L'homélie du dimanche (prochain)

2 avril 2023

Le casse-croûte du Jeudi saint

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le casse-croûte du Jeudi saint

Homélie pour le Jeudi Saint / Année A
06/04/2023

Cf. également :

Jeudi Saint : aimer jusqu’au « telos »
La portée animalière du sacrifice du Christ
Jeudi saint : les réticences de Pierre
« Laisse faire » : éloge du non-agir
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Jeudi Saint : pourquoi azyme ?
La commensalité du Jeudi saint
Le Jeudi saint de Pierre
Jeudi Saint / De la bouchée au baiser : la méprise de Judas
Jeudi Saint : la nappe-monde eucharistique
Je suis ce que je mange
La table du Jeudi saint
Le pain perdu du Jeudi Saint
De l’achat au don

Casse-croûte
Casse-croûte
Il fut un temps où le pain était croustillant. Le mordre à pleines dents le faisait craquer de partout, et on avait aux oreilles le bruit si caractéristique de la croûte qui se brise, ce qui double le plaisir. La croûte de la miche de pain était si dure, blonde et noire de cuisson, qu’il fallait la casser au préalable avec un outil spécial au XVIII° siècle pour que les vieillards édentés des hospices puissent quand même savourer la tendre mie à l’intérieur. D’où l’expression « casser la croûte », qui supposait alors connu le but : nourrir les édentés ! Puis l’expression s’est étendue au fait de nourrir son voisin à table, en prenant la miche de pain et on la fractionnant à la main pour la partager avec ses commensaux.

Le casse-croûte était né, qui charrie toujours avec lui un parfum de camaraderie, de partage, de bonne humeur d’être ensemble, ou de pause-travail bien méritée à plusieurs.

Pain rompu pour nourrir
Jésus ne connaissait pas notre bon pain français, mais le pain azyme utilisé lors du repas pascal est aussi croustillant ! Puisqu’il est sans levain, le pain azyme ressemble à une galette craquante, une biscotte géante. C’est le rôle du père de famille lors du repas pascal de prendre la matsa (galette de pain azyme), de la casser et la fracturer pour donner à chacun sa part de pain autour de la table.
MatsaOn n’est pas sûr que le dernier repas de Jésus ait suivi le rituel pascal (le seder Pessah), le rituel très codifié de la nuit pascale, mais on est sûr que Jésus a de multiples fois rompu le pain azyme pour ses disciples, en prononçant les bénédictions juives prévues pour accompagner ce geste.

Dans notre 2° lecture, Paul est donc le premier témoin d’une chaîne de transmission orale qui est formelle sur la fraction du pain :
« Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous » ».
Ce qui est au cœur de ce que nous appelons aujourd’hui l’eucharistie n’est donc pas le pain, mais le pain rompu [1]. Et qui dit ‘pain rompu’ dit ‘pain rompu pour’ : pour partager aux convives, pour le faire qu’un en Christ ajoutera Paul. À tel point que dans les premiers siècles on appelle fraction du pain et non eucharistie le rassemblement du dimanche matin qui singularise les chrétiens des juifs. Les Actes des Apôtres ont gardé la trace de la place centrale de ce geste dans la célébration :

« Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur » (Ac 2,46).
« Le premier jour de la semaine, nous étions rassemblés pour rompre le pain… » (Ac 20,7).
« Paul remonta, rompit le pain et mangea ; puis il conversa avec eux assez longtemps, jusqu’à l’aube ; ensuite il s’en alla » (Ac 20,11).
« Ayant dit cela, Paul a pris du pain, il a rendu grâce à Dieu devant tous, il l’a rompu, et il s’est mis à manger » (Ac 27,35).
Et la Didachè, texte chrétien du II° siècle, montre que l’usage était encore en vigueur : « chaque jour du Seigneur, réunissez-vous pour la fraction du pain… ».

Le terme eucharistie (action de grâces) a peu à peu remplacé la fraction du pain, à partir du III° siècle. Il semblait peut-être plus global, car désignant toute la célébration et pas seulement un moment de celle-ci.

Puis le mot messe a remplacé eucharistie, revenant au procédé métonymique où une partie de la célébration - en l’occurrence l’envoi final : ite missa est = maintenant vous êtes envoyés au monde - désigne la totalité.

C’est presque dommage d’avoir remplacé fraction du pain par eucharistie ou messe ! Imaginez que vous disiez un collègue : « le dimanche, je vais à la fraction du pain ». Sa curiosité serait piquée au vif ! Vous lui parleriez alors de ce pain qui est brisé pour nourrir tous les invités. Vous évoqueriez les brisures de la Passion du Christ, comment il a fait de sa vie une nourriture partagée à tous. Vous pourriez même vous confier : les grandes fractures de votre parcours personnel, le sens que vous leur avez donné. Vous lui témoigneriez de la joie qu’il y a à se partager aux autres, à devenir soi-même pain rompu pour ses proches.

Le casse-croûte du Jeudi saint dans Communauté spirituelle 78590504-isol%C3%A9-rompu-%C3%A0-la-place-de-la-matza-carr%C3%A9-shmura-sauv%C3%A9e-par-la-tradition-du-pessa-h-juifLa fraction du pain est l’histoire de notre suite du Christ, lorsque nous expérimentons qu’une vie rompue au service des autres fait la joie de ceux qui sont attablés ensemble.

Au Moyen Âge, on a remplacé l’unique hostie qui était fracturée pour l’assemblée par une multitude de petites hosties rondes prédécoupées. Du coup, le geste de la fraction du pain pendant lequel on doit chanter l’Agneau de Dieu aussi longtemps que nécessaire ne dure que 2 secondes. Et c’est bien dommage. Car qui peut croire en recevant une hostie ronde qu’elle provient d’un seul pain qui a été fracturé ? [2]

La fraction du pain est le signe de l’amour-agapè : l’amour-charité est essentiellement une proexistence, une brisure de soi, une multiplication infinie… « L’amour augmente lorsqu’il est partagé » disait St Augustin. Ce n’est pas le pain comme objet qui est apte à porter la présence du Christ, mais le pain partagé, car l’être même de Dieu est de se livrer, de se donner, de se perdre pour les autres, par amour… Ainsi transparaît l’Amour livré pour le salut du monde. La présence réelle, sacramentelle et agissante, passe par cette brisure.

Pain rompu pour unir
Paul ajoute une autre signification au pain rompu : il écrit aux corinthiens parce qu’ils sont divisés, chamailleurs, querelleurs. Leur Église locale divisée par la rivalité des egos : « j’entends dire que, parmi vous, il existe des divisions, et je crois que c’est assez vrai » (1Co 11,18).

Rien de très neuf en réalité…
Mais du coup, en bon pasteur de la communauté, Paul leur prescrit le seul remède radical qu’il connaisse : communier à la fraction du pain. Car paradoxalement, ce pain rompu est le symbole de notre unité. Il est cassé, fractionné, coupé en de multiples morceaux, mais ceux qui le mangent deviennent un seul corps.
C’est presque un traitement homéopathique : rompre le pain nous donne la force spirituelle de ne pas rompre nos liens fraternels.

wXRp1896993 croûte dans Communauté spirituelleOn a la même idée dans l’Ancien Testament lorsqu’Abraham coupe en deux des carcasses d’animaux pour sceller l’Alliance entre YHWH et lui, dans le fameux et mystérieux passage de « l’Alliance entre les morceaux » :
« Le Seigneur lui dit : ‘Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe.’ Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre |…] Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram |…] » (Gn 15,9-18). Paradoxalement, le partage des carcasses symbolise l’union avec YHWH. Dans l’Alliance, le peuple sera en vis-à-vis face à YHWH comme les morceaux d’animaux deux par deux. Le but de la fraction est déjà de ne plus faire qu’un à plusieurs, ce que la Nouvelle Alliance de la fraction du pain accomplira à l’extrême.

1-c39302f2b1 eucharistieSaint Augustin développera sans cesse ce thème du pain rompu pour l’unité des chrétiens :
« Pourquoi donc le corps est-il dans le pain ? Ici encore, ne disons rien de nous-mêmes, écoutons encore l’Apôtre qui, en parlant de ce sacrement, nous dit : Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps (1Co 10,17). Comprenez cela et soyez dans la joie : unité, vérité, piété, charité ! Un seul pain : qui est ce pain unique ? Un seul corps, nous qui sommes multitude. Rappelez-vous qu’on ne fait pas du pain avec un seul grain, mais avec beaucoup. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce que l’Apôtre dit du pain » (sermon 272).

Pain rompu pour nourrir,
pain rompu pour unir :
que la fraction du pain ce soir nous entraîne à nous-même devenir rompu pour les autres…

 

 

 

 

______________________________________

[1]. On retrouve l’expression « rompre le pain » dans le miracle du partage des pains (Mt 14, 19.20 ; 15, 36.37 ; Mc 6, 41.43 ; 8, 6.8. 19.20; Lc 9, 17; Jn 6, 11.12.13). b. Puis dans la dernière Cène (Mt 26, 26 ; Mc 14, 22 ; Lc 22, 19; 1 Co 11, 24). c. Et dans cinq autres circonstances : à Emmaüs (Lc 24, 30.35), à Jérusalem (Ac 2, 42.46), à Troas (Ac20, 7.11), sur le navire qui conduit Paul à Rome (Ac 27, 35), à Corinthe (1 Co 10, 16). Dans tous ces passages (au total 16), 14 fois celui qui rompt le pain est nommé : 12 fois c’est Jésus, et 2 fois c’est Paul. Par 2 fois le sujet est la communauté, l’Église locale dans son ensemble.

[2]. La Présentation Générale du Missel Romain (n° 283) demande d’ailleurs qu’on puisse distribuer au moins quelques morceaux du pain rompu à quelques fidèles, et estime « très souhaitable » (n° 564) que l’assemblée reçoive le Corps du Christ avec les hosties consacrées pendant la messe (plutôt qu’avec celles du tabernacle).

MESSE DU SOIR

PREMIÈRE LECTURE
Prescriptions concernant le repas pascal (Ex 12, 1-8.11-14)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : Je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.
Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. »

PSAUME
(115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18)
R/ La coupe de bénédiction est communion au sang du Christ. (cf. 1 Co 10, 16)

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

DEUXIÈME LECTURE
« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

ÉVANGILE
« Il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1-15)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , ,

14 avril 2019

Jeudi Saint : pourquoi azyme ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Jeudi Saint : pourquoi azyme ?

Homélie pour le Jeudi Saint / Année C
18/04/2019

Cf. également :

La commensalité du Jeudi saint
Le Jeudi saint de Pierre
Jeudi Saint / De la bouchée au baiser : la méprise de Judas
Jeudi Saint : la nappe-monde eucharistique
La table du Jeudi saint
Le pain perdu du Jeudi Saint

Jeudi Saint : pourquoi azyme ? dans Communauté spirituelle

Un professeur de théologie confiait avec humour à ses étudiants : « dans nos messes, il faut faire un double acte de foi. Le premier : croire que le Christ est vraiment présent sur l’autel. Le second : croire que ce que nous voyons sur l’autel est bien du pain… » En effet, les hosties diaphanes, translucides, semblables à du carton qu’il est malaisé de faire fondre sous la langue, ces hosties-là ne sont que les mauvaises copies des pains azymes de la Pâque juive. Car c’est évidemment le repas juif du rituel de la Pâque (Seder Pessah) que Jésus a partagé avec ses disciples en ce soir du Jeudi saint (et non une eucharistie chrétienne !). Ce n’est donc pas du pain ordinaire qu’il a rompu entre ses mains, mais le pain azyme (les mazzoth) prescrit par la tradition juive. Le Nouveau Testament y est fidèle en appelant « Fête des Azymes » (Mt 26,17) la Pâque à venir.
Depuis, les tentatives ont été nombreuses pour actualiser ce rite dans d’autres cultures : certains ont pris du pain bien croustillant, d’autres du riz, des galettes de mil ou de sorgho. Finalement, rien n’y fait : l’Église tient à garder azyme le pain de l’eucharistie, et ceci pour au moins trois ou quatre raisons essentielles.

 

1. Le grand ménage de printemps

Avant la fête, les femmes juives passent en revue leur maison de fond en comble pour en éliminer toute trace de chomez (ou hamets), ce levain et ces miettes fermentées qui rendraient la famille impure pour célébrer Pessah. Si vous avez des amis juifs habitant à Jérusalem, allez les voir à cette période et vous verrez le quartier tout entier pris dans le charivari de ces grandes manœuvres de printemps pour préparer l’intérieur des maisons (et des cœurs !) en vue de Pessah. Notre tradition française du grand ménage de printemps vient de là… Aucune trace de pâte levée ne doit rester dans les maisons : tout le levain doit disparaître des maisons (Ex 12,18-19) et il est interdit d’en manger pendant les sept jours de la fête (Ex 12,20). Le sens en est éminemment spirituel. Paul en fera cette relecture :
« Christ notre Pâque a été immolé. Ainsi donc célébrons la fête, non pas avec du vieux levain ni un levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de pureté et de vérité » (1 Co 5,7-8). Ainsi le Christ est le nouvel Agneau Pascal, les chrétiens sont les vrais mazzoth (azymes) en qui ne reste plus le ‘levain’ du péché, mais la lumière de la vérité.

Jésus avait recours à cette signification lorsqu’il avertissait ses disciples : « Gardez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens ! » (Mt 16, 6.11.12)

Jean quant à lui verra dans ce grand ménage de Pessah l’identification de Jésus à ceux qu’on élimine de la cité des hommes. Connaissant cette coutume, Jean prend bien soin de préciser en effet que la mort de Jésus coïncide avec le jour de la Préparation de la Pâque (Jn 19,31), quand justement on fait cette inspection minutieuse pour éliminer toute trace d’aliment impur. Jésus est ainsi implicitement identifié à ce chomez qu’il faut mettre dehors, au rebut de l’humanité. Il l’identifie également à l’agneau pascal dont Ex 12,46 prescrivait : « pas un de ses os ne sera brisé » (Jn 19,36). Ce qui donne une théologie de la Croix où l’identification de Jésus au dernier des derniers, aux impurs et aux exclus de ce monde, dans la faiblesse, est le véritable ‘sacrifice’ pascal qui libère et fait vivre.

Célébrer Pâques avec du pain azyme, c’est-à-dire non fermenté, nous rappelle l’ardente obligation de purifier nos cœurs, d’enlever de nos comportements tout ce qui est fermenté (malice, colère, emportement, insulte, calomnie etc.). Manger le pain sans levain à la messe nous demande de faire le ménage avant, et nourrit notre désir d’une existence non corrompue, sans mélange douteux.

 

2. La rapidité et l’imprévu de la libération

JSPourquoi les hébreux n’emportèrent-ils que des galettes de blé non levées ? Parce que l’annonce du départ hors d’Égypte fut si imprévue et si soudaine qu’il fallut partir en toute hâte sans avoir le temps de les cuire. Autrement dit, quand Dieu agit pour nous libérer, c’est au moment où nous ne l’attendons pas (« comme un voleur » 1Th 5,2.4 ; 2P 3,10 ; Ap 3,3 ; 16,1), avec une rapidité inouïe qui nous laisse démunis. Lorsque nous sommes dans une impasse, lorsque l’espérance s’épuise, Dieu est capable d’intervenir, par la médiation d’un Moïse, d’un vent d’Est asséchant la mer, d’une étrange rosée comestible à la surface du désert, d’un vol de cailles improbable… Impossible de faire des provisions à l’avance, impossible même de faire des prévisions pour anticiper et maîtriser cette libération surprise. Pâques est toujours de l’ordre de l’évènement, c’est-à-dire de ‘ce qui arrive’, imprévu, soudain, non maîtrisable, de ce qui vient d’ailleurs (ex-venire). Le pain azyme de l’eucharistie revêt à cause de cela un air mal fini, mal fichu, incomplet : c’est voulu ! N’annulons pas le symbolisme du pain incomplet emporté en toute hâte pour fuir l’esclavage sous prétexte de faire convivial et local avec du pain ordinaire !

 

3. Le caractère historique de la Pâque

Il s’agit d’abord de faire mémoire de la hâte avec laquelle les hébreux sont sortis d’Égypte, sans même avoir eu le temps de faire cuire leur pain. Enracinement historique dans l’événement lui-même donc. Les pains sans levain ne se comprennent pas sans la référence historique à l’Exode, alors que des pains ordinaires se comprendraient dans une symbolique naturelle et universelle (« fruit de la terre du travail des hommes ») suffisante. Surajouter l’historique au naturel est d’ailleurs une constante des liturgies juives et chrétiennes, ce qui empêche de sombrer dans le paganisme ou l’idéalisme. Il s’est vraiment passé quelque chose d’unique vers 1250 (ou vers 1400 selon certains experts) avant notre ère entre l’Égypte et l’actuel Israël. Les archéologues et historiens de toutes disciplines scrutent les sables et les ruines : certains y trouvent des traces de ces tribus en fuite, d’autres proposent des explications scientifiques aux événements racontés dans le livre de l’Exode. Il est clair que la foi juive – et donc chrétienne – repose d’abord sur cette certitude que jadis nous étions esclaves en Égypte et maintenant nous voici libres à Jérusalem. Sans cet ancrage historique, la foi juive ou chrétienne ne tient pas. Au mieux deviendrait-elle une croyance, une idéologie – et d’ailleurs ce mode dégradé de la foi est une tentation récurrente dans l’histoire d’Israël ou de l’Église – mais certainement pas une foi, une confiance en Dieu libérateur aujourd’hui en France comme hier au désert. Depuis Jésus, nous surimprimons à ce premier ancrage historique le second, propre aux chrétiens : la mort du Christ dans l’infamie de la croix, et sa délivrance par Dieu dans la résurrection. Le pain azyme de la messe nous oblige à garder une fois historique (cf. « sous Ponce Pilate ») qu’aucune morale, aucune philosophie ou idéologie ne pourra jamais contenir. Communier à ce pain-là nous renvoie à notre propre histoire, au récit des libérations que Dieu a opérées pour chacun et pour tous, nous empêchant ainsi de faire un discours là où nos contemporains attendent un témoignage charnel.

 

4. Un « pain de misère »

C’est ainsi que le Talmud nomme ces galettes plates et sèches, composées uniquement de farine et d’eau. Pas de sel, pas d’huile ni de miel, aucun ingrédient supplémentaire ne vient les rendre plus désirables.
Voilà donc un aliment sans artifice, le plus simple possible. Il ne séduit pas par son apparence, à l’image du serviteur d’Isaïe : « Il n’était ni beau ni brillant pour attirer nos regards, son extérieur n’avait rien pour nous plaire » (Is 53,14).

Ce pain n’a pas le goût addictif des pâtisseries orientales dégoulinantes de miel et de sucre. Il ne peut prétendre à aucun pouvoir sur celui qui s’en approche, mains ouvertes. Ce pain de misère est celui de notre condition humaine libérée de toute volonté de puissance, de domination, de manipulation. Il nourrit notre désir de retour à l’essentiel, débarrassés de toute prétention de réussir par nos seules forces. Il nous rend capables d’accueillir la grâce, ce don si gratuit qu’il est immérité. Il nous ramène humblement à notre fragilité, à notre dépendance de la source. Il symbolise notre consentement à nous-mêmes, sans artifice, sans dissimulation ni habillage, tels que Dieu nous a faits.

Le grand ménage d’avant Pessah élimine toute trace de chomez des maisons ; or ce mot veut dire aussi ‘force’. Comme s’il nous fallait abandonner toute illusion de compter sur nos seules forces pour fêter Pâques. C’est le symbole de l’humilité dans laquelle Israël doit fêter Pessah : c’est dans la faiblesse que Dieu l’a sauvé, l’a formé comme son peuple. Ce n’est pas à sa propre ‘force’ qu’Israël est devenu un peuple, et un peuple libre. Le ‘pain de misère’ mangé à Pâque symbolise cette faiblesse et cette impuissance, dans laquelle la puissance de Dieu va se déployer. Jésus s’est identifié à cette faiblesse en plongeant dans son agonie, dans sa Passion, jusqu’à mourir exténué avant même le coup de lance, jusqu’à éprouver la déréliction suprême : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Vous voyez : le fait que nos hosties soient de pain azyme n’est pas anecdotique. C’est la vérité pascale qui se joue dans les détails du Seder Pessah : du pain non levé, quatre coupes de vin, quatre questions d’enfants, un œuf dur, un os d’agneau grillé, des herbes amères, de la compote…

Approchons-nous de ce repas où Jésus, accoudé sur les coussins du Cénacle, a partagé à ses amis un pain étonnant, le pain de misère qui nourrit notre désir de communier au Vivant dès maintenant et pour toujours.

 

 

Messe du soir

Première lecture
Prescriptions concernant le repas pascal (Ex 12, 1-8.11-14)

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : Je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte. Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. »

Psaume (115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18)
R/ La coupe de bénédiction est communion au sang du Christ.
(cf. 1 Co 10, 16)

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

Deuxième lecture
« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

Évangile
« Il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1-15)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !
Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »

Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , , , , , , ,

23 juillet 2018

De l’achat au don

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

De l’achat au don

Homélie pour le 17° dimanche du temps ordinaire / Année B
29/07/2018

Cf. également :

Foule sentimentale
Multiplication des pains : une catéchèse d’ivoire
Le festin obligé
Épiphanie : l’économie du don
Donnez-leur vous mêmes à manger
Les deux sous du don…
Le jeu du qui-perd-gagne
Un festin par dessus le marché
L’eucharistie selon Melchisédek


On sait que Jean ne raconte pas la Cène dans son Évangile, alors qu’il y était ! À la place, il met pendant la veille de la mort de Jésus le geste du lavement des pieds, indiquant ainsi un premier lien très fort entre l’eucharistie et le service (la diaconie) fraternel et amical. Dans l’Évangile de ce dimanche (Jn 6), Jean établit un autre lien tout aussi fort entre l’eucharistie et le don (reçu, rendu).
Voyons comment, en faisant attention aux mots employés par Jean.


La Cène des 5000 et des 12

« Le voyageur, épuisé par la nuit et qui demande du pain, en réalité désire l’aurore. Notre message éternel d’espérance, c’est que l’aurore viendra ! » [1]

De l'achat au don dans Communauté spirituelle J%C3%A9sus-et-la-multiplication-des-painsC’est d’eucharistie qu’il s’agit plus que de multiplication des pains en fait dans ce texte. Le vocabulaire grec est explicite. On n’est pas devant une mise en scène d’un miracle, mais au cœur d’une liturgie matricielle de notre liturgie eucharistique. La mention de la proximité de la Pâque des Juifs nous met la puce çà l’oreille dès le début (v4).

Le premier verbe qui y fait penser est évidemment le verbe eucharistier lui-même au verset 11 :
« Jésus prit donc les pains, et ayant eucharistié (eucharistēsas) … »
Jésus rend grâce par avance à son Père, comme il le fera pour relever Lazare. Il se reçoit comme fils dans cette relation intime, et c’est en reconnaissant la grâce filiale qui lui est faite que Jésus pourra la partager à la foule. Il se reçoit (de son Père) pour mieux se donner (aux hommes). Il inspire (il reçoit le souffle, l’Esprit de son Père) et nous pouvons nous nourrir de son expiration (le souffle de vie qui communique à ceux qui veulent bien le recevoir). C’est de l’attitude eucharistique de Jésus que découlera l’abondance de nourriture pour tous.

D’ailleurs, ces gens allongés sur l’herbe (rappel de l’Exode) ne sont pas appelés foule ni disciples. Les 5000 personnes (allusion au 5 de la Loi, du Pentateuque) sont dénommés convives (anakeimenois = ceux qui sont allongés à la même table, v11) ! Curieux terme pour un pique-nique sur l’herbe ! Être des convives suppose un repas organisé, un banquet auquel tous participent à égalité comme invités, conviés à la même table, partageant une même nourriture vitale.

Mathieu précise que c’est l’habitude de Jésus de se mettre à table avec des publicains et des pécheurs, faisant d’eux ses convives au grand scandale des juifs pratiquants (Mt 9,10).

Ce mot convive est utilisé également pour Lazare, Marthe et Marie, attablés avec Jésus à Béthanie, pour la célèbre onction d’une ‘femme de rien’ gaspillant une somme considérable en parfum sur les pieds de Jésus (Jn 12,2). Là encore, la logique de la gratuité prévaut sur celle de l’utilité.

Convive est également le mot employé pour désigner les participants au dernier repas (Jn 13,23. 28). Jean est le seul des quatre Évangiles à introduire l’opposition acheter/donner dans cette Cène, à travers le personnage de Judas et de ses 30 deniers : « achète ce dont nous avons besoin pour la fête » (Jn 13,29).

On voit donc que les 5000 sont traités comme d’authentiques participants au repas eucharistique.

Un autre indice de la vision eucharistique du récit est l’emploi du mot fragments : « ramassez les fragments en surabondance ». Cela fait évidemment penser à la fraction du pain grâce à laquelle les disciples d’Emmaüs reconnaissent le Ressuscité (Lc 24,34). L’expression « fraction du pain » a longtemps été équivalente au terme « eucharistie », ou au « repas du Seigneur ».

Les fragments en surabondance remplissent 12 paniers : c’est donc que l’eucharistie nourrit largement au-delà du peuple de la Loi juive. Rassembler (synagagete, d’où vient le mot synagogue) les fragments surabondants pour nourrir les absents annonce déjà la mission de l’Église, prenant le relais de la synagogue, pour « rassembler dans l’unité des enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52). C’est une mission de plénitude, comme l’indique le verbe remplir (egemisan) utilisé ici comme pour les jarres de Cana (Jn 2,7) ou le Temple de l’Apocalypse rempli de la prière des saints (la fumée de l’encens ; Ap 15,8), ou la maison des noces que le roi désire remplir au maximum, même avec des invités peu recommandables (Lc 14,13).

Cette visée de plénitude assignée à l’eucharistie est renforcée par l’expression du verset 12 : « afin que rien ne se perde », qui rappelle étrangement le désir du Père exprimé  par Jésus : « c’est la volonté de celui qui m’a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné …» (Jn 6,39). L’eucharistie vise à ce que personne ne se perde…

Elle accomplit ainsi la première Alliance telle que notre première lecture de ce Dimanche nous le raconte, à travers la geste d’Élisée annonçant celle de Jésus :

« En ces jours-là, un homme vint de Baal-Shalisha et, prenant sur la récolte nouvelle, il apporta à Élisée, l’homme de Dieu, vingt pains d’orge et du grain frais dans un sac. Élisée dit alors : « Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent. » Son serviteur répondit : « Comment donner cela à cent personnes ? » Élisée reprit : « Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent, car ainsi parle le Seigneur : ‘On mangera, et il en restera.’ » Alors, il le leur donna, ils mangèrent, et il en resta, selon la parole du Seigneur. » (2 R 4, 42-44)


De l’achat au don

Une fois le contexte eucharistique solidement établi, Jean en expose très clairement une dimension structurante : la liturgie a pour but de nous faire passer de l’achat au don, de la prise à la réception, de la mainmise à l’accueil.

Il le fait au travers d’une opposition radicale entre acheter et distribuer. C’est ainsi que Jésus tente Philippe. En lui proposant d’aller au marché (agora) acheter (agorasōmen en grec) de quoi nourrir la foule. Jésus sait bien qu’il est illusoire d’acheter la grâce, et il met Philippe à l’épreuve (peirazōn = éprouver, tenter) comme lui-même a été mis à l’épreuve au désert (Satan tente Jésus : c’est le même verbe). Philippe constate l’impossibilité de se baser sur la logique marchande pour nourrir cette foule. Alors Jésus distribue largement, en surabondance, le pain qui fait vivre. Et il le distribue lui-même, directement, en personne, contrairement aux synoptiques qui insistent sur la médiation de l’Église (« donnez-leur vous-même à manger »). On voit mal concrètement comment Jésus aurait pu distribuer seul de quoi manger à 5000 hommes… C’est donc une mention symbolique, pour indiquer que le don vient du Christ seul, sans que l’homme ou même l’Église puisse y ajouter quelque chose.

multiplication des pains

Cette opposition radicale entre l’achat et le don se retrouve dans d’autres passages sous la plume de Jean :

- avant la rencontre avec la Samaritaine, les disciples sont partis acheter en ville de quoi manger. À cause de ces achats, ils vont manquer la révélation de la gratuité absolue de la vie divine : « Donne -moi à boire… Si tu savais le don de Dieu… »

- dans l’épisode des marchands chassés du Temple, les synoptiques parlent du Temple comme d’une « caserne de voleurs » alors que Jean stigmatise une « maison de commerce ». Or le vol n’est pas le commerce. Jean disqualifie donc ici radicalement toute tentative de faire du commerce avec Dieu, d’acheter ses grâces ou d’en faire trafic.

- dans le discours sur le bon Pasteur, la figure du mercenaire, salarié pour de l’argent, est opposée à celle du berger qui donne sa vie pour ses brebis.

- on a vu qu’au cœur de la Cène, chez Jean uniquement, Judas sort pour acheter de quoi faire la fête (comme si la fête s’achetait !) alors que Jésus va se donner gratuitement, jusqu’au bout.

- cette opposition entre Judas qui achète et la grâce qui gaspille se prolonge dans l’onction à Béthanie comme on l’a vu. Offrir gratuitement un parfum de prix pour aimer Jésus vaut mieux que calculer une aide sociale pour les pauvres (toujours intéressée, car elle fait du pauvre un obligé…).

Quoi qu’on en dise la mode politique actuelle, nul ne peut « en même temps » acheter et recevoir, commercer et accueillir. « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Mt 6,24), prévient Jésus.

Afficher l'image d'origineRésumons-nous : le chapitre 6 de Jean nous décrit moins un miracle de multiplication des pains qu’une liturgie eucharistique. Le Christ nous y apprend à ouvrir la main pour recevoir au lieu de prendre. Il conteste la logique de l’achat pour lui substituer celle du don. Il indique le don comme chemin pour vivre soi-même (don reçu, cf. « Jésus, ayant eucharistié… ») et faire vivre l’autre (don partagé, cf. « Jésus distribua le pain »).

Or passer de l’achat au don n’est pas l’affaire d’un instant. C’est la conversion de toute une vie : apprendre à se recevoir pour mieux se donner.

L’Esprit du Christ, son don ultime sur la croix (Jn 19,29 : « il remit l’Esprit »), nous initie à ce mode de vie proprement eucharistique, qui fait de la circulation du don le sang irriguant la vraie vie en nous.

 

Economie du don

 

_______________________________
[1]
. Martin Luther KING, La force d’aimer, Casterman, 1964, p. 78-86

 

Lectures de la messe 

Première lecture
« On mangera, et il en restera » (2 R 4, 42-44)

Lecture du deuxième livre des Rois

En ces jours-là, un homme vint de Baal-Shalisha et, prenant sur la récolte nouvelle, il apporta à Élisée, l’homme de Dieu, vingt pains d’orge et du grain frais dans un sac. Élisée dit alors : « Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent. » Son serviteur répondit : « Comment donner cela à cent personnes ? » Élisée reprit : « Donne-le à tous ces gens pour qu’ils mangent, car ainsi parle le Seigneur : ‘On mangera, et il en restera.’ » Alors, il le leur donna, ils mangèrent, et il en resta, selon la parole du Seigneur.

Psaume
(Ps 144 (145), 10-11, 15-16, 17-18)
R/ Tu ouvres la main, Seigneur : nous voici rassasiés. (Ps 144, 16)

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

Les yeux sur toi, tous, ils espèrent :
tu leur donnes la nourriture au temps voulu ;
tu ouvres ta main :
tu rassasies avec bonté tout ce qui vit.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Il est proche de tous ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

Deuxième lecture
« Un seul Corps, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Ep 4, 1-6)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous exhorte à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous.

Évangile

« Ils distribua les pains aux convives, autant qu’ils en voulaient » (Jn 6, 1-15) Alléluia. Alléluia.
Un grand prophète s’est levé parmi nous : et Dieu a visité son peuple. Alléluia. (Lc 7, 16) 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus passa de l’autre côté de la mer de Galilée, le lac de Tibériade. Une grande foule le suivait, parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait sur les malades. Jésus gravit la montagne, et là, il était assis avec ses disciples. Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche. Jésus leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire. Philippe lui répondit : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain. » Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit : « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! » Jésus dit : « Faites asseoir les gens. » Il y avait beaucoup d’herbe à cet endroit. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes. Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, il les distribua aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient. Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : « Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde. » Ils les rassemblèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge, restés en surplus pour ceux qui prenaient cette nourriture.
À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde. » Mais Jésus savait qu’ils allaient l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul.
Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , , ,

5 août 2015

Le caillou et la barque

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le caillou et la barque

 

Homélie du 19° dimanche du temps ordinaire / Année B
09/08/2015

 

« Imitez Dieu »

Paul n’y va pas par quatre chemins : « cherchez à imiter Dieu » (Ep 4,30- 5,2).

Il est fou de mettre la barre si haut !

On n’est pas des héros, et Dieu est inaccessible comme le rappelle Jésus dans notre évangile : « personne n’a jamais vu le Père ». Comment imiter quelqu’un qu’on ne voit pas ? Le mimétisme repose sur la reproduction de ce qui est vu et entendu. C’est ainsi que les bébés apprennent à sourire, à parler, à marcher… Mais Dieu est invisible ! Et lui c’est lui, nous c’est nous. C’est littéralement surhumain que d’essayer d’agir comme Dieu !

Comment sortir de cette aporie ?

 

Le Christ, icône de Dieu

Le caillou et la barque dans Communauté spirituelle 34524632dieu-jesus-et-l-esprit-saint-jpgLa solution chrétienne à cette impasse est assez élégante. Oui, Dieu est invisible, mais en Jésus de Nazareth il s’est donné à voir, à toucher, à suivre. Dans les évangiles, nous voyons le Christ incarner dans ses gestes, ses paroles, ses attitudes, l’amour même qu’est Dieu. Il accueille les damnés de la terre, il fréquente les intouchables, il est saisi de compassion et guérit autant qu’il peut les malades. Sa vie et son exemple sont si concrets qui nous est facile de savoir en le regardant comment Dieu se comporte. « Qui m’a vu a vu le Père ».

Pourtant, savoir n’est pas encore faire de même.

Nous voyons le Christ pardonner, et nous avons du mal à l’imiter.

Nous le voyons soigner le soldat venu l’arrêter, aller jusqu’à aimer ses bourreaux qui le crucifient, et là nous disons : stop ! Je ne suis pas le bon Dieu, je ne peux pas aller jusque-là…

 

Le caillou et la barque

Alors comment pratiquer ce que Paul commande ? « Vivez ».

Peut-être en voyant en Jésus de Nazareth un passeur plus qu’un modèle.

 Un jour, un chef scout interrogeait un louveteau qui préparait sa promesse :

-  Si je prends un caillou gros comme ça et que je le pose à la surface d’un fleuve, va-t-il couler au fond ou surnager ?
-  Il coulera bien sûr !
-  Et si je prends 100 grosses pierres, que je les place dans une barque et que je pousse la barque au milieu du fleuve, ces pierres vont-elles couler au fond ou surnager ?
-  Elles surnageront, et traverseront le fleuve grâce à la barque.
-  Alors 100 pierres et une barque sont plus légères qu’un seul caillou ?…

L’enfant tout confus ne savait plus quoi répondre.

Le chef scout continua :
- Imagine que le gros caillou c’est la promesse. Si tu comptes la porter tout seul, tu risques de couler en cours de route. Imagine que les 100 grosses pierres sont les commandements de la loi scoute et les principes, les maximes qui vont avec, et que la barque est ton amitié avec Jésus. Alors tu vois que, porté par l’amitié du Christ, tu vas pouvoir traverser le fleuve sur la barque, c’est-à-dire observer les commandements scouts et y être fidèles.

Le Christ est-il pour nous un exemple ou un passeur ? En latin, on dirait : le Christ est-il pour vous exemplum (exemple moral) ou sacramentum (sacrement qui nous fait passer en Dieu) ?

L’exemple (exemplum), c’est celui qu’il faut suivre en faisant plein d’efforts pour être comme lui.

Mais le risque est grand de faire comme le gros caillou qui voulait flotter tout seul et qui a coulé au fond.

Le passeur (sacramentum), c’est la barque qui prend sur elle les 100 pierres. Cette barque les maintient à flot, et les fait traverser le fleuve sur l’autre rive.

« Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements », nous assure le Christ dans l’évangile de Jean. En liant ainsi amour et fidélité, Jésus se révèle plus passeur qu’exemple.

C’est dans l’amour pour lui que nous trouverons le courage de la fidélité, et non l’inverse. Il ne s’agit pas tant de faire des efforts pour être fidèles que d’approfondir notre amour pour lui,  et alors la fidélité viendra.

C’est un peu semblable dans l’amitié ou le couple : c’est souvent la tiédeur qui engendra l’infidélité, la routine qui provoque l’éloignement, le manque d’intensité qui suscite la trahison…

« Si vous m’aimez, nous resterez fidèles à mes commandements ».

 

Le Christ, passeur de Dieu.

Imiter le Christ, ce n’est pas être raidi dans un effort moral pour lui ressembler. C’est au contraire laisser son Esprit, dans la communion avec lui, nous transformer en retour.

Moi je ne sais pas pardonner, mais le Christ en moi peut aimer mes ennemis.

Moi j’ai du mal à me livrer, mais uni au Christ « livré pour la multitude », ce travail se fait en moi, par lui, avec lui et en lui. Comme l’écrit Paul : « ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi ». L’imitation de Jésus-Christ a été un best-seller de la chrétienté. Ce petit ouvrage pouvait quelquefois verser dans le moralisme, mais le plus souvent il suivait ce fil d’Ariane : reste greffé au Christ, et il opérera en toi de grandes choses.

4646947_le_passeur__fond_creme02_WEB communion dans Communauté spirituelle 

L’imitation juive

Les juifs, nos frères aînés (Jean-Paul II), ont à coeur eux aussi d’imiter Dieu. Comme il n’y a pas de médiateur à leurs yeux, ils pratiquent cette imitation à partir de deux sources, toujours valable pour les chrétiens : la Bible, et l’éthique.

La Bible

Car l’Écriture dévoile l’image de Dieu en l’homme, en chaque homme. Par exemple, si les juifs les premiers appellent Dieu : notre père, ce n’est pas parce que Dieu  ressemblerait à nos parents, mais parce que à l’inverse nos parents sont créés à l’image de Dieu, source de toute paternité et de toute vie. C’est en scrutant les Écritures, en prenant le temps de l’étude des textes, qu’un père découvrira comment Dieu est Père en plénitude, qu’une mère découvrira les entrailles de Dieu à la source de son amour pour ses enfants. La Bible - lue, étudiée, psalmodiée - est la référence première pour qui veut aimer comme Dieu aime.

 

9782743604042 exempleL’éthique

La deuxième référence juive est sans aucun doute l’éthique. Respecter les 613 commandements est la base une vie humaine droite, telle que Dieu l’a voulue : à son image. Le philosophe Emmanuel Levinas par exemple a écrit des pages admirables sur cette primauté de l’éthique dans la pensée juive. Celui qui respecte l’altérité des autres êtres humains, en le considérant comme un impératif absolu, celui-là agit selon le coeur de Dieu. Évidemment, pour les chrétiens, l’éthique demeure : c’est bien un chemin pour ressembler à Dieu. Mais en régime chrétien, l’éthique est davantage une conséquence qu’un préalable. Ce qui compte, c’est la vie dans l’Esprit saint, dont le fruit sera une éthique venant de l’intime de Dieu. La grâce est plus fondamentale que la loi, l’Esprit plus que la lettre, la communion plus que la morale. Sans que pour autant les premiers contredisent les seconds : au contraire, ils les accomplissent.

 

Imiter Dieu n’est pas un marathon épuisant : c’est une transformation qu’il nous est donné de vivre en participant à l’amour divin.

En communion au pain vivant descendu du ciel, comme l’écrit Jn 6, nous ravivons en nous le désir d’agir comme le Christ, parce que unis à lui ; nous ranimons la faim  d’aimer comme lui parce que aimés par lui.

C’est ainsi que nous est donnée jour après jour la force d’imiter Dieu en toutes choses.

 

 

1ère lecture : Élie fortifié par le pain de Dieu (1R 19, 4-8)

Lecture du premier livre des Rois

Le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. »
Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! »
Il regarda, et il y avait près de sa tête un pain cuit sur la braise et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit.
Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! Autrement le chemin serait trop long pour toi. »
Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.

Psaume : 33, 2-3, 4-5, 6-7, 8-9

R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur !

Je bénirai le Seigneur en tout temps, 
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur : 
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Magnifiez avec moi le Seigneur, 
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond : 
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira, 
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend : 
il le sauve de toutes ses angoisses.

L’ange du Seigneur campe à l’entour 
pour libérer ceux qui le craignent.
Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! 
Heureux qui trouve en lui son refuge !

2ème lecture : Vivez dans l’amour (Ep 4, 30-32; 5, 1-2)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens

Frère, en vue du jour de votre délivrance, vous avez reçu en vous la marque du Saint Esprit de Dieu : ne le contristez pas. Faites disparaître de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix ou insultes, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ.

Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré pour nous en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait lui plaire.

Evangile : Le pain de la vie éternelle (Jn 6, 41-51)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Tu es le pain vivant venu du ciel, Seigneur Jésus. Qui mange de ce pain vivra pour toujours. Alléluia. (cf. Jn 6, 50-51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Comme Jésus avait dit : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel », les Juifs récriminaient contre lui : « Cet homme-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire : ‘Je suis descendu du ciel’ ? »
Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire vers moi, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Tout homme qui écoute les enseignements du Père vient à moi. Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi a la vie éternelle. Moi, je suis le pain de la vie.
Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais ce pain-là, qui descend du ciel, celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
Patrick Braud

Mots-clés : , , , , , ,
123