L'homélie du dimanche (prochain)

16 octobre 2022

Pharisien lucide, publicain illucide ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Pharisien lucide, publicain illucide ?

 

Homélie pour le 30° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
23/10/2022

 

Cf. également :

D’Anubis à saint Michel 

Dans les petits papiers de Dieu

Simul peccator et justus : de l’intérêt d’être pécheur et de le savoir

« J’ai renoncé au comparatif »

Cendres : soyons des justes illucides

Toussaint : le bonheur illucide

La croissance illucide

Divine surprise

La docte ignorance

 

Tel est pharisien qui se croyait très publicain !

le chat et l'humilité« Un homme regarda une fois, de plus près, l’histoire du pharisien qui remercie Dieu, plein d’hypocrisie parce qu’il n’était pas un collecteur d’impôts. 

« Dieu soit loué ! – s’écria-t-il dans sa vanité – je ne suis pas un pharisien !« 

Ce bref texte d’Eugène Roth (poète bavarois du XX° siècle) illustre à merveille le piège paradoxal qui guette le lecteur de la parabole de ce dimanche (Lc 18, 9-14) : dès que j’ai conscience d’être l’humble publicain, je ne suis plus humble !  Il est trop facile de lire cette parabole comme la dénonciation de l’hypocrisie des autres, car d’une part je suis parfois – sans le savoir – ce pharisien content de lui-même parce qu’il a fait objectivement des choses bien, et d’autre part dès que je dis être comme cette humble publicain, je ne suis plus humble ! 

L’humilité est une pensée destructrice d’elle-même [1] en quelque sorte. Celui qui se dit humble se contredit lui-même ! Et celui qui se reconnaît pharisien hypocrite ne l’est plus… St Jean Chrysostome († 404) écrivait : 

« Tout en faisant une foule de choses bien faites, si tu te dis que tu peux t’en vanter, tu perdras le fruit de ta prière ». 

Cet effet boomerang nous interdit de nous identifier à l’un ou à l’autre.

Comment sortir de ce piège paradoxal ? 

 

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Ne pas chercher à savoir

Commençons par remarquer que c’est Jésus qui commente la prière au Temple des deux personnages. Eux n’en savent rien ! Le pharisien descend chez lui tout content d’avoir prié, sans savoir qu’il n’est pas justifié. Le publicain reprend sa triste activité de collabo, sans savoir que Dieu l’a justifié lorsqu’il battait sa poitrine à genoux. Les auditeurs de la parabole connaissent le résultat de ces deux actions, pas les deux acteurs.

Autrement dit : la justification est illucide, c’est-à-dire qu’en avoir conscience serait la dissoudre. Un peu comme le chat de Schrödinger dont on ne peut pas savoir s’il est vivant ou mort, la justice donnée par Dieu ne se possède pas en pleine conscience, sinon elle dégénère en orgueil et hypocrisie. Rappelez-vous la réplique célèbre de Jeanne d’Arc au tribunal ecclésiastique qui lui demandait si elle était en état de grâce :

« Si je n’y suis pas Dieu m’y mette. 

Si j’y suis, Dieu m’y garde ! »

Ne pas chercher à savoir si je suis juste ou pas me libère de l’angoisse du publicain comme de la suffisance du pharisien. C’est une docte ignorance (Nicolas de Cues, XIV° siècle) qui fait confiance sans savoir, qui renonce à posséder le salut, qui accepte de ne pas le maîtriser, et donc d’ignorer. 

Jeanne d'Arc devant ses jugesOn peut ainsi appeler illucide le juste qui accomplit sa justice sans la comptabiliser pour lui-même, sans même en être conscient. 

L’adjectif lucide vient du latin lux, lucis = lumière (élucider = mettre en pleine lumière). Est lucide celui qui a conscience, qui juge, voit clairement, objectivement les choses dans leur réalité (Larousse). Illucide désigne à l’inverse celui qui n’a pas conscience de lui-même.

Le juste illucide ne tient pas la liste des personnes secourues, ni des aides accordées. Il oublie le bien qu’il fait au moment même où il l’accomplit. Le publicain illucide sait qu’il ne mérite rien, et s’en remet totalement à Dieu en acceptant de ne pas savoir en sortant du Temple s’il est justifié ou non. D’ailleurs, soyons honnêtes, ce publicain est davantage dans la vérité que dans l’humilité, comme le note St Jean Chrysostome :

« Le pharisien a perdu sa justice acquise par des actes, tandis que le publicain, grâce à un langage empreint d’humilité, a obtenu la justice. Encore cela n’était-il pas à proprement parler de l’humilité, si toutefois l’humilité est bien le fait de celui qui, alors qu’il est grand, s’abaisse lui-même. Or le fait du publicain n’est pas l’humilité, mais la vérité ; ces paroles, en effet, étaient vraies, puisque celui-là était pécheur ».

 

le-bonheur-illucide--homlies-2009-10--anne-c ignorance dans Communauté spirituelleNous avons vu que le caractère illucide du salut affleure tout au long des Évangiles. À la Toussaint par exemple et à la fête du Christ-Roi, nous lisons le texte du Jugement dernier de Matthieu 25 où les justes sont tout étonnés d’être sauvés pour un verre d’eau qu’ils ont oublié, alors que les autres sont tout autant étonnés d’être condamnés pour leur rejet du Fils de l’homme dont ils n’avaient pas conscience (les malades, les prisonniers, les démunis…). Divine surprise de la justification !

Dans la parabole du grain qui pousse tout seul (Mc 4,26-34), c’est la croissance illucide du royaume de Dieu en nous et autour de nous qui nous est cachée : même pendant notre sommeil, il pousse, il grandit, et nous n’y sommes pas pour grand-chose. Et nous n’en savons rien.

Chaque Mercredi des Cendres, l’évangile de Matthieu (Mt 6,1-18) nous appelle au secret, jusqu’à cacher à nous-même le bien accompli : « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite »

Notre parabole d’aujourd’hui s’inscrit dans cette trame d’illucidité ; elle prolonge le fil rouge du non-savoir qui est la condition du salut.

 

Le caractère illucide du royaume prêché par Jésus fait du bonheur une conséquence et non un but, de la croissance un don et non un effort, de la justification une grâce et non un mérite. Mais tout cela se fait « de nuit », comme l’écrivait Saint Jean de la Croix dans sa métaphore de « la vive flamme d’amour », où celui qui est plongé dans la flamme ne voit plus rien. Plus il est uni à la lumière, moins il voit. La physique quantique dit un peu la même chose au sujet des trous noirs qui structurent nos univers : quand un astre est aspiré par un trou noir, impossible de savoir ce qu’il devient…

 

Devenir illucide ne signifie pas pour autant être un inconscient sur le plan moral ou spirituel ! Cela veut dire : accomplir le bien sans le comptabiliser, pleurer sur le mal sans désespérer, renoncer à savoir si je suis juste ou non et laisser Dieu m’aimer à sa guise. 

Ne pas renoncer à ce savoir, c’est en réalité être plus intéressé par la récompense à obtenir que par l’amour de celui qui la donne, plus motivé par le don que par le donateur. 

« Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense » (Mt 6,5).

« Il leur dit alors : Vous (pharisiens), vous êtes de ceux qui se font passer pour justes aux yeux des gens, mais Dieu connaît vos cœurs ; en effet, ce qui est prestigieux pour les gens est une chose abominable aux yeux de Dieu » (Lc 16,15).

Peu importe alors d’être pharisien impeccable ou publicain dépravé : le salut n’est pas dans ce que je fais, mais dans l’accueil de Dieu qui se donne.

 

Sortir du pélagianisme

Pélage vs AugustinNe pas chercher à savoir, rester dans une docte ignorance : cette illucidité non seulement nous libère de l’angoisse, mais également du pélagianisme. Ce mot compliqué désigne le volontarisme forcené qui croit pouvoir faire son salut à la force du poignet, en accumulant les mérites des bonnes œuvres. Pélage était un moine des III°-IV° siècles qui ferrailla avec Saint Augustin au sujet d’une question assez grave (dont nous verrons quelques harmoniques politiques et sociales) : est-il possible à l’homme de faire son salut, de « gagner son paradis » (comme on dit en Afrique !) ?

Augustin soulignait avec réalisme que « le cœur de l’homme est compliqué et malade » (Jr 17,9) : c’est un constat facile à faire que de découvrir en chacun et en tous une certaine inclination au mal, que la tradition catholique appelle depuis Augustin « péché originel ». Pélage quant à lui était beaucoup plus optimiste, beaucoup trop sans doute. Il pensait que l’homme peut, s’il le veut vraiment, se justifier lui-même. 

Pour Pélage, la justice se confond avec la sainteté, elle est la véritable sainteté. Point n’est besoin pour l’obtenir d’un secours surnaturel, d’une grâce spéciale, d’un recours particulier à la prière : il suffit d’avoir la conscience claire du but à atteindre et la force d’y parvenir. Cette force est en nous une propriété inhérente à la nature humaine, pas un don du Créateur. Ainsi l’Homme n’est pas « esclave du péché » ; il peut coopérer activement à son salut ; ou, plus exactement, il en est le premier moteur. À la limite, il peut, s’il le veut, se « justifier » lui-même [2].

 

Pélage met un actif là où Jésus conjuguait au passif. Le début de la parabole du pharisien et du publicain nous précise que Jésus parlait « pour ceux qui se flattaient d’être des gens bien ». Le texte dit précisément : « d’être des justes », ce qui contraste avec le verset 14 : « être justifié ». Pour Jésus, le salut est d’abord un passif : être justifié (par Dieu), alors que le pharisien ne connaît que l’actif : se justifier soi-même (par ses bonnes actions). Le pharisien est pélagien en ce sens qu’il croit que l’accumulation impressionnante [3] de ses bonnes œuvres lui mérite le salut. Il possède au lieu de recevoir, il maîtrise au lieu d’ignorer. Voilà comment le pélagianisme, qui fait toujours des ravages dans l’Église, substitue la morale à la foi, l’action à la contemplation, le volontarisme à l’accueil, les œuvres à la grâce, le mérite à la gratuité…

 

Sortir du pélagianisme est donc le chemin du salut !

Car ce n’est pas ce que je fais – que je sois publicain ou pharisien, peu importe ! – qui compte, mais ma capacité à recevoir ce qui m’est donné gratuitement. D’ailleurs, notons avec un brin de malice que le publicain non seulement obtient miséricorde sans l’avoir méritée, mais à aucun moment il ne promet à Dieu de changer et de vivre plus pieusement (il semble même revenir chez lui pour continuer son métier comme avant !) et pourtant il a le regard favorable de Dieu. 

Luc note que la rumeur de cet accueil inconditionnel des pécheurs par Jésus s’est répandue comme une traînée de poudre :

« Les publicains et les gens de mauvaise vie venaient tous à Jésus pour l’écouter » (Lc 15,1).

On ne peut pas montrer de manière plus claire que les œuvres ne sont d’aucune utilité pour être justifié devant Dieu. Ce petit texte est un de ceux qui parlent le plus clairement du salut par la grâce seule (la sola gratia chère aux protestants) !

Les œuvres arrivent ensuite, certes, mais viennent seulement fleurir là où la grâce a coulé abondamment, conséquences gratuites et reconnaissantes du don reçu, et non conditions nécessaires au préalable.

 

Bien avant Luther, François d’Assise avait déjà fait briller cette intuition de la vraie pauvreté évangélique qui ne s’attache pas à ses œuvres et se reçoit d’un autre :

« - Dieu, fit observer frère Léon, réclame notre effort et notre fidélité.

- Oui, sans doute, répondit François. Mais la sainteté n’est pas l’accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on se découvre et que l’on accepte, et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude. Notre néant, vois-tu, s’il est accepté, peut devenir l’espace libre où Dieu peut encore créer [4] ».

 

Le clivage droite-gauche à la lumière de la parabole

1280px-Sch%C3%A9ma_politique_gauche_droite.svg illucideBon, tout ça peut vous paraître un peu trop spirituel, un peu loin de nos problèmes actuels. Pas si sûr ! Prenez par exemple le bon vieux clivage droite-gauche en France, dont on nous dit qu’il aurait disparu alors qu’il ne cesse de faire des petits. Formellement, on date la naissance de ce clivage en 1789, lorsque les députés royalistes de l’Assemblée Nationale se sont regroupés à la droite de Louis XVI (comme dans la parabole de Matthieu 25 !) pour lui exprimer leur soutien, alors que ceux de gauche étaient des révolutionnaires purs et durs. À bien étudier l’histoire des doctrines politiques et économiques qui marquent la vie de notre pays depuis 1789 (libéralisme, communisme, socialisme, voire fascisme etc.) on s’aperçoit que c’est le vieux clivage Pélage vs Augustin qui refait surface, mâtiné de l’opposition pharisien vs publicain.


Comme le disait André Frossard avec humour :

« Le malheur, c’est que la gauche ne croit pas beaucoup au péché originel et que la droite ne croit pas beaucoup à la rédemption ».

La Gauche, la droite et le péché originel eBook by Léo MoulinLa droite sait que le mal existe, indéracinable, dès le début, en toute aventure humaine. Elle ne cherche pas à l’éradiquer, mais à l’utiliser autant que possible pour lui faire produire du bien (en faisant appel aux intérêts de chacun). Elle tient d’Augustin un certain réalisme (voire pessimisme) sur l’homme et se méfie de tous ceux qui veulent faire son bonheur par la force. La droite croit donc au péché originel et à ses conséquences sociales. Elle sait que le royaume de Dieu n’est pas de ce monde. Par contre, elle a du mal avec la rédemption, c’est-à-dire l’action d’un tiers (État, associations, actions collectives etc.) pour sauver les pauvres.

La gauche – elle – est plutôt rousseauiste : elle ne croit pas au péché originel, mais pense que l’homme est foncièrement bon et que c’est la société (injuste) qui le corrompt. Il faut donc renverser les structures injustes (la royauté, le capitalisme etc.) et les remplacer par des systèmes plus justes (la propriété collective, les taxations, les lois révolutionnaires etc.) et cela devrait suffire. Du coup, la gauche ne comprend pas pourquoi des pauvres resteraient du côté de la méchanceté, du mal et de l’injustice, et n’a jamais pu envisager que derrière le communisme à l’Est il y aurait le goulag…

La gauche a un problème avec le péché originel.
La droite a un problème avec la Rédemption.
Mais toutes deux sont pélagiennes….

Le pélagianisme de la droite est tout individuel : c’est à chacun de faire son salut, il n’y a rien à attendre du collectif si ce n’est garantir les libertés individuelles. Ce pharisaïsme actif prône et sacralise la responsabilité individuelle, le sens de l’initiative, la valeur travail et le mérite. Le mythe du self-made-man incarne au plus haut point le salut libéral, acquis à la force du poignet par la seule force de l’individu.

Le pélagianisme de la gauche est plutôt collectif. Il suffit de s’unir pour renverser les inégalités et notre action rétablira la justice. Cela ne dépend que de nous. L’Utopie (version sécularisée du royaume de Dieu) est à portée de main, fruit de notre combat collectif.

 

On voit que droite et gauche laissent peu de place finalement à ce que Jésus appelle « être justifié », c’est-à-dire à l’accueil de ce qui nous est donné sans pouvoir le produire par nous-mêmes. Peut-être est-ce l’écologie politique qui pourrait nous faire sortir de ces excès ? Car l’écologie nous rappelle qu’il y a un donné naturel, indépendant de l’homme, sensible à ses actions, et que ce donné n’est pas illimité. L’homme n’est pas tout-puissant : les conséquences de sa volonté de maîtrise totale risquent de lui revenir en pleine figure. Accumuler des performances techniques comme le pharisien ses bonnes œuvres, ou même énumérer ses gaspillages comme le publicain ses péchés ne le sauvera pas. Il faudra une nouvelle alliance avec la nature, où l’homme acceptera d’accueillir et pas seulement de prendre, d’être justifié en quelque sorte au lieu de se justifier.

La plupart des grandes idées politiques sont des concepts théologiques sécularisés. Qu’au moins la parabole du pharisien et du publicain inspire d’autres politiques à ceux qui nous gouvernent, et à nous qui sommes censés les choisir !

 

 ______________________

[1]. Ce concept est popularisé par Etienne Klein, philosophe des sciences, à propos du néant à qui on donnerait un contenu si on le définissait alors qu’il n’en n’a pas : « L’idée du néant est destructrice d’elle-même, on ne peut penser au néant qu’en n’y pensant pas ». L’humilité est comme le néant : impensable…

[2]. Pour trop minimiser la grâce, la doctrine de Pélage fut désavouée par le 16° concile de Carthage en 418.

[3]. Il en fait beaucoup plus que les autres. Par exemple la Loi obligeait les Juifs à jeûner deux fois par an : le Jour de Yom Kippour et l’anniversaire de la destruction du Temple par les Babyloniens en 586 av. J.-C. Certains pharisiens zélés pratiquaient cependant le jeûne deux fois par semaine : le jeudi et le lundi, car selon les rabbins Moïse est monté chercher les tables de la Loi le quatrième jour de la semaine et il est revenu le premier jour de la semaine suivante. Les cas de jeûne de deux jours étaient pourtant rares et cela fait croire au pharisien qu’il était extraordinaire dans ses actes.

[4]. Eloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, Paris, Éditions franciscaines, 1984, p.114


LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE

« La prière du pauvre traverse les nuées » (Si 35, 15b-17.20-22a)

 

Lecture du livre de Ben Sira le Sage

Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes. Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve. Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. La prière du pauvre traverse les nuées ; tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable. Il persévère tant que le Très-Haut n’a pas jeté les yeux sur lui, ni prononcé la sentence en faveur des justes et rendu justice.

 

PSAUME

(Ps 33 (34), 2-3, 16.18, 19.23)
R/ Un pauvre crie ; le Seigneur entend. (Ps 33, 7a)

 

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

 

Le Seigneur regarde les justes,
il écoute, attentif à leurs cris.
Le Seigneur entend ceux qui l’appellent :
de toutes leurs angoisses, il les délivre.

 

Il est proche du cœur brisé,
il sauve l’esprit abattu.
Le Seigneur rachètera ses serviteurs :
pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice » (2 Tm 4, 6-8.16-18)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je suis déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice : le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa Manifestation glorieuse. La première fois que j’ai présenté ma défense, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. Le Seigneur, lui, m’a assisté. Il m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à tout ce qu’on fait pour me nuire. Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. À lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

 

ÉVANGILE

« Le publicain redescendit dans sa maison ; c’est lui qui était devenu juste, plutôt que le pharisien » (Lc 18, 9-14)
Alléluia. Alléluia. Dans le Christ, Dieu réconciliait le monde avec lui : il a mis dans notre bouche la parole de la réconciliation. Alléluia. (cf. 2 Co 5, 19)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’ Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’ Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé ».

Patrick BRAUD

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9 octobre 2022

La pédagogie du « combien plus ! »

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La pédagogie du « combien plus ! »

 

Homélie pour le 29° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
16/10/2022

 

Cf. également :

Lutte et contemplation

À temps et à contretemps

Ne baissez pas les bras !

La grenouille qui ne se décourageait jamais

 

La pédagogie du

Dossier retraite : quelle galère !

Un ami me racontait son parcours du combattant un an avant de partir en retraite. Le relevé de carrière de l’Assurance Retraite avait tout simplement oublié ses deux années de coopération militaire, et l’équivalent de trois années d’études et de jobs divers dans sa jeunesse pendant les années 70, où évidemment les traces informatiques n’existaient pas ! Il s’est débattu pendant plus de 12 mois avec des administrations diverses : des heures au téléphone avec les ‘Quatre saisons’ de Vivaldi en boucle (on a beau aimer, c’est très vite insupportable !), des correspondants qui se déclarent incompétents (et qui le sont !) pour traiter la demande, des responsables qui se défaussent en cascade etc. Il se disait : ‘ils ne m’auront pas à l’usure. Je tiendrai bon jusqu’à ce qu’ils me rendent justice’. Il usait de la riposte graduée à chaque fois qu’il cherchait à récupérer un trimestre égaré : coups de fil répétés, insistants ; colère et menaces de scandale ; puis lettres recommandées avec accusé de réception ; puis commission de recours amiable ; puis intervention d’un avocat pour mettre en demeure… Bataille épuisante qui aurait poussé plus d’un à capituler ! Pourtant la persévérance fut payante, et il a pu prendre sa retraite à taux plein, en ayant récupéré 21 trimestres que l’Assurance Retraite ne lui avait initialement pas comptés.

 

L’administration française ressemble un peu au juge inique de la parabole de ce dimanche (Lc 18,1-8) ! Elle est souvent impersonnelle et froide comme le juge est insensible et dur ; elle se croit au-dessus de tout comme le juge qui ne craignait même pas Dieu. Ce n’est qu’à force de persévérance, en leur « cassant les oreilles » jusqu’à ce qu’ils craquent, que l’on peut espérer obtenir finalement justice…

On a déjà longuement commenté le courage de cette veuve qui ne désespère jamais. On a également fait le rapprochement avec la prière de Moïse de notre première lecture (Ex 17,8-13) qui nous invite à ne pas baisser les bras dans les combats qui sont les nôtres. Et cette prière tenace nous permet d’unir lutte et contemplation pour tenir bon jusqu’à obtenir justice.

Intéressons-nous aujourd’hui à la pédagogie de Jésus lorsqu’il invente cette histoire de juge inique, puis à la pédagogie de la veuve elle-même envers ce juge, afin que toutes deux  nous inspirent.

 

La pédagogie du « combien plus ! »

Jésus utilise une méthode rabbinique (kol wa- omer = léger et lourd, en hébreu) bien connue à son époque dans les débats toujours vifs entre interprètes de la Torah : s’appuyer sur un cas léger (kol) pour montrer qu’a fortiori cela s’appliquera dans un cas lourd (omer). Si un juge inique finit par rendre justice à cause d’une pression insistante, combien plus Dieu – lui qui est juste et Père miséricordieux – fera justice à ses élus, et rapidement !

 

Argumentum a fortioriCe n’est pas le seul endroit où Jésus a recours à cette pédagogie du combien plus. Ainsi lorsqu’il invite ses disciples à demander l’Esprit Saint dans leurs prières, il s’appuie sur la responsabilité parentale (paternelle à l’époque) qui cherche à donner le meilleur à ses enfants, et non ce qui pourrait leur faire du mal : 

« Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus [kol wa- omer] le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11,13, cf. Mt 7,11).

Même pédagogie pour inciter les disciples à faire confiance à Dieu, à partir de l’observation… des oiseaux ou de l’herbe des champs !

« Observez les corbeaux : ils ne font ni semailles ni moisson, ils n’ont ni réserves ni greniers, et Dieu les nourrit. Combien plus Dieu fera-t-il pour vous qui surpassez les oiseaux ! » (Lc 12,24)

« Si Dieu revêt ainsi l’herbe qui aujourd’hui est dans le champ et demain sera jetée dans le feu, combien plus fera-t-il pour vous, hommes de peu de foi ! » (Lc 12,28)

Le combien plus vaut également en sens inverse, pour souligner négativement par exemple que les insultes et calomnies envers le maître retomberont également sur ses disciples : « Si les gens ont traité de Béelzéboul le maître de maison, combien plus pour ceux de sa maison » (Mt 10,25).

 

Paul, en digne élève de Gamaliel, utilise lui aussi cette rhétorique du combien plus. Notamment pour espérer la réunification finale des juifs et des païens dans l’Église du Christ : 

« Or, si leur faute (des juifs) a été richesse pour le monde, si leur amoindrissement a été richesse pour les nations, combien plus le sera leur rassemblement ! » (Rm 11,12)

« En effet, toi qui étais par ton origine une branche d’olivier sauvage (nation païenne), tu as été greffé, malgré ton origine, sur un olivier cultivé (Israël) ; combien plus ceux-ci, qui sont d’origine, seront greffés sur leur propre olivier » (Rm 11,24)

Paul demande à Onésime d’accueillir son esclave Philémon encore mieux que lui : 

« S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : il l’est vraiment pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur. » (Phm 1,15-16)

Il s’appuie à nouveau sur le raisonnement a fortiori pour prouver l’efficacité du sacrifice sanglant du Christ : 

« S’il est vrai qu’une simple aspersion avec le sang de boucs et de taureaux, et de la cendre de génisse, sanctifie ceux qui sont souillés, leur rendant la pureté de la chair, combien plus fait le sang du Christ… ! » (He 9,13-14)
Et il souligne la supériorité de la grâce sur la Loi, de l’Esprit sur la lettre de la Loi :

« Le ministère de la mort, celui de la Loi gravée en lettres sur des pierres, avait déjà une telle gloire que les fils d’Israël ne pouvaient pas fixer le visage de Moïse à cause de la gloire, pourtant passagère, qui rayonnait de son visage. Combien plus grande alors sera la gloire du ministère de l’Esprit ! » (2Co 3,7‑8)

 

a58a9b_52c844e726054c9bb9f2cb54f14f1d9f~mv2_d_2350_2362_s_2 juge dans Communauté spirituelleOn le voit : la rhétorique du combien plus est particulièrement adaptée pour établir la crédibilité de quelque chose qui n’est pas évidente au départ. Un aspect intéressant de cette pédagogie (qui rejoint celle de la veuve que nous étudierons ensuite) est qu’elle prend acte avec réalisme du mal qui est dans l’homme. Oui, il y a des juges iniques. Oui il y a des violents qui se croient au-dessus de tout. Oui il y a des puissants qui se croient tout permis. Oui il y a des forts insensibles à la détresse des petits. Et pourtant, à bien y regarder, même ces gens-là sont capables, dans certaines circonstances, de faire ce qui est bien ou juste. Peu importe leur motivation à ce moment-là (qui peut être très égoïste), le résultat final est là : personne n’est si mauvais qu’il ne soit capable de faire parfois ce qui est bon, personne n’est si inique qu’il ne soit pas conduit à faire parfois ce qui est juste.

La tentation n’est pas tant de désespérer de Dieu que de désespérer de l’homme ! Si vous croyez en l’étincelle divine au fond de chacun, vous verrez que même le pire des bourreaux peut être capable d’humanité, voire de tendresse, au moins de justice. Cela demande persévérance, ténacité, obstination. Mais Jésus reconnaît que ce qu’a fait ce magistrat sans foi ni loi est finalement juste.

Combien plus devrions-nous utiliser nous aussi cette pédagogie !

 

La pédagogie de la veuve-judoka

Voilà qui nous amène à regarder de près l’obstination de la veuve. Comment s’y prend-elle ?

Ce juge, on ne peut ni le menacer de l’enfer, puisqu’il ne croit ni en Dieu ni en diable, ni l’apitoyer, car il est de glace. Il est cuirassé, invulnérable, invincible. Ni verticale ni horizontale ne peuvent opérer une brèche dans ce personnage. Seul son intérêt personnel le motive. La veuve sait qu’il n’a rien à gagner à l’écouter, mais il aurait peut-être beaucoup à perdre : sa tranquillité (‘elle me casse les oreilles’), celle de sa famille, sa réputation etc. 

‘Très bien : tu ne veux écouter ni Dieu ni ma détresse. Eh bien je vais te pourrir l’existence jusqu’à ce que tu changes d’avis !’

Miser sur l’égoïsme du méchant peut s’avérer plus payant que de faire appel à son humanité. 

Parler à l’adversaire de ses intérêts… 

41RkyE1DCwL._SX308_BO1,204,203,200_ paraboleC’est sans doute la citation la plus célèbre de la science économique. Selon Adam Smith : 

« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur, ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais de leur souci de leur propre intérêt. Nous nous adressons, non à leur humanité mais à leur amour-propre (self-love) ». « Ne leur parlez jamais de nos propres nécessités, mais de leur avantage » (Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776).
Le self-love n’est pas forcément de l’égoïsme. Il relève plutôt de ce que Jésus appelle l’amour de soi, préalable indispensable à l’amour d’autrui : « aimer son prochain comme soi-même » demande d’abord de s’aimer soi-même ! C’est-à-dire de veiller à sa survie, son intégrité, sa santé, son éducation etc. Faire appel au self-love d’autrui, c’est lui reconnaître le droit et le devoir de prendre soin de lui-même.

Ce que dit Adam Smith, c’est que le marché nous force à nous intéresser aux intérêts des autres (« regard to their own interest »), pas aux nôtres ! Il nous faut convaincre le boucher que nous servir lui profite, ce qui nécessite d’abord que nous nous intéressions à ses intérêts. Comme le dit Smith, nous ne parlons pas de nous, nous nous adressons aux autres. Les marchés ne sont donc pas fondés sur l’avidité uniquement, qui ne renvoie qu’à nous-mêmes. Ils reposent également sur la recherche de la satisfaction des intérêts des autres.

Certes, pourrait-on objecter, cet objectif n’est qu’instrumental : les autres ne nous intéressent que comme moyen de nous faire plaisir. Mais on relèvera que même dans ce cas, il est impossible d’ignorer les intérêts de l’autre, contrairement à ce que suppose la vue du marché comme seule recherche de l’intérêt individuel. Si la bienveillance d’autrui n’est pas suffisante pour obtenir l’aide constante dont nous avons besoin, Smith nous conseille de parler à ses intérêts !

Personne d’autre qu’un mendiant volontaire ne veut dépendre entièrement de la bienveillance d’autrui.

Notre comportement intéressé est médiatisé par la nécessité de répondre aux intérêts personnels de l’autre partie, pas aux nôtres ! En effet, nous montrons à l’autre partie comment ce que nous voulons négocier (acheter notre dîner) sert les intérêts du boucher, du brasseur et du boulanger (c’est ainsi qu’ils obtiennent les moyens d’acheter aux autres ce qu’ils veulent), et nous ne parlons pas de la façon dont l’obtention d’ingrédients pour notre dîner nous ‘avantage’  nous-mêmes.

AP_19240480821916-e1567241810960-640x400 pédagogie 

Maline, la veuve !

Plutôt de que d’essayer en vain de culpabiliser son adversaire, elle cherche la faille dans ses intérêts : ‘tu vivras mieux si tu me rends justice’. Appliquez cette tactique aux négociations avec Poutine, Xi Jinping ou Erdogan… Bien sûr la pointe de la parabole est de persévérer dans la prière confiante en Dieu, qui ne manquera pas de l’exaucer (à sa manière). Reste que la stratégie de la veuve est finalement la plus efficace, et à ce titre louée par Jésus.

Qu’attendons-nous pour faire comme elle ? Parions sur les intérêts de nos adversaires, ne désespérons jamais de leur capacité à faire objectivement ce qui est juste, quelle que soit leur motivation subjective !

 

Les deux pédagogies de Jésus et de la veuve se rejoignent : prenons acte avec réalisme du mal autour de nous et en nous, ne désespérons pas pour autant de nos adversaires, et apprenons tel un judoka à utiliser le mal contre lui-même afin de lui faire produire du bien !

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort » (Ex 17, 8-13)

 

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, le peuple d’Israël marchait à travers le désert. Les Amalécites survinrent et attaquèrent Israël à Rephidim. Moïse dit alors à Josué : « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites. Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main. » Josué fit ce que Moïse avait dit : il mena le combat contre les Amalécites. Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline. Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort. Quand il la laissait retomber, Amalec était le plus fort. Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ; on prit une pierre, on la plaça derrière lui, et il s’assit dessus. Aaron et Hour lui soutenaient les mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre. Ainsi les mains de Moïse restèrent fermes jusqu’au coucher du soleil. Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée.

 

PSAUME
(Ps 120 (121), 1-2, 3-4, 5-6, 7-8)
R/ Le secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. (Ps 120, 2)

 

Je lève les yeux vers les montagnes :
d’où le secours me viendra-t-il ?
Le secours me viendra du Seigneur
qui a fait le ciel et la terre.

 

Qu’il empêche ton pied de glisser,
qu’il ne dorme pas, ton gardien.
Non, il ne dort pas, ne sommeille pas,
le gardien d’Israël.

 

Le Seigneur, ton gardien, le Seigneur, ton ombrage,
se tient près de toi.
Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper,
ni la lune, durant la nuit.

 

Le Seigneur te gardera de tout mal,
il gardera ta vie.
Le Seigneur te gardera, au départ et au retour,
maintenant, à jamais.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Grâce à l’Écriture, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien » (2 Tm 3, 14 – 4, 2)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, demeure ferme dans ce que tu as appris : de cela tu as acquis la certitude, sachant bien de qui tu l’as appris. Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes Écritures : elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus Christ. Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice ; grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien.
Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire.

 

ÉVANGILE
« Dieu fera justice à ses élus qui crient vers lui » (Lc 18, 1-8) Alléluia. Alléluia. Elle est vivante, efficace, la parole de Dieu ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Alléluia. (cf. He 4, 12)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager : « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : ‘Rends-moi justice contre mon adversaire.’ Longtemps il refusa ; puis il se dit : ‘Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne, comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.’ » Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice ! Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Patrick BRAUD

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25 septembre 2022

Savoir se rendre inutile

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Savoir se rendre inutile

 

Homélie pour le 27° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
02/10/2022

 

Cf. également :

Foi de moutarde !

Les deux serviteurs inutiles

L’ « effet papillon » de la foi

L’injustifiable silence de Dieu

Jesus as a servant leader

Manager en servant-leader

Servir les prodigues 

Restez en tenue de service

Agents de service

18/20, c’est normal ?
Savoir se rendre inutile dans Communauté spirituelle 41886342._SY475_
Au lycée, quand je ramenais tout fier à la maison mon carnet de notes avec 18/20 de moyenne, je m’attendais les premières années à des torrents de félicitations et de louange pour tout ce travail scolaire que j’avais décidément bien fait. Ma fierté enthousiaste était vite douchée ! Mon père parcourait les notes avec attention et sérieux, et le signait en disant : « c’est bien, ne te relâche pas ». Ma mère lisait les comme
ntaires élogieux des professeurs, et rajoutait le sien : « c’est normal ; tu n’as aucun mérite, c’est ton niveau ». Et mon père renchérissait : « tu verras plus tard que tu es loin d’être le meilleur ; tu n’as pas à te vanter d’obtenir les notes que tu dois obtenir parce que tu as les facilités pour cela ». Effectivement, les classes préparatoires ensuite m’ont ramené au réalisme du bon élève de province qui se retrouve parmi les cracks de tout le pays ! Impossible de fanfaronner lorsqu’on est au coude à coude avec les autres, les meilleurs.

3b7a00e90b66ea9f4823305cb1410008 David dans Communauté spirituelleSi vous n’avez pas eu un bon carnet de notes au Lycée, consolez-vous : il y a sûrement un autre domaine d’excellence où il est normal que vous produisiez de l’excellent. Chacun de nous est très bon dans un domaine ou un autre (manuel, intellectuel, artistique, relationnel etc.). Le psychologue Howard Gardner a même distingué neuf formes d’intelligence chez l’enfant (théorie des intelligences multiples) [1], ce qui implique qu’il peut toujours trouver un champ d’application où il sera au top : atteindre un haut niveau dans ce domaine n’a alors rien d’exceptionnel, c’est normal.

La parabole de Jésus ce dimanche sur le serviteur inutile (Lc 17,5-10) me renvoie à ces souvenirs scolaires : celui qui donne ce qu’il peut n’a aucune gloire en tirer. Serait-il orgueilleux que très vite d’autres – beaucoup plus forts – lui rabattraient son caquet !

« Nous sommes de simples (χρεος achreiosserviteurs ».

Comment traduire l’adjectif grec χρεος de la parabole ? Inutile est passé dans le langage courant pour désigner le serviteur qui reste modeste, ‘qui ne se la pète pas’ comme dit joliment le langage populaire. La liturgie traduit : « simple serviteur ». D’autres disent : serviteur quelconque, ordinaire, sans mérite particulier. L’adjectif ἀχρεῖος est difficile à traduire car il ne se trouve que 3 fois dans la Bible grecque : pour qualifier David dansant devant l’Arche, pour éliminer le serviteur stérile de la parabole des talents, et ici dans notre parabole des serviteurs qui ne font que leur devoir.


David, le roi indécent

La seule apparition du terme ἀχρεῖος dans l’Ancien Testament (LXX) est en 2S 6,21-22 : « David dit à Mikal : ‘Oui, je danserai devant le Seigneur. Je me déshonorerai encore plus que cela, et je serai abaissé (ἀχρεῖοςà mes propres yeux, mais auprès des servantes dont tu parles, auprès d’elles je serai honoré’ ».

L’épisode est célèbre : David entre à Jérusalem pour fêter la victoire sur les Philistins et il est persuadé que c’est le soutien de YHWH symbolisé par l’Arche d’Alliance qui lui a permis de triompher. Alors, sans aucune pudeur ni retenue, lui le jeune roi laisse éclater sa joie en dansant devant l’Arche portée en procession. Il est à moitié dépenaillé, si bien que la cour royale est choquée de voir le plus haut personnage de l’État se contorsionner à moitié nu devant le peuple. La réponse de David à ceux qui le raillent montre bien le contenu de son attitude ἀχρεῖος : il est sans malice, naturel, sans calcul, il est simple au sens étymologique c’est-à-dire sans-pli, sans repli ni pensées tordues.

Être ἀχρεῖος pour David signifie alors : ‘je sais bien que ce n’est pas moi qui ai remporté la victoire ; toute la gloire en revient à Dieu et je me réjouis d’être ainsi entouré d’amour bien au-delà de ma valeur personnelle, bien au-delà de mes actes valeureux ou non’.

David est simple et sa cour le trouve simplet. Il est humble et les petites gens se reconnaissent en lui. Il rend toute gloire à Dieu, car depuis Bethsabée il se sait adultère, violeur, assassin. Il fait tout ce qu’il peut en tant que roi pour protéger son peuple, en comptant sur Dieu plus que sur ses propres forces.

Du coup il danse ! Quoi de plus inutile que la danse ? Danser n’est pas nécessaire. C’est gratuit ; c’est par-dessus le marché, et d’ailleurs il n’y a pas de marché avec Dieu !


danse de David devant l'Arche

Nous sommes David lorsque nous nous réjouissons de ce que Dieu réalise à travers nous, ou sans nous. Voilà le serviteur inutile de la parabole : quelqu’un qui n’est pas attaché à ses œuvres, libre de toute suffisance, qui ne se laisse pas troubler par le bien qu’il accomplit car cela lui a été donné. Cela ne vient pas de lui. Il n’a aucune gloire à en tirer pour lui-même.

La danse de David ajoute un petit grain de folie et de gratuité à l’humilité du simple serviteur qu’il a conscience d’être.

C’est un indice pour nous : quand dans nos vies il y a de l’exubérance, de la joie, de l’élan artistique, de l’excès créatif, alors nous ne sommes pas loin du serviteur inutile de la parabole.


L’enfouisseur de talents

ob_c7914b920ae63d1d641718f4cd1e9439_a7a humilitéLe 2e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος est plus douloureux. C’est l’exigence du maître de la parabole des talents qui se manifeste envers celui qui a enfoui en terre l’argent reçu :

« Quant à ce serviteur inutile (ἀχρεῖος), jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents ! » (Mt 25,30)

Ce serviteur-là est plus qu’inutile : il est stérile, contre-productif, voire dangereux. Alors que l’inflation rogne chaque année 5 % à 10 % du capital du maître, il le laisse dépérir. Pire que le livret A ! Avec de tels intendants on se retrouve vite sur la paille ! Ce bon-à-rien est alors dépouillé de tout et chassé au loin. Bigre ! C’est le même adjectif ἀχρεῖος dans les deux paraboles… : le serviteur bon-à-rien et le serviteur inutile sont qualifiés de même, mais n’ont pas le même traitement ! L’un est chassé ; l’autre est maintenu. C’est donc qu’il y a deux formes d’inutilité en réalité : celle qui ne travaille pas et a peur, et celle qui fait tout son devoir avec sérénité. Se savoir non-indispensable n’est pas un alibi pour la paresse ! Se déclarer inutile ne vaut qu’après une journée de labeur aux champs et de service à table. Sinon, c’est se défausser trop vite en refusant de s’impliquer.


Le serviteur inutile
Le 3e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος, celui de notre parabole, se situe quelque part entre David et le bas de laine : il s’agit pas de ne rien faire, mais de faire de son mieux sans orgueil ni vanité. C’est bien connu : le cimetière est rempli de gens indispensables…
L’avertissement sera précieux pour les Douze : Jésus va les envoyer en mission deux par deux, et ils vont connaître eux aussi leur quart d’heure de gloire promis par Andi Warhol (« À l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale »). En guérissant les malades, en prêchant avec talent et autorité, en subjuguant les foules, les Douze vont très vite voir le succès leur monter à la tête ! Ils vont par exemple vouloir faire tomber « le feu de Dieu » sur leurs contradicteurs, pour être sûrs de les écraser devant tout le monde (Lc 9,54). Heureusement Jésus résistera à leur orgueil, et les ramènera à plus d’humilité : ‘ne prenez pas la grosse tête ; vous n’êtes pas plus grands que celui qui vous a envoyé. Réjouissez-vous parce que Dieu agit à travers vous, et ne cherchez pas en tirer profit ou prestige’.

Se considérer comme un serviteur inutile est source de sérénité. Je peux accomplir mon devoir avec cœur sans trop en attendre. Car ma valeur personnelle n’est pas dans ce que je fais : elle est dans le fait d’être moi, et aimé pour ce que je suis. Et cela suffit.

C’est la vieille leçon du jour du shabbat : ce jour-là, un juif ne travaille pas, ne produit rien, n’est utile à rien, et pourtant il existe encore, il vaut tout autant qu’hier ou demain. La non-activité du shabbat libère les juifs de l’obsession productiviste sans abolir le sens du devoir, au contraire. D’ailleurs le shabbat ce n’est pas ne rien faire ! C’est consacrer du temps à la famille, à la culture, à l’art, au repos, avec créativité et génie artistique. C’est danser devants l’Arche sans autre but que la danse elle-même…

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Marc Pernot, Pasteur de l’Église Protestante de Genève, commente [2] :

51crYiOaemS._SX322_BO1,204,203,200_ parabole« J’aime bien ce passage de l’Évangile selon Luc. L’idée que j’en tire est la joie d’avoir fait ce que l’on a pu, tel que ça vient, et de ne pas en tirer d’orgueil personnel de ne pas y chercher un statut. Il y a là comme un calme et une tranquillité qui me plaît […] Il me semble qu’alors l’action, si elle devient possible, trouve une motivation bien placée, pour elle-même, parfois pour la beauté du geste, parfois parce que c’est utile et juste, parfois parce que cela me correspond, comme un jaillissement. Et c’est alors une action juste, sincère, pure ».

Parce que l’être est premier, parce qu’en Dieu il est inconditionnel, l’action peut en découler, libre de tout attachement. Cette action-là n’est pas remplie de l’angoisse de se prouver aux autres ou à soi-même, elle coule, tranquille et gratuite, de la source où je suis assuré dans l’être.

Non pas faire pour être, mais être et donc faire (ou ne pas faire) de manière égale.

Marc Pernot apprécie alors le serviteur à sa juste valeur :

« Son travail peut sembler bien peu de chose, rien de spectaculaire, et pourtant, revenant d’avoir accompli ces soins, il lui est donné de nourrir et servir Dieu lui-même avant de se servir soi-même. Je trouve cela beau, un peu comme David dansant devant l’arche. Ce n’est pas un sacrifice de soi-même, c’est même tout le contraire, c’est un amour du meilleur, dans le monde, pour le monde et en soi-même, pour soi-même. Sans oublier de manger après. C’est peut-être sa propre créativité qu’il a nourrie en nourrissant Dieu et en servant Dieu ? Avec la force aussi qu’il n’a pas oublié de prendre ensuite (bien sûr), ce serviteur a fait un travail sur l’être se concentrant là-dessus en mettant de côté le paraître. C’est peut-être cela la façon d’être mise ici en relief par Jésus. Le serviteur n’a certes pas été inutile puisqu’il a fait ce qu’il devait. Mais sa façon d’être est à la face du monde comme un manifeste de cette tranquillité de celui qui s’attache à faire ce qu’il peut en mettant la priorité sur ce qui est bien dans la profondeur de l’être.

Et ce serviteur se met alors à parler au pluriel, semblant rejoindre ainsi d’autres serviteurs de la profondeur. Ou rejoindre Dieu lui-même, spécialiste de cet humble travail en profondeur ? »


L’adjectif hébreu

4e5e95c8b7f0acb7f93fc7fc8c438cf6 serviteurQuel serait l’équivalent hébreu de l’adjectif grec ἀχρεῖος ? On le trouve dans la version hébraïque du passage concernant David : שָׁפָל (sha.phal)littéralement celui qui est en bas. En français, on dirait ‘humble’. David, tout roi prestigieux qu’il était, dansait humblement devant l’Arche, se sachant tout petit devant le Très-Haut. Les usages de ce terme abondent dans l’Ancien Testament pour encourager les petits qui comptent sur Dieu :

« YHWH élève les humbles שָׁפָל, les affligés parviennent au salut » (Jb 5,11).

« Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble שָׁפָל ; de loin, il reconnaît l’orgueilleux » (Ps 138,6).

« L’orgueil d’un homme l’humiliera, l’esprit humble שָׁפָל obtiendra la gloire » (Pr 29,23).

« Car ainsi parle Celui qui est plus haut que tout, lui dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint : J’habite une haute et sainte demeure, mais je suis avec qui est broyé, humilié שָׁפָל dans son esprit, pour ranimer l’esprit des humiliés שָׁפָל, pour ranimer le cœur de ceux qu’on a broyés » (Is 57,15).

Le royaume de David lui-même doit rester humble et modeste, sinon il s’éloignera de l’alliance :

« YHWH a pris quelqu’un de souche royale et a conclu une alliance avec lui ; il lui a fait prêter serment, après avoir enlevé les puissants du pays, pour que le royaume reste modeste שָׁפָל, sans s’élever, qu’il garde son alliance et qu’elle subsiste » (Ez 17,13-14).

L’Égypte également après l’orgueil des pharaons sera ramenée à plus de modestie afin de ne plus être le tyran qui asservit ses voisins :

« Je changerai la destinée des Égyptiens ; je les ferai revenir au pays de Patros, leur pays d’origine. Ils formeront un royaume modeste שָׁפָל. Il sera plus modeste שָׁפָל que les autres royaumes ; il ne s’élèvera plus au-dessus des nations. Je l’amoindrirai pour qu’il ne domine plus les nations » (Ez 29,14-15).

Comme quoi les royaumes, les régimes politiques eux aussi peuvent être de simples serviteurs, pour peu qu’ils mettent leur orgueil ultra-nationaliste de côté… Toute allusion à l’actualité de la guerre dans le monde serait bien sûr voulue.

Finalement, on devine dans l’adjectif hébreu שָׁפָל l’attitude de Marie coopérant de tout son cœur à l’œuvre de Dieu en elle, en sachant en sachant que tout vient de lui : « Je suis la servante du Seigneur », « Il a jeté les yeux sur son humble servante » (Luc, 1,38.48) …
Marie ne revendique rien pour elle, elle attribue tout à Dieu, ce qui la rend libre pour participer corps et âme au salut qui la traverse.

Puissions-nous dire ensemble : « nous sommes de simples serviteurs ».
Puissions-nous apprendre à nous rendre inutiles !

_____________________


[1]
 Intelligence linguistique, logico-mathématique, spatiale, intra-personnelle, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, musicale, naturaliste, existentielle (ou spirituelle).


[2]
https://jecherchedieu.ch/question/comment-vous-interpretez-et-vivez-cette-parabole-de-jesus-sur-le-serviteur-inutile-ou-quelconque/

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)

 

Lecture du livre du prophète Habacuc

Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent.
Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.
Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

 

PSAUME
(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !
 (cf. Ps 94, 8a.7d)

 

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

 

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

 

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 

DEUXIÈME LECTURE
« N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

 

ÉVANGILE
« Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10) Alléluia. Alléluia.
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée. Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD

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24 juillet 2022

On n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

 On n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard !

Homélie pour le 18° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
31/07/2022

Cf. également :

Êtes-vous croissant ou décroissant ?
Vanité des vanités…
La double appartenance
Gardez-vous bien de toute âpreté au gain !
Le pauvre Lazare à nos portes
Chameau et trou d’aiguille
À quoi servent les riches ?
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?

On n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard !

 On n'a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard ! dans Communauté spirituelleJésus n’était pas canadien ! Mais il aurait pu inventer ce dicton de nos cousins du Nord. Il l’a fait en réalité avec la parabole de ce dimanche (Lc 12, 13-21) qui dénonce l’accumulation outrancière des riches :

« Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. Il se demandait : ‘Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.’ Puis il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.’ Mais Dieu lui dit : ‘Insensé : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?’ Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu ».

L’humanité hélas n’a pas beaucoup progressé depuis ! Ce triste constat de la surcapitalisation de quelques-uns aux dépens de leur vie spirituelle est toujours d’actualité : malgré un contexte morose en 2021, les grands patrons français du CAC 40 ont vu leurs rémunérations quasiment doubler en un an, et largement dépasser celles de 2019. Avec une augmentation moyenne de +93 % en 2021, les patrons du CAC ont connu une augmentation record de leurs émoluments. D’après la société spécialisée Scalen, la rémunération moyenne d’un dirigeant du CAC 40 s’élève désormais à la modeste somme de 8,7 millions d’euros par an, deux fois plus qu’en 2020, 60% de plus qu’en 2019, 3 fois plus qu’en 2011, 310 fois le salaire médian !

Dans la parabole, Jésus dénonce une double soif des riches, si insatiable qu’elle les dévore de l’intérieur : la soif de posséder, qui se traduit par une accumulation exponentielle, et la soif de jouir de l’existence, qui se traduit par des trains de vie époustouflants où la moindre montre vaut des centaines de milliers d’euros et le restaurant entre amis le salaire annuel d’un de leurs employés…

Max Weber projetait l’ascétisme protestant dans une certaine sobriété, un refus de consommer à outrance chez les pionniers du 18° siècle, qui créait ainsi une propension à épargner nécessaire à l’esprit du capitalisme naissant. On connaît sa thèse : selon Weber, le comportement économique des premiers protestants américains s’explique par la prédestination. Pour Calvin en effet, le salut éternel dépend d’une décision arbitraire de Dieu et non des actions bonnes ou mauvaises entreprises durant la vie, comme c’est le cas dans le catholicisme d’alors. La grâce seule sauve, pas les œuvres. Mais cette prédestination ne mène pas au fatalisme, car l’angoisse du calviniste (« suis-je destiné à aller au paradis ? ») peut être dissipée par la réussite économique, signe d’élection divine. Or le sermon sur ma montagne (Mt 5) demande de vivre dans un esprit de pauvreté une vie ascétique et austère. Autrement dit, les calvinistes sont incités à réussir, mais pas à consommer les fruits de leur labeur, ce qui est (évidemment) favorable à l’accumulation.

« Le calviniste ne peut savoir s’il sera sauvé ou damné, or c’est là une conclusion qui peut devenir intolérable. Par un penchant non pas logique, mais psychologique, il cherchera donc dans le monde les signes de son élection divine. C’est ainsi, suggère Weber, que certaines sectes calvinistes ont fini par trouver dans le succès temporel, éventuellement le succès économique, la preuve du choix de Dieu. L’individu est ainsi poussé au travail pour surmonter l’angoisse dans laquelle ne peut pas ne pas entretenir l’incertitude de son salut » (Raymond Aron).

Il est donc amené à travailler rationnellement en vue d’un profit et à ne pas dépenser ce profit. Ce qui rejoint une logique nécessaire au début du capitalisme : travailler comme un fou, non pas pour jouir des douceurs de l’existence, mais pour la seule satisfaction de produire toujours plus, avec la certitude de l’élection divine qui l’accompagne. Le profit ainsi accumulé constitue alors l’épargne, réinvestie pour développer de nouveaux moyens de production etc….

41IX4YYY0jL._SX302_BO1,204,203,200_ grenier dans Communauté spirituelle« Pour résumer ce que nous avons dit jusqu’à présent, l’ascétisme protestant, agissant à l’intérieur du monde, s’opposa avec une grande efficacité à la jouissance spontanée des richesses et frein la consommation, notamment celle des objets de luxe. En revanche, il eut pour effet psychologique de débarrasser des inhibitions de l’éthique traditionaliste le désir d’acquérir. Il a rompu les chaînes qui entravaient pareille tendance à acquérir, non seulement en la légalisant, mais aussi … en la considérant comme directement voulue par Dieu…

Plus important encore, l’évaluation religieuse du travail sans relâche, continu, systématique, dans une profession séculière, comme moyen ascétique le plus élevé et à la fois preuve la plus sûre, la plus évidente de régénération et de foi authentique, a pu constituer le plus puissant levier qui se puisse imaginer de l’expansion de cette conception de la vie que nous avons appelée, ici, l’esprit du capitalisme ».
(Max Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du Capitalisme)

Historiquement, pourtant, Max Weber avait tort : les riches de toutes les époques veulent à la fois épargner et consommer sans fin ! Le développement du capitalisme n’a pas fait exception. Qu’on songe aux riches marchands de Gêne, Venise, Bruges, Anvers, Amsterdam, Londres : ils ont tour à tour tenu le haut du pavé du commerce mondial depuis le 16° siècle, en s’enrichissant à l’excès, et en étalant leur réussite avec insolence et mépris.

 

Accumulez, accumulez…

Pour une fois, il faut donc donner raison à Marx (et Jésus !) contre Weber : la soif de jouir alimente la soif d’accumuler, et réciproquement. Le chapitre dans lequel Marx aborde ce thème s’intitule : « Théorie de l’abstinence » (on dirait aujourd’hui : de la frugalité, de la sobriété), et c’est bien une question très actuelle :

Le Capital« Accumulez, accumulez ! C’est la loi et les prophètes !
La parcimonie, et non l’industrie, est la cause immédiate de l’augmentation du capital. À vrai dire, l’industrie fournit la matière que l’épargne accumule.
Épargnez, épargnez toujours, c’est à dire retransformez sans cesse en capital la plus grande partie possible de la plus-value ou du produit net ! Accumuler pour accumuler, produire pour produire, tel est le mot d’ordre de l’économie politique proclamant la mission historique de la période bourgeoise.
Enfin, accumuler, c’est conquérir le monde de la richesse sociale, étendre sa domination personnelle, augmenter le nombre de ses sujets, c’est sacrifier à une ambition insatiable.
Il s’élève dès lors en lui (le capitaliste) un conflit à la Faust entre le penchant à l’accumulation et le penchant à la jouissance » [1].

Pour Marx, cette suraccumulation capitalistique est immorale et dangereuse. Pour Jésus, elle est littéralement in-sensée : « insensé, cette nuit même on va te demander ton âme ». Cette phrase est devenue proverbiale elle aussi : on l’adresse à quelqu’un qui se noie dans une recherche effrénée, afin de le réveiller avant qu’il ne soit trop tard. Les riches croient avoir trouvé la parade avec l’héritage, qui leur permet d’accumuler sur des générations et pas seulement sur la durée d’une vie. À la question de Jésus : « ce que tu as accumulé, à ta mort qui l’aura ? » ils répondent : « mon fils, ma fille », sans réaliser qu’ils avouent ainsi vouloir posséder leurs enfants à qui ils demandent de n’être qu’une extension de leur propre trajectoire.

Heureusement, la loi du Jubilé en Israël ou les lois antitrust modernes viennent régulièrement casser cette logique d’accumulation. Heureusement, l’expérience montre que le capitalisme familial a du mal à durer au-delà de 3 ou 4 générations (à part quelques exceptions notables, en France par exemple avec l’empire de la famille Mulliez. Mais cet empire familial ne date que de 1961. Et pour combien de temps ?).

Et de toute façon, survivre à travers ses enfants n’est pas survivre : c’est encore vouloir posséder ce qui n’est pas à soi, c’est se faire illusion en confondant le souvenir et la vie éternelle. Qu’est-ce que cela peut faire à Steve Jobs dans sa tombe que Steve Jobs junior soit immensément riche ? L’avenir de quelqu’un en Dieu ne s’achète pas, ni ne dépend de son revenu fiscal !

 

L’homme comblé ne dure pas, il ressemble au bétail qu’on abat

Le psaume 49, que Jésus a dû apprendre et psalmodier par cœur – par le cœur – exprime bien cette méfiance fondamentale d’Israël envers l’accumulation pratiquée par les riches :

chat-paradis-dscal Marx« Pourquoi craindre aux jours de malheur ces fourbes qui me talonnent pour m’encercler,
ceux qui s’appuient sur leur fortune et se vantent de leurs grandes richesses ?
Nul ne peut racheter son frère ni payer à Dieu sa rançon :
aussi cher qu’il puisse payer, toute vie doit finir.

Peut-on vivre indéfiniment sans jamais voir la fosse ?
Vous voyez les sages mourir : comme le fou et l’insensé ils périssent, laissant à d’autres leur fortune.
Ils croyaient leur maison éternelle, leur demeure établie pour les siècles ; sur des terres ils avaient mis leur nom.
L’homme comblé ne dure pas : il ressemble au bétail qu’on abat.

Tel est le destin des insensés et l’avenir de qui aime les entendre :
troupeau parqué pour les enfers et que la mort mène paître.
À l’aurore, ils feront place au juste ; dans la mort, s’effaceront leurs visages : pour eux, plus de palais !

Mais Dieu rachètera ma vie aux griffes de la mort : c’est lui qui me prendra.
Ne crains pas l’homme qui s’enrichit, qui accroît le luxe de sa maison :
aux enfers il n’emporte rien ; sa gloire ne descend pas avec lui.

De son vivant, il s’est béni lui-même : ‘On t’applaudit car tout va bien pour toi !’
Mais il rejoint la lignée de ses ancêtres qui ne verront jamais plus la lumière.
L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant ressemble au bétail qu’on abat ».

On croirait lire le Capital de Marx ! Mais c’est plutôt Marx qui, juif de culture, a puisé dans la Bible de quoi critiquer le capitalisme naissant, en sécularisant les arguments des textes inspirés. En tout cas, l’avertissement de Jésus est le même : l’homme comblé ne dure pas, il ressemble au bétail qu’on abat.

La fortune estimée de Vladimir PoutineVoilà de quoi faire trembler Poutine, multimilliardaire politique, et ses amis oligarques et ploutocrates de tous poils, qui ont profité de son ascension au pouvoir. Voilà également de quoi calmer les ardeurs de Bill Gates, Elon Musk et autres Mark Zuckerberg, propulsés à des niveaux de fortune inimaginables, carrément indécents : « insensé, cette nuit même on va te demander ton âme »

Soyons justes : certains essaient d’entendre cette petite voie de leur conscience qui leur rappelle que trop, c’est trop. Bill Gates par exemple a donné la moitié de sa fortune à sa fondation qui lutte contre le paludisme, fléau mondial trop oublié. La philanthropie des riches est une ancienne tradition très américaine. Elle produit de beaux fruits, sans annuler le constat sévère du Christ : même en étant généreux, tu continues d’accumuler pour toi ce qui manque aux autres, et tu te prosternes devant le Veau d’or. Une nouvelle forme d’idolâtrie en somme.

Tel Picsou plongeant avec délices dans son coffre-fort rempli de pièces d’or, les riches se délectent du seul fait de posséder, tout en voulant posséder encore plus que les autres riches…

Certains protestants font donc une lecture sélective de la Bible lorsqu’ils voient dans leurs greniers pleins le signe de leur élection divine. Ils ne retiennent que les versets où la richesse accumulée est le signe de la bénédiction par YHWH des travaux entrepris, tel Abraham jouissant de ses nombreux biens, ou Job rétabli enfin dans son abondance. Ils oublient une bonne moitié de la Bible, où l’ambivalence de la richesse la fait basculer du côté des tentations mortelles sur le plan spirituel. Citons quelques passages sans ambigüité :

1947-balthazar-picsou-02 parabole« Ne vous faites pas de trésors sur la terre, là où les mites et les vers les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler. Mais faites-vous des trésors dans le ciel, là où il n’y a pas de mites ni de vers qui dévorent, pas de voleurs qui percent les murs pour voler. » (Mt 6,19-20)
« Quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! » (Lc 6,24)
« Votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille sera un témoignage contre vous, elle dévorera votre chair comme un feu. Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! » (Jc 5,3)

« Tu dis : ‘Je suis riche, je me suis enrichi, je ne manque de rien’, et tu ne sais pas que tu es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu ! » (Ap 3,17)
Dans l’Apocalypse, la chute de Babylone-la-grande illustre la folie des gagnants de la mondialisation : « Les marchands qu’elle avait ainsi enrichis se tiendront à distance par peur de ses tortures, dans les pleurs et le deuil. [...] Et jetant de la poussière sur leur tête, ils criaient dans les pleurs et le deuil. Ils disaient : ‘Malheur ! Malheur ! La grande ville, dont l’opulence enrichissait tous ceux qui avaient des bateaux sur la mer : en une heure, elle a été dévastée !’ » (Ap 18,15.19)

Impossible d’aligner ici tous les passages où l’accumulation d’argent ou de biens condamne à la mort physique et spirituelle !

Weber avait donc deux fois tort : il croyait que la sobriété et l’accumulation peuvent aller de pair pour des raisons religieuses ; il croyait voir cette dynamique puritaine à l’œuvre dans le capitalisme naissant, en oubliant la cupidité à l’origine du capitalisme, et la soif de puissance très vite omniprésente dans l’enrichissement des premiers Américains.

Reste que la thèse de Max Weber sur l’affinité élective entre une foi religieuse et une économie est puissante. Contre Marx qui voulait démontrer que la religion n’est qu’une superstructure de l’économie, Weber nous aide à penser l’interaction entre nos systèmes religieux et nos systèmes économiques. Ce que nous croyons a une influence énorme sur ce que nous produisons et consommons, et sur la manière dont nous le faisons. Oui, il y a bien un lien entre ma réponse à la question sur l’au-delà et mon compte en banque ! Si je pense qu’après la mort j’ai un avenir en Dieu, alors à quoi sert d’accumuler dans des greniers ce qui périra avec moi ? C’est littéralement insensé que d’épargner ou de consommer comme si je ne devais jamais mourir ! Cela n’a aucun sens d’accumuler pour moi seul le temps de quelques courtes décennies, alors qu’une autre faim et une autre soif m’attendent en Dieu, pour toujours…

 

Et nos greniers à nous ?

589hommeriche richesseIl est facile de dénoncer les greniers des autres. Mais les miens ? Jésus, lui, était cohérent, car il n’avait pas de pierre où reposer la tête. Or nous affirmons – non sans raison – qu’un minimum d’accumulation est nécessaire pour vivre dignement. Seulement, la question du seuil est délicate. À partir de quand commence-t-on à ressembler au capitaliste de la parabole de ce dimanche ? Quand on est propriétaire de son logement ? Non, c’est un minimum, répondent les 64% de la population française qui ont pu acheter leur appartement ou leur maison. Quand on se paye une résidence secondaire, à la mer, la montagne la campagne ? Non, ce n’est pas grand-chose à côté des autres, répondront les ménages qui possèdent les 10 % de logements classés comme résidence secondaire. Quand on dépasse 500 000 € de patrimoine (soit 3 fois le patrimoine médian des Français) ? C’est à peine une poire pour la soif, répondront en s’excusant les 7 % de la population qui dépassent ce seuil…

Bref, les riches, c’est toujours les autres ! Les greniers trop pleins et trop nombreux sont ceux qu’on dénonce ailleurs que dans sa cour. Chacun veut être le pauvre d’un autre.
« Insensé, cette nuit même on va te redemander ta vie ! ».

Quels sont ces greniers où j’accumule de plus en plus sans même m’en apercevoir ?

On pense bien sûr à l’argent durement gagné (ou non !) : face à l’inflation, il est légitime de chercher à sécuriser notre retraite, notre pouvoir d’achat. Mais l’épargne solidaire, la finance éthique ou l’investissement utile (style crowfounding, coopérative, mutuelle etc.) sont des alternatives crédibles à la seule accumulation stérile.

Qui dit greniers signifie encore d’autres manières de thésauriser.
Accumuler du pouvoir devient en politique, en entreprise ou en famille une drogue dangereuse.
Accumuler du prestige transforme les meilleurs en baudruches gonflées d’eux-mêmes.
Accumuler du savoir sans le mettre au service d’une cause relève du dandysme intellectuel.
Accumuler des bonnes œuvres religieuses est tout aussi illusoire et conduit tout droit au pharisaïsme.
« Insensé, cette nuit même on va te redemander ta vie ! ».

Quelle est la soif d’accumulation, petite ou grande, qui me dévie du but ultime ?
Quels sont les greniers que je m’épuise à remplir, au point de perdre le sens de mon métier, de ma famille, de mes activités ?
« Insensé, cette nuit même on va te redemander ta vie ! ».

 


[1]. Karl MARX, Le Capital, Livre premier, Le développement de la production capitaliste, VII° section : Accumulation du capital, Chapitre XXIV : Transformation de la plus-value en capital, III. Division de la plus-value en capital et en revenu, Théorie de l’abstinence.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Que reste-t-il à l’homme de toute sa peine ? » (Qo 1, 2 ; 2, 21-23)

Lecture du livre de Qohèleth
Vanité des vanités, disait Qohèleth. Vanité des vanités, tout est vanité !

Un homme s’est donné de la peine ; il est avisé, il s’y connaissait, il a réussi. Et voilà qu’il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine. Cela aussi n’est que vanité, c’est un grand mal !
En effet, que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? Tous ses jours sont autant de souffrances, ses occupations sont autant de tourments : même la nuit, son cœur n’a pas de repos. Cela aussi n’est que vanité.

Psaume
(Ps 89 (90), 3-4, 5-6, 12-13, 14.17abc)

R/ D’âge en âge, Seigneur, tu as été notre refuge. (Ps 89, 1)

Tu fais retourner l’homme à la poussière ; tu as dit : « Retournez, fils d’Adam ! »
À tes yeux, mille ans sont comme hier, c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit.

Tu les as balayés : ce n’est qu’un songe ; dès le matin, c’est une herbe changeante :
elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée.

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu ! Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains.

Deuxième lecture
« Recherchez les réalités d’en haut ; c’est là qu’est le Christ » (Col 3, 1-5.9-11)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre.
En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire. Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie. Plus de mensonge entre vous : vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est tout, et en tous.

Évangile
« Ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? » (Lc 12, 13-21)
Alléluia. Alléluia. 
Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, du milieu de la foule, quelqu’un demanda à Jésus : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » Jésus lui répondit : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » Puis, s’adressant à tous : « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. » Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. Il se demandait : ‘Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.’ Puis il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.’ Mais Dieu lui dit : ‘Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?’ Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. »
Patrick BRAUD 

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