Le Vendredi Saint du Serviteur souffrant
Le Vendredi Saint du Serviteur souffrant
Homélie du Vendredi Saint / Année C
15/04/2022
Cf. également :
Le grand silence du Samedi Saint
Vendredi saint : les soldats, libres d’obéir
Vendredi Saint : la Passion musicale
Comme un agneau conduit à l’abattoir
Vendredi Saint : paroles de crucifié
Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ
Vendredi Saint : les morts oubliés
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Bas et hauts
Qu’y a-t-il de commun entre les juifs des camps de concentration et Socrate buvant la ciguë ? Ou bien entre Mandela croupissant en prison et les huguenots obligés de quitter la France ? Entre les esclaves noirs vendus sur le marché et Van Gogh interné dans un asile d’aliénés ? Tous ont en commun ce que notre première lecture appellerait la chute et le relèvement, le mépris et l’exaltation, la catastrophe et le salut. À l’instar de l’énigmatique personnage d’Isaïe 53, ils ont touché le fond, puis ont été rétablis dans leur dignité et plus haut encore, même si ce fut souvent après leur mort.
Les 6 millions de fantômes humains décharnés des camps nazis engendrèrent une terre – Eretz Israël - qui avait disparu depuis 2000 ans, fière, forte, redoutée, critiquée et admirée. Après 27 ans de cellule, le matricule 46664 de la prison de Robben Island devint ce premier président noir d’Afrique du Sud, immensément respecté et aimé. Socrate fut condamné pour avoir corrompu la jeunesse, mais ses écrits et sa pensée font désormais partie des fondations de l’Occident. Les huguenots exilés sont devenus les riches marchands des pays du Nord puis les premiers Américains, tout aussi puissants. Les esclaves noirs donnèrent à l’humanité le Gospel tant qu’ils étaient dans les fers, puis des poètes à foison et des hommes d’État admirables ensuite. Van Gogh termina lamentablement dans la folie, mais ses tableaux sont aujourd’hui unanimement reconnus, célébrés, exposés.
L’histoire est pleine de ces alternances chute / relèvement, mépris / exaltation, catastrophe / salut.
Notre première lecture (Is 52,13–53,12) connaît bien cette dialectique à l’œuvre dans nombre de parcours historiques. Isaïe décrit la trajectoire d’un mystérieux serviteur de YHWH, tombant au plus bas du mépris et de l’abandon par tous, puis relevé pour être le salut d’une multitude.
Qui est ce Serviteur souffrant ?
L’expression est passée dans le commun biblique, grâce à un exégète qui a repéré en 1892 ce qu’on appelle depuis les quatre « chants du Serviteur souffrant » : 42,1-9 ; 49,1-7 ; 50,4-11 et 52,13-53,12.
N’est-il pas étrange cependant qu’un serviteur fidèle soit soumis à la souffrance ? Et plus étrange encore qu’il chute, immergé dans un océan de réprobation ?
Bien avant les chrétiens, les juifs se sont interrogés sur ces textes et leur portée les concernant. Les rabbins ont exploré successivement plusieurs hypothèses :
– Ce serviteur est peut-être une évocation d’Abraham, fidèle parmi les fidèles, obligé de quitter son pays, mais devenu une bénédiction pour tous les peuples de la terre.
Cependant, ça ne colle pas totalement, car le serviteur est frappé, châtié au nom de Dieu, ce qui n’est pas le cas d’Abraham.
– On pensa alors à Job : fidèle serviteur lui aussi, subissant malheur sur malheur, soi-disant infligés par Dieu injustement, et rétabli ensuite dans son honneur, sa dignité et sa richesse.
Là encore, ça ne colle pas tout à fait. Car le Serviteur souffrant devient le salut d’une multitude, pas Job.
- Alors les rabbins pensèrent à Joseph. Lui aussi fut comme le Serviteur souffrant vendu par ses frères, méprisé et humilié comme esclave, fidèle et sans péché puisqu’il a repoussé les avances de la femme de Putiphar. Lui, l’ancien esclave hébreu, va pourtant devenir le numéro deux du royaume de Pharaon, puissant, adulé. Il pourra ainsi sauver sa famille de la famine, lorsqu’ils viendront de Canaan pour quémander du blé à la riche Égypte. Sans Joseph, pas d’installation en Égypte, donc pas d’Exode ensuite, donc pas de Pâques…
– D’autres personnages peuvent prétendre au titre de Serviteur souffrant, notamment ceux qui ont permis la reconstruction du Temple détruit par l’envahisseur. Ainsi les rois Yoyakin et Zorobabel ont traversé l’épreuve de l’exil à Babylone pour redonner espérance à leur peuple de retour sur leur terre, et sont salués du titre de « serviteur de YHWH » par les prophètes Aggée et Zacharie.
– Finalement, les rabbins se dirent que le Serviteur souffrant était peut-être tout autant un personnage du futur que du passé. Ils y virent un portrait du Messie à venir, dont le salut ne serait pas limité à Israël.
Les chrétiens n’auront évidemment aucun mal à emboîter le pas à ces différentes interprétations rabbiniques, pour les appliquer à Jésus, Messie crucifié, injustement méprisé, condamné, éliminé par tous, mais relevé par Dieu pour être la lumière de toutes les nations. C’est pourquoi la grande liturgie non-eucharistique du Vendredi Saint commence par cette lecture du Serviteur souffrant d’Isaïe : la véritable eucharistie est de faire de sa vie une offrande telle que le Serviteur souffrant l’incarnait, de sa déchéance initiale à sa réussite finale.
Le concept de personnalité corporative
Reprenons le fil des exégèses rabbiniques. Recouvrant l’ensemble des grandes figures d’Israël, le Serviteur souffrant pourrait être en définitive le peuple lui-même, s’incarnant tour à tour en Abraham, Job, Joseph, Zorobabel ou le Messie. C’est un procédé biblique assez fréquent que les spécialistes appellent « corporate personnality ». En bon français, cela signifie que le groupe est une unité synchronique et diachronique qui peut agir, parler ou être traité comme un seul homme. La notion de personnalité corporative est cet aspect de la psychologie hébraïque qui rend compte du fait que « tout le groupe englobant les membres antérieurs, présents et futurs peut agir comme un seul individu, par l’entremise de n’importe quel membre conçu comme représentant du groupe » (Henry Wheeler Robinson, 1935). Elle implique une relation étroite et dans certains cas une identification de l’individu à son groupe.
Au sein d’une grande entreprise actuelle, « résonner corporate » dans le jargon managérial implique que chacun adhère aux intérêts du groupe pris dans son ensemble, et qu’entre le groupe et lui il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes. Isaïe raisonne corporate lorsqu’il met en scène un Serviteur qui est lié au peuple comme le peuple se lie à lui. Pour les rabbins, c’est alors ce petit peuple à la nuque raide, souvent persécuté et humilié, qui devient dans l’histoire humaine l’instrument du salut de YHWH pour toutes les nations.
Pour les chrétiens, le Serviteur souffrant désigne bien sûr le Christ, dans sa Passion-exaltation, mais également le corps du Christ, l’Église qui fait resplendir la lumière du Messie crucifié sur toute l’humanité, comme la lune fait malgré la nuit resplendir le soleil en son absence.
Changer de regard
Voilà pourquoi contempler le Serviteur souffrant en ce Vendredi Saint nous appelle à un triple changement de regard :
– changer notre regard sur les vaincus de l’histoire.
Apparemment, le Serviteur souffrant a été balayé de la scène. On a voulu l’éliminer des mémoires et pas seulement physiquement. On a voulu nier son droit à exister et pas seulement l’exterminer. L’histoire aurait dû s’écrire sans lui, comme l’histoire officielle de l’empire romain ne fait aucune mention d’un obscur crucifié juif d’une province reculée. La ‘revanche de Dieu’, c’est justement la réinscription de la mémoire des vaincus dans le récit collectif. C’est la réhabilitation – même post-mortem – de ceux que les puissants avaient jetés aux oubliettes de leurs manuels scolaires.
Le théologien Jean-Baptiste Metz y voit l’une des missions les plus signifiantes de l’Église : transmettre ce souvenir dangereux et libérant de Jésus Messie humilié, qui presse le présent et le met en question, qui libère de toute absolutisation de quelque pouvoir que ce soit, qui permet de critiquer la société, ses orientations vers le succès, la rationalité et la production, et qui permet de s’engager à la suite de Jésus envers les plus démunis parmi les frères. Ce souvenir dangereux implique solidarité avec le passé, avec les morts, les vaincus ; l’Église transmet cette mémoire dangereuse dans les structures de la vie sociale.
Le thème de la « mémoire des vaincus » avait déjà, quelques années avant Jean-Baptiste Metz, hanté les écrits de Walter Benjamin. En 1940, dans ses thèses « Sur le concept d’histoire », le philosophe juif avait refusé de passer par pertes et profits les défaites et désastres humains jonchant l’histoire de l’humanité. Il s’était dressé contre « l’histoire des vainqueurs » qui avale, digère et oublie la souffrance des vaincus.
Pour Jean-Baptiste Metz, c’est en étant « souvenir dangereux de la liberté de Jésus-Christ » que la foi chrétienne conserve une pertinence. Une pertinence spirituelle, mais aussi « pratique », sociale et politique. Dans des sociétés où les promesses de libération héritées des Lumières n’ont pas encore été réalisées, où nombre d’humains ne peuvent encore être sujets de leur propre existence, la mémoire chrétienne doit provoquer un réveil. Elle vient « briser le cercle enchanteur de la conscience dominante ». Elle se dresse contre le mythe d’un ‘Progrès’ qui ne voudrait pas voir ce qu’il brise sur son chemin.
La mémoire met en péril l’assurance des puissants, des installés, de ceux qui semblent profiter du système en place. Elle ouvre sur une solidarité avec les exclus. Elle ne permet plus à la foi de se réduire à une attitude intellectualiste ou à une posture privée. Pour Metz, l’Église a désormais pour raison d’être de porter ce projet de liberté dans la société. L’Église doit se définir et s’attester comme celle qui témoigne et transmet publiquement un souvenir dangereux de la liberté dans les systèmes de notre société oublieuse des perdants.
Les oubliés de l’histoire aujourd’hui pourraient bien être les Arméniens dont la Turquie voudraient effacer le génocide de 1915-16 ; ou les Ouïghours que la Chine communiste voudrait cacher dans des camps loin de toute caméra, comme elle a dispersé les tibétains pour coloniser le Tibet ; ou l’Ukraine, les pays baltes, la Géorgie à qui on a soustrait l’Ossétie du sud et l’Abkhazie : ils seront priés de souffrir en silence sous la patte de l’ours russe etc… Le Serviteur souffrant sera encore la figure collective de ces minorités religieuses non-hindoues persécutées en Inde, ou non-musulmanes persécutées dans les États musulmans. Et comment penser sans frémir aux millions de vies humaines interrompues chaque année volontairement avant leur naissance ? L’eugénisme se banalise sans que nos consciences s’en émeuvent…
– changer notre regard sur les méprisés
La dimension singulière, personnelle du Serviteur souffrant nous appelle à le reconnaître sur le visage de ceux que tous méprisent. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les invisibles de nos sociétés disparaissent de nos préoccupations. Les SDF (plus de 150 000 en France !) font partie de la misère jugée incompressible, et on s’y habitue. On n’en parle plus.
Chaque être humain rejeté et stigmatisé retrouve sa vraie dignité sous les traits du Serviteur souffrant : « il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien ».
Nous ne nous battons pas seulement pour des causes collectives, mais en même temps pour des visages, des personnes, Pierre, Aïcha, Raja ou Itzhak. La dimension personnelle du Serviteur souffrant nous oblige à ne pas traiter que des statistiques ou de la macro-économie : c’est mon voisin, mon collègue, le clochard de ma rue… Se battre pour leur redonner un nom, un visage, une identité singulière est la première fidélité aux chants du Serviteur souffrant.
- changer notre regard sur nos épreuves
Les minorités oubliées, les personnes méprisées : la troisième incarnation du Serviteur souffrant, c’est moi-même ! Uni au Christ dans sa Passion, je peux vivre les épreuves qui m’accablent avec la force de sa résurrection. « Durcissant mon visage comme pierre », je peux résister aux catastrophes qui parfois semblent s’acharner sur moi en faisant corps avec ce Serviteur souffrant qu’Isaïe nous promet victorieux de tout mal. Lui qui est juste peut sauver les injustes que nous sommes. Mon épreuve peut alors changer de sens : au lieu de m’épuiser à me demander pourquoi cela m’arrive, je vais chercher pour quoi elle me transforme, c’est-à-dire ce vers quoi elle peut finalement me conduire. L’exaltation du Serviteur souffrant m’annonce la traversée de mon épreuve pour l’ouvrir sur autre chose, que Dieu seul connaît, qui relève de son don gracieux.
En ce Vendredi Saint, contemplons l’homme des douleurs de la Passion, en y reconnaissant les traits du Serviteur d’Isaïe. Plus nous le contemplerons, plus notre regard sur les Passions actuelles changera…
Lectures de l’Office de la Passion
Première lecture
« C’est à cause de nos fautes qu’il a été broyé » (Is 52, 13 – 53, 12)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme. Il étonnera de même une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler.
Qui aurait cru ce que nous avons entendu ? Le bras puissant du Seigneur, à qui s’est-il révélé ? Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous.
Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. Arrêté, puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est inquiété de son sort ? Il a été retranché de la terre des vivants, frappé à mort pour les révoltes de son peuple. On a placé sa tombe avec les méchants, son tombeau avec les riches ; et pourtant il n’avait pas commis de violence, on ne trouvait pas de tromperie dans sa bouche. Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira.
Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs.
Psaume
(30 (31), 2ab.6, 12, 13-14ad, 15-16, 17.25)
R/ Ô Père, en tes mains je remets mon esprit. (cf. Lc 23, 46)
En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ;
garde-moi d’être humilié pour toujours.
En tes mains je remets mon esprit ;
tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité.
Je suis la risée de mes adversaires
et même de mes voisins ;
je fais peur à mes amis,
s’ils me voient dans la rue, ils me fuient.
On m’ignore comme un mort oublié,
comme une chose qu’on jette.
J’entends les calomnies de la foule :
ils s’accordent pour m’ôter la vie.
Moi, je suis sûr de toi, Seigneur,
je dis : « Tu es mon Dieu ! »
Mes jours sont dans ta main : délivre-moi
des mains hostiles qui s’acharnent.
Sur ton serviteur, que s’illumine ta face ;
sauve-moi par ton amour.
Soyez forts, prenez courage,
vous tous qui espérez le Seigneur !
Deuxième lecture
Il apprit l’obéissance et il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel (He 4, 14-16 ; 5, 7-9)
Lecture de la lettre aux Hébreux
Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours. Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.
Évangile
Passion de notre Seigneur Jésus Christ (Jn 18, 1 – 19, 42)
Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. Pour nous, le Christ est devenu obéissant, jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom. Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. (cf. Ph 2, 8-9)
La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Jean
Indications pour la lecture dialoguée : les sigles désignant les divers interlocuteurs sont les suivants :
X = Jésus ; L = Lecteur ; D = Disciples et amis ; F = Foule ; A = Autres personnages.
L. En ce temps-là, après le repas, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. Judas, avec un détachement de soldats ainsi que des gardes envoyés par les grands prêtres et les pharisiens, arrive à cet endroit. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils lui répondirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Il leur dit : X « C’est moi, je le suis. » L. Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. Quand Jésus leur répondit : « C’est moi, je le suis », ils reculèrent, et ils tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils dirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Jésus répondit : X « Je vous l’ai dit : c’est moi, je le suis. Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. » L. Ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. » Or Simon-Pierre avait une épée ; il la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus. Jésus dit à Pierre : X « Remets ton épée au fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, vais-je refuser de la boire ? » L. Alors la troupe, le commandant et les gardes juifs se saisirent de Jésus et le ligotèrent. Ils l’emmenèrent d’abord chez Hanne, beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là. Caïphe était celui qui avait donné aux Juifs ce conseil : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple. » Or Simon-Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivait Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre. Pierre se tenait près de la porte, dehors. Alors l’autre disciple – celui qui était connu du grand prêtre – sortit, dit un mot à la servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre. Cette jeune servante dit alors à Pierre : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un des disciples de cet homme ? » L. Il répondit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un feu de braise pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer. Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : X « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit. » L. À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : A. « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » L. Jésus lui répliqua : X « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » L. Hanne l’envoya, toujours ligoté, au grand prêtre Caïphe. Simon-Pierre était donc en train de se chauffer. On lui dit : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un de ses disciples ? » L. Pierre le nia et dit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, insista : A. « Est-ce que moi, je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » L. Encore une fois, Pierre le nia. Et aussitôt un coq chanta. Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal. Pilate sortit donc à leur rencontre et demanda : A. « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » L. Ils lui répondirent : F. « S’il n’était pas un malfaiteur, nous ne t’aurions pas livré cet homme. » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le suivant votre loi. » L. Les Juifs lui dirent : F. « Nous n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort. » L. Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir. Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : A. « Es-tu le roi des Juifs ? » L. Jésus lui demanda : X « Dis-tu cela de toi-même, Ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » L. Pilate répondit : A. « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » L. Jésus déclara : X « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » L. Pilate lui dit : A. « Alors, tu es roi ? » L. Jésus répondit : X « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » L. Pilate lui dit : A. « Qu’est-ce que la vérité ? » L. Ayant dit cela, il sortit de nouveau à la rencontre des Juifs, et il leur déclara : A. « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? » L. Alors ils répliquèrent en criant : F. « Pas lui ! Mais Barabbas ! » L. Or ce Barabbas était un bandit. Alors Pilate fit saisir Jésus pour qu’il soit flagellé. Les soldats tressèrent avec des épines une couronne qu’ils lui posèrent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau pourpre. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : F. « Salut à toi, roi des Juifs ! » L. Et ils le giflaient. Pilate, de nouveau, sortit dehors et leur dit : A. « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Jésus donc sortit dehors, portant la couronne d’épines et le manteau pourpre. Et Pilate leur déclara : A. « Voici l’homme. » L. Quand ils le virent, les grands prêtres et les gardes se mirent à crier : F. « Crucifie-le! Crucifie-le! » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Ils lui répondirent : F. « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » L. Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte. Il rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : A. « D’où es-tu? » L. Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : A. « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » L. Jésus répondit : X « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand. » L. Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher ; mais des Juifs se mirent à crier : F. « Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. » L. En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors; il le fit asseoir sur une estrade au lieu dit le Dallage – en hébreu : Gabbatha. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure, environ midi. Pilate dit aux Juifs : A. « Voici votre roi. » L. Alors ils crièrent : F. « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » L. Pilate leur dit : A. « Vais-je crucifier votre roi ? » L. Les grands prêtres répondirent : F. « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. » L. Alors, il leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié. Ils se saisirent de Jésus. Et lui-même, portant sa croix, sortit en direction du lieu dit Le Crâne (ou Calvaire), qui se dit en hébreu Golgotha. C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. » Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que l’endroit où l’on avait crucifié Jésus était proche de la ville, et que c’était écrit en hébreu, en latin et en grec. Alors les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : F. « N’écris pas : “Roi des Juifs” ; mais : “Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs.” » L. Pilate répondit : A. « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. » L. Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : A. « Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura. » L. Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats. Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : X « Femme, voici ton fils. » L. Puis il dit au disciple : X « Voici ta mère. » L. Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : X « J’ai soif. » L. Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : X « Tout est accompli. » L. Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. (Ici on fléchit le genou, et on s’arrête un instant.) Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Écriture dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
Patrick BRAUD