marc, parlant à des juifs, utilisent toujours le terme de mer pour désigner ce que Luc a raison d’appeler lac, tellement ils avaient peur de la moindre flaque d’eau ! La retenue d’eau naturelle qui transforme le Jourdain en lac n’a guère que 21 kms de long et 13 kms de large : pas de quoi effrayer de vrais marins, comme les Phéniciens de la côte ou les autres peuples de la mer ayant envahi le pourtour de la Méditerranée quelques siècles avant. Israël n’a jamais excellé dans l’industrie maritime, ni l’art de la guerre sur l’eau. Seuls quelques textes anciens vantent la flotte de Salomon d’autrefois, mais on n’en a guère la trace. De plus, la mer faisait peur aux juifs, qui la considéraient comme la demeure des monstres marins terrifiants comme le Léviathan, ou des poissons géants comme celui qui avala Jonas, ou des tempêtes soudaines qu’ils étaient incapables d’affronter. Si bien que le moindre coup de vent sur le lac de Tibériade paraissait une tornade pour les terriens alentours.

Sombre et maléfique, lieu de la mort et de la perdition, la mer ne donnait pas bonne réputation aux métiers qui lui sont liés. Un peu comme les dockers plus tard à l’ère industrielle dans les ports, les marins-pêcheurs étaient plutôt mal vus, constituant une caste un peu à part. La majorité des habitants du pays travaillait la terre, les autres étaient artisans ou fonctionnaires. C’était le génie des peuples étrangers que de s’occuper de la pêche et de la navigation, pas d’Israël. Une autre version de l’opposition sédentaires-nomades, agriculteurs-bergers en somme.

Appeler non pas les justes mais les pécheurs
Et voilà que Jésus choisit 3 pêcheurs comme premiers disciples ! Choix étonnant, et même déroutant, comme Augustin en témoigne encore au IV° siècle :
Quand le Christ nous choisit dans Communauté spirituelle banniere_nl_-texte_du_j.16_01« Si le Christ avait choisi en premier lieu un orateur, l’orateur aurait pu dire: « J’ai été choisi pour mon éloquence ». S’il avait choisi un sénateur, le sénateur aurait pu dire: « J’ai été choisi à cause de mon rang ». Enfin, s’il avait choisi un empereur, l’empereur aurait pu dire : « J’ai été choisi en raison de mon pouvoir ». Que ces gens-là se taisent, qu’ils attendent un peu, qu’ils se tiennent tranquilles. Il ne faut pas les oublier ni les rejeter, mais les faire attendre un peu; ils pourront alors se glorifier de ce qu’ils sont en eux-mêmes.
« Donne-moi, dit le Christ, ce pêcheur, donne-moi cet homme simple et sans instruction, donne-moi celui avec qui le sénateur ne daigne pas parler, même quand il lui achète un poisson. Oui, donne-moi cet homme. Certes, j’accomplirai aussi mon œuvre dans le sénateur, l’orateur et l’empereur. Un jour viendra où j’agirai aussi dans le sénateur, mais mon action sera plus évidente dans le pêcheur. Le sénateur, l’orateur et l’empereur peuvent se glorifier de ce qu’ils sont : le pêcheur, uniquement du Christ. Que le pêcheur vienne leur enseigner l’humilité qui procure le salut. Que le pêcheur passe en premier. C’est par lui que l’empereur sera plus aisément attiré. »
Songez donc à ce pêcheur saint, juste, bon et rempli du Christ, qui a reçu la charge de prendre ce peuple et tous les autres en jetant son filet jusqu’au bout du monde ».
Saint Augustin (+ 430), Sermon 43, 5-6, CCL41, 510-511

Quand Dieu choisit, il ne le fait pas à la manière humaine, en appelant les plus nobles, les plus riches ou les plus réputés. Le 4e disciple appelé par Jésus confirmera cette tendance divine à contre-courant de nos critères habituels. Il choisira Lévi, le collecteur d’impôts assis au bureau des taxes de Capharnaüm (Lc 5,27-32). Un collabo ! Après les trois marins-pêcheurs, ce choix ne rehausse pas le prestige social du groupe ! D’ailleurs, la racaille invitée au festin donné par Lévi dans sa maison à cette occasion incommode fortement les pharisiens et leurs scribes ! Ce qui permet à Jésus de donner la clé de ces appels étonnants : « je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs ».

Annulus_piscatorius appel dans Communauté spirituelle

L’anneau du pêcheur porté par le pape

Paul refera ce constat anormal, justement à Corinthe, port maritime grouillant de tous les extrêmes à l’entrée de l’isthme de Corinthe. Dockers, esclaves, prostituées, gens de basse condition formaient le gros de la petite assemblée de Corinthe, dont le prestige intellectuel, spirituel et social était du coup quasi nul :
« Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort » (1 Co 1, 26 27).

Quelle Église aujourd’hui est fidèle à ce critère de choix ?
Les assemblées évangéliques dans les quartiers défavorisés débordant d’immigrés et d’Outre-Mer. Les groupes réunis par le Secours catholique, la fondation Emmaüs ou ATD Quart-Monde. Les aumôneries d’hôpital, d’EHPAD, de prison, de pavillons de psychiatrie… Les assemblées plus huppées des beaux quartiers protesteront : ‘la vraie pauvreté ne se voit pas toujours ; nous en avons aussi chez nous !’. C’est vrai, mais avouez qu’il y a quand même moins de ‘gens de rien’ à la paroisse d’Auteuil (fort respectable au demeurant !) qu’à l’aumônerie de la prison de la Santé…

Le critère évangélique du choix par Dieu des mal vus et des humbles doit nous provoquer à une relecture critique de la composition de nos assemblées, et à en tirer les conséquences : non pas renvoyer les riches, mais appeler les pauvres, les mal vus, et leur donner une place centrale !

Notons au passage deux autres caractéristiques du choix par Jésus de ses disciples : ils exercent tous un métier et cela va compter dans leur mission ; ils sont appelés à tout quitter pour suivre Jésus, et pas seulement à lui faire de la publicité.

Un métier, une vocation
Politik als Beruf

Sur leur métier : il y a à la fois rupture et continuité entre leur métier et leur vocation, leur mission. Songez qu’en allemand c’est le même mot : Beruf qui veut dire métier et vocation ! Et en français, le mot métier vient du latin ministerium = ministère, service de celui qui se fait plus petit (minus) que l’autre pour le servir.
Le jeu de mots de Jésus : pêcheurs de poissons / pêcheurs d’hommes traduit cette rupture et cette continuité. Ce que marque également le détail mentionné par Luc pour Lévi : assis à son bureau de taxes, il sait manier la plume et le calcul. Il mettra ces talents au service de la rédaction de l’Évangile en devenant Matthieu. Pierre et ses compagnons mettent eux leur talent de marins-pêcheurs au service de l’avancée de la barque-Église au large, en eau profonde, c’est-à-dire chez les nations païennes (Chypre, Malte, Rome, la Turquie, la Grèce etc.).

Exercer son métier avec compétence et talent est donc l’une des meilleures préparations au ministère apostolique ! Nous l’avons peut-être oublié en Occident dans la formation des futurs prêtres… En tout cas, c’est à partir de notre métier que le Christ discerne comment nous appeler. De quoi redonner une valeur hautement spirituelle à la déontologie, à la conscience professionnelle, à l’éthique au travail, à l’excellence dans son métier. L’aventure des prêtres-ouvriers en France aurait pu développer cette veine spirituelle de l’appel lié à un métier. Mais les compromissions idéologiques avec le marxisme des années d’après-guerre ont malheureusement fait échouer cette tentative, qui nous manque cruellement à l’heure actuelle. Le Père Joseph Wrezinski, fondateur d’ATD Quart-Monde, le Père Bernard Dewaere, fondateur d’Habitat et Humanisme, Sr Irène Devos, fondatrice de Magdala etc. sont avec quelques autres des figures contemporaines du lien entre compétence professionnelle et mission ecclésiale. Mais trop rares… Les diacres permanents pourraient relever le défi (à condition qu’on ne les cantonne pas dans des fonctions liturgiques ou sacramentelles de suppléance…).

Tout quitter : vraiment ?
Dernière caractéristique du choix par Jésus : « tout quitter ». C’est Luc qui insiste particulièrement sur cette dimension de l’appel : « laissant tout » (les trois pêcheurs en Lc 5,11), « quittant tout » (Lévi en Lc 5,28), ils le suivirent. On peut se demander d’ailleurs comment cela s’est passé en réalité. Car on ne ferme pas une PME de pêche comme cela. Et on ne démissionne pas de la fonction publique non plus en claquant des doigts. Luc exagère donc un peu, pour montrer combien suivre le Christ se traduit tôt ou tard par de vraies coupures, des renoncements et des séparations radicales. Pas même le temps de vendre la pêche miraculeuse et les 2 barques pour se constituer un petit capital d’avance ! Pas même le temps de négocier le solde de tout compte que l’État romain doit à Lévi !

riche métier« Voilà que nous avons tout quitté pour te suivre », dira Pierre (Mc 10,28). Tout quitter  restera un idéal à atteindre, que François d’Assise, Charles de Foucauld, Mère Teresa et quelques grandes figures de sainteté ont réellement mis en œuvre. Mais la plupart du temps, il est humain, très humain de reprendre d’une main ce qu’on a cru donner de l’autre. Certains prêtres et religieuses ont quitté une possible vie de famille ou de succès séculier, mais récupèrent très vite un prestige, une autorité, une notoriété, un statut social fort enviables, sans compter une sécurité matérielle aujourd’hui appréciable. N’oublions pas que rentrer dans les ordres fut une promotion sociale pendant des siècles ! Et paradoxalement cela le redevient, avec le cléricalisme de nombre de jeunes prêtres dans des petits cercles de catholiques privilégiés…

Qu’as-tu quitté pour suivre le Christ ?
Qu’as-tu récupéré, plus ou moins consciemment ?
Si tu as panaché ton adhésion comme on ventile une épargne entre des fonds à risque, des assurances-vie, de l’immobilier etc. alors tu vas jouer sur tous les tableaux en même temps, et tu vas perdre sur l’essentiel !

Laissons donc le Christ choisir à sa manière qui il veut.
Cultivons le métier où nous pourrons entendre cet appel.
Préparons-nous à tout quitter, c’est-à-dire au moins davantage que nos petites concessions à l’Évangile…

 


[1]. Cf. https://watch.angelstudios.com/thechosen (choisissez « French » dans les sous-titres en cliquant sur les 3 points en bas à droite)

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Me voici : envoie-moi ! » (Is 6, 1-2a.3-8)

Lecture du livre du prophète Isaïe
L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils se criaient l’un à l’autre : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. » Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le Temple se remplissait de fumée. Je dis alors : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! » L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche et dit : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. » J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? » Et j’ai répondu : « Me voici : envoie-moi ! »

Psaume

(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 4-5, 7c-8)
R/ Je te chante, Seigneur, en présence des anges.
 (cf. Ps 137, 1c)

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

Tous les rois de la terre te rendent grâce
quand ils entendent les paroles de ta bouche.
Ils chantent les chemins du Seigneur :
« Qu’elle est grande, la gloire du Seigneur ! »

Ta droite me rend vainqueur.
Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

Deuxième lecture
« Voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez » (1 Co 15, 1-11)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Évangile, vous l’avez reçu ; c’est en lui que vous tenez bon, c’est par lui que vous serez sauvés si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé ; autrement, c’est pour rien que vous êtes devenus croyants. Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre, puis aux Douze ; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois – la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort –, ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis. Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi.
Bref, qu’il s’agisse de moi ou des autres, voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez.

Évangile
« Laissant tout, ils le suivirent » (Lc 5, 1-11)
Alléluia. Alléluia. 
« Venez à ma suite, dit le Seigneur, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Alléluia. (Mt 4, 19)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. à cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.
Patrick BRAUD

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18 avril 2021

Quelle est votre clé de voûte ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quelle est votre clé de voûte ?

Homélie du 4° Dimanche de Pâques / Année B
25/04/2021

Cf. également :
Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
L’agneau mystique de Van Eyck
La Résurrection est un passif
Le berger et la porte
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Il est fou, le voyageur qui…

Donner voix aux plus pauvres

Quelle est votre clé de voûte ? dans Communauté spirituelle Marron-Histoire-Education-PresentationLe jeudi 25 Mars 2021, une mini réforme du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) est passée presque inaperçue. Il s’agissait de diminuer le nombre de délégués à cette institution, pour la rendre plus efficace. Mais – surprise ! - le siège traditionnellement confié à ATD Quart-Monde avait disparu de la nouvelle assemblée, sans explication. Rappelons qu’ATD est de tous les combats contre la pauvreté depuis sa fondation en 1957 par le Père Joseph Wresinski. En passant de 233 à 175 conseillers, la réforme devait forcément faire des mécontents. Il faut se rendre à l’évidence : les grands perdants de cette redistribution sont les représentants des pauvres.

ATD-Quart Monde est ainsi écartée, et il ne reste que deux sièges (la Croix Rouge et le collectif Alerte qui réunit 35 fédérations et associations nationales, dont fait partie ATD Quart Monde [1]) qui pourraient porter la voix de la pauvreté. Marie-Aleth Grard, la présidente d’ATD, se dit stupéfaite et rappelle que son association y siégeait depuis 1979.

« Nous avons beaucoup d’estime pour La Croix-Rouge mais cette institution n’est pas le porte-parole des plus pauvres, plaide Marie-Aleth Grard. ATD Quart Monde siège au CESE depuis 1979 et y a produit les rapports les plus diffusés de l’institution ». Par exemple, en 1987, celui de son fondateur Joseph Wresinski, « Grande pauvreté et précarité économique et sociale », qui a abouti à la création du Revenu Minimum d’Insertion. Mais aussi, en 1997, celui de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, alors présidente d’ATD, qui a nourri la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 et inspiré les dispositifs de couverture maladie universelle (CMU) et de droit au logement opposable (DALO). D’autres font remarquer qu’on est très loin de l’objectif affiché d’une représentation des 15% de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté. Au moment où la pauvreté ne cesse d’augmenter en période Covid, Marie-Aleth Grard trouve qu’après la suppression en 2019 de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion (ONPES), « le signal est inquiétant ».

Quelle est donc cette société qui s’arrange pour ne plus entendre la voix des plus pauvres ? Comment imaginer de nouvelles législations sociales sans prendre le temps de consulter ceux qui sont les premiers concernés par les mesures à venir ?

Voilà un exemple flagrant – et bien français – du rejet de pierres vivantes par les bâtisseurs de la cité ! C’est bien cette exclusion en pratique que vise le psaume 117 de notre dimanche : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ».

Ce psaume dit deux choses : nous sommes capables de rejeter aux marges de la construction commune des pans entiers de la population ; mais cette exclusion peut être retournée comme un gant et devenir la chance de salut pour tous si nous savons avec Dieu faire des exclus d’aujourd’hui la pierre d’angle de la société de demain. Dans cet esprit, ATD a fondé une fraternité : « La Pierre d’Angle », entre des personnes du Quart Monde et d’autres qui les rejoignent (de 25 villes environ). La Pierre d’Angle favorise un esprit commun, qui pourrait se décliner de la manière suivante :

ne pas cesser de rechercher le plus pauvre et le plus oublié, et lui donner la priorité
apprendre de l’expérience de vie des plus pauvres
découvrir avec eux comment la présence de Dieu se manifeste déjà dans leur vie
favoriser pour chaque fraternité et pour chacun de ses membres une participation accrue à la vie de l’Église et du monde
transmettre l’expérience de vie et la réflexion des plus pauvres à l’Église et au monde.
« Le Christ était la pierre d’angle et il faisait des plus pauvres la vie, la prière, la foi de l’Église à travers les siècles. Suivre Jésus a cette double signification : se faire pauvre et servir les plus pauvres, mais aussi : apprendre d’eux ce qu’est la vie, ce qu’est l’humanité, mais aussi : qui est Dieu » (Père Joseph Wresinski).

L’enjeu de ce retournement social est tel que Jésus lui-même n’a pas hésité à s’identifier à la pierre rejetée du psaume 117 : « Que signifie donc ce qui est écrit : « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » ? » (Lc 20,17). En effet, y a-t-il pire exclusion à l’époque de Jésus que la croix pour un juif ? Châtiment d’esclave en fuite, infamant aux yeux des Romains, source de malédiction religieuse pour les croyants juifs, déshonorant aux yeux de tous, humiliant et suppliciant… : la croix était la mise à l’écart – violente et éternelle – des rebuts d’Israël et de l’Empire. Jésus sait donc de quoi il parle lorsqu’il évoque le rejet par les bâtisseurs…

 

Les deux pierres

Christ-is-the-Cornerstone-of-our-Faith ATD dans Communauté spirituelleRevenons quelques instants sur le psaume 117. Il a été écrit lors de la reconstruction du Temple de Jérusalem, après la catastrophe de l’Exil à Babylone en -586, au retour d’exil en -536. Le livre d’Esdras en témoigne : « Alors les maçons posèrent les fondations du Temple du Seigneur, tandis que prenaient place les prêtres revêtus de leurs ornements, avec les trompettes, puis les lévites, fils d’Asaph, avec les cymbales, afin de louer le Seigneur selon les indications de David, roi d’Israël » (Esd 3, 10). Le rapprochement de ce texte d’Esdras avec le début et la fin du Psaume 117, nous incite à penser que la pierre angulaire représente la pierre de fondation du Temple et que ce psaume est un hymne en relation avec la fondation du Temple de Dieu.
Isaïe fait également ce lien : « Voilà pourquoi, ainsi parle le Seigneur Dieu : Moi, dans Sion, je pose une pierre, une pierre à toute épreuve, choisie pour être une pierre d’angle, une véritable pierre de fondement. Celui qui croit ne s’inquiétera pas » (Is 28, 16).

Dieu avait expliqué une vision au prophète Zacharie où il est question de la pierre principale, donc la pierre angulaire : « Qui es-tu, grande montagne ? Devant Zorobabel, te voici une plaine ! Il en extrait la première pierre, parmi les acclamations : La grâce, la grâce sur elle ! » (Za 4, 7). Dans ce texte la grande montagne pourrait être la montagne de ruines du Temple de Salomon et de la ville de Jérusalem détruits par les Babyloniens. Cette « montagne » aurait occupé l’emplacement du Temple, ce qui pourrait donner l’impression que la reconstruction du Temple serait impossible. Par cette vision, Dieu donnait l’assurance que la pierre principale, littéralement la pierre de tête, donc la pierre de fondation ou la pierre faîtière, serait posée. Le message de Dieu est clair : quelques soient les difficultés, le Temple sera achevé. Cette montagne pourrait aussi être, dans un sens figuré, une métaphore pour parler des différents obstacles à la restauration du Temple. La pierre rejetée du Psaume 117,22 pourrait être en relation avec les difficultés rencontrées par les bâtisseurs lors de la reconstruction du Temple. Une sorte d’adage comme : ‘les premiers seront les derniers’, montrant le changement de destinée de la « pierre rejetée » lors de la restauration du Temple à l’époque perse.

Colosse DanielLa construction du second Temple a une seconde signification : la destruction des idolâtries des royaumes étrangers. La vision du prophète Daniel mentionne ainsi une autre pierre que la pierre d’angle, symétrique pourrait-on dire car elle va dévaler sur les royaumes païens et faire s’écrouler le colosse aux pieds d’argile qui figurait les dominations idolâtres. Cette pierre détruira tous les royaumes terrestres symbolisés par une statue faite de plusieurs métaux et d’argile : « Or, au temps de ces rois, le Dieu du ciel suscitera un royaume qui ne sera jamais détruit, et dont la royauté ne passera pas à un autre peuple. Ce dernier royaume pulvérisera et anéantira tous les autres, mais lui-même subsistera à jamais. C’est ainsi que tu as vu une pierre se détacher de la montagne sans qu’on y ait touché, et pulvériser le fer, le bronze, l’argile, l’argent et l’or. Le grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit ensuite advenir. Le songe disait vrai, l’interprétation est digne de foi » (Dn 2, 44 45).

Isaïe annonçait même que le Temple deviendrait une pierre d’achoppement qui ferait tomber les maisons d’Israël et de Judas : « Il deviendra un lieu saint, qui sera une pierre d’achoppement, un roc faisant trébucher les deux maisons d’Israël, piège et filet pour l’habitant de Jérusalem. » (Is 8, 14). Les chrétiens y ont vu l’annonce de la résurrection de Jésus, dont le corps est le vrai Temple de Dieu, ce que les juifs ne pourront admettre.

 

Jésus connaît bien sûr ces passages de l’Écriture sur les deux pierres, et il en joue pour évoquer sa mission et son identité. Il fait le lien entre la pierre angulaire du psaume et la pierre d’achoppement de Daniel : « Que signifie donc ce qui est écrit : « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. Tout homme qui tombera sur cette pierre s’y brisera ; celui sur qui elle tombera, elle le réduira en poussière !” » (Lc 20, 17 18).

Le reste du Nouveau Testament a suivi unanimement cette double identification de Jésus à la pierre d’achoppement qui fait s’écrouler l’ancien monde (la Loi, les sacrifices d’animaux, la circoncision etc.) et à la pierre d’angle sur laquelle s’appuie la construction du Nouveau Monde, le royaume de Dieu, dont l’Église a pour vocation d’être un signe et une anticipation :

« Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle » (Ac 4, 11).
« Vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondations les Apôtres et les prophètes ; et la pierre angulaire, c’est le Christ Jésus lui-même » (Ep 2, 20).
« Selon la grâce que Dieu m’a donnée, moi, comme un bon architecte, j’ai posé la pierre de fondation. Un autre construit dessus. Mais que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction. La pierre de fondation, personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ » (1 Co 3, 10-11).
« Approchez-vous de lui : il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu » (1 P 2, 4).

Paul mélange les deux citations d’Ésaïe, celle du chapitre 28,16 et celle du chapitre 8,14 confirmant que la pierre angulaire et la pierre d’achoppement sont une seule et même pierre : « au lieu de compter sur la foi, ils comptaient sur les œuvres. Ils ont buté sur la pierre d’achoppement dont il est dit dans l’Écriture : Voici que je pose en Sion une pierre d’achoppement, un roc qui fait trébucher. Celui qui met en lui sa foi ne connaîtra pas la honte » (Rm 9, 32 33).

Pierre explique la raison pour laquelle la pierre angulaire, symbole de salut se transforme en pierre d’achoppement : « En effet, il y a ceci dans l’Écriture : Je vais poser en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie, précieuse ; celui qui met en elle sa foi ne saurait connaître la honte. Ainsi donc, honneur à vous les croyants, mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche. Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver » (1 P 2, 6 8).

Dire de Jésus qu’il est la pierre d’angle est d’une grande portée sociale et politique : en lui, les rejetés sont réintégrés dans la construction commune, à la première place.
Dire de Jésus qu’il est la pierre d’achoppement implique une contestation chrétienne radicale des systèmes économiques et sociaux injustes et oppresseurs, tel le colosse aux pieds d’argile de Daniel. On se souvient par exemple de la dénonciation très tôt du communisme comme « intrinsèquement pervers », ou de l’avortement comme « un crime abominable ». En opposition frontale aux puissances de leur époque, ces contestations  finissent par faire triompher la vérité et s’écrouler les mensonges.

 

La clé de voûte
Pierre placée à l’angle, au coin d’un bâtiment, à l’endroit où deux murs se rejoignent, la pierre d’angle joue un rôle important, car elle sert à unir les deux murs et à les fixer solidement l’un à l’autre. La pierre d’angle principale d’un bâtiment se situait au niveau des fondations ; c’était la pierre angulaire de fondement. Pour les bâtiments publics et les murailles des villes, on choisissait une pierre particulièrement solide.

De nos jours, nous ne construisons plus de bâtiments en pierres mais en béton. Et là, pas de pierre d’angle. Les édifices en briques non plus n’en comportent pas. Le symbolisme de cette jonction entre deux murs perpendiculaires ne joue plus dans notre imaginaire contemporain. On ne voit pas non plus comment un monument pourrait s’appuyer sur une seule pierre de fondation. Les fondations, c’est bien autre chose : des tranchées profondes dans le sol, dans lesquelles on plante des pieux ou une armature de barres d’acier sur des lits de pierre ou de béton. Dans le domaine architectural actuel, une pierre angulaire n’est finalement qu’une pierre à l’angle de la construction, sans symbolique particulière, ni même d’importance de fiabilité sur la résistance des murs.

1024px-Parties_d%27un_arc_en_plein_cintre PâquesAlors, comment garder le sens de l’image la pierre d’angle dans notre architecture ? Peut-être en la remplaçant par celle de la clé de voûte, qui nous est plus familière depuis l’art roman. La clé de voûte est cette pierre qui, au sommet d’un arc, tient ensemble toutes les pierres de l’arc en répartissant la pression de la voûte uniformément sur elles. Si on l’enlève, la voûte s’effondre sous son poids. Elle vient couronner l’ouvrage, à tel point que les clés de voûte des cloîtres, des abbatiales, des palais sont le plus souvent magnifiquement ornées de sculptures, des armes du prince ou de symboles. À l’instar de la pierre angulaire, la clé de voûte est ce qui fait tenir ensemble des pierres s’élevant en une construction commune. Sur elle s’appuient les autres. Elle garantit la cohésion de l’arc, la solidité de la voûte. Elle en est le joyau architectural.

Proclamer que Jésus est la clé de voûte de mon existence me demande donc un sérieux examen de conscience : est-il vraiment si central que cela dans ma vie ? Est-ce sur lui que s’appuient toutes les autres composantes de mon existence ? Est-ce lui vers qui tout converge en moi ?

Le test de la clé de voûte est le test du descellement. Faites une expérience de pensée : descellez en pensée tel élément de votre existence et voyez ce qui se passe. Si rien ne s’effondre, c’est que cet élément n’était pas si central que cela. Si tout s’écroule, vous tenez là sans doute votre clé de voûte !

Pour la plupart d’entre nous, c’est le travail, ou le conjoint, ou la famille ou la santé qui tient lieu de réelle clé de voûte. La foi est ornementale, mais rarement centrale : si vous en privez certains, il y aura bien quelques dégâts, mais uniquement des dommages collatéraux. Ils se reconstruiront facilement et rapidement, autrement. On peut expliquer ainsi la disparition du christianisme devant la poussée de l’islam au VII° siècle en Afrique du Nord : quelques  décennies auront suffi pour déraciner une foi en Jésus qui n’était finalement pas si solide que cela, malgré les Augustin d’Hippone ou autre grandes figures de l’Afrique ancienne… Peut-être est-ce ce qui se produit actuellement en Europe ?

 

Et vous, quelle est votre clé de voûte ?

Nuage-de-mots-veille-e1513119017975 PierrePas celle que vous allez déclarer, la main sur le cœur, être votre pilier intérieur.
Celle qui, lorsque tout vient à manquer, vous laissera désemparé et détruit.
Regardez en vous-même, car l’argent joue souvent ce rôle, ou la santé, ou la famille. Quelquefois l’amour des autres, mâtiné d’un fort besoin de reconnaissance finalement assez égoïste.
Qui peut dire en vérité que l’amour de Dieu est la clé de voûte de son parcours sur terre ?
Qui peut affirmer sans trembler que Jésus ressuscité est sa solidité la plus authentique ?
Qui peut proclamer que les rejetés des bâtisseurs sont ceux pour lesquels il se bat, afin de les mettre au sommet, au principe de nos institutions ?
L’Église elle-même peut-elle dire sans trembler que réhabiliter les exclus est le combat de sa vie, au nom de Jésus le rejeté–exalté ?

 

Et pourtant, c’est bien à cela que nous sommes appelés, chacun et ensemble : faire des rebuts de la société la clé de voûte de nos engagements.
Fêter Pâques est à ce prix, car « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ».

 

 


[1]. Techniquement, Alerte peut désigner ATD pour occuper le siège qui lui revient mais cela sera au détriment d’une autre association comme Les Petits Frères des Pauvres, qui représentait le réseau dans l’assemblée sortante.

 

 

LECTURES DE LA MESSE 

PREMIÈRE LECTURE
« En nul autre que lui, il n’y a de salut » (Ac 4, 8-12)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, Pierre, rempli de l’Esprit Saint, déclara : « Chefs du peuple et anciens, nous sommes interrogés aujourd’hui pour avoir fait du bien à un infirme, et l’on nous demande comment cet homme a été sauvé. Sachez-le donc, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël : c’est par le nom de Jésus le Nazaréen, lui que vous avez crucifié mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts, c’est par lui que cet homme se trouve là, devant vous, bien portant. Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. »

PSAUME
(Ps 117 (118), 1.8-9, 21-23, 26.28-29)
R/ La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. ou : Alléluia ! (Ps 117, 22)

Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !
Mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur
que de compter sur les hommes ;
mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur
que de compter sur les puissants !

Je te rends grâce car tu m’as exaucé :
tu es pour moi le salut.
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d’angle :
c’est là l’œuvre du Seigneur,
la merveille devant nos yeux.

Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !
De la maison du Seigneur, nous vous bénissons !
Tu es mon Dieu, je te rends grâce,
mon Dieu, je t’exalte !
Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Éternel est son amour !

DEUXIÈME LECTURE
« Nous verrons Dieu tel qu’il est » (1 Jn 3, 1-2)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.

ÉVANGILE
« Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11-18)
Alléluia. Alléluia.Je suis le bon pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Patrick Braud

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