L'homélie du dimanche (prochain)

25 octobre 2020

Que pensent les chrysanthèmes de la Toussaint ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Que pensent les chrysanthèmes de la Toussaint ?

Toussaint : Homélie pour la Fête de Tous les Saints / Année A
01/11/2020

Cf. également :
Toussaint : un avenir urbain et unitaire
Toussaint : la mort comme un poème
Toussaint alluvionnaire
Les cimetières de la Toussaint
Tous un : la Toussaint, le cimetière, et l’Église…
Toussaint d’en-haut, Toussaint d’en-bas
Toussaint : le bonheur illucide
Ton absence…
La mort, et après ?
J’irai prier sur vos tombes (Toussaint)
Le train de la vie

 

Mauriac et la mort impensable

Que pensent les chrysanthèmes de la Toussaint ? dans Communauté spirituelle 41fSuIdpFaL._SX291_BO1,204,203,200_À l’occasion de cette fête de Toussaint, et du Jour des défunts qui en est inséparable, voici quelques lignes de l’immense François Mauriac, dans ses « Nouveaux Mémoires intérieurs » écrits en 1965 à l’âge de 80 ans, qui peuvent nous aider à méditer sur la mort :

« Une foi même très vive, une espérance qui ne fléchit jamais, ne nous rendent pas plus aisée la contemplation de la mort. Car arrêter sa pensée sur la séparation qui nous attend, sur cet arrachement à tout ce qui nous tient, choses et êtres, revient moins à méditer sur la mort que sur ce qu’elle entraîne. La mort n’est pas arrachement, mais engloutissement, et par-delà le néant ne nous paraît pas plus pensable que l’être. »
« Et si c’était la mort qui n’existait pas ? Et si cette impuissance à l’exprimer, mais même à la concevoir, tenait à son inexistence ? Il n’y a rien à dire du passage de l’être d’un état connu à un état inconnu, si l’être demeure. La dépouille humaine est cette chrysalide diaphane des cigales que je recherchais quand j’étais enfant… »

La mort est en quelque sorte l’impensable par nature, puisque le Je de la pensée n’existe plus au moment où elle survient. Trois siècles avant Jésus-Christ, Épicure l’avait fort logiquement observé : « quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n’est point, et que les autres ne sont plus ». Il en tirait la conclusion qu’il faut renoncer à la vie éternelle. Mauriac lui continue d’espérer en un au-delà tout en reconnaissant qu’il échappe à toute emprise et à toute représentation :
« Chaque pas que je fais m’en rapproche. Je suis pareil à un homme parti à l’aube, et cheminant vers la mer qu’il n’a jamais vue. Il n’en est plus séparé que par une dernière dune. Il entend ce grondement tout proche, il a le goût sur ses lèvres d’un terrible sel. Et pourtant il demeure incapable d’imaginer ce qu’il va voir demain, cette nuit, tout à l’heure ».

Cette approche de la mer ultime n’est pas forcément un long fleuve tranquille et serein :
« Nous nous cabrons, nous nous raidissons à la porte de l’abattoir, incapables d’imaginer ce qui est, capables seulement d’horreur et de terreur devant cette ténèbre ».

 

L’abattoir, serial killer

Se cabrer, se raidir devant la mort : voilà une image sur laquelle s’arrêter, car elle nous parle de la mort donnée, et pas seulement de la mort subie. En effet, la référence à l’abattoir qu’utilise Mauriac fait aussitôt surgir en nous des images hélas trop actuelles : celles que L214 [1] diffuse sur YouTube pour dénoncer les conditions d’abattage des vaches, veaux et autres animaux tués pour nous nourrir.

Régulièrement, cette association militant pour les droits des animaux publie des reportages effrayants effectués en abattoir – le plus souvent en caméra cachée – montrant les conditions épouvantables dans lesquels les bêtes sont conduites à la mort et exécutées. Les salariés de ces entreprises de la mort sont transformés en serial killers, obligés d’endurcir leur conscience pour ne pas devenir fous. L’un d’eux témoigne :

« En 2013, j’ai pris le poste en triperie. Là, je passais la journée à faire le tri entre les boyaux, la panse et la rate. Le premier jour, j’ai ouvert l’utérus d’une vache avec un couteau et j’ai vu un veau de près de 1 m, gisant, gluant dans son liquide amniotique. J’étais choqué. Il devait peser 25 kg. Je n’arrivais même pas à le soulever. Puis, j’ai appelé mon chef. Je lui ai dit « Chef, il y a un problème ! » Il m’a regardé et son visage s’est assombri. Il a hurlé « T’es un pédé ou t’es un homme ? » J’ai fini par pousser le veau jusqu’à la poubelle sur le plan de travail glissant.
Cette opération, je l’ai répétée tous les jours. Plusieurs fois par jour. On jetait quotidiennement 10 à 15 veaux à la poubelle. Je me disais « Comment c’est possible ? » On est en France. […]
Plus les mois passaient, plus je devenais fou. On ne peut pas sortir indemne quand on fait ce boulot pendant des années. On passe la journée dans la merde, le sang, les cris, la puanteur. Sans compter le mépris et les insultes. À force de vivre ça, de voir ces fœtus morts tous les jours, on devient fou. On devient carrément cinglé. Je me posais des questions en permanence. Mais en fait, tout ça, c’est pour l’argent. Une vache pleine est plus lourde et elle se vend donc plus cher. J’ai essayé de demander à mes chefs pourquoi on faisait ça. Tout ce qu’ils trouvaient à me dire, c’était « baisse la tête, ferme ta gueule et fais ton boulot. Si t’es pas content, dégage ! » » [2]

L’angoisse panique qui saisit ces animaux en pressentant qu’on les conduit vers la fin – et une fin cruelle, sanglante, douloureuse – nous donne une idée de ce que nous pourrons nous-mêmes ressentir à l’approche de notre mort. Nous nous cabrerons peut-être. La façon dont nous donnons la mort dit quelque chose de la façon dont nous la vivons nous-mêmes : cachée, en série, douloureuse, irrespectueuse. Et la question concerne des milliards d’êtres vivants : selon les chiffres de la FAO, 143 milliards d’animaux (sans compter les poissons) ont été tués en 2013 (dont 9 milliards pour les USA, 1 milliard pour la France). Chaque personne consommait en moyenne 43 kg de viande par an sur Terre en 2014. Cela représente 20 kg de plus par rapport à 1961. Un Européen consomme en moyenne 80 kg de viande par an, un Australien ou un habitant d’Amérique du Nord en consomme environ 110 kg par an. Mais dans certains pays d’Afrique, ce chiffre n’excède pas 10 kg annuels.
Dis-moi combien et comment tu tues, et je te dirai qui tu es…

 

Les 3 âmes

À la suite d’Aristote, saint Thomas d’Aquin parlait de l’âme des animaux, ainsi que de l’âme des végétaux. Il y a un seul principe vital qui anime (en latin, anima = âme) toute forme du vivant, si bien qu’une grande solidarité unit les hommes aux bêtes, les bêtes aux arbres et aux plantes, les végétaux aux hommes.

·         L’âme végétale est douée de la faculté nutritive, qui comprend la capacité de croître et la capacité d’engendrer. « L’âme du végétal est ce qui engendre un être semblable selon l’espèce ».

·         L’âme animale se distingue de l’âme végétale en ce qu’elle est douée d’une faculté de sentir (les études actuelles sur les arbres contredisent cette distinction).

·         L’âme humaine se distingue de l’âme animale en ce qu’elle a une faculté de connaître (l’intelligence, la conscience). St Thomas dira que seule cette âme est immortelle.

Ces distinctions permettront aux commentateurs d’établir trois espèces d’âme : l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme intellective.
Bien sûr il y a une différence de nature et pas seulement de degré entre ces trois âmes (contrairement à ce que soutiennent les antispécistes). Il n’empêche que cela traduit une réelle solidarité entre toutes les formes du vivant, dont nous ne pouvons pas faire abstraction au moment où nous leur donnons la mort.

La solidarité du vivant sous toutes ses formes est le fondement de ce que le pape François appelle une écologie intégrale, parce qu’elle prend en compte tous les liens, toutes les interactions entre les espèces.  

« Étant donné que tout est intimement lié, et que les problèmes actuels requièrent un regard qui tienne compte de tous les aspects de la crise mondiale, je propose à présent que nous nous arrêtions pour penser aux diverses composantes d’une écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et sociales » (n° 137).

« Tout est lié » : ce leitmotiv de l’encyclique Laudato si veut d’abord unir le souci de l’environnement à celui de la justice, de la culture, du sort des plus pauvres, bref à tenir ensemble l’humain et la nature, dans toutes leurs composantes. Cela veut donc dire qu’il y a une solidarité du vivant sous toutes ses formes. La dignité humaine s’éprouve aussi bien au sort réservé aux plus faibles qu’au sort des animaux dépecés dans nos abattoirs.

 

La vie secrète des arbres

51iyXjdfPwL._SX323_BO1,204,203,200_ animaux dans Communauté spirituelleImageOn peut même aller plus loin encore, et parler d’une solidarité avec les arbres et autres végétaux, qui ne sont pas si insensibles que les anciens le pensaient en Occident. Lisez « La vie secrète des arbres » (2015) du garde forestier Peter Wohllebenet et vous ne pourrez plus jamais vous balader en forêt comme avant ! Il décrit en effet les étonnantes capacités  d’organisation, de communication des arbres entre eux. Par les racines qui se touchent, par les substances émises des feuilles, par les impulsions électriques qu’ils sont capables de créer, les arbres coopèrent, s’avertissent, font système. Ils acquièrent même une forme de mémoire pour s’adapter aux événements, témoignant d’une capacité d’apprentissage étonnante. Ils influent sur leur milieu pour en retenir l’eau, abaisser la température, développer les espèces végétales et animales qui leur seront des alliés etc. Si bien que mettre à mort des arbres n’importe comment devrait nous être aussi insupportable que de voir une génisse éventrée avec son veau de six mois à l’abattoir. Nous devrions comme Idéfix pleurer à chaque arbre abattu ! L’homme se maltraite lui-même en ne respectant pas la dignité du vivant qui l’entoure. Jusque dans la mort.

Bien vivre notre mort demanderait peut-être de réfléchir à la mort que nous infligeons aux futures viandes dans nos assiettes, et aux forêts exploitées selon les seules règles de l’économie marchande.

Bien sûr il n’est pas question de prêter des sentiments humains à des arbres. Il n’empêche qu’une forme de ressenti, une capacité d’organisation, de communication, d’apprentissage et de mémoire les caractérisant nous les rend plus proches que de simples choses sans âme comme nous l’imaginions dans les siècles passés.

Notre première lecture  (Ap 7, 2-4.9-14) ne dit-elle pas : « Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres… » ?

 

Que pensent les dindes de Noël ?

51h2FH6qIsL._SX327_BO1,204,203,200_ arbresC’est le titre provoquant d’un ouvrage [3] qui veut nous faire passer de l’autre côté pour adopter le point de vue de l’animal que nous élevons afin de le tuer et de le manger.

Que pensent les chrysanthèmes de la Toussaint ?’ pourrait-on parodier pour provoquer les consciences. Les chrétiens ne devraient-ils pas les premiers réfléchir à la façon dont nous donnons la mort ? Puisque la croix du Christ est l’abattoir épouvantable par excellence, dégradant jusqu’à l’identité humaine du condamné, comment fêter l’espérance en un au-delà de la mort sans s’intéresser à l’en-deçà qui frappe si cruellement animaux et végétaux à cause de nous ? Il doit bien exister une façon digne de se nourrir, d’élever et de tuer, de faire grandir et de récolter ! N’espérons pas « paraître devant Dieu avec assurance » (He 4,16) si nous avons refusé à nos semblables une fin de vie juste et respectueuse. « La mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous » (Lc 6,38) : l’avertissement de Jésus vaut pour nos abattoirs, nos déforestations, nos compagnons du vivant.

Le nouveau maire (écologiste) de Bordeaux a fait polémique récemment en refusant de planter un arbre mort au milieu de sa ville : le sapin de Noël (coutume que l’Église catholique a d’ailleurs longtemps combattue avant de l’intégrer) est pour lui le symbole de ces arbres qu’on abat en pleine force de l’âge pour le seul plaisir des passants.

Pas de cadavre près de nos crèches !’ pourrait être un slogan catho-écolo fort disruptif… Faut-il aller jusque-là ? En tout cas, difficile pour les chrétiens - partisans d’une écologie intégrale - de se désintéresser de la mort de ceux que François d’Assise appelait ses frères et ses sœurs (même le loup de Gubbio !). Si la fête de Toussaint résonne pour nous comme une promesse de résurrection, n’oublions pas que Dieu ne nous recréera pas seuls, mais en lien avec un monde nouveau : « des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (Is 65,17 ; Ap 21,1) où d’autres formes de vie seront présentes.

 

Allons donc porter des chrysanthèmes sur les tombes de nos défunts, en pensant que cela nous engage à faire mourir nos compagnons du vivant plus dignement qu’aujourd’hui.

 

 


[1]. En référence à référence à l’article L214 du code rural qui pour la première fois en 1976 désignent les animaux en tant qu’êtres sensibles : Art L214-1 : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».
[3]. Que pensent les dindes de Noël ? Oser se mettre à la place de l’animal, Fabienne Delfour, Coll. Tana Document, 2019.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Voici une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues » (Ap 7, 2-4.9-14)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève, avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ; d’une voix forte, il cria aux quatre anges qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer : « Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu. » Et j’entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau : ils étaient cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des fils d’Israël.
Après cela, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. Et ils s’écriaient d’une voix forte : « Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau ! » Tous les anges se tenaient debout autour du Trône, autour des Anciens et des quatre Vivants ; se jetant devant le Trône, face contre terre, ils se prosternèrent devant Dieu. Et ils disaient : « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! » L’un des Anciens prit alors la parole et me dit : « Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? » Je lui répondis : « Mon seigneur, toi, tu le sais. » Il me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »

 

PSAUME

(Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6)
R/ Voici le peuple de ceux qui cherchent ta face, Seigneur. (cf. Ps 23, 6)

Au Seigneur, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
C’est lui qui l’a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.

Qui peut gravir la montagne du Seigneur
et se tenir dans le lieu saint ?
L’homme au cœur pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.

Il obtient, du Seigneur, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
Voici le peuple de ceux qui le cherchent !
Voici Jacob qui recherche ta face !

DEUXIÈME LECTURE
« Nous verrons Dieu tel qu’il est » (1 Jn 3, 1-3)

Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. Et quiconque met en lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur.

 

ÉVANGILE
« Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5, 1-12a)
Alléluia. Alléluia.Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, dit le Seigneur, et moi, je vous procurerai le repos. Alléluia. (Mt 11, 28)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »
Patrick BRAUD

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1 novembre 2015

Ton absence…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 01 min

Ton absence…


Homélie pour le jour des fidèles défunts
2 Novembre

Je me souviens de parents du catéchisme qui ont débattu longtemps entre eux pour savoir quelle attitude adopter : fallait-il ou non laisser leur enfant voir son grand-père qui venait de mourir ? fallait-il ou non l’emmener avec eux pour la célébration des obsèques à l’église ? au cimetière ?

Ne répondons pas trop vite… Eux avaient finalement opté pour dire la vérité et la vivre avec leur enfant de 8 ans, en l’emmenant avec eux, en lui parlant, en lui permettant de pleurer, mais aussi de porter une fleur, une bougie, un dernier baiser… Et ils n’ont pas regretté d’avoir eu ce courage : le deuil a été plus humain, plus vrai, mieux traversé grâce à cela.

Quand nous prions pour ceux qui nous ont précédé, parents, oncles et tantes, grands-parents, nous leur rendons grâce pour ce qu’ils nous ont transmis.

Reconnaître ce que nous leur devons, c’est si important !

Nous ne nous sommes pas faits tout seuls, à partir de rien.

Le monde n’a pas commencé avec nous.

Un certain sens de l’histoire, familiale, communale, nous aide à ne pas oublier d’où nous venons. Nos cimetières disent d’ailleurs l’histoire de nos familles, de nos communes, avec gravité, parfois avec humour…

Quand nous évoquons ceux qui ne sont plus là, nous éprouvons à nouveau qu’ils nous manquent.

Ils font partie de nous. Ils ont laissé leur trace et leur empreinte au plus intime de notre coeur, de notre mémoire, de notre identité. Nous mesurons encore davantage qu’avec les vivants que nous sommes faits pour vivre en lien, en relation, en communion les uns avec les autres. Non pas repliés sur nous-mêmes, mais reliés aux autres, parce qu’ils sont une partie de nous-mêmes. Dans la foi, ce manque, cette absence des êtres aimés n’est pas désespérante ou déprimante : redécouvrir dans la prière que tel visage me manque, c’est un double appel à aimer et à espérer.

 

Appel à aimer :

car il s’agit d’être fidèle à ce que la personne aimée à ouvert en moi de capacité à me donner, à me livrer. Il s’agit de ne pas rater mes relations avec mes proches en me laissant enfermer dans une nostalgie qui ne fera pas revivre l’être disparu, mais qui par contre me coupera de mes proches.

C’est toute l’importance de ce que l’on appelle le « travail de deuil ». J’ai connu les parents d’un très bon ami de collège tué sur sa mobylette à 14 ans, fils unique ; des années après, ils avaient laissé intacte sa chambre, ressassaient toujours le même chagrin, et leur maison tout entière était sous la domination de la douleur, les empêchant de vivre… Mon ami Jean-Yves, de l’ailleurs où il se tient désormais, pourrait-il être heureux de la longue descente de ses parents au fond du désespoir ?

Appel à aimer, donc à tisser de nouvelles relations, car c’est ainsi que l’on devient fidèle à ses disparus.

 

Appel à espérer aussi :

car dans la foi chrétienne nous croyons que les liens d’amour qui nous ont unis sont, en Jésus-Christ, plus forts que la mort !

Alors, fêter les défunts, c’est nous rappeler à nous-mêmes le terme, le but de notre route. « Si nous avons mis notre espérance dans cette vie-ci seulement, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes » (1 Co 15,9). Mais non, le Christ est ressuscité, et le but de notre vie n’est pas ici-bas uniquement.

Alors la mort peut changer de signe, quelque soient les circonstances qui l’ont accompagné… Elle peut devenir attente, comme le grondement sourd de la vague qui approche…

 

Mourir, c’est rencontrer

Notre espérance est placée en Dieu, lui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts, et non en notre souvenir. Car jamais le souvenir n’a fait revivre quelqu’un. Alors que Dieu est capable de donner la vie là où pour nous c’est impossible, même à ceux que les hommes ont oublié et délaissé… Ce que nous appelons la mort n’est jamais que la rencontre en plénitude de Celui qui est la source vivante de tous les liens qui nous relient les uns aux autres, au-delà de l’espace et du temps.

 

Que ce double appel, à aimer et à espérer, nous aide à faire mémoire de nos défunts dans la paix et la sérénité.

 

 

 

1ère lecture : La vie de tout homme est dans la main de Dieu(Sg 2,23; 3,1-6.9)

Lecture du livre de la Sagesse

Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu’il est en lui-même.
La vie des justes est dans la main de Dieu, aucun tourment n’a de prise sur eux.
Celui qui ne réfléchit pas s’est imaginé qu’ils étaient morts ; leur départ de ce monde a passé pour un malheur ; quand ils nous ont quittés, on les croyait anéantis, alors qu’ils sont dans la paix.
Aux yeux des hommes, ils subissaient un châtiment, mais par leur espérance ils avaient déjà l’immortalité.
Ce qu’ils ont eu à souffrir était peu de chose auprès du bonheur dont ils seront comblés, car Dieu les a mis à l’épreuve et les a reconnus dignes de lui.
Comme on passe l’or au feu du creuset, il a éprouvé leur valeur ; comme un sacrifice offert sans réserve, il les a accueillis.
Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur comprendront la vérité ; ceux qui sont fidèles resteront avec lui dans son amour, car il accorde à ses élus grâce et miséricorde.

Psaume : 30 (31), 2-3a, 3bc.6, 11.15

R/ En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit.

En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ;
garde-moi d’être humilié pour toujours.
Dans la justice, libère-moi ;
écoute, et viens me délivrer.

Sois le rocher qui m’abrite,
la maison fortifiée qui me sauve.
En tes mains, je remets mon esprit ;
tu me rachètes, Seigneur, Deiu de vérité.

Ma vie s’achève dans les larmes,
et mes années, dans les souffrances.
Moi, je suis sûr de toi, Seigneur,
je dis : « Tu es mon Dieu ! »

Evangile : « Maintenant tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix » (Lc 2, 25-32)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Béni soit le Seigneur notre Dieu : sur ceux qui demeuraient à l’ombre de la mort, il a fait resplendir la lumière.Alléluia. (cf. Lc 1, 68-69.79)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui.L’Esprit lui avait révélé qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Messie du Seigneur.Poussé par l’Esprit, Syméon vint au Temple. Les parents y entraient avec l’enfant Jésus pour accomplir les rites de la Loi qui le concernaient.
Syméon prit l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant :
« Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix, selon ta parole.
Car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples :
lumière pour éclairer les nations païennes,
et gloire d’Israël ton peuple. »
Patrick Braud

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28 octobre 2015

Toussaint alluvionnaire

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Toussaint alluvionnaire

Homélie pour la fête de la Toussaint 2015
Cf. également :

Les cimetières de la Toussaint
Tous un : la Toussaint, le cimetière, et l’Église…
Toussaint d’en-haut, Toussaint d’en-bas
Toussaint : le bonheur illucide 

Une alluvion, qu’est-ce que c’est ?

Afficher l'image d'origineC’est un dépôt de sédiments d’un cours d’eau constitué, selon les régions et la force des courants, de galets, de graviers, de boues et de limons. Dans certaines vallées ces alluvions constituent une couche géologique qui peut contenir de l’eau sous forme de nappe phréatique.

Autrement dit, le limon présent dans une terre raconte l’héritage que cette terre doit à la rivière qui l’a façonnée, ainsi qu’aux terres en amont venues enrichir le sol dans ces dépôts successifs.

En outre, les terrains alluvionnaires sont très fertiles. Le delta du Nil est le plus célèbre exemple de cette fécondation d’une terre par d’autres, grâce à l’intermédiaire du fleuve qui coule, en arrachant, charriant puis déposant sur son passage. Sur les bords du Nil poussent toutes sortes de plantes, légumes, céréales. Le phénomène alluvionnaire, régulièrement entretenu par les crues du Nil, produit un terreau d’une fertilité exceptionnelle.

 

À y réfléchir, il y a quelque chose d’alluvionnaire dans la fête de la Toussaint, associée au jour des défunts le jour d’après.

En effet, les morts de nos familles, de nos amis, ont été emportés par le grand fleuve de la vie vers un océan inconnu. Mais au passage, ils ont laissé en nous des traces indélébiles. Leur absence nous fait mieux mesurer encore ce que nous leur devons. Les sédiments dont ils ont nourri notre sol se déposent en strates serrées. À tel point qu’avec l’âge, nous sommes davantage débiteurs des absents que des vivants qui nous entourent !

Une terre alluvionnaire sait qu’elle n’est rien sans le grand courant de la vie qui la parcourt. Et ce courant a d’abord arraché, détruit, enlevé, avant de déposer, enrichir, laisser reposer.

Afficher l'image d'origineFêter la Toussaint, c’est reconnaître tout ce que je dois à ceux qui m’ont précédé et qui ont laissé quelque chose d’eux-mêmes en moi. Eux sont devant, auprès du  Christ (cf. les foules de l’Apocalypse dans la deuxième lecture). Mais décantent en nous les moments partagés avec eux. Moments de joie, de bonheur simple où ils ont été des compagnons devenant uniques. Moments difficiles, de conflit ou de séparation, dont l’alluvion peut être acide, stérile, ou au contraire finalement pleine d’espérance. Moments de souffrance pour l’un et de compassion pour l’autre, qui nous laissent un arôme de communion durant très longtemps en bouche…

Et vous, quels sont les morts qui vous ont le plus marqué ?

Par mort on peut entendre à la fois la personne disparue et la manière dont elle est partie.

Si vous prenez le temps de réfléchir à cette question, vous pouvez fêter Toussaint les palmes à la main !

 

Pour moi, vient immédiatement le visage de Jean-Yves. En années de collège, on veut d’abord rire, faire les fous, braver quelques limites. Jean-Yves est un de ces amis d’insouciance avec lequel il faisait bon partager ces moments. Par exemple lorsqu’il faisait le pitre avec sa mobylette, voulant épater la galerie avec ses acrobaties. Monter sur le porte-bagages arrière tout en poussant la mobylette à fond droit debout était son exploit préféré. Il nous en imposait grâce à cela ! Mais un jour, son deux-roues n’a pas été aussi stable, ou la route était plus défoncée, ou le porte-bagages mal fixé, ou… Toujours est-il que Jean-Yves est tombé, à pleine vitesse, sans casque. Mort quelques heures après. Ce fut mon premier contact réel avec ce  rendez-vous mystérieux souvent évoqué, mais virtuel. Plus de 40 ans après, je peux dire que l’amitié, l’accident et la disparition de Jean-Yves ont laissé en moi plus d’alluvions que je ne l’aurais cru. Je revois encore son rire, mon malaise devant dans sa chambre d’enfant unique sanctuarisée par ses parents, notre visite sur sa tombe avec des amis et nous n’avions pas pu nous empêcher de raconter ses blagues préférées jusqu’à rire aux larmes… Je crois que je lui dois beaucoup.

Chacun de nous pourrait ainsi raconter, égrener les noms des morts qui l’ont marqué. Et la Toussaint nous invite à réciter à nouveau ce chapelet-là, dont les grains sont des visages disparus. Cette litanie des saints n’est pas triste. Elle donne du poids à tous les sédiments qui se sont déposés en nous grâce à eux, elle ouvre un avenir dont ils participent déjà. Puisqu’ils nous ont tant marqués dès ici-bas, combien plus encore après ! Puisqu’ils ont tant fertilisé notre humus intérieur, comment ne pas rendre grâce de leur passage et de ce que le fleuve de la vie a charrié à travers eux pour nous ?

Alors, racontez-vous à vous-mêmes les morts qui ont été importants dans le lit de votre existence.

Devenez cette terre capable de porter du fruit grâce aux multiples alluvions qu’elle a su accueillir et transformer en terreau fertile.

 

Afficher l'image d'originePuisque la Toussaint est alluvionnaire, laissez-la décanter, puis sédimenter en vous tout ce que le grand fleuve de la vie a charrié de vos disparus.

Vous pourrez à la fois vous réjouir de leur passage, rendre grâce pour leur limon, et devenir vous-même alluvions pour d’autres.

En attendant que le courant nous emporte nous aussi vers l’océan inconnu…

 

 

 

 

 

 

1ère lecture : « Voici une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues » (Ap 7, 2-4.9-14)
Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Moi, Jean,     j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève, avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ; d’une voix forte, il cria aux quatre anges qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer :     « Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu. »     Et j’entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau : ils étaient cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des fils d’Israël. Après cela, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.     Et ils s’écriaient d’une voix forte : « Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau ! »     Tous les anges se tenaient debout autour du Trône, autour des Anciens et des quatre Vivants ; se jetant devant le Trône, face contre terre, ils se prosternèrent devant Dieu.     Et ils disaient : « Amen ! Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! »     L’un des Anciens prit alors la parole et me dit : « Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? »     Je lui répondis : « Mon seigneur, toi, tu le sais. » Il me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »

Psaume : Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6

R/ Voici le peuple de ceux qui cherchent ta face, Seigneur. (cf. Ps 23, 6)

Au Seigneur, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
C’est lui qui l’a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.

Qui peut gravir la montagne du Seigneur
et se tenir dans le lieu saint ?
L’homme au cœur pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.

Il obtient, du Seigneur, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
Voici le peuple de ceux qui le cherchent,
qui cherchent la face de Dieu de Jacob !

2ème lecture : « Nous verrons Dieu tel qu’il est » (1 Jn 3, 1-3)
Lecture de la première lettre de saint Jean

Bien-aimés,     voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu.     Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.     Et quiconque met en lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur.

Evangile : « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5, 1-12a)

 Acclamation : Alléluia. Alléluia. Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau,
dit le Seigneur, et moi, je vous procurerai le repos. Alléluia.  (Mt 11, 28)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là,     voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.     Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :     « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.     Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.     Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.     Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.     Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.     Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.     Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.     Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.     Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.     Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »
Patrick Braud

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1 avril 2015

Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 17 h 40 min

La vilaine mort du Christ

Homélie pour le Vendredi Saint 2015
cf. également :

Vendredi Saint : les morts oubliés
Vendredi Saint : la déréliction de Marie
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Comment mourir ?
La tragédie du crash de l’Airbus A320 dans les Alpes du Sud a mis en évidence la préoccupation majeure des médias : comment sont morts les 140 passagers du vol ? Ont-ils réalisé ce qui se passait pendant ces huit minutes infernales de descente en vol plané ? Étaient-ils conscients ou inconscients (cf. l’hypothèse de la dépressurisation) ? Ont-ils souffert lors de l’impact de l’avion s’écrasant contre la montagne ?

La question des derniers moments avant de mourir est devenue la plus importante. Peu importe ce qu’il y a après ou non, l’attention médiatique se concentre sur le comment mourir, sans lien avec l’après.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Pensez aux catastrophes autrement plus effrayantes (quantitativement) qui ont décimé nos pays : la grande peste a rayé un tiers de la population de la carte d’Occident, les guerres, épidémies et famines en tous genres ont fait le reste, si bien que le continent était sous-peuplé, et l’espérance de vie limitée à 40 ans environ jusqu’au XIXe siècle. Devant la mort omniprésente, l’Occident a développé l’art de bien mourir (ars moriendi), mais pas du tout à la manière d’aujourd’hui. Bien mourir, ce n’était pas bien vivre ses derniers instants, c’était bien préparer l’éternité qui allait commencer.

Pensez aux danses macabres, aux derniers sacrements, à l’immense (et sublime !) fresque des hospices de Beaune sur le jugement dernier pour nourrir la méditation des agonisants…

Bref, depuis le XIXe siècle, l’Occident est obsédé par le juste avant la mort, alors qu’auparavant c’était  le juste après qui était le plus important.

La première contestation chrétienne de l’air du temps s’inscrit ici, dans cette inversion des perspectives : l’après mort est infiniment plus intéressant (et plus long !) que la phase de départ de ce monde.

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Fresque des hospices de Beaune sur le jugement dernier 

Mais bon ! Regardons quand même à la lumière de ce Vendredi Saint ce que la Passion du Christ nous dit sur le comment mourir, puisque c’est cela qui fascine nos contemporains.

Une deuxième contestation chrétienne surgit alors de la lecture de la Passion : la mort du Christ ne ressemble en rien aux canons de beauté, de dignité et de sérénité qu’on voudrait nous imposer.

Passons en revue ses canons d’une belle mort aux yeux de notre culture actuelle.

 

Une mort sereine
Si un malade ressent de l’angoisse en phase terminale, psychologues et psychotropes sont convoqués pour l’aider à surmonter son mal être. Si le sommeil s’en va, les médicaments nous en donneront un  artificiel de substitution. Si la souffrance est insupportable, les sédatifs l’endormiront, quitte à nous plonger dans une inconscience peu à peu fatale.

Nous rêvons finalement d’une fin de vie paisible, sans débat intérieur.

Jésus sur la croix, lui, n’est guère serein. À Gethsémani, il a déjà sué du sang et de l’eau à l’approche de cette horrible mort. Suspendu au gibet, il pousse un grand cri d’angoisse au moment ultime. Visiblement, il ne s’est pas endormi à la manière sereine d’un patriarche ayant dit adieu aux siens.

C’était pour que tous ceux qui sont étreints par l’angoisse à l’approche de leur mort puissent se tourner vers lui, y reconnaître leur frère en humanité, et glisser leur cri dans le sien.

 

Une mort glorieuse
Lorsqu’un soldat meurt au combat ou en opérations extérieures (opex) comme en Afghanistan ou au Mali, il en sort auréolé d’une gloire nationale aux yeux de la société. On dit qu’il est tombé au « champ d’honneur », et cet honneur rejaillit sur sa famille. On le décore à titre posthume de la Légion d’honneur. On en fait une figure héroïque (même si la raison de sa mort est d’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment).

Bref, nous pouvons rêver d’une mort glorieuse, civile ou militaire, qui nous valoriserait aux yeux des nôtres.

Vendredi Saint : La vilaine mort du Christ dans Communauté spirituelle 15Rien de tel dans la crucifixion. C’est une mort infamante, réservée aux esclaves, au humiliores de l’empire romain, c’est-à-dire aux moins que rien. Il n’y a rien de glorieux dans la mort de Jésus. C’est une mort de paria.

 

Une mort accompagnée
Mourir seul effraie la plupart d’entre nous. Nous désirons à juste titre une main à serrer, une voix qui rassure, une écoute qui permet de se livrer. Nous avons mis en place des soins palliatifs justement pour réaliser cet accompagnement humain et humanisant jusqu’au bout. C’est ce que Marie de Hennezel appelle avec délicatesse la « mort intime », parce que dans cet accompagnement la parole dénoue l’angoisse, l’affection soutient le combat intérieur, l’intime est partagé et donc moins lourd.

__eli__eli__lama_sabachthani____by_hippyemo52-d2yvk8h Christ dans Communauté spirituelleSur la croix, le Christ ressent une terrible solitude. Même si sa mère et Jean sont là, ils ne peuvent l’aider. Et surtout, la déréliction de ce condamné est totale. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ». Le Christ n’est pas accompagné, mais abandonné par celui qui est le plus intime de son être : Dieu son Père. Pire encore, le bois de la croix n’évoque pas la mort d’un héros, mais d’un maudit de Dieu. Car une vieille malédiction juive est attachée à cette peine déjà humiliante et infamante : « maudit soit celui qui pend au gibet ». Suspendu au bois, Jésus devient un maudit. Sur la croix, Dieu est abandonné de Dieu !

C’était pour que tous ceux qui ressentent cette effroyable solitude au moment de mourir, abandonnés des hommes et de Dieu, puissent tourner vers le Christ et glisser leur déréliction dans la sienne.


Une mort dans la dignité
À juste titre, le débat pour des lois sur la fin de vie va occuper nos parlementaires pendant des années encore. Le but est de permettre à chacun de partir dignement : à la demande du malade, euthanasie ou suicide assisté. Nous voulons rester dignes et en pleine possession de nous-mêmes jusqu’au bout.

Kim_Crucifixion_500 croixMais le supplice de la crucifixion n’a rien de digne. Il a été précédé pour Jésus d’une séance de fouet et de couronnes d’épines et de dérision qui l’ont rabaissé, physiquement et moralement, au rang d’un ver de terre avec qui l’on joue avant de l’écraser. Le crucifié n’a rien de superbe. Dépouillé de ses vêtements, exposés à la moquerie de la foule, ensanglanté et meurtri de toutes parts, la mort du Christ est indigne, déshumanisante, dégradante.

C’était pour que tous ceux que la souffrance, ou la haine des hommes, défigure avant que d’être tués glissent leur indignité dans la sienne, dans l’attente de la transfiguration promise.

 

Une mort choisie
La revendication deviendra de plus en plus forte : choisir le moment de son départ, et la manière de le faire. Ne pas subir les diktats de la maladie ou de la vieillesse (penser à la maladie d’Alzheimer) relèvent de la dignité nouvelle fasse à la mort.

25_VERTUS_CHRIST_AUX_LIENS_XVI crucifixionLe Christ n’a pas choisi la crucifixion. Des passages des évangiles attestent qu’il envisageait d’être lapidé, comme les prophètes d’autrefois. Mais jamais il n’aurait pensé à la croix, cet infamant et dégradant supplice romain, source de malheur absolu pour un juif. Il n’a pas choisi de mourir ni encore moins de mourir de cette façon-là : il a dû combattre à Gethsémani pour accepter que sa mission aille jusque là, jusqu’à faire corps avec les damnés de la terre.

C’était pour que tous ceux à qui on impose une fin atroce, inhumaine, dégradante, puissent se tourner vers lui et vivre cette mort imposée dans l’espérance que Dieu s’imposera plus encore, après.

 

Une mort subite
« Il en a eu la chance : il ne s’est pas vu partir ». « Il est mort dans son sommeil », ou « en un clin d’oeil à cause de l’infarctus ».

C’est cela la belle mort actuelle : celle qu’on ne voit pas venir, qui nous prend par surprise sans qu’on ait conscience. Une non-mort en quelque sorte, puisqu’elle passe inaperçue aux yeux de celui qui est frappé.
La mort du Christ n’a rien d’instantané. Le supplice de la croix est prévu pour être long, plusieurs jours suspendu jusqu’à ce que l’asphyxie fasse son oeuvre. Seul l’état d’exténuation physique de Jésus explique qu’il soit mort aussi vite, en quelques heures ce vendredi, alors qu’on était obligé de briser les jambes des autres condamnés pour qu’enfin ils ne puissent plus s’appuyer sur elle pour respirer.

C’était pour que tous ceux qu’une longue agonie torture en leur chair et esprit puissent se tourner vers Jésus, et trouvent en lui la force de tenir bon au-delà du supportable, parce que Dieu s’engage pour un infini à nul autre pareil.


Une mort utile
Le don d’organes, l’expérimentation de nouveaux traitements, mais aussi une présence irradiante qui fait du bien à toute la famille jusqu’au bout et après : il y a beaucoup de manières de rendre utile aux autres la cessation de notre vie organique. Jusqu’au don de soi dans le martyre en se sacrifiant pour sauver d’autres vies, ou pour proclamer sa foi au milieu de la persécution.

En ce sens, la mort de Jésus est sans aucun doute la mort utile par excellence, puisque de ce mal absolu va sortir une espérance bien plus absolue.« Par ses blessures nous sommes guéris ». « En sa mort nous trouvons la source de la vie ».

L’utilité de la mort du Christ nous appelle à faire de même si possible : transformer nos derniers instants en source d’amour, de don de soi et de partage à ceux qui restent.


La vilaine mort de Jésus de Nazareth
Vous voyez : ce rapide parcours — non exhaustif — des canons actuels d’une belle mort font apparaître celle du Christ comme une mort vilaine.

La mort de Jésus n’est pas sereine mais angoissée.
La crucifixion n’a rien de glorieux : elle est infamante.
Jésus agonise seul, abandonné de Dieu et les hommes, pas accompagné.
C’est une mort indigne, dégradante.
On lui a imposé, il ne l’a pas choisie.
Loin d’être une fin rapide, cela a été long et douloureux.
Par contre, c’est la mort la plus utile que l’humanité connaîtra jamais…

Tout cela s’est déroulé ainsi pour que nul être humain ne désespère désormais de sa propre mort, quelques soient les conditions, même plus atroces encore, dans lesquelles il devra la traverser.

resurrection2007 mort 

En ce Vendredi Saint, Christ est descendu aux enfers, dans les enfers de nos angoisses, de nos solitudes, de nos indignités, de nos souffrances interminables.

C’était pour saisir chacun de nous par le poignet fermement et ainsi le faire remonter avec lui dans la transfiguration de Pâques.

Puissions nous regarder autrement nos crucifix, comme le signe de cette formidable solidarité de Dieu  avec notre humanité, jusque dans notre mort.

 

 

Célébration de la Passion du Seigneur

1ère lecture : « C’est à cause de nos fautes qu’il a été broyé »(Is 52, 13 – 53, 12)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Mon serviteur réussira, dit le Seigneur ;
il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme. Il étonnera de même une multitude de nations ; devant lui les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur avait dit, ils découvriront ce dont ils n’avaient jamais entendu parler

Qui aurait cru ce que nous avons entendu ?
Le bras puissant du Seigneur, à qui s’est-il révélé ? Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous

Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. Arrêté, puis jugé, il a été supprimé. Qui donc s’est inquiété de son sort ? Il a été retranché de la terre des vivants, frappé à mort pour les révoltes de son peuple. On a placé sa tombe avec les méchants, son tombeau avec les riches ; et pourtant il n’avait pas commis de violence, on ne trouvait pas de tromperie dans sa bouche. Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur. S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira

Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera. Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs fautes. C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs.

Psaume : 30 (31), 2ab.6, 12, 13-14ad, 15-16, 17.25

R/ Ô Père, en tes mains je remets mon esprit. (cf. Lc 23, 46)

En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ; garde-moi d’être humilié pour toujours.

En tes mains je remets mon esprit ; tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité.

Je suis la risée de mes adversaires et même de mes voisins ;

je fais peur à mes amis, s’ils me voient dans la rue, ils me fuient.

On m’ignore comme un mort oublié, comme une chose qu’on jette.

J’entends les calomnies de la foule : ils s’accordent pour m’ôter la vie.

Moi, je suis sûr de toi, Seigneur, je dis : « Tu es mon Dieu ! »

Mes jours sont dans ta main : délivre-moi des mains hostiles qui s’acharnent.

Sur ton serviteur, que s’illumine ta face ; sauve-moi par ton amour.

Soyez forts, prenez courage, vous tous qui espérez le Seigneur !

2ème lecture : Il apprit l’obéissance et il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel (He 4, 14-16 ; 5, 7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi. En effet, nous n’avons pas un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché. Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.

 Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

Evangile : Passion de notre Seigneur Jésus Christ (Jn 18, 1 – 19, 42)

Acclamation :
Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. Pour nous, le Christ est devenu obéissant, jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom. Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. (cf. Ph 2, 8-9)

La Passionde notre Seigneur Jésus Christ selon saint Jean

Indications pour la lecture dialoguée : les sigles désignant les divers interlocuteurs sont les suivants : = Jésus ; L = Lecteur ; D = Disciples et amis ; F = Foule ; A = Autres personnages.

L. En ce temps-là, après le repas, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. Judas, avec un détachement de soldats ainsi que des gardes envoyés par les grands prêtres et les pharisiens, arrive à cet endroit. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils lui répondirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Il leur dit : X « C’est moi, je le suis. » L. Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. Quand Jésus leur répondit : « C’est moi, je le suis », ils reculèrent, et ils tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : X « Qui cherchez-vous? » L. Ils dirent : F. « Jésus le Nazaréen. » L. Jésus répondit : X « Je vous l’ai dit : c’est moi, je le suis. Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. » L. Ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. » Or Simon-Pierre avait une épée ; il la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus. Jésus dit à Pierre : X « Remets ton épée au fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, vais-je refuser de la boire ? » L. Alors la troupe, le commandant et les gardes juifs se saisirent de Jésus et le ligotèrent. Ils l’emmenèrent d’abord chez Hanne, beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là. Caïphe était celui qui avait donné aux Juifs ce conseil : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple. »

Or Simon-Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivait Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre. Pierre se tenait près de la porte, dehors. Alors l’autre disciple – celui qui était connu du grand prêtre – sortit, dit un mot à la servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre. Cette jeune servante dit alors à Pierre : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un des disciples de cet homme ? » L. Il répondit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un feu de braise pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer. Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : X « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit. » L. À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : A. « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » L. Jésus lui répliqua : X « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? » L. Hanne l’envoya, toujours ligoté, au grand prêtre Caïphe.

Simon-Pierre était donc en train de se chauffer. On lui dit : A. « N’es-tu pas, toi aussi, l’un de ses disciples ? » L. Pierre le nia et dit : D. « Non, je ne le suis pas ! » L. Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, insista : A. « Est-ce que moi, je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » L. Encore une fois, Pierre le nia. Et aussitôt un coq chanta.

Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal. Pilate sortit donc à leur rencontre et demanda : A. « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » L. Ils lui répondirent : F. « S’il n’était pas un malfaiteur, nous ne t’aurions pas livré cet homme. » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le suivant votre loi. » L. Les Juifs lui dirent : F. « Nous n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort. » L. Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir. Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : A. « Es-tu le roi des Juifs ? » L. Jésus lui demanda : X « Dis-tu cela de toi-même, Ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » L. Pilate répondit : A. « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » L. Jésus déclara : X « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » L. Pilate lui dit : A. « Alors, tu es roi ? » L. Jésus répondit : X « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » L. Pilate lui dit : A. « Qu’est-ce que la vérité ? » L. Ayant dit cela, il sortit de nouveau à la rencontre des Juifs, et il leur déclara : A. « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? » L. Alors ils répliquèrent en criant : F. « Pas lui ! Mais Barabbas ! » L. Or ce Barabbas était un bandit.

Alors Pilate fit saisir Jésus pour qu’il soit flagellé. Les soldats tressèrent avec des épines une couronne qu’ils lui posèrent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau pourpre. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : F. « Salut à toi, roi des Juifs ! » L. Et ils le giflaient.

Pilate, de nouveau, sortit dehors et leur dit : A. « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Jésus donc sortit dehors, portant la couronne d’épines et le manteau pourpre. Et Pilate leur déclara : A. « Voici l’homme. » L. Quand ils le virent, les grands prêtres et les gardes se mirent à crier : F. « Crucifie-le! Crucifie-le! » L. Pilate leur dit : A. « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » L. Ils lui répondirent : F. « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » L. Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte. Il rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : A. « D’où es-tu? » L. Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors : A. « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » L. Jésus répondit : X « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand. » L. Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher ; mais des Juifs se mirent à crier : F. « Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. » L. En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors; il le fit asseoir sur une estrade au lieu dit le Dallage – en hébreu : Gabbatha. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure, environ midi. Pilate dit aux Juifs : A. « Voici votre roi. » L. Alors ils crièrent : F. « À mort ! À mort ! Crucifie-le! » L. Pilate leur dit : A. « Vais-je crucifier votre roi ? » L. Les grands prêtres répondirent : F. « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. » L. Alors, il leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié.

Ils se saisirent de Jésus. Et lui-même, portant sa croix, sortit en direction du lieu dit Le Crâne (ou Calvaire), qui se dit en hébreu Golgotha. C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. » Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que l’endroit où l’on avait crucifié Jésus était proche de la ville, et que c’était écrit en hébreu, en latin et en grec. Alors les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : F. « N’écris pas : “Roi des Juifs” ; mais : “Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs.” » L. Pilate répondit : A. « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. »

L. Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : A. « Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura. » L. Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats.

Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : X « Femme, voici ton fils. » L. Puis il dit au disciple : X « Voici ta mère. » L. Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : X « J’ai soif. » L. Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : X « Tout est accompli. » L. Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. (Ici on fléchit le genou, et on s’arrête un instant.)

Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Écriture dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé.

Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
Patrick BRAUD

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