L'homélie du dimanche (prochain)

9 juin 2024

Dieu comble son bien-aimé quand il dort

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu comble son bien-aimé quand il dort

 

Homélie pour le 11° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

16/06/24

 

Cf. également :

La croissance illucide
Un Royaume colibri, papillon, small, not big
Le management du non-agir
L’ « effet papillon » de la foi
Le petit reste d’Israël, ou l’art d’être minoritaires
Le pourquoi et le comment
Le semeur de paraboles
Foi de moutarde !
Maintenant, je commence


Dors là-dessus…

Dieu comble son bien-aimé quand il dort dans Communauté spirituelle vue-dessus-femme-souriante-se-detendre-dormir-canape-maison_225067-100Avez-vous déjà fait cette expérience ? Au lycée ou en prépa, lorsqu’un exercice de maths bien difficile m’avait torturé de longues heures sans que j’arrive à le résoudre, je le laissais volontairement de côté pour le lendemain. Mais, avant de m’endormir, j’orientais ma pensée et mon imagination vers ses symboles, ses courbes, ses équations. Le lendemain matin, comme par magie, tout s’était dénoué, et je pouvais avant mon petit déjeuner coucher sur ma copie la solution au problème d’un seul trait, devenue évidente entre-temps.

La nuit porte conseil, dit à raison la sagesse populaire. Que ce soit pour un problème de maths, une décision importante ou un choix crucial, mieux vaut ne pas agir trop vite et laisser la difficulté décanter durant la nuit.

 

Jésus avait peut-être lui aussi résolu ses problèmes de maths du lycée de Nazareth en dormant sur sa copie… En tout cas, il avait observé la croissance des plantes et des végétaux dans les champs et combien l’agriculteur y était pour peu de choses :

« Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé” » (Mc 4,26-29).

 

Il semblerait donc qu’être un gros dormeur soit un avantage spirituel conséquent…

L’énergie vitale de la plante / du royaume de Dieu se déploie d’elle-même, que nous y collaborions ou pas. Et en plus, elle nous échappe, non maîtrisable : « il ne sait pas comment ».

Le sommeil est le lieu emblématique où il devient manifeste que cela ne vient pas de nous, mais de Dieu. « En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur : Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (Ps 127,2)

Le riche compte sa puissance, ses forces, son argent, et en conséquence dort mal. Le pauvre fait confiance car il compte sur Dieu. « Le travailleur dormira en paix, qu’il ait peu ou beaucoup à manger, alors que, rassasié, le riche ne parvient pas à dormir » (Qo 5,11).

 

14-565337 Eckhart dans Communauté spirituelle

L’échelle du songe de Jacob

On n’en finirait pas d’égrener les sommeils bibliques où quelque chose de du royaume de Dieu s’est joué, à notre insu, sans que nous y soyons pour grand-chose.

 

Péguy devait être lui aussi un gros dormeur, car il fait l’éloge du sommeil dans « Le Porche de la deuxième vertu » :

Celui qui a le cœur pur, dort. Et celui qui dort a le cœur pur.
C’est le grand secret d’être infatigable comme un enfant.
D’avoir comme un enfant cette force dans les jarrets.
Ces jarrets neufs, ces âmes neuves
Et de recommencer tous les matins, toujours neuf,
Comme la jeune, comme la neuve Espérance. 

Or on me dit qu’il y a des hommes
Qui travaillent bien et qui dorment mal.
Qui ne dorment pas. Quel manque de confiance en moi ! […]

Je ne parle pas, dit Dieu, de ces hommes
Qui ne travaillent pas et qui ne dorment pas. 

Ceux-là sont des pécheurs, c’est entendu. C’est bien fait pour eux. Des grands pécheurs. Ils n’ont qu’à travailler.

Je parle de ceux qui travaillent et qui ne dorment pas.
Je les plains. Je parle de ceux qui travaillent, et qui ainsi
En ceci suivent mon commandement, les pauvres enfants. 

Et qui d’autre part n’ont pas le courage, n’ont pas la confiance, ne dorment pas.

Je les plains. Je leur en veux. Un peu. Ils ne me font pas confiance.

Comme l’enfant se couche innocent dans les bras de sa mère ainsi ils ne se couchent point,

Innocents, dans les bras de ma Providence. 

Ils ont le courage de travailler. Ils n’ont pas le courage de ne rien faire.

 

Ne pas dormir signifie alors se crisper sur sa seule action, croire que tout dépend de soi, et faire obstacle au travail de Dieu en voulant se substituer à lui ! Laisser Dieu agir n’implique pas de se tourner les pouces, mais de collaborer sans entraver, d’accompagner sans tout vouloir contrôler, de faire confiance sans tout planifier.

 

Le non-agir de Maître Eckhart

granumPlaca non-agirLes saints et les mystiques comprennent cela mieux que les savants, car ils se laissent guider au lieu de construire selon leur plan. Maître Eckhart au XIV° siècle a engagé la mystique rhénane dans cette quête incandescente du non-agir spirituel, à la fine pointe de la convergence avec d’autres traditions mystiques non chrétiennes : taoïstes, soufies ou bouddhistes notamment.

Maître Eckhart a entendu l’appel du Christ à laisser croître le royaume de Dieu comme un détachement radical de ses propres œuvres.

À l’image de Marie qui engendre le Verbe de Dieu en elle en laissant faire l’Esprit, chaque chrétien est appelé à engendrer le Christ en lui en se laissant façonner par Dieu dans la vie spirituelle. Il ne s’agit plus alors d’agir par soi-même (avec orgueil), ni même d’agir pour Dieu (ce qui est encore se substituer à lui), mais de laisser Dieu agir en soi et à travers soi.

« Dieu n’est en rien de rien tenu par leurs œuvres et leurs dons, à moins que de bon gré il ne veuille le faire de par sa grâce et non en raison de leurs œuvres ni en raison de leur don, car ils ne donnent rien qui soit leur et n’opèrent pas non plus à partir d’eux-mêmes, ainsi que dit Christ lui-même : ‘Sans moi vous ne pouvez rien faire’.

(…) C’est ainsi que devrait se tenir l’homme qui voudrait se trouver réceptif à la vérité suprême et vivant là sans avant et sans après et sans être entravé par toutes les œuvres et toutes les images dont il eut jamais connaissance, dépris et libre, recevant à nouveau dans ce maintenant le don divin et l’engendrant en retour sans obstacle dans cette même lumière avec une louange de gratitude en Notre Seigneur Jésus Christ (Maître Eckhart, Sermon n°1).

Le baptisé devient alors un authentique homme d’action, mais d’une action qu’il ne veut pas en propre, qui lui est donnée d’accomplir sans la rechercher particulièrement. Dieu agit en lui sans qu’il ait à se forcer pour accomplir l’œuvre de Dieu.

« Ce point est la montagne
à gravir sans agir (…)
la voie te conduit
au Désert admirable (…) ».

Maître Eckhart, Granum Sinapis

 

La procrastination structurée

procrastinate+now+and+panic+later PéguyProcrastiner, c’est remettre à demain (en latin : pro = pour / cras = demain). Contrairement à l’adage : ‘ne remet pas au lendemain ce que tu peux faire aujourd’hui’, le procrastinateur va s’ingénier à reporter à demain le plus possible de tâches ingrates, difficiles, auxquelles il n’est pas prêt, pour n’exécuter aujourd’hui que ce qu’il doit ou peut réellement faire. Dans la vie professionnelle par exemple, c’est fou le nombre de mails auxquels il est urgent de ne pas répondre ! On en reçoit des centaines par jour dans sa boîte mail, dont la plupart sont en copie (les fameux cc : copie carbone, ou cci : copie carbone cachée). Or 80 % d’entre eux se résolvent d’eux-mêmes, tout seuls, dans les 48 heures, car d’autres y répondent, ou le problème a disparu, ou ce n’est pas si pressé etc.

Il est urgent de ne pas répondre ! Dormir sur ses mails est une version sécularisée du sommeil du cultivateur de l’Évangile : ne pas croire ni vouloir tout faire tout seul tout de suite ; mais laisser Dieu agir, laisser le temps faire son œuvre à travers nous, sans le commander.

 

Carafe à décanterPrenez une belle et bonne vieille bouteille de vin enveloppée d’une poussière vénérable, datant de quelques décennies. Si vous prévoyez de la servir à vos invités ce soir, mieux vaut la déboucher à l’avance, la vider dans une carafe et la laisser ainsi décanter à l’air libre quelques heures avant le repas. L’avantage sera double : l’oxydation au contact de l’air aura redonné au vin sa vigueur, sa profondeur, et la pesanteur aura précipité les inévitables déchets au fond de la carafe, purifiant ainsi le nectar décanté. Est-ce vraiment vous qui aurez décanté le vin ? Ou bien – au mieux – l’avez-vous favorisé ?

La plante grandit par elle-même, la pesanteur décante le vin d’elle-même, le royaume de Dieu grandit par sa seule force.

Ceux qui accompagnent des catéchumènes adultes vers le baptême en font le constat joyeux : ils n’y sont pour rien, mais ils sont les témoins émerveillés de la croissance de la vie spirituelle en l’autre. Ils n’ont même pas semé, et ils vont moissonner ! Ils dormaient quand les catéchumènes s’éveillaient à l’Évangile, mais ils posent désormais la main sur leur épaule au moment de la confirmation.

 

Voilà pourquoi « Dieu comble son bien-aimé quand il dort » ! Car, renonçant alors à tout diriger et contrôler, le dormeur s’abandonne aux forces plus grandes que lui qui régissent le cycle de l’univers. Le croyant s’abandonne à l’Esprit de Dieu qui renouvelle la face de la terre, jour et nuit, que je travaille ou que je me repose. Ne pas tout faire tout de suite relève de la sagesse spirituelle du cultivateur de l’Évangile, et se traduit en pratique par une procrastination structurée. Structurée, car sinon c’est de la paresse, de la démission, de l’irresponsabilité. Structurée, c’est-à-dire hiérarchisant la pile des priorités et des affaires à traiter en classant au plus bas ce qui peut attendre, ce que je ne sais pas ni ne peux faire à l’heure actuelle, ce qui n’est pas si urgent etc. Alors émerge en haut de la pile ce qui convient à mon labeur de ce jour (mais qui était en bas de la pile quelques jours avant !). Bon nombre de ces post-it ainsi savamment empilés, avec intelligence et discernement, se détruiront d’eux-mêmes dans les jours qui viennent. Les autres sont alors mûrs pour être traités (ou non !).

 

Nous serions fous de nous épuiser à croire que tout dépend de nous tout de suite, alors que Dieu comble son bien-aimé quand il dort !

La croissance illucide du royaume de Dieu est d’abord en nous : « On ne dira pas : “Voilà, il est ici !” ou bien : “Il est là !” En effet, voici que le règne de Dieu est au milieu de vous” » (Lc 17,21). L’espérance jaillit là où ne nous ne l’attendions pas, le renouveau nous surprend en fleurissant où il veut quand il veut… Et cela ne dépend pas de nous. Et nous ne savons pas comment cela se fait. Et cette docte ignorance est bienheureuse, car elle respecte l’énergie vitale de l’Esprit de Dieu à l’œuvre en nous.

La croissance illucide du royaume de Dieu vaut également pour notre monde, travaillé par des germes de résurrection là où nous ne l’aurions pas imaginé. À contre-courant des flux d’information en continu de nos médias, le regard chrétien espère toujours discerner la grâce des commencements à l’œuvre en ce monde. La « Lettre aux catholiques de France » de 1996 nous invitait à pratiquer « une lecture pascale des événements », c’est-à-dire à discerner ce qui naît de ce qui meurt, ce qui grandit du royaume de Dieu autour de nous et en nous, en refusant de nous laisser fasciner par le fracas des effondrements inévitables.

 sommeil« La crise que traverse l’Église aujourd’hui est due, dans une large mesure, à la répercussion, dans l’Église elle-même et dans la vie de ses membres, d’un ensemble de mutations sociales et culturelles rapides, profondes et qui ont une dimension mondiale.

Nous sommes en train de changer de monde et de société. Un monde s’efface et un autre est en train d’émerger, sans qu’existe aucun modèle préétabli pour sa construction. Des équilibres anciens sont en train de disparaître, et les équilibres nouveaux ont du mal à se constituer. Or, par toute son histoire, spécialement en Europe, l’Église se trouve assez profondément solidaire des équilibres anciens et de la figure du monde qui s’efface. Non seulement elle y était bien insérée, mais elle avait largement contribué à sa constitution, tandis que la figure du monde qu’il s’agit de construire nous échappe ».

La Lettre continue en invitant les catholiques à pratiquer une « lecture pascale » des évènements, c’est-à-dire à percevoir l’annonce de la Résurrection à travers les effondrements actuels (ce qui rappelle la « destruction créatrice » chère à Schumpeter) :

« Nous devons apprendre à pratiquer davantage cette lecture pascale de tous les évènements de notre existence et de notre histoire. Si nous ouvrons les Écritures, comme Jésus le fait avec les disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24,27), c’est pour comprendre comment dans les souffrances du temps présent se prépare la gloire qui doit se révéler un jour ».

 

C’est vrai que beaucoup d’indicateurs sont au rouge pour l’Église en France : à peine 6 % de pratiquants, un taux de catéchisation en chute libre, moins de 100 ordinations sacerdotales par an, des finances en péril etc… On peut (et on doit) allonger cette liste des signes du déclin : ce n’est pas en niant la chute qu’on la conjure. Ce n’est pas en se bouchant les oreilles devant le fracas de ce qui s’écroule qu’on va entendre ce qui naît. Ce n’est pas par des discours lénifiants et moralisants qu’on va éviter l’effondrement de ce qui doit mourir. Rien ne sert non plus rejeter la faute à la société environnante : ce serait se mettre hors-jeu du renouvellement contenu en germe dans l’effondrement actuel.

Mieux vaut courageusement prendre acte de ce qui meurt, et se rendre disponible pour ce qui naît. « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, suis-moi » (Lc 9,60).

Mieux vaut scruter attentivement la flore environnante pour y reconnaître les jeunes pousses pleines de promesses, les tendres branches du figuier à côté des tiges desséchées. Les 7000 baptêmes d’adultes en France en 2023 sont à cet égard une heureuse surprise qui devrait nous convertir à ce type de « lecture pascale »…

Des petites choses éclosent ; des signaux faibles clignotent enfin ; des nuages gros comme le poing montent à l’horizon (1R 18,44), annonciateurs de pluie prochaine ; des renouveaux côtoient les ruines ; des moissons se préparent en secret et en silence…

 

Péguy nous appelle à porter ce regard d’espérance sur nous-même et sur le monde.

Jésus nous invite à faire confiance à la puissance intrinsèque du royaume de Dieu en croissance.

Maître Eckhart nous indique la voie paradoxale du non-agir pour collaborer à cette croissance qui nous est donnée sans mérite aucun de notre part.

Alors, dans chacune de nos actions, abandonnons-nous avec confiance aux forces spirituelles sans cesse à l’œuvre : Dieu comble son bien-aimé quand il dort

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je relève l’arbre renversé » (Ez 17, 22-24)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

Ainsi parle le Seigneur Dieu : « À la cime du grand cèdre, je prendrai une tige ; au sommet de sa ramure, j’en cueillerai une toute jeune, et je la planterai moi-même sur une montagne très élevée. Sur la haute montagne d’Israël je la planterai. Elle portera des rameaux, et produira du fruit, elle deviendra un cèdre magnifique. En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux, à l’ombre de ses branches ils habiteront. Alors tous les arbres des champs sauront que Je suis le Seigneur : je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec. Je suis le Seigneur, j’ai parlé, et je le ferai. »


PSAUME
(91 (92), 2-3, 13-14, 15-16)

R/ Il est bon, Seigneur, de te rendre grâce ! (cf. 91, 2a)

Qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur,
de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut,
d’annoncer dès le matin ton amour,
ta fidélité, au long des nuits.

Le juste grandira comme un palmier,
il poussera comme un cèdre du Liban ;
planté dans les parvis du Seigneur,
il grandira dans la maison de notre Dieu.

Vieillissant, il fructifie encore,
il garde sa sève et sa verdeur
pour annoncer : « Le Seigneur est droit !
Pas de ruse en Dieu, mon rocher ! »
 
DEUXIÈME LECTURE
« Que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur » (2 Co 5, 6-10)


Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, nous gardons toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur, tant que nous demeurons dans ce corps ; en effet, nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous avons confiance, et nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur. Mais de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur. Car il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait, soit en bien soit en mal, pendant qu’il était dans son corps.

 
ÉVANGILE
« C’est la plus petite de toutes les semences, mais quand elle grandit, elle dépasse toutes les plantes potagères » (Mc 4, 26-34)

Alléluia. Alléluia. La semence est la parole de Dieu ;le semeur est le Christ ;celui qui le trouve demeure pour toujours. Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, parlant à la foule, Jésus disait : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »

Il disait encore : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ? Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »
Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre. Il ne leur disait rien sans parabole, mais il expliquait tout à ses disciples en particulier.
Patrick Braud

 

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10 juin 2015

Le management du non-agir

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 1 h 02 min

Le management du non-agir

 

Homélie du 11° dimanche du temps ordinaire / Année C
Dimanche 14/06/2015

 

Laisser la semence grandir d’elle-même

Un patron décrivait ainsi le principe philosophique qui l’a aidé à révolutionner le management dans son entreprise :

Le management du non-agir dans Communauté spirituelle« Une conclusion provisoire que je peux aujourd’hui tirer de 40 ans d’expérimentation sociale dans les organisations, c’est que plus on libère les hommes, plus il faut organiser entre eux la coopération. Moins on est directif en matière de management, plus il faut l’être sur le respect des principes de non-directivité.

Comme l’écrit un auteur que j’apprécie, le philosophe et sinologue François Jullien, « l’agir-sans-agir est un laisser faire, mais qui n’est pas rien faire du tout ». Il ne s’agit pas de laisser s’installer la loi de la jungle, de donner une prime aux « forts en gueule » qui, à force d’intimidations et d’artifices rhétoriques, finissent par faire passer leur option individuelle pour une décision collective. Pour libérer réellement la parole au sein d’une équipe, débrider les capacités créatives des uns et des autres, il faut un garant des formes dans lesquelles va pouvoir s’opérer la discussion. Un chef d’orchestre, donc, responsable de faire circuler équitablement la parole, de réfréner l’un, d’encourager l’autre, en s’interdisant lui-même d’intervenir sur le fond du débat. Ce connecteur chargé de mettre du liant entre des coéquipiers nécessairement divers dans leurs aspirations et capacités à s’exprimer, c’est le manager. »

Source : http://www.proconseil.fr/blog/pour-cooperer-mieux-manager-autrement/, posté par Michel Hervé, président fondateur du groupe Hervé Thermique, le 11/12/2012.

 

Cette capacité à agir, non pas directement de manière volontariste, mais en suscitant le désir d’action et de réussite de ses collaborateurs, rejoint la sagesse de Jésus exprimée dans notre parabole de ce dimanche :

« Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »  Mc 4,26-28

 

De manière étonnante, ce « non-agir » du jardinier rejoint l’expérience de la sagesse chinoise telle que la formule par exemple Lao Tseu. Le non-agir (wu-wei) est le principe clé du taoïsme : « Le sage pratique le non-agir, il s’occupe de la non-occupation [...] » Il ne s’agit pas de passivité ou d’inaction mais bien de l’absence d’action, à l’instar de l’eau qui coule et qui se moque des obstacles : « L’homme d’une vertu supérieure est comme l’eau. L’eau excelle à faire du bien aux êtres et ne lutte point. »

« Par wu-wei, il ne faut pas entendre ne rien faire, il faut entendre qu’on laisse chaque chose se faire spontanément, de sorte à être en accord avec les lois naturelles » (Kuo Ksiang).

 « C’est l’art de maîtriser les circonstances sans leur opposer de résistance ; le principe d’esquiver une force qui vient sur vous en sorte qu’elle ne puisse vous atteindre. Ainsi, celui qui connaît les lois de la vie, jamais ne s’oppose aux événements ; il en change le cours par son acceptation, son intégration, jamais par le refus. Il accepte toutes choses jusqu’à ce que, les ayant assimilées toutes, il parvienne à leur maîtrise parfaite »  (Lin Yu-tang).

Cf. « Laisse faire » : éloge du non-agir

 

Pour Lao Tseu comme pour Jésus (et sans doute également pour un ‘éveillé’   bouddhiste), la pointe de l’action ne se situe pas dans la transformation immédiate, mais dans la confiance en l’énergie transformatrice de l’autre (et du Tout-Autre dans le cas du royaume de Dieu).

 

 entreprise dans Communauté spirituelleÀ juste titre, le patron d’Hervé Thermique (comme ceux des entreprises dites libérées selon l’expression consacrée par Isaac Getz [1]) y a vu la source d’un nouveau management plus humain. Plus humain parce que basé sur la confiance, plus efficace parce que laissant advenir les choses au lieu de vouloir les maîtriser et en garder le contrôle. Le manager-jardinier (selon l’esprit de notre parabole) aura à cœur de libérer l’enthousiasme, la créativité et l’autonomie de ses équipes au lieu de leur imposer en permanence ses solutions à lui et sa vision des choses.

Comme tout bon jardinier, ce manager aura pour responsabilité – et elle est grande – de créer les conditions d’une telle croissance en autonomie chez ses collaborateurs. Il devra désherber (avant le courage d’exclure ceux qui compromettent la réussite de tous en étant hors-jeu par rapport aux valeurs de l’équipe), mettre de l’engrais  (nourrir la réflexion de chacun et de tous, par des lectures, vidéos, visites d’entreprises, conférences, témoignages etc.), inviter à s’appuyer sur un tuteur si besoin (compagnonnage entre pairs, études de cas, relectures de pratiques etc.), et au final valoriser auprès de ses clients comme de l’entreprise les succès ainsi obtenus.

 

Le non-agir, ce n’est donc pas ne rien faire !

Agir sans agir, c’est laisser faire, sans forcer, en accompagnant, en créant les conditions de maturité d’une équipe, en veillant sur son développement. C’est au passage accepter les tâtonnements, les inévitables jeux d’essais et d’erreurs qui font partie de la créativité. Le droit à l’erreur doit être garanti, et formellement reconnu, pour libérer le goût du risque. Bien plus, le manager devra s’appuyer sur ces erreurs – inévitables, rappelons-le – pour débriefer, accompagner et progresser grâce à la relecture qui en sera faite avec tous.

 

Non-agir et servant leadership

Ce manager du non-agir est très proche du servant leader (cher à l’école de Robert Greenleaf). Pour laisser la semence jetée en terre pousser toute seule, il devra d’abord faire confiance au terreau ainsi ensemencé. Sans cette confiance, totale et entière, faite à ses collaborateurs, il ne pourra jamais s’empêcher d’intervenir en direct pour penser à la place des personnes concernées (hélas)… Confiance est d’ailleurs le maître mot de la deuxième lecture, alors que pourtant Paul était confronté à bien des difficultés avec les corinthiens :

« Frères, nous gardons toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur (…).
Oui, nous avons confiance (…) » 2 Co 5,6-7.

Sur la base de cette confiance sans cesse renouvelée, il jouera d’autant mieux son rôle de jardinier qu’il pratiquera les 10 attitudes du servant leader : écouter, s’ouvrir à l’autre, faire grandir, se doter d’une vision, prévoir, fédérer, soutenir, transformer, persuader, avoir conscience…

La sagesse de Jésus, ayant longuement observé les champs de Nazareth et le savoir-faire des agriculteurs jusqu’à l’âge de 30 ans, se révèle être un trésor pour le management contemporain ! Évidemment la croissance du Royaume de Dieu en chacun de nous est une réalité spirituelle incomparable, appelant l’Église à une vraie humilité envers cette exubérance de vie qui la dépasse de toute part. Mais la croissance personnelle et collective des équipes en milieu professionnel participe de cette réalité-là. Mystérieusement, quelque chose grandit de plus grand que nous, qui nous vient d’ailleurs, lorsque nous dormons, c’est-à-dire lorsque nous faisons confiance à la puissance de vie à l’oeuvre chez les autres. Un psaume ne dit-il pas : « Dieu comble son bien aimé quand il dort » ? (Ps 127,2)

Le pape François donne un très beau commentaire de cette croissance mystérieuse, dont les chrétiens comme les managers peuvent devenir des témoins émerveillés :

« Comme nous ne voyons pas toujours ces bourgeons, nous avons besoin de certitude intérieure, c’est-à-dire de la conviction que Dieu peut agir en toute circonstance, même au milieu des échecs apparents, car nous tenons ce trésor dans des vases d’argile (2 Co 4,7). Cette certitude s’appelle ‘sens du mystère’. C’est savoir avec certitude que celui qui se donne et s’en remet à Dieu par amour sera certainement fécond (cf. Jn 15,5). L’Esprit Saint  agit comme il veut, quand il veut et où il veut ; nous nous dépensons sans prétendre cependant voir des résultats visibles. Nous savons seulement que notre don de soi est nécessaire. Apprenons à nous reposer dans la tendresse des bras du Père, au cœur de notre dévouement créatif et généreux. Avançons, engageons-nous à fond, mais laissons le rendre féconds nos efforts comme bon lui semble. » (Evangelii Gaudium, n° 279, 2013)

 

 GetzCela demande également un véritable lâcher prise : ne plus planifier ni contrôler ce qui doit être produit, mais accueillir ce qui advient en l’harmonisant dans un ensemble. Les chefs d’ateliers et de production étaient autrefois - du temps du taylorisme - ceux qui savaient, et qui faisaient appliquer leurs décisions par des exécutants fidèles et obéissants. Les leaders des entreprises ‘libérées’ s’appuient sur l’envie de leurs équipes, sur leur savoir-faire, pour construire ensemble les défis de leurs métiers et les chemins pour les relever. L’exécution est remplacée par la co-construction, le directif descendant cède la place au collaboratif. Toutes ces métamorphoses demandent au manager de lâcher le contrôle absolu et direct qu’il effectuait auparavant sur les tâches, les rôles, voire les hommes eux-mêmes.

 Alexandre Gerard, Président du Groupe Inov-On, tentait d’avertir ses confrères :

« Mon inquiétude est grande… Oui mon inquiétude est grande en ce moment car je croise beaucoup de dirigeants qui m’annoncent des étoiles plein les yeux : « Je vais libérer mon entreprise, et pour commencer je vais faire ceci ou cela… »
Et si la question n’était pas « Qu’est ce que je vais faire… », mais plutôt « Qu’est ce que je vais laisser faire…. » ?
Et là on ne parle plus de la même chose ! Car pour être capable de ‘laisser faire’ les choses, il est indispensable de se préparer personnellement.
Eh oui, nous ‘les chefs d’entreprise’ sommes des hommes d’action, et là il s’agit d’agir par… le non agir, comme l’explique si bien Jean-François Zobrist l’ancien patron emblématique de la fonderie FAVI​ qui est la 1ère société libérée en France.
Et donc se préparer à libérer son entreprise c’est surtout se préparer à accueillir tout ce qui va arriver, et surtout ce que l’on a pas prévu ! »
Source : http://liberation-entreprise.org/e%E2%80%8Bntreprises-liberees-alerte-generale/

La métaphore du jardinier, de l’agriculteur de la parabole du grain qui pousse tout seul, nous invite à pratiquer ce type de management du non-agir.

Cela vaut en famille, en entreprise, en Église…

 


[1]Isaac Getz / Brian M. Carney : Liberté & Cie, Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises, Fayard, 2012 (édité chez Flammarion, Champs Essais, poche, en 2013).

 

 

 

1ère lecture : « Je relève l’arbre renversé » (Ez 17, 22-24)
Lecture du livre du prophète Ézékiel

Ainsi parle le Seigneur Dieu : « À la cime du grand cèdre, je prendrai une tige ; au sommet de sa ramure, j’en cueillerai une toute jeune, et je la planterai moi-même sur une montagne très élevée. Sur la haute montagne d’Israël je la planterai. Elle portera des rameaux, et produira du fruit, elle deviendra un cèdre magnifique. En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux, à l’ombre de ses branches ils habiteront. Alors tous les arbres des champs sauront que Je suis le Seigneur : je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé, je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec. Je suis le Seigneur, j’ai parlé, et je le ferai. »

Psaume : 91 (92), 2-3, 13-14, 15-16

R/ Il est bon, Seigneur, de te rendre grâce ! (cf. 91, 2a)

Qu’il est bon de rendre grâce au Seigneur,
de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut,
d’annoncer dès le matin ton amour,
ta fidélité, au long des nuits.

Le juste grandira comme un palmier,
il poussera comme un cèdre du Liban ;
planté dans les parvis du Seigneur,
il grandira dans la maison de notre Dieu.

Vieillissant, il fructifie encore,
il garde sa sève et sa verdeur
pour annoncer : « Le Seigneur est droit !
Pas de ruse en Dieu, mon rocher ! »

2ème lecture : « Que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur » (2 Co 5, 6-10)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, nous gardons toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur, tant que nous demeurons dans ce corps ; en effet, nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous avons confiance, et nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur. Mais de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur. Car il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun soit rétribué selon ce qu’il a fait, soit en bien soit en mal, pendant qu’il était dans son corps.

Evangile : « C’est la plus petite de toutes les semences, mais quand elle grandit, elle dépasse toutes les plantes potagères » (Mc 4, 26-34)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.
La semence est la parole de Dieu ; le semeur est le Christ ;
celui qui le trouve demeure pour toujours.
Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, parlant à la foule, Jésus disait : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi. Et dès que le blé est mûr, il y met la faucille, puisque le temps de la moisson est arrivé. »  Il disait encore : « À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le représenter ? Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »  Par de nombreuses paraboles semblables, Jésus leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre. Il ne leur disait rien sans parabole, mais il expliquait tout à ses disciples en particulier.
Patrick BRAUD

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11 janvier 2014

« Laisse faire » : éloge du non-agir

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

« Laisse faire » : éloge du non-agir

Homélie pour la fête du Baptême du Seigneur / Année A
12/01/2014

« Laisse faire ».

Elle est étonnante de cette réplique du Christ à Jean-Baptiste, première parole dans sa bouche dans l’Évangile de Matthieu.

Laisse les choses se dérouler comme elles doivent se dérouler.
Non pas : ne fais rien, mais agis comme si tu n’agissais pas, comme si tu permettais seulement à ce qui doit arriver d’arriver.

Le premier - et sans cesse - le Christ se laisse faire par l’Esprit pour aller au bout de la volonté de son Père. Jésus laisse les rencontres advenir, il n’organise rien du drame qui s’approche. Parole après parole, rencontre après rencontre, il laisse se mettre en place ce qui deviendra finalement le puzzle de sa passion.

C’est le fil rouge des trois lectures de cette fête du Baptême du Seigneur :

- Jean-Baptiste doit renoncer à sa vision des choses pour laisser Jésus être plongé dans les eaux du Jourdain (Mt 3,13-17).

- Pierre se laisse faire par l’Esprit Saint qui le conduit jusqu’à la maison du centurion romain Corneille pour le baptiser. Jamais il n’aurait pu imaginer cela : associer un païen au même héritage que les juifs, déclarer purs tous les aliments interdits dans la cashrout juive ! (Ac 10).

- Le serviteur décrit par Isaïe est pris en main par Dieu lui-même pour accomplir à travers lui sa mission de libération. Il se laissera porter par l’Esprit de Dieu pour découvrir comment devenir « lumière des nations » (Is 42,1-7).

Cette doctrine du laisser-faire rejoint l’enseignement taoïste au sujet du non-agir (wu-wei).

Elle a été développée par la mystique rhénane, notamment Maître Eckhart dans son enseignement au sujet du détachement (Abgelassenheit).

Et un courant managérial aujourd’hui redécouvre cette posture fondamentale du non-agir pour dessiner les traits du servant leader adapté au travail collaboratif.

Détaillons chacune de ces trois pistes qui convergent.

 

1. Le non-agir agir taoïste

« Laisse faire » : éloge du non-agir dans Communauté spirituelle wuwei1La notion de non- agir (wu-weioccupe une place centrale en taoïsme. À l’image de l’aïkido qui préfère utiliser la violence de l’adversaire plutôt que de créer la sienne propre, celui qui pratique le non- agir laisse advenir les événements, sans chercher à les contrarier frontalement, mais en les mettant à profit pour se laisser porter vers plus de plénitude grâce à l’énergie qu’ils véhiculent.

C’est une action au-delà de l’action, où celle-ci n’a plus besoin d’être voulue pour être efficiente (ex : quand le geste de la marche devient naturel chez l’enfant). La non-action est une action collective se réalisant ?comme si on n’y était pour rien’, alors même qu’on y participe de manière décisive, tel un orchestre entrant en harmonie grâce à son chef, où la musique semble se produire toute seule.

Renonçant au volontarisme individuel, le disciple du non- agir va surfer sur le bien et le mal trouvés sur sa route, comme l’eau épouse le lit de la rivière sans chercher à le modifier tout de suite, ce qui finalement va profondément le transformer, mais comme sans le vouloir, naturellement, de soi-même.

 » Par wu-wei, il ne faut pas entendre ne rien faire, il faut entendre qu’on laisse chaque chose se faire spontanément, de sorte à être en accord avec les lois naturelles  » (Kuo Ksiang )

 » C’est l’art de maîtriser les circonstances sans leur opposer de résistance ; le principe d’esquiver une force qui vient sur vous en sorte qu’elle ne puisse vous atteindre. Ainsi, celui qui connaît les lois de la vie, jamais ne s’oppose aux événements ; il en change le cours par son acceptation, son intégration, jamais par le refus. Il accepte toutes choses jusqu’à ce que, les ayant assimilées toutes, il parvienne à leur maîtrise parfaite. «  (Lin Yu-tang)

 

2. Le non-agir chrétien de Maître Eckhart

Les-sermons Eckhart dans Communauté spirituelleMaître Eckhart et la mystique rhénane du XIVe siècle ont entendu l’appel du Christ à « laisser faire » comme un détachement radical de ses propres oeuvres.

À l’image de Marie qui engendre le Verbe de Dieu en elle en laissant faire l’Esprit, chaque chrétien est appelé à engendrer le Christ en lui en se laissant façonner par Dieu dans la vie spirituelle. Il ne s’agit plus alors d’agir par soi-même (avec orgueil), ni même d’agir pour Dieu (ce qui est encore se substituer à lui), mais de laisser Dieu agir en soi et à travers soi.

« Dieu n’est en rien de rien tenu par leurs oeuvres et leurs dons, à moins que de bon gré il ne veuille le faire de par sa grâce et non en raison de leurs oeuvres ni en raison de leur don, car ils ne donnent rien qui soit leur et n’opèrent pas non plus à partir d’eux-mêmes, ainsi que dit Christ lui-même : ?Sans moi vous ne pouvez rien faire’.

(…) C’est ainsi que devrait se tenir l’homme qui voudrait se trouver réceptif à la vérité suprême et vivant là sans avant et sans après et sans être entravé par toutes les oeuvres et toutes les images dont il eut jamais connaissance, dépris et libre, recevant à nouveau dans ce maintenant le don divin et l’engendrant en retour sans obstacle dans cette même lumière avec une louange de gratitude en Notre Seigneur Jésus Christ (Maître Eckhart, Sermon 1).

Le baptisé devient alors un authentique homme d’action, mais d’une action qu’il ne veut pas en propre, qui lui est donnée d’accomplir sans la rechercher particulièrement. Dieu agit en lui sans qu’il ait à se forcer pour accomplir l’oeuvre de Dieu.

« Le mont escarpé,
Gravis-le sans agir.
Intelligence,
Le chemin t’emmène
En un merveilleux désert » (Maître Eckhart , Granum Sinapis).  

 

3. Le non-agir managérial du servant leader

 JésusLa figure du servant leader émerge en France après avoir été travaillée depuis une cinquantaine d’années aux USA. Pour faire court, il s’agit de passer du chef autoritaire au manager qui est au service de son équipe pour la faire grandir, pour libérer sa créativité en l’accompagnant dans ses initiatives. Cette figure du servant leader est essentielle pour mettre en oeuvre un management de type collaboratif.

 

Rappelons brièvement les différents styles de management qu’on peut repérer en entreprise (ou même dans l’Église !).

 

 

a) Le style directif

« Je décide. Vous exécutez ».

La dérive autoritaire n’est pas loin ; la passivité des salariés (ou des ouailles !) est garantie.

 

b) Le style délégatif

« Je vous transfère le problème. Vous vous débrouillez ».

Le risque est de transformer la délégation en abandon pur et simple. Le chef transfère sur ses subordonnés les tâches dont il ne veut pas ; il n’assume plus rien de leur conduite.

 

c) Le style persuasif

« Je décide. Je vous fais adhérer à ce que j’ai décidé ».

Cela fleure la manipulation du patron (ou du chef religieux) charismatique.

 

d) Le style participatif

« Vous participez aux objectifs prédéfinis. »

L’apport de chacun est réel, mais au service des décisions prises en amont. Avec un brin de condescendance : « je vous donne le sens. À vous la liberté de voir comment le mettre en oeuvre. »

 

 e) Le style collaboratif

« Nous construisons ensemble les objectifs et les moyens pour y arriver ».

Le responsable d’équipe doit alors arriver devant elle avec une feuille blanche : quels sont les problèmes, les défis que nous devons relever ? comment peut-on s’y prendre ? Travaillons ensemble à définir des pistes d’action.

Il ne peut ainsi lâcher prise sur sa propre vision du problème que s’il adopte la posture du servant leader : non pas faire, mais laisser-faire son équipe, ce qui demande un actif travail d’animation du débat, de régulation de la parole, de fédération des opinions diverses, de capacité à faire émerger naturellement une action de l’équipe au lieu d’imposer la sienne.

Cela ira jusqu’à définir avec son équipe les questions à se poser, les problèmes à identifier, les règles à se donner etc?

Bref, le manager qui veut travailler en mode collaboratif pratiquera un non-agir en parfaite consonance avec le laisser-faire de l’Évangile, le non-agir taoïste et le détachement de Maître Eckhart !

 laisser faire

 

Étonnant comme un concept peut s’avérer fécond lorsqu’il devient nomade…

Appliquez le laisser-faire du baptême du Christ aux sciences du management, il faut oser ! Et pourtant, c’est une piste solide pour libérer l’autonomie, la créativité et la responsabilité des équipes (et les baptisés  en ce qui concerne le gouvernement de l’Église), pour épouser les événements professionnels et en faire émerger autre chose, non déterminé à l’avance.

Notre Église ferait bien de s’appliquer à elle-même ce principe du laisser faire, car les gouvernements de style directif, délégatif, persuasif ou participatif y sont légion, de haut en bas d’une pyramide ecclésiale pas encore vraiment inversée…

 

 

 

1ère lecture : Le serviteur de Dieu consacré pour le salut des hommes (Is 42, 1-4.6-7)
Lecture du livre d’Isaïe

Ainsi parle le Seigneur :
Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui j’ai mis toute ma joie. J’ai fait reposer sur lui mon esprit ; devant les nations, il fera paraître le jugement que j’ai prononcé.
Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, on n’entendra pas sa voix sur la place publique.
Il n’écrasera pas le roseau froissé, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il fera paraître le jugement en toute fidélité.
Lui ne faiblira pas, lui ne sera pas écrasé, jusqu’à ce qu’il impose mon jugement dans le pays, et que les îles lointaines aspirent à recevoir ses instructions.

Moi, le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice, je t’ai pris par la main, je t’ai mis à part, j’ai fait de toi mon Alliance avec le peuple et la lumière des nations ; tu ouvriras les yeux des aveugles, tu feras sortir les captifs de leur prison, et de leur cachot ceux qui habitent les ténèbres.

Psaume : Ps 28, 1-2, 3ac-4, 3b.9c-10

R/ Dieu, bénis ton peuple, donne-lui la paix.

Rendez au Seigneur, vous, les dieux,
rendez au Seigneur gloire et puissance.
Rendez au Seigneur la gloire de son nom,
adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.

La voix du Seigneur domine les eaux,
le Seigneur domine la masse des eaux.
Voix du Seigneur dans sa force,
voix du Seigneur qui éblouit.

Le Dieu de la gloire déchaîne le tonnerre.
Et tous dans son temple s’écrient : « Gloire ! »
Au déluge le Seigneur a siégé ;
il siège, le Seigneur, il est roi pour toujours !

2ème lecture : Le ministère du Sauveur commence à son baptême (Ac 10, 34-38)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Quand Pierre arriva à Césarée, chez un centurion de l »armée romaine, il s’adressa à ceux qui étaient là : « en vérité, je le comprends : Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ; mais, quelle que soit leur race, il accueille les hommes qui l’adorent et font ce qui est juste. Il a envoyé la Parole aux fils d’Israël, pour leur annoncer la paix par Jésus Christ : c’est lui, Jésus, qui est le Seigneur de tous.

Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les débuts en Galilée, après le baptême proclamé par Jean :
Jésus de Nazareth, Dieu l’a consacré par l’Esprit Saint et rempli de sa force. Là où il passait, il faisait le bien, et il guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du démon. Car Dieu était avec lui. »

Evangile : Le baptême de Jésus (Mt 3, 13-17)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Aujourd’hui, le ciel s’est ouvert, l’Esprit descend sur Jésus, et la voix du Père domine les eaux : « Voivi mon Fils, mon bien-aimé ! » Alléluia. (cf. Mt 3, 16-17, Ps 28, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus, arrivant de Galilée, paraît sur les bords du Jourdain, et il vient à Jean pour se faire baptiser par lui.
Jean voulait l’en empêcher et disait : « C’est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c’est toi qui viens à moi ! »
Mais Jésus lui répondit : « Pour le moment, laisse-moi faire ; c’est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste. » Alors Jean le laisse faire. 

Dès que Jésus fut baptisé, il sortit de l’eau ; voici que les cieux s’ouvrirent, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
Et des cieux, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour. »
Patrick Braud

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