L'homélie du dimanche (prochain)

2 février 2025

Sur des charbons ardents

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Sur des charbons ardents

 

Homélie pour le 5° Dimanche du Temps ordinaire / Année C
09/02/25


Cf. également :

Quand le Christ nous choisit
La seconde pêche
Du hérisson à la sainteté, puis au management
Porte-voix embarqué
Dieu en XXL
La relation maître-disciple

Démêler le fil du pêcheur
Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel

Les dignes et les indignes

 

1. Bateau ardent ou bateau mou ?

Rappelez-vous : devant la grille du lycée pour lire les résultats du Bac ; devant votre téléphone en attendant le résultat de l’intervention chirurgicale ; en faisant les cent pas dans le couloir de la maternité… Dans ces moments-là, vous étiez sur des charbons ardents, ne tenant plus en place d’impatience ou d’anxiété. Tout comme quelqu’un qui ne peut poser ses pieds sur des braises est obligé de danser sans cesse d’un pied sur l’autre. Comme le dit un proverbe biblique : « Peut-on marcher sur des charbons ardents sans se griller les pieds ? » (Pr 6,28).

 

Dans la première lecture (Is 6,1–8), les lèvres d’Isaïe sont touchées par un charbon ardent, et du coup il devient lui-même ardent à partir en mission : « Me voici, envoie-moi ! ». Il y a une impatience prophétique dans cet appel d’Isaïe, que Jésus va transmettre lui aussi aux pêcheurs du lac de Génésareth (Lc 5,1–11). Après la pêche exceptionnelle obtenue sur l’ordre de Jésus, au lieu de soigneusement stocker et saler le poisson pour le vendre ensuite, « laissant tout, ils le suivirent ». Il y a donc une urgence qui parcourt la vocation d’Isaïe et des Douze.

 

Sur des charbons ardents dans Communauté spirituelle depart-lof-grand-spiEn français, ardent désigne un voilier qui a tendance à remonter au vent, à lofer, c’est-à-dire à se rapprocher de l’axe du vent. À certaines allures – au près ou au près bon plein notamment – la plupart des voiliers vont avoir tendance à tourner vers le vent, c’est-à-dire que la barre va tirer du côté du vent. Le voilier est plus ou moins ardent en fonction de la force du vent. Plus le vent forcit, plus le bateau est ardent et se met à gîter. Cela nécessite de constamment jouer avec sa barre pour tenir son cap. Il faudra donc prodiguer plus d’effort pour maintenir le bateau sur sa route. À l’inverse, on dit d’un bateau qui s’éloigne de cet axe du vent que c’est un voilier « mou » : il aura tendance à abattre sans cesse. La métaphore vaut pour notre désir de suivre le Christ. Dans ma navigation vers Lui, suis-je ardent ou mou ?

Paul souhaite que nous soyons un peuple ardent, ardent à faire le bien : « Christ s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien » (Tite 2,14 ; lecture de la nuit de Noël).

 

Peut-être devrions-nous également être sur les charbons ardents pour supplier : « Envoie-moi ! »

Brûlons-nous encore d’impatience de suivre le Christ et d’être envoyés par lui ?

 

2. Les charbons ardents du pardon

Le sens premier du charbon ardent pour Isaïe est bien celui-là : être purifié de ses fautes pour pouvoir annoncer la parole de YHWH : « Ce charbon a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné ». Dans les Évangiles, le lien entre charbons ardents et pardon est un souvenir douloureux pour Pierre. Car c’est alors qu’il se chauffait auprès d’un tel foyer avec les gardes et les servantes dans la cour du Grand Prêtre qu’il va renier trois fois son ami par peur d’être arrêté lui aussi : « Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un braséro de charbons pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer » (Jn 18,18). Mais, lors de la seconde pêche miraculeuse sur le lac (la première étant celle de ce dimanche), Pierre en débarquant constate que Jésus a préparé un barbecue spécialement pour lui : « Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposés là, des charbons allumés avec du poisson posé dessus, et du pain » (Jn 21,9). Les charbons ardents de ce barbecue vont rappeler à Pierre son triple reniement. Et ils annoncent le triple pardon donné par Jésus : « M’aimes-tu ? Pais mes brebis ».

 

Sur-des-charbons-ardents ardent dans Communauté spirituellePourquoi ce lien entre charbons ardents et rémission des péchés ? Sans doute à cause du phénomène de sublimation (passage d’un état physique à un autre) qu’ils permettent. Isaïe voit le Temple rempli de fumée : ce sont les grains d’encens qui en tombant sur les charbons rougeoyants se transforment instantanément en volutes d’encens parfumées. « Le grand prêtre prendra alors un brûle-parfum rempli de charbons ardents qui étaient sur l’autel, devant le Seigneur, puis il prendra deux pleines poignées de poudre d’encens aromatique et portera le tout au-delà du rideau » (Lv 16,12).

Ézéchiel prendra la même image pour évoquer la mission purificatrice du Fils de l’homme : « Le Seigneur dit à l’homme vêtu de lin : “Entre par les espaces du cercle sous le Kéroub ; prends à pleines mains des charbons ardents par les espaces entre les Kéroubim, et répands-les sur la ville” » (Ez 10,2).

Et les charbons incandescents vont purifier l’offrande de toutes ses impuretés : « Mets la marmite vide sur les charbons pour qu’elle chauffe ; que le bronze rougisse, que les impuretés fondent à l’intérieur et que la rouille soit consumée ! » (Ez 24,11).

Freud a transposé ce phénomène de sublimation aux pulsions psychiques qui nous animent : certaines activités humaines – comme par exemple la création littéraire, artistique ou intellectuelle – tirent leur force de la conversion de désirs primaires vers un but socialement plus élevé. Le célibat peut ainsi devenir une énergie de transformation qui conduit à mobiliser l’être tout entier au service de buts plus hauts (service des pauvres, ascèse spirituelle etc.). La conversion du charbon en chaleur et des grains d’encens en vapeur évoque cette symbolique où l’on atteint au sublime par le passage d’un état à un autre.

 

Dans les pays nordiques, on utilise des pierres chaudes selon le même principe pour le sauna familial. Il suffit de verser une bonne louche d’eau sur les pierres chauffées pour que le sauna s’emplisse de vapeur, purifiant le corps de ses toxines.

Une pierre chaude était ainsi conservée dans tous les anciens foyers orientaux comme moyen d’appliquer de la chaleur à des fins domestiques. Pour faire des gâteaux (« cuit sur les pierres chaudes », 1R 19,6), ou pour rôtir de la chair, la pierre était d’abord chauffée au feu, et la pâte humide ou la chair étalée sur elle. Pour faire bouillir le lait, la pierre chaude y était plongée lorsqu’elle était contenue dans la peau de cuir qui servait à la fois de chaudron et de broc. En bref, la pierre chauffée était un moyen primitif d’appliquer le feu partout où le feu était nécessaire.

 

processus-cuisson-du-poisson-dorado-gril-du-poisson-grille-au-citron-bbq-bonne-nourriture-generative-ai_136403-19548 charbonsLa parole trop humaine d’Isaïe est ainsi « sublimée » pour devenir la parole de YHWH.

Ses lèvres n’en sont pas brûlées pour autant au contact du charbon : c’est sa bouche qui désormais peut exhaler l’encens de la Parole divine alors qu’elle n’était que langage grossier auparavant.

Ce même phénomène de sublimation est à l’œuvre dans le barbecue de Jésus sur la plage : les braises incandescentes vont transformer le poisson cru immangeable en chair grillée  devenue nourriture. Le pardon du Christ a ce pouvoir de faire de nous des êtres comestibles et nourrissants, nous qui étions bruts et gluants… 

Le pardon de YHWH a le pouvoir de sublimer notre péché pour que notre vie devienne un parfum agréable à tous ; il transforme notre parole grossière en annonce prophétique fidèle.

Raison de plus pour désirer recevoir ce pardon et le mettre en œuvre !

 

3. Des charbons ardents sur la tête

Par curiosité, faisons un petit détour par un autre usage des charbons ardents, mentionné par Paul en Rm 12,20 (citant Pr 25,22) : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire : en agissant ainsi, tu entasseras sur sa tête des charbons ardents ».

maxresdefault IsaïeDonner à manger et à boire, on voit bien ce que c’est ; mais que viennent faire ces boulets rouges sur la tête de mon ennemi ? C’est qu’autrefois, on n’avait pas de briquet ni d’allumage piézo-électrique ! Pour allumer un feu à la maison, il fallait d’abord en chercher chez les voisins : on frappait à leur porte, avec un vase d’argile sur la tête pour récolter les charbons ardents qu’ils voudraient bien nous donner, et les rapporter à la maison sans se brûler. Paul appelle ainsi à ne pas attendre que notre ennemi nous demande du feu, mais à lui donner au préalable, sans condition. L’amour des ennemis est ici on ne peut plus concret. Lui donner de quoi manger et boire, de quoi se chauffer et cuisiner. 

Les charbons ardents qui purifient les lèvres d’Isaïe pour sa mission deviennent ainsi la promesse d’une réconciliation possible avec l’ennemi du moment, à l’initiative du prophète.

 

4. À prendre avec des pincettes

Terminons avec un détail amusant et signifiant à la fois : les pincettes de l’ange !

« L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche ».

Alors que le Fils de l’homme prend les braises à pleines mains (Ez 10,2), le séraphin est obligé de prendre le feu de Dieu avec des pincettes…

 mission« Avec des pincettes » : en français, depuis l’hygiénisme du XIX° siècle surtout, on emploie cette expression pour désigner des personnes pas très propres, ou dangereuses à approcher. Car on utilisait des pincettes pour déplacer des choses sales sans les toucher, par souci d’hygiène. Par extension, on dit aujourd’hui d’une information qu’elle est à prendre avec des pincettes, car on n’est pas sûr de sa qualité (les fake news pullulent !). Par hyperbole, on dira d’un colérique qu’il n’est pas à prendre avec des pincettes, c’est-à-dire que même avec mille précautions, on n’en tirera rien de bon si on s’approche de lui !

 

Sur l’autel du Temple, le charbon ardent du pardon est à prendre avec des pincettes. Ce n’est pas parce que le feu purificateur du pardon serait sale ou dangereux, bien sûr. C’est tout simplement parce qu’il est brûlant : le pardon ne se manipule pas avec légèreté, sans précaution. Il demande du doigté, une forme de pédagogie et d’approche pour pouvoir toucher les lèvres de l’impur. Sinon, il vous brûlera avant que vous puissiez en toucher celui à qui vous offrez ce pardon. 

C’est tout un savoir-faire que d’aller saisir la braise de la réconciliation avec la pince pour la déposer sur autrui… Rien de plus délicat que l’art de transmettre le pardon qui vient de Dieu !

Entre Israël et Gaza, entre l’Ukraine et la Russie, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, entre les frères ennemis du Congo et du Rwanda etc., le pardon est à prendre avec des pincettes, ce qui exige diplomatie, négociations, précautions, marques de respect mutuel, acceptation de la durée… Ce qui ne dispense pas du commandement d’amour des ennemis, mais lui ouvre un chemin patient et exigeant.

 

Charbons ardents, barbecue, pincettes : que la parole de Dieu ce dimanche nous brûle au plus intime jusqu’à nous écrier avec Isaïe : « Me voici, envoie-moi ! »

Qu’attendons pour aller au charbon ?….

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Me voici : envoie-moi ! » (Is 6, 1-2a.3-8)

Lecture du livre du prophète Isaïe
L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils se criaient l’un à l’autre : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. » Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le Temple se remplissait de fumée. Je dis alors : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! » L’un des séraphins vola vers moi, tenant un charbon brûlant qu’il avait pris avec des pinces sur l’autel. Il l’approcha de ma bouche et dit : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. » J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? » Et j’ai répondu : « Me voici : envoie-moi ! »

Psaume
(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 4-5, 7c-8)
R/ Je te chante, Seigneur, en présence des anges.
(cf. Ps 137, 1c)

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

Tous les rois de la terre te rendent grâce
quand ils entendent les paroles de ta bouche.
Ils chantent les chemins du Seigneur :
« Qu’elle est grande, la gloire du Seigneur ! »

Ta droite me rend vainqueur.
Le Seigneur fait tout pour moi !
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

Deuxième lecture
« Voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez » (1 Co 15, 1-11)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Évangile, vous l’avez reçu ; c’est en lui que vous tenez bon, c’est par lui que vous serez sauvés si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé ; autrement, c’est pour rien que vous êtes devenus croyants. Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre, puis aux Douze ; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois – la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort –, ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis. Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi.
Bref, qu’il s’agisse de moi ou des autres, voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez.

Évangile
« Laissant tout, ils le suivirent » (Lc 5, 1-11)
Alléluia. Alléluia.
« Venez à ma suite, dit le Seigneur, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Alléluia. (Mt 4, 19)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. à cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

Patrick BRAUD

 

Mots-clés : , , , ,

26 juin 2022

Voyagez léger et court-vêtu !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Voyagez léger et court-vêtu !

Homélie pour le 14° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
03/07/2022

Cf. également :

Secouez la poussière de vos pieds
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
Je voyais Satan tomber comme l’éclair
Les 72
Briefer et débriefer à la manière du Christ
Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?

La politique bagage d’EasyJet

Voyagez léger et court-vêtu ! dans Communauté spirituelleIl y a quelques mois, la compagnie aérienne low-cost EasyJet a revu sa politique bagages à la baisse. Désormais, seul un minuscule bagage de cabine est compris avec le billet d’avion : au maximum 45 x 36 x 20 cm (poignées ou roues comprises). Mesurez : ce sont les dimensions d’une mini valise, ou un sac à dos ordinaire, pas plus ! Du coup, comme le supplément pour un bagage en soute est presque aussi cher que le billet, beaucoup de voyageurs optimisent leurs affaires pour qu’elles tiennent dans le volume autorisé. En outre, ils découvrent qu’ils gagnent ainsi du temps, car l’enregistrement des bagages en soute et leur récupération à l’aéroport à l’arrivée sont très longs.

On voit depuis à Roissy Charles-de-Gaulle des foules de voyageurs avec pour seul équipement un sac à dos : pas seulement des jeunes routards habitués à crapahuter de par le monde avec juste le nécessaire dans le dos, mais également des seniors, des parents, qui se disent qu’après tout la famille, les amis ou l’hôtel là-bas auront largement tout ce qu’il faut.

En les voyant ainsi libérés de leurs habituelles valises pesantes et encombrantes, je pensais aux vers de la fable de La Fontaine décrivant la paysanne Perrette et son pot-au-lait  marchant avec allégresse vers ses rêves de réussite (« veau, vache, cochon, couvée ») :

Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;
Ayant mis ce jour-là pour être plus agile
Petite jupe simple, et souliers plats.

Perrette a trébuché et tous ses rêves se sont renversés avec son pot-au-lait, mais elle avait raison de voyager légère et court-vêtue pour aller de l’avant !

 

L’évangile zéro bagage

EnvoiMission de Foucauld dans Communauté spirituelleJésus n’avait pas lu La Fontaine, mais il était arrivé aux mêmes conclusions qu’EasyJet et Perrette : pour voyager mieux et loin, il ne faut pas emporter trop de bagages. L’évangile de ce dimanche (Lc 10, 1-12.17-20) le recommande fortement à ceux qui sont envoyés en mission : « Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin ».

Au fil des siècles, les Églises se sont alourdies et leurs bagages sont devenus si imposants qu’ils les immobilisent et les empêchent d’être agiles, mobiles, souples et réactives. Le patrimoine foncier de l’Église catholique en France est encore gigantesque, ses œuvres d’art inestimables, ses possessions complexes à gérer. Même ses œuvres de charité (écoles, hôpitaux, institutions, organismes de solidarité etc.) l’étouffent en faisant d’elle une machine administrative rigide et peu transparente. Saint Martin évangélisa la Gaule au IV° siècle avec un cheval et son manteau coupé en deux. Quelques siècles plus tard, l’Église croulait sous la richesse accumulée… Comment s’étonner dès lors, à la lumière de la parole de Jésus liant dépouillement et agilité missionnaire, que cette Église soit devenue si peu évangélisatrice ?

Si l’apôtre s’embarrasse de sac, de bourse ou de tunique de rechange, il marchera moins vite, moins loin, et surtout il ne comptera que sur ses seules ressources au lieu de compter sur la générosité de ceux vers qui il est envoyé.

 

Charles de Jésus : le voyageur sans bagages

image%2F0564407%2F20211116%2Fob_97e781_foucauld-une-tentation-dans-le-desert missionDimanche 15 mai dernier, le pape François a canonisé à Rome Charles de Foucauld pour sa présence et son témoignage au milieu des Touaregs. Sous-officier de l’armée coloniale, il avait appris très tôt que voyager au Maroc demandait de ne pas emporter grand-chose. Se faisant passer pour un rabbin afin de ne pas avoir d’ennuis, il a expérimenté, bien avant sa conversion, que se mélanger au peuple ordinaire d’un pays étranger demande beaucoup de discrétion, de simplicité, sans s’encombrer plus que nécessaire. Quand il reviendra, une fois ordonné prêtre, au Maghreb, il n’emportera matériellement rien avec lui de ce que son statut aurait pu lui octroyer. Sur le plateau de l’Assekrem au milieu du désert du Hoggar dans le Sahara, son ermitage de pierres sèches n’aura rien du confort occidental. Sa gandoura le rendra semblable aux nomades du désert. Même son capital social dû à sa noblesse, il le laissera en France, ne voulant plus se faire appeler que Charles de Jésus et non plus de Foucauld. Se dépouillant matériellement pour mieux rencontrer les Touaregs, Charles découvre alors qu’il lui faut encore se dévêtir spirituellement, culturellement, afin de devenir le frère universel qu’il souhaite être pour les Touaregs.

« Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu : c’est là qu’on se vide, qu’on chasse de soi tout ce qui n’est pas Dieu (…). C’est dans la solitude, dans cette vie seule avec Dieu seul (…) que Dieu se donne tout entier à celui qui se donne aussi tout entier à lui ».

« Il faut briser tout ce qui n’est pas moi », fait-il dire à Jésus.

Charles devra même abandonner la perspective de baptiser qui que ce soit, et se contenter d’être là, gratuitement, sans autre but que le témoignage fraternel. Le 7 septembre 1915, il écrit :

« Il y aura demain 10 ans que je dis la messe à Tamanrasset et pas un seul converti ! Il faut prier, travailler et patienter ».

Sa prière d’abandon, reprise chaque jour par les Petites Sœurs et Petit Frères de Jésus se réclamant de lui, exprime ce désir d’union qui fait passer par-dessus bord tout ce qui alourdit, ralentit ou empêche le mouvement d’amour envers l’autre :

1024px-%D8%A7%D8%B3%D9%83%D8%B1%D8%A7%D9%85_2_-_%D8%AA%D9%85%D9%86%D8%B1%D8%A7%D8%B3%D8%AA sobriété« Mon Père,
Je m’abandonne à toi,
fais de moi ce qu’il te plaira.

Quoi que tu fasses de moi,
je te remercie.
Je suis prêt à tout, j’accepte tout.
Pourvu que ta volonté
se fasse en moi, en toutes tes créatures,
je ne désire rien d’autre, mon Dieu.

Je remets mon âme entre tes mains.
Je te la donne, mon Dieu,
avec tout l’amour de mon cœur,
parce que je t’aime,
et que ce m’est un besoin d’amour
de me donner,
de me remettre entre tes mains, sans mesure,
avec une infinie confiance,
car tu es mon Père ».

Le dépouillement ultime serait pour lui le martyre, qu’il désire de façon sincère et non morbide, pour aller au bout du don de lui-même à son Dieu et à ce pays qu’il aime :

« Vivre comme si je devais mourir aujourd’hui martyr. À toute minute, vivre aujourd’hui comme devant mourir ce soir martyr ».
« Pense que tu dois mourir martyr, dépouillé de tout, étendu à terre, nu, méconnaissable, couvert de sang et de blessures, violemment et douloureusement tué… et désire que ce soit aujourd’hui ».
« Pense souvent à cette mort, pour s’y préparer et juger les choses à leur vraie valeur ».

Son assassinat exaucera ce vœu : le 1er décembre 1916, un brigand rebelle sénoussiste lui tire dessus, plus ou moins accidentellement, devant la porte du fortin de Tamanrasset où il s’était réfugié.

Le seul bagage que Charles n’a finalement pas laissé de côté est son bagage intellectuel. Les Touaregs n’ayant pas de culture de l’écrit, il travaille avec acharnement à transcrire cette langue, en rédigeant une grammaire, et des dictionnaires français-touareg et touareg-français. Car devenir frère, c’est promouvoir la langue, la culture, la sagesse, le génie de l’autre. Ne rien emporter pour la route de la mission implique par contre de faire fructifier ses talents d’intelligence, d’écoute, de compréhension au service de l’autre. Cyrille et Méthode ont fait ainsi en inventant un alphabet pour transcrire les langues slaves. Mattéo Ricci l’a fait en traduisant la liturgie en chinois. Les Pères Blancs l’on fait avec les langues et les cultures d’Afrique de l’Ouest etc.

Reste que ne rien emporter pour la route est la marque de l’apôtre authentique. François d’Assise s’est dépouillé de la richesse paternelle jusqu’à se réfugier nu dans les bras de son évêque. Mère Teresa a quitté le confort de son école pour enfants riches de Calcutta, avec pour seul équipement un sceau et un sari.

Les missionnaires les plus féconds voyagent légers et court-vêtus !

 

Alléger notre train de vie

‘Je ne suis pas missionnaire’, objecterez-vous peut-être. Pas faux, pas tout à fait exact non plus. Car tout baptisé est envoyé auprès de sa famille, ses amis, ses voisins, ses collègues, son quartier, ses cercles associatifs.

Quel sera votre témoignage si vous êtes trop installé dans la vie ?
Quelle liberté aurez-vous pour répondre à un appel si mille contraintes vous obligent déjà ?
Quelle souplesse d’esprit aurez-vous si la gestion de ce que vous possédez vous accapare et formate votre façon de penser ? On dit à juste titre que le plus souvent, nous ne possédons pas des biens, mais que nos biens nous possèdent…

À force d’accumuler, de calculer, de vouloir tout maîtriser, il n’y a plus de place pour l’évènement, l’imprévu, le différent. En allant ‘léger et court-vêtu’ sur les chemins de Palestine, Jésus a pu devenir le frère universel accessible à tous. En demandant à ses apôtres la même sobriété de possession et de mode de vie, le Christ initie son Église à la vraie disponibilité du cœur, celle qui ne s’encombre pas d’imposants bagages en soute, afin de se laisser conduire avec souplesse là où l’Esprit l’emmène.

Puissions-nous écouter cet appel du Christ à simplifier notre train de vie, pour mieux témoigner de l’Évangile à ceux qui ne le connaissent pas !
Parmi mes bagages, lesquels sont devenus trop lourds ?
Quelles possessions sont trop encombrantes ?
Comment voyager léger et court-vêtu vers ceux qui attendent une espérance ?

 

 

 Lectures de la messe

Première lecture
« Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve » (Is 66, 10-14c)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez !
Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire. Car le Seigneur le déclare : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. » Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ; et vos os revivront comme l’herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.

Psaume
(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur !
 (cf. Ps 65, 1)

Acclamez Dieu, toute la terre ;
fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.

Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »
Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom

Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
Il règne à jamais par sa puissance.

Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ;
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

Deuxième lecture
« Je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus » (Ga 6, 14-18)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates
Frères, pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis, c’est d’être une création nouvelle. Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie et pour l’Israël de Dieu, paix et miséricorde. Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus. Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.

Évangile
« Votre paix ira reposer sur lui » (Lc 10, 1-12.17-20)
Alléluia. Alléluia. 
Que dans vos cœurs, règne la paix du Christ ; que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse. Alléluia. (Col 3, 15a.16a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : ‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ » Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.’ Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. »
Les 72 disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »
Patrick BRAUD

Mots-clés : , ,

4 juillet 2021

Obligation de moyens, pas de résultat

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Obligation de moyens, pas de résultat

Homélie pour le 15° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
11/07/2021

Cf. également :

Deux par deux, sans rien pour la route
Le polythéisme des valeurs
Plus on possède, moins on est libre
Secouez la poussière de vos pieds
Medium is message
Briefer et débriefer à la manière du Christ

Obligation de moyens, pas de résultat dans Communauté spirituelle

Amer constat

Mai 2021. Juste après la levée de l’interdiction des 10 kms, nous nous retrouvons avec trois couples amis pour goûter la liberté retrouvée. Bien sûr, les nouvelles des enfants et petits-enfants sont au menu de nos conversations. Au fil des échanges, un constat s’impose à eux : ‘nous qui sommes cathos, convaincus et engagés, nous avons transmis à nos enfants ce patrimoine spirituel et ecclésial. Mais très peu l’ont repris à leur compte, excepté les valeurs chrétiennes qu’ils ont adoptées et pour lesquelles ils nous sont reconnaissants. À la génération en dessous, qu’en sera-t-il ? Car sur les 14 petits-enfants que nous cumulons (à 3 couples) aucun n’est baptisé’…

Il y avait une pointe de déception dans ce froid constat, et également beaucoup d’interrogations : ‘qu’aurions-nous raté ? qu’est-ce qui relève de notre responsabilité ? la foi ne se transmet-elle donc pas ? sommes-nous désavoués par le désintérêt pratique de nos enfants envers l’Église ?’… Malgré des dynasties de familles intelligemment ancrées dans la foi chrétienne depuis des lustres, il a suffi de deux générations pour rompre le fil, pour que le relais semble perdu, pour longtemps.

Or ce sentiment d’échec dans la transmission de la foi est plutôt bon signe ! C’est justement qu’il n’y a rien d’automatique ni d’héréditaire dans l’identité chrétienne. Nous avons pu croire à une époque qu’il y avait des pays catholiques comme il y avait des pays hindous ou musulmans. Et voilà que la liberté rebat les cartes et distribue sans cesse de nouvelles donnes à travers les siècles. Être juif est une question quasi génétique où il suffit d’être de mère juive. Être musulman est théoriquement lié à la simple récitation de la confession de foi centrale appelée Shahada (« J’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu et j’atteste que Mahomet est le Messager de Dieu »), mais en réalité l’appartenance musulmane s’est transmise par les conquêtes militaires, et ensuite par l’obligation d’être un sujet légal de l’État musulman. Nous redécouvrons en France que l’identité supposée catholique de nos concitoyens n’est en réalité que le résultat de leur libre choix. Pourquoi s’en désoler ?

L’échec de l’évangélisation fait partie intégrante de celle-ci, sinon elle dégénère en conversion forcée. Dès le début de sa mission, Jésus en fait la douloureuse expérience. Il revient à Nazareth, son village d’origine, et là il est surpris et navré de constater le manque de foi de ses amis d’enfance : « Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi » (Mc 6, 5 6). Ce non-accueil est si fort qu’il oblige Jésus à s’installer ailleurs que chez lui, à Capharnaüm, ce croisement de routes, de flux de populations cosmopolites davantage prêt à l’accueillir que sa bourgade natale. Alors, quand il envoie ses disciples en mission deux par deux pour la première fois (Mc 6,7-13), Jésus ne se fait pas d’illusions : on refusera parfois de les accueillir. On leur fermera poliment la porte au nez ; on les chassera à coups de pierres ; on leur manifestera une indifférence dédaigneuse. La possibilité de l’échec fait partie de la mission. À tel point que Jésus leur demandera d’en tirer toutes les conséquences, en ne perdant pas leur temps ni l’énergie là où les cœurs ne sont pas prêts : « Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage ».

 

Les deux obligations

ob_91f4e4_oblllllllllllllllll conversion dans Communauté spirituelleOn dirait aujourd’hui que Jésus leur demande une obligation de moyens, et non une obligation de résultat. La distinction appartient au droit français, mais elle est facile à comprendre. L’obligation de moyens engage à explorer et utiliser tous les chemins possibles, dans les règles de l’art, pour atteindre le résultat souhaité. Mais celui qui signe le contrat ne garantit pas que le résultat soit obtenu, car tout ne dépend pas de lui. Ainsi, le chirurgien s’engage à pratiquer sur vous une opération dans les règles de l’art, avec tout l’arsenal hospitalier requis ; mais il ne peut vous garantir le succès d’une greffe, d’une ablation de tumeur etc. car la guérison ne dépend pas que de lui. Alors qu’un installateur de chaudière a l’obligation de vous fournir un appareil en état de marche, et il ne sera payé (sauf cas de force majeure) que si en appuyant sur le bouton vous avez bien l’eau chaude enfin disponible ! Autrement dit, l’obligation de résultat oblige le prestataire à parvenir à un résultat précis prévu dans le contrat.

Vous l’avez compris : la mission selon Jésus relève d’une obligation de moyens, pas de résultat. Les moyens eux doivent être évangéliques : « seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture ». Utiliser d’autres moyens ne serait pas fidèle à l’Esprit du Christ, même si cela semble sur le moment couronné de succès (conversions nombreuses, mais superficielles). Utiliser des moyens contraires est pire encore : déverser de l’argent, du pain sur des populations pauvres pour les attirer à l’Église, mettre des habits somptueux pour impressionner et forcer le respect, entasser des richesses dans le sac de l’Église (patrimoine immobilier, financier, artistique…). Si l’on prenait au sérieux l’envoi des Douze (comme celui des 72 en Lc 10, 1-24), on devrait considérablement simplifier la vie matérielle de nos Églises, simplifier la pastorale pour la ramener elle aussi à l’essentiel : annoncer, guérir, demeurer (hospitalité)…

Le déclin numérique – réellement impressionnant – de l’Église catholique en France la forcera peut-être à redécouvrir cette pauvreté missionnaire : vendre des bâtiments au lieu de les accumuler, manquer d’argent au lieu de s’en servir comme moyen d’influence, simplifier sa liturgie, ses vêtements, sa pastorale au lieu de se perdre dans des querelles de dentelles…

 

Le carré magique de l’évangélisation

Quand on croise les deux obligations de moyens et de résultat, on obtient un de ces ‘carrés magiques’ dont raffolent les entreprises pour diagnostiquer leur place d’acteur d’un marché et positionner leur stratégie en réponse.

Le carré magique de l'évangélisation (obligation de moyens / résultat)– Le quadrant en bas à gauche est le pire quadrant, celui des mercenaires (Jn 10, 10-20) qui font tout échouer en ne respectant pas la nature évangélique des moyens à mettre en œuvre dans la mission. Ils ne songent en fait qu’à leur gloire, leur intérêt, leur trajectoire individuelle. Dès qu’il y a un danger (des ‘loups’), il s’enfuit en abandonnant les communautés (les ‘brebis’) à leur sort. Dans l’histoire de l’évangélisation, bien des militaires (de Cortés à Bugeaud par exemple) qui ont voulu imposer leur religion par la force ont finalement engendré un rejet proportionnel à la violence employée. Dans bien des écoles catholiques, les moyens utilisés sont de réels contre-témoignages flagrants (cf. la récente affaire de sévices sur des enfants d’institutions catholiques dans le diocèse de Cologne en Allemagne). Dans bien des familles cathos, l’imposition dès l’enfance d’une tradition religieuse corsetée et étroite d’esprit ne fait que générer plus tard des adultes sceptiques, athées, anticléricaux.

– Le quadrant en haut à droite est évidemment l’exact contraire de la caricature précédente. Ici la mission chrétienne est pratiquée selon l’Esprit de l’Évangile (simplicité, pauvreté, service, désintéressement) et porte du fruit au centuple. La figure en est sans doute François d’Assise et l’ordre des franciscains avec lui. Riche héritier d’un marchand drapier italien du XIII° siècle, François a su se débarrasser des richesses qui l’alourdissaient, jusqu’à se dévêtir devant tous pour en exprimer l’abandon. Il n’avait sur lui ni sac, ni argent, ni vêtements somptueux, mais il parcourait les routes d’Italie – puis les franciscains de l’Europe – en prêchant le retour à l’Évangile, allégé du surpoids que l’Église médiévale avait accumulé pendant des siècles (puissance temporelle, influence politique, trésors, bâtiments, fortunes, pouvoir de coercition…).

- Entre ces deux extrêmes se situe la zone grise du quadrant en haut à gauche : les missionnaires utilisent des moyens non évangéliques, et pourtant ils obtiennent des résultats réels. Ainsi la colonisation occidentale en Afrique noire ; ou la paix constantinienne établissant un empire romain soi-disant chrétien ; ou le baptême de Clovis impliquant celui de tous les Francs ; ou certaines missions protestantes américaines convertissant à coup de dollars etc. Dans ces situations, la graine semée lève et porte du fruit, alors que pourtant l’humus sur lequel elle grandit est pollué par des pratiques antiévangéliques. C’est que l’Esprit a la liberté de faire pousser le bon grain au milieu de l’ivraie ! Contrairement au proverbe que citait Jésus, un mauvais arbre peut porter de bons fruits… Nous connaissons tous des familles à l’éducation religieuse catastrophique, mais où certains enfants arrivent cependant à en filtrer le meilleur, à remonter à la source pour devenir des chrétiens remarquables [1]. « Dieu écrit droit avec des lignes courbes » (Paul Claudel).

– Le dernier quadrant, en bas à droite, est celui de l’échec annoncé aux Douze. Malgré tous les moyens évangéliques utilisés (pauvreté, simplicité, service…), malgré la grande qualité spirituelle des témoins du Christ à l’œuvre, la mission échoue. C’est la liberté des peuples de se détourner de l’Évangile du Christ. C’est la liberté des individus de dire oui ou non, d’accepter ou non de se convertir. Ainsi Matteo Ricci et les jésuites en Chine. Peu aidés il est vrai par la rigidité de Rome sur la question des rites chinois, l’évangélisation brillante, intelligente et fidèle à Mc 6 ne pourra pas convaincre les Chinois. De même en Inde d’ailleurs avec St Thomas et ses successeurs. Ou bien Charles de Foucauld en terre musulmane. Ou bien mes couples d’amis cathos avec leurs enfants et petits-enfants. Comme le disait Bernadette Soubirous avec bon sens : « je suis chargé de vous le dire, pas de vous le faire croire ».
La foi ne se transmet pas, elle ne s’impose pas : elle se propose [2], s’exposant par là-même au refus. Celui qui n’a jamais rencontré d’échec n’a jamais évangélisé en vérité…

 

Dans quel quadrant êtes-vous ? Quel a déjà été votre parcours dans ce carré magique, en tant qu’acteur de l’évangélisation, en tant que destinataire également ? Quels visages, quelles pratiques vous concernant pourriez-vous mettre dans chacun de ces quadrants ?

 


[1]. St Augustin notait avec finesse que même les mercenaires pouvaient obtenir de bons résultats. « Remarquez-le cependant : les mercenaires sont indispensables. Il en est beaucoup dans l’Église pour travailler à leur avantage temporel ; néanmoins, ils prêchent le Christ, et, par leur intermédiaire, sa parole se fait entendre, et les brebis suivent, non pas le mercenaire, mais la voix du pasteur qui leur arrive par la bouche du mercenaire » (Augustin, Traité sur l’évangile de Jean n° 46).

[2]. Cf. Conférence des Évêques de France, Proposer la foi dans la société actuelle, Lettre aux catholiques de France, 1996.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Va, tu seras prophète pour mon peuple » (Am 7, 12-15)

Lecture du livre du prophète Amos

En ces jours-là, Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos : « Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda ; c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète. Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser ; car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume. » Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ » – Parole du Seigneur.

PSAUME
(Ps 84 (85), 9ab.10, 11-12, 13-14)
R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps 84, 8)

J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Il nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde » (Ep 1,3-14)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ.  Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour.  Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ.
Ainsi l’a voulu sa bonté, à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé. En lui, par son sang, nous avons la rédemption, le pardon de nos fautes. C’est la richesse de la grâce que Dieu a fait déborder jusqu’à nous en toute sagesse et intelligence. Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ : pour mener les temps à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre. En lui, nous sommes devenus le domaine particulier de Dieu, nous y avons été prédestinés selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé : il a voulu que nous vivions à la louange de sa gloire, nous qui avons d’avance espéré dans le Christ.  En lui, vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu est une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire.

ÉVANGILE
« Il commença à les envoyer » (Mc 6,7-13)
Alléluia. Alléluia.Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. » Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. » Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
.Patrick Braud

Mots-clés : , , ,

14 mars 2021

Va te faire voir chez les Grecs !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Va te faire voir chez les Grecs !

Homélie pour le 5° Dimanche de Carême / Année B
21/03/2021

Cf. également :

Grain de blé d’amour…
La corde à nœuds…
Qui veut voir un grain de blé ?
Le jeu du qui-perd-gagne
Quels sont ces serpents de bronze ?

Va te faire voir chez les Grecs ! dans Communauté spirituelle B00YYEZ3H8.01._SCLZZZZZZZ_SX500_Évidemment, un tel titre est un peu choquant pour un commentaire d’évangile ! Cette insulte vulgaire est devenue l’expression d’un rejet méprisant, les Grecs étant réputés pour leurs mœurs douteuses dans l’Antiquité. Mais dans l’Évangile de ce dimanche (Jn 12, 20-33), les Grecs présents à Jérusalem pour la fête de la Pâque sont les déclencheurs de la célèbre parole de Jésus sur le grain de blé, annonçant sa Passion et sa mort.
Quel lien entre les Grecs et le grain de blé ? entre le désir de « voir Jésus » et l’heure de la glorification qu’il annonce ? Quel rôle jouent Philippe et André dans cette version de Gethsémani si particulière à Jean ?
L’enjeu n’est pas que scripturaire. Il concerne le lien que nous avons à faire aujourd’hui entre notre universalisme chrétien et le caractère pascal de notre foi. Voyons comment.

 

Nous voudrions voir Jésus

 blé dans Communauté spirituelleTout part de là, de ce désir de quelques prosélytes grecs qui ont fait le voyage pour fêter la Pâque à Jérusalem. Ils sont à eux seuls témoins de l’ouverture du judaïsme à d’autres peuples, à d’autres cultures déjà. En exprimant leur volonté de « voir Jésus », ils vont déclencher en lui ce rappel à l’universel qu’il a peu à peu apprivoisé sur les chemins de Palestine. Avec cette demande, la finalité de sa mission s’impose à lui avec évidence : « j’attirerai à moi tous les hommes ». Tant qu’il demeure un obscur prophète juif, Jésus ne peut prétendre toucher le cœur d’étrangers comme ces Grecs. S’il veut accéder à leur désir de se faire voir d’eux, il faudra qu’il se dépouille de ce que sa condition juive a de trop particulier, pour s’ouvrir à d’autres langues, à d’autres façons de voir le monde. D’ailleurs, les Grecs demandent de « voir » là où les juifs commencent par écouter. La prière du Shema Israël (Écoute Israël !) récitée trois fois par jour leur redit que Dieu est à entendre, pas à voir. Car vouloir voir la divinité génère des idoles, des veaux d’or, alors que l’écoute engendre la Loi et son application.

Aller se faire voir chez les Grecs relève donc pour Jésus d’une double crise : passer de l’écoute à la vue, de la culture de Jérusalem à celle d’Athènes. Les conciles des cinq premiers siècles iront jusqu’au bout de cette transformation révolutionnaire, en adoptant la philosophie grecque comme véhicule du Credo, et en reconnaissant cinq villes de cultures  si différentes, cinq Églises locales égales entre elles, comme un modèle de la communion ecclésiale : Jérusalem, Rome, Constantinople, Antioche, Alexandrie (même si Rome avait une primauté d’honneur, primus inter pares). Elles constituaient ce qu’on appelle la pentarchie.

L’ouverture aux autres nations qu’Israël est donc un chemin pascal : c’est en mourant à une certaine particularité juive (la circoncision, la cacherout, l’hébreu…) que le christianisme pourra renaître à universalisme ne reniant rien de ses origines (par l’inculturation).
Jésus parcourt d’abord ce chemin dans sa chair, pour que nous nous y engagions à sa suite, en son corps qui est l’Église.

La demande des Grecs lui fait pressentir que c’est maintenant le moment de passer à la vitesse supérieure si l’on peut dire, ce que seule sa Passion–Résurrection pourra accomplir. Les Grecs prosélytes étaient venus pour la Pâque juive ; ils provoquent avec leur désir de « voir Jésus » sa Pâques et celle de l’Église.

Voilà un premier lien entre les Grecs et le grain de blé : pour se faire voir d’eux, Jésus sent bien qu’il va devoir mourir à lui-même. Nous le pressentons également, chaque fois qu’une demande étrange nous fait sortir de nous-mêmes, de notre zone de confort, pour nous risquer à nous faire voir à d’autres.

 

Le rôle de Philippe et André

35040757-2 GethsémaniVisiblement, les Grecs prosélytes n’osent pas demander directement à Jésus de les rencontrer. Sans doute sont-ils impressionnés par sa réputation ; peut-être se sentent-ils trop étrangers pour aller solliciter une entrevue avec un juif. Aujourd’hui encore, beaucoup n’osent pas demander à l’Église, se croyant trop loin d’elle. Alors, ces Grecs passent par Philippe, dont le nom grec (phil-hippos = qui aime les chevaux) atteste de sa proximité culturelle avec eux. D’ailleurs, en précisant que Philippe est de Bethsaïde, Jean souligne cette proximité, puisque le roi de Judée Hérode Philippe II a justement donné le titre de polis (cité grecque) à cette ville qu’il a fait construire.

Grec, Philippe l’est jusqu’au bout des ongles. Il invite Nathanaël qui doute à vérifier par lui-même, en venant voir Jésus : « viens et vois » (Jn 1,46). Il proteste avec raison   rationnellement dirait-on   contre l’ordre de Jésus de donner à manger à la foule affamée : « le salaire de deux cents journées ne suffirait pas… » (Jn 6,7). Il se montre fidèle à la culture grecque et au désir de voir qui la caractérise en s’énervant contre Jésus qui parle beaucoup : « montre-nous le Père, cela ne nous suffit » (Jn 14,8). En Philippe, les Grecs ont donc bien choisi leur allié pour être leur ambassadeur auprès de Jésus : lui sait les comprendre, il sait ce qui est important à leurs yeux, il sera leur interprète. Pour avoir plus de poids, Philippe s’adjoint André dont le nom est lui aussi d’origine grecque (aner, andr = l’humain). À deux, comme le veut la loi juive qui exige deux témoins pour qu’une affaire soit crédible, ils auront plus de chances d’être pris au sérieux par Jésus. Et voilà comment Philippe en vient à transmettre cette demande à Jésus, en lui disant littéralement : va te faire voir chez les Grecs, c’est-à-dire : accepte de passer sur cette autre rive culturelle où ils t’attendent.

Qui sont les Philippe et André du XXI° siècle ? Qui avertit l’Église que d’autres cultures, d’autres peuples, d’autres histoires singulières attendent d’elle une révélation ajustée à leur propre sagesse ? Si nous ne tirons jamais la manche des responsables ecclésiaux en leur disant : ‘il y a aux marges de notre société des gens qui voudraient voir Jésus ; allez les rencontrer’, qui le fera ? Si nous n’attirons jamais l’attention des catéchistes, des prêtres, évêques et religieuses etc. sur la soif de sens qui attend une source, pourquoi s’étonner que notre Église reste seule et porte peu de fruits, puisque ne voulant pas s’enfouir en terre étrangère ?

 

Le Gethsémani johannique

Dire que passer aux Grecs est un chemin pascal implique d’expérimenter l’angoisse et la perte de la Passion en cours de route. Là encore, Jésus le vit dans sa chair pour que nous puissions le vivre ensuite en son corps. Jean a transposé ici dans notre épisode du grain de blé ce que les trois autres évangélistes avaient situé à Gethsémani : « mon âme est bouleversée ; Père sauve-moi de cette heure. Mais non !… » Le débat intérieur qui déchire ici Jésus est bien celui de Gethsémani, mais finalisé par l’ouverture aux Grecs (à l’universel, à « tous les hommes ») et non par son identité filiale comme pour les synoptiques. La voix du ciel qui se manifeste (comme à la Transfiguration) n’est pas pour les disciples, mais pour « la foule qui se tenait là ». C’est « pour vous » que l’annonce de la glorification par Dieu est manifestée : n’oubliez jamais qu’attirer au Christ tous les hommes est un chemin pascal, où la glorification est donnée en traversant la défiguration de la Passion. Le fruit du grain de blé lui est donné lorsqu’il consent à pourrir en terre avant de lever. Le Gethsémani johannique est tout entier orienté vers la mission universelle, vers le salut à apporter à tous, vers la vie éternelle offerte à la multitude.

Et nous qui souhaitons que notre vieille Église soit à nouveau lourde d’épis, n’espérons pas engranger la moisson sans nous engager dans cette dynamique pascale où nos Gethsémani seront aussi bouleversants que celui du grain de blé…

 

Élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes

Un mot pour terminer, au sujet de la réalisation de la demande des Grecs. Comment vont-ils voir Jésus ? En levant les yeux vers celui qui a été crucifié (cf. le serpent de bronze de dimanche dernier : Quels sont ces serpents de bronze ?), selon l’invitation du ressuscité : « élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». Voir Jésus ne sera alors pas de la curiosité, ni de la magie, ni de la superstition : c’est regarder le mal en face, ce mal vaincu par la croix du Christ dans le pardon et l’amour. S’ils veulent vraiment voir Jésus, les Grecs d’aujourd’hui n’économiseront pas non plus une démarche de vérité sur leur existence, sur le mal commis et le mal subi, sur la vie plus forte que la mort.

Les Grecs étaient montés à Jérusalem pour la Pâque. Ils monteront encore plus haut en eux-mêmes en levant les yeux pour se laisser attirer par le Christ glorifié. Ils contempleront en lui - crucifié vainqueur - la révélation qu’ils cherchaient sur « les choses cachées depuis la fondation du monde » (Mt 13,35)…

 

Tantôt Grecs prosélytes à Jérusalem, tantôt Philippe et André en ambassadeurs, comment allons-nous faire remonter au Christ nos désirs et nos attentes ? et ceux de nos contemporains si loin du Christ en apparence ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je conclurai une alliance nouvelle et je ne me rappellerai plus leurs péchés » (Jr 31, 31-34)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle. Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte : mon alliance, c’est eux qui l’ont rompue, alors que moi, j’étais leur maître – oracle du Seigneur.
Mais voici quelle sera l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés – oracle du Seigneur. Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère en disant : « Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands – oracle du Seigneur. Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés.

 

PSAUME
(50 (51), 3-4, 12-13, 14-15)
R/ Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu. (50, 12a)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les égarés.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Il a appris l’obéissance et est devenu la cause du salut éternel » (He 5, 7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Le Christ, pendant les jours de sa vie dans la chair, offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

 

ÉVANGILE
« Si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 20-33)
Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi.Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive, dit le Seigneur ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi. (Jn 12, 26)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par-là de quel genre de mort il allait mourir.
 Patrick BRAUD

Mots-clés : , , , , , ,
12