Prier pour la France ?
Prier pour la France ?
Homélie du 25° Dimanche du temps ordinaire / Année C
18/09/2016
Cf. également :
Éthique de conviction, éthique de responsabilité
Un appel des évêques de France
Suite au meurtre de du père Jacques Hamel, Mgr Pontier, président de la conférence des évêques de France, appelait les catholiques à prier pour la France le 15 août 2016 :
« Prier pour la France a souvent tenu une place particulière le 15 août pour les Catholiques.
En cette fête d’espérance nous invitons à ce que la prière universelle des messes de ce jour mentionne cette intention et qu’à midi sonnent à la volée les cloches de nos églises.
Que Dieu bénisse notre pays dans les épreuves qu’il traverse. »
Communiqué du 01/08/2013
Mgr. Pontier, Président de la Conférence des évêques de France
Cela rejoint pour une part l’exhortation de l’apôtre Paul dans notre deuxième lecture :
« J’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. » (1 Ti 2, 1-2)
Mais l’expression « prier pour la France » peut susciter un certain malaise. En 2012, le cardinal Vingt-Trois avait lui aussi demandé une prière pour la France, avec une intention particulière pour la famille, sur fond de débat sur le mariage pour tous, suscitant des incompréhensions…
Un rapide survol des sites Internet et des vidéos Youtube liés à ce slogan laisse une impression mitigée : la plupart sont très liés à des piétés mariales remontant à la consécration de la France à Marie par Louis XIII, dont le 15 août est justement la date anniversaire. Il y flotte une certaine nostalgie d’une France supposée chrétienne (catholique) autrefois, puis ayant plus ou moins renié les promesses de son baptême (selon les mots de Jean Paul II en France). « Prier pour la France » nourrit alors toutes les visions restauratrices de l’emprise de la religion catholique sur la société française. On lit également nombre de textes et de commentaires sur ces sites qui entretiennent ce malaise : opinions d’extrême droite, antirépublicaines, dénonciations violentes des évolutions sociétales actuelles…
L’expression a donc une tonalité très conservatrice sur le plan politique, avec des relents plus ou moins monarchiques.
Dieu serait-il nationaliste ?
Dans l’histoire européenne, la foi chrétienne a souvent été instrumentalisée à des fins politiques. L’empereur Constantin le premier a bien vu au IIIe siècle que la Croix pouvait devenir le nouveau vecteur d’unification de l’empire romain.
« Par ce signe tu vaincras » : Clovis a relayé cette utilisation de la croix en vue d’asseoir le royaume des Francs sur l’autorité divine elle-même. Et bien sûr, la monarchie de droit divin a prolongé ce lien entre le pouvoir et l’autel, dont la consécration des rois de France dans la cathédrale de Reims par la fiole d’huile quasi-messianique était le symbole. Le vœu de Louis XIII de consacrer la France à Marie s’inscrit dans cette longue tradition monarchique.
On a vu de tout temps les armées prier Dieu de leur accorder la victoire (Gott mit uns !) comme si Dieu prenait parti pour une nation contre une autre… Israël l’a cru autrefois, mais nombre d’expériences militaires désastreuses lui ont mille fois prouvé le contraire peu à peu dans son histoire.
Dieu serait-il nationaliste ?
Difficile aujourd’hui de projeter sur le Christ, champion de la fraternité universelle, une préférence pour un peuple précis, ou une structure politique finalement contingente, éphémère, que ce soit la tribu, l’empire, la nation, le royaume où la république…
Prier pour quelqu’un
En réalité, Paul n’exhorte pas les Romains à prier pour la Palestine, ou pour Rome, ou pour une entité politique quelconque (la Nation existait pas alors, au sens où nous la pensons depuis le XVIIIe siècle). Il invite à prier pour des hommes et des femmes en situation de responsabilité politique : « pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité ».
« La France » a quelque chose d’impersonnel, alors que la prière est éminemment personnelle. On ne prie pas pour une chose, un concept ou une grande idée. On prie pour quelqu’un ou des personnes humaines bien concrètes et uniques. Sinon l’idéologie n’est jamais loin. Les Allemands ont prié pour le troisième Reich et la grande Allemagne. Les Francs ont prié pour l’empire de Charlemagne. Les Anglais, qui n’ont pas coupé le cordon entre la reine et l’Église anglicane, prient cependant pour la reine (God save the queen) et non pour le Royaume-Uni.
Depuis l’ouverture en Christ de l’Alliance à tous les hommes, pourquoi Dieu préférerait une telle nation plutôt que telle autre ? Aurait-il un projet spécifique pour la France comme Israël en est convaincu pour lui-même ? La fraternité évangélique pratiquerait-elle la préférence nationale ?
Les chrétiens n’ont jamais voulu idolâtrer la nation. Les Français savent d’expérience que les liaisons dangereuses entre l’Église et la France sont finalement désastreuses.
Il suffit de relire la lettre à Diognète (IIe siècle) pour retrouver cette conviction tranquille qui habitait Paul :
« Les Chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Ce n’est pas à l’imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine. Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. »
Nous sommes des citoyens honnêtes et loyaux du pays où nous habitons, quels que soient son régime et sa population, mais nous ne sommes le support d’aucun pouvoir en place.
L’idolâtrie de la Nation a été fortement dénoncée par Pie XI, qui a fait lire le texte allemand de son encyclique Mit Brennender Sorge dans toutes les églises du Reich le dimanche des rameaux 1937, en guise d’avertissement, contre l’avis d’Hitler évidemment furieux :
« Seuls des esprits superficiels peuvent tomber dans l’erreur qui consiste à parler d’un Dieu national, d’une religion nationale ; seuls ils peuvent entreprendre la vaine tentative d’emprisonner Dieu, le Créateur de l’univers, le Roi et le Législateur de tous les peuples, devant la grandeur duquel les nations sont « comme une goutte d’eau suspendue à un seau » (Es 40,15) dans les frontières d’un seul peuple, dans l’étroitesse de la communauté de sang d’une seule race. » (n° 15)
Prier pour la paix
Au titre de la citoyenneté honnête et loyale prônée par Paul et Diognète, les chrétiens ont toujours prié pour que la paix règne entre les hommes là où ils habitaient, au sein de leur société, de leur peuple. Cette prière n’est pas une pétition pour un concept, mais une supplique pour que Dieu suscite des acteurs de paix, et que la conversion des cœurs puisse permettre la fin du conflit, la réconciliation des personnes et des communautés en cause. Cette paix n’a d’ailleurs pas de nationalité. Prier pour la paix ne s’arrête pas aux frontières de la France : la paix au Mali, en Libye, en Syrie, en Iran, en Irak… nous tient à cœur autant que la paix en France, car les disciples du Christ ne sont étrangers à aucune détresse de leurs frères et sœurs en humanité.
Prier pour et non contre
Dernière précision : Paul exhorte les chrétiens à prier pour des responsables politiques qui sont ses ennemis, qui persécutent les chrétiens. Il écrit cela alors que lui-même vient juste de sortir de prison, en devinant bien qu’il y retournera. Sa prière n’est pas d’éliminer ses adversaires, mais de les doter de l’Esprit Saint pour savoir gouverner les peuples avec sagesse et dans la paix !
Dès que la prière se fait négative, se dresse contre, souhaite la disparition des autres, nourrit le ressentiment au lieu de l’amour des ennemis, elle n’est plus chrétienne.
Alors, prier pour la France ?
Oui, si c’est prier pour la paix entre chrétiens et musulmans en France, pour que se lèvent des artisans de paix, des acteurs de dialogue et du vivre ensemble.
Non, si c’est raviver la nostalgie d’une France supposée catholique, ou stigmatiser des ‘dérives’ républicaines voire pire encore la communauté musulmane dans son ensemble.
Mieux vaudrait comme toujours en revenir à l’Écriture, et suivre simplement les conseils de Paul :
« Bien-aimé, j’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. (…) Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en élevant les mains, saintement, sans colère ni dispute. »
1ère lecture : Contre ceux qui « achètent le faible pour un peu d’argent » (Am 8, 4-7)
Lecture du livre du prophète Amos
Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! » Le Seigneur le jure par la Fierté de Jacob : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits.
Psaume : Ps 112 (113), 1-2, 5-6, 7-8
R/ Louez le nom du Seigneur : de la poussière il relève le faible.
ou : Alléluia ! (Ps 112, 1b.7a)
Louez, serviteurs du Seigneur,
louez le nom du Seigneur !
Béni soit le nom du Seigneur,
maintenant et pour les siècles des siècles !
Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ?
Lui, il siège là-haut.
Mais il abaisse son regard
vers le ciel et vers la terre.
De la poussière il relève le faible,
il retire le pauvre de la cendre
pour qu’il siège parmi les princes,
parmi les princes de son peuple.
2ème lecture : « J’encourage à faire des prières pour tous les hommes à Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 1-8)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre à Timothée
Bien-aimé, j’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. Cette prière est bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, car il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. En effet, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous. Aux temps fixés, il a rendu ce témoignage, pour lequel j’ai reçu la charge de messager et d’apôtre – je dis vrai, je ne mens pas – moi qui enseigne aux nations la foi et la vérité. Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en élevant les mains, saintement, sans colère ni dispute.
Evangile : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent » (Lc 16, 1-13)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Jésus Christ s’est fait pauvre, lui qui était riche, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté.
Alléluia. (cf. 2 Co 8, 9)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le convoqua et lui dit : ‘Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant.’ Le gérant se dit en lui-même : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.’ Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ?’ Il répondit : ‘Cent barils d’huile.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.’ Puis il demanda à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ?’ Il répondit : ‘Cent sacs de blé.’ Le gérant lui dit : ‘Voici ton reçu, écris 80’.
Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande. Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »
Patrick BRAUD
Mots-clés : Diognète, France, nation, Pie XI, prière