Allez ouste, sortez ! du balai !
Allez ouste, sortez ! du balai !
Homélie pour le 4° Dimanche de Pâques / Année A
30/04/2023
Cf. également :
Jésus abandonné
Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
Prenez la porte
Le berger et la porte
La messe est dite
10 Mars 2023. Coup de théâtre au Sénat : le gouvernement a recours à l’article 44-3 de la Constitution pour faire passer la réforme des retraites. Cet article permet à une assemblée de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie d’un texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. « La messe est dite. Avant la grande journée [de mobilisation] du 11 mars, vous avez décidé de montrer vos intentions réactionnaires », a tonné le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner.
Il devait sans doute avoir des souvenirs de ses années de catéchisme… d’avant Vatican II ! Car la liturgie romaine autrefois se terminait effectivement par cette formule célèbre : « ite missa est », mal traduite par : « la messe est dite ». La formule latine signifiait en bas latin : « allez, c’est l’envoi ! ». Le mot messe [1], déformation gallo-romaine de missa, est au départ le participe passé du verbe latin mittere, qui signifie envoyer, renvoyer. À l’origine, dans les premiers siècles, cette formule ne se trouvait pas à la fin de la célébration, mais après l’homélie et le Credo, quand on commençait la liturgie proprement eucharistique. Ite missa est voulait alors dire : « maintenant, c’est le renvoi (des catéchumènes) ». En effet, les catéchumènes participaient à la première partie de la célébration, la liturgie de la Parole, mais pas à la deuxième, eucharistique, car ils n’avaient pas encore été initiés aux mystères. N’ayant pas encore reçu les trois sacrements de l’initiation (baptême, confirmation, eucharistie, dans cet ordre), ils ne pouvaient pas rester pour la célébration à laquelle ils n’étaient pas préparés et à laquelle ils n’auraient pas pu participer vraiment ni comprendre grand-chose.
Indication précieuse au passage sur la pédagogie des Pères de l’Église : graduelle, culminant dans l’eucharistie après la Parole. Aujourd’hui, on fait assister à la messe tout le monde, initiés ou pas, confirmés ou pas, et on s’étonne que cela ne passionne pas les foules…
Être expulsés hors de l’enclos
Mais revenons à nos moutons. C’est le cas de le dire, avec l’évangile de ce dimanche. Jean utilise le verbe chasser, jeter dehors (ἐκβάλλω= ekballō en grec) pour évoquer l’action du bon Berger faisant sortir toutes ses brebis hors de l’enclos : « Quand il a poussé dehors (ekballō) toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix » (Jn 10,4).
On a très nettement l’impression que le bon Pasteur - le doux Jésus - doit forcer son troupeau à quitter la tranquille quiétude de l’enclos, quitte à faire la grosse voix et à donner quelques coups de baguette sur les flancs des moutons bêlant d’être dérangés…
C’est le même verbe que Jean emploie pour montrer Jésus chassant les marchands du Temple (Jn 2,15), ou les pharisiens chassant l’aveugle-né hors du Temple lui aussi (Jn 9,34–35). Il y a donc une certaine violence dans cette sortie d’enclos à laquelle nous oblige le bon Pasteur ! Cela peut faire penser à l’insistance quasi physique de Jésus pour obliger ses disciples à monter dans la barque pour une traversée du lac qui leur faisait peur, piètres marins qu’ils étaient : « Aussitôt Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules » (Mt 14,22).
Si le Christ nous chasse de notre enclos intérieur, c’est pour ouvrir notre espace à d’autres horizons. C’est surtout pour que nous puissions nous nourrir, comme le précise le texte de l’Évangile : « Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver de quoi se nourrir » (Jn 10,9).
Le psaume 22 de ce dimanche l’annonçait : « sur des prés d’herbe fraîche il me fait reposer » ; « il me mène vers les eaux tranquilles ». Et ce psaume fait le lien avec le repas pris en présence du Seigneur : « Tu prépares la table devant moi » / « ma coupe est débordante » / « j’habiterai la maison du Seigneur ».
Autrement dit, l’ite missa est de la fin ne correspond pas d’abord comme on le croit à la mission des chrétiens dans ce monde. Ils sont envoyés… pour se nourrir, comme les brebis sont expulsées de l’enclos pour aller chercher de l’herbe dans les verts pâturages. C’est comme si on leur disait : ‘vous vous êtes nourris du Christ pendant la messe. Très bien. Allez maintenant vous nourrir de sa présence ailleurs que dans l’Église, là où vivent les autres’. C’est un envoi pour se nourrir avant d’être un envoi en mission pour convertir !
En français, être expulsé se dit également du fœtus hors du ventre maternel lors de la naissance : comme quoi il nous est bon parfois d’être chassés de nos enclos maternels…
Il ne s’agit donc pas d’appliquer la semaine ce qu’on a reçu le dimanche, mais de continuer la semaine à s’alimenter de la même nourriture que celle du dimanche, autrement.
Le dimanche, cette nourriture est sacramentelle ; la semaine, elle est existentielle.
L’une sans l’autre est inconsistante.
La vie seule demeure indigeste sans le sacrement.
Le sacrement seul dégénère en ritualisme sans les événements de la semaine.
Être libérés par cette sortie d’enclos
Cette obligation faite aux brebis de sortir est renforcée par l’autre verbe employé par Jean – et c’est le seul usage dans son Évangile – pour décrire le bon Berger conduisant dehors (ἐξάγω = exagō en grec) ses brebis : « Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir » (Jn 10,3).
Dans le Nouveau Testament, conduire dehors (exagō) s’emploie le plus souvent pour évoquer la sortie d’Égypte, avec le leitmotiv : « il nous a fait sortir (exagō) du pays d’Égypte » (Ac 7,36.40 ; 13,17 ; He 8,9), ou une sortie de prison (Ac 5,19 ; 12,17 ; 16,37.39).
Bigre ! Comparer l’enclos des brebis à l’Égypte ou à la prison, c’est osé ! Pourtant, c’est bien cela : le Christ nous fait sortir de l’enclos-Église (de l’Église enclose sur elle-même) comme un Exode hors de l’esclavage ou comme une libération de sortie de prison. C’est peut-être qu’à être enclos sur nous-mêmes, nous risquons de devenir esclaves de nos projections idolâtriques sur Dieu, prisonniers de nos rites et de nos dogmes…
Voilà qui heurte quelque peu nos représentations du doux Jésus maintenant son Église en paix, à l’écart des autres troupeaux…
Jésus sait d’expérience qu’il nous faut parfois accepter d’être chassés, expulsés de nos enclos sans nourriture vraie. Même lui a dû se laisser guider ainsi, à travers le combat des tentations au désert, à travers la sueur et le sang de Gethsémani, pour aller là où il n’aurait jamais pensé trouver de quoi nourrir son identité de fils de Dieu. « Quand ils se furent bien moqués de lui, les soldats lui enlevèrent le manteau de pourpre, et lui remirent ses vêtements. Puis, de là, ils l’emmènent (exagō) pour le crucifier » (Mc 15,20). En le conduisant ainsi hors de la ville, au-delà des remparts (c’est-à-dire hors de la citoyenneté romaine et de l’héritage juif), les soldats ne se doutaient pas qu’ils étaient alors le bon Berger du Messie : sur la croix, immergé dans l’humiliation, la dérision, la honte apportée par la malédiction du gibet (Dt 21,23), Jésus a découvert que c’est là que le Père le conduisait, pour communier à la solitude de ceux que tous abandonnent : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Paradoxalement, le Golgotha est devenu son pâturage, car c’est là qu’il accomplit au plus haut point la volonté de son Père : aller « chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 9,10). C’est bien là son pâturage : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre » (Jn 4,34).
Soyons donc attentifs à tous ces coups de baguette dont nous frappent les événements de la semaine, nous provoquant – pour notre plus grand bien – à quitter nos enclos de toutes sortes : « allez, ouste, dehors ! Sortez, du balai !
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[1]. Dans les premiers siècles, on n’appelait pas messe la célébration, mais fraction du pain, repas du Seigneur (Cène), dominicum (assemblée du dimanche), eucharistie, saints mystères, divine liturgie, communion…
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Dieu l’a fait Seigneur et Christ » (Ac 2, 14a.36-41)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et fit cette déclaration : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. » Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Par bien d’autres paroles encore, Pierre les adjurait et les exhortait en disant : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés. » Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés. Ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux.
PSAUME
(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. ou : Alléluia ! (cf. Ps 22, 1)
Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.
DEUXIÈME LECTURE
« Vous êtes retournés vers le berger de vos âmes » (1 P 2, 20b-25)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes.
ÉVANGILE
« Je suis la porte des brebis » (Jn 10, 1-10)
Alléluia. Alléluia. Je suis le bon Pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »
Patrick BRAUD