L'homélie du dimanche (prochain)

20 mars 2022

Une parabole contre le séparatisme

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Une parabole contre le séparatisme

Homélie du 4° Dimanche de Carême / Année C
27/03/2022

Cf. également :
Souper avec les putains
Servir les prodigues
Réconciliation verticale pour réconciliation horizontale
Ressusciter, respirer, se nourrir…
Changer de regard sur ceux qui disent non
Fréquenter les infréquentables
La commensalité du Jeudi saint

Zone interdite
Le documentaire de M6 le 23 janvier 2022 sur l’islamisme radical a fait grand bruit. À cause notamment de deux reportages à Marseille et à Roubaix, dans des quartiers où le séparatisme musulman se fait conquérant et dominateur. Comme toujours, les réactions à ces reportages oscillent entre deux extrêmes :

- le déni.
Il s’exprime par des protestations indignées : le vrai problème est d’abord la pauvreté, la concentration de logements sociaux, le chômage, la discrimination sociale etc. Il n’y aurait pas de problème de séparatisme islamique, mais des questions sociales à l’abandon. Consciemment ou non, ces arguments relèvent d’une analyse marxiste, où le religieux n’est qu’une superstructure déterminée par des fondamentaux relevant de l’économie et du politique. Or bien des minorités subissent ces discriminations sans tomber dans le séparatisme. Nier qu’il existe des dérives d’ordre essentiellement religieux, c’est être aveugle, au nom d’une idéologie qui empêche de voir que l’islam rigoriste isole et replie ses fidèles sur leur communauté, qu’il cherche à étendre géographiquement et démographiquement.

- l’instrumentalisation.
Ce deuxième excès veut à l’inverse faire peur, en généralisant à outrance les dérives de quelques-uns, en diabolisant toute affirmation d’identité religieuse. Or instrumentaliser l’islam rigoriste c’est presque lui rendre service en lui donnant plus de force qu’il en a réellement, et en le posant comme alternative crédible au mode de vie occidental. C’est le biais de ce genre de documentaire : ne rechercher que ce qui va dans le sens du séparatisme, en oubliant de décrire tout le reste, tout le positif de ces quartiers de Marseille ou de Roubaix en matière de vie associative, culturelle et sociale où la fraternité entre origines différentes est vécue avec bonheur.

Reste que l’islam radical existe bel et bien, et tente d’imposer dès qu’il le peut ses mœurs et ses coutumes autour de lui. Ces musulmans ne font d’ailleurs que reproduire sans le savoir l’intégralisme juif, qui pousse les juifs ultras (les hassidim) à se regrouper dans le quartier de Mea Shéarim à Jérusalem par exemple pour y imposer leurs coutumes. Car la Torah juive et le Coran avec la charia ont en commun d’être d’abord une orthopraxie et non une orthodoxie : ce qui compte, c’est la pratique, la soumission à la loi religieuse et non ce que vous pensez ou croyez. Ne pas manger de porc, voiler les femmes et les filles, ne pas mélanger hommes et femmes, faire ses prières, laissez pousser la barbe ou porter des pantalons courts, manger uniquement casher ou halal, ne pas contracter d’impureté rituelle en fréquentant ceux qui sont dans le péché, jouer avec des poupées sans visage… : la liste est longue de ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour être un bon juif ou un bon musulman. Alors qu’être chrétien est d’abord croire, pas faire. Le pape François a raison de rappeler qu’il faut remettre la morale à sa « juste place » : « L’annonce de l’amour salvifique de Dieu est première par rapport à l’obligation morale et religieuse. Aujourd’hui, il semble parfois que prévaut l’ordre inverse ».

« C’est péché » (haram) est le refrain des musulmans qui ne veulent pas boire d’alcool, manger de porc, toucher ou voir le corps des femmes, jouer avec des poupées à visage humain. Et logiquement, il leur faut donc ne pas se joindre à ceux – les pécheurs, les infidèles – qui s’adonnent à ce type de pratiques, sous peine de devenir impurs. Répétons-le : les interdits alimentaires, vestimentaires ou culturels islamiques ou juifs ne sont pas hygiéniques, mais religieux. Il s’agit d’obéir à la Loi (charia), d’être un bon musulman en étant soumis au Coran, à ses obligations et ses interdits qui concernent tous les domaines de la vie de chacun.

En abolissant la circoncision, les interdits alimentaires et autres obligations de la loi de Moïse, le christianisme est devenu la seule religion des trois monothéismes à abolir le séparatisme dans ses textes (pas toujours dans son histoire hélas !).

 

L’enjeu de la parabole de ce Dimanche

C’est bien l’enjeu de la parabole du fils prodigue de ce dimanche (Lc 15, 1-3.11-32). On en fait trop souvent une parabole de la miséricorde, alors que c’est d’abord une parabole de la fraternité religieuse. Pourquoi en effet Jésus invente-t-il cette histoire des 2 fils ? Parce que les pharisiens – l’équivalent des hassidim ou des salafistes d’aujourd’hui – lui reprochent de se mélanger avec tout le monde, même les pécheurs scandaleusement connus comme tels : « cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et va manger avec eux ! » Les pharisiens – dont le nom signifie séparés - sont ainsi dénommés parce qu’ils se coupent des autres et vivent entre eux au nom de la pureté rituelle. Luc alignera trois paraboles de suite (la brebis perdue, la pièce d’argent perdue, le fils perdu) pour justifier ce scandale de la fréquentation des pécheurs ! C’est donc que c’était un gros morceau, difficile à faire avaler aux gens religieux de l’époque…

Fréquenter les pécheurs est encore le reproche de Simon le pharisien à Jésus invité à manger chez lui. Une prostituée ose s’approcher de Jésus en plein repas, pire encore : lui laver les pieds avec ses larmes et les essuyer de ses cheveux. Le bon accueil fait par Jésus à cette putain notoire scandalise les pharisiens : « En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : ‘Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse’ » (Lc 7,39)… 

Dans notre parabole, le repas est révélateur de la fracture opérée par le fils aîné : il refuse de se mettre à table avec son frère pécheur, et se scandalise que le veau gras soit offert au rebelle, revenu par intérêt, et non au fils fidèle. Comme quoi la pureté religieuse tue la convivialité, et l’observance de la Loi nous prive des repas les plus fraternels…

Voilà bien le scandale : Jésus ose se mettre à table avec les mauvais juifs, avec les païens, les voleurs, les collabos et les prostituées ! Or, pour les juifs comme pour les musulmans, on ne peut se mettre à table qu’avec ceux qui observent la Loi, on ne doit pas être vu en mauvaise compagnie sinon on devient impur. Exactement le contraire de ce que fait Jésus ostensiblement ! Il suffit de feuilleter l’Évangile de Luc pour voir ce singulier prophète en compagnie de bergers, de mauvaise réputation, avec des mages – des païens idolâtres venus d’Orient - dès sa naissance. Question séparatisme, ça commence mal aux yeux des pharisiens… Ça finira encore plus mal avec l’accueil inconditionnel que le crucifié offrira à son compagnon d’infortune criminelle maudit par la Loi juive : « ce soir, tu seras avec moi en paradis ». Drôle de compagnon au ciel ! Le paradis de Jésus est peuplé de pécheurs repentis, là où le paradis du Coran est réservé aux croyants obéissants…

Entre naissance et crucifixion, le Messie d’Israël ne va pas cesser de faire bon accueil aux pécheurs. Dans l’ordre mentionné par Luc, on le voit fréquenter des possédés, des lépreux, des paralysés, des collabos comme Lévi ou Zachée, des centurions romains, on le voit toucher un cadavre (le fils de la veuve de Naïn) ou se laisser toucher par une prostituée (avec son flacon de parfum), une femme hémorroïsse, des samaritains, des pauvres invités au festin des noces, des aveugles, etc. Souper avec les putains (selon la formule du dominicain Jacques Pohier) semble être le passe-temps favori de cet homme de Dieu ! Pas étonnant que les pharisiens voient les chrétiens comme des transgresseurs de la Loi, et que les Romains voient l’Église naissante comme un ramassis d’esclaves et de moins que rien !

Mais voilà, Jésus n’en démord pas : « je suis venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus ». Et malheureux sont ceux qui se croient sauvés par eux-mêmes : ils se privent de la compagnie du Christ !

Faire bon accueil aux pécheurs, c’est ne pas juger l’autre sur son avis, sa nourriture ou sa prière. C’est se mélanger avec tous, sans ostracisme, sans prosélytisme non plus (Jésus a toujours laissé libre de le suivre ou non). C’est ne pas pratiquer l’entre-soi, que ce soit au club de golf, au Rotary, à Auteuil ou à Barbès, dans les commerces musulmans de la rue de Lannoy ou dans le quartier cossu de Barbieux à Roubaix… Car le séparatisme n’est pas que religieux : les riches notamment savent depuis longtemps se regrouper à l’écart des pauvres, souvent à l’ouest des villes, dans des quartiers sécurisés où le mètre carré est trop cher pour y croiser des familles différentes…

 

La commensalité nourrit la convivialité

Une parabole contre le séparatisme dans Communauté spirituelleUn des signes emblématiques de ce mélange – ou du refus du mélange – social est le repas. En français, se mettre à table, c’est quelque chose ! C’est le lieu de la convivialité, puisque justement nous devenons convives dès lors que nous acceptons de manger ensemble. C’est le lien de la commensalité (cum mensa = table commune en latin), dont la communion eucharistique est l’accomplissement : nous communions au même corps du Christ autour de la même table de l’hôtel eucharistique. Dieu est d’ailleurs le premier à se mélanger à notre humanité, comme l’eau se mélange au vin dans le calice de la messe (rite de l’immixtion). « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité » : comment mieux exprimer que le Dieu de Jésus ne vit pas séparé, mais en communion ?!
Et Saint Jean Chrysostome a raison de prier ainsi au moment de recevoir la communion :
« Seigneur mon Dieu ! […] De même que Tu as bien voulu entrer et manger avec les pécheurs dans la maison de Simon le Lépreux, daigne entrer dans la maison de mon âme, lépreuse et pécheresse. De même que Tu n’as pas rejeté celle qui était semblable à moi, la courtisane et la pécheresse, quand elle s’approcha de Toi et Te toucha, de même sois-moi miséricordieux, à moi pécheur qui m’approche et qui Te touche… »

 

Le coup de gueule de Paul contre Pierre

 islam dans Communauté spirituelleCe mélange à table est l’objet d’une dispute célèbre entre Paul et Pierre. Malgré l’épisode à Joppé où l’Esprit Saint a montré à Pierre qu’aucune nourriture n’est impure et qu’il peut donc aller manger chez le centurion Corneille sans pécher (Ac 10), Pierre reste un juif un peu scrupuleux. Aussi, lorsque des juifs de Jérusalem liés à Jacques viennent visiter les disciples d’Antioche, Pierre s’autocensure en quelque sorte, puisqu’il arrête de manger avec les païens de sa communauté par peur du regard des judéo-chrétiens : « En effet, avant l’arrivée de quelques personnes de l’entourage de Jacques, Pierre prenait ses repas avec les fidèles d’origine païenne. Mais après leur arrivée, il prit l’habitude de se retirer et de se tenir à l’écart, par crainte de ceux qui étaient d’origine juive. Tous les autres fidèles d’origine juive jouèrent la même comédie que lui, si bien que Barnabé lui-même se laissa entraîner dans ce jeu. Mais quand je vis que ceux-ci ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Évangile, je dis à Pierre devant tout le monde : ‘Si toi qui es juif, tu vis à la manière des païens et non des Juifs, pourquoi obliges-tu les païens à suivre les coutumes juives ?’ » (Ga 2,12–14).
On réalise combien fut difficile pour Pierre et les premiers chrétiens – qui étaient juifs – d’abandonner le séparatisme religieux lié à l’observation de la Torah ! Paul a courageusement et publiquement dénoncé cette régression : refuser de se mélanger à table, c’est mettre la Loi au-dessus de la grâce, c’est faire comme si le Christ était mort pour rien (Ga 2,21) puisqu’il n’aurait pas fait tomber les murs séparant les hommes.

On le voit : il y a dans le séparatisme juif ou musulman une dimension proprement religieuse – et pas seulement sociale ou économique – qui tient aux textes fondateurs ou du moins à leurs interprétations actuelles, sans qu’on sache très bien si cette impossibilité est structurelle ou pourra évoluer avec le temps.

 

Les murs murent les murmures

Critique-Comme-un-murmure JésusHabilement, Luc a recours à l’Écriture pour disqualifier la protestation pharisienne. En effet, il emploie à dessein le verbe murmurer pour décrire les pharisiens en train de s’indigner contre Jésus ami des pécheurs. Or ce verbe murmurer (διαγογγζω = diagonguzō en grec, לוּן = lun en hébreu) est celui que l’Ancien Testament utilise de très nombreuses fois pour fustiger les rébellions des hébreux au désert, « peuple à la nuque raide » qui refuse de se laisser conduire par un Dieu qui n’agit pas comme les hommes, fussent-ils les plus religieux du monde : « Et le peuple murmura contre Moïse… » (Ex 15,24). Ce terme murmurer est repris une vingtaine de fois [1] dans ce sens de rébellion contre un Dieu qui n’agit pas selon nos représentations : « ils murmurent sous leurs tentes sans écouter la voix du Seigneur » (Ps 106,25). En disant que les pharisiens murmurent contre Jésus, Luc en fait les dignes héritiers de la génération du désert qui a résisté à Dieu pendant 40 ans, se privant ainsi d’entrer en Terre promise.

Isaïe nous avertit : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, – oracle du Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées » (Is 55, 8-9). En Jésus, Dieu se montre aussi libre de se mêler aux pécheurs que YHWH de se manifester au désert comme il le voulait ! « N’ai-je pas le droit de disposer de mon argent comme je le veux ? », dira le patron de la parabole des ouvriers de la 11° heure à ceux qui s’indignent de sa libéralité envers les derniers arrivés.
Et Luc emploie 3 fois ce terme murmurer pour qualifier l’attitude des pharisiens refusant la fraternité avec les pécheurs : lors du grand festin donné par le collecteur d’impôts romains Levi après son appel par Jésus (Lc 5,30) ; ici dans notre parabole des deux fils ; et enfin lorsque Jésus s’invite chez le riche Zachée, lui aussi collabo (Lc 19,7).

Bref, murmurer contre Jésus parce qu’il fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux, c’est projeter sur Dieu nos images de ce que devrait être la pureté, la justice, la religion, au lieu de laisser Dieu se révéler tout autre que nos représentations humaines, trop humaines. Le peuple à la nuque raide pourrait bien être aujourd’hui tous ces ultras religieux de tous bords qui s’indignent et protestent contre ceux qui abattent les murs entre les gens.

 

Quant à nous, suivons le Christ en nous réjouissant que le veau gras soit offert aux prodigues en tous genres, dont nous sommes !
Faisons bon accueil aux pécheurs de ce temps, et mangeons avec eux, loin de tout séparatisme.

 


[1]. Ex 15,24 ; 16,2.7.8.9.12 ; 17,3 ; Nb 11,1 ; 13,30 ; 14,2.27.29.36. ; 16,11.41 ; 17,5.10 ; Dt 1,27 ; Jo 9,18 ; Ps 59,15 ; 106,25

 

Vidéo du Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)
cf.  https://www.cipdr.gouv.fr/

 

LECTURES DE LA MESSE

1ère lecture : L’arrivée du peuple de Dieu en Terre Promise et la célébration de la Pâque (Jos 5, 9a.10-12)

Lecture du livre de Josué
En ces jours-là, le Seigneur dit à Josué :
« Aujourd’hui, j’ai enlevé de vous le déshonneur de l’Égypte. »
Les fils d’Israël campèrent à Guilgal et célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du mois, vers le soir, dans la plaine de Jéricho. Le lendemain de la Pâque, en ce jour même, ils mangèrent les produits de cette terre : des pains sans levain et des épis grillés. À partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient des produits de la terre. Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan.

Psaume : Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (cf. Ps 33, 9a)

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Magnifiez avec moi le Seigneur,
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond :
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.

2ème lecture : « Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ » (2 Co 5, 17-21)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. Tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné le ministère de la réconciliation. Car c’est bien Dieu qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui : il n’a pas tenu compte des fautes, et il a déposé en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.

Evangile : « Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie » (Lc 15, 1-3.11-32)

Acclamation :
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus.
Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. (Lc 15, 18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : ‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’ Et le père leur partagea ses biens. Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre. Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien. Alors il rentra en lui-même et se dit : ‘Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’ Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : ‘Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’ Mais le père dit à ses serviteurs : ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.’ Et ils commencèrent à festoyer. Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait. Celui-ci répondit : ‘Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’ Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : ‘Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !’ Le père répondit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! »
Patrick BRAUD

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20 février 2022

La parabole des aveugles selon Bruegel

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La parabole des aveugles selon Bruegel

Homélie du 8° Dimanche du temps ordinaire / Année C
27/02/2022

Cf. également :

La paille et la poutre

Deux versions
Dans notre Évangile de ce dimanche (Lc 6, 39-45), Luc rapporte une parabole devenue célèbre : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? »
Le contexte suggère que Jésus parle des maîtres (didascales en grec = enseignant réputé et confirmé) que les premiers chrétiens devraient choisir pour intégrer l’Église naissante. Matthieu utilise la même parabole dans un autre contexte, celui du conflit grandissant avec les pharisiens du temps de Jésus : « les disciples s’approchèrent et lui dirent : ‘sais-tu que les pharisiens ont été scandalisés en entendant cette parole ?’ Il répondit : ‘(…) Laissez-les ! Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou’ » (Mt 15, 10 14).
On voit que chaque époque fait passer l’actualité de son siècle au tamis de cette parabole ! Une fois n’est pas coutume, intéressons-nous à l’interprétation du génial peintre flamand Bruegel l’Ancien, au XVI° siècle, en Hollande.

 

Une toile de maître
Bruegel l’Ancien (1525-1569) a peint cette parabole sans doute vers 1568, sur une commande d’un Italien, le comte Masi, ce qui fait que cette toile est conservée au musée de Naples. On ne sait pas comment la peinture est arrivée en Italie, même si on sait que Cosimo Masi est revenu des Pays-Bas en 1595 avec un grand nombre de peintures hollandaises.

La parabole des aveugles selon Bruegel

À première vue, on se dit que c’est une illustration graphiquement très élaborée de la mésaventure inventée par Jésus. Il y a comme une décomposition du mouvement de la chute d’aveugles, qui fait penser au carnet de dessins qu’on feuillette à toute vitesse pour donner l’illusion du mouvement, un peu l’ancêtre du dessin animé ! Le premier aveugle à gauche est stable, mais au fur et à mesure les regards se perdent dans le vide, les pieds hésitent puis trébuchent, les corps se penchent en avant jusqu’à basculer les 4 fers en l’air dans le fossé pour le dernier aveugle. Quelle gamelle collective ! Presque réjouissante… si elle ne mettait des aveugles en scène. On dirait un carambolage sur l’autoroute le premier week-end des vacances d’été… Les espaces entre les aveugles se réduisent, les bâtons s’affolent, l’ensemble crée l’illusion du mouvement en accéléré.
Les paires d’yeux crevés sont clairement identifiées : énucléation, leucome, atrophie des globes oculaires, glaucome mal soigné… Des mirettes aux petits oignons, soignées par Bruegel et son réalisme hyper-documenté. La tradition folklorique de l’époque est friande des physiques « baroques » : fous, aveugles, boiteux, nains ou édentés (cf. Jérôme Bosch avant Bruegel) …

On pourrait s’arrêter là et admirer la technique de Bruegel pour rendre cette dynamique de « chute en aveugle » aussi vivante et réaliste.

 

Lectures politico-religieuses
Pourtant, un premier détail intrigue l’admirateur et le met sur d’autres pistes : il n’y a pas 2 aveugles comme dans le texte mais 6 sur le tableau ! C’est donc que la parabole est retravaillée pour dire autre chose que la première lecture évidente. Et là, l’œil du spectateur avisé va repérer des détails moins en vue : les maisons du village à gauche, l’église dans le fond au milieu (identifiée comme l’église de Sint-Anna, aujourd’hui Dilbeek), l’arbre sans feuilles devant l’église, le minuscule château fort à l’horizon au loin sur la droite. Visiblement, ces détails ne sont pas là pour faire joli, mais pour faire sens ! [1]

La parabole des aveugles selon Bruegel Analyse

Les 2 axes (traits oranges) qui traversent le tableau de gauche à droite tracent un chemin divergeant : les aveugles s’éloignent du village et de l’église. On peut penser que la cécité dénoncée par Bruegel est le lot des dissidents qui quittent leur communauté villageoise et leur église pour s’aventurer ailleurs. Lorsque Bruegel peint, les Pays-Bas sont déchirés par la guerre entre catholiques et protestants. En 1568, l’année du tableau, le duc d’Albe, vice-roi des Pays-Bas espagnols nommé par le roi Philippe II d’Espagne et fort de 60 000 soldats, fait juger et décapiter à Bruxelles deux chefs des « gueux » protestants, les comtes d’Egmont et de Hoorn, en réplique à des agressions contre des lieux catholiques. La guerre de 80 ans qui s’ensuivit (1568-1648) fera des milliers de morts, et se terminera par l’indépendance des Provinces-Unies, ancêtre de nos Pays-Bas actuels. La domination espagnole aux Pays-Bas s’exerçait avec une grande violence. Les actes iconoclastes perpétrés par les protestants (comme le saccage des églises d’Anvers, où exerçait Bruegel, en 1566), donnaient lieu à de sanglantes représailles.
Période incertaine et dangereuse, où personne n’était certain de son voisin.

Comme c’est un prince catholique qui a commandé le tableau, il sera satisfait d’y lire une dénonciation de l’aveuglement des protestants-pharisiens se coupant de leur communauté d’origine et de leur Église pour suivre Luther et finir avec lui dans le fossé de l’hérésie ! Voilà comment Bruegel assure astucieusement sa sécurité en permettant au prince catholique de se voir conforté dans ses choix par la contemplation de son tableau ! Ce sentiment sera renforcé si on remarque que la verticale passant par l’église (trait blanc) sépare le groupe des aveugles en 2 : les 4 premiers, encore debout même s’ils se bousculent de plus en plus, et les 2 derniers déjà déstabilisés ou les 4 fers en l’air ! L’avertissement semble clair : dès que vous dépassez la ligne-Église, vous allez chuter dans le fossé ! Avant, la rédemption est encore possible ; après, non ! Ouvrez les yeux avant qu’il ne soit trop tard et refusez de suivre les luthériens dans leur aveuglement !

Les protestants aveuglés par Luther, devenus schismatiques, s’égarent et se perdent en le suivant aveuglément sur le chemin de la perdition
Est-ce la seule lecture possible ?

Bruegel aveugles ChapeletL’œil d’un spectateur malicieux va dénicher d’autres indices pour aller plus loin. En effet, ces aveugles semblent fort bien vêtus pour des soi-disant mendiants : ils ont de belles tuniques, des guêtres propres et élégantes, des chaussures de bourgeois, et même des gourdes et sacoches bien pleines, avec des chapelets (très catholiques) par-dessus le marché ! Ils font plus penser à des bourgeois catholiques et à leurs princes qu’à de pauvres paysans suivant la Réforme… Et regardez bien l’Église : juste devant elle, un arbre desséché, alors qu’autour la nature est luxuriante. Comme si Bruegel chargeait cet arbre de dire : ‘l’Église catholique est bien malade. Elle ne porte plus de fruits. Elle est devenue stérile comme les pharisiens du temps de Matthieu’. Le psaume 91 (92) d’aujourd’hui ne chantait-il pas : « Le juste grandira comme un palmier, il poussera comme un cèdre du Liban ; planté dans les parvis du Seigneur, il grandira dans la maison de notre Dieu. Vieillissant, il fructifie encore, il garde sa sève et sa verdeur ». Notre arbre est l’antitype de celui du psaume.

À la verticale de cet arbre desséché et de l’église se trouve d’ailleurs la main du 4e aveugle, qui commence juste à trébucher, et les deux aveugles à droite sont déjà dans la chute. L’avertissement pourrait alors être le suivant : ceux qui continuent à suivre le chemin de cette Église desséchée vont tomber avec elle dans le fossé de la perdition. Cette impression est accentuée par la pente inclinée vers le bas que tracent les toits des bâtiments paroissiaux (trait rouge) : l’Église de Rome décline et chute comme Babylone autrefois vers sa perte. Dans sa cécité spirituelle, elle entraîne dans sa chute les fidèles qui continuent à obéir au pape, désigné par Luther comme « aveugle chef des aveugles » [2]. En outre, le bâton du 3° aveugle désigne clairement le clocher de l’église (trait blanc), ce qui ne laisse guère de doute sur la cécité spirituelle de celle-ci…

La même culbute des 2 aveugles de droite (ceux de la parabole en fait) peut être lue dans un sens comme la perte des protestants et dans l’autre sens comme la perdition des fidèles catholiques abusés par le pouvoir clérical (symbolisé par l’église à l’arbre desséché et aux toits en pente déclinante).
Avec malice, Bruegel poursuit d’ailleurs cette suggestion grâce au minuscule château-fort sur l’horizon en haut à droite : il représente sans doute le pouvoir espagnol, dictateur et tyrannique, qui sera bientôt obligé de quitter les Pays-Bas étranglés par cette occupation. La forteresse est si loin qu’on la croirait déjà rentrée chez elle… À la verticale de ce château-fort (dont la petitesse de la taille déjà est ironique), on trouve le 6e aveugle culbuté dans le fossé, les 4 fers en l’air (trait bleu). Voilà ce qui attend le pouvoir espagnol, puissance d’occupation étrangère ! N’oublions pas que Napoléon sera l’envahisseur suivant, opprimant ces provinces au nom de la Révolution française… À bon entendeur salut !

On a ainsi au moins 4 interprétations de la parabole de Jésus :
1. Bien choisir ses maîtres spirituels (contexte évangélique de Matthieu contre les pharisiens, ou de Luc contre les hérétiques du premier siècle)
2. Condamner l’aveuglement de Luther et de ses partisans qui les mènent à la perdition
3. Dénoncer l’aveuglement des catholiques qui ne voient pas que leur Église est desséchée
4. Avertir les puissants et les politiques (château-fort) que leur oppression aura un terme et qu’ils devront quitter le pays. 

Pas mal pour une toile qui au départ pourrait passer pour une facétie de chutes en série à la Charlot !

 

Apprenez à penser par vous-même

1° aveugleUn mot sur le premier aveugle de gauche. Il est à l’intersection de la ligne d’horizon et de la ligne du bord du chemin (traits oranges). Il est également le point de départ des 2 parallèles constitués par les bâtons et les épaules à l’horizontale des 4 premiers aveugles (traits verts). De plus, il est le seul des 6 à être à encore vraiment stable, car il s’appuie sur son propre bâton de gauche tout en donnant celui de droite à son compagnon de devant qui le tient dans sa main droite. Peut-être un subtil indice ? S’appuyer sur son propre bâton à l’époque de Bruegel peut signifier apprendre à penser par soi-même au lieu d’obéir à d’autres penseurs, ce qui reviendrait finalement à suivre d’autres aveugles. Puisque les religions occasionnent tant de conflits, il vaudrait mieux réfléchir par soi-même au lieu de suivre aveuglement ces prophètes de malheur, de quelque bord qu’ils soient. Bruegel renverrait ainsi dos à dos les fanatiques des deux camps, annonçant le camp de la Raison qui veut penser par elle-même.

Ce premier aveugle fait encore partie du village : il est devant les chaumières, à leur porte, pas encore vraiment parti. On aurait ainsi une 5° interprétation de la parabole par Bruegel, très moderne en ce qu’elle annonce en filigrane Spinoza d’Amsterdam (1632–1677) et son déisme rationnel :
5. Apprenez à penser par vous-même, même et surtout en matière religieuse, au lieu de suivre aveuglément les autorités du moment, qu’elles soient catholiques ou protestantes, espagnoles ou autres. Les Lumières reprendront cette intuition de Bruegel pour la porter à son extrême en s’émancipant totalement des religions institutionnelles.

Jésus ne disait-il pas dans notre évangile : « une fois bien formé, chacun sera comme son maître » ? Le baptême nous libère de toute sujétion idéologique, et même de toute dépendance hiérarchique : « l’onction que vous avez reçue du Christ demeure en vous, et vous n’avez pas besoin d’enseignement. Cette onction vous enseigne toutes choses, elle qui est vérité et non pas mensonge » (1Jn 2,27). La Pentecôte ne réalise-t-elle pas la prophétie de Joël : « Il arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai mon Esprit sur toute créature » (Ac 2,17) ?
On voit que penser par soi-même, sous l’inspiration de l’Esprit, est plus fidèle à l’Évangile que le cléricalisme encore trop répandu…

 

L’opposition ville-campagne

La parabole des aveugles selon Bruegel dans Communauté spirituelle Die-Parabel-von-den-Blinden

La parabole des aveugles (Bruegel le Jeune)

Une copie de ce tableau de Bruegel (réalisée par un de ses fils) exposée au Louvre mentionne encore un détail qui n’est plus visible sur l’original : autour de l’église paissent des vaches, et un troupeau d’oies guidé par un paysan. Il y aurait donc une opposition entre la vie rurale agricole, saine et naturelle, et les plaisirs des cours princières figurées par l’instrument de musique du 6° aveugle et les riches vêtements de ces étranges fêtards. L’opposition campagne vs ville, paysans vs bourgeois ou seigneurs serait ainsi une 6° interprétation suggérée par Bruegel.
Remarquez d’ailleurs l’instrument de musique culbuté avec le 6° aveugle dans le fossé : symbole des plaisirs pratiqués dans le château-fort espagnol au-dessus et promis eux aussi à chuter lamentablement ? Le luxe, la vie facile des cours princières à l’abri des murailles seront bientôt renversés. L’univers simple du village paraît plus sûr que le faste des palais…
La puissance de contestation – voire de révolution – politique de cette parabole est étonnante !

 

Les harmoniques de la parabole

Les-aveugles-%C2%A9-visit.brussels-Jean-Paul-Remy-2-scaled aveugle dans Communauté spirituelleUne petite parabole de deux lignes à peine peut donc ouvrir une multitude de lectures, selon le contexte politique et religieux du lecteur ! Elle porte en germe la critique de toute autorité religieuse instituée. Elle redonne de la liberté là où on nous dit de suivre aveuglément. Toute traduction ecclésiale de l’Évangile sera vivement critiquée par ce même Évangile chaque fois qu’elle demande une obéissance aveugle. Cette parabole nourrit en quelque sorte la thèse de Marcel Gauchet, selon laquelle le christianisme de Jésus est « la religion de la sortie de la religion » [3]. Le vieux constat d’Isaïe n’en finit pas de retentir : « Ceux qui guidaient ce peuple l’ont fourvoyé, la piste de ceux qu’ils guidaient a été brouillée » (Is 9,15), réactualisé par Victor Hugo : « L’humanité marche comme un homme ivre »… Un théologien catholique parle de l’Évangile comme d’une « tradition d’un rapport critique à la tradition » [4] .

Bruegel traite du même thème dans une gravure de la suite des « Douze proverbes flamands », qui porte cette inscription : « Marchez toujours avec prudence, soyez fermes, ne vous fiez totalement à personne, sinon à Dieu. Parce que lorsqu’un aveugle conduit un autre aveugle, on les voit tomber tous deux dans la fosse ».

Outre les innombrables copies de ce tableau de Bruegel, amusez-vous à repérer les autres reprises de la parabole des aveugles dans l’art d’hier ou d’aujourd’hui. Par exemple parmi les fontaines de Bruxelles. Ou dans l’œuvre du dessinateur de bande dessinée F’Murr (album « Les aveugles », 2005). Ou encore dans les « Fleurs du mal » de Baudelaire (1821-1867) :

Les aveugles

Aveugle_by_Brick_art_brack BruegelContemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules,
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux. 

Leurs yeux, d’où la divine étincelle est partie,
Comme s’ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu’autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Éprise du plaisir jusqu’à l’atrocité,
Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu’eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?


Le spectateur interpellé

Pieter_Bruegel_the_Elder_-_The_Parable_of_the_Blind_Leading_the_Blind_%28detail%29_-_WGA3514 parabole

En écho à l’interrogation de Baudelaire, fixez le 5e aveugle qui bascule sur le 6e dans le fossé. Au moment de tomber, il semble nous jeter un regard désespéré et menaçant. Or ces orbites sont vides. Ce non-regard jeté dans le vide en notre direction nous interpelle : et toi, tu assistes à cet effondrement collectif sans réagir ?
Accusation glaçante qui prend tout son sens au milieu des violences faites au nom de Dieu…

Ces orbites vides nous questionnent : et toi, qui suis-tu aveuglément ?
Quand et comment vas-tu apprendre à penser par toi-même ?

 

 


[2]. Recommandations de Luther à la noblesse chrétienne de la nation allemande (La liberté du chrétien, 1520) :
« (…) Puisque ces bouffonneries ne sont pas abolies, il faut que tous les bons Chrétiens ouvrent leurs yeux, qu’ils ne se laissent pas induire en erreur par les bulles, les cachets et leur fausse dévotion, qu’ils restent chez eux dans leur église et se contentent parfaitement de leur baptême, de l’Évangile, de la foi, du Christ et de Dieu qui sont les mêmes en tous lieux, sans se soucier du pape, aveugle, chef des aveugles (…) ».

[3]. Marcel Gauchet, Le Désenchantement du Monde, 1985.

[4]. Henri-Jérôme Gagey, La nouvelle donne pastorale, Ed. de l’Atelier, 1999, p. 53 ss.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé » (Si 27, 4-7)

Lecture du livre de Ben Sirac le Sage
Quand on secoue le tamis, il reste les déchets ; de même, les petits côtés d’un homme apparaissent dans ses propos. Le four éprouve les vases du potier ; on juge l’homme en le faisant parler. C’est le fruit qui manifeste la qualité de l’arbre ; ainsi la parole fait connaître les sentiments. Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger.

Psaume
(Ps 91 (92), 2-3, 13-14, 15-16)
R/ Il est bon, Seigneur, de te rendre grâce !
 (cf. Ps 91, 2)

Qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur,
de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut,
d’annoncer dès le matin ton amour,
ta fidélité, au long des nuits !

Le juste grandira comme un palmier,
il poussera comme un cèdre du Liban ;
planté dans les parvis du Seigneur,
il grandira dans la maison de notre Dieu.

Vieillissant, il fructifie encore,
il garde sa sève et sa verdeur
pour annoncer : « Le Seigneur est droit !
Pas de ruse en Dieu, mon rocher ! »

Deuxième lecture
« Dieu nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ » (1 Co 15, 54-58)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, au dernier jour, quand cet être périssable aura revêtu ce qui est impérissable, quand cet être mortel aura revêtu l’immortalité, alors se réalisera la parole de l’Écriture : La mort a été engloutie dans la victoire. Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? L’aiguillon de la mort, c’est le péché ; ce qui donne force au péché, c’est la Loi. Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n’est pas perdue.

Évangile
« Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur » (Lc 6, 39-45)
Alléluia. Alléluia. Vous brillez comme des astres dans l’univers en tenant ferme la parole de vie. Alléluia. (Ph 2, 15d.16a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître.
Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : ‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.
Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces. L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »
Patrick Braud

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6 juin 2021

La croissance illucide

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La croissance illucide

Homélie pour le 11° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
13/06/2021

Cf. également :

Un Royaume colibri, papillon, small, not big
Le management du non-agir
L’ « effet papillon » de la foi
Le petit reste d’Israël, ou l’art d’être minoritaires
Le pourquoi et le comment

La croissance illucide dans Communauté spirituelle le-bonheur-illucide--homlies-2009-10--anne-cIllucide : nous avons déjà utilisé ce néologisme pour évoquer le bonheur de la Toussaint (Toussaint : le bonheur illucide), ou la justice du Carême (Cendres : soyons des justes illucides). Et voilà que notre évangile de ce dimanche (Mc 4, 26-34) le remet à nouveau au premier plan de la vie spirituelle : « nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment ».
L’adjectif lucide vient du latin lux, lucis = lumière. Est lucide celui qui voit les choses en pleine lumière, conscient de ce qui se passe. Est illucide celui qui ne sait pas comment les choses arrivent, ni même ce qui arrive.
Le bonheur de la Toussaint est illucide car nous ignorons la vraie valeur de nos actes : nous avons heureusement oublié le verre d’eau accordé à l’assoiffé. La justice du Carême est illucide car c’est « en secret » que tout se joue, et Dieu seul voit réellement le secret de chacun, car lui seul sonde les reins et les cœurs (Jr 17,10 ; Rm 8,27), nos passions et nos amours.

La tradition catholique – légèrement volontariste ! – a su valoriser la lucidité comme objectif spirituel. Sans doute parce que la lucidité et le mérite sont liés : si je suis lucide sur le bien que j’ai fait, sur ma valeur personnelle, alors je peux m’en attribuer le mérite, la récompense de mes actes, et me glorifier de mes efforts. D’ailleurs, le Christ n’a-t-il pas dit : « celui qui fait la vérité vient à la lumière » ? Préférer l’obscurité à la clarté, n’est-ce pas le signe que nous nous habituons à notre péché et que nous avons peur qu’il soit dévoilé ?
Soit. Mais l’orgueil n’est jamais loin quand je peux faire la liste de tout ce que j’ai fait de bien, tel le pharisien au Temple alors que le publicain, lui, n’a rien à présenter. À force de croire que je peux voir clair entièrement en moi ou chez les autres, je passe à côté de la complexité des choses et des êtres…

La-Docte-Ignorance Esprit dans Communauté spirituelleHeureusement, les mystiques ont toujours contesté ce volontarisme très catholique.
Marie la première confesse ne pas savoir comment l’Esprit pourrait susciter la vie en elle : « comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? » En acceptant de ne pas savoir, elle engendre un être unique, plus grand qu’elle.
D’ailleurs, dès le commencement, « ne pas savoir comment » préside au surgissement de l’autre : la mystérieuse torpeur qui s’empare d’Adam lorsque Dieu façonne Ève de son flanc (Gn 2,21) garantit le mystère de la relation homme-femme, son infinie profondeur et dignité, car Adam ne sait pas comment Ève a surgi face à lui.
Les Pères du désert parlaient de repos en Dieu (hésychie), au-delà du bien et du mal, où le seul désir est de laisser agir l’Esprit en nous, sans savoir comment il agit.
Les mystiques rhénans (Tauler, Eckhart, Suso) traitent de ‘pauvres fous’ les gens pieux qui comptabilisent leurs bonnes actions pour aller au ciel. Ils prêchent l’abandon (Abgeschiedenheit), le détachement, la dépossession, le non-savoir.
Nicolas de Cues chantait la « docte ignorance », ce fruit de l’Esprit qui nous libère de toute mainmise sur nos œuvres.
Et Jeanne d’Arc, à qui l’évêque demandait si elle était en état de grâce, savait répondre, illucide : « si je n’y suis pas, Dieu m’y mette. Si j’y suis, Dieu m’y garde ». Autrement dit : ‘il ne m’appartient pas de savoir si je suis en état de grâce ou non ; c’est le travail de Dieu en moi, et prétendre connaître la réponse – positive ou négative – l’annulerait par là-même’.
Saint Jean de la Croix chante quant à lui « la nuit obscure » où la bien-aimée (l’âme humaine) cherche son bien-aimé (le Christ), car elle ne sait pas où il est. Et c’est « en secret » que Dieu prépare son cœur à la rencontre, sans qu’elle sache comment.

Être illucide ne signifie donc pas être inconscient – au sens psychologique du terme – ni inactif. C’est plutôt le désir de se laisser conduire au lieu de tout maîtriser, de travailler gratuitement à la vigne au lieu d’en comptabiliser les fruits. Le bonheur, la justice ou la croissance ne sont pas des objectifs à poursuivre, mais des fruits à accueillir, toujours surprenants, inattendus. Un bienfait collatéral, en quelque sorte. Vouloir être heureux, c’est déjà ne plus l’être. Celui qui l’est ne sait pas qu’il l’est, et son bonheur est parfait. Vouloir être juste, c’est s’épuiser à accumuler des bonnes actions, des œuvres remarquables, alors que Dieu comble son bien-aimé quand il dort, et que le bon larron est accueilli sans avoir rien fait que de croire.
Les artistes du Moyen-Âge ne signaient pas leurs œuvres, s’effaçant devant leur création. Ceux de la Renaissance y déposaient leur nom pour être couverts de gloire. L’illucide préfère l’anonymat, selon la parole de Jésus : « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite… » (Mt 6,3)

semence hétimasieDans la parabole du grain qui pousse tout seul de ce dimanche, Jésus nous remet devant l’illucidité de toute croissance authentiquement spirituelle : « nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi ».
Bien sûr que le cultivateur connaît le processus de germination, ce qu’il y faut d’engrais, de pluie, de soleil etc. Mais fondamentalement, une fois qu’il a planté la graine, tout cela se passe sans lui, et en tout cas il n’est pas le maître absolu de la nature. Bien des récoltes seront décevantes alors qu’elles s’annonçaient généreuses ; bien des vendanges seront compromises par la grêle, le gel, des maladies imprévues.
La croissance de la graine est une dynamique vitale qui se passe largement de nous (les immenses forêts primaires sont là pour nous le rappeler). La sagesse populaire dit fort bien qu’on ne fait pas pousser une plante en tirant dessus !

La croissance dont parle Jésus est d’abord celle du Royaume autour de nous : nous n’en sommes pas maîtres. Si vous avez un jour accompagné des adultes dans le catéchuménat vers le baptême, vous connaissez déjà cette liberté qu’a l’Esprit pour susciter des conversions là où on ne les attendait pas. Des gens découvrent le Christ par hasard, sans action pastorale planifiée. Des peuples comme la Corée au XVIII° siècle grandissent dans la foi en lisant la Bible loin de toute société missionnaire. Des acteurs courageux – très loins du Christ – produisent soudain des fruits admirables, tel le roi perse Cyrus autorisant Israël à revenir de sa déportation de Babylone. Et tout cela sans que nous y soyons pour grand-chose. Le Royaume grandit autour de nous, et nous ne savons pas comment. Et c’est tant mieux ! Car sinon nous pourrions imaginer que c’est grâce à nous, nous pourrions avoir la tentation de vouloir domestiquer et contrôler cette croissance selon nos propres vues.

Le grain qui pousse tout seul désigne également la croissance du Royaume de Dieu en chacun de nous. Nous savons pas comment, mais un jour nous nous réveillons plus libres, ou plus décidés, ou plus aimants. N’avez-vous jamais été surpris de découvrir en vous des forces neuves, une gaieté retrouvée, une paix intérieure évidente et durable ? Je me souviens que, au lycée, j’aimais bien plancher sur des problèmes de mathématiques ardus juste avant de me coucher. Et au petit matin, comme par enchantement, grâce à une bonne nuit de sommeil, tout se dénouait facilement : j’écrivais d’une seule traite la solution aux exercices les plus difficiles. Toutes proportions gardées, c’est bien le même processus d’abandon qui est à l’œuvre : Dieu comble son bien-aimé quand il dort (Ps 126,2) ! Tout se dénoue un jour lorsque nous abandonnons en Dieu nos problèmes les plus insolubles. Et nous ne savons pas comment. Mieux : le fait de ne pas savoir, de ne pas vouloir savoir, libère en nous la puissance de cette force prodigieuse qui travaille en nous sans que nous puissions la maîtriser.

4-niveaux-de-competence illucideAbraham Maslow (l’auteur de la célèbre pyramide !) avait théorisé les 4 étapes de l’apprentissage, qui conduisent au savoir illucide :
Phase 1 : Je ne sais pas que je ne sais pas …
C’est le stade du candidat à l’apprentissage ignorant tout de sa discipline.
Phase 2 : Je sais que je ne sais pas …
L’apprenti découvre les immenses possibilités de son art, qu’il ne maîtrise pas. Il apprend.
Phase 3 : Je sais que je sais …
L’apprenti commence à maîtriser consciemment l’expertise apprise.
Phase 4 : Je ne sais plus que je sais
L’apprenti est devenu un maître, accomplissant les subtilités de son art sans même s’en rendre compte.
La progression de la vis spirituelle suit ces 4 étapes, jusqu’à parvenir à la compétence illucide, s’accroissant sans cesse sans même le savoir.


Une telle croissance illucide est le fruit de l’Esprit, ‘qui est Seigneur et qui donne la vie’.

L’illucidité de cette croissance entraîne trois conséquences spirituelles :

Toujours espérer dans la force du travail de Dieu en moi.
Si moi je perds cœur, lui ne perdra pas son Souffle. Si moi je ne vois rien grandir, lui saura me faire discerner comme Isaïe au Mont Carmel le petit nuage gros comme le poing à l’horizon qui deviendra une pluie bienfaisante (1 R 18, 44). Si moi je désespère d’avoir les mains vides devant lui, lui me les remplira mieux que je n’aurais su le faire. Tels les 5 pains et les 2 poissons pour une foule de 5000 hommes, le peu de bonne terre que chacun a en lui suffit à Dieu pour y faire pousser des arbres remarquables ! Il n’y a qu’à le laisser faire – même si nous ne savons pas comment il le fait – au lieu de le faire à notre façon.

– Toujours espérer dans la puissance du travail de l’Esprit en l’autre.
Aimer son prochain comme soi-même demande en effet de voir en lui le même potentiel de croissance que celui que je découvre en moi. Lui aussi – fut-il le pire criminel – possède en lui ce presque-rien, cette minuscule graine qui ne demande qu’à croître et porter du fruit. Certes, l’autre peut la piétiner, l’étouffer, s’en détourner. Reste qu’il est créé à l’image de Dieu, et rien – pas même le pire péché – ne peut totalement déraciner ce reflet divin de son être. S’il rencontre quelqu’un qui croit en lui, qui porte sur lui un regard d’espérance, la graine germera. S’il s’écœure lui-même à force de méchanceté, il sera surpris un jour de découvrir en lui une parcelle d’humanité qui ne demande qu’à croître.
C’est l’une des raisons théologiques les plus fortes à notre opposition radicale à toute peine de mort : Dieu n’en a jamais fini avec nous. Même dans le condamné le plus ignoble, l’Esprit a la liberté de faire grandir une humanité admirable, et nous ne savons pas comment.

analyse-trans1 Jésus

 

– Laisser à l’Esprit une réelle marge de manœuvre.
© 1988 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet
Si notre croissance spirituelle est largement illucide, alors plus nous voulons tout maîtriser et moins nous grandissons ! Certains croient que la foi est une morale où il faut accumuler les bonnes œuvres. D’autres planifient leur vie religieuse comment construire un gratte-ciel, en ne laissant rien au hasard. Or, les ingénieurs prévoient toujours quelques degrés de liberté dans leur construction, pour qu’elle vive, qu’elle respire, qu’elle s’adapte à l’imprévu. Regardez les ponts par en dessous : vous verrez les joints de dilatation qui permettent à la structure de ne pas être figée, de bouger, de se dilater sous l’action de la chaleur. Eh bien, laissez de la place à Dieu dans vos ambitions humaines ! Laissez du vide à ne surtout pas combler, des espaces pour vous dilater lorsque la chaleur de l’Esprit vous embrasera ! Ne prévoyez pas tout, car vous ne savez pas comment va croître le Royaume de Dieu en vous et autour de vous. Les gens affairés qui ont un agenda rempli à ras bord n’ont plus de place pour l’imprévu, la rencontre fortuite, le hasard qui pourrait bouleverser leur vie. Ils avancent, mais sur des rails, alors que l’Esprit souffle où il veut ! Si vous acceptez de ne pas savoir comment s’opère cette croissance en vous, alors vous serez disponibles à l’inattendu, capable de bifurquer là où l’Esprit vous emmène.

Les orthodoxes ont une disposition liturgique fort symbolique pour cela (l’hétimasie) : ils laissent vide la chaise cathédrale, car elle ne peut être occupée que par le Christ en personne, absent physiquement de l’histoire. L’évêque (ou le patriarche) qui siège dans cette cathédrale a son trône toujours placé en dessous du trône vide du Christ, le Chef invisible de l’Église. Si quelqu’un prend sa place, comment se laisser guider par le Christ ?

Laissez donc du vide dans vos agendas, vos projets, vos constructions. Alors grandira le Royaume au-dedans de vous et autour de vous, et vous ne saurez pas comment

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je relève l’arbre renversé » (Ez 17, 22-24)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

Ainsi parle le Seigneur Dieu : « À la cime du grand cèdre, je prendrai une tige ; au sommet de sa ramure, j’en cueillerai une toute jeune, et je la planterai moi-même sur une montagne très élevée. Sur la haute montagne d’Israël je la planterai. Elle portera des rameaux, et produira du fruit, elle deviendra un cèdre magnifique. En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux, à l’ombre de ses branches ils habiteront. Alors tous les arbres des champs sauront que Je suis le Seigneur : je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec. Je suis le Seigneur, j’ai parlé, et je le ferai. »

 

PSAUME
(91 (92), 2-3, 13-14, 15-16)
R/ Il est bon, Seigneur, de te rendre grâce ! (cf. 91, 2a)

Qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur,
de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut,
d’annoncer dès le matin ton amour,
ta fidélité, au long des nuits.

Le juste grandira comme un palmier,
il poussera comme un cèdre du Liban ;
planté dans les parvis du Seigneur,
il grandira dans la maison de notre Dieu.

Vieillissant, il fructifie encore,
il garde sa sève et sa verdeur
pour annoncer : « Le Seigneur est droit !
Pas de ruse en Dieu, mon rocher ! »

 

DEUXIÈME LECTURE
« Que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur » (2 Co 5, 6-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, nous gardons toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur, tant que nous demeurons dans ce corps ; en effet, nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous avons confiance, et nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur. Mais de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur. Car il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait, soit en bien soit en mal, pendant qu’il était dans son corps.

 

ÉVANGILE

« C’est la plus petite de toutes les semences, mais quand elle grandit, elle dépasse toutes les plantes potagères » (Mc 4, 26-34)
Alléluia. Alléluia. La semence est la parole de Dieu ;le semeur est le Christ ;celui qui le trouve demeure pour toujours. Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, parlant à la foule, Jésus disait : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »
Il disait encore : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ? Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »
Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre. Il ne leur disait rien sans parabole, mais il expliquait tout à ses disciples en particulier.
.Patrick Braud

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8 novembre 2020

Égalité n’est pas équité

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Égalité n’est pas équité

Homélie pour le 33° Dimanche du temps ordinaire / Année A
15/11/2020

Cf. également :

Le dollar et le goupillon ?
Entre dans la joie de ton maître
Décevante est la grâce et vaine la beauté
Le polythéisme des valeurs

Deux versions, deux logiques

Égalité n’est pas équité dans Communauté spirituelle 800px-Synoptic_word-for-wordPourquoi diable ce maître de maison n’a-t-il pas remis la même somme d’argent à chacun de ses trois serviteurs ? Cinq talents (soit environ 150 000 €), deux talents (60 000 €], un talent (30 000 €) : la mise de départ est bien inégale ! Cela ne semble pas très juste, et très dévalorisant pour le dernier qui peut se sentir jugé inférieur à la vue de la somme remise. En plus, tout le monde sait que l’argent va à l’argent, et que donc il est plus facile de faire fructifier une grosse somme qu’une petite.
La parabole des talents de Jésus dans l’Évangile de Matthieu (Mt 25, 14-30) a donc un caractère apparemment discriminatoire. Cela n’a pas échappé à Luc qui on donne une tout autre version (Lc 19, 11-28) : les serviteurs n’y sont plus 3 mais 10, et surtout ils reçoivent chacun – enfin ! pourrait-on dire – la même somme : une mine chacun, ce qui représente 60 fois moins que le talent de Matthieu. Luc souligne ainsi la disproportion gracieuse entre la récompense royale (gouvernance de 10 ou 5 villes) et la « toute petite affaire » des mines à faire fructifier. Matthieu quant à lui promet la même intimité divine aux deux premiers serviteurs : « entre dans la joie de ton maître ».

Résumons-nous : chez Luc, chaque serviteur reçoit la même (petite) somme d’argent et se distingue par un rendement différent (ou nul), ce qui souligne l’efficacité différente de chacun (10, 5 ou 1 pour 1). Chez Mathieu les dépôts sont plus importants et différent selon les serviteurs ; par contre le rendement (l’efficacité) est le même (1 pour 1), de même que la récompense (partager la joie divine).
La raison de cette différence entre les deux versions de la parabole réside dans l’explication propre à Matthieu : « à chacun selon ses capacités » (v 15).

En vocabulaire moderne, on pourrait dire que Matthieu distribue les talents selon une logique d’équité, alors que Luc applique le principe d’égalité.
Or égalité n’est pas équité !
Jugeant un petit voleur et un assassin, si vous leur coupez la main à tous deux, vous les traitez à égalité ; si vous employez l’un dans un travail d’utilité collective et tenez l’autre reclus pour des années, vous agissez avec équité. L’égalité uniformise, l’équité proportionne en ajustant aux niveaux convenables.

Ces deux logiques sont différentes ; elles sont même en tension, voire conflictuelles dans l’action politique. En France, la valeur Égalité gravée sur les frontons de nos mairies est plutôt de gauche. La révolution de 1789 a supprimé l’inégalité de naissance inscrite dans l’Ancien Régime avec la noblesse, les privilèges et le Tiers État. Les républiques successives ont promu ensuite l’égalité des chances (l’école publique), l’égalité des droits et devoirs devant la loi etc.
À chacun la même part.

Pourtant, à y regarder de près, les régimes de gauche ont voulu corriger l’effet inégalitaire de la liberté républicaine en donnant plus à ce qui ont moins : dégressivité de l’impôt en fonction des revenus (jusqu’à en exempter 40 % de la population), prestations de Sécurité Sociale inversement proportionnelles aux revenus, et plus récemment discrimination positive (comme à Sciences-Po) ou quotas obligatoires d’un certain pourcentage de salariés handicapés (6%), ou de femmes dans les conseils d’administration, allocations familiales proportionnelles au nombre d’enfants etc.
À chacun selon ses besoins.

 égalité dans Communauté spirituelle

À l’inverse, les régimes de droite ont célébré la méritocratie, qui relève plutôt de l’équité : on donne plus (de dividendes, d’actions, d’honneur) à ceux qui produisent plus.
À chacun selon ses capacités.
Là encore les positions peuvent s’inverser. Par exemple, le projet de réforme du régime des retraite veut remplacer les régimes spéciaux (équitables, car basés sur la pénibilité spécifique du travail de chacun) par un système de retraite à points, égalitaire s’il en est (1 heure de travail donne le même nombre de points à tout le monde).

Bref, la droite et la gauche se sont montrées à tour de rôle égalitaires et équitables, faisant semblant de se référer à la seule valeur Égalité. Alors qu’il s’agit de régler le curseur entre les trois valeurs républicaines, qui sont en tension permanente (ce que le sociologue Max Weber appelait le polythéisme des valeurs).

À cause de la liberté qui finit par avantager les plus forts, l’égalité ne peut se passer de l’équité, correctif plus juste que la seule répartition arithmétique.
À cause de la fraternité, l’équité ne peut se passer de l’égalité, sans laquelle les jalousies et la discorde vienne miner l’unité nationale.

Jacques Delors résumait ainsi le dilemme égalité/équité qui parcourt l’histoire de la gauche française :

« La gauche a vécu une bataille politique entre ceux qui prônaient le principe « à chacun selon ses besoins » et ceux pour qui il fallait donner « à chacun selon ses mérites ». Pendant longtemps, la gauche a mis l’accent sur la première devise, car la société était trop injuste et trop inégalitaire. Si l’on devait résumer en une formule l’orientation vers laquelle on devrait aller, c’est « à chacun selon ses besoins essentiels », qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé, du droit à un travail, d’un revenu décent pour vivre. Mais aussi  » à chacun selon ses mérites  » dans l’effort qu’il accomplit pour contribuer au progrès de la société et à la solidarité vis-à-vis des autres » [1].


Dieu est-il équitable ou égalitaire ?

ResetLe mot égalité renvoie à un partage arithmétique, à parts identiques : on donne la même chose à chacun. Il relève de ce que Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote, appelait la justice commutative. Le problème on l’a vu est que – à cause des capacités différentes de chacun – on aura très vite de fortes différences de fortune. L’accumulation de capital dans certaines familles au cours des décennies le démontre bien (cf. les travaux de Thomas Piketty), et ce depuis longtemps ! Ainsi la Bible se révèle très égalitaire lorsqu’elle prescrit d’observer le Jubilé (Lv 25) : tous les 50 ans, Israël devait théoriquement annuler les dettes au sein du peuple, libérer les esclaves, rendre les terres aliénées ou gagnées, afin que chacun réintègre son patrimoine initial. Une remise des compteurs à zéro pour tous en quelque sorte, afin de ne pas compromettre l’égalité des chances.

65ec266f73fb35969af5114c473cb372 équitéLe mot équité renvoie quant à lui à la justice distributive : on distribue les aides et les richesses en fonction des capacités ou des besoins de chacun. Cette justice est proportionnelle, alors que l’égalité est arithmétique. La parabole des talents selon Matthieu se veut équitable en ce qu’elle fait peser davantage de responsabilités sur les épaules de celui qui en est capable (5 talents à faire fructifier au lieu de 2). La Bible connaît également l’égalité symétrique, celle des Actes des Apôtres demandant de répartir la richesse de la communauté « à chacun selon ses besoins » (Ac 4,35).
L’Esprit Saint également sera équitable lorsqu’il distribuera ses charismes en fonction de la personnalité de chacun, même si c’est sur fond d’égalité de tous les baptisés entre eux : tous ont reçu l’Esprit, mais il ne se manifeste pas de la même manière en chacun.
En fait, dans la Bible, Dieu agit souvent de manière inégalitaire : il choisit Marie entre toutes les femmes, David au lieu de ses frères, il préfère le sacrifice d’Abel à celui de Caïn, il confie à Pierre un ministère unique, il admet le bon larron avant le croyant vertueux, il valorise la piécette de la veuve davantage que les grosses offrandes des pharisiens, il récompense le verre d’eau offert plus que les taureaux égorgés sur l’autel des sacrifices…

Bien malin qui pourrait ranger Dieu du côté de l’égalité ou de l’équité seulement !

 

Jésus n’est pas providentialiste

 paraboleÉcartons au passage une interprétation dangereuse de l’équité de la parabole des talents dans Matthieu.
Dieu ne donne pas la même chose à chacun. Certains voudraient en tirer la conclusion qu’il faut se résigner aux différences entre nous, car ce serait la volonté de Dieu. La Providence aurait ainsi réparti les talents le plus judicieusement possible. Même si pour nous cette inégalité de départ est révoltante, il faudrait se soumettre.

Mais alors on serait en islam (qui signifie soumission) et non pas en christianisme ! Jésus a clairement dénoncé à plusieurs reprises cette conception fataliste des inégalités, alors qu’elles ne sont pas voulues par Dieu. Ainsi il n’y a aucun lien entre la cécité de l’aveugle-né et un supposé péché de lui ou de ses parents (Jn 9, 1-41). De même les malheureux écrasés par la chute de la tour de Siloé n’y sont pour rien, et Dieu non plus (Lc 13, 4-5). De même ceux qui ont été massacrés par Pilate au cours d’une liturgie au Temple ne l’ont en rient mérité, et cela ne vient pas de Dieu (Lc 13, 1-3).

Ce sont des talents (des richesses, des atouts) que le maître de maison distribue, et non des épreuves ou des punitions ! Un handicap de naissance, le fait d’être né dans une favela à Rio, une intelligence diminuée, une santé fragile ne doivent rien à la Providence : ce sont évidemment des effets du hasard, des lois sociales ou génétiques. Quand Dieu distribue ses talents équitablement, c’est qu’il confie davantage de responsabilités à celui qui a plus de capacités, selon le proverbe que Matthieu cite deux fois dans son Évangile (13,12 et 25,29) :
« À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a ».
Il n’est pas question de Providence ici, mais de responsabilité humaine. Nombre de grands patrons, de scientifiques, d’intellectuels, d’industriels ou de leaders charismatiques chrétiens ont eu conscience d’avoir reçu beaucoup, beaucoup plus que les autres (de par leur naissance, leur intelligence, leur talent) et donc d’être d’autant plus redevables envers le bien commun. La tradition du catholicisme social avec ses audaces en faveur des ouvriers aux XIX° et XX° siècles (1 % logement, allocations familiales, participation au capital, luttes syndicales etc.) s’enracine là. La foi de Galilée, Newton, Einstein ou Pasteur les a poussés à se dévouer à leur cause, au nom du don reçu qui leur conférait une responsabilité particulière, une ardente obligation (selon le mot de De Gaulle).

 

Alors : égalité ou équité ?

Nos deux versions de la même parabole des talents répondent à leur manière.
Matthieu nous dit que l’équité (« à chacun selon ses capacités ») est utile et même indispensable pour atteindre finalement une égale béatitude (« entre dans la joie de ton maître »).
Luc nous dit que l’égalité (donner la même somme à chacun) est utile pour apprécier ensuite l’efficacité du travail de chacun (rendement de 10, 5 ou 0 pour un) et obtenir finalement une récompense équitable (10 villes, 5 villes, rien).

Et vous : comment allez-vous conjuguer égalité et équité dans votre vie professionnelle, familiale, amicale ?

 


[1]. Jacques Delors, L’unité d’un homme, Ed. Odile Jacob, 1994, pp. 379-380.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Ses mains travaillent volontiers » (Pr 31, 10-13.19-20.30-31)

Lecture du livre des Proverbes

Une femme parfaite, qui la trouvera ? Elle est précieuse plus que les perles ! Son mari peut lui faire confiance : il ne manquera pas de ressources. Elle fait son bonheur, et non pas sa ruine, tous les jours de sa vie. Elle sait choisir la laine et le lin, et ses mains travaillent volontiers. Elle tend la main vers la quenouille, ses doigts dirigent le fuseau. Ses doigts s’ouvrent en faveur du pauvre, elle tend la main au malheureux. Le charme est trompeur et la beauté s’évanouit ; seule, la femme qui craint le Seigneur mérite la louange. Célébrez-la pour les fruits de son travail : et qu’aux portes de la ville, ses œuvres disent sa louange !

PSAUME
(Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-5)
R/ Heureux qui craint le Seigneur ! (Ps 127, 1a)

Heureux qui craint le Seigneur
et marche selon ses voies !
Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !

Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plants d’olivier.

Voilà comment sera béni
l’homme qui craint le Seigneur.
De Sion, que le Seigneur te bénisse !
Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie.

DEUXIÈME LECTURE
« Que le jour du Seigneur ne vous surprenne pas comme un voleur » (1 Th 5, 1-6)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Pour ce qui est des temps et des moments de la venue du Seigneur, vous n’avez pas besoin, frères, que je vous en parle dans ma lettre. Vous savez très bien que le jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit. Quand les gens diront : « Quelle paix ! quelle tranquillité ! », c’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux, comme les douleurs sur la femme enceinte : ils ne pourront pas y échapper. Mais vous, frères, comme vous n’êtes pas dans les ténèbres, ce jour ne vous surprendra pas comme un voleur. En effet, vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour ; nous n’appartenons pas à la nuit et aux ténèbres. Alors, ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres.

 

ÉVANGILE

« Tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup » (Mt 25, 14-30)
Alléluia. Alléluia.Demeurez en moi, comme moi en vous, dit le Seigneur ; celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruit. Alléluia. (Jn 15, 4a.5b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens. À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit.
Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître.
Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes. Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : ‘Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.’ Son maître lui déclara : ‘Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.’ Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit : ‘Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.’ Son maître lui déclara : ‘Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.’
Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : ‘Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.’ Son maître lui répliqua : ‘Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !’ »
Patrick BRAUD

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