L'homélie du dimanche (prochain)

24 septembre 2023

Vaut-il mieux dire ou faire ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Vaut-il mieux dire ou faire ?

Homélie pour le 26° Dimanche du temps ordinaire / Année A
01/10/2023

Cf. également :
L’évangile de la seconde chance
Justice punitive vs justice restaurative
Changer de regard sur ceux qui disent non
Les collabos et les putains
Rameaux, kénose et relèvement

1. Ils disent et ne font pas
Vaut-il mieux dire ou faire ? dans Communauté spirituelle mome-mosquée
La parabole des deux enfants (Mt 21,28-32) de ce dimanche semble claire, et elle satisfait notre mentalité moderne sécularisée très factuelle : peu importe les croyances religieuses des gens, seuls comptent leurs actes. Qui plus est, on se méfie des gens qui font de grandes déclarations la main sur le cœur mais qui en finale n’agissent pas. Notre époque est à l’orthopraxie, diraient les spécialistes, c’est-à-dire que nous accordons une importance majeure à ce qui est fait plus qu’à ce qui est dit ou pensé. Peu importe la religion ou la philosophie de quelqu’un : le seul critère est son action. Débattre de ce qu’il pense ou croit pour savoir si c’est vrai est superflu et inutile.

Les catholiques sont relativement à l’aise avec cette importance majeure donnée aux œuvres de quelqu’un. Ils s’appuient sur de nombreuses paroles de Jésus comme celle-ci : « ce ne sont pas ceux qui disent : ‘Seigneur,  Seigneur !’ qui entreront dans le royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père » (Mt 7,21).
Notre parabole semble nous encourager à dénoncer toute hypocrisie religieuse ‘à la pharisienne’ qui dit ‘oui’ des lèvres et ‘non’ de la main. La violente critique de Jésus à l’encontre des religieux de son époque rejoint celle de la parabole contre le premier fils : « ils disent et ne font pas » (Mt 23,3). Et pour une part, c’est vrai que ce divorce croissant entre l’enseignement de l’Église (sur l’amour, la morale, le pardon etc.) et ses pratiques institutionnelles (omerta sur les abus, hypocrisie face à l’argent et aux pouvoirs en place etc.) devient insupportable aux yeux de nos contemporains, et suffit à disqualifier son message.

L’affaire serait donc bouclée : la parabole des deux fils nous conforte dans l’idée qu’il vaut mieux faire que dire. « On juge l’arbre à ses fruits » (Mt 7,16-20), point barre.

 

2. Le débat entre la foi et les œuvres
Évidemment, les protestants sont moins à l’aise avec cette lecture univoque de la parabole. Car ce serait trancher le vieux débat entre la foi et les œuvres en faveur des œuvres.

la%2Bfoi%2Bou%2Bles%2Boeuvres dire dans Communauté spirituelleEst-ce mon action qui me sauve ? Ce serait contredire l’une des thèses majeures du Nouveau Testament : la gratuité du salut, don de Dieu. « Si ta bouche proclame que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a relevé d’entre les morts, alors tu seras sauvé » (Rm 10,9). Paul ne cesse de proclamer la supériorité – et l’antériorité – de l’action en nous de l’Esprit sur toutes nos actions. Pour lui, seule la foi justifie : « nous pensons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la Loi » (Rm 3,28). Il s’oppose ainsi – quasi frontalement – au frère de Jésus, Jacques, premier évêque de Jérusalem, qui rappelle en bon juif l’importance de l’observance de la Loi : « Vous voyez que l’homme est justifié par les œuvres, et non par la foi seulement » (Jc 2,24). Pour Paul, observer la Torah sans croire au Christ ne sert à rien, ce sont des « œuvres mortes » : « Tendons la perfection d’adultes, au lieu de poser une nouvelle fois les fondements, à savoir : la conversion,  avec le rejet des œuvres mortes et la foi en Dieu » (He 6,1).   « Combien plus le sang de Christ, qui, par un esprit éternel, s’est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il votre conscience des œuvres mortes, afin que vous serviez le Dieu vivant ! » (He 9,14).
D’ailleurs, le premier qui entre au paradis dans les Évangiles n’est ni Pierre ni même Marie, mais un criminel qui n’a rien fait de bien dans sa vie sinon dire sa foi en Jésus au moment de mourir : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » (Lc 23,42). Cette parole l’a sauvé, alors que ses actes le condamnaient.

Soutenir avec notre parabole qu’il vaut mieux dire ‘non’ à Dieu mais faire sa volonté, c’est basculer dans le camp de Jacques, pour qui le plus important est d’agir. Pourrait-on l’interpréter autrement ?

 

3. La parabole à l’envers
C’est bien sûr un protestant – le pasteur Marc Perrot – qui nous met sur la voie d’une autre interprétation possible de la parabole [1]. Il fait remarquer que de nombreux manuscrits, et non des moindres, ont interverti les deux fils dans leurs versions. Si bien que dans ces manuscrits c’est celui qui dit ‘oui Seigneur’ qui est conforme à la volonté du Père, même s’il ne va pas ensuite travailler à la vigne. La note de la TOB sur Mt 21,29 précise par exemple : « Certains manuscrits intervertissent l’ordre des réponses aux v. 29 et 30 ».
À la lecture de ces manuscrits, les copistes ont cru à une erreur : c’était impossible pour eux que la parabole loue celui qui dit ‘oui’ sans rien faire ! C’était contraire à la morale commune.

Et si c’était pourtant cette version qui était la plus intéressante, car plus radicale, plus à rebrousse-poil de nos représentations ? Il n’y a pas besoin de révélation pour louer celui qui va travailler à la vigne ! Alors que l’inverse…
publicains-prostituees-precedent-cl faireIntervertir les deux fils serait alors reconnaître que dire ‘oui Seigneur’ est plus important que de faire un tas de bonnes œuvres ; clamer son rejet : ‘je ne veux pas’ est plus grave que de ne pas aller à la vigne. D’ailleurs, les publicains et les prostituées ne font pas les œuvres de Dieu, et pourtant ils précèdent les pharisiens dans le royaume de Dieu ! Ceux qui reconnaissent Jésus ne changent pas de métier pour autant (sauf justement Lévy-Mathieu qui du coup comprend la difficulté de ses collègues à changer de métier !) : ils lui disent oui, avec passion et amour, mais ne peuvent gagner leur vie autrement. Ils confessent leur foi de tout leur cœur, mais ne deviennent pas pour autant de bons juifs religieux observant toute la Loi. Zachée par exemple rembourse quatre fois ce qu’il a volé dans son métier de publicain, mais ne renonce pas à ce métier, impur par essence aux yeux des juifs. De même on ne sait pas ce qu’a fait la prostituée qui a versé un parfum précieux sur les pieds de Jésus pour lui exprimer sa foi et son désir d’être pardonnée. Il n’est pas sûr qu’elle ait cessé de se prostituer ! Jésus n’a rien exigé d’elle pour lui accorder le salut. On ne sait rien non plus de ce qu’a fait le publicain de la parabole en descendant du Temple où son humble prière l’avait justifié, à l’inverse du pharisien se glorifiant de ses bonnes œuvres nombreuses et méritantes (Lc 18,9-14). Il n’est pas sûr qu’il ait cessé d’être publicain !
Remarquons en outre que Jésus dans la finale de la parabole loue les publicains et les prostituées qui ont cru (en la parole de Jean-Baptiste) même s’ils n’ont pas fait les bonnes œuvres justes. Comme quoi croire – dire oui – est plus important que faire…
Les publicains et les prostituées ne font pas la volonté du Père mais ils lui disent oui dans leur cœur de toutes leurs forces. Les pharisiens eux font la volonté de Dieu en obéissant à la Loi et en accomplissant tout ce qu’elle prescrit, mais ils ne disent pas oui à Jésus, ni ne le reconnaissent comme Seigneur. L’humble désir confiant des pécheurs contrits incapables d’observer la Loi vaut mieux que l’orgueilleuse fidélité des pharisiens aux œuvres de la Loi tout en disant non à Jésus.

En outre, le comportement de celui qui dit non puis change d’avis n’est pas au-dessus de tout soupçon. La traduction liturgique écrit : « s’étant repenti, il y alla ». Petite erreur de traduction : le verbe employé par Mathieu en grec n’est pas se repentir (μετανοέω = metanoeo), mais se rétracter, revenir en arrière (μεταμέλομαι = metamelomai). Autant le repentir est bien vu car lié au salut, autant la rétractation est mal vue car contraire à la fidélité. Ainsi Dieu ne se rétracte jamais quand il engage sa parole : « Le Seigneur l’a juré, et il ne se rétractera (μεταμέλλομαι = metamellomai) pas : ‘Tu es prêtre pour toujours à la manière de Melchisédech’ » (Ps 110,4 LXX).
Le seul autre usage du verbe « se rétracter » dans l’Évangile de Matthieu est pour… Judas : « en voyant que Jésus était condamné, Judas, qui l’avait livré, se rétracta (μεταμεληθεὶς) ; il rendit les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens » (Mt 27,3). Judas s’aperçoit qu’il s’est trompé dans son calcul politique, lui qui avait imaginé être le médiateur d’une alliance entre Jésus et les chefs juifs pour chasser les Romains d’Israël. Voyant que cela ne marche pas, il revient en arrière, il se rétracte, et ne veut rien garder de l’accord passé auparavant, d’où la reddition des 30 deniers. Mais ensuite, il va se pendre ! Se rétracter ne conduit donc pas forcément au salut…

Comparer à Judas le fils qui dit non n’est vraiment pas en sa faveur, quoi qu’il fasse ensuite.
Par contre le fils qui dit oui proclame sa foi en appelant son père ‘Seigneur’, profession de foi reconnaissant le Christ comme tel. « Si ta bouche proclame que Jésus est Seigneur… »
Retourner ainsi à l’envers cette parabole permet de ne pas contredire la gratuité du salut, qui ne s’obtient pas par les œuvres, mais par la foi.

Marc Perrot commente : « C’est comme cela que cette parabole permet de comprendre la suite de ce que Jésus dit à ses disciples : il compare les prostituées, les pécheurs, qui certes ne font pas les bonnes œuvres de la Loi, mais qui, peut-être de tout leur cœur, aimeraient aimer, et demandent pardon à Dieu, avec les pharisiens, professionnels des bonnes œuvres, mais qui se placent eux-mêmes au centre de leur religion avec leurs mérites ».

 

4. La dialectique de la foi et des œuvres
La Tradition a retenu la première version du texte, apparemment favorable au salut par les œuvres. La mémoire de l’autre version n’a pas pour autant totalement disparue. Et tout le Nouveau Testament est parcouru par cette tension entre la foi et les œuvres : des centaines de passages vont dans le premier sens, des centaines dans le second.
Le pasteur Marc Perrot rassemble les deux interprétations de la parabole : « Nous sommes sauvés, non par les œuvres, mais par la foi… mais néanmoins ne nous contentons pas de paroles ou de pseudo bonne volonté, et accomplissons la volonté de notre Père, nous avons bien là deux paraboles non pas contraires, mais complémentaires. Et il n’y a peut-être pas à choisir un sens ou l’autre, les deux sont importants et justes ».
Massacre de la St Barthélémy (1572)N’oublions pas que le débat de la Réforme autour de la foi et des œuvres a mis l’Europe à feu et à sang ! Au XVI° siècle, il n’a pas été résolu de manière satisfaisante, car les anathèmes et excommunications réciproques ont fracturé l’Église d’Occident et bientôt les colonies lointaines en de multiples Églises  apparemment irréconciliables.

Heureusement, l’œcuménisme a effectué un formidable travail exégétique, historique, théologique et spirituel au XX° siècle. On peut dire aujourd’hui que cette querelle est – sur le fond – désormais dépassée. En témoigne la « Déclaration commune sur la justification par la foi », de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église catholique en 1999, signée également par les anglicans en 2017.

N° 15. « Nous confessons ensemble : c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes ».
N° 19. « Nous confessons ensemble que la personne humaine est pour son salut entièrement dépendante de la grâce salvatrice de Dieu. »
N° 20. « Lorsque les catholiques affirment que, lors de la préparation en vue de la justification et de son acceptation, la personne humaine « coopère » par son approbation à l’agir justifiant de Dieu, ils considèrent une telle approbation personnelle comme étant une action de la grâce et non pas le résultat d’une action dont la personne humaine serait capable. »

Luthériens, catholiques et anglicans ont levé leurs excommunications, et partagent ce qu’on appelle un ‘consensus différencié’ sur l’enjeu de notre parabole. Tous proclament que le salut est gratuitement donné par Dieu sans que personne ne puisse le mériter. Les catholiques insistent cependant sur la vitalité de la foi agissant au cœur de l’homme renouvelé par Dieu, et produisant des œuvres de charité et de justice. Les protestants insistent quant à eux sur l’entière dépendance de l’homme vis-à-vis de l’Esprit pour accomplir ce qui est bien.

dialectique-foi-oeuvres-bocal1 foiN° 38. « Selon la conception catholique, les bonnes œuvres qui sont réalisées par la grâce et l’action du Saint-Esprit contribuent à une croissance dans la grâce afin que la justice reçue de Dieu soit préservée et la communion avec le Christ approfondie. Lorsque les catholiques affirment le « caractère méritoire » des bonnes œuvres, ils entendent par-là que, selon le témoignage biblique, un salaire céleste est promis à ces œuvres. Loin de contester le caractère de ces œuvres en tant que don ou, encore moins, de nier que la justification reste un don immérité de grâce, ils veulent souligner la responsabilité de la personne pour ses actions ».

C’est un peu comme l’enfant et le poisson rouge de l’image ci-contre [2] : l’enfant regarde le poisson de l’extérieur du bocal-aquarium, et déclare à raison que ce bocal est convexe. Le poisson rouge regarde l’enfant de l’intérieur du bocal, et déclare à raison celui-ci concave. Ainsi Jacques, regardant les choses extérieurement, dit que nous sommes sauvés par les œuvres. Tandis que Paul, regardant les choses de l’intérieur, proclame que nous sommes justifiés par la foi. Les deux ne sont pas en désaccord. Ils sont en tension dialectique. C’est dire qu’il faut changer de point de vue pour comprendre comment les deux s’opposent et s’articulent, selon un processus qu’on qualifierait aujourd’hui de systémique : la foi procure gratuitement le salut, faisant ainsi du croyant une créature nouvelle capable de produire  – dans la force de l’Esprit – des œuvres de charité et de prière qui font grandir davantage encore la grâce, qui se répand à nouveau par la foi etc. Et cette boucle ne finit jamais.

On peut tenter de schématiser cette dialectique ainsi :

Dialectique Foi Oeuvres 

Alors, au final, vaut-il mieux dire ou faire ?
Au lieu de répondre trop vite, parcourons la parabole des deux fils dans un sens puis dans l’autre, puis à l’envers, puis à nouveau etc., jusqu’à ce que la question s’efface au profit de la seule joie d’entendre l’appel du Seigneur : « mon enfant, va travailler à ma vigne ».

 


[1]. Pasteur de l’Église protestante unie de l’Étoile, à Paris ; cf. https://etoile.pro/accueil-2?view=article&id=915:la-parabole-des-deux-fils&catid=22:catechisme

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Si le méchant se détourne de sa méchanceté, il sauvera sa vie » (Ez 18, 25-28)

Lecture du livre du prophète Ézékiel
Ainsi parle le Seigneur : « Vous dites : ‘La conduite du Seigneur n’est pas la bonne’. Écoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de son mal qu’il mourra. Si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Il a ouvert les yeux et s’est détourné de ses crimes. C’est certain, il vivra, il ne mourra pas. »

PSAUME
(Ps 24 (25), 4-5ab, 6-7, 8-9)
R/ Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse. (Ps 24, 6a)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse ;
dans ton amour, ne m’oublie pas.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 1-11)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens
Frères, s’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres.
Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : ayant la condition de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.

ÉVANGILE
« S’étant repenti, il y alla » (Mt 21, 28-32)
Alléluia. Alléluia. Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ; moi, je les connais, et elles me suivent. Alléluia. (Jn 10, 27)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : « Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.’ Celui-ci répondit : ‘Je ne veux pas.’ Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : ‘Oui, Seigneur !’ et il n’y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. »
Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. »
Patrick BRAUD

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17 septembre 2023

La 11° heure en miettes

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La 11° heure en miettes

Homélie pour le 25° Dimanche du temps ordinaire / Année A
24/09/2023

Cf. également :
Dieu trop-compréhensible
Le contrat ou la grâce ?
Personne ne nous a embauchés
Les ouvriers de la 11° heure
Premiers de cordée façon Jésus
Un festin par-dessus le marché
« J’ai renoncé au comparatif »
Les premiers et les derniers

Les ouvriers de la 11° heure…
Ne sachant plus quoi faire de cette parabole ultra-connue sur laquelle on a tout dit, je l’ai posée en équilibre sur le fil de l’étude. Elle est tombée du haut de la table et s’est brisée sur le sol dur. Voici quelques miettes que j’ai ramassées dans le désordre, sans autre ambition que de faire regretter l’entièreté de l’original.

1. L’infini, ce n’est pas rien !
Vous connaissez le sketch de Raymond Devos : ‘parler pour ne rien dire ?’ Il joue avec le mot rien, tel que la langue française le met en scène avec brio :
« Une fois rien, c’est rien ; deux fois rien, ce n’est pas beaucoup, mais pour trois fois rien, on peut déjà s’acheter quelque chose, et pour pas cher ».

Le salaire dont parle notre parabole des ouvriers de la 11° heure ce dimanche (Mt 20,1-16) est à l’exact opposé de ce rien « à la Devos ». La pièce d’argent remise à chaque ouvrier n’est autre que la vie éternelle. Et comment diviser la vie éternelle ? Comment fractionner l’infini ? La moitié de l’infini c’est toujours l’infini. Et deux fois l’infini c’est encore l’infini.

La 11° heure en miettes dans Communauté spirituelle H_denombrale_indenombrableCeux de la 11° heure n’ont travaillé qu’une heure au lieu des 12 heures des premiers. Ils devraient donc recevoir 1/12 de leur salaire. Mais 1/12 de l’infini… c’est encore l’infini ! Le royaume de Dieu n’est pas fractionnable. Soit vous y êtes, et alors vous êtes comblés au point de ne pouvoir multiplier votre bonheur, soit vous n’y êtes pas, et alors vous avez moins que rien. Pour une fois, l’Évangile est binaire : une pièce d’argent (la vie éternelle) ou rien. La sœur de la petite Thérèse de Lisieux prenait l’image des verres remplis : peu importe qu’ils soient petits ou grands, l’important est qu’un verre soit rempli. Ce sentiment de plénitude est le même pour chaque verre, petit ou grand. De même, la vie éternelle est donnée gracieusement à tous ceux qui ont répondu à l’appel de Dieu, que ce soit 1 heure ou 12 heures durant. Du patriarche Abraham au criminel crucifié à droite de Jésus, la vie éternelle ne se fractionne pas. Tu seras vivant ou mort ; pas d’entre-deux.

 

2. D’ouvrier à ami
60305350-illustration-du-patron-en-colère-crier-à-son-ouvrier onzième heure dans Communauté spirituelle
Au début de la parabole, le maître de la vigne cherche des ouvriers (en grec : ἐργάτης = ergatēs = travailleurs). À la fin, il a trouvé des amis (ἑταῖρος = hetairos) : « mon ami, je ne suis pas injuste envers toi… ». Il suffit de répondre à son appel, à n’importe quelle heure, pour devenir l’ami de Dieu. Jésus fait ainsi : il appelle des disciples à le suivre, il en fait des apôtres, des serviteurs, et puis finalement des amis. « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis » (Jn 15,15). Loin de tout paternalisme, voici la justice à l’œuvre : notre travail dans la vigne n’a pas l’argent pour but, mais l’amitié avec Dieu. Le vrai salaire est dans cette intimité partagée. Réduire cela à une relation marchande, c’est couper le lien de communion avec Dieu : « Prends ce qui te revient, et va-t’en ! ».

Le vrai ami se réjouit de son ami, et non des avantages qu’il peut en tirer. Le salarié reste dans un rapport de subordination à son employeur (c’est même la définition du salaire dans le Code du Travail français !), alors que l’ami est à égalité avec son ami.

Voilà donc un autre enjeu de la parabole : passer d’ouvrier à ami, de salarié à familier, de la récompense à la gratuité, du mérite à la grâce. Qui vient travailler en Église en espérant une récompense proportionnelle à son investissement se trompe lui-même. D’ailleurs, comme s’écriait Paul à l’encontre de ceux qui en voulaient en retour plus que les autres : « qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1Co 4,7). Si tu travailles plus, ou plus longtemps, ou mieux, c’est que cela t’a été donné. Ne t’en vante pas, n’en fais pas un motif pour vouloir recevoir davantage que les autres. Réjouis-toi seulement d’avoir entendu la voix qui t’appelait et d’avoir répondu selon tes possibilités.

 

3. Renoncer au comparatif
public11 ouvriers
La façon de procéder du maître de la vigne est bien étrange. Il semblerait qu’il fasse exprès de susciter la jalousie des ouvriers les plus courageux, ceux qui ont travaillé pour lui pendant une longue journée, en distribuant les salaires à partir des derniers embauchés. S’il l’avait fait en ordre inverse, en commençant par les premiers, ceux-ci seraient peut-être partis, tout contents de leur pièce, sans attendre la suite.

C’est bien la jalousie qui empoisonne le regard des premiers. Ils se comparent aux derniers, au lieu de se réjouir pour eux. Ils calculent au lieu d’accueillir. Ils hiérarchisent au lieu de fraterniser. La convoitise est depuis la genèse du monde ce qui pourrit l’amitié entre l’homme et Dieu, entre l’homme et l’homme. Adam et Ève convoitaient avec le fruit interdit la possibilité d’« être comme des dieux » par prédation et non par grâce. Après eux, Caïn se compara à Abel et le tua. Puis Israël s’est comparé aux autres nations et a voulu comme elles un roi, pour son malheur. Etc.

Les premiers ouvriers comparant leur salaire aux derniers font penser au fils aîné de la parabole du fils prodigue, jaloux lui aussi du veau gras qu’il n’a jamais eu. Même les apôtres se comparent entre eux : « qui est le plus grand ? » (Mt 18,1).

Le comparatif est l’autre nom du péché.
Recevoir la vie éternelle demande donc de renoncer au comparatif, ce qui nous libère de la jalousie, du calcul, de l’aigreur, du marchandage.

 

4. Dieu prie l’homme d’aller travailler à sa vigne
Le maître de la vigne sort 5 fois dans la journée, de sa maison à la place du village. Sortir de soi est proprement divin. L’extase (ex-stasis : se tenir au-dehors) est la nature même de l’amour trinitaire, où chaque personne divine n’est vraiment elle-même qu’en sortant d’elle-même pour aller vers l’autre, dans une communion conjuguant unité et différences. Dieu sort de lui-même pour appeler des ouvriers qui sont là, « sans rien faire ». Moise sortait de son palais pharaonique pour découvrir les réelles conditions de vie et de travail des Hébreux (Ex 2,11.13).

Unis à Dieu, il nous deviendra naturel à nous aussi de sortir de nous-mêmes pour embaucher de nouveaux compagnons.

La fréquence à laquelle le maître sort de son domaine est quasi liturgique : le matin à la première heure (6 heures du matin), puis à la 3° heure (9h), puis à la 6° (midi) et 9° (15h) heures, puis enfin à la 11° heure (17h). On croirait presque suivre un moine de sa cellule à l’église plusieurs fois par jour pour l’office liturgique ! Comparaison un peu anachronique bien sûr, puisque les monastères n’existaient pas avant le IV° siècle. Ces sorties fréquentes font plutôt penser aux prières à la synagogue obligatoires pour les juifs encore aujourd’hui : 3 offices chaque jour, mais 5 pour la fête de Yom Kippour. Pour ces offices à la synagogue, il faut être au minimum 10 hommes (le ‘miniane’), et un juif cherche à réquisitionner n’importe qui pour compléter le miniane afin de commencer la prière ! Il nous faut donc sortir de chez nous, comme le maître de la vigne, pour aller trouver assez d’amis afin d’aller prier ensemble l’office à la synagogue…

Si ces 5 sorties évoquent Kippour, c’est donc que le pardon est en jeu : recevoir la plénitude par-delà nos fautes.

En tout cas, on voit que Dieu le premier est en quête de l’homme. C’est lui le premier qui le supplie. Comme dans la parabole du marchand de perles, l’essentiel est de se laisser chercher par un Dieu prêt à tout pour acquérir l’homme à tout prix. Pour les ouvriers, l’essentiel est d’être appelés, et s’ils répondent c’est dans cet appel que réside leur salaire : l’amitié avec Dieu, la vie éternelle.

 

5. À chacun selon ses besoins : un salaire de subsistance et non de mérite
Chaque heure ou presque de la journée, le propriétaire de la vigne part embaucher. Bizarrement, il n’est jamais fait mention d’un manque de main-d’œuvre. Bizarrement, il ne fait pas passer d’entretien d’embauche : il ne questionne ni les uns ni les autres sur leurs compétences viticoles. Il ne leur précise même pas la nature du travail attendu.

 parabole« Allez à ma vigne » : voilà le seul mot d’ordre, celui de rassembler ceux qui n’ont trouvé personne pour les rendre utiles, pour leur donner la possibilité de subvenir à leur revenu  quotidien nécessaire. Car le chômage n’était pas indemnisé en Israël !
Et bizarrement, il n’y a que ce vigneron pour les arracher au chômage.

La finale de la parabole est un plaidoyer pour un salaire qui permette à l’ouvrier de vivre, et non un salaire proportionnel au temps de travail effectif. Quelle que soit la contribution réelle du travailleur à la richesse de son employeur, chacun reçoit de quoi vivre : la pièce d’argent, la vie éternelle, le royaume de Dieu. On retrouvera cette intuition – grosse de conséquences sociales révolutionnaires ! – dans le principe de répartition au sein de la première communauté chrétienne de Jérusalem : « à chacun selon ses besoins » (Ac 2,45). Depuis ces textes, le christianisme social plaide pour un salaire de subsistance et pas seulement de mérite. Si quelqu’un participe à la communauté humaine – quel que soit son rendement, son handicap, ses résultats – selon ses moyens, il doit en recevoir de quoi vivre décemment selon ses besoins. La notion de salaire minimum, de revenu d’existence, ou de revenu d’insertion trouve là un fondement solide. Le simple fait d’être humain garantit la possibilité d’entendre l’appel à travailler à la vigne commune, de quelque manière que ce soit.

 

6. Référence circulaire
Terminons par l’interprétation la plus classique de la parabole.
« Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers ».
Écrite au moment où des non-juifs de plus en plus nombreux bousculent les judéo-chrétiens en demandant le baptême, cette parabole voulait apaiser les ressentiments qui ont pu naître de cet afflux de païens. Saint Augustin en est le fidèle témoin lorsqu’il s’identifie aux derniers : « Tous les chrétiens sont, pour ainsi dire, appelés à la onzième heure ; ils obtiendront, à la fin du monde, le bonheur de la résurrection avec ceux qui les ont précédés. Tous le recevront ensemble » (sermon 87 : les heures de l’histoire du salut).

Les juifs demeurent nos frères aînés dans la foi. Ils ne recevront ni plus ni moins que les chrétiens, puisque la vie éternelle ne se fractionne pas. Bien sûr, la transposition de cette échelle chronologique juifs–païens nous oblige à être vigilants : l’accueil de nouveaux convertis peut irriter d’anciens catholiques présents ‘depuis toujours’ ; l’accueil des catéchumènes bouscule nos paroisses et peut susciter condescendance, méfiance ou jalousie.

Référence circulaire dans Excel

Référence circulaire dans Excel

Savoir se réjouir du dernier arrivé au lieu de se comparer et de jalouser est une conversion permanente pour nos assemblées et pour chacun de nous

D’ailleurs, on peut remarquer que la phrase finale de la parabole tourne en boucle. « Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers » : en vertu de ce principe, si quelqu’un est premier, il est renvoyé à la dernière place ; mais en vertu de ce même principe, il passe  aussitôt de la dernière place à la première, et la boucle recommence ! Si bien que finalement il n’y a plus ni premiers ni derniers, car ils sont instantanément rétrogradés ou promus. C’est ce qu’on appelle dans un tableur Excel « une référence circulaire », dont le calcul tourne en boucle et ne finit jamais. Nous retrouvons là la « docte ignorance » chère à la mystique rhénane : impossible de savoir si nous sommes premiers ou derniers… et c’est très bien ainsi !


Renoncer au comparatif est décidément le secret pour accueillir et se réjouir…

[Fin des miettes]

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55, 6-9)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver ; invoquez-le tant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées ! Qu’il revienne vers le Seigneur qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu qui est riche en pardon. Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, – oracle du Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

PSAUME
(Ps 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18)
R/ Proche est le Seigneur de ceux qui l’invoquent. (cf. Ps 144, 18a)

Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
Il est grand, le Seigneur, hautement loué ;
à sa grandeur, il n’est pas de limite.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de tous ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

DEUXIÈME LECTURE
« Pour moi, vivre c’est le Christ » (Ph 1, 20c-24.27a)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Frères, soit que je vive, soit que je meure, le Christ sera glorifié dans mon corps. En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire.
Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ.

ÉVANGILE
« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20, 1-16)
Alléluia. Alléluia. La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres :tous acclameront sa justice. Alléluia. (cf. Ps 144, 9.7b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait cette parabole à ses disciples : « Le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. Et à ceux-là, il dit : ‘Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste. ’Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : ‘Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?’Ils lui répondirent : ‘Parce que personne ne nous a embauchés. ’Il leur dit : ‘Allez à ma vigne, vous aussi.’
Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers. ’Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : ‘Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !’Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : ‘Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?’
C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

Patrick BRAUD

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16 juillet 2023

Le sperme et la zizanie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le sperme et la zizanie

Homélie pour le 16° Dimanche du Temps Ordinaire / Année A
23/07/2023

Cf. également :
Accepter l’ivraie en chacun
Le levain dans la pâte : interprétations symboliques
Ecclésia permixta
La patience serait-elle l’arme des forts ?
Foi de moutarde !
Quelle est votre écharde dans la chair ?
Le pur et l’impur en christianisme

Semer la zizanie
Astérix - La Zizanie - n°15
Les fans d’Astérix et Obélix se souviennent du 15° album d’Uderzo et Goscinny : « La zizanie » (1970). On y voyait un petit personnage romain envoyé par César dans l’irréductible village gaulois pour y répandre la discorde afin de l’affaiblir et de l’envahir. Tullius Detritus – le bien nommé – distillait ses petites phrases acides, pleines de sous-entendus, et suscitait ainsi jalousies et disputes. On le recommande à César en ces termes : « vous verrez, JC, c’est un être immonde, mais très efficace. L’horrible visage vert de la discorde apparaît sur son passage ; ça tient du prodige ». Et de fait, la couleur vert pâle puis vert foncé remplit les bulles des dialogues dès que Detritus est dans la pièce…

L’expression semer la zizanie - qui a bien failli vaincre Astérix et les siens en les divisant ! – vient de la parabole de ce dimanche (Mt 13,24-43). Ce que la traduction appelle ivraie est le nom grec ζιζνιον (zizanion), qui a donné zizanie. Au temps de Jésus, zizanion était une céréale, ressemblant beaucoup au blé au début de sa croissance, mais se révélant ensuite être une graminée plutôt nuisible, car étouffant le blé et de mauvais goût. Elle avait même la réputation de rendre ivre. Une espèce de mauvais seigle en somme, qui compromet la qualité de la moisson. Ses racines s’enchevêtrent avec celles du blé, si bien qu’il est impossible d’arracher l’un sans l’autre.

Le mal semé en nos cœurs est à l’image de ce zizanion : indissociablement mêlé au bien, difficile à reconnaître au début, au goût amer, enivrant, capable de compromettre toute une vie…

C’est en référence à notre parabole que le mot latin puis français zizanie a été forgé. Il en est venu à désigner ce qui divise, ce qui compromet la cohésion de la récolte, l’élément étranger qui dresse les uns contre les autres. On a déjà dit que le diable est justement le diviseur (dia-bolos) par opposition au symbole (syn-bolon) qui unit et rassemble. Semer la zizanie est bien œuvre ‘dia-bolique’, au sens où elle veut défaire les liens de communion (koïnonia) et d’amour qui sont les caractéristiques du royaume de Dieu que Jésus veut nous faire imaginer par cette parabole.

Le sperme et la zizanie dans Communauté spirituelle Tullius%2BDetritusOù sont les Tullius Detritus d’aujourd’hui ?

- Dans nos familles, lorsque nous laissons le soupçon, le doute, les non-dits, les sous-entendus miner l’entente fraternelle.
- Dans nos entreprises, lorsque la rivalité entre égos ou l’appât du gain, d’une promotion, d’une reconnaissance etc. sapent peu à peu l’ambiance de travail dans une équipe. Il suffit de peu pour que la couleur verte de la zizanie fasse tache d’huile entre collègues !
- Dans une Église également, Tullius Detritus est à l’œuvre ! Les rumeurs, les jalousies, les silences accumulent les rancœurs et donnent envie de s’éloigner sur la pointe des pieds ou de claquer la porte avec fracas.

Quand sommes-nous complices de ces semeurs de zizanie qui lentement défont les liens entre nous ?

 

La croissance du sperme
 parabole dans Communauté spirituelle
Heureusement, il y a d’abord la force intrinsèque du blé semé. Le grec emploie le mot σπρμα (sperma) = sperme, qui désigne la semence végétale (Gn 1,11–12). Par extension, σπρμα désigne aussi la semence humaine, la fécondité, la postérité accordée à Abraham et ses descendants comme une bénédiction divine. Les Pères de l’Église parlaient du « Logos spermatikos » pour désigner les « semences du Verbe », ces préparations évangéliques répandues dans toutes les cultures bien avant le Christ, comme des pierres d’attente de la révélation pour croître et porter du fruit.

La parabole nous invite à faire confiance à la puissance intrinsèque de ce sperme, de ces germes de vie, ces commencements à la fois si petits et si pleins de promesses. Certes, ces semences sont menacées de toutes parts. Mais elles croissent, elles se renforcent, elles poussent vers le ciel et engendrent de lourds épis qui apportent l’abondance. « Qu’il dorme ou qu’il se lève, le grain pousse tout seul, et il ne sait comment » (Mc 4,26-29).

Lutter contre le mal n’est donc pas s’opposer frontalement à lui, au risque de lui devenir semblable, mais cultiver le bien tout autour, jusqu’à ce que la croissance du blé submerge l’ivraie invasive.

 

Sur le champ, mais quel champ ?
Matthieu met sur les lèvres de Jésus un commentaire allégorique de sa parabole. Gageons que c’est pour Matthieu un moyen d’asseoir sa propre explication telle qu’il l’a entendue dans sa communauté judéo-chrétienne. Nous savons qu’il y en a d’autres !
Attardons-nous sur le champ dans lequel sont semés le sperme et la zizanie. Que peut-il désigner ?

* Le champ, c’est le monde
Image-11 sperme
Voilà la première interprétation proposée par Matthieu. Et c’est vrai que le monde n’est ni blanc ni noir, ni bon ni mauvais totalement. Les utopies politiques qui ont rêvé d’éradiquer le mal du monde pour faire le bonheur des peuples (malgré eux !) se sont révélées catastrophiques et inhumaines. Les socialismes révolutionnaires ont conduit à des dictatures sanglantes, sous prétexte d’imposer à tous la bonne direction de l’Histoire. Cette naïveté vaguement rousseauiste a le sang de millions de morts sur les mains. Montaigne écrivait déjà : « là où il y a l’homme, il y a de l’hommerie ». Et Blaise Pascal insistait : « qui veut faire l’ange fait la bête ». Croire qu’on peut éradiquer le mal ici-bas est une illusion dangereuse et meurtrière.
À l’inverse, ne rien faire en laissant l’ivraie proliférer n’est pas conseillé ! Le semeur de la parabole fait son travail en semant au mieux, le plus serré possible. Ainsi l’ennemi aura moins de latitude pour répandre son venin.

La droite politique française croit que le marché est autorégulateur, elle ne veut pas combattre le mal au nom du respect des supposées ‘lois’ de l’économie. La gauche quant à elle croit que la morale prime sur tout, et que l’indignation suffit à instaurer le royaume de Dieu sur la terre. En réalité, la gauche croit pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie dès aujourd’hui, alors que la droite se résigne et compose avec. En d’autres termes, la gauche ne croit pas au péché originel (on pourrait éradiquer le mal) alors que la droite ne croit pas en la rédemption (il n’y aurait rien à faire contre le mal). On devine ce que le courant de la démocratie chrétienne pourrait puiser comme inspiration politique dans notre parabole pour se tenir à distance de ces deux excès…

 

* Le champ, c’est l’Église
 zizanie
Il se peut que Jésus ait pensé avec notre parabole aux Esséniens, aux Pharisiens, aux Samaritains, aux Sadducéens et autres groupes sectaires qui pullulaient en Israël. Matthieu l’a ensuite appliquée aux lapsi pendant les persécutions : à ceux qui voulaient les exclure une fois pour toutes, même s’ils se repentaient, Matthieu répond que Dieu seul est juge pour trier les bons et les mauvais chrétiens, et que cela n’appartient à personne, pas même à l’Église. ‘Soyez patients et espérez la conversion du pécheur sans vouloir l’exclure définitivement de la communauté’, semble-t-il dire avec cette parabole aux purs et durs qui maniaient l’excommunication un peu trop facilement.
Par la suite, les innombrables hérésies des six premiers siècles au moins ont sans cesse fait resurgir ce dilemme face aux déviants : l’exclusion ou le pardon ? la sanction ou la patience ? l’idéal d’une pureté rêvée ou l’humble acceptation du réel mélangé ?

À l’heure où notre Église est déstabilisée par tant de scandales, d’abus et de procès en tous genres, la tentation refait surface : donnons un grand coup de balai pour repartir à zéro ! Éradiquons tous ceux et celles qui sont compromis, et nous redeviendrons la sainte Église…

Quelle illusion, quel orgueil de vouloir ainsi tout maîtriser ! Et où est passée la miséricorde que Jésus a offerte au criminel à sa droite ? Ou la patience qui nous demande d’attendre le jugement dernier avant la moisson finale ?
Nous ne sommes pas les cathares (‘parfaits’) du XXI° siècle, et notre Église est ce champ mélangé où la croissance est plus importante que l’arrachage. Le Catéchisme de l’Église catholique l’avoue humblement en s’appuyant notamment sur notre parabole du bon grain et de l’ivraie :

« Tandis que le Christ saint, innocent, sans tache, venu uniquement pour expier les péchés du peuple, n’a pas connu le péché, l’Église, elle, qui renferme des pécheurs dans son propre sein, est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement  » (LG 8 cf. UR 3;6). Tous les membres de l’Église, ses ministres y compris, doivent se reconnaître pécheurs (cf. 1Jn 1,8-10). En tous, l’ivraie du péché se trouve encore mêlée au bon grain de l’Évangile jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 13,24-30). L’Église rassemble donc des pécheurs saisis par le salut du Christ mais toujours en voie de sanctification (n° 827) ».

 

* Le champ, c’est le royaume des cieux
Le début de notre évangile nous met sur la piste : « le royaume des cieux est comparable à … ». Ce dont parle Jésus est une réalité eschatologique, qui appartient à l’accomplissement de l’histoire (nous ne savons ni quand ni comment). Ce n’est que dans le royaume, « à la fin », que la séparation du bon grain et de l’ivraie aura lieu. D’ici là, impossible de trancher à la place de Dieu.

Une raison de plus d’être contre la peine de mort : Dieu seul est le juge ultime ! Aucune institution ecclésiale ni judiciaire ne peut prétendre incarner cette réalité ultime qu’est la séparation entre le blé et l’ivraie.

De quoi relativiser toute absolutisation de la loi, de la morale, de l’identité communautaire etc…

 

* Le champ, c’est moi
Soyons lucides sur nous-même : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas » (Rm 7,19). Il y a en chacun de nous des contradictions internes, indépassables, jusqu’à notre mort. Cette inclination au mal ne vient pas seulement de l’éducation, ou de la société, ou de notre histoire personnelle. Elle est inscrite en nous dès notre naissance « comme une écharde dans notre chair » (2Co 12,7), comme pour nous rappeler à l’humilité, à nous aimer nous-même avec miséricorde.

Chacun a sa part d’ombre. Chacun ses zizanies.
Dieu ne nous promet pas de nous l’enlever, mais de faire grandir en nous la moisson à tel point que la présence de l’ivraie y sera anecdotique.

Pourquoi m’étonner du mal en moi ? Pourquoi m’y résigner ?
Le Christ nous invite à combattre par le bien, le parasite par la surabondance, l’écharde par la marche en avant.

 

* Le champ, c’est l’autre
Du coup, comment ne pas accorder à autrui la même complexité intérieure que celle que je découvre en moi ? Ceux qui sont durs envers les autres le sont d’abord envers eux-mêmes. L’autre est mélangé, comme moi : comment lui en vouloir ? Vouloir le changer – ou l’éliminer – par la force, c’est se condamner soi-même. D’où la stratégie spirituelle de Jésus : « Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient » (Lc 6,28), que Paul reprendra fidèlement :
« Bénissez ceux qui vous persécutent ; souhaitez-leur du bien, et non pas du mal. (…) Ne rendez à personne le mal pour le mal, appliquez-vous à bien agir aux yeux de tous les hommes. (…) Bien-aimés, ne vous faites pas justice vous-mêmes, mais laissez agir la colère de Dieu. Car l’Écriture dit : C’est à moi de faire justice, c’est moi qui rendrai à chacun ce qui lui revient, dit le Seigneur. Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire : en agissant ainsi, tu entasseras sur sa tête des charbons ardents. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12,14-21).

Trier les uns et les autres, les bons et les mauvais, trancher, classer, ranger, étiqueter, évaluer, départager, condamner, c’est cela juger : prononcer une parole dernière et définitive sur quelqu’un. C’est un désir spontané, quasiment naturel, mais qui est aussi enseigné aux humains que nous sommes, dès l’enfance. C’est toute une façon de regarder, de penser, d’agir, qui trouve hélas tant de défenseurs !

Mieux vaut parier sur le désir-du-bien caché en l’autre que de vouloir éliminer le mal en lui…

 

Que ce soit dans le monde, dans l’Église, dans le Royaume des cieux, en moi ou en l’autre, parions donc sur la croissance du bien plutôt que de vouloir éradiquer le mal !

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Après la faute tu accordes la conversion » (Sg 12, 13.16-19)

Lecture du livre de la Sagesse
Il n’y a pas d’autre dieu que toi, qui prenne soin de toute chose : tu montres ainsi que tes jugements ne sont pas injustes. Ta force est à l’origine de ta justice, et ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose. Tu montres ta force si l’on ne croit pas à la plénitude de ta puissance, et ceux qui la bravent sciemment, tu les réprimes. Mais toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement, car tu n’as qu’à vouloir pour exercer ta puissance. Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain ; à tes fils tu as donné une belle espérance : après la faute tu accordes la conversion.

PSAUME
(Ps 85 (86), 5-6, 9ab.10, 15-16ab)
R/ Toi qui es bon et qui pardonnes, écoute ma prière, Seigneur. (cf. Ps 85, 5a.6a)

Toi qui es bon et qui pardonnes,
plein d’amour pour tous ceux qui t’appellent,
écoute ma prière, Seigneur,
entends ma voix qui te supplie.

Toutes les nations, que tu as faites,
viendront se prosterner devant toi,
car tu es grand et tu fais des merveilles,
toi, Dieu, le seul.

Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié,
lent à la colère, plein d’amour et de vérité !
Regarde vers moi,
prends pitié de moi.

DEUXIÈME LECTURE
« L’Esprit lui-même intercède par des gémissements inexprimables » (Rm 8, 26-27)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l’Esprit puisque c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles.

ÉVANGILE
« Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson » (Mt 13, 24-43)
Alléluia. Alléluia. Tu es béni, Père, Seigneur du ciel et de la terre, tu as révélé aux tout-petits les mystères du Royaume ! Alléluia. (cf. Mt 11, 25)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus proposa cette parabole à la foule : « Le royaume des Cieux est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi survint ; il sema de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla. Quand la tige poussa et produisit l’épi, alors l’ivraie apparut aussi. Les serviteurs du maître vinrent lui dire : ‘Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?’ Il leur dit : ‘C’est un ennemi qui a fait cela.’ Les serviteurs lui disent : ‘Veux-tu donc que nous allions l’enlever ?’ Il répond : ‘Non, en enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ; et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier.’ »

Il leur proposa une autre parabole : « Le royaume des Cieux est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise et qu’il a semée dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences, mais, quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent et font leurs nids dans ses branches. » Il leur dit une autre parabole : « Le royaume des Cieux est comparable au levain qu’une femme a pris et qu’elle a enfoui dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. »

Et cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans parabole, accomplissant ainsi la parole du prophète : J’ouvrirai la bouche pour des paraboles, je publierai ce qui fut caché depuis la fondation du monde. Alors, laissant les foules, il vint à la maison. Ses disciples s’approchèrent et lui dirent : « Explique-nous clairement la parabole de l’ivraie dans le champ. » Il leur répondit : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ; le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du Royaume ; l’ivraie, ce sont les fils du Mauvais. L’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges. De même que l’on enlève l’ivraie pour la jeter au feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son Royaume toutes les causes de chute et ceux qui font le mal ; ils les jetteront dans la fournaise : là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père.
Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »
Patrick BRAUD

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9 juillet 2023

Le semeur de paraboles

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le semeur de paraboles

Homélie pour le 15° Dimanche du Temps Ordinaire / Année A
16/07/2023

Cf. également :
Prenez-en de la graine !
Semer pour tous
La lectio divina : galerie de portraits
Éléments d’une écologie chrétienne
Le management du non-agir
Le pourquoi et le comment

Polysémie, vous avez dit polysémie ?

Deux personnes descendent par la cheminée.
L’un sort avec un visage propre, l’autre avec un visage sale.
Lequel d’entre eux va aller se laver le visage ?

Le semeur de paraboles dans Communauté spirituelle 2FpAAEGwsJtGJDtJxHvqtglgkBsAmusez-vous à réfléchir à cette énigme rabbinique (qu’on appelle mashal)…
Avec un peu d’imagination, vous trouverez une, puis deux et trois solutions, toutes logiques : celui qui a le visage propre, ou les deux, ou aucun des deux !
Le problème est qu’elles sont contradictoires entre elles ! Et, comble de confusion, on peut même trouver une quatrième qui annule toutes les autres ! (voir en fin d’homélie…)

Cette petite histoire a toutes les caractéristiques d’une parabole évangélique ; elle est construite comme la parabole du semeur de ce dimanche et peut nous aider à la comprendre. En effet, c’est une histoire inventée de toutes pièces, mais inspirée par des scènes de la vie quotidienne. C’est une histoire où il y a de l’étrange, assez pour nous intriguer, nous dérouter, exciter notre curiosité pour aller voir ce qu’il y a à tirer de cette  énigme bizarre…

Provoquer l’étonnement, susciter l’interrogation, encourager la recherche : voilà des caractéristiques de la pédagogie de la parabole que Jésus n’a cessé d’exploiter au maximum. Se comportant ainsi en maître de sagesse, il surprend ses auditeurs, les intéresse, les « accroche », pour les encourager à aller plus loin que leurs certitudes et leurs opinions immédiates.
Belle pédagogie ! Plutôt que de s’opposer frontalement aux pharisiens scandalisés par le bon accueil qu’il fait aux pécheurs, Jésus préfère prendre un chemin détourné : il leur invente des histoires-à-réfléchir, pour qu’ils découvrent par eux-mêmes combien Dieu est « riche en miséricorde »…
« Il leur enseignait en paraboles beaucoup de choses »

Ce genre littéraire de la parabole (mashal en hébreu = enseignement par énigme) était bien connu au temps de Jésus. Mais l’Ancien Testament l’emploie peu (trois ou quatre fois seulement). Le Nouveau Testament y fait recours environ 90 fois !
Jésus a largement utilisé ce mode de prédication qui relève de la sagesse, alors que les autorités religieuses ne se référaient qu’à la Loi, et que les foules n’attendaient avec exaltation qu’un prophète révolutionnaire.

Lire-aux-eclats-Reedition mashal dans Communauté spirituelleRemplacez l’énigme de la cheminée par un passage biblique, et vous avez une des bases de l’exégèse juive : la pluralité des interprétations. Ce que Marc-Alain Ouaknin appelle « lire aux éclats », ou David Banon « la lecture infinie ». Comme le cristal de roche disperse le spectre de la lumière blanche en une infinité de couleurs juxtaposées, de l’ultraviolet invisible au rouge pétant, l’étude d’un texte biblique engendre sans cesse de nouvelles interprétations différentes les unes des autres, voire contradictoires. Et il faut toutes les garder !

Le texte biblique est polysémique : il a plusieurs sens, et nulle lecture ne peut les épuiser.
Les exégètes chrétiens distinguaient autrefois le sens littéral, le sens moral, le sens allégorique, le sens spirituel, le sens mystique. Aujourd’hui, en mettant les lunettes des sciences humaines, on peut faire tour à tour une lecture sociologique, politique, psychologique, psychanalytique, économique, anthropologique etc. du même passage ! Et avec chaque paire de lunettes on trouvera des merveilles, fort différentes !

Méfiez-vous donc des interprétations uniques qui vous dicteraient ce qu’il faut penser de tel passage biblique.
La pluralité des interprétations garantit l’interprétation du réel, qui est pluriel.

 

Pourquoi les paraboles ?
33113999 parabole
Voilà sans doute pourquoi Jésus parle en paraboles.
Avec la parabole du semeur (Mt 13,1 23) de ce dimanche, Matthieu montre Jésus en semeur de paraboles.
Il commence une longue collection de 7 paraboles, ce qui atteste que cette manière d’enseigner est au cœur de sa pédagogie, pour faire découvrir le royaume de Dieu tout proche. L’art  de la parabole reprend celui du mashal, cette énigme de la cheminée qui oblige le lecteur à se creuser la tête, à chercher et à imaginer ce qui n’est pas écrit. Le mashal juif et la parabole font partie du courant biblique qu’on appelle la Sagesse. Il y a trois principaux groupes de livres dans la bibliothèque biblique : la Loi (la Torah, le Pentateuque = les 5 livres de Gn, Ex ; Nb ; Lv, Dt), les Prophètes (Isaïe, Jérémie etc.), et la Sagesse (les Proverbes, les Psaumes, Qohélet, Ben Sirac, et beaucoup de passages enchâssés dans les autres, comme par exemple le cycle de Jacob).
La Loi prescrit, les Prophètes dénoncent, mais la Sagesse fait réfléchir.
La Loi est froide, objective ; les Prophètes sont bouillants, passionnés. Mais la Sagesse interroge, déstabilise. Une parabole comme celle du semeur est faite pour intriguer l’auditeur, le mettre en mouvement, susciter en lui une quête de sens. Que veut dire cette histoire apparemment banale ? De quelle semence s’agit-il ? Que représentent les différents terrains sur lesquels tombent les graines ? Qui est ce semeur ? Etc.

Voici une piste sûre pour annoncer l’Évangile aujourd’hui encore : ne pas recourir à la Loi ou aux Prophètes seulement, mais également à la Sagesse. C’est ce que Jésus fait ici avec talent dans les 7 paraboles rapportées par Matthieu.

 

Pourquoi Jésus ne parle pas plus clairement ?
L’intérêt de cette pédagogie sapientielle des paraboles est de ne rien imposer de l’extérieur à l’auditeur : à lui de faire le chemin pour donner sens à ce qu’il a entendu. Jésus ne veut pas le faire à sa place. Du coup, chacune de ces paraboles est ouverte. Il n’y a pas de leçon de morale en finale comme dans les fables de La Fontaine, comme dans les sermons moralisateurs qui veulent imposer une seule interprétation, le plus souvent celle qui sert les intérêts des puissants.

 polysémie

Et nous : comment jouons-nous de ce registre de la Sagesse ? Lorsque nous répétons : ‘il faut’, ‘tu dois’, ‘fais des efforts’, nous sommes sous le joug de la Loi.
Lorsque nous laissons l’émotion et les cris du cœur nous indigner avec violence, nous sommes dans l’excès  prophétique.
Lorsque nous posons des questions ouvertes en laissant l’autre cheminer à sa manière pour y répondre ce qui lui sera utile, nous pratiquons la pédagogie de la sagesse.

Ainsi, à quelqu’un qui s’enferme dans une secte comme les Témoins de Jéhovah ou un extrême politique, lancer des impératifs catégoriques ou protester la main sur le cœur ne feront pas grand-chose. Par contre, poser de bonnes questions, appeler à réfléchir sur tel événement, énoncer les contradictions qui s’accumulent, ou même témoigner de sa propre histoire sont des bouteilles à la mer que l’autre saisira lorsqu’il voudra, lorsque ce sera le moment pour lui.

9406e4_b02e0ecb51b14abebf16400d47666f6b~mv2 semeurQuand ses disciples lui posent la question : « pourquoi leur parles-tu en paraboles ? », Jésus répond : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là. À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, et qu’ils écoutent sans écouter ni comprendre ».
Il semble qu’il y ait d’abord un constat, un peu amer : certains ne veulent rien entendre qui les perturbe, rien voir qui les étonnerait. Ils se condamnent eux-mêmes à être sourds et aveugles, à passer à côté du mystère c’est-à-dire des choses cachées que Dieu veut leur révéler. Comment faire boire un âne qui n’a pas soif ? Sinon en attendant que cette soif vienne et lui ouvre le chemin de l’abreuvoir ?
Les paraboles sont adressées et soumises à l’intelligence, à l’interprétation et même à la liberté de l’auditeur, comme en atteste la formule de Jésus dans ce passage, qui résonne comme un appel à rechercher le sens de cette parole : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »

Il peut y avoir une deuxième raison à ce parler parabolique : utiliser un langage codé, pour cacher aux yeux des ennemis le cœur subversif du message. Ceux dont le cœur est fermé lisent les paraboles au premier degré, et n’y verront qu’une histoire moralisante certes mais peu dangereuse. Les disciples savent – eux - se mettre en quête d’autres significations plus profondes, plus radicales, véritables appels à la conversion. Ainsi l’Église peut-elle propager l’Évangile sans attirer le soupçon de ses ennemis. La parabole est un peu le Radio-Londres des chrétiens résistants à la domination païenne…

Il pourrait y avoir encore une troisième raison de parler en paraboles : ne pas dévaluer le trésor de l’Évangile en le révélant à n’importe qui n’importe quand. « Les choses saintes aux saints », chantent les orthodoxes avant de distribuer la communion. Il faut être initié (par les trois sacrements de l’initiation chrétienne : baptême, confirmation, eucharistie) pour communier aux saints  mystères, et ceux qui ne sont pas en communion avec l’Église ne peuvent y accéder. « Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré ; ne jetez pas vos perles aux pourceaux, de peur qu’ils ne les piétinent, puis se retournent pour vous déchirer » (Mt 7,6).

La Parole de Dieu est trop précieuse pour être délivrée entre deux grivoiseries, ou au cœur d’une polémique violente : ce serait la dévaloriser, ce serait gâcher toutes ses chances de grandir en prenant racine. Il vaut mieux parfois se taire, cacher le trésor de l’Évangile derrière des histoires apparemment banales plutôt qu’il soit foulé aux pieds par des soudards…

 

Parabole, symbole, diabole, hyperbole
Terminons en passant en revue les différents usages du verbe jeter (balleïn en grec) de notre parabole du semeur.

Le mot parabole nous met sur la voie d’un parallélisme entre l’observation du réel et la révélation de Dieu / de l’homme. En effet, para-balleïn signifie étymologiquement : mettre côte à côte des réalités différentes (jeter/balleïn, à côté/para).
C’est donc un procédé de comparaison : mettre en parallèle la miséricorde divine et le comportement du semeur permet de s’interroger, fait réfléchir et progresser chacun, sans lui asséner une vérité extérieure. En méditant sur les paraboles, pour y trouver sans cesse de nouveaux sens cachés, l’auditeur sera conduit toujours plus loin dans l’infini de la révélation divine au-dedans de lui, sans extériorité…

Le SymboleLe symbole (syn – balleïn en grec = jeter ensemble) est l’art de réunir.
La parabole donne à l’auditeur des morceaux d’un puzzle éparpillé, qu’il assemblera d’une manière unique selon sa vision des choses, composant ainsi un tableau très personnel. Le symbole permet de recoller les morceaux en quelque sorte. Ainsi l’eucharistie met-elle ensemble, symboliquement, le corps personnel de Jésus ressuscité, le pain et le vin et l’assemblée–Église pour qu’ils ne soient qu’un. C’est pour cela que le texte du Credo est fort justement appelé un Symbole (le Symbole des Apôtres par exemple) : le fait de le réciter ensemble permet symboliquement à l’assemblée de se reconnaître une et unie au Christ.

L’hyperbole est une réalité largement au-dessus (hyper – balleïn = jeter au-dessus) d’une autre (c’est donc une exagération voulue). Le langage hyperbolique exagère à dessein pour faire prendre conscience de la grandeur de ce qui est évoqué.

Le diable (dia – balleïn = jeter en dispersant) est celui qui divise et éparpille (dia), en empêchant de réunir ce qui est distinct, alors que le symbole unit (syn).
Le diable prend un « malin » plaisir à dissocier tout ce qui pourrait s’agréger à l’unité symbolique, afin que la communion à autrui ne soit plus possible.

Bien sûr, nous sommes des gens du symbolique, et parler en paraboles est l’une des meilleures annonces du Christ que nous pouvons faire.
Méditons donc cette semaine la parabole du semeur, afin que nous devenions nous-mêmes semeur de paraboles.

 

Bonus : l’énigme de la cheminée aux deux visages

visages-suie-propreUn rabbin mettait un jour à l’épreuve un jeune ultra-diplômé qui était persuadé de pouvoir étudier la Tora :
Deux personnes descendent par la cheminée. L’un sort avec un visage propre, l’autre avec un visage sale. Lequel d’entre eux va aller se laver le visage ?
Les yeux du jeune philosophe se sont agrandis.
Est-ce un test de logique ? !
Le rabbin  hocha la tête. Le jeune diplômé répondit :
Eh bien, bien sûr, celui avec le visage sale !
Faux-, répondit le rabbin. Réfléchis logiquement : celui qui a un visage sale regarde quelqu’un dont le visage est propre et décide que son visage est propre aussi. Celui qui a un visage propre regardera le visage sale et pensera qu’il est sale aussi et ira se laver le visage.
Intelligent ! – dit l’étudiant. – Allez, Rabbi, donnez-moi un autre test !

Très bien, jeune homme. Deux hommes descendent par la cheminée. L’un sort avec un visage propre, l’autre avec un visage sale. Lequel d’entre eux va se laver ?
Mais nous avons déjà répondu : celui qui a le visage propre !
Faux, dit le rabbin. Les deux vont se laver le visage. Pense logiquement : celui qui a le visage propre regardera celui qui a le visage sale et décidera que son visage est sale aussi. Celui qui a le visage sale verra l’autre aller se laver, se rendra compte que son visage est sale et ira se laver aussi
- Je n’avais pas pensé à ça ! Incroyable – j’ai fait une erreur de logique ! Rabbi, faisons un autre test !

- Très bien. Deux hommes descendent par la cheminée. L’un sort avec un visage propre, l’autre avec un visage sale. Lequel d’entre eux va se laver ?
- Facile : Les deux vont se laver.
- Faux. Aucun des deux ne va se laver. Réfléchis logiquement : celui dont le visage est sale regardera celui dont le visage est propre et n’ira pas se laver. Celui qui a un visage propre verra que celui dont le visage est sale ne lavera pas son propre visage et se rendra compte que son visage est propre et ne se lavera pas non plus.
Le jeune homme est désespéré :
- Croyez-moi, je peux étudier le Talmud ! Demandez-moi autre chose !

- Très bien, répondit le rabbin. Deux hommes descendent par la cheminée…
- Oh, mon Dieu ! s’écria l’étudiant. Aucun des deux ne va se laver ! !!
- Faux, répondit le rabbin. Maintenant tu es convaincu que connaître tous les diplômes du monde ne sont pas suffisants pour étudier le Talmud ? Dis-moi, comment se peut-il que deux personnes descendent dans le même tuyau et que l’une d’entre elles se salisse le visage et pas l’autre ? ! Tu ne comprends pas ? Toute cette question n’a aucun sens, et si tu passes ta vie à répondre à des questions dénuées de sens, toutes tes réponses seront également dénuées de sens … !

Cf. https://perditions-ideologiques.com/2021/11/28/une-parabole-juive/

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« La pluie fait germer la terre » (Is 55, 10-11)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Ainsi parle le Seigneur : « La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. »

PSAUME
(Ps 64 (65), 10abcd, 10e-11, 12-13, 14)
R/ Tu visites la terre et tu l’abreuves, Seigneur, tu bénis les semailles. (cf. Ps 64, 10a.11c)

Tu visites la terre et tu l’abreuves,
tu la combles de richesses ;
les ruisseaux de Dieu regorgent d’eau,
tu prépares les moissons.

Ainsi, tu prépares la terre,
tu arroses les sillons ;
tu aplanis le sol, tu le détrempes sous les pluies,
tu bénis les semailles.

Tu couronnes une année de bienfaits,
sur ton passage, ruisselle l’abondance.
Au désert, les pâturages ruissellent,
les collines débordent d’allégresse.

Les herbages se parent de troupeaux
et les plaines se couvrent de blé.
Tout exulte et chante !

DEUXIÈME LECTURE
« La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 18-23)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous. En effet la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps.

ÉVANGILE
« Le semeur sortit pour semer » (Mt 13, 1-23)
Alléluia. Alléluia. La semence est la parole de Dieu ; le semeur est le Christ ; celui qui le trouve demeure pour toujours. Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord de la mer. Auprès de lui se rassemblèrent des foules si grandes qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage. Il leur dit beaucoup de choses en paraboles : « Voici que le semeur sortit pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger. D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde. Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés. D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »

Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? » Il leur répondit : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là. À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, et qu’ils écoutent sans écouter ni comprendre. Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, – et moi, je les guérirai. Mais vous, heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent ! Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.

Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur. Quand quelqu’un entend la parole du Royaume sans la comprendre, le Mauvais survient et s’empare de ce qui est semé dans son cœur : celui-là, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin. Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux, c’est celui qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il trébuche aussitôt. Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c’est celui qui entend la Parole ; mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit. Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est celui qui entend la Parole et la comprend : il porte du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. »
Patrick BRAUD

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