Le trésor et le marchand
Le trésor et le marchand
Homélie pour le 17° Dimanche du Temps Ordinaire / Année A
30/07/2023
Les aventuriers de l’Arche perdue
Harrison Ford est prêt à tout pour récupérer l’Arche d’Alliance fabriquée sur les plans de Moïse pendant l’Exode ! On lui prête des pouvoirs magiques, et elle ferait la fortune de son découvreur. Alors notre aventurier traverse les déserts, les océans, gravit les montagnes, affronte des méchants sans nombre, tout cela pour un vieux reliquaire plaqué or ! Et il n’est pas le seul : le Graal, le trésor des Templiers, le Da Vinci Code, l’Atlantide engloutie, les cités oubliées etc. font le bonheur d’Hollywood, blockbuster après blockbuster !
Jésus n’avait pas vu le film, mais la vie quotidienne lui donnait des scénarios tout aussi spectaculaires ! Ainsi les quatre paraboles de ce dimanche (Mt 13,44-52) parlent d’un trésor caché, d’un marchand avide de perles, d’un filet de pêche à trier sur le rivage, d’un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien.
Chercher, où se laisser chercher ?
Limitons-nous aujourd’hui aux deux premières paraboles qui se font miroir en quelque sorte :
« Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ.
Ou encore : Le royaume des Cieux est comparable à un marchand qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle ».
Elles ont l’air semblables au premier abord. Les notes en bas de page de nos bibles semblent indiquer qu’elles se répètent pour mieux insister sur un seul message : “L’homme découvre le royaume ; il en apprécie l’immense valeur ; sa réaction est à la mesure de sa découverte. La parabole qui suit exprime la même idée.” “Ces paraboles sont une exhortation à tout vendre pour avoir cette joie”.
Il s’agirait donc de deux images du royaume des cieux, si précieux que cela vaut la peine de tout vendre pour l’acquérir.
Pourtant, cette ressemblance des deux paraboles ne résiste pas à un examen approfondi.
Le tableau suivant permet de les comparer :
Les différences sont suffisamment conséquentes pour ne pas fusionner les deux paraboles en une seule.
En fait, le texte montre que la première parabole parle du royaume comme d’un trésor caché : il est offert fortuitement et gracieusement à un homme qui ne le cherchait pas, mais qui va réaliser un gain énorme en achetant le champ à son prix normal, et donc le trésor caché dans le champ pour une bouchée de pain comparé à sa valeur !
La deuxième parabole compare le royaume un marchand (et non à son trésor), qui cherche des perles précieuses, d’Anvers à Johannesburg, pour en enrichir sa collection. On peut alors faire l’hypothèse que la première parabole nous parle de l’homme heureusement surpris par le don gracieux du royaume qui lui est fait moyennant une légère contribution. La deuxième parabole nous parle de Dieu en quête de l’homme, la perle la plus précieuse de sa Création, et Dieu est prêt à payer le plus grand prix pour racheter cette perle lorsqu’elle « livrée aux pourceaux » (Mt 7,6).
L’enjeu spirituel n’est pas le même :
- dans le premier texte, il s’agit pour nous d’accueillir, puis de nous investir totalement dans la réception de ce don gratuit ;
- dans le deuxième texte il s’agit pour nous de nous laisser chercher par un Dieu prêt à tout pour nous récupérer.
En écho de la première parabole, on entend Paul qui a tout quitté pour le trésor caché qu’est le Christ : « Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ » (Ph 3,8).
En prolongation de la deuxième parabole, on entend Jean stupéfait de contempler Dieu se livrant lui-même pour nous : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3,16). Ou Paul encore contemplant Dieu se « liquidant » lui-même en Christ dans son abaissement (kénose) pour nous sauver : « Le Christ, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes… » (Ph 2,6–11).
Le royaume-trésor-caché nous invite à accueillir le don gratuit qui nous est fait, moyennant une coopération somme toute minime (l’achat du champ, c’est un peu le prix du billet de loterie pour toucher le gros lot !).
Le royaume-marchand-de-perles nous invite à accueillir en nous celui qui se vide de lui-même (kénose) pour nous enrichir de sa divinité.
Deux paraboles en miroir en quelque sorte :
- l’homme qui touche le gros lot, inespéré, énorme vs Dieu qui paye le prix fort.
- l’homme qui reçoit sans avoir cherché vs Dieu qui cherche sans compter.
D’ailleurs, comment la deuxième parabole pourrait-elle mettre l’homme en scène ? Ce serait insinuer que le royaume de Dieu peut s’acheter. Si c’était le cas nous serions dans une doctrine de salut par les œuvres. Cela voudrait dire que nous pourrions par nos efforts, notre recherche et par nos propres moyens accéder au royaume des cieux. C’est totalement contraire à tout le message de l’Évangile.
Et si c’était Dieu lui-même – telle la femme qui a perdu une de ses dix pièces d’argent – qui met le monde sens dessus dessous afin de retrouver l’humanité égarée ? « Si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Quand elle l’a retrouvée, elle rassemble ses amies et ses voisines pour leur dire : ‘Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’ Ainsi je vous le dis : Il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit.’ » (Lc 15,8-10) Cette femme inquiète d’avoir perdu un dixième de son épargne, c’est Dieu pleurant de voir l’homme se perdre, et mettant tout en œuvre pour aller le chercher.
Vous objecterez peut-être : l’homme (moi, toi, nous) est-il vraiment une perle de grand prix ? Évidemment, si je regarde mes contradictions, mes limites, mon péché, je vais douter d’être cette perle fine… Et que dire des méchants dont la noirceur d’âme fait douter de la perle en eux ? Mais c’est justement là le message si bouleversant de l’Évangile : malgré mes défauts, malgré mes trahisons, malgré mes craintes, j’ai une valeur inestimable aux yeux de Dieu. Et les méchants aussi. Cette valeur c’est le prix qu’il a payé pour mon rachat, le prix qu’il a payé pour que je lui appartienne : la vie de son Fils unique. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3,16).
Les psaumes savent se placer du côté de Dieu pour s’émerveiller avec lui de cette beauté cachée en chaque être humain : « Je te bénis Seigneur pour la merveille que je suis » (Ps 138,14). « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur… » (Ps 8).
Au hasard de ses rencontres dans la poussière des chemins de Palestine, Jésus n’aura de cesse de rechercher la perle fine en chaque interlocuteur, même le plus vulgaire, le plus compromis, le moins fréquentable. « En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10). Il paiera le prix fort pour acquérir la perle précieuse en chacun. Comme par un effet de vases communicants, plus il restaurera en Marie la prostituée, en Zachée le collabo et autres lépreux de la vie leur éclat initial, plus lui-même sera méprisé, moqué, avili, et finalement maudit sur la croix.
Contempler ce don sans mesure peut nous aider à coopérer à l’œuvre de salut que le Christ continue d’opérer en nous et autour de nous.
Autrement dit : nous sommes la perle fine, rachetée, et du coup nous nous investissons totalement dans l’accueil de ce trésor caché, afin de le faire fructifier à travers toutes nos responsabilités.
Méditons donc cette semaine ces deux paraboles unies comme les deux faces d’une pièce de monnaie : le trésor caché et le marchand, le champ et la perle, de quoi sont-ils les figures pour moi aujourd’hui ?
Que signifierait pour moi : « se laisser chercher » ?…
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Tu m’as demandé le discernement » (1 R 3, 5.7-12)
Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, à Gabaon, pendant la nuit, le Seigneur apparut en songe à Salomon. Dieu lui dit : « Demande ce que je dois te donner. » Salomon répondit : « Ainsi donc, Seigneur mon Dieu, c’est toi qui m’as fait roi, moi, ton serviteur, à la place de David, mon père ; or, je suis un tout jeune homme, ne sachant comment se comporter, et me voilà au milieu du peuple que tu as élu ; c’est un peuple nombreux, si nombreux qu’on ne peut ni l’évaluer ni le compter. Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ; sans cela, comment gouverner ton peuple, qui est si important ? »
Cette demande de Salomon plut au Seigneur, qui lui dit : « Puisque c’est cela que tu as demandé, et non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, mais puisque tu as demandé le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner, je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage, tel que personne n’en a eu avant toi et que personne n’en aura après toi. »
PSAUME
(Ps 118 (119), 57.72, 76-77, 127-128, 129-130)
R/ De quel amour j’aime ta loi, Seigneur ! (Ps 118, 97a)
Mon partage, Seigneur, je l’ai dit,
c’est d’observer tes paroles.
Mon bonheur, c’est la loi de ta bouche,
plus qu’un monceau d’or ou d’argent.
Que j’aie pour consolation ton amour
selon tes promesses à ton serviteur !
Que vienne à moi ta tendresse, et je vivrai :
ta loi fait mon plaisir.
Aussi j’aime tes volontés,
plus que l’or le plus précieux.
Je me règle sur chacun de tes préceptes,
je hais tout chemin de mensonge.
Quelle merveille, tes exigences,
aussi mon âme les garde !
Déchiffrer ta parole illumine
et les simples comprennent.
DEUXIÈME LECTURE
« Il nous a destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils » (Rm 8, 28-30)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères. Ceux qu’il avait destinés d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu’il a rendus justes, il leur a donné sa gloire.
ÉVANGILE
« Il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ » (Mt 13, 44-52)
Alléluia. Alléluia. Tu es béni, Père, Seigneur du ciel et de la terre, tu as révélé aux tout-petits les mystères du Royaume ! Alléluia. (cf. Mt 11, 25)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à la foule ces paraboles : « Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ.
Ou encore : Le royaume des Cieux est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle.
Le royaume des Cieux est encore comparable à un filet que l’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes et les jetteront dans la fournaise : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
« Avez-vous compris tout cela ? » Ils lui répondent : « Oui ». Jésus ajouta : « C’est pourquoi tout scribe devenu disciple du royaume des Cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. »
Patrick BRAUD