L'homélie du dimanche (prochain)

3 juillet 2017

Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?

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Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?


Homélie du 14° dimanche du temps ordinaire / Année A
09/07/2017

C’est dans la fournaise qu’on voit l’humble

En joug, et à deux !

Plus humble que Dieu, tu meurs !

Dieu est le plus humble de tous les hommes


Macron LouvreL’humble roi annoncé par Zacharie

Les images de la mise en scène quasi royale de la prise de pouvoir par Emmanuel Macron en France ont fait le tour du monde. Sorti de l’ombre, seul, marchant vers la lumière de la pyramide du Louvre au son de l’ode à la joie de la neuvième symphonie de Beethoven : voilà une liturgie républicaine inspirée des ors de l’ancien régime ! Ce style très « jupitérien » [1] semble à l’opposé de l’annonce faite par le prophète Zacharie à Jérusalem :
« Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. » (Za 9,9)
Impossible pour les chrétiens de ne pas y reconnaître le style évangélique de l’entrée de Jésus à Jérusalem, monté sur un âne et foulant les rameaux au son des Hosanna ! de la foule…

Deux styles de gouvernement très opposés donc. On objectera que les temps ont changé et qu’il faut bien assumer aujourd’hui les insignes du pouvoir. On répétera à l’envie que la présidence française avait bien besoin d’être resacralisée comme du temps de De Gaulle, que les autres chefs d’État ont tous recours à de telles symboliques, que les Français adorent finalement retrouver inconsciemment la figure du roi dont ils ne se pardonnent pas l’exécution en 1793…

GhandiPourtant, les plus anciens n’ont pas oublié les pieds nus et l’humble drapé de Gandhi parcourant la planète pour la liberté de l’Inde et la non-violence. Pourtant, la simplicité de Nelson Mandela devenant le premier président noir de l’Afrique du Sud a ému aussi le monde entier. Elle démontrait que l’attente des peuples est en phase avec ce mode d’exercice du pouvoir qu’est l’humilité biblique. Rappelez-vous encore la pompe des papes des siècles précédents : la tiare, la chaise à porteurs, les vêtements ridicules à force d’accumuler les usages d’autrefois… Jean XXIII a vendu cette tiare pour donner l’argent aux pauvres, et a remisé au musée la chaise à porteurs. Le pape François se déplace maintenant le plus possible à pied, et aime les contacts directs avec les populaces des favelas où des slums.

Bref, en politique comme partout ailleurs, le fond c’est la forme. La manière dont un puissant exerce son pouvoir en dit long sur le contenu de son action. « Le style c’est l’homme » : Buffon avait raison de nous avertir !

Il ne suffit pas d’inviter nos politiques à convertir leur style de vie. Moraliser la vie politique est un chantier important, qui doit nous renvoyer au style de gouvernement qui est le nôtre également, en famille, en entreprise, dans l’associatif.

 

L’humilité en entreprise

Isaac Getz commence son livre [2] sur les sources inspirantes pour libérer l’entreprise d’aujourd’hui par cette citation de Lao Tseu :

« Si le sage désire être au-dessus du peuple,
Il lui faut s’abaisser d’abord en paroles ;
s’il désire prendre la tête du peuple,
il lui faut se mettre au dernier rang. »

Il continue :

Quand j’en ai fait part à Bob Davids (patron du vignoble Sea Smoke Cellors), j’ai reçu la réponse suivante :
« Ces mots devraient être affichés en bonne place sous les yeux de tous les leaders qui pensent qu’ils ont besoin d’un bureau de luxe, d’une voiture de luxe, de sièges d’avion en 1° classe. Quand ils se rendent différents des gens, ils se rendent incapables d’être des leaders. »

En entreprise, on commence à redécouvrir les vertus de l’humilité et du service. Un chef qui se montre hautain et réservé, qui descend rarement ou avec condescendance de sa sphère de pouvoir ne pourra pas gagner l’attachement et l’engagement de ses équipes. Le style de management conditionne largement l’efficacité de l’équipe managée.

Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ? dans Communauté spirituelle 1090875553Lazlo Bock, vice-président DRH chez Google, a lancé un pavé dans la marre en annonçant que l’humilité est pour lui un trait de personnalité déterminant chez les candidats cadres-dirigeants. Une étude de la très sérieuse revue Harvard Business Review de 2014 [3] semble lui donner raison puisque sur des centaines d’entreprises analysées, elle a révélé que l’altruisme, les actes désintéressés et la modestie des leaders étaient des facteurs d’optimisation des performances de l’entreprise. Les leaders altruistes favorisent l’intégration des salariés, la cohésion, le sentiment d’appartenance à une culture d’entreprise, le sentiment de reconnaissance et, in fine, les performances des équipes. Un leadership moins égocentrique stimule l’innovation et les propositions émanant des salariés.

L’humilité intellectuelle vantée par le DRH de Google se manifeste notamment par 4 comportements :

- Une attitude modeste
- La possibilité offerte à tous d’apprendre et de se perfectionner
- La prise de risque pour défendre des intérêts collectifs
- La responsabilisation de chacun, notamment des salariés

Regardez l’humilité de Zidane dans sa gestion du formidable vivier footballistique du Real Madrid : deux titres consécutifs de champion d’Europe et un palmarès impressionnant pour cet  entraîneur d’à peine 2 ans. Or Zidane a cette gentillesse et cette humilité qui lui gagnent le cœur des plus grands, et lui confère une autorité morale indiscutée.

Car c’est bien le paradoxe que ne voient pas les orgueilleux : l’autorité véritable et pérenne est largement accordée aux humbles, alors que la superbe des patrons en surplomb de leurs équipes ne génère que soumission lâche, adhésion de façade, désengagement ou violence grandissante chez ceux qu’on ignore. « Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre »  prophétise Zacharie, car ce roi humble et ouvert sera respecté de tous.

Le lien humilité-autorité tient à ce que Hannah Arendt appelait « faire autorité ». On se rallie librement et avec enthousiasme à quelqu’un dont on sent qu’il est au service des autres, et non là pour servir pour sa propre gloire. Jésus, doux et humble de cœur, faisait autorité justement parce qu’on voyait bien qu’il n’était pas là pour profiter de son charisme. Il parlait en homme qui a autorité non pas en imposant d’en haut sa volonté, mais en se mettant à égalité avec ses interlocuteurs. Le mot humus qui a donné humilité évoque ce ras-de-terre où l’on voit les choses du point de vue des autres. Quand il devait trancher au nom de son identité divine (ex: « on vous a dit… eh bien moi je vous dis… » Mt 5) c’était à chaque fois en faveur de ceux que les puissants oppressent, et non pour asseoir son propre pouvoir. D’où l’adhésion enthousiaste des foules qui reconnaissaient en lui la conjonction tant attendue de la force et du service, de l’humilité et de l’autorité, de la gloire d’un seul et de la gloire de tous.


Humilité et non-violence 

Autre détail : le roi annoncé par Zacharie annonce la fin de la guerre, la fin du commerce des armes :

Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. (Za 9,10)

 humilité dans Communauté spirituelleÉvidemment, dans le contexte actuel, tout le monde répétera : ‘il faut faire la guerre au terrorisme ; il faut armer ceux qui résistent aux fanatiques. Il faut bombarder, détruire et anéantir les forces du mal. D’ailleurs, cela développe notre industrie de l’armement et génère des emplois’. Sans doute il y a un temps pour faire la guerre, comme ce fut le cas en 1939 contre Hitler. Mais il y a également un temps pour faire la paix, rappelle l’Ecclésiaste, et ce temps devra venir. C’est l’honneur du politique de préparer ce chemin de réconciliation et de respect ou les armes deviennent inutiles, où les musulmans les plus radicaux n’auront plus besoin de recourir aux attentats pour se sentir respectés, où les démocraties menacées n’auront plus besoin d’envahir ou de bombarder pour se défendre… Utopique ? Les plus anciens se souviennent qu’il était utopique de parler d’amitié franco-allemande après 1945, de vouloir le désarmement nucléaire au cœur de la guerre froide, la fin de l’apartheid ou récemment la fin des énergies polluantes.

 

Humilité et pauvreté

Le dernier lien évoqué par la prophétie de Zacharie concerne la relation entre humilité et pauvreté : annoncer « un roi humble et pauvre » ne correspond guère aux canons de la pensée ordinaire que l’on a du pouvoir… Et pourtant l’exemplarité des chefs commence par le désintéressement pécuniaire. Les affaires Cahuzac, Fillon, Ferrand etc. montrent que le peuple ne supporte plus de voir s’enrichir personnellement ceux qui devraient le servir.

L’idéal d’humilité et de pauvreté que Zacharie applique au pouvoir royal vaut également pour chacun de nous, là où il a du pouvoir à exercer. Et qui n’en a pas ?

Que voudrait donc dire être humble et pauvre dans l’exercice de notre autorité familiale, professionnelle, associative ?

 


[1] . Cf. l’interview d’Emmanuel Macron dans Challenges du 16/10/2016 où il reproche à François Hollande de ne pas croire au président « jupitérien ».

[2] . GETZ Isaac, La liberté, ça marche ! L’entreprise libérée. Les textes qui l’ont inspirée, les pionniers qui l’ont bâtie, Flammarion, 2016, p. 10.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Voici ton roi qui vient à toi : il est pauvre » (Za 9, 9-10)
Lecture du livre du prophète Zacharie

Ainsi parle le Seigneur : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. »

PSAUME
(Ps 144 (145), 1-2, 8-9, 10-11, 13cd-14)
R/ Mon Dieu, mon Roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais ! ou : Alléluia ! (Ps 144, 1)

Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi ;
je bénirai ton nom toujours et à jamais !
Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour.
La bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits,

Le Seigneur est vrai en tout ce qu’il dit,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent,
il redresse tous les accablés.

DEUXIÈME LECTURE
« Si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez » (Rm 8, 9.11-13)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. Ainsi donc, frères, nous avons une dette, mais elle n’est pas envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez.

ÉVANGILE
« Je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 25-30)
Alléluia. Alléluia. Tu es béni, Père, Seigneur du ciel et de la terre, tu as révélé aux tout-petits les mystères du Royaume ! Alléluia. (cf. Mt 11, 25)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler.

 Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. »
Patrick BRAUD

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24 novembre 2012

Non-violence : la voie royale

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Non-violence : la voie royale

Homélie pour la fête du Christ Roi
25/11/2012

La preuve suprême de la puissance, c’est de ne pas l’utiliser

« Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d’ici. » (Jn 18,36)

La preuve suprême de la royauté de Jésus réside ici dans sa non-violence.

« Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? » (Mt 26,53)

Le refus d’utiliser la force armée, la contrainte, la puissance pour se faire reconnaître cause à la fois sa perte et sa grandeur.

À la différence des rois d’Israël qui voyaient dans leurs succès militaires la preuve de l’élection divine, à la différence de Mahomet qui imposa par l’épée l’islam aux pays arabes, Jésus – lui – a préféré perdre son procès plutôt que de s’imposer, être rayé du monde des vivants plutôt que de tuer lui-même, être assimilé à un maudit plutôt que de maudire.

Or il avait cette puissance, et il aurait pu l’exercer pour dominer ses accusateurs. Mais il préfère garder le silence, se laisser maltraiter, éliminer, plutôt que d’obliger Hérode à croire en lui grâce à des prodiges époustouflants, plutôt que de forcer Pilate à s’incliner devant lui en se montrant dans toute sa gloire.

Étonnante stratégie que cette non-violence royale.

Seul les forts qui n’ont pas de doute sur leur identité peuvent ainsi accepter de ne pas recourir à la violence pour l’imposer.

Seul les forts ne se sentent pas déstabilisés par l’agression d’autrui, au point de n’avoir pas besoin de rétablir la vérité qui finira toujours par triompher d’elle-même tôt ou tard.

Cette non-violence fut caractéristique des premiers témoins du Christ : les martyrs dans l’arène romaine ne criaient pas leur haine et ne se débattaient pas violemment contre leurs ennemis. Non : ils chantaient, ils priaient pour ceux qui les persécutaient. Ils ne prêchaient pas le soulèvement armé pour résister à Néron, car ils savaient que la violence n’aurait alors fait que changer de maître, pas de nature. À la différence des djihadistes et autres kamikazes qui croient servir leur Dieu à travers des attentats, des suicides explosifs, des violences terroristes, les martyrs chrétiens témoignent depuis 2000 ans que la violence ne sert finalement à rien. Elle est non seulement inefficace, mais également contre-productive : la violence nourrit le sentiment de revanche, la force nourrit la haine, la victoire des armes prépare la défaite dans les coeurs.

Et surtout, la violence est contraire à la royauté du Christ : la façon dont le Christ désire régner est celle de l’amour, librement choisi et donné.

Explorons le rôle qu’a joué la violence dans la vie de Jésus, en pensant à la nôtre bien sûr.

 

La violence comme réponse à l’Évangile

Dès sa naissance, Jésus semble déchaîner la violence autour de lui par sa seule présence. Non-violence : la voie royale dans Communauté spirituelle massacre-des-innocents-poussinLe massacre des innocents rapporté par Luc a sûrement pour but de faire un parallèle inversé entre la naissance de Jésus et la libération d’Égypte marquée par la 10° plaie où les premiers-nés égyptiens sont exterminés par l’ange de la mort. Quoi qu’il en soit de la réalité historique, la réaction du roi Hérode à la bonne nouvelle de la naissance du Messie est passée rapidement de la curiosité à la jalousie meurtrière.
Voilà donc un roi qui envoie ses gardes contre celui qui refusera de faire de même…

Par la suite, les paroles et les actes de Jésus susciteront tellement de crainte de la part des puissants qu’ils vont s’allier pour conspirer contre lui, et le faire tomber sous de fausses accusations. Plusieurs fois on veut lapider ce prophète si radical ; plusieurs fois on lui manifeste mépris et exclusion. Et bien sûr, toute cette opposition culminera lors du procès et de la Passion en violence physique, morale, religieuse d’une intensité indicible.

 

La violence de l’Évangile

Jésus refuse de s’imposer par la force, et pourtant il n’hésite pas à utiliser une certaine forme de violence au service de l’Évangile. Quand il chasse les vendeurs du Temple de Jérusalem à coups de fouet (Jn 2,15), on est loin d’un doux Jésus sulpicien et un peu guimauve. Quand il traite les pharisiens d’hypocrites (Mt 23, 13-29) et les scribes de sépulcres blanchis (Mt 23,27) on ne peut pas dire qu’il soit mièvre ou « peace and love » ; quand il défie Hérode, « ce renard » (Lc 13,32), ou les juifs qu’il accuse d’avoir le diable, le menteur pour Père (Jn 8,44), il est plus proche du Jésus de Pasolini (dans le film l’Évangile selon Matthieu, 1964) que de celui de Zeffirelli (dans le film Jésus de Nazareth, 1977).

D’ailleurs Jésus a diagnostiqué que le royaume de Dieu souffre violence : « le Royaume de Dieu est annoncé, et tous s’efforcent d’y entrer par violence » (Lc 16,16).

S’il est non violent, Jésus n’en est pas pour autant dépourvu de combativité : son fighting spirit se traduit en gestes symboliques perçus comme scandaleux et en paroles tranchantes.

 

Le roi non-violent

Reste que la formidable puissance dont il dispose, Jésus n’a jamais voulu l’utiliser contre ses détracteurs. Il a déçu nombre de ses disciples à cause de cela, en refusant de les lancer dans la lutte armée contre l’occupant romain. Judas en sera tellement meurtri qu’il le livrera aux chefs du peuple.

Piètre révolutionnaire qui n’organise pas ses troupes pour la conquête du pouvoir !

Sans doute Jésus sait-il d’expérience – la longue expérience d’Israël remplie de sang et de vengeance – que l’usage de la force n’engendre qu’injustice et ressentiment de génération en génération : « Remets ton épée à sa place; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. » (Mt 26,52)

Plus encore, parce qu’il reçoit sa royauté de son Père, Jésus est non violent par nature.

Car Dieu règne lorsque la libre adhésion de ses amis les fait entrer dans son intimité. Pas lorsqu’on veut imposer la foi en forçant les consciences et les libertés.

9782873564599 Christ dans Communauté spirituelleLa non-violence de Jésus, en ce sens, ne ressemble pas à celle de Gandhi ou de Martin Luther King : c’est plutôt l’inverse. La non-violence du Christ est à la source de notre courage non-violent. C’est en le contemplant que nous pouvons trouver la force de ne pas céder à la violence. C’est en le suivant que nous pouvant endurer sans répondre au mal par le mal. C’est en communiant à son être que nous adopterons une juste attitude vis-à-vis de ceux qui nous font souffrir.

Ni vengeance ni lutte armée : la royauté du Christ nous indique une autre voie pour régler nos conflits, nos inévitables dissensions.

Alors, devant Pilate, Jésus est lucide : la violence de la justice romaine va le broyer, il le sait bien ; la haine des responsables juifs va l’humilier, il en a transpiré du sang à Gethsémani ; l’aveuglement de la foule va demander sa crucifixion, il y est préparé. Ce n’est pas en luttant par les armes que lui ou ses disciples pourraient renverser la situation. C’est en aimant jusqu’au bout ceux qui le détestent que la royauté du Christ vaincra le déferlement de violence qui s’abat sur lui.

Le concile Vatican II le dira en une formule-clé : « le Concile déclare [?] que la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. » (Dignitatis Humane 1)

 

La non-violence évangélique est encore une idée neuve dans notre humanité.

De nos familles aux peuples des nations, en passant par nos entreprises ou nos quartiers, c’est la voie royale pour devenir avec le Christ de véritables artisans de paix autour de nous. 

 

1ère lecture : La royauté du Fils de l’homme (Dn 7, 13-14)

Lecture du livre de Daniel

Moi, Daniel,
je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui.
Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et toutes les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

Psaume : 92, 1abc, 1d-2, 5

R/ Jésus Christ, Seigneur, tu règnes dans la gloire.

Le Seigneur est roi ;
il s’est vêtu de magnificence,
le Seigneur a revêtu sa force. 

Et la terre tient bon, inébranlable ;
dès l’origine ton trône tient bon,
depuis toujours, tu es.

Tes volontés sont vraiment immuables :
la sainteté emplit ta maison,
Seigneur, pour la suite des temps.

2ème lecture : Le sacerdoce royal des sauvés (Ap 1, 5-8)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Que la grâce et la paix vous soient données, de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-né d’entre les morts, le souverain des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père, à lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Amen.
Voici qu’il vient parmi les nuées, et tous les hommes le verront, même ceux qui l’ont transpercé ; et, en le voyant, toutes les tribus de la terre se lamenteront. Oui, vraiment ! Amen !
Je suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, je suis celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.

Evangile : « Je suis roi » (Jn 18, 33-37)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Béni soit le règne de David notre Père, le Royaume des temps nouveaux ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Alléluia. (cf. Mc 11, 10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Lorsque Jésus comparu devant Pilate, celui-ci l’interrogea : « Es-tu le roi des Juifs ? »
Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d’autres te l’ont dit ? »
Pilate répondit : « Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta nation et les chefs des prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? »
Jésus déclara : « Ma royauté ne vient pas de ce monde ; si ma royauté venait de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d’ici. »
Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »
Patrick Braud

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26 juin 2010

Du feu de Dieu !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Du feu de Dieu !

 

Homélie du 13° Dimanche du temps ordinaire / Année C

27/06/2010


« Ça marche du feu de Dieu ! »…

Qui n’a pas entendu ou utilisé cette expression enthousiaste qui salue le succès de l’action entreprise ?

Il vient de la Bible, ce « feu de Dieu » si prometteur. Mais l’évangile d’aujourd’hui semble prendre ses distances avec une démonstration de force de cette nature.

« – Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ?

- Mais Jésus se retourna et les interpella vivement. »

Pourquoi Jésus réagit-il ainsi, au lieu justement de montrer sa puissance, et de confondre radicalement ses adversaires ?

 

Reprenons l’histoire de cette expression : « le feu de Dieu », dans la Bible.

 

Du feu de Dieu ! dans Communauté spirituelle ch4ao9l4* Quand il tombe du ciel, le feu fait immanquablement penser à la foudre. Ce phénomène naturel a si fortement impressionné les civilisations traditionnelles qu’elles voyaient dans la foudre l’intervention de Dieu sur terre, avec terreur et tremblement.

Comme toute manifestation du sacré, cette théophanie est ambivalente, et peut signifier soit l’agrément par Dieu d’une demande de l’homme, soit au contraire la punition divine qui s’exerce en direct contre l’homme.

 

* Le premier sens, positif, du « feu de Dieu » se retrouve par exemple avec David. Il vient de recenser son peuple, et Dieu lui reproche ce péché d’orgueil (compter sur ses propres forces plus que compter sur Dieu seul). Dieu veut frapper le peuple de la peste en punition de cet orgueil. Mais David intercède, et pour cela construit un autel en offrant à Yahvé des holocaustes très chers pour lui demander d’épargner son peuple. « Alors Yahvé fit tomber le feu du ciel sur les holocaustes des sacrifices de David » (1Ch 21, 26). Et à partir de là, Dieu renonce à son châtiment.

Le « feu de Dieu »  est ici le signe de la miséricorde divine qui, à la prière humaine, accepte de détourner sa colère.

 

L’épisode se reproduit avec Salomon, pour que Dieu accepte d’habiter le Temple de Jérusalem. Après la consécration du Temple, Salomon prie, et le feu tombe du ciel pour agréer son offrande et faire du Temple un lieu de prière pour toutes les nations (2Ch 7,1).

Ces deux épisodes sont rappelés en 2Ma 2,10.

 

Le feu de Dieu qui tombe du ciel peut donc marquer l’agrément positif d’un Dieu qui accepte l’offrande humaine et s’engage à nouveau en alliance avec lui. L’expression en français vient sans doute de là.

* Le deuxième usage du « feu de Dieu » est nettement plus négatif, et plus courant dans la Bible. C’est le signe de la colère et de la punition divine.

C’est à cela que pense Luc dans notre évangile ; et encore plus loin, en 17,29, lorsqu’il rappelle que « Dieu fit pleuvoir du ciel du feu et du soufre sur Sodome », et qu’il en sera de même au jour du fils de l’Homme.

 

Le pauvre Job subit cette épreuve : « le feu de Dieu est tombé du ciel ; il a brûlé tes brebis et tes bergers » (Job 1,16). Le feu du ciel est ici synonyme du malheur innocent et injuste. C’est précisément parce qu’il est profondément injuste que Jésus condamne cet usage de la force divine, et oblige ses disciples rester non-violents.

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Le prophète Élie a lui aussi utilisé cette arme redoutable : pour battre les prophètes de Baal au mont Carmel dans leur concours d’holocaustes qui devaient s’enflammer (1R 18,38), pour faire dévorer ses ennemis qui consultaient d’autres dieux (2R 1,10 ; cf. Si 48,3).

Redoutable instrumentalisation de la puissance divine !

Élie apprendra à ses dépens, grâce à l’humble veuve de Sarepta, que forcer la main de Dieu pour une démonstration de violence ne convient pas du tout au Dieu d’Israël?

 

Jésus dénonce avec force le coup de force.

Jésus refuse vivement cette instrumentalisation de la puissance. Il sait qu’elle peut être malsaine, à l’image de la Bête de l’Apocalypse (la fameuse, dont le chiffre est 666), qui accomplit le prodige de faire descendre le feu du ciel sur la terre pour amener les hommes à l’adorer (Ap 13,13). L’instrumentalisation de cette violence se retournera contre le violent : l’immense armée de Satan sera dévorée par le feu descendu du ciel (Ap 20,9)

 

* On le voit : la tentation est grande, la tentation est constante d’utiliser le feu du ciel pour éliminer ceux qui ne pensent pas comme nous.

Du Hezbollah au Mossad, des fanatiques religieux à la nomenklatura stalinienne, des djihadistes à la Corée du Nord, beaucoup voudraient forcer le feu du ciel à tomber sur leurs ennemis pour les détruire.

 

Plus proche de nous, chacun n’est-il pas tenté d’utiliser la violence pour montrer qu’il a raison ? d’utiliser la prière pour servir ses intérêts, contre les gêneurs ? d’instrumentaliser Dieu pour le forcer à prendre parti dans nos querelles ? de se servir de sa puissance au lieu de servir sa volonté ?

 

En interpellant vivement Jacques et Jean qui réclament « le feu de Dieu » sur leurs ennemis, Jésus conteste radicalement cette instrumentalisation du Nom de Dieu hélas si courante aujourd’hui. Il les initie en même temps à l’amour des ennemis, clé de voûte du christianisme, qui est à rebours de cette volonté de puissance sur l’autre.

 

N’utilisez pas votre foi pour vous imposer avec violence !

Renoncez à instrumentaliser Dieu dans vos conflits politiques, économiques, familiaux, professionnels… Laissez Dieu être Dieu !

Renoncez à la violence pour convaincre.

Prenez plutôt avec courage votre chemin vers votre Jérusalem.

N’ayez pas d’autres rêves de puissance que d’être sans pierre où reposer la tête, libres de toute obligation sociale – même de deuil -, sans regarder en arrière…

 

 

 

 

1ère lecture : Élisée abandonne tout pour suivre Élie (1R 19, 16b.19-21)

 

Lecture du premier livre des Rois

Le Seigneur avait dit au prophète Élie : « Tu consacreras Élisée, fils de Shafate, comme profète pour te succéder. »
Élie s’en alla. Il trouva Élisée, fils de Shafate, en train de labourer. Il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième. Élie passa près de lui et jeta vers lui son manteau.
Alors Élisée quitta ses boeufs, courut derrière Élie, et lui dit : « Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis je te suivrai. » Élie répondit : «Va-t’en, retourne là-bas ! Je n’ai rien fait. »
Alors Élisée s’en retourna ; mais il prit la paire de boeufs pour les immoler, les fit cuire avec le bois de l’attelage, et les donna à manger aux gens. Puis il se leva, partit à la suite d’Élie et se mit à son service.

 

Psaume : Ps 15, 1.2a.5, 7-8, 9-10, 2b-11

 

R/ Dieu, mon bonheur et ma joie !

Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait  de toi mon refuge.
J’ai dit au Seigneur : « Tu es mon Dieu !
Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

Je bénis le Seigneur qui me conseille :
même la nuit mon c?ur m’avertit.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon c?ur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

Je n’ai pas d’autre bonheur que toi.
Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !

 

2ème lecture : L’Esprit s’oppose à la chair et nous rend libres (Ga 5, 1.13-18)

 

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates

Frères,
si le Christ nous a libérés,
c’est pour que nous soyons vraiment libres. Alors tenez bon, et ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage.
Vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres.
Car toute la Loi atteint sa perfection dans un seul commandement, et le voici :Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres.
Je vous le dis : vivez sous la conduite de l’Esprit de Dieu ; alors vous n’obéirez pas aux tendances égoïstes de la chair.
Car les tendances de la chair s’opposent à l’esprit, et les tendances de l’esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire ce que vous voudriez.
Mais en vous laissant conduire par l’Esprit, vous n’êtes plus sujets de la Loi.

 

Evangile : Suivre Jésus sans condition sur la route de la Croix (Lc 9, 51-62)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il prit avec courage la route de Jérusalem.
Il envoya des messagers devant lui ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue.
Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem.
Devant ce refus, les disciples Jacques et Jean intervinrent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ? »
Mais Jésus se retourna et les interpella vivement.
Et ils partirent pour un autre village.
En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. »
Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. »
Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le règne de Dieu. »
Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. »
Jésus lui répondit : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu. » 

Patrick Braud

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