L'homélie du dimanche (prochain)

8 juillet 2015

Le polythéisme des valeurs

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Le polythéisme des valeurs


Homélie du 15° dimanche du temps ordinaire / Année B
12 juillet 2015

Cf. également :

Plus on possède, moins on est libre

Les 4 vertus du Psaume 84

Le polythéisme des valeurs dans Communauté spirituelle accommodementsUne fois n’est pas coutume, attardons-nous sur le psaume 84 de ce dimanche. Notamment sur ce verset célèbre : « amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ».

Pourquoi tenir autant à réconcilier ces quatre vertus ? Pourquoi ne pas les aligner une par une comme des caractéristiques du règne de Dieu sur son peuple ?

C’est que justement, dans l’histoire ordinaire, ces quatre principes sont en tension permanente. Prenez l’amour et la vérité. Au nom de la vérité, chaque camp politique ou religieux a connu des périodes de massacres, d’élimination de ceux qui étaient ‘dans l’erreur’. Au nom de leur orthodoxie, des chrétiens ont brûlé des hérétiques, des musulmans ont persécuté des païens et des chrétiens, des pays occidentaux ont colonisé des peuples ‘sauvages’ au nom des Lumières etc. La tension traverse l’Église elle-même : être vrai sur les questions de divorce et de remariage peut sembler à beaucoup très éloigné de l’amour et de la compassion qu’on attend de l’Église. Idem pour la juste attitude envers toutes les formes d’homosexualité. Si la vérité veut être aimable et aimée, elle devra souvent être réinterprétée de fond en comble. Et on sait bien qu’il faut parfois mentir par amour pour préserver une relation…

L’autre tandem justice-et-paix n’est pas moins sensible.

Que serait une paix sans justice, sinon le silence des lâches ? Pourtant c’est bien ce qui arrive le plus souvent : pour ne pas avoir de problème, chacun est tenté de mettre le mouchoir dans sa poche au lieu d’aborder le sujet qui fâche. Les puissants maintiennent le calme parmi ceux qu’ils dominent en distribuant quelques faveurs et en faisant croire qu’il n’y a pas d’autre solution que de continuer comme maintenant…

Et que serait une justice qui ne voudrait pas rétablir la paix ? Les commissions  nationales de réconciliation qui ont été mises en place en Afrique du Sud après l’apartheid et au Rwanda après le génocide relèvent de cette volonté : exercer une justice qui pacifie, et non une justice de revanche ou de représailles. Le traité de Versailles en 1918 en Europe a largement démontré qu’une paix sans justice engendre les pires démons de violence en retour.

Un conflit permanent

C’est donc il y a un antagonisme permanent de ces quatre valeurs prises deux à deux. À tel point que Saint Bernard par exemple imaginait que leur conciliation serait un signe proprement messianique :

Saint Bernard a reconstitué une petite pièce de théâtre à partir de ce psaume. Il s’agit de discussions dramatiques des quatre Vertus avec le Père des lumières, en vue de résoudre le cas d’Adam après sa chute. Vérité et Justice réclament la mort d’Adam au nom des engagements pris par le Seigneur. Amour s’écrie alors : « Pourquoi, Père, m’as-tu donné le jour, si je dois vivre si peu de temps? » Paix intervient : « Il ne convient pas aux Vertus de se disputer entre elles! » et suggère de s’en remettre au Fils. Celui-ci en vrai Salomon prononce : « L’Une dit : C’en est fait de moi, si Adam ne meurt ! - L’Autre reprend : Je suis perdue s’il ne lui est pas fait miséricorde! - Donc que la mort devienne bonne, et chacune aura gagné son procès! »

Étonnement général devant tant de sagesse : mais comment faire ? Le Fils, souverain Juge, reprend : « Il en sera ainsi, s’il se trouve quelqu’un qui, ne devant rien à la mort,veuille bien souffrir la mort par amour pour l’homme… Car l’amour est plus fort que la mort ! » On devine le reste : le Fils trace son propre destin car il sera celui-là. Il assume par amour une condition mortelle.  [1]

Le polythéisme des valeurs

Le sociologue allemand Max Weber avait repéré dès 1917 cet antagonisme des valeurs :

essais_theorie_L20 antagonisme dans Communauté spirituelleToute méditation empirique sur ces situations nous conduirait, selon la juste remarque du vieux Mill, à reconnaître que le polythéisme absolu est la seule métaphysique qui leur convienne. Une analyse non empirique mais orientée vers l’interprétation de significations, bref une authentique philosophie des valeurs qui dépasserait ce point de vue devrait reconnaître qu’aucun système conceptuel des « valeurs », si ordonné fût-il, n’est de taille à prendre la mesure du point décisif de cet état de choses. Il s’agit en fin de compte, partout et toujours, à propos de l’opposition entre valeurs, non seulement d’alternatives, mais encore d’une lutte mortelle et insurmontable, comparable à celle qui oppose « Dieu » et le « diable ».  [2]

S’il est une chose que de nos jours nous n’ignorons plus, c’est qu’une chose peut être sainte non seulement bien qu’elle ne soit pas belle mais encore parce que et dans la mesure où elle n’est pas belle – vous en trouverez les références au chapitre LIII du livre d’Isaïe et dans le psaume 21. De même une chose peut être belle non seulement bien qu’elle ne soit pas bonne, mais précisément par ce en quoi elle n’est pas bonne. Nietzsche nous l’a réappris, mais avant lui Baudelaire l’avait déjà dit dans les Fleurs du Mal, c’est là le titre qu’il a choisi pour son oeuvre poétique. Enfin la sagesse populaire nous enseigne qu’une chose peut être vraie bien qu’elle ne soit et alors qu’elle n’est ni belle ni sainte ni bonne. Mais ce ne sont là que les cas les plus élémentaires de la lutte qui oppose les dieux des différents ordres et des différentes valeurs. J’ignore comment on pourrait s’y prendre pour trancher « scientifiquement » la question de la valeur de la culture française comparée à la culture allemande; car là aussi différents dieux se combattent, et sans doute pour toujours. Les choses ne se passent donc pas autrement que dans le monde antique, encore sous le charme des dieux et des démons, mais prennent un sens différent. [3]

La conclusion de Weber est forte :

Pour autant que la vie a en elle-même un sens et qu’elle se comprend d’elle-même, elle ne connaît que le combat éternel que les dieux se font entre eux ou, en évitant la métaphore, elle ne connaît que l’incompatibilité des points de vue ultimes possibles, l’impossibilité de régler leurs conflits et par conséquent la nécessité de se décider en faveur de l’un ou de l’autre.  [4]

 coïncidentiaDans la devise française par exemple, ces tensions entre valeurs sont patentes : plus de liberté diminue l’égalité entre les hommes, et fait reculer la fraternité. Chacune des trois valeurs compromet les deux autres en se développant seule. Pour autant, il n’y a aucune raison a priori de choisir telle ou telle valeur plutôt que telle autre. Aucune valeur ne s’impose comme transcendante ou évidemment supérieure aux autres, alors qu’elle entre en conflit avec elles.

Ainsi chacun est obligé de faire des compromis pour ne pas trop maltraiter la vérité lorsqu’il essaie d’aimer, pour ne pas oublier la justice lorsqu’il construit la paix, etc.

 

Notre Psaume 84 nous annonce que c’est l’action de Dieu lui-même que de réconcilier ces quatre valeurs aujourd’hui antagonistes. En Jésus, l’amour et la vérité se rencontre réellement, « en personne ». C’est donc qu’en participant à l’être de Dieu, il nous sera donné de discerner quels compromis permettront de faire marcher une vertu avec l’autre, jamais sans elle.

Prenez le cas de la Grèce et de sa dette faramineuse : la justice exigerait que la Grèce rembourse, même sur des décennies, tous ses emprunts. L’amour commande qu’on réduise sa dette avant qu’elle soit insupportable et qu’elle ne menace la paix sociale. La vérité oblige à se souvenir de la responsabilité des créanciers des banques européennes ou américaines,et pas simplement du débiteur etc.

Plutôt qu’une position européenne rigide et dogmatique, la conciliation des vertus appelle à un cheminement, un discernement patient, où la justice économique ne pourra se faire au détriment de la paix sociale.

L’union des contraires

51fezBncXwL GounelleLa théologie médiévale avait médité sur l’antagonisme des valeurs. Sans utiliser ce mot de Max Weber, elle avait déjà pointé que, pour l’homme, réconcilier les extrêmes semble impossible. Mais pas pour Dieu. En Dieu, les opposés coïncident  (c’est la célèbre thèse de la coïncidentia oppositorum). Ce qui est folie pour l’homme est sagesse en Dieu, force et faiblesse se rejoignent en lui, amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent.

Dieu transcende toute affirmation et toute négation. Ainsi la considération de l’infini abolit les règles de la logique traditionnelle aristotélicienne fondée sur le principe de non contradiction qui fonctionne dans nos raisonnements habituels.

« Or, cela dépasse toute notre intelligence, car elle ne peut pas, dans son principe, combiner les contradictoires par la voie de la raison, parce que nous cheminons parmi les objets que nous manifeste la nature elle-même ; et notre intelligence, trébuchant parce qu’elle est loin de cette force infinie, ne peut pas lier des contradictoires, séparés par un infini. Donc, au-dessus de toute démarche de la raison, nous voyons, d’une façon incompréhensible, que la maximité absolue est infinie, que rien ne lui est opposé, et qu’avec elle coïncide le minimum. »  [5]

Un théologien protestant comme André Gounelle reprend ce concept à travers la notion de paradoxe évangélique :

Le paradoxe serait une structure de l’être lui-même. En ce sens, il n’est pas insolite, mais constitutif et habituel, il se rencontre à chaque moment. La théologie existentielle, influencée par Luther et Kierkegaard le caractérise par la coïncidentia oppositorum, la coïncidence incompréhensible des opposés : ainsi la sagesse humaine est folie devant Dieu et la sagesse divine scandale pour la rationalité humaine; ou encore la gloire de Dieu se manifeste dans l’ignominie de la croix, sa puissance dans la faiblesse de l’homme Jésus. Le paradoxe signifie que la logique divine contredit, inverse la logique humaine, qu’elle opère sans cesse des retournements. Barth et Brunner, dans cette ligne, définissent le paradoxe comme une « impossible possibilité ». Le paradoxe, c’est que Dieu se fasse homme, que le Christ ressuscite, que le pécheur soit pardonné. Ce sont des choses que la raison humaine ne peut pas comprendre, et qu’elle doit accepter par une sorte de sacrifice de l’intelligence. Le paradoxe signifie l’insuffisance radicale de la raison humaine qui doit renoncer à sa logique et à son savoir pour se soumettre au « fait » de la révélation qui contredit ses catégories. Dans cette perspective, on ne pense pas le paradoxe, il est aussi impensable que les postulats mathématiques sont indémontrables ; mais on pense à partir du paradoxe, comme on développe des théorèmes à partir des postulats.  [6]

 

Ne restons pas prisonniers des oppositions que notre paganisme naturel nous fait dresser entre liberté et sécurité, entre droit et miséricorde, entre développement et sobriété, entre égalité et fraternité etc.

Si en Dieu les contraires s’unissent, alors le polythéisme des valeurs diagnostiqué par Weber n’aura pas le dernier mot. Et cela peut orienter notre discernement, nos choix de vie, personnels et collectifs.

 

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[1]Cf. http://www.interbible.org/interBible/cithare/psaumes/2004/psa_041210.htm

[2]. Max Weber, Essais sur la théorie de la science, Quatrième essai : « Essai sur le sens de la « neutralité axiologique » dans les sciences sociologiques et économiques” (1917), p. 21.

[3]. Max Weber, Le savant et le politique, Paris, coll. 10 / 18, pp. 22-23.

[4]ibid., p. 26.

[5]. Nicolas de Cues (1401-1464), Docte ignorance I,4

 

 

1ère lecture : « Va, tu seras prophète pour mon peuple » (Am 7, 12-15)

Lecture du livre du prophète Amos

En ces jours-là, Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos :« Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda ; c’est là-basque tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète.     Mais ici, à Béthel,arrête de prophétiser ; car c’est unsanctuaire royal, un temple du royaume. » Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores.     Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va,tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ »

 Psaume: Ps 84 (85), 9ab.10, 11-12, 13-14
R/Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps84, 8)

J’écoute: que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pastraceront le chemin.

2ème lecture : « Il nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde » (Ep 1,3-14)
Lecturede la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

   Béni soit Dieu, le Père
de notre Seigneur Jésus Christ !
Il nous a bénis et comblés
des bénédictions de l’Esprit,
au ciel, dans le Christ.

   Il nous a choisis, dans le Christ,
avant la fondation du monde,
pour que nous soyons saints, immaculés
devant lui, dans l’amour.

   Il nous a prédestinés
à être, pour lui, des fils adoptifs
par Jésus, le Christ.

Ainsi l’a voulu sa bonté,
à  la louange de gloire de sa grâce,
la grâce qu’il nous donne
dans le Fils bien-aimé.

   En lui, par son sang,
nous avons la rédemption,
le pardon de nos fautes.

C’est la richesse de la grâce
que Dieu a fait déborder jusqu’à nous
en toute sagesse et intelligence. 

   Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté,
selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ :
pour mener les temps à leur plénitude,
récapituler toutes choses dans le Christ,
celles du ciel et celles de la terre.

   En lui, nous sommes devenus
le domaine particulier de Dieu,
nous y avons été prédestinés
selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé:
il a voulu  que nous vivions
à la louange de sa gloire,
nous qui avons d’avance espéré dans le Christ.

   En lui, vous aussi,
après avoir écouté la parole de vérité,
l’Évangile de votre salut,
et après y avoir cru,
vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint.
Et l’Esprit promis par Dieu
est une première avance sur notre héritage,
en vue de la rédemption que nous obtiendrons,
à la louange de sa gloire.

Evangile: « Il commença à les envoyer » (Mc6,7-13)
Acclamation: Alléluia. Alléluia.
Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur,
pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia.(cf. Ep 1, 17-18)

Evangilede Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture.     « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. »  Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage.» Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
Patrick BRAUD

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